NEUVIÈME MOTIF
Les grands secours que les saints anges nous donnent à l'heure de la mort,
et après la mort
Si l'un des plus grands philosophes a estimé que la mort était la chose la plus terrible de toutes les terribles, quoiqu'il n'eût pas la connaissance de ses suites, que doivent penser les Chrétiens, à qui Dieu tout bon les a si miséricordieusement révélées ? Quand un esprit considère sérieusement que de cet instant épouvantable dépend la décision d'une éternité bienheureuse ou malheureuse ; que bien peu, et très peu y reçoivent une sentence favorable pour la sainte éternité ; et que la plupart du monde y est condamné aux flammes impitoyables de l'enfer pour un jamais ; il faut être plus qu'insensible pour n'avoir pas le cur transpercé de la dernière frayeur. Mais croyons-nous à ces paroles du Fils de Dieu qui nous apprennent que le chemin de la vie est bien étroit, et qu'il y en a bien peu qui le trouvent ? (Matth. VII, 14) Croyons-nous à cette vérité effroyable, qu'il nous a révélée, qu'il y en a bien peu de sauvés ? (Matth. XX, 16.) Songeons-nous que nous allons, ou pour mieux dire, que nous courons à la mort, où il faudra faire l'expérience de ces infaillibles mais redoutables paroles, vous qui lisez ceci, et moi qui vous l'écris ? Quoi ! Sera-t-il donc vrai, qu'à peine le juste sera sauvé (ce qui fait trembler les âmes les plus innocentes), et que le pécheur vivra dans l'assurance, comme si à la mort le paradis lui était dû et qu'il n'y eût rien à craindre pour lui ? Ô mon Dieu et mon Seigneur ! Nentrez pas en jugement avec votre pauvre serviteur, parce que personne ne sera justifié en votre divine présence. (Psal. CXLII, 2)
Le saint abbé Agathon étant sur le point de mourir, était saisi d'une extrême frayeur ; et comme ses disciples étonnés lui demandaient s'il avait quelque chose en sa conscience qui fût un juste sujet d'une telle crainte, il leur répondit que par la grande miséricorde de Notre-Seigneur sa conscience ne lui donnait aucun remords ; mais que les jugements de Dieu étaient bien autres que ceux des hommes. Toutes nos justices, nous enseigne l'Écriture (Job XXV, 4-6), ne sont qu'ordures, quand elles paraissent devant sa divine pureté.
Si donc les saints anges nous rendent de grands secours à cette heure terrible, c'est pour lors qu'ils nous montrent bien qu'ils sont nos véritables amis. On reconnaît le véritable ami dans l'affliction, et lorsqu'on est dans un grand délaissement. Or quelle affliction semblable à celle de la mort, où il s'agit de tout perdre ou de tout gagner, et où tout le monde nous quitte généralement et sans réserve : les maris, leurs femmes ; les pères et mères, leurs enfants ; les plus fidèles amis, les personnes qui leur sont plus chères. Personne ne nous tient compagnie au tombeau ; l'âme s'en va seule dans l'éternité ; le corps s'en va seul dans le sépulcre. Oh ! Quelle étrange solitude, et qu'elle mérite bien de faire souvent l'occupation de nos esprits ! Toutes les créatures de la terre nous abandonnent ; pas une seule ne nous vient défendre au jugement de Dieu : les plus grandes amitiés de ce monde se terminent à la mort ; c'est un privilège de l'amour angélique, dont la durée s'étend au delà de la mort même : aussi il ne faut pas se lasser de le répéter, ce sont les non pareils en matière d'amour.
Notre-Seigneur a révélé que les âmes qui avaient eu une dévotion particulière aux saints anges pendant leur vie, en recevaient des assistances extraordinaires dans le temps de la mort, et il est bien juste ; car enfin Notre-Seigneur, le Dieu de la grande éternité, récompense pour lors la digne réception de ses ambassadeurs ; son honneur y est intéressé ; car le bon ou le mauvais traitement que l'on fait aux ambassadeurs d'un roi, retourne sur sa personne, et les docteurs tiennent pour un sujet légitime de guerre l'affront qu'un ambassadeur aura reçu. Or les saints anges sont les ambassadeurs du Roi des rois : que ne méritent donc pas ces gens, qui à peine les ont regardés, à peine ont pensé à eux, à peine les ont remerciés, mais les ont traités avec la dernière des ingratitudes, avec les derniers mépris, rebutant leurs avis, se rendant insolents à leurs remontrances ? Mon Dieu, que cet instant de la mort nous apprendra de choses ! Oh ! Que bienheureuses sont les âmes qui par leur soumission aux saints mouvements que ces esprits d'amour leur auront inspirés, par l'amour et la dévotion qu'elles auront eus pour ces charitables intelligences, seront en état d'en recevoir les assistances particulières, et la glorieuse récompense de Dieu !
Après la mort, les saints anges présentent nos âmes devant le tribunal de Dieu, et y défendent notre grande cause de l'éternité. Oh ! qu'il fait bon pour lors d'avoir de si bons et si zélés avocats ! Ils nous accompagnent dans la gloire tout comblés de joie. Ils nous visitent dans le purgatoire, et nous y rendent tous les offices imaginables que l'on peut attendre de la plus belle et de la plus constante amitié. Ils y consolent les âmes, mais à leur manière angélique, c'est-à-dire, d'une consolation toute céleste, dont toutes les joies de ce monde ne sont que des ombres et de pures apparences : ils y procurent leur soulagement ou leur délivrance, par les prières qu'ils inspirent de faire pour elles, par les messes, par les aumônes, par les mortifications ; et quelquefois même ils paraissent visiblement pour y exhorter, en se servant des espèces de notre imagination, représentant les personnes que l'on a connues, particulièrement durant le sommeil. Enfin, le docte Suarez estime qu'ils recueilleront au jour du jugement les cendres de ceux dont ils auront été gardiens. Que peut-on ajouter à des soins si amoureux et si fidèles ? Mais pourquoi des amours si précieux pour de si chétives créatures, si ce n'est que dans la créature ils y regardent Dieu seul.