CONCLUSION DE CE PETIT OUVRAGE,
PAR LE DESSEIN D'UNE ASSOCIATION EN L'HONNEUR
DES NEUF CHURS DES ANGES
Il y a plusieurs confréries ou associations, dont les fins sont bien différentes ; car les unes ont pour fin la délivrance de quelque mal temporel, quoique Dieu y soit considéré principalement et en premier lieu, ce qui est absolument nécessaire ; ainsi l'on voit des confréries en l'honneur de saint Sébastien, pour être préservé de la peste, et d'autres en l'honneur de saint Firmin, pour être délivré de la goutte.
Il y en a d'autres qui ne regardent que l'intérêt spirituel, comme, par exemple, pour obtenir la grâce d'une bonne mort, et d'être délivré de l'enfer. Or celle dont nous parlons n'aura qu'une seule et très unique vue en toutes choses, le seul intérêt de Dieu seul, dans un entier oubli de tout ce qui n'est pas Dieu : et comme il y va de son intérêt que l'empire de Jésus et de Marie soit établi par toute la terre, elle aurait pour fin cet heureux règne de cet adorable roi, et de cette grande souveraine des anges et des hommes. Il y a tant de gens qui sont occupés par tout le monde de leurs propres intérêts et des intérêts des créatures leurs semblables ; c'est l'intérêt qui donne le branle et le mouvement à toutes choses, qui est la cause de la division des plus proches, de toutes les disputes et procès, des tristesses, des ennuis, des inquiétudes, des guerres dans les États, des empressements dans toutes les affaires, du trouble dans les consciences, et enfin de tous les malheurs que nous voyons en cette misérable vie.
S'il se trouve quelques personnes dégagées de l'intérêt temporel, elles seront attachées avec imperfection à leur intérêt spirituel et il est bien rare de trouver des âmes qui ne veulent plus que Dieu seul. C'est à quoi cette dévotion tâche de remédier, ne considérant que le pur intérêt de Dieu. Hélas ! Toutes les rues des villes sont pleines d'une foule de monde, les palais d'une multitude nombreuse de personnes qui vont, qui courent, qui s'inquiètent pour le propre intérêt. On court la poste, on fait de longs et pénibles voyages, on passe les mers, on s'y expose mille fois à la mort, on va jusqu'aux extrémités de la terre, on abandonne parents, enfants, amis, et tout ce que l'on a de plus doux en la vie pour le soutenir ; on lève des armées, on assemble des soldats, on sacrifie la vie pour sa défense, l'on s'engage dans des états sans vocation, exposant son salut éternel pour l'intérêt du propre honneur, pour posséder le revenu de quelques bénéfices, pour entrer dans quelque charge : l'on y engage le salut de ses enfants : il n'y a que le seul intérêt du grand Dieu des éternités qui est négligé. Hélas ! que font les hommes pour cet intérêt sacré ? Or cette association tend à lier des âmes pour une si noble fin, et à faire de saintes troupes pour le grand roi Jésus et son aimable Mère, qu'il a associée à ses grandeurs, et rendue participante de ses couronnes.
L'association serait en l'honneur de tous les neuf churs des anges, pour les prier de s'unir avec nous, et faire une sainte union du ciel et de la terre, pour obtenir l'avènement du règne de Dieu. Comme ce sont des esprits entièrement désintéressés, qui n'ont jamais eu le moindre mouvement pour leur propre intérêt, qui ont été toujours tout perdus dans le pur amour, dans l'amour de Dieu seul, qui ont combattu dès le commencement du monde pour l'intérêt de Dieu, et pour la querelle du Verbe incarné ; l'on ne peut choisir de meilleurs protecteurs, ni des intercesseurs plus puissants pour obtenir la grâce du règne du pur amour de Jésus et de Marie. On les honore tous, on les invoque tous, afin d'appeler tout le ciel à notre secours, et rendre notre union plus forte contre la rage de l'enfer et la malice des hommes, qui travaillent sans cesse à la destruction de l'empire de Dieu par l'empire du péché.
Les associés, le jour de leur entrée, ou quelques jours auparavant, feraient une confession générale de toute leur vie, s'ils n'en ont jamais fait, prenant garde, s'ils en ont fait, de ne pas recommencer par scrupule ; ainsi ils ne feront rien en cela que selon l'avis de leur directeur. Ces confessions sont très nécessaires à la campagne, plusieurs de ces pauvres gens ayant honte de se confesser de leurs péchés aux prêtres avec qui ils sont fort souvent ; c'est pourquoi il est bon que leurs pasteurs, d'eux-mêmes, leur insinuent quelque bon confesseur extraordinaire, prenant garde non-seulement à sa capacité et bonté, mais à la facilité et ouverture de cur qu'ils y pourront avoir, leur témoignant qu'ils leur feront plaisir d'en user de la sorte, et les y invitant doucement et par plusieurs fois, bien loin de leur en faire froid, et leur en marquer de la répugnance. Outre la honte que l'on a de dire les péchés mortels, le défaut de regret et de dessein de s'en corriger demande une bonne confession générale, par une revue de toute sa vie.
L'on communierait le jour de l'entrée, et tous les ans à la fête de Saint-Michel, le premier jour ou le premier dimanche de mars, et l'on serait exhorté de le faire encore tous les mois au dimanche que l'on aura choisi pour y honorer spécialement les saints anges.
Tous les jours on réciterait neuf fois le verset Gloria Patri, ou neuf fois la Salutation angélique, en l'honneur des neuf churs des saints anges, et l'on se souviendrait de dire de temps en temps, par forme d'oraison jaculatoire, ces paroles du Pater : Adveniat regnum tuum : « Ô Seigneur, que votre règne arrive ! » mais on les dirait bien plus de cur que de bouche, entrant dans des désirs ardents de l'empire de Jésus et de Marie.
On choisirait un dimanche le plus commode dans le mois, et le moins occupé ordinairement aux autres dévotions de confréries, comme, par exemple, le troisième ; et dans ce jour, à l'imitation des autres saintes confréries, l'on célébrerait une messe en l'honneur des anges, si cela se peut commodément, et en cas qu'il y ait plusieurs prêtres en la paroisse, l'office du dimanche ne devant pas être interrompu ; s'il n'y a que le seul curé qui est obligé à la messe paroissiale, on y ferait la procession après vêpres, y chantant des hymnes et répons en l'honneur de ces glorieux esprits, et l'on y pourrait porter l'image du saint ange, que l'on ferait faire à ce dessein : on tâcherait d'y donner aussi quelque sermon, ou petit discours, ou instruction au sujet de cette dévotion.
Tous les ans on prendrait un jour plus particulièrement qui serait la grande fête de lassociation, comme le jour de saint Michel à la fin de septembre ; ou parce que souvent en ce temps les personnes des villes sont à la campagne, et celles de la campagne dans les occupations qui leur restent de la moisson ou de la vendange, on pourrait prendre le premier dimanche de mars, qui donnerait occasion d'avoir un prédicateur avec facilité, à raison du carême ; ou le dimanche le plus proche après le huitième de mai, que se fait la fête de l'apparition de saint Michel ; et ce jour on demanderait une permission à l'ordinaire d'exposer le très-saint sacrement, on le porterait en procession, on ferait l'office solennel, il y aurait sermon, et tous les associés ne manqueraient pas d'y communier et de la célébrer avec toute la dévotion possible. La veille, si l'on n'y jeûnait pas hors le temps de carême, au moins l'on y ferait quelque abstinence ; et, pour s'y disposer, l'on ferait la visite de quelque pauvre ou l'on donnerait quelque aumône, si l'on en avait le moyen. L'on visiterait quelque chapelle ou autel dédié à Dieu, sous l'invocation de ces princes du ciel.
Tous les mardis seraient des jours d'une dévotion spéciale, consacrés particulièrement à ces bienheureux esprits. On entendrait la messe ce jour en leur honneur, si la commodité le permettait, et l'on se souviendrait de penser à eux avec encore plus d'application qu'à l'ordinaire. De plus, la fête de Notre-Dame des Anges, qui se célèbre le second d'août, serait dans une vénération très particulière, comme le jour auquel la très sacrée Vierge est honorée en qualité de leur souveraine et bien-aimée dame et maîtresse.
Il y aurait un registre ou livre pour y écrire les noms de tous les associés de l'un et l'autre sexe qui seraient reçus par le supérieur de l'association, ou par quelque autre député de sa part, sans prendre quoi que ce soit pour la réception des confrères et surs, pour donner lieu aux personnes les plus pauvres d'y entrer sans difficulté, laissant à la liberté d'un chacun de donner à sa dévotion pour l'entretien des ornements, luminaires et autres choses nécessaires. Je ne doute pas que dans les grandes villes l'on ne trouve toujours suffisamment pour faire célébrer les messes et pour les autres dépenses nécessaires. Mais comme-il est plus difficile dans les villages, on travaillerait à y procurer quelques fondations, ce qui serait aussi à souhaiter pour les villes ; et l'on pourrait recevoir quelque peu de chose, comme, par exemple, deux sous des confrères tous les ans, prenant garde néanmoins à ne rien demander des pauvres ; et pour ce sujet il y aurait un trésorier ou une trésorière qui recevrait ce qui serait donné, et qui en rendrait compte chaque année dans un jour arrêté par la confrérie.
Tous les trois mois, ou au moins deux fois l'année, le supérieur avec les principaux de l'association s'assembleraient pour délibérer des moyens d'établir et d'augmenter la dévotion des saints anges : et pour cette fin on y lirait le chapitre précédent, qui en donne de différentes vues, chacun proposant simplement les lumières qu'il en aurait.
Tous les confrères se souviendraient que l'association ayant pour fin l'empire de Jésus et de Marie, qui ne s'établit que par la connaissance et l'amour de Dieu, ils ont une obligation spéciale de faire instruire leurs enfants et domestiques des mystères de la foi, et en apprendre eux-mêmes les vérités les plus nécessaires, qu'ils n'ignorent que trop souvent. Ils ne manqueraient pas de les enseigner aux pauvres qu'ils visitent ou à qui ils donnent t'aumône, de travailler par leurs soins auprès des prélats ou curés, à ce que le catéchisme se fasse avec exactitude ; de procurer, selon leur pouvoir, des missions dans les campagnes, et surtout de contribuer en tout ce qu'ils pourront pour les missions étrangères, qui est le moyen de faire régner Jésus-Christ dans ces pays infidèles assujettis à la tyrannie du démon.
Ils auraient grand soin du très-saint sacrement de l'autel et de tout ce qui le regarde, comme des ciboires, calices, tabernacles, ornements, corporaux, autels ; et ils tâcheraient de l'accompagner quand on le porte aux malades, gardant une modestie extrême dans nos églises, ayant en horreur les moindres irrévérences qui s'y commettent, n'y parlant jamais, tâchant d'empêcher les immodesties qui s'y font. Ils seraient exhortés à la fréquentation des sacrements avec la disposition requise, à l'oraison mentale, à la lecture des bons livres, à l'examen de conscience, à prier Dieu en commun tous les soirs avec toute leur famille, à assister les pauvres, et à la solide pratique de toutes les autres vertus.
Ils fuiraient avec horreur le péché et toutes les occasions de péché, surtout l'impureté, qui est le péché le plus opposé à la pureté des anges. Ils éviteraient toutes les choses qui y portent, comme la trop grande familiarité entre personnes de différents sexes, les paroles à double entente, les privautés indécentes, les chansons et lectures qui peuvent choquer le moins du monde les oreilles chastes ; et ils travailleraient à ruiner ce maudit péché, le plus grand ennemi du règne de Jésus-Christ, non-seulement en leurs personnes, mais en toutes celles où ils pourraient avoir de l'accès. Ils tâcheraient de gagner à Notre-Seigneur les âmes malheureusement engagées dans ce vice, et leur donneraient, avec douceur et une charité toute cordiale, toute la subsistance nécessaire pour les en retirer, prenant bien garde de leur donner sujet de continuer dans leurs offenses par le défaut de secours, par leurs rebuts ou certaine dureté de cur, dont plusieurs répondront sévèrement au rigoureux tribunal de Dieu. Toutes les inimitiés, querelles, médisances doivent être bannies des curs des personnes qui font profession d'aimer les anges ; mais elles doivent aimer ceux qui les haïssent, et faire du bien à ceux qui ne leur font que du mal.
Enfin, dans les grandes villes, l'on pourrait prendre neuf jours, qui seraient destinés pour faire une grande solennité en l'honneur des neuf churs des anges. L'on pourrait pendant tout ce temps-là exposer le tressaient sacrement, à l'exception du temps où le peuple s'assemble pour entendre le sermon (c'est une chose qui est bien digne d'être remarquée, car il s'y fait toujours mille irrévérences) ; si l'on pouvait, il y aurait tous les jours sermon, et l'office des anges s'y ferait les jours qui ne seraient pas empêchés ; il y aurait chaque jour une messe solennelle, et un salut au soir, et l'on n'y oublierait rien de ce qui se pratique dans les plus grandes fêtes, et de tout ce qu'une sainte dévotion peut suggérer. L'on choisirait quelque temps pour ce sujet qui serait le plus libre de fêtes, afin de pouvoir, avec plus de liberté, faire l'office des anges. Il semble que le dimanche de la Quasimodo serait propre pour commencer cette solennité, arrivant souvent dans le mois d'avril, qui est peu occupé, et puis c'est dans ce temps-là que le monde est plus dans les villes, et par suite qu'il y peut se rencontrer un plus grand concours de peuples.