À MON BON ANGE GARDIEN

 

 

Mon seigneur et fidèle guide de ma vie, quand je pense à ce que vous êtes, à ce que je suis, à mes ingratitudes, à vos incroyables bontés, mon esprit se trouve comme dans un abîme : je ne sais que devenir et je ne puis que dire. Vous êtes une belle intelligence de la bienheureuse éternité, un pur esprit, un esprit tout de lumière et de clarté, un esprit du pur amour, un grand prince de l'empyrée et l'un des grands rois du paradis ; et je ne suis que poussière et que cendre, qu'un chétif morceau de boue, qu'un misérable aveugle, qu'un très grand pécheur et le dernier de tous les pécheurs. Je reconnais en votre sainte présence, et je le veux dire devant tous les hommes et le donner au public, que je me vois non-seulement mériter la dernière place de la terre, mais la dernière place de l'enfer ; je me vois au-dessous de tous les démons et me reconnais pour la dernière créature de tout le monde.

 

Cependant vous voulez bien aimer une telle créature, vous voulez bien vous appliquer avec soin à tout ce qui la regarde, vous voulez bien l'assister dans tous ses besoins intérieurs et extérieurs, vous voulez bien la défendre contre tout ce qui lui est opposé, vous voulez bien la soutenir contre la puissance de l'enfer ; vous voulez bien, le conçoive qui pourra, l'accompagner inséparablement, lui tenir compagnie sans la quitter, et vous prenez plaisir à l'accabler de vos bienfaits, nonobstant tous ses mépris, toutes ses infidélités et toutes ses ingratitudes. Après l'amour de Jésus et Marie, qui a jamais ouï parler d'un tel amour ? Il faut bien dire que c'est l'amour incomparable en sa constance, en sa fidélité ; que c'est l'amour le plus désintéressé qui fut jamais ; l'amour le plus doux, le plus patient et le plus charitable ; l'amour le plus miséricordieux, le plus libéral, le plus fort et le plus généreux.

 

Grand prince, pourquoi m'aimez-vous de la sorte ? Pourquoi n'y a-t-il pas un seul moment de ma vie qui ne soit marqué de quelqu'un de vos bienfaits ? Ô mon âme ! Il t'est bien doux de penser à ces coups de miséricorde qu'a faits pour toi ce cher prince de ta vie ! Il t'est bien doux de te souvenir comme il t'a délivré de l'enfer, des grâces qu'il t'a obtenues, des secours indicibles qu'il t'a donnés en toutes sortes de choses, des soins amoureux qu'il a pris de tout ce qui regarde le temporel et le spirituel. Mon seigneur, que vous rendrai-je pour tous ces biens ? Ah ! Je vois bien qu'il m'est impossible de dignement reconnaître vos excessives faveurs. Quand je vous remercierais autant de fois que je respire, ce ne serait pas grand'chose ! Ô mon âme, que devenir donc ici ? Entrons dans les puissances du Seigneur, et prenons dans le cœur sacré de Jésus et de Marie une digne reconnaissance de tant de bontés. Quand nous aurions tout pensé et tout dit, ce ne serait pas assez ; quand nous aurions donné notre vie pour un prince si obligeant, nous ne pourrions pas lui satisfaire, ayant été remplis de toutes sortes de biens par sa faveur et délivrés de toutes sortes de maux.

 

Mais, aimable prince, les paroles donc me manquant et les forces, je veux vous parler par le précieux cœur de l'adorable Jésus et de sa très digne Mère. Hélas ! Je sais bien que je ne puis pas entendre les paroles ineffables de ces divins chœurs, mais au moins tout ce qu'ils vous diront à mon sujet, c'est tout ce que je veux vous dire. Tous les remercîments qu'ils vous feront, ce sont les actions de grâces que je veux vous rendre et que je ne puis. Qu'à jamais ils soient la juste récompense de vos services et la belle reconnaissance de tous vos amours. Après cela, mon cœur prend une résolution inviolable de vous aimer de la bonne manière. Mon seigneur, donnez, s'il vous plaît, votre bénédiction à ces bons désirs et à la sincère volonté qu'il a de vous honorer par toutes les actions de sa vie en Dieu seul et pour Dieu seul, voulant vivre votre serviteur, et le serviteur de tous les neuf chœurs des anges, le reste de mes jours. Notre sainte Dame sera bien aise que son serviteur soit aussi le vôtre, soit aussi serviteur de tous les autres princes du ciel vos semblables, et que toute sa vie soit une vie qui vous honore tous avec elle, dans tous ses instants et jusqu'au dernier moment de la mort, et dans toute l'éternité, et que tous mes jours soient comme autant de fêtes de tout le paradis.

 

Présentez, cher gouverneur de mon cœur, cette résolution que vous savez qu'il y a longtemps que j'ai prise, avec ce petit ouvrage, à toutes les trois hiérarchies, à tous les neuf chœurs angéliques, aux aimables séraphins, aux savants chérubins, aux glorieux trônes, aux puissantes dominations, aux divines vertus, aux puissances redoutables, aux sacrées principautés, aux saints archanges, aux charitables anges ; et dites-leur là-dessus ce que vous savez bien dire à votre mode angélique et ce que je ne pourrais pas. L'offrande d'une chétive vie comme la mienne et de ce petit ouvrage est bien indigne de leur mérite ; mais suppléez à mes misères et à mes défauts. Venant de votre main, d'une main angélique, elle ne pourra qu'être bien reçue des anges. Dites-leur encore que mon cœur a bien d'autres désirs de les honorer et aimer, et qu'il voudrait tenir tous les cœurs des hommes pour les donner à tous les chœurs des anges, pour être ensuite donnés sans réserve au cœur tout aimable de Jésus et Marie, où il n'y a et il n'y a jamais eu que Dieu seul. C'est ce Dieu seul, ô le plus fidèle, le plus constant et le plus aimable de mes amis, que je désire par tous ces désirs ; mais, mon seigneur, encore une fois, pour un si digne sujet, votre sainte bénédiction pour tous les jours de ma vie et au moment redoutable de ma mort. Ainsi soit-il, ainsi soit-il. Dieu seul, Dieu seul, Dieu seul : la fin de toutes les dévotions à la très sainte Vierge, aux anges et aux saints ; et que je désire honorer incessamment dans tous les honneurs que je leur rends.