PSAUME LXXVIII
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DISCOURS SUR LE PSAUME LXXVIII.

LES PERSÉCUTIONS DE JÉRUSALEM.

 

Sous la forme du passé, le Prophète ne plaint à Dieu de ce que le Seigneur lui découvre pour l’avenir, et an nom de ceux qui vivront alors, s’il est question de la ruine de Jérusalem sous Titus, car alors l’héritage du Seigneur serait un peuple qui aurait rejeté le Christ, quoique les premiers fidèles en soient issus, ainsi que les premières Eglises qui appartiennent à cet héritage par leur foi, mais non le reste du peuple. La Jérusalem du Prophète serait l‘Eglise formée de la gentilité et de la circoncision; le temple détruit se dirait des fidèles égorgés, pierres vivantes de l’Eglise : Jérusalem est une hutte abandonnée, puisque les martyrs ou les fruits que l’on y gardait sont retournés au ciel. Le sang coula dans le monde entier, et la terreur empêchait que l’on donnât la sépulture. Le Prophète appelle colère la vengeance que Dieu tire de l’injustice, et son zèle le soin de notre âme; mais Dieu est toujours calme. Cette colère se répandra sur les ennemis de Dieu La maison de Jacob, c’est l’Eglise dont plusieurs membres effrayés retourneront au paganisme. Mais comme les persécuteurs n’ont de pouvoir que selon la permission de Dieu, le Prophète implore son secours et sa délivrance, afin que les nations voient la puissance du Seigneur et se convertissent. S’il appelle la vengeance divine, c’est par amour de cette justice, ou qui corrige l’impie, ou qui détourne de l’impiété, ou qui du moins fait éclater l’équité du juge ; il ne déteste que le vice. Les chaînes dans lesquelles il veut que Dieu l’entende, sont les infirmités qui font gémir les bons, on les liens de la sagesse. Le sang des martyrs a fait vivre l’Eglise an lieu de la détruire ; elle voit la réprobation des persécuteurs, et chante les louanges de Dieu, jusqu’à la fin des siècles.

 

1. Le titre de ce psaume est si court et si simple, qu’il n’est pas, je crois, besoin de nous y arrêter. Quant aux promesses et aux prophéties qu’il renferme, nous en avons sous les yeux l’accomplissement. Lorsque au temps de David on chantait ces prophéties, aucun malheur semblable n’était arrivé à la ville de Jérusalem, ni au temple de Dieu qui n’était point encore bâti. Qui ne sait que ce fut après la mort de David que Salomon son fils éleva ce temple au Seigneur? Le Prophète rapporte donc comme au passé ce que l’Esprit du Seigneur lui montre dans l’avenir. « Dieu, les Gentils sont entrés dans votre héritage 1 ». Cette même manière de parler a fait dire à propos de la passion du Sauveur : « Ils m’ont donné du fiel pour nourriture, et dans ma soif m’ont abreuvé de vinaigre 2 » ; et d’autres particularités qui sont révélées, comme si elles étaient accomplies déjà. Ne nous étonnons pas que l’on parle ainsi au Seigneur. On ne cherche point à les liai apprendre comme s’il les ignorait, puisque c’est lui qui les révèle: mais alors c’est l’âme qui s’entretient avec Dieu, avec cette affectueuse piété qu’agrée le Seigneur. Quand les Anges fout aux hommes des révélations, ils les font à des ignorants: mais ce qu’ils redisent à Dieu, il le sait; c’est ainsi qu’ils lui présentent nos prières, et que dans un langage ineffable ils demandent ce

 

1. Ps. LXXVIII, 1. — 2. Id. LXVIII, 22.

 

qu’ils ont à faire à l’éternelle vérité, comme à la loi immuable. Ici donc l’homme de Dieu se plaint à Dieu de ce que le Seigneur lui apprend, comme le disciple parle au maître qui sait et qui juge, qui approuve ce qu’il a enseigné, qui reprend ce qu’il n’a point enseigné, d’autant plus que le Prophète personnifie en lui-même ceux qui vivront quand arriveront ces malheurs. D’ordinaire, en effet, on représente à Dieu dans la prière les vengeances qu’il a exercées, on le conjure ensuite de prendre en pitié et de pardonner. De même le Prophète parle ici des malheurs qu’il prédit comme en parleraient ceux qui les ont essuyés : et cette plainte qui est une prière, est en même temps une prophétie.

2. « O Dieu! les Gentils sont entrés dans votre héritage: ils ont souillé votre saint temple, et ont fait de Jérusalem une hutte pour garder les fruits. Les cadavres de vos serviteurs sont la proie des oiseaux du ciel, la chair de vos saints, la pâture des bêtes sauvages. Leur sang a coulé comme l’eau autour de Jérusalem, et nul n’était là pour les ensevelir 1 ». Si quelqu’un de nous voit dans cette prophétie la ruine de Jérusalem, qui arriva sous l’empereur romain Titus, alors que Jésus-Christ était déjà ressuscité et monté au ciel, et qu’on prêchait son Evangile parmi les Gentils, je ne vois pas comment le

 

1. Ps. LXXVLII, 1-3.

 

Prophète appelle héritage du Seigneur ut peuple qui n’avait pas reçu Jésus-Christ, qu en le rejetant et en le livrant à la mon avait encouru la réprobation, qui n’avait pat voulu croire en lui-même après sa résurrection, et qui même avait égorgé ses martyrs. Ils étaient néanmoins du peuple d’Israël, ceux qui crurent d’abord au Christ, qui profitèrent de son avènement, pour qui s’accomplit avec fruit et d’une manière salutaire la promesse qui en avait été faite, et dont le Seigneur lui-même a dit : « Je ne suis envoyé qu’aux brebis de la maison d’Israël qui se sont égarées 1» : ce sont là « les enfants de la promesse » parmi les Juifs, ceux « qui entrent dans la race d’Abraham 2»; ils appartiennent à l’héritage de Dieu. De là sont venus Joseph, cet homme juste, et la vierge Marie qui a enfanté le Christ 3; de là Jean-Baptiste, l’ami de l’Epoux, et ses parents, Zacharie et Elisabeth 4; de là le vieillard Siméon et la veuve Anne, qui n’entendirent point la parole extérieure du Christ, mais qui le connurent tout enfant 5; de là les Apôtres; de là Nathanaël sans déguisement 6 de là cet autre Joseph, qui attendait aussi le royaume de Dieu 7; delà cette grande foule qui le précédait et qui le suivait en chantant « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur 8 ». De là cette troupe de petits enfants, dont il est dit qu’ils accomplirent ce mot du Prophète : « C’est de la bouche des nouveaux-nés et des enfants à la mamelle que vous avez tiré une louange parfaite 9 ». De là ceux qui, après sa résurrection, furent baptisés 10, trois mille en un jour, et cinq mille en un autre jour, et qui, au feu de la charité, ne firent qu’un seul coeur et une seule âme, dont nul ne s’appropriait rien, mais qui possédaient tout en commun 11. De là ces saints diacres, parmi lesquels Etienne reçut avant les Apôtres la couronne du martyre 12. De là toutes ces Eglises de Judée, qui croyaient au Christ, qui ne connaissaient point le visage de Paul 13, mais ses persécutions fameuses, et surtout l’insigne miséricorde que lui fit le Christ. De là Paul lui-même selon la prophétie qui en avait été faite : « C’est un loup ravissant, au matin il enlève sa proie, au soir il partage les dépouilles 14»; c’est-à-dire que tout d’abord il persécute et égorge, et ensuite

 

1. Matth. XV, 24.— 2. Rom. IX, 8.— 3. Matth. II, 16.— 4. Luc, I, 5.— 5. Id. II, 25, 36.— 6. Jean, I, 47. — 7. Id. XIX, 38; Luc, XXII, 51. — 8. Math. XXI, 9. — 9. Ps. VIII, 3. — 10. Act. II, 41; IV, 4.— 11. Id. IV, 32,— 12. Id. VII, 58. — 13. Gal. 1, 22. — 14. Gen. XLIX, 27.

 

prêche et donne le pain de la vie. C’était là parmi les Juifs l’héritage du Seigneur. Aussi le plus humble des Apôtres 1, le docteur des Gentils a-t-il dit : « Que dirai-je? le Seigneur a-t-il réprouvé son peuple? Loin de là; car moi aussi je suis Israélite, de la race d’Israël, de la tribu de Benjamin. Dieu n’a point rejeté son peuple qu’il a choisi dans sa prescience 2». Ce peuple sorti de l’ancienne alliance pour entrer dans le corps mystique de Jésus-Christ, est l’héritage de Dieu.  Cette parole en effet de l’Apôtre : « Dieu n’a point rejeté le peuple qu’il a connu dans sa prescience », est analogue à cette autre parole du Psalmiste, ainsi écrite : « Car le Seigneur ne rejettera point son peuple»; et il ajoute: « Il n’abandonnera point son héritage 3 » : ce qui prouve que ce peuple est bien l’héritage de Dieu, Avant de parler ainsi, d‘Apôtre avait rappelé la prophétie qui annonce pour l’avenir l’incrédulité du peuple d’Israël : « J’ai tendu les bras durant tout le jour à ce peuple incrédule et rebelle à ma parole 4». Ici donc, pour empêcher que cette parole mal comprise ne fasse envelopper dans le crime d’incrédulité et de contradiction le peuple tout entier, l’Apôtre ajoute aussitôt : « Je dis donc: Est-ce que Dieu a rejeté son peuple? Loin de là. Car moi, je suis Israélite, de la race d’Israël, et de la tribu de Benjamin ». Montrant ainsi qu’il ne parle que du premier peuple, et que si Dieu l’eût réprouvé, l’eût condamné tout entier, il ne serait point apôtre du Christ, lui, Israélite de la race d’Abraham, de la tribu de Benjamin. il emploie aussi un témoignage très-important, quand il dit: « Ne savez-vous point ce que l’Ecriture rapporte d’Elie, de quelle sorte il demande justice à Dieu contre Israël ? Seigneur, ils ont tué vos Prophètes, ils ont détruit vos autels; je suis demeuré seul, et ils me cherchent pour m’ôter la vie. Mais qu’est-ce que Dieu lui répond ? Je me suis réservé sept mille hommes qui n’ont point fléchi le genou devant Baal. De même donc en ce temps-ci, quelques-uns, que Dieu s’est réservés par l’élection de sa grâce, ont été sauvés ». Tel est le petit nombre qui fait partie de l’héritage de Dieu; mais non ceux. dont il

est dit un peu après : « Pour les autres, ils ont été aveuglés»; selon qu’il est écrit: « Qu’est-

 

1. I Cor. XV, 9.— 2. Rom. XI, 1, 2.— 3. Ps. XCIII, 14— 4. Rom, X, 21; Isa. LXV, 2.

 

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il donc arrivé? Ce que cherchait Israël, il ne l’a point trouvé, mais les élus l’ont trouvé; et les autres sont tombés dans l’aveuglement 1 ». C’est donc cette élection, ce sont ces restes, c’est ce peuple de Dieu que Dieu n’a point rejeté, qui forme son héritage. Mais dans cet autre peuple qui n’a rien trouvé, dans ces autres qui furent aveuglés, ne se trouvait point l’héritage de Dieu dont on put dire après la glorification du Christ au temps de l’empereur Titus : « O Dieu, les Gentils sont entrés dans votre héritage, et tout ce que notre psaume semble prédire sur la destruction de ce peuple de la ville et du temple.

3. Dès lors, ou bien il nous faut entendre ces prophéties de ce que firent d’autres ennemis avant l’avènement du Christ en sa chair (car il n’y avait alors d’autre héritage de Dieu que ce peuple des saints Prophètes, lorsqu’il fut transporté à Babylone, et que la nation subit de tels désastres 2; ce peuple des Macchabées, horriblement torturés par Antiochus, et qui furent si glorieusement couronnés 3; le psaume nous prédit en effet ce qui fait les horreurs de la guerre), ou bien, s’il nous faut envisager l’héritage de Dieu après la résurrection et l’ascension du Seigneur, nous entendrons par ces calamités les maux que les idolâtres, les ennemis du nom chrétien ont fait endurer à l’Eglise dans cette foule innombrable de martyrs. Bien que le nom d’Asaph signifie synagogue ou assemblée, et que ce nom se donne ordinairement au peuple juif: néanmoins cette assemblée peut être nommée Eglise; et déjà dans un autre psaume 4, nous avons donné le nom d’Eglise à l’ancien peuple. Cette Eglise est donc l’héritage de Dieu, formé de la circoncision et de la gentilité, c’est-à-dire du peuple d’Israël et des autres nations, par « cette pierre qu’ont rejetée les architectes, et qui est devenue la tête de l’angle 5 » ,et à cet angle se sont jointes deux murailles, venant de directions différentes. « C’est lui qui est notre paix; lui qui e des deux peuples n’en a fait qu’un; pour former en lui-même un seul homme noue veau de ces deux peuples, mettant la paix entre eux, les réunissant tous deux à Dieu en un même corps 6 ». C’est dans ce corps que nous sommes les enfants de Dieu, et que

 

1. Rom. XI, 1-7. — 2. IV Rois, XXIV, 14. — 3. II Macch.VII — 4. Discours sur le Ps. LXXVII, n. 3. — 5. Id. CXVII, 22. — 6. Ephés. II, 11-16.

 

 

nous crions « Abba, notre Père 1». « Abba » dans la langue des Juifs, « Père » dans la nôtre, car « Abba » signifie « Père ». De là cette parole du Sauveur : « Je ne suis envoyé que vers les brebis d’Israël qui se sont égarées 2 » ; montrant ainsi que la promesse faite à ce peuple de lui envoyer le Messie était accomplie; et pourtant au même endroit il ajoute : « J’ai d’autres brebis qui ne sont point de cette bergerie, il me faut les amener, afin qu’il n’y ait qu’un seul troupeau et qu’un seul pasteur 3 » : désignant ainsi les nations qu’il devait appeler à lui, non par sa présence corporelle, afin de justifier cette parole : « Je ne suis envoyé qu’aux  brebis de la maison d’Israël qui se sont égarées »; mais par son Evangile que devaient aller répandre « les pieds si beaux de ceux qui annoncent la paix, qui prêchent les biens 4:  leur voix s’est fait entendre dans toute la terre, et leurs paroles jusqu’aux confins du monde 5». De là encore cette Parole de l’Apôtre : « Je déclare que Jésus-Christ a été le ministre pour le peuple circoncis, afin de vérifier la parole de Dieu et de confirmer les promesses faites à nos pères ». Voilà bien : « Je ne suis envoyé qu’aux brebis d’Israël qui se sont égarées ». L’Apôtre ajoute: « Pour les Gentils, ils doivent bénir la divine miséricorde ». Voilà aussi: « J’ai encore d’autres brebis qui ne sont pas de cette bergerie, il me faut les amener, et il n’y  aura plus qu’un troupeau et qu’un pasteur ». Telle est la double grâce exprimée dans ce mot du Prophète cité par saint Paul: « Nations, réjouissez-vous avec son peuple 6». C’est donc ce troupeau unique sous un seul pasteur qui forme l’héritage de Dieu, héritage non-seulement du Père, mais encore héritage du Fils. Car c’est le Fils qui a dit: «Le cordeau a mesuré ma part dans des lieux ravissants, mon héritage est incomparable ». Et cet héritage, par la bouche du Prophète, dit à Dieu : « Seigneur, notre Dieu, possédez-nous 7» .Ce n’est point un héritage que le Père mourant ait laissé à son Fils; mais c’est le Fils qui par sa mort l’a acquis d’une manière merveilleuse, et en a pris possession par sa résurrection.

4. Si donc c’est à cet héritage qu’il faut

 

1. Rom. VIII, 15; Gal. IV, 6. — 2. Matth. XV, 24. — 3. Jean, X, 16.— 4. Rom. X, 75.— 5. Ps. XVIII, 5.— 6. Rom. XV, 8-10.— 7. Ps. CXV, 6.— 8. Isa. XXVI, 13, suiv. les Septante.

 

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appliquer la prophétie de ce psaume: « O Dieu, les nations sont entrées dans votre héritage », et croire que les païens sont entrés dans l’Eglise, non par la foi, mais par la persécution, c’est-à-dire qu’ils l’ont envahie dans le dessein de la détruire et de la ruiner entièrement, comme le prouvent tant de cruautés inouïes, alors cette parole : « Ils ont profané votre saint temple », se doit appliquer, non plus aux bois et aux pierres, mais aux chrétiens eux-mêmes, dont saint Pierre a dit qu’ils sont les pierres vivantes formant la maison de Dieu 1. D’où saint Paul a dit clairement : « Le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple 2 ». Voilà le temple que les persécuteurs ont profané, dans ces chrétiens qu’ils ont forcés à renier le Christ par les menaces et les tortures, et que leurs violences ont fait retourner au culte des idoles: toutefois plusieurs se sont relevés par la pénitence, et purifiés de cette souillure. C’est une âme pénitente qui a dit : « Purifiez-moi de mes péchés»; et : « Créez en moi un coeur nouveau, et renouvelez dans mes entrailles un esprit de droiture 3 ». Le Prophète continue : « Ils ont fait de Jérusalem une hutte pour garder les fruits » : l’Eglise peut très bien être appelée ainsi: « La Jérusalem libre est notre mère, dont il est écrit : Réjouis-toi, stérile, qui n’enfantes pas, pousse des cris de joie, élève la voix, toi qui n’es pas mère: l’épouse délaissée a plus d’enfants que celle qui a un époux 4 ». Cette expression, « une hutte à garder les fruits », signifie, selon moi, le désert qu’a tait la fureur de la persécution : comme une hutte à garder les fruits, car on abandonne ces huttes aussitôt que les fruits sont cueillis. Et certes, quand les Gentils eurent persécuté l’Eglise, elle parut un désert, les âmes des martyrs avaient passé au banquet céleste, comme des fruits nombreux et d’une admirable beauté cueillis dans le jardin du Seigneur.

5. « Ils ont donné pour pâture, aux oiseaux du ciel, les cadavres de vos serviteurs, et la  chair de vos saints aux bêtes de la terre 5 », Le mot de « cadavre » est répété dans « la chair », et « vos serviteurs » dans « vos saints ». Il n’y a de différence qu’entre « les oiseaux du ciel » et u les bêtes de la «terre ». Traduire « cadavre » est beaucoup

 

1. I Pierre, II, 5. — 2. I Cor. III, 17. — 3. Ps. L, 4, 12. — 4. Gal. IV, 26 ; Isa. LIV, 1, — 5. Ps. LXXVIII, 2.

 

mieux que traduire « dépouille mortelle », comme l’ont fait quelques-uns. Cadavre ne se dit que des morts, et dépouille mortelle se dit même d’un corps vivant. Lors donc que les martyrs, comme je l’ai dit, retournèrent comme d’excellents fruits à Dieu qui les cultivait, leurs cadavres et leurs chairs devinrent la proie des oiseaux du ciel et des bêtes de la terre; comme s’ils eussent pu perdre quelque chose pour la résurrection, alors que Dieu, qui a compté les cheveux de notre tête 1, saura tirer des secrètes entrailles de la nature de quoi nous restaurer.

6. «Ils ont répandu le sang comme l’eau», c’est-à-dire avec abondance et avec mépris : « autour de Jérusalem 2 ». Si par Jérusalem nous entendons la ville de la terre, ce sang répandu autour de ses murs est celui de ses enfants que l’ennemi a pu rencontrer en dehors de ses murailles. Mais si nous comprenons cette Jérusalem dont il est dit : « Plus nombreux sont les fils de l’épouse abandonnée, que les fils de celle qui a un époux 3 », son enceinte est l’univers entier. Car dans ce même endroit où le Prophète s’écrie : « L’épouse abandonnée est plus féconde que celle qui a un époux »; il continue à dire peu après: « Et le Dieu d’Israël qui t’a délivrée sera appelé le Dieu de la terre entière 4». En ce cas, l’enceinte de Jérusalem, dans notre psaume, comprendrait les lieux où l’Eglise était répandue, alors qu’elle croissait et portait des fruits dans le monde entier, et que la persécution, sévissant partout, fit un grand carnage des martyrs, répandant leur sang comme l’eau, et les enrichissant des trésors du ciel. Quant à cette parole : « Nul n’était là pour les ensevelir »; il n’est pas étonnant que, dans certaines contrées, la terreur ait été si grande, que nul n’ait osé donner la sépulture aux corps des saints; ou que plusieurs martyrs soient demeurés longtemps sans sépulture, jusqu’à ce que des mains pieuses leur eussent rendu ce devoir.

7. « Nous avons été en opprobre à nos voisins 5 ». Aussi n’est-ce point en présence des hommes, mais en présence de Dieu que la mort de ses saints est précieuse 6. « Nous sommes la fable et le jouet », ou comme d’autres ont traduit : « La dérision de ceux qui nous environnent ». C’est une répétition

 

1. Matth. X, 30, — 2. Ps. LXXVIII, 3. — 3. Isa. LIV, 1. — 4. Id. 5.— 5. Ps. LXXVIII, 4.—  6. Id. CXV, 15.

 

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de la pensée précédente. Car cette expression, « en opprobre », est répétée dans « la fable et le jouet » ; et « nos voisins » se trouve répété dans « ceux qui nous environnent ». Dès lors les voisins de la Jérusalem terrestre sont les autres peuples qui environnaient la Judée. Quant à la Jérusalem libre qui est notre mère, ses voisins et ceux qui l’environnent sont les ennemis chez qui elle habite dans l’univers entier.

8. Le Prophète se répand ensuite en prières, et nous montre que le récit qu’il vient de faire de tant de maux. est moins un récit qu’une lamentation: « Jusques à quand, Seigneur, durera votre colère, et votre zèle s’allumera-t-il toujours comme la flamme 1?» Il supplie le Seigneur de n’entrer point dans une fureur implacable; de ne point prolonger cette pression, cette affliction, ce massacre, mais de mettre un terme à ses châtiments, selon cette parole d’un autre psaume: « Jusques à quand serons-nous nourris du pain des larmes, et abreuvés au calice des  pleurs 2?» Dire en effet: «Jusques à quand, Seigneur, durera votre colère? » a bien le même sens que : Seigneur, mettez un terme à votre colère. Et quand nous lisons ensuite: « Votre zèle s’allumera-t-il comme une flamme? » faut-il sous-entendre « jusques à quand », et « jusqu’à la fin », comme s’il y avait: Jusques à quand votre colère s’allumera-t-elle comme une flamme? Sera-ce jusqu’à la fin? Il faut en effet sous-entendre ces deux mots, comme plus haut nous avons sous-entendu celui-ci : «Ils ont donné ». Dans la première partie du verset, on lit : « Ils ont donné les cadavres de vos serviteurs pour servir de proie aux oiseaux du ciel » : ce verbe « ils ont donné », ne se trouve pas dans la seconde partie : « Et la chair de vos saints  aux bêtes de la terre »; il faut l’y sous-entendre. Quant à ce zèle et à cette colère de Dieu, ce n’est point une passion qui le trouble, comme l’en accusent quelques-uns 3 qui ignorent les Ecritures. La colère de Dieu, c’est la vengeance qu’il tire de l’injustice, et son zèle, la jalousie de notre pureté, le soin de notre âme qui mépriserait sa loi, et se séparerait de lui par une fornication spirituelle. Ces sentiments causent du trouble chez les hommes qui souffrent; mais sont paisibles chez Dieu qui les règle et à qui il est dit:

 

1. Ps. LXXVIII, 5.— 2. Id. LXXIX, 6.— 3. Les Manichéens.

 

« Pour vous, Seigneur, vous jugez dans le calme 1 ». C’est ce qui nous montre que les tribulations viennent aux hommes, et même aux fidèles, à cause de leurs péchés: quoique la gloire des martyrs en devienne plus éclatante par le mérite de la patience, et par leur humble piété à supporter les fléaux qui sont l’épreuve du Seigneur. C’est ce qu’ont témoigné et les Macchabées dans les tourments les plus cruels 2, et les trois jeunes hommes dans les flammes qui ne les touchaient point 3, et les saints Prophètes en captivité. Sans doute ils supportaient ce châtiment paternel avec force et humilité, et pourtant ils ne cachaient point que ces maux étaient la punition de leurs fautes. Ce sont eux qui disent dans le psaume: « Le Seigneur m’a châtié, et il m’a frappé de verges, et ne m’a point livré à la mort 4». Il flagelle tous ceux qu’il reçoit parmi ses enfants: quel fils n’est point châtié de son père 5?

9. Quand le Prophète ajoute : « Répandez votre colère sur les nations qui ne vous connaissent point, et sur les royaumes qui n’invoquent point votre nom » : c’est encore une prophétie, et non une imprécation. Ce n’est point un souhait malveillant, mais un souffle prophétique qui a dicté ces paroles, de même qu’en parlant des maux qui doivent arriver à Judas, le Prophète semble appeler de ses désirs le châtiment que Judas aura bien mérité. Mais comme il n’y a point de commandement de la part du Prophète, quand il dit au Christ au mode impératif: « Ceignez votre glaive, ô le plus puissant des rois; revêtez-vous de votre éclat et de votre gloire, et dans votre majesté, marchez à la victoire et régnez 7» ; il ne souhaite rien non plus, mais il prophétise, quand il dit: « Répandez votre colère sur les nations qui ne vous connaissent point » : ce qu’il répète selon sa coutume, « et sur les royaumes qui n’invoquent point votre nom ». Car, royaumes est la répétition de nations; et : qui n’invoquent point votre nom, la répétition de: qui ne vous connaissent point. Comment faut-il entendre cette parole du Sauveur dans l’Evangile : « Le serviteur qui ignore la volonté de son maître et qui fait des actions dignes du châtiment, en recevra moins: mais le serviteur qui a connu la volonté

 

1. Sag. XII, 18. — 2. II Macchab. VII, 1, 2, etc. — 3. Dan. III, 21. — 4. Ps. CXVII, 18. — 5. Hébr. XII, 6, 7. — 6. Ps. LXXVIII, 6. — 7. Id. XLIV, 4, 5.

 

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de son maître et fait des actes à châtier, le sera davantage 1», si la colère de Dieu est plus grande contre les nations qui ne connaissent point son nom ? Car en disant : « Répandez votre colère », il indique assez quelle grande colère nous devons entendre. Aussi dit-il ensuite : « Rendez à nos voisins sept fois autant 1». Est-ce parce qu’il y a une grande différence entre le serviteur qui invoque le nom du Seigneur, bien qu’il ignore sa volonté, et l’étranger qui n’appartient pas à la famille d’un si grand maître, qui ignore Dieu au point de ne pas l’invoquer? Au lieu de Dieu, ils invoquent des idoles, des dénions ou une créature quelconque; mais non le Créateur qui est béni dans les siècles. Le Prophète ne marque point ici que ceux dont il parle, ignorent la volonté de Dieu, au point de ne pas craindre le Seigneur; mais il désigne ceux qui ignorent le Seigneur, de manière à ne pas l’invoquer, et à se poser comme les antagonistes de son nom. Il y a donc une grande différence entre ces serviteurs qui ne savent point, à la vérité, ta volonté de leur maître, mais qui font partie de sa famille, qui vivent dans sa maison, et ces ennemis qui, non-seulement veulent que ce maître leur soit inconnu, mais qui n’invoquent point son nom, et persécutent ses serviteurs.

10. « Ils ont dévoré la maison de Jacob », continue le Prophète, « ils ont mis le deuil dans sa demeure 3 ». Jacob était en effet la figure de l’Eghise, comme Esaü l’était de la synagogue. De là cette prédiction : « L’aîné sera le serviteur du plus jeune 4 ». Ce nom peut désigner aussi l’héritage du Seigneur, dont nous parlions, et contre lequel se sont rués les peuples par la persécution, afin de l’envahir et de le détruire après l’ascension du Seigneur. Mais il faut examiner comment nous comprendrons « la demeure de Jacob ». Il semble qu’on ne peut guère l’entendre que de cette ville qui possédait le temple, et où le Seigneur avait ordonné que la nation tout entière viendrait lui offrir des sacrifices, célébrer la Pâque et l’adorer. Car si le Prophète avait voulu désigner les assemblées chrétiennes, que la persécution empêchait et désolait, il aurait dû dire des demeures désolées, et non une demeure. Et pourtant nous pouvons encore ici prendre le singulier pour

 

1. Luc, XII, 48, 47.— 2. Ps. LXXVIII, 12.— 3. Id. 7.— 4. Gen. XXV, 23.

 

le pluriel, comme on dit le vêtement pour les vêtements, le soldat pour les soldats, le troupeau pour les troupeaux: ces manières de parler qui sont ordinaires, non-seulement dans le commun du peuple, mais aussi chez les plus habiles maîtres de l’éloquence. L’Ecriture elle-même use de cette façon de parler, et a dit la sauterelle pour les sauterelles 1, la grenouille pour les grenouilles, et beaucoup d’antres locutions semblables. Cette expression: « Ils ont dévoré Jacob », marque parfaitement bien que les menaces des persécuteurs contraignirent beaucoup de chrétiens à entrer dans leurs corps, ou plutôt dans leur société.

11. Le Prophète sait fort bien que si, d’une part, Dieu doit châtier selon leur perversité la volonté des persécuteurs, d’autre part eux n’auraient eu contre son héritage aucune puissance, s’il n’avait voulu par le fouet du châtiment corriger son peuple de ses péchés. C’est pourquoi il ajoute : « Ne vous souvenez point de nos anciennes iniquités 2 ». Je ne dis pas simplement de nos iniquités passées, et qui pourraient être bien récentes; mais des « anciennes », c’est-à-dire de celles qui viennent de nos pères. Car ce n’est plus le châtiment qui est dû à ces offenses, mais bien la condamnation. « Que vos miséricordes nous préviennent». Qu’elles nous arrivent avant le jugement. « Car la miséricorde est préférable au jugement. Or, le jugement sera sans miséricorde, mais pour celui qui n’aura pas été miséricordieux 3 ». Et quand il ajoute : « Parce que nous sommes devenus pauvres », il montre son désir que la volonté de Dieu nous prévienne, afin que notre pauvreté ou notre infirmité soit soutenue par sa miséricorde dans l’accomplissement des préceptes, et que nous n’arrivions pas au jugement pour y être condamnés.

12. Aussi lisons-nous ensuite : « Secourez-nous, ô Dieu notre Sauveur 4 ». Cette expression «notre Sauveur», désigne clairement de quelle pauvreté il veut parler, quand il dit : « Parce que nous sommes réduits à une extrême pauvreté ». C’est une faiblesse qui a besoin d’un sauveur. Demander un secours pour nous, ce n’est ni faire injure à la grâce, ni supprimer le libre arbitre. Car agir avec un secours, c’est faire quelque chose de soi-même. Le Prophète ajoute encore :

 

1. Ps. LXXVII, 45.— 2. Id. LXXVIII, 8.— 3. Jacques, II, 13.— 4. Ps. LXXVIII, 9.

 

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« Délivrez-nous, pour la gloire de votre nom », afin que celui qui se glorifie, ne se glorifie point en lui-même, mais dans le Seigneur 1. « Et pardonnez-nous nos péchés, à cause de votre nom », mais non à cause de nous. Que méritons-nous en effet pour nos péchés, sinon un très-juste châtiment? Nous délivrer, ô Dieu, ou nous tirer de nos misères, c’est nous aider à faire le bien, et nous pardonner nos péchés, dont nous ne pouvons être exempts ici-bas. « Car nul homme vivant ne sera juste en votre présence 2. Or, le péché, c’est l’injustice 3, et si vous considérez nos injustices, qui subsistera devant vous 4 ? »

13. « Afin qu’on ne dise point dans les nations : où est leur Dieu 5?» Ces paroles qu’ajoute le Prophète, sont plutôt en faveur des nations. Car elles périssent misérablement si elles n’espèrent point en Dieu, si elles croient ou qu’il n’existe point, ou qu’il n’est pour les siens d’aucun secours, ne leur accorde aucune faveur, « Et que, sous nos yeux, on sache parmi les nations, que vous vengez le sang de vos serviteurs qui a été répandu »: c’est ce qui s’accomplit, ou bien quand ceux qui persécutaient l’héritage du Seigneur croient en lui; c’est là en effet une vengeance qui fait mourir par le glaive de la parole de Dieu leur injuste cruauté: et c’est de ce glaive qu’il est dit: «Ceignez votre épée 6 »; ou bien quand les ennemis de Dieu persévèrent jusqu’à la fin, et sont châtiés. Car les maux du corps qu’ils endurent en cette vie, leur sont communs avec les bons.  Il est encore une autre vengeance, c’est l’extension et la fécondité de l’Eglise en ce monde, après ces persécutions dont ils pensaient l’exterminer; c’est ce que voit tout pécheur, tout incrédule, tout ennemi de Dieu, qui en grince les dents, et en sèche de dépit 7. C’est là un châtiment des plus sensibles; qui oserait le nier? Mais je doute que cette expression « sous nos yeux », se puisse entendre avec justesse, de cette peine qui demeure cachée au fond du coeur, qui torture ceux qui nous applaudissent et nous sourient, sans que nous puissions voir ce qu’ils souffrent dans l’intérieur de l’âme, Mais si l’on entend par là cette foi des persécuteurs qui tue leur injustice; ou le supplice qui vient torturer leur persévérance dans le mal,

 

1. I Cor, I, 31.— 2. Ps. CXIII, 2.— 3. I Jean, III, 4.— 4. Ps. CXXIX, 3. — 5. Id. LXXVIII, 10. — 6. Id. XLIV, 4. — 7. Id. CXI, 10.

 

nous pouvons sans difficulté y appliquer ces paroles : « Que, sous nos yeux, on connaisse vos vengeances parmi les nations ».

14. Ceci est une prédiction, avons-nous dit, et non point un désir. Ce qui nous donne lieu de remarquer en passant comment il faut entendre cette parole de l’Apocalypse à propos des martyrs qui sous l’autel du Seigneur font entendre ces plaintes: « Jusques à quand, Seigneur, différerez-vous de venger notre sang 1 ? » et de ne point laisser croire que ces âmes saintes veulent assouvir leur haine dans la vengeance, ce qui serait déroger à leur perfection. Et pourtant il est écrit: « Le juste tressaillira à la vue des vengeances de l’impie, il lavera ses mains dans le sang du pécheur 2 ». Et saint Paul dit : « Ne vous vengez point vous-mêmes, mes bien-aimés, mais donnez place à la colère: car il est écrit: La vengeance est à moi, et je l’exercerai, dit le Seigneur 3 ». Dès lors, le Seigneur ne leur commande point de renoncer à la vengeance, mais de ne point se venger soi-même, et de laisser exercer sa colère au Dieu qui a dit: « La vengeance est à moi, et je l’exercerai ». Le Seigneur, à son tour, nous propose dans l’Evangile l’exemple d’une veuve qui, désirant d’être vengée, importuna un juge inique, et, ce juge vaincu par ses instances, plutôt que dirigé par la justice, consent à l’écouter 4: et le Seigneur nous tient ce langage, pour nous montrer que Dieu, beaucoup mieux que ce juge, rendra justice à ses élus, qui en appellent à lui, la nuit et le jour 5. De là vient ce cri des martyrs, sous l’autel de Dieu, qui demandent justice et vengeance. Mais que devient donc cette parole : « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous persécutent 6 ? » Que devient cette autre parole: « Ne rendez pas le mal pour le mal, ni l’injure pour l’injure 7? » et encore: « Ne rendez à personne le mal pour le mal 7? » Car si l’on ne doit rendre à personne le mal pour le mal, non-seulement il ne faut faire aucun mal à cause du mal qu’on nous aurait fait, mais il ne faut pas même désirer un mal pour un mal que l’on nous aurait fait ou désiré. Or, celui-là désire un mal, qui tout en renonçant à se venger lui-même, attend et souhaite

 

1. Apoc. VI, 9, 10.— 2. Ps. LVII, 11.—3. Rom. XII, 19; Deut. XXXII, 35.— 4. Luc, XVIII, 3-5. — 5. Apoc. VI, 9. — 6. Matth. V, 44. — 7. I Pierre, III, 9. — 8. Rom. XII, 17.

 

que Dieu châtie son ennemi. Si donc l’homme juste et le méchant demandent également à Dieu d’être vengés de leurs ennemis, en quoi diffèrent-ils, sinon en ce que le juste désire l’amendement plutôt que le châtiment de son ennemi? Et quand il voit que Dieu en tire vengeance, il met sa joie, non dans la peine qu’il endure, car il ne le hait point, mais dans la justice divine, parce qu’il aime Dieu. Et si Dieu exerce sa vengeance dès ce monde, il s’en réjouit, ou pour son ennemi, s’il se corrige, ou pour les autres, s’ils craignent de l’imiter. Lui-même en devient meilleur, non pas en repaissant sa haine du supplice d’un ennemi, mais en se corrigeant de ses fautes. C’est donc par bonté, et non par malice, que le juste se réjouit à la vue des vengeances divines, et qu’il lave ses mains, ou plutôt qu’il purifie ses oeuvres dans le sang, c’est-à-dire dans la perte des pécheurs, et qu’il tire de là, non une joie criminelle du mal des autres, mais un exemple des divins avertissements. S’il s’agit de cette vengeance que Dieu se réserve pour l’autre vie à son dernier jugement, le juste trouve sa joie dans cette volonté de Dieu qui ne donne point le bonheur au méchant, ni à l’impie la récompense des justes; ce serait un acte injuste et contraire aux lois de la vérité qui fait les délices du juste. Aussi quand le Sauveur nous exhorte à l’amour de nos, ennemis, il nous propose l’exemple de notre Père céleste, « qui fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes 1 »: et néanmoins n’a-t-il pas pour eux des châtiments temporels, et à la fin l’enfer pour les endurcis obstinés? Il faut donc aimer le prochain sans haïr la justice de Dieu qui le punit, et aimer cette justice qui le châtie de manière à n’aimer point le cliâtiment, mais l’équité du juge. Un esprit haineux au contraire, s’afflige de voir son ennemi se convertir et échapper à la peine, et quand il le voit châtié, il se réjouit de se voir vengé, non qu’il aime la justice de Dieu, mais bien le malheur de son ennemi, et s’il abandonne sa cause à Dieu, c’est qu’il souhaite que Dieu châtie cet ennemi, plus que lui-même ne le pourrait faire : et quand il donne à manger à son ennemi qui a faim, à boire à celui qui a soif, il savoure méchamment cette parole: « En agissant ainsi, vous amassez sur sa

 

1. Matth. V, 45

 

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tête des charbons de feu 1 ». Il prétend aggraver ainsi la faute de son ennemi, appeler sur sa tête cette indignation de Dieu figurée, croit-il, par des charbons ardents; il ne comprend pas que ce feu est la douleur de la pénitence, qui brûle le coeur jusqu’à ce que le coupable, devant ces bienfaits d’un ennemi, baisse enfin par l’humilité une tête qu’élevait l’orgueil, en sorte que le bien rie l’un ait vaincu le mal de l’autre. Aussi l’Apôtre a-t-il eu soin d’ajouter: « Ne vous laissez pas vaincre par le mal, mais triomphez du mal par le bien 2 ». Comment vaincre le mal par le bien, quand on n’est bon qu’en apparence, et mauvais au fond de l’âme; quand sans nuire en actions, on nuit en désirs; que la main est innocente, et la volonté sanguinaire? C’est donc ainsi que notre psaume prédit les châtiments des impies, en termes de désirs, en sorte qu’il nous faut comprendre que le serviteur de Dieu aime ses ennemis, ne souhaite à personne que le bien, c’est-à-dire la piété en cette vie, l’heureuse éternité en l’autre vie; que dans les châtiments des méchants, il se réjouit, non des maux qu’ils souffrent, mais des justes jugements de Dieu; et dans tous les endroits de l’Ecriture, où nous lisons leur haine contre les hommes, cette haine s’applique à leurs vices, que chacun devrait détester en soi-même, s’il s’aimait véritablement.

15. Quant à ces paroles: « Que les cris des enchaînés s’élèvent jusqu’à vous», ou comme on lit dans d’autres exemplaires, «jusqu’en votre présence 3 » ; nous ne voyons guère dans les saintes Ecritures, que les saints aient été jetés dans les entraves par leurs persécuteurs; et si cela est arrivé dans les tourments, si grands et si variés qu’ils ont endurés, cela est arrivé si rarement qu’il n’est pas croyable que le Prophète ait voulu choisir ce supplice pour s’y arrêter. Mais ces chaînes sont bien l’infirmité, la corruption des corps qui appesantissent l’âme. Car le persécuteur profitait de cette faiblesse, comme d’une douleur et d’une peine, pour perdre l’âme en la poussant à l’impiété. Voilà les chaînes dont l’Apôtre voulait être délivré pour être avec le Christ; mais il lui fallait prolonger son séjour en cette vie, à cause des fidèles qu’il formait à l’Evangile 4. Jusqu’à ce qu’enfin ce corps corruptible ait revêtu l’incorruptibilité, et

 

1. Rom. XII, 20. — 2. Rom. XII, 21. — 3. Ps. LXXVIII, 11. — 4. Philip. I, 23.

 

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que ce corps mortel soit revêtu d’immortalité 1, la chair qui est infirme retient dans des chaînes l’esprit qui est prompt. Mais ces liens ne sont lourds que pour ceux qui gémissent sous le poids qu’ils en ressentent 2, et qui soupirent après le ciel qu’ils doivent revêtir; parce qu’ils ont horreur de la mort et s’ennuient dans cette vie mortelle. Tels sont les gémissements que redit le Prophète, afin que ces gémissements s’élèvent jusqu’à la présence de Dieu. Ces captifs enchaînés peuvent s’entendre encore de ceux qui sont liés par les préceptes de la sagesse ; et ces chaînes portées avec patience deviennent une gloire: de là cette parole : « Mets tes pieds dans ses liens 3 ». « Dans la force de votre bras », poursuit le Prophète, « adoptez les fils de la mort »; ou comme on lit en d’autres exemplaires, « les fils de ceux que l’on a punis de mort».L’Ecriture nous montre aussi clairement quel était ce gémissement des captifs qui endurèrent pour le nom de Jésus-Christ les effroyables persécutions, prophétisées dans notre psaume. Au milieu de tourments si divers, ils priaient pour l’Eglise, afin que leur sang ne demeurât point stérile, et que ces moyens par lesquels ses ennemis espéraient détruire la famille du Seigneur, la rendissent plus féconde, « Les fils de ceux qui ont été tués », dit le Prophète, et qui, loin de s’effrayer à la vue des souffrances des martyrs qui les avaient précédés, sont venus en foule embrasser la foi de Celui pour l’honneur duquel ils les voyaient donner leur vie, excités qu’ils étaient par leur gloire à les imiter. Aussi dit-il : « Selon la force de votre bras ». Car tel est l’effet qui en est résulté chez les peuples chrétiens, que les persécuteurs qui croyaient prévaloir, ne l’eussent jamais prévu.

16. « Rejetez », dit le Prophète, « rejetez dans le sein de nos voisins, sept fois autant 4 ». Non qu’il souhaite un mal : c’est une sentence qu’il annonce, l’avenir qu’il prophétise. Le nombre sept, ou sept fois autant, désigne une vengeance parfaite, car ce nombre est ordinairement celui de la perfection. De là vient que l’on entend dans le sens favorable cette parole: « Il en recevra dans l’éternité sept fois autant 5 » ; ce qui comprend la totalité. « Comme n’ayant rien et possédant tout 6». Il donne à ces hommes

 

1. I Cor. XV, 53.— 2. II Cor. V, 4.— 3. Eccl. VI, 25.— 4. Ps. LXXVIII, 12. — 5. Marc, X, 30. — 6. II Cor. VI, 10.

 

le nom de voisins, parce que l’Eglise habite au milieu d’eux jusqu’au jour de la séparation, puisque maintenant pour les chrétiens la séparation n’est point visible. « Rejetez dans leur sein », dit le Prophète, c’est-à-dire d’une manière cachée, afin que la vengeance qui est secrète aujourd’hui, « soit visible un jour sous nos yeux en face des nations ». Lorsque Dieu en effet livre un homme au sens réprouvé, cet homme reçoit dans son sein ce qui lui vaudra un supplice éternel. « Rendez-leur l’injure qu’il vous ont faite, ô mon Dieu». Voilà ce qu’il faut leur rendre sept fois, c’est-à-dire, à cause des outrages qu’ils vous ont faits, réprouvez-les complètement dans le secret de leurs âmes; car c’est là qu’ils ont outragé votre nom, en croyant vous effacer de la terre par la mort de vos persécuteurs.

17. « Pour nous, nous sommes votre peuple 1 » : ce qui doit s’entendre de tous les chrétiens vrais et pieux. « Nous », que ces persécuteurs pensaient anéantir, « sommes votre peuple, et les brebis de votre troupeau », afin que celui qui se glorifie, le fasse dans le Seigneur 2, « nous vous confesserons dans le siècle ». D’autres manuscrits portent « Nous vous confesserons éternellement ». L’ambiguïté du grec a produit cette différence. L’expression du grec eis ton aiona, peut se traduire « dans l’éternité», ou « dans le  siècle». Le verset suivant, selon l’ordinaire des saintes Ecritures et surtout des psaumes, est la répétition du précédent, en sens inverse; il met en premier lieu ce que le précédent mettait en second lieu, et en second lieu ce qu’il avait mis en premier lieu. «Nous vous confesserons » est répété dans « nous annoncerons votre louange », et au lieu de dire « dans le siècle », la répétition porte « de génération en génération ». Répéter ainsi la génération désigne une durée sans fin, soit, comme plusieurs l’ont entendu, que l’on entende par là les deux générations, l’ancienne et la nouvelle, qui toutes deux néanmoins se forment en cette vie; car celui qui ne renaîtra point de l’eau et du Saint-Esprit n’entrera point dans le royaume des cieux 3; ensuite ce n’est qu’en ce monde que l’on annonce la gloire de Dieu, puisque dans le siècle à venir nous le verrons tel qu’il est 4, on ne l’annoncera plus à personne. « Nous sommes votre

 

1. Ps. LXXVIII, 13.— 2. I Cor. I,31.— 3. Jean, III, 5.— 4. I Jean, III, 2.

 

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« peuple, et les brebis de votre bercail», qu’ils ont prétendu détruire par la persécution « Nous vous confesserons dans le siècle », car cette Eglise, qu’ils ont voulu anéantir, doit durer jusqu’a la fin du monde : « De génération en génération nous chanterons votre louange», que ces impies voulaient faire cesser, en nous exterminant. En beaucoup d’endroits de l’Ecriture, nous vous t’avons dit, le mot de confession est employé pour la louange, comme il paraît ici. « Vous direz ceci dans votre confession : Toutes les oeuvres du Seigneur sont parfaitement bonnes et surtout dans cet endroit où Jésus-Christ, qui n’avait nulle faute à regretter et à confesser à son Père, lui dit : «Je vous confesse, mon Père, Seigneur du ciel et de la terre,  parce que vous avez dérobé ces choses aux sages et aux prudents, pour les révéler aux petits 1 ». Je vous cite ces passages pour vous faire comprendre que ces paroles : « Nous chanterons vos louanges », ne sont qu’une répétition de « nous vous confesserons».

 

1. Eccli. XXXIX, 39. — 2. Matth. XI, 25.

 

 

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