PSYCHOLOGIE DE L'AMOUR

 

 

Poussons notre analyse plus avant. Il me semble que dans cet usage de l'amour, on peut distinguer trois moments : le choix déterminé par la raison, le mouvement du désir et de l'acte, enfin, le fruit qui en est aussi la fin.

 

La créature raisonnable parce qu'elle a été créée capable de bonheur en est toujours avide. Mais n'étant pas heureuse, parce qu'incapable de trouver en elle-même le bonheur, et le sachant, elle cherche pour apaiser son désir un objet de jouissance en dehors d'elle. Et ainsi, chacun met son bonheur dans tel ou tel objet ou dans une foule de choses. Certains se laissent guider par la foi ou l'intelligence, d'autres, par des illusions ou par l'expérience. Mais quel que soit l'objet dans lequel on croit trouver le bonheur, on n'hésite pas à le choisir et on veut le posséder. C'est l'amour en tant que faculté d'aimer qui détermine ce choix. C'est une décision de l'âme raisonnable. L'amour s'accompagne toujours de raison, non que tout amour soit raisonnable, mais parce que pour choisir un objet ou en repousser un autre, la raison en fait un rapide examen. C'est donc à la raison de discerner Créateur et créatures, temps et éternité, choses amères ou douces, âpres ou agréables, et c'est à l'amour de choisir ce dont il veut jouir. Le choix est donc déjà de l'amour. Comme acte de l'âme, cet amour est toujours chose bonne ; mais l'objet du choix étant nécessairement bon ou mauvais, il rend l'amour bon ou mauvais. Si donc l'esprit, entraîné par l'expérience d'un plaisir ou trompé par l'erreur, choisit des objets dont il est mal de jouir, il aime pour son malheur. Nous appelons jouir : posséder quelque chose avec plaisir et dans la joie.

 

Un mouvement intérieur suit aussitôt le choix ou même l'accompagne. Il meut l'âme et l'excite en quelque sorte à désirer ce qu'elle a cru devoir choisir. Ce mouvement est un acte de l'âme, il provient de l'amour et on l'appelle également amour. Cet amour est bon s'il tend vers ce qui convient et comme il convient, sinon il est mauvais. Lorsque par les démarches voulues, on entre en possession de l'objet de son choix et de son désir, le mouvement de l'âme s'apaise dans le plaisir et la joie. Cette possession, cet usage, nous l'appellerons le fruit.

 

La charité et la convoitise comportent donc ces trois temps : le choix, le mouvement de l'âme et le fruit. Le choix est le commencement de l'amour, bon ou mauvais ; le mouvement, son cours ; et le fruit, sa fin. Quand une âme choisit de jouir d'un objet qui lui convient, poursuit son désir dans l'ordre et en jouit décemment, il me semble que ce choix, ce mouvement et ce fruit méritent le nom de charité. La charité commence dans le choix, se développe par le mouvement de l'âme et s'épanouit lorsque l'âme en recueille le fruit. Mais si, par contre, le cœur choisit à la légère, se porte vers son objet avec passion et en abuse honteusement, ce sont là autant de degrés de la convoitise. Charité et convoitise, telles sont les deux sources du bien et du mal. « La racine de tous les maux c'est la convoitise » (I Tim., 6) et la racine de tous les biens, la charité.