PSAUME LXXI
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DISCOURS SUR LE PSAUME LXXI (1).

LE VRAI SALOMON OU LE CHRIST.

 

C‘est le Christ qui nous donne la véritable paix avec Dieu. Il a reçu le pouvoir de juger et de sauver ceux qui sont humbles, pauvres selon l’esprit divin, qui ne prétendent point tenir la justice d’eux-mêmes. C’est de Dieu que vient le jugement ou la droiture, la justice. C’est aux montagnes ou aux hommes de recevoir et de maintenir la paix, aux collines d’obéir aux montagnes, mais sans les préférer alu Christ, comme font les schismatiques. Les premières nous réconcilient avec Dieu, l’obéissance des collines arrive au perfectionnement. Le démon ou calomniateur sera humilié quand Jésus nous donnera la grâce, mourra et ressuscitera, régnera avec le soleil ou s’assiéra à la droite de Dieu, tandis que la lune ou l’Eglise qu’il a devancée dans le ciel, réparera par les générations successives les pertes de la mort. Il descend par la grâce comme la pluie sur la toison. La lune ou l’Eglise sera élevée. Conversion des Ethiopiens ou Gentils, schismes. Le Christ nous arrache au puissant ou au démon, nous pardonne, nous rachète de l’usure ou du châtiment, nous fait grandir à ses yeux, vit éternellement, recueille l’or de l’Arabie on la sagesse des convertis, affermit les montagnes ou accomplit les promesses des saintes Ecritures, s’élève au-dessus du monde par le fruit de la chaulé, qui est le froment et qui domine le u onde. Que son nom soit béni, puisque de lui nous vient la bénédiction.

 

1. « Pour Salomon », tel est le titre du psaume : et toutefois ce qu’il contient ne peut s’accorder avec le récit de l’Ecriture au sujet de Salomon, roi charnel d’Israël, mais convient très-bien à Notre-Seigneur Jésus-Christ. C’est pourquoi ce nom de Salomon ne nous paraît ici qu’une figure de l’avenir qui nous annonce le Christ. Car Salomon signifie pacifique, et dès lors s’applique d’une manière bien vraie et bien convenable à celui qui nous sert de médiateur, afin que d’ennemis que nous étions, nous soyons réconciliés à Dieu, par la rémission de nos péchés. « Car  lorsque nous étions ennemis, nous avons été réconciliés à Dieu par la mort de son  Fils 2». Ce même Fils est le véritable pacifique, « puisque des deux peuples, il n’en a fait qu’un seul, en détruisant dans sa propre chair le mur de séparation, ou leurs inimitiés; abolissant par ses décrets la loi chargée de préceptes, pour former en lui seul un homme nouveau de ces deux peuples, mettant la paix entre eux; il est donc venu prêcher la paix à ceux qui étaient éloignés et la paix encore à ceux qui étaient proches 3». Lui-même nous dit dans l’Evangile: « Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix 4 ». Et dans une foule d’autres témoignages le Christ notre Seigneur se montre pacifique non point dans le sens de cette paix que le monde connaît et recherche, mais de cette

 

1. Tiré de l’épître CLXIX à Evode, n. I.— 2. Rom. V, 10.— 3. Ephés. II, 14-17. — 4. Jean, XIV, 27.

 

paix dont le Prophète a dit : «  Je leur donnerai de vraies consolations, et paix sur paix 1 »: c’est-à-dire, qu’à la paix de réconciliation j’ajouterai la paix de l’immortalité. Car après l’accomplissement des promesses de Dieu, le même Prophète nous fait espérer une dernière paix dans laquelle nous vivrons éternellement avec Dieu, lorsqu’il nous dit : « Seigneur, notre Dieu, donnez-nous votre paix, après nous avoir donné toutes choses 2». Cette paix alors sera parfaite, « quand la mort notre dernière ennemie sera détruite 3». Mais en qui cela s’accomplira-t-il, sinon dans ce roi de paix et de réconciliation? « De même, en effet, que tous meurent en Adam, de même tous seront vivifiés en Jésus-Christ 4 ». Après avoir trouvé le vrai Salomon, le vrai

pacifique, écoutons maintenant les enseignements du psaume.

2. « O Dieu, donnez au roi votre jugement,  et votre justice au fils du roi 5 ». Le Seigneur dit lui-même dans l’Evangile : « Le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils 6». C’est bien là : « ô Dieu, donnez votre jugement au roi ». Et ce roi est aussi fils du roi, car le Père est roi lui-même : aussi est-il écrit qu’un roi fit des noces à son fils 7. Cette répétition est dans l’usage des Ecritures. Ainsi cette expression « Votre jugement », est répétée dans « votre

 

1. Isa. LVII, 19, suiv. les Septante. — 2. Id. XXVI, 12, suiv. les Septante — 3. I Cor. XV, 26. — 4. Id. 22.— 5. Ps. LXVI, 2. — 6. Jean, V, 22 — 7. Matth. XXII, 2.

 

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justice »; et cette autre : « Au roi », dans « au Fils du roi »; de même qu’il est dit ailleurs : « Celui qui habite dans les cieux se rira d’eux, et le Seigneur les persiflera 1 ». Or, « celui qui habite les cieux », est bien le même que « le Seigneur»; et « se rira d’eux » a le même sens que « les persiflera ». Il en est de même dans « les cieux qui racontent la gloire de Dieu et le firmament qui annonce l’oeuvre de ses mains 2 » . « L’oeuvre de ses mains » est une répétition de « sa gloire », et « annoncer » une répétition de « raconter». Or, ces répétitions sont fréquentes dans les Ecritures, soit qu’elles redisent les mêmes paroles, soit qu’elles expriment le même sens avec des paroles différentes : elles se trouvent principalement dans les psaumes, et dans ce style dont le but est d’émouvoir les âmes.

3. Le Prophète continue : « De juger votre peuple dans la justice; et vos pauvres dans l’équité 3 » . Ces paroles : « De juger votre peuple dans la justice », font voir suffisamment que le Père, qui est roi, a donné au roi son Fils le jugement et la justice pour juger votre peuple. Cette même expression se trouve dans Salomon : « Proverbes de Salomon, fils de David, de connaître la sagesse et la discipline 4 »; c’est-à-dire, proverbes de Salomon, qui enseignent la sagesse et la discipline. De même « votre jugement de juger votre peuple », signifie votre jugement afin qu’il juge votre peuple. Mais ces expressions « Votre peuple», et ensuite « vos pauvres »; et ces autres, « dans la justice » , puis « dans l’équité», sont encore des répétitions. Le Prophète nous apprend ainsi que le peuple de Dieu doit être pauvre, sans orgueil, plein d’humilité. « Bienheureux en effet les pauvres de gré, parce que le royaume des cieux est à eux 5». Telle était la pauvreté du bienheureux Job, même avant qu’il eût perdu ses richesses terrestres. Ce qu’il est bon de remarquer ici, car il est plus facile pour quelques-uns de distribuer tous leurs biens aux pauvres que de se faire les pauvres de Dieu. Ils s’enflent et sont pleins de jactance; ils croient que c’est à eux-mêmes, et non à la grâce de Dieu, qu’ils doivent de vivre saintement, et voilà que leur vie n’est pas sainte, quelque nombreuses que paraissent leurs bonnes oeuvres. Ils croient tout tenir d’eux-mêmes, et se glorifient comme

 

1. Ps. II, 4. — 2. Id. XVIII, 2.— 3. Id. LXXI, 2. — 4. Prov. I, 1.— 5. Matth, V, 3.

 

s’ils n’avaient rien reçu 1: ce sont des riches en eux-mêmes, et non des pauvres de Dieu; pleins de leurs mérites, et non indigents pour l’amour de Dieu. Or, l’Apôtre l’a dit: « Quand je distribuerais tous mes biens aux pauvres, et que je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai point la charité, cela ne me sert de rien 2 »; comme s‘il disait : Il ne me servirait de rien de distribuer mes biens aux pauvres, si je ne devenais pauvre pour Dieu. « La charité ne s’enfle point d’orgueil 3 »: et il n’y a point de charité en celui qui est ingrat envers l’Esprit-Saint, par qui la charité est répandue dans nos coeurs 4. Aussi ces hommes n’appartiennent-ils pas au peuple de Dieu, parce qu’ils ne sont point pauvres selon Dieu. Ainsi parlent en effet les pauvres selon Dieu : « Pour nous, nous n’avons pas reçu l’Esprit de ce monde, mais l’Esprit qui vient de Dieu, afin de connaître les dons que Dieu nous a faits 5 ». Tandis que dans notre psaume, afin d’exprimer ce mystère d’un Dieu qui s’unit à l’homme, ou du Verbe fait chair 6, il est dit à Dieu le Père qui est Roi: « Donnez votre justice au Fils du Roi » : ceux-ci ne veulent point qu’on leur donne la justice, ils prétendent l’avoir en eux-mêmes. « Ignorant cette justice qui vient de Dieu, et voulant établir leur propre justice, ils ne sont point soumis à la justice de Dieu 7 ». Ils ne sont donc point affamés de Dieu, mais pleins d’eux-mêmes, puisqu’ils ne sont pas humbles, mais superbes. Or, ce Fils du Roi viendra juger le peuple de Dieu tians la justice, et les pauvres dans l’équité, et par ce jugement, il séparera les pauvres qui sont à lui, c’est-à-dire, ceux qu’il a enrichis de sa pauvreté. Car c’est vers lui que ce peuple de pauvres élève cette voix: « Jugez-moi, ô Dieu, et séparez ma cause de cette nation qui n’est point sainte 8 ».

4. Il y a ici dans les expressions un ordre qui est changé; après avoir dit d’abord : « Dieu, donnez votre jugement au roi,et votre justice au fils du roi », énonçant d’abord le jugement, ensuite la justice, le Prophète au verset suivant met au premier rang la justice, et au second le jugement: « Pour juger votre peuple dans la justice, et vos pauvres selon le jugement » ; et montre ainsi que ce jugement a le sens de justice, et que lieu importe à quel rang vienne cette expression, qui a le

 

1. I Cor. IV, 7. — 2. Id. XIII, 5 — 3. Id. 4. — 4. Rom. V, 5. — 5. I Cor. II, 12. — 6. Jean, I, 14. — 7. Rom. X, 3. — 8. Ps. XLII, 1.

 

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même sens. On appelle d’ordinaire partial, un jugement injuste; mais on ne dit guère une justice inique ou injuste; car si elle est fausse, elle sera injuste, et dès lors ne s’appellera plus justice. Dire alors jugement, puis le répéter sans le nom de justice, puis dire justice et lui donner ensuite le nom de jugement, c’est montrer suffisamment qu’il appelle jugement ce que d’ordinaire on appelle justice, c’est-à-dire ce qui ne peut s’entendre d’un faux jugement. Quand le Seigneur nous dit en effet: « Ne jugez point selon l’apparence, mais jugez selon le sens droit 1 », il montre qu’un jugement peut être sans droiture; et en disant: « Portez un jugement droit », il défend l’un e1à ordonne l’autre. Mais quand il dit le jugement, sans aucune qualification, il veut que l’on entende la justice. C’est ainsi qu’il a dit: « Vous omettez ce qu’il y a d’important dans la loi, la miséricorde et le jugement 2 » ; et que Jérémie a dit aussi : « Il amasse des richesses, mais non avec jugement 3 ». Il ne dit pas qu’il amasse des richesses avec un jugement faux ou pervers, ni avec un jugement droit ou injuste; mais bien « non avec jugement », réservant ainsi le nom de jugement à tout ce qui est droit et juste.

5. « Que les montagnes reçoivent la paix pour le peuple, et les collines la justice 4 ». Les montagnes sont plus hautes, les collines moins élevées. Le Prophète désigne ici ceux qu’il appelle ailleurs « les grands et les petits ». Ce sont là « ces montagnes qui bondirent comme des béliers, et ces collines comme des agneaux, quand Israël sortit de l’Egypte 5» ; c’est-à-dire, quand le peuple de Dieu fut délivré de l’esclavage de ce monde. Ces montagnes sont donc les hommes qui, dans l’Eglise, dominent par une sainteté supérieure et qui sont capables d’instruire les autres 6; qui ne parlent que pour enseigner la vérité, qui règlent leur vie afin d’être des modèles de sainteté. Mais pourquoi « la paix est-elle pour les montagnes, et la justice pour les collines? » Serait-il indifférent de dire que les montagnes reçussent la justice pour le peuple, et les collines la paix? Car la justice comme la paix est nécessaire aux uns et aux autres, et il est possible que la paix ne soit qu’un autre nom de la justice. Telle serait en

 

1. Jean, VII, 24. — 2. Matth. XXIII, 23. — 3. Jérém. XVII, 11. — 4. Ps. LXXI, 3.— 5. Id. CXIII, 1, 4, 13.— 6. II Tim. II , 2.

 

effet la véritable paix, non plus comme les hommes injustes la font entre eux. Ou peut-être, ne faut-il pas dédaigner la distinction du Prophète, et dire: « La paix aux montagnes et la justice aux collines? » Car ceux qui sont éminents dans l’Eglise doivent apporter tous leurs soins à maintenir la paix, à ne pas briser les liens de l’unité, à ne point causer de schismes dans l’Eglise par leur conduite orgueilleuse. Quant aux collines, elles doivent imiter les montagnes, et leur être soumises, de manière néanmoins à leur préférer Jésus-Christ: de peur que séduites par l’éclat apparent de quelques montagnes dangereuses, elles n’en viennent à se séparer du Christ et à rompre avec l’unité. Voilà pourquoi le Prophète appelle « sur les montagnes la paix, pour le peuple ». Qu’elles disent: « Soyez mes imitateurs, comme je le suis du Christ 1 ». Mais qu’elles disent encore: «Quand un ange venu du ciel, ou nous-mêmes vous annoncerions un Evangile autre que celui que vous avez reçu, qu’il soit anathème 2». Qu’elles disent enfin : « Paul a-t-il été crucifié pour vous, ou seriez-vous baptisés au nom de Paul 3? » Qu’ « ils reçoivent cette paix pour le peuple » de Dieu, ou pour les pauvres de Dieu, qui leur fasse désirer de régner, non sur eux, mais avec eux. Qu’à leur tour ceux-ci ne disent point: « Moi je suis à Paul, moi à Apollo, moi à Céphas », mais bien tous : « Moi je suis au Christ 4 ». La justice dès lors consiste pour les serviteurs à ne point se préférer ni même s’égaler au Seigneur, et à lever les yeux vers les montagnes d’où le secours doit leur venir, de manière cependant à ne pas attendre ce secours des montagnes elles-mêmes, mais bien du Seigneur qui a fait le ciel et la terre 5.

6. On peut très-bien encore donner à ces paroles: « Que les montagnes reçoivent la paix pour le peuple », le sens d’une paix qui nous réconcilie avec Dieu, car les montagnes la reçoivent pour son peuple. Voilà ce que nous prêche l’Apôtre: « Le passé n’est plus, tout est devenu nouveau: or, tout vient de Dieu qui nous a réconciliés avec lui par le Christ, et nous a confié le ministère de la réconciliation ». Voilà comment les montagnes reçoivent la paix pour son peuple. « Car Dieu était dans le Christ se réconciliant le monde, n’imputant plus aux hommes leurs péchés,

 

1. I Cor. XI, 1.— 2. Gal, I, 8.— 3. I Cor. I,13.— 4. Id., 1.  — 5. Ps. CXX, l, 2.

 

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et mettant en nous la parole de réconciliation ». En qui la met-il, sinon dans ces montagnes qui reçoivent la paix pour son peuple? Voilà que les messagers de la paix s’écrient ensuite: « Nous remplissons donc la fonction d’ambassadeurs du Christ, c’est Dieu même qui vous exhorte par notre bouche; nous vous conjurons, au nom du Christ, de vous réconcilier avec Dieu 1 ». Telle est la paix que les montagnes reçoivent pour son peuple, c’est-à-dire la prédication et le message de la paix: aux collines la justice, ou l’obéissance qui est, pour l’homme ainsi que pour toute créature douée de raison, l’origine et le perfectionnement de la justice. Entre ces deux hommes, Adam qui fut pour nous la source de la mort, et le Christ ou l’auteur de notre salut, la grande différence consiste « dans cette désobéissance d’un seul homme «qui en a rendu tant d’autres pécheurs, comme l’obéissance d’un seul homme en établira un grand nombre dans la justice 2. Que les montagnes reçoivent donc la paix pour le peuple, et les collines la justice »: afin que l’accord des uns et des autres justifie cette parole: « Voilà que la justice et la paix se sont embrassées 3 ». Il est vrai que l’on trouve dans certains exemplaires : « Que les montagnes et les collines reçoivent la paix»: je crois qu’il faut l’entendre des prédicateurs de l’Evangile, soit des premiers, soit des seconds. Alors dans ces manuscrits on lit ainsi le verset suivant : « C’est dans la justice qu’il jugera les pauvres du peuple ». Toutefois on préfère les exemplaires qui portent, comme nous venons de l’expliquer : « Que les montagnes reçoivent la paix pour le peuple, et les collines la justice ». D’autres encore lisent: « Pour votre peuple » ; d’autres n’ont point « votre », mais seulement « le peuple».

7. « Il jugera les pauvres du peuple, et sauvera les fils des pauvres 4 ». Les pauvres et les fils des pauvres me paraissent identiques, de même que la cité de Sion n’est autre que la fille de Sion. Mais si l’on veut une distinction: par « les pauvres », nous entendrons « les montagnes » ; et par « les fils des pauvres, les collines » : alors les pauvres seraient les Prophètes et les Apôtres, et leurs fils, ou « les fils des pauvres», seraient ceux qui sous leur autorité s’avancent dans la

 

1. II Cor. V, 17-20. — 2. Rom. V, 19. — 3. Ps. LXXXIV, 11. — 4. Id. LXXI, 4.

 

vertu. Le Prophète dit d’abord que Dieu « les «jugera », ensuite qu’il « les sauvera », pour nous donner un aperçu du jugement qu’il doit exercer; car il ne doit les juger que pour les sauver, ou les séparer de ceux qui seront damnés et réprouvés, et leur donner ainsi le salut qu’il est prêt de révéler dans ces derniers temps 1. Ceux-là lui disent en effet: « Ne perdez point mon âme avec les impies 2 »et encore : « Jugez-moi, ô Dieu, et séparez ma cause de celle d’une nation qui n’est point sainte 3 ». Remarquons aussi que le Prophète ne dit point : Il jugera le pauvre peuple; mais bien: « Les pauvres du peuple». Quand il dit plus haut: « Afin de juger le peuple dans la justice et vos pauvres dans l’équité», il identifie le peuple de Dieu avec ses pauvres, ou simplement ceux qui sont bons et qui doivent être placés à sa droite. Mais comme, en cette vie, ceux de la droite et ceux de la gauche paissent ensemble, ainsi que des boucs et des agneaux que l’on doit séparer à la fin des jours 4, le Prophète appelle ce mélange peuple de Dieu. Et comme le Prophète donne ici un sens favorable au jugement, et l’entend de ceux qu’il doit sauver; « il jugera les pauvres du peuple», signifie dans son langage, qu’il discernera pour les sauver ceux de sou peuple qui sont pauvres, Après avoir dit quels sont ceux qui sont pauvres 5, comprenons encore qu’ils sont indigents. « Il humiliera le calomniateur». Nous ne connaissons pas de plus grand calomniateur que le diable. Voici une de ses calomnies: « Est-ce gratuitement que Job honore le Seigneur 6? » C’est lui que le Seigneur Jésus humilie, en donnant sa grâce aux siens, afin qu’ils servent Dieu gratuitement, c’est-à-dire qu’ils trouvent leurs délices dans le Seigneur 7.  Il l’a humilié encore, quand le diable, ou le prince de ce monde, ne trouvant rien en lui 8, le mit à mort sous les calomnies de ces Juifs qui étaient pour le calomniateur des instruments dociles, agissant par ces enfants de rébellions 9. Ce fut une humiliation pour lui de voir celui qu’ils avaient mis à mort, ressuscitant et détruisant cet empire de la mort, dans lequel il exerçait une telle puissance, que par un seul homme qu’il avait séduit, il entraînait le genre humain dans

 

1. I Pierre, I, 5. — 2. Ps. XXV, 9.— 3. Id. XIII, 1.— 4. Matth. XXV, 32. — 5. Plus haut, n. 3. — 6. Job, I, 9. — 7. Ps. XXXVI, 4. — 8. Jean, XIV, 30. — 9. Ephés. II, 2.

 

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une éternelle damnation. Il fuit surtout humilié, parce que si le péché d’un seul homme a fait ainsi régner la mort, à plus forte raison ceux qui reçoivent l’abondance de la justice et de la grâce, régneront dans la vie par un seul qui est Jésus-Christ 1, qui a confondu le calomniateur, ainsi que les accusations mensongères, les juges d’iniquité, les faux témoins, que ce calomniateur suscitait pour le perdre.

8. « Il demeurera autant que le soleil, ou avec le soleil 2 ». Quelques-uns de nos interprètes ont cru qu’il était mieux de traduire ainsi, parce qu’il y a dans le grec sumparamenei, qu’on ne peut traduire en latin en un seul mot, que par compermanebit, il condemeurera: et comme on ne pouvait rendre cette pensée en une seule expression latine, on a dit : « Il demeurera avec le soleil ». Condemeurer au soleil n’aurait en effet d’autre sens que « demeurer avec le soleil ». Mais qu’y a-t-il de si grand à demeurer avec le soleil pour celui par qui tout a été fait, et sans qui rien n’a été fait 3, sinon la condamnation de ceux qui s’imaginent que la religion du Christ ne doit subsister que pour un temps, pour disparaître ensuite? « Il subsistera donc avec le soleil », tant que le soleil se lèvera et se couchera; c’est-à-dire que l’Eglise de Dieu ou le corps mystique du Christ subsistera sur la terre tant que s’écouleront les siècles. Quand le Prophète ajoute « Et avant la lune, de génération en génération », il aurait pu dire aussi bien : Et avant le soleil, c’est-à-dire et avec le soleil et avant le soleil; ce qui signifierait: et avec les temps et avant les temps. Or, ce qui précède le temps est éternel: et l’on doit regarder comme vraiment éternel, ce qui ne varie point avec le temps, comme le Verbe qui était au commencement. Mais le Prophète a préféré symboliser dans la lune ces accroissements et ces dépérissements des choses mortelles. Aussi après avoir dit : « Avant la lune », le Prophète voulant en quelque sorte nous expliquer le sens qu’il y attache, ajoute: « Dans les générations des générations » ; comme s’il disait : « Avant la lune », c’est-à-dire, avant « les générations des générations », qui passent avec la mort et la succession des choses mortelles, comme les phases d’accroissement et de disparition de la lune. Dès lors, dans quel sens

 

1. Rom. V, 17. — 2. Ps. LXXI, 5. — 3. Jean, I, 3.

 

plus plausible peut-on dire que le Christ subsistera, « avant la lune », sinon que par son immortalité il a devancé tout ce qui est mortel? On pourrait encore entendre très-bien qu’après avoir humilié le calomniateur, le Christ est assis à la droite de son Père, et qu’il demeure ainsi « avec le soleil ». Car on entend par le Fils la splendeur de la gloire éternelle 1 : le soleil serait alors le Père, et le Fils en serait l’éclat. Toutefois cela doit s’entendre de la substance invisible du Créateur, et non de cette substance visible des créatures, qui est celle des corps célestes, dont le plus éclatant est le soleil, objet de notre comparaison, comme on en tire des objets terrestres, tels que la pierre, le lion, l’agneau, l’homme qui a deux fils, et le reste. Donc après avoir humilié le calomniateur, il demeure « avec le soleil » : car après avoir vaincu le diable par sa résurrection, il est assis à la droite du Père 2, où il ne mourra plus, et où la mort n’a plus d’empire sur lui 3. Et cela « devant la lune », comme le premier-né d’entre les morts précédant son Eglise qui passe avec les hommes, par les phases de la mort et de la succession. Voilà « les générations des générations». A moins d’entendre par génération notre naissance temporelle, et par « générations des générations », notre naissance dans l’éternité. Voilà l’Eglise que précède le Christ, afin de demeurer « avant la lune », lui, le premier-né d’entre les morts. Mais comme il y a dans le grec geneas geneon, plusieurs ont traduit non plus « générations », au pluriel, mais « la génération des générations ». Car geneas répond à deux cas du grec, et pour traduire par l’accusatif pluriel,  tas geneas, ou les générations, plutôt que par le génitif singulier, tes geneas, il n’y a pas de raison évidente, sinon que l’on a préféré traduire à l’accusatif « les générations des générations », comme une explication de ce qu’il entendait par « la lune », qui est aussi à l’accusatif.

9. « Il descendra comme la pluie dans la toison, et comme la rosée qui dégoutte sur la terre4 ». C’est là une allusion qui nous rappelle que c’est dans le Christ que doit s’accomplir cette figure qui eut lieu sous Gédéon. Ce juge demanda pour signe au Seigneur que la toison placée dans l’aire, fût trempée de rosée, quand l’aire demeurerait

 

1. Hébr. I, 3.— 2. Marc, XVI, 19.— 3. Rom. VI, 9. — 4. Ps. LXXI, 6.

 

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sèche 1; et ensuite que la toison demeurât sèche, tandis que l’aire serait mouillée; ce qui arriva en effet. Nous voyons en cela le peuple d’Israël, ou le premier peuple qui est une toison desséchée dans l’aire immense de l’univers entier. Ce même Christ est descendu comme la rosée dans la toison, tandis que l’aire était encore desséchée : aussi a-t-il dit: « Je ne suis envoyé que vers les brebis perdues de la maison d’Israël 2 ». C’est là qu’il a choisi et la mère qui devait lui donner cette forme de l’esclave dans laquelle il devait se rendre visible pour les hommes, et ces disciples auxquels il a donné ce précepte : « N’allez point par la voie des gentils, n’entrez point dans les villes des Samaritains allez d’abord vers les brebis de la maison d’Israël qui ont péri 3». Mais leur dire : «allez tout d’abord à ces brebis», c’est leur dire qu’au temps marqué pour tremper l’aire e la divine rosée, ils devront aller aussi vers ces autres brebis qui ne sont point de l’antique bercail d’Israël, et dont il a dit : « J’ai d’autres brebis qui ne sont point de ce bercail, il faut que je les amène, afin qu’il n’y ait qu’un troupeau et qu’un pasteur 4 ». De là cette parole de l’Apôtre : « Je dis que le Christ a été le ministre pour le peuple circoncis, afin de vérifier la parole de Dieu,  et de confirmer les promesses faites à nos « Pères» .C’est ainsi que la pluie est descendue sur la toison, pendant que l’aire demeurait sèche. Mais l’Apôtre continue « Les gentils doivent louer Dieu de sa miséricorde 5 » puisque au temps marqué s’accomplit cette promesse du Prophète: « Le peuple que je n’ai point connu, m’a servi, il m’a obéi en entendant ma voix 6» : or, nous voyons aujourd’hui le peuple juif qui demeure dans l’aridité, tandis que dans l’univers entier les nuées de la grâce arrosent pleinement tous les peuples. Notre psaume a pris un autre terme pour désigner la même pluie; il la nomme : « des gouttes de rosée qui tombent », non plus sur la toison, mais « sur la terre ». Qu’est-ce en effet que la pluie, sinon des gouttes qui tombent? Aussi, Dieu a-t-il, selon moi, désigné ce peuple sous le nom d’une toison, ou bien parce qu’il devait être dépouillé du droit d’enseigner comme on dépouille une brebis de sa toison; ou bien

 

1. Juges, VI, 36 et seq. — 2. Matth. XV, 21. — 3. Id. X, 5, 6 — 4. Jean, X, 16. — 5. Rom. XV, 8, 9. — 6. Ps. XVII, 45.

 

parce qu’il renfermait cette pluie divine en lui-même sans permettre de l’annoncer aux peuples incirconcis.

10. « La justice s’élèvera en ses jours, ainsi que l’abondance de la paix, jusqu’à ce que la lune disparaisse 1». Cette expression « disparaisse » est rendue chez d’autres interprètes par « soit enlevée », et chez d’autres encore par « soit élevée»:chacun a traduit à sa guise le verbe grec anatanairethe. Mais il y a peu de différence entre « disparaisse » et « soit enlevée». « Disparaître e a plus ordinairement le sens d’être enlevé, de n’être plus, que celui d’être élevé plus haut. « Etre enlevé », ne peut guère s’entendre que datas le sens d’être perdu, de n’exister plus; « être élevé », n’a d’autre sens que d’être plus haut : ce qui se prend quelquefois en mauvaise part , et désigne l’orgueil; ainsi: « Ne t’élève point dans ta sagesse 2». Damas un sens favorable, il signifie un plus grand honneur, ainsi quand on élève un objet: par exemple: « Pendant la nuit élevez vos mains vers le sanctuaire, et bénissez le Seigneur 3 ». Si donc nous traduisons par « disparaisse», qu’en résultera-t-il, sinon que, pour la lune, « disparaître » aura le sens de n’être plus? Peut-être le Prophète a-t-il voulu nous dire qu’il n’y aura plus de mortalité, quand « la mort notre dernière ennemie sera détruite 4 » ; en sorte que l’abondance de la paix sera telle que rien ne s’opposera à la félicité des bienheureux, de la part des infirmités de la mort: ce qui arrivera dans ce séjour dont Dieu nous a donné l’infaillible promesse, par Jésus-Christ Notre-Seigneur, et dont il est dit: « En ses jours s’élèvera la justice ainsi que l’abondance de la paix »: jusqu’à ce que la mort soit vaincue, et que toute mortalité soit détruite et absorbée, Mais si la lune désigne ici, non plus cette mortalité de la chair que subit ici-bas l’Eglise, mais bien l’Eglise elle-même qui doit être délivrée de cette mortalité pour demeurer éternellement, il faut traduire ainsi: « En ses jours s’élèvera la justice et l’abondance de la paix, jusqu’à ce que la lune soit élevée » ; comme si l’on disait: En ses jours s’élèvera la justice qui dompte les contradictions et les rébellions de la chair, et une paix surgira pour aller croissant et se multipliant, jusqu’à ce que la lune s’élève, ou plutôt jusqu’à la glorification de

 

1. Ps. LXXI, 7. — 2. Eccli. XXXII, 6. — 3. Ps. CXXXIII, 2. — 4. I Cor. XV, 26,

 

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l’Eglise qui doit régner par la gloire de la résurrection, avec ce premier-né d’entre les morts, qui l’a précédée dans cette gloire, et qui est assis à la droite de soma Père 1 : c’est là demeurer « avec le soleil et avant la lune », que ce même soleil doit ensuite élever en gloire.

11. « Il dominera depuis la mer jusqu’à la mer, et depuis le fleuve jusqu’aux extrémités de la terre 2 ». Ainsi doit régner celui dont il est dit: « En ses jours s’élèvera la justice et l’abondance de la paix, jusqu’à ce que la lune soit exaltée ». Si par lune on entend ici l’Eglise, on voit combien il doit étendre au loin cette Eglise, puisqu’il ajoute: « Il dominera depuis la mer jusqu’à la mer ». Car la terre est environnée de cette grande mer, qu’on appelle Océan, dont nous avons dans nos terres quelques portions étroites que forment ces mers si connues sillonnées par nos vaisseaux. « Depuis la mer jusqu’à la mer », ou depuis une extrémité de la terre jusqu’à l’autre, voilà ce que le Prophète assigne à la domination du Christ, dont le nom et la puissance devaient être prêchés dans l’univers entier pour le dominer. Et pour que nous ne donnions pas un autre sens à ces paroles: « Depuis la mer jusqu’à la mer », le Prophète ajoute: « Depuis le fleuve jusqu’aux extrémités de la terre ». Or, « jusqu’aux extrémités de la terre », était exprimé dans ces paroles; « Depuis la mer jusqu’à la mer ». Mais quand le Prophète nous parle « du fleuve », il veut dire que le Christ a commencé à signaler sa puissance sur le fleuve du Jourdain, où il choisit ses disciples, où il fut baptisé et ou l’Esprit-Saint descendit sur lui alors que cette voix se fit entendre du ciel : « Celui-ci est mon fils bien-aimé 3». Tel est donc le point de départ de sa doctrine: c’est de là que l’autorité de cet enseignement céleste s’est i’épandue jusqu’aux confins de la terre, que 1’Evangile du royaume des cieux a été prêché dans l’univers entier, pour servir de témoignage à toutes les nations : puis arrivera la fin de toutes choses.

12. « Devant lui les habitants de l’Ethiopie se prosterneront, et ses ennemis baiseront  la poussière 4 ». Les Ethiopiens désignent ici les nations, c’est la partie pour le tout, et le

Prophète choisit ici la nation la plus reculée

 

1. Marc , XVI , 19. — 2. Ps. LXXI, 8. — 3. Matth. III, 17. — 4. Ps. LXXI, 9.

 

sur les confins de la terre. « Ils se prosterneront en sa présence », est-il dit, pour, ils l’adoreront. Or, comme il doit naître en diverses contrées de la terre des schismes qui porteront envie à l’Eglise catholique répandue dans le monde entier; comme ces schismes se diviseront ét porteront chacun le nom de son auteur; comme ils s’attacheront aux hommes qui les ont provoqués, jusqu’à combattre même cette gloire du Christ resplendissante chez tous les peuples, voilà que le Prophète à ces paroles: « Les Ethiopiens se prosterneront devant lui », ajoute: « Et ses ennemis baiseront la poussière » : c’est-à-dire, aimeront les hommes et porteront envie à cette gloire du Christ, qui a fait dire : « Elevez-vous, Seigneur, au-dessus des cieux, et que votre gloire apparaisse à la terre 1 ». L’homme a mérité, par son péché, d’entendre : « Tu es terre, et tu retourneras dans la terre 2». Or, baiser cette terre, c’est-à-dire, se soumettre avec joie à l’autorité de ces hommes frivoles, les aimer, y trouver ses délices, c’est contredire les saintes Ecritures, qui préconisent l’Eglise catholique, dont le règne s’étendra, non plus sur quelque partie de la terre, comme il en est des schismes, mais qui envahira successivement l’univers entier et jusqu’aux Ethiopiens, c’est-à-dire aux plus éloignés, comme aux Plias dépravés des hommes.

13. « Les rois de Tharsis et des îles lui apporteront des présents; les rois des Arabes et de Saba lui amèneront des offrandes. Tous les rois de là terre l’adoreront, toutes les nations lui seront assujetties 3 ». Il n’est pas besoin d’expliquer ce passage, mais d’en contempler la vérité. Elle éclate aux yeux, non. seulement des fidèles qui en tressaillent, mais des infidèles qui en gémissent. A moins peut-être que nous ne demandions le sens de « ces offrandes qu’on doit amener ». Car on amène ce qui peut marcher. Or, serait-il ici question de victimes à immoler? Loin de nous de croire à une telle justice en ses jours. Mais les offrandes préconisées par ce verset, nous semblent désigner les hommes que l’autorité des rois amène au sein de l’Eglise du Christ, bien que ces rois aient aussi amené à Dieu des présents par leurs persécutions, en immolant des martyrs, sans savoir ce qu’ils faisaient.

14. Le Prophète expliquant pourquoi les

 

1. Ps. CVII, 6.— 2. Gen. III, 19.— 3. Ps. LXXI, 10, 11.

 

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princes doivent rendre au Christ un si grand honneur, et toutes les nations le servir, ajoute: « Parce qu’il arrachera le pauvre des mains du puissant, ce pauvre qui n’a personne pour soutien 1 ». Ce pauvre, cet indigent, c’est le peuple qui croit en lui. Et dans ce peuple il est aussi des rois qui l’adorent, qui ne dédaignent pas de paraître pauvres et indigents, c’est-à-dire qui confessent leurs péchés, qui sentent le besoin de la gloire de Dieu, afin que ce roi fils du roi les délivre du puissant. Or, ce puissant est le même que le Prophète vient d’appeler calomniateur, et qui tient, non de sa propre force, mais des péchés des hommes, le pouvoir de les soumettre à sa tyrannie. C’est pourquoi il est appelé le fort, et ici le puissant. Mais celui qui a humilié le calomniateur, et qui est entré dans la maison du fort, afin de le garrotter et de lui enlever ses dépouilles 2, a « délivré aussi le faible des mains du puissant, et le pauvre qui était sans appui ». Nulle autre force, nul autre juste, pas même un ange n’eût pu le faire. Comme ces pauvres n’avaient aucun appui, le Christ est venu les sauver.

15. Mais on peut objecter : Si l’homme était au pouvoir du démon à cause de ses péchés, ces mêmes péchés plaisaient-ils donc au Christ pour qu’il délivrât le pauvre des mains du puissant? Loin de là; lui-même doit « pardonner au pauvre et à l’indigent 3 », c’est-à-dire remettre les fautes à l’homme humble, qui n’a pas confiance dans ses propres mérites, qui n’espère point son salut de sa propre force, mais qui sent le besoin de la grâce du Sauveur. « Et il sauvera les âmes des pauvres ». Le Prophète nous signale ainsi le double effet de la grâce; et dans la rémission des péchés, quand il dit: « Il pardonnera au pauvre et à l’indigent » ; et dans la part qui nous est donnée à la justice, quand il ajoute: « Il sauvera les âmes des pauvres ». Nul en effet ne peut sans la grâce de Dieu se procurer le salut, qui est la justice parfaite. Car l’accomplissement de la loi, c’est la charité, et la charité n’existe point en nous par notre propre . force, mais elle est répandue dans nos coeurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné 4.

16. « Il délivrera leurs âmes de l’usure et de l’iniquité 5». Quelles sont ces usures,

 

1. Ps. LXXI, 12 — 2. Matth. III, 29. — 3. Ps. LXXI, 13. — 4. Rom. V, 5. — 5. Ps. LXXI, 14.

 

sinon les péchés, que l’on nomme encore des dettes 1? On leur donne, je crois, le nom d’usures, parce qu’un pécheur souffre dans les châtiments un mal plus grand que celui qu’il a commis en péchant. Un meurtrier, par exempte, tue le corps d’un homme, et ne peut rien sur son âme: mais pour lui, il se condamne corps et âme à l’enfer. De là vient qu’à propos de ces contempteurs de la loi en cette vie, de ces railleurs du supplice à venir, il est dit : « Je viendrai pour exiger le salaire avec usure 2 ». Or, les âmes des pauvres sont délivrées de ces usures, par le sang qui a été répandu pour la rémission des péchés. Racheter de l’usure, c’est donc racheter du péché qui mérite un plus grand châtiment; or, le Christ nous rachète de l’iniquité en nous donnant le secours de sa grâce pour pratiquer la justice. Il y a dès lors ici une répétition de ce qui a été dit plus haut: puisque « pardonner au pauvre et à l’indigent 3», c’est le «délivrer de l’usure », et « sauver les âmes des pauvres», c’est les sauver « de l’iniquité »; le mot « racheter » serait sous entendu dans l’un et dans l’autre cas. Et en effet, pardonner, c’est racheter de l’usure; sauver, c’est racheter de l’iniquité. Ainsi « pardonner au pauvre et à l’indigent, et sauver les âmes des pauvres, c’est racheter leurs âmes de l’usure et de l’iniquité.— Son nom sera pour eux un nom de gloire ». Car ils relèvent par des louanges le nom d’un si grand bienfaiteur, ceux qui répondent qu’il est digne et juste de rendre grâces au Seigneur leur Dieu. On trouve en d’autres exemplaires : « Et ton nom est glorieux à ses propres yeux». Car si le monde ne voit dans les chrétiens que des hommes à mépriser, leur nom est grand devant celui qui le leur a donné, et qui ne se souvient plus, pour le leur reprocher 3, du nom qu’ils portaient auparavant, lorsqu’ils étaient engagés dans les superstitions des Gentils, ou de ces noms qui désignaient leurs crimes avant qu’ils fussent chrétiens : voilà le nom qui est honorable à ses yeux, bien qu’il paraisse méprisable à nos ennemis.

17.  « Et il vivra, et on lui donnera de l’or de l’Arabie 4 ». « Vivre »; de qui ne peut-on point parler ainsi, quelque peu de temps qu’il doive passer sur la terre? Le Prophète veut donc nous signaler cette vie du « Christ

 

1. Matth. VI, 12.— 2. Id. XXV, 27.— 3. Ps. XV, 4.— 4. Id. LXXI, 15.

 

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qui déjà ne meurt plus, et sur qui la mort a perdu son empire 1 ». « Il vivra donc » celui dont on a méprisé la mort: puisque selon le mot d’un autre Prophète: « Sa vie e fut retranchée de dessus la terre 2». Mais qu’est-ce à dire qu’on « lui donnera de l’or de l’Arabie? » De là, en effet, Salomon tira de l’or, et cela devient pour le Psalmiste une figure du véritable Salomon, ou du véritable pacifique. L’ancien Salomon, en effet, ne domina point «depuis le fleuve jusqu’aux extrémités du monde ». Cette prophétie nous marque alors que les sages du monde eux-mêmes croiront au Christ. Par l’Arabie nous entendons les Gentils; par l’or, cette sagesse qui est au-dessus des autres sciences, comme l’or au-dessus des métaux. De là cette parole:

« Recevez la prudence comme l’argent, et l’or comme un or éprouvé 3. Il sera l’objet éternel de leurs vœux ». Comme il y a dans le grec, peri autou , plusieurs ont traduit qu’on fera des voeux « à son sujet» ; d’autres, « pour lui-même », ou « pour lui ». Or, qu’est-ce que faire des voeux « à son sujet », sinon peut-être dire: « Que votre règne arrive 4 ? »Or, l’avènement du Christ sera pour les fidèles l’entrée du royaume de Dieu. Mais il est assez difficile de comprendre « pour lui», sinon que prier pour l’Eglise, c’est aussi prier pour lui, puisqu’elle est son corps mystique, C’est en effet le Christ et l’Eglise que figure ce grand sacrement: « Ils seront deux dans une même chair 5 ». Quant au reste du sujet: « Tout le jour ils le béniront », il est assez évident que c’est pendant les siècles.

18. « Il sera sur la terre le ferme appui des hautes montagnes 6. Car toutes les promesses de Dieu ont en lui leur affirmation 7» ; c’est-à-dire, se confirment en lui. Car c’est en lui que s’accomplit tout ce qu’ont annoncé les Prophètes au sujet de notre salut. Il convient, en effet, d’entendre par ces montagnes les auteurs dont Dieu s’est servi pour nous donner les livres saints; Jésus-Christ devient pour eux un ferme appui, parce que c’est à lui que se rapporte tout ce que Dieu a fait écrire. Il a voulu que cela fût écrit sur la terre, parce que c’est pour ceux qui vivent sur la terre qu’il l’a fait écrire; et que lui-même n’est venu sur la terre qu’afin de le

 

1. Rom. VI, 9. — 2. Isa. LIII, 8 ; Act, VIII, 33. — 3. Prov. VIII, 10, 11. — 4. Matth. VI, 10. — 5. Ephés. V, 31, 32. — 6. Ps. LXII, 16. — 7. II Cor. I, 20

 

confirmer, ou d’en montrer en lui l’accomplissement. « Il fallait», dit-il, « que s’accomplit tout ce qui a été écrit à mon sujet dans la loi, dans [es Prophètes et dans les psaumes » : c’est-à-dire « sur les hautes montagnes ». Voilà que « dans les derniers jours, la montagne du Seigneur se manifestera et s’élèvera sur le sommet des montagnes 2 ». Ce que le psaume exprime ainsi : « Sur les hautes montagnes. Et son fruit dominera les sommets du Liban ». Le Liban a d’ordinaire pour nous le sens des dignités du siècle, car c’est une montagne dont les arbres sont très-élevés, et dont le nom signifie blancheur. Or, quelle merveille que le fruit du Christ s’élève au-dessus de tous les prestiges du siècle, puisque tous ceux qui aiment ce fruit ont dédaigné ce qu’il y a d’éclatant et d’élevé dans le monde? Si nous entendons le Liban dans un sens favorable, à cause «des cèdres du Liban que Dieu a plantés 3 », que devons-nous entendre par ce fruit qui s’élève au-dessus du Liban, sinon celui que nous marque saint Paul, quand il va parler de la charité : « Je vous montrerai une voie plus élevée encore 4? » C’est là ce qu’il met au premier rang dans les dons de Dieu, quand il dit : « Or, le fruit de l’Esprit-Saint est la charité 5 », et le reste, qu’il énumère ensuite. « Et ils fleuriront dans la cité comme  les plantes de la terre ». Le mot de cité n’est point ici déterminé, et il n’est point dit: sa ville, ou la ville de Dieu, mais seulement: dans la cité; nous le prendrons en bonne part, et ce sera dans la cité de Dieu, ou dans l’Eglise , qu’ils fleuriront comme l’herbe; mais une herbe qui porte du fruit, comme le froment; car lui-même a le nom de plante dans les saintes Ecritures; ainsi dans la Genèse Dieu ordonne à la terre de produire toute espèce d’arbres, toute espèce de plantes 6, et il n’est point dit toute espèce de froment, ce qui n’eût pas été omis certainement, s’il n’eût pas été compris sous le nom générique des plantes; on en trouve encore beaucoup d’exemples dans les Ecritures. Mais si nous devons donner à ces paroles : « Ils fleuriront comme les plantes de la terre », le sens de: « Toute chair est une herbe, et tout éclat pour  l’homme n’est qu’une fleur des plantes 7», alors la cité nous désignera la société du

 

1. Luc. XXIV, 44.— 2. Isa. II, 2.— 3. Ps. CIII, 16.— 4. I Cor. XII, 31. — 5. Gal. V, 22. — 6. Gen. II, 11. — 7. Isa. XL, 6.

 

monde, et ce n’est pas sans raison que Caïn en fut le premier fondateur 1. Or, quand ce fruit du Christ est élevé au-dessus du Liban, c’est-à-dire au-dessus des arbres à longue vie et des bois incorruptibles, comme ce fruit est éternel, l’homme dans tout son éclat et dans toute sa grandeur ici-bas, n’est plus comparé qu’à une herbe, car tous ceux qui croient eu Jésus-Christ, qui espèrent la vie éternelle, n’ont que du mépris pour une félicité passagère, et ainsi s’accomplit ce qu’a dit le Prophète : « Toute chair est une herbe, et toute beauté de la chair n’est qu’une fleur de l’herbe; l’herbe se dessèche, la fleur tombe, mais la parole de Dieu demeure éternellement ». C’est en cela que le fruit du Christ domine les cèdres du Liban. Jamais la chair n’a été qu’une herbe, et la beauté de la chair que la fleur d’une herbe; mais comme l’on n’enseignait pas la félicité qu’il fallait choisir et préférer, la fleur de l’herbe était en honneur, et non-seulement on ne la dédaignait point, mais on la recherchait avec empressement. Or, comme si toutes ces fleurs mondaines commençaient à devenir viles dès qu’on s’en détourne et qu’on les dédaigne : «Voilà », dit le Prophète, «que son fruit sera élevé au-dessus du Liban, et qu’ils fleuriront dans la cité comme les fleurs de la terre 2 » ; c’est-à-dire que l’on estimera pardessus tout les promesses éternelles, et que l’on regardera comme l’herbe des champs ce qui occupe l’attention du monde.

19. « Que son nom soit béni à jamais : son nom durera plus que le soleil 3 ». Le soleil

ici marque les temps. Donc le nom du Christ durera éternellement. Car l’éternité a devancé

les temps, et ne finira point avec les temps. « C’est en lui que seront bénies les tribus de la terre »; puisque c’est en lui que s’accomplit la promesse faite à Abraham. « Il n’est point dit, en effet: En ceux qui naîtront, comme s’ils devaient être plusieurs; mais bien comme en parlant d’un seul : En celui qui naîtra, et qui est le Christ 4 ». Il fut dit

 

1. Gen. IV, 17.— 2. Ps. XI, 6-8.—  3. Ps. LXXI, 17.— 4. Gal. III, 16.

 

à Abraham, en effet : « En celui qui naîtra de toi seront bénies toutes les tribus de la terre 1. Or, ce ne sont pas les enfants selon la chair, mais les enfants de la promesse, qui font partie de sa race 2. Toutes les nations le béniront». C’est là une répétition qui explique ce qui précède. Ces peuples qui seront bénis en Jésus-Christ le grandiront, non point en ajoutant à sa  grandeur, puisque par lui-même il est grand, mais en le bénissant, en chantant sa grandeur. C’est ainsi que nous grandissons Dieu ; ainsi disons-nous encore : « Que votre nom soit sanctifié 3 », bien qu’il soit saint éternellement.

20. « Béni soit le Seigneur, Dieu d’Israël, qui seul opère les merveilles 4». A la vue de ces merveilles qu’il vient d’énumérer, le Prophète échappe un hymne, et bénit le Seigneur, le Dieu d’Israël. Alors s’accomplit ce qui est dit à cette veuve stérile : « Celui qui t’a délivrée, ce Seigneur d’Israël, sera appelé le Dieu de toute la terre 5 ». C’est lui qui « seul fait des merveilles », parce que c’est lui qui en opère dans tous ceux qui en font : « Lui qui seul opère des miracles ».

21. « Et que le nom de sa gloire soit béni dans l’éternité et dans les siècles des siècles 6 » Comment traduire en latin, si nous ne pouvons dire : Dans l’éternité, et dans l’éternité de l’éternité ? Comme si « l’éternité » avait un autre sens que « le siècle », ce qui n’est pas. Mais le grec porte : eis ton aiona, kai eis ton aiona tou aionos , que l’on traduirait plus facilement par : Dans les siècles, et dans les siècles des siècles; alors «les siècles» s’entendraient de la durée du temps , et « les siècles des siècles » marqueraient ce qui est de l’avenir. « Et toute la terre sera remplie de sa gloire. Ainsi soit-il. Ainsi soit-il». Vous l’avez ordonné, Seigneur, et cela s’accomplit : cela s’accomplit jusqu’à ce qu’enfin la parole partie « du fleuve » ,  parviendra « jusqu’aux dernières extrémités de la terres ».

 

1. Gen. XXII, 18. — 2. Rom. IX, 8.— 3. Matth. VI, 9. — 4. Ps. LXXI, 18. — 5. Isa. LIV, 5 —  6. Ps. LXXI, 19.

 

 

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