Sermon pour la fête de saint Benoit (suite)

 

LE CHAMP DES ÉCRITURES

 

 

« Il est sorti dans le champ au déclin du jour pour méditer ».

Pour qui le jour ne décline-t-il pas quelquefois ? Le jour baisse non seulement pour ceux qui ne désirent pas voir le jour de l'homme, mais aussi pour ceux qui désirent ardemment le voir et le posséder. Il est très important de se rendre compte de la consolation qu'on recherche quand le jour décline. Malheur à vous, riches, qui avez votre consolation. Heureux le juste dont les lèvres méditent la sagesse, il sort dans le champ avec Isaac pour méditer. Ce champ, c'est, me semble-t-il, la sainte Ecriture, champ fertile, rempli de bénédictions. « Le parfum de mon fils est comme un champ plein de fleurs que le Seigneur bénit » (Gen. 27, 27). Dans ce champ, on trouve le parfum de la myrrhe, de l'encens et de toutes les plantes odoriférantes. Ce champ contient les parfums de toutes les vertus, de tous les sentiments, de toutes les sagesses. Mais quel est celui qui est rempli de tous les parfums de ce champ que le Seigneur a béni ? La plénitude de toutes les vertus, voyez-vous, ne se trouve en aucun saint. En David, on trouve l'humilité ; en Job, la patience ; en joseph, la chasteté ; en Moïse, la douceur ; en Josué, la force ; en Salomon, la sagesse. Mais d'aucun, on ne peut dire que son parfum est comme celui de tout un champ de fleurs. Cependant le parfum de mon très doux Seigneur Jésus est infiniment meilleur. C'est lui, ce champ rempli, béni de Dieu. Tout ce qu'il y a de sagesse dans les pages du livre saint, tout ce qu'il y a de vertu et de grâce, tout se trouve en lui, en qui habite corporellement toute la plénitude de la divinité (Col. 2, 9), en qui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science (Col. 2, 5) ; car Dieu n'a pas donné l'esprit avec mesure à celui de la plénitude duquel nous avons tous reçu (Joa 1, 16).

 

Le juste sort dans ce champ et ses lèvres y méditent la sagesse. C'est là, Seigneur jésus, que vos consolations remplissent mon âme de joie, vos consolations, non celles du monde. Malheur à vous, riches, qui avez vos consolations, non celles de Dieu. Qu'ils viennent maintenant ceux qui me racontent des histoires, car moi, Seigneur, je trouve ma joie dans vos paroles, comme celui qui a découvert un trésor. « La bouche du sage médite la sagesse, celle du sot débite des sottises » (Pr. 15, 2).

 

Ne vous semble-t-il pas que ce champ tout rempli de fleurs et de fruits, est comme le paradis où coulait cette grande fontaine qui l'irriguait ?

La sainte Ecriture traite de l'humilité, de la chasteté, de la patience, de l'abstinence, du renoncement, de l'aumône. Mais une seule sagesse irrigue tout, arrange et ordonne tout, pénètre tout de la rosée des sens spirituels.

La sagesse est cette grande source, fontaine abondante qui se divisait en quatre fleuves, signifiant les quatre vertus cardinales ou principales : la prudence, la tempérance, la force, la justice. Puisez maintenant à la fontaine du Sauveur (Is. 12, 3). Le juste va puiser à cette source pour que sa bouche médite la sagesse. Les vices ont également quatre causes : l'ignorance, la convoitise, la faiblesse et la malice. L'ignorance nous trompe, la convoitise nous attire, la faiblesse nous brise, et la malice nous fait tomber. Quiconque pèche, le fait pour une de ces causes. A cette quadruple maladie, il existe un quadruple remède (1).

 

Celui qui est aveuglé par l'ignorance, qu'il aille avec allégresse à la fontaine de la prudence, d'où coulent deux ruisseaux : la science et la discrétion. L'ignorance nous fait parfois appeler mal ce qui est bien, bien ce qui est mal, moins bien ce qui est meilleur ou l'inverse, ou moins mal ce qui est plus mal, ou l'inverse encore. Il faut donc aller puiser à la source de la prudence. Et tout d'abord acquérir la science, apprendre ce qu'est le bien et ce qu'est le mal, ce qui est mieux et ce qui est moins bien, comme aussi les degrés du mal. Par exemple, la chasteté est un bien, la convoitise charnelle un mal ; l'aumône un bien, mais le renoncement un plus grand bien. C'est mal de dire « vaurien » à son frère, mais c'est pire de lui dire « renégat » (Mt. 5, 22). La science nous aide à faire ces distinctions. Elle nous fait éviter ce qui a été réprouvé par Isaïe : « Malheur à ceux qui appellent le mal bien, et le bien mal, qui changent les ténèbres en lumière, qui changent l'amertume en douceur (Is. 5, 20).

 

Il est une autre ignorance qui n'est pas moins dangereuse, celle qui nous fait perdre la mesure dans les choses bonnes et louables. On sait que l'abstinence est un bien, mais on ne sait quelle mesure garder. Il faut aller à l'autre ruisseau, la discrétion. Cette vertu est l'œil qui éclaire le cœur. Or, le Seigneur dit dans l'évangile : « Si ton œil est malade, tout ton corps sera dans les ténèbres » (Mt. 6, 23).

 

Vient ensuite la convoitise qui gagne la chair aux plaisirs et l'impudence qui endurcit le cœur. Rien ne rend un homme impudent comme l'habitude invétérée de l'impureté. Contre cette maladie, il nous faut courir aux deux ruisseaux qui coulent de la fontaine de la tempérance : la continence qui par une certaine rigueur refrène les excès de la convoitise et la pudeur, qui rend l'âme plus délicate et lui donne une sorte de gravité.

 

Dès que l'âme qui progresse, est sortie de son ignorance et du bourbier de l'impureté, elle expérimente ce que dit l'apôtre : « Tous ceux qui veulent vivre dans la piété doivent souffrir persécution » (2 Tm. 3,12). Il lui faut alors la force dont coulent aussi deux ruisseaux : l'obéissance et la patience. Notre faiblesse nous empêche d'atteindre notre but à cause de notre pusillanimité intérieure contre laquelle se dresse l'obéissance, et par l'adversité que la patience nous fait supporter.

 

Vient enfin la justice : rendre à chacun ce qui lui est dû. Vertu à laquelle s'oppose la malice, par laquelle l'homme se nuit à lui-même et aux autres par caprice. Contre cette double peste, la justice nous offre un double remède : l'innocence et la bienfaisance.

Alors, pur et tranquille, le juste sort en toute liberté dans le champ des Ecritures, sa bouche médite la sagesse et sa langue prononce son jugement. C'est de cette bouche que le Seigneur dit dans l'évangile : « Ce qui sort de la bouche, sort du cœur, et ce sont ces choses-là qui souillent l'homme » (Mt. 15, 11) . Les mauvaises pensées sortent du cœur. La bouche du juste médite la sagesse, la bouche du sot débite des sottises. La langue du sage prononce son jugement, la langue du sot ne dit que du mal.

 

(1) Aelred suit le schéma suivant :

 

IGNORANCE                     ( Erreur .......................           Science                  } PRUDENCE

{ Démesure ................       Discrétion                   }

CONVOITISE          (Impureté.......................         Continence             }TEMPERANCE

{ Impudence ................      Pudeur                          }

FAIBLESSE                        (Pusillanimité.....................    Obéissance            } FORCE 

{ Adversité  ................        Patience                     }

MALICE                  (Se nuire.......................         Innocence               }JUSTICE 

{ Nuire à autrui ................   Bienfaisance              }