L'œuvre littéraire

 

 

Malgré les soucis qu'imposait le gouvernement d'une abbaye qui comptait cent quarante moines et cinq cents frères convers, le troisième abbé de Rievaulx nous a laissé une œuvre littéraire relativement importante. Il fut historien. Il recomposa en meilleur style une vie de saint Ninian, il fit un panégyrique des saints d'Hexham et composa la vie de saint Édouard. Il donna une relation de la bataille de l'Étendard qui mit aux prises deux de ses meilleurs amis : le roi David qui commandait les hordes d'envahisseurs écossais et Walter Espec, du côté anglais. II entretint aussi une vaste correspondance avec tous les grands de son temps, mais cette correspondance, qui comptait trois cents lettres, a malheureusement disparu.

 

Ce fut cependant son enseignement spirituel qui le rendit célèbre. Sa doctrine laissa sa marque sur toute la spiritualité anglaise. Les écrits spirituels parvenus jusqu'à nous, se composent de sermons, de traités et de commentaires d'Écriture. Pas plus que saint Bernard, saint Aelred n'est homme de lettres ou théoricien en chambre. Il s'agit moins pour eux de spéculer que de convaincre et d'entrainer les âmes dans les voies de l'évangile. Mais, s'ils se méfient des arguties d'école, ils ont par contre un grand souci de construite leur doctrine spirituelle sur le dogme et sur une connaissance sérieuse de la nature, et des propriétés de l'âme humaine.

 

Bien qu'à plusieurs reprises, saint Aelred ait avoué avoir éprouvé le besoin d'écrire pour contenir les excès d'une imagination trop riche et quelque peu vagabonde, il ne publia rien qu'il n'y ait été invité ou contraint. Saint Bernard le força à composer le « Miroir de la charité » ; ses moines lui demandèrent les homélies sur Isaïe ; c'est à la demande d'un moine de Wardon, qu'il composa la méditation sur saint Luc : « Quand Jésus eut douze ans » ; c'est à la prière réitérée de sa sœur recluse, qu'il consentit à écrire une règle pour des recluses. Quand on a fait la part de la fiction littéraire, il reste que le fait d'écrire à l'intention de quelqu'un, rend un style plus direct et plus spontané et, finalement, plus universel que le ton impersonnel qui est de tous les temps, mais ne touche personne. Son don de sympathie et cette manière de méditation discursive coupée d'élans dans lesquels sa prière affleure, donnent à ses écrits une fraîcheur conservée intacte après huit siècles. S'il est très près de nous, c'est, sans doute, parce qu'il est très humain. Mais on n'est très humain qu'en étant pleinement homme de son temps. Dom Knowles a dit très finement que rares étaient les personnages du moyen âge qui nous donnaient, autant que lui, le sentiment d'être à la fois très proches et très lointains : il est très proche de nous parce que notre cœur se reconnaît dans le sien ; très lointain parce que ses sentiments sont marqués des goûts d'une époque qui nous échappe sans cesse. Ambiguïté Inévitable mais qui n'est pas sans charme.

 

Le sens de l'histoire n'est pas seul à nous mettre en communion avec l’âme d'un saint. Il y a aussi pour des chrétiens la communion des saints. « Les faits de l'histoire, écrivait le Père Dalgairn, dans la préface d'une vie de saint Aelred, ont besoin d'être interprétés, sans quoi ils n'ont aucun sens. Or l'interprétation de la vie d'un saint, c'est l'Église qui nous la donne. » L'Église nous met en communion avec l'esprit d'un auteur qui a vécu de l'esprit du Christ. Un saint devient alors un de ces amis, dont parle Aelred dans son traité de l'Amitié ; un ami qui, dans son amitié même, nous rapproche de Dieu.