EXHORTATION À L'AMOUR ET À LA DÉVOTION DES SAINTS ANGES

 

 

La science du sage, dit le Saint-Esprit, en l'Ecclésiastique (XXI, 16), est semblable dans son abondance à l'inondation des eaux, car il est vrai que comme nous voyons les terres et les campagnes toutes couvertes et ensevelies par le débordement des fleuves ou des mers, de même l'esprit du Chrétien, divinement éclairé par la lumière de la foi, en laquelle se rencontre la science du sage, et sans laquelle il n'y a point de véritable sagesse, se trouve quelquefois environné de tant de clarté, qu'il faut nécessairement qu'il s'y perde, et à raison de leur multitude, et à raison de leur grandeur.

Cette vérité parait d'une manière merveilleuse en la connaissance que le christianisme nous donne des saints anges ; et c'est en en ce sujet qu'il faut dire que la science de l'amour et de ces esprits admirables est une sacrée et divine inondation. Pour peu que l'on y pense comme il faut, une infinité de raisons qui viennent en foule se présenter à l'esprit, l'accablent sous leur force et leur multitude : à dire le vrai, c'est comme un abime où l'on se perd amoureusement. L'on découvre tant de motifs et tant de raisons pour aimer ces esprits tout d'amour, et tous ces motifs sont si touchants, toutes ces raisons si pressantes, que l'on ne sait ni où l'on en est. On veut les dire, parce que le zèle de leur dévotion en presse, et on ne peut les déclarer. C'est le propre des grandes choses de ne pouvoir être exprimées. Ces lumières causent, en l'âme qui aime, une espèce de martyre : c'est une chose étrange que son amour multipliant ses lumières, et ses lumières augmentant son amour ; à force de la faire aimer, elle se trouve en quelque manière dans l'impuissance d'aimer, parce que l'amour portant l'âme à faire connaitre le sujet aimable de ses affections, la grande connaissance qu'elle en a, lui ôte le pouvoir de faire voir combien il est aimable. Elle est ravie de savoir que les motifs qui peuvent engager saintement les cœurs à aimer les bons anges, sont inexplicables ; et c'est une pensée qui donne à son esprit une satisfaction bien douce : car c'est beaucoup dire de ces sublimes intelligences, lorsqu'on dit qu'on ne peut jamais assez dignement déclarer leurs mérites. Mais après tout, l'amour est un feu que l'on ne peut cacher ; il faut tôt ou tard qu'il paraisse ; s'il en coûte pour parler de la dévotion aux saints anges, il en coûterait beaucoup plus encore pour n'en rien dire.

 

Il faut donc le dire en un mot : tous les motifs possibles, toutes les raisons imaginables nous pressent d'aimer ces esprits d'amour, et de telle manière que je soutiens qu'il faut, ou n'avoir plus d'esprit pour raisonner, ni de cœur pour aimer ; ou qu'il faut demeurer d'accord qu'il n'y a rien de plus juste que la dévotion aux saints anges, et qu'on les doit aimer à quelque prix que ce soit. Aussi l'ai-je toujours dit : pour moi, je ne crains point de ne pas aimer les saints anges (l'on suppose toujours le secours de la grâce), car c'est ce qui me semble impossible ; mais j'ai peur de ne les pas aimer assez. Dieu y oblige de son côté, et la créature du sien ; en peu de paroles c'est tout dire. Si vous regardez Dieu, il faut aimer les anges : si vous regardez la créature, si vous vous regardez vous-même, il les faut aimer. Le pur amour l'ordonne, l'amour intéressé l'exige, Dieu seul le veut, la très sacrée Vierge, et tous les saints le désirent ; notre plaisir, notre propre satisfaction, notre propre intérêt le demandent.

 

Si vous êtes à Dieu seul, il faut être aux saints anges ; si votre amour est mêlé de vos intérêts, il vous oblige d'avoir de la dévotion pour eux. À la vérité les cœurs des hommes se portent à l'amour par des voies bien différentes. Il y en a, mais bien peu, de si divinement généreux que, ne regardant en quelque sorte plus rien de ce qui les touche, ni intérêt temporel, ni intérêt spirituel, ni paradis, ni enfer, ni temps, ni l'éternité, ni leur salut, ni leur gloire, dans un entier oubli d'eux-mêmes, ne regardent que Dieu seul, et Dieu seul est leur unique tout, en toutes choses. Dieu seul est pour eux tout ce qui les fait agir ; c'est lui seul qu'ils veulent en la vie, en la mort, après leur mort. Il y en a qui regardent Dieu et qui l'aiment ; mais la vue et l'amour de Dieu sont mêlés de la vue de leurs intérêts. Il y a des cœurs qui se prennent par la beauté ; il y en a qui se laissent aller à l'honneur ; il y en a que le bien gagne. Vous en verrez que la grandeur touche, qui sont émus par des excellences et des personnes extraordinaires ; il s'en rencontre qu'un amour constant, des services fidèles, des obligations très particulières emportent. Ainsi les hommes qui ont des cœurs, et des cœurs qui aiment, se laissent aller à l'amour en des manières qui sont bien différentes : comme ils n'ont pas les mêmes inclinations, ils ne se portent pas à aimer les mêmes choses. Celui qui aime le bien ne se mettra pas tant en peine de l'honneur, parce que souvent les choses les plus honorables ne sont pas les plus utiles : et celui qui aime l'honneur méprisera l'argent ; il n'y sera pas attaché comme l'avare ; il faut qu'il fasse de la dépense pour arriver où la gloire le fait aspirer. Mais s'il se rencontrait des choses qui donnassent des richesses, de l'honneur et du plaisir, assurément elles seraient grandement et généralement aimées.

 

C'est ici, ô hommes, que je vous appelle à l'amour et à la dévotion des saints anges. Toutes sortes de biens se rencontrent dans leur amour. Si vous aimez Dieu, il faut aimer les anges ; si vous aimez les rares perfections que Dieu a mises dans les créatures, il faut aimer les anges ; si vous vous aimez vous-mêmes, il les faut aimer ; si les choses temporelles vous touchent, ils y rendent des services incroyables. Si vous vous laissez aller au plaisir, à la gloire et au bien, ces bienheureux esprits vous en procureront en cette vie, pourvu que la gloire de leur Maitre s'y rencontre ou le bien de votre âme : mais il est toujours certain qu'ils vous obtiendront pour l'éternité des plaisirs qui surpassent toutes les pensées des hommes, aussi bien que des honneurs et des trésors inestimables. Si vous voulez être soutenus par quelques personnes puissantes, il n'y a rien de plus puissant dans l'être créé que la nature angélique. Si vous désirez d'être considérés des grands, ah ! ce sont les grands de l'empyrée, les princes et les rois de la glorieuse éternité. Mais, ce qui est bien doux, c'est qu'ils font part à leurs amis de leurs couronnes : ils les associent à leurs empires ; et être bien l'ami des anges, c'est aller d'un pas sûr à la royauté, et l'on peut bien s'assurer de porter quelque jour le sceptre et un diadème d'une gloire immortelle. Ah ! Qu'ils font bien le contraire de ces grands de la terre, qui n'ont rien tant à cœur que de régner seuls : tous les plus forts désirs de ces princes de l'amour, sont d'avoir des compagnons de leur empire. Si votre cœur se laisse prendre à la beauté, ce sont les beaux par excellence ; mais leurs beautés ne sont pas de ces beautés de la terre, qui ne sont qu'à fleur de peau, et qu'une maladie efficace ; leur beauté est inaltérable, et demeure toujours en même état. Mais comme l'affaire du salut est de la dernière conséquence, c'est en cette grande et unique affaire que l'on en reçoit des secours non pareils.

 

Au reste, ce sont des amis incomparables dans leurs mérites, dans leur amour, dans leur constance. Pour leurs mérites, leurs perfections et leur excellence, il n'y a point de plume qui puisse les décrire, ni de bouche, quelque éloquente qu'elle soit, qui les puisse déclarer. Leur amour pour les hommes est tout à fait prodigieux ; car il renferme toutes sortes d'amours. Leur constance est incroyable, puisqu'ils ne se lassent jamais de nous aimer, quelques sujets que nous leur donnions de s'irriter contre nous. Ils veillent infatigablement sur tout ce qui nous regarde. Ils nous servent de forteresses contre la puissance des démons. Ils sont notre protection et notre défense contre tous nos autres ennemis. Ils sont tous à tous les hommes, pour toutes sortes de services, quelque vils et abjects qu'ils puissent être. En peu de paroles voilà de grandes vérités.

 

Après tout, si vous êtes du nombre de ces pures âmes qui agissent par les mouvements de l’esprit de Jésus-Christ et qui ne voient que Dieu seul, il faut comme, nous l'avons déjà dit, aimer les anges, et où nos inclinations pourront-elles nous porter avec plus de justice et de sainteté qu'à ces objets des plus douces complaisances d'un Dieu ? S'il est vrai que les inclinations d'un Dieu doivent faire toutes nos inclinations, il faut exceller dans l'amour des anges, qui sont les grands chefs-d'œuvre de l'amour d'un Dieu. Souvent, à la vérité, nous nous trompons dans les objets de nos amitiés : mais en aimant ce que Dieu aime, et comme Dieu veut que nous l'aimions, il n'y peut avoir de tromperie ; de quelque côté donc que nous nous tournions, il faut avoir de la dévotion pour les saints anges. Il faut ici que le cœur de l'homme cesse d'être cœur, ou bien il faut qu'il aime les anges : car où ira-t-il pour se défendre de l'amour angélique ? S'il monte au ciel, il y trouvera ces ravissantes beautés de la sainte éternité ; mais ce sont des beautés conquérantes à qui il faut se rendre, ou ne plus aimer. S'il parcourt toute la terre, et qu'il aille jusqu'aux extrémités du monde, tons les éléments, les feux, les airs, les eaux, la terre et tout ce qui s'y rencontre, prêchent hautement l'amour de ces rois de l'amour. Le soleil dans ses mouvements continuels qui lui sont donnés par un ange, annonce tous les jours d'un bout du monde à l'autre cet amour ; et ce bel astre, avec ses rayons de lumière, marque évidemment cette vérité à toutes les créatures d'ici-bas. L'aurore qui précède le lever du soleil publie dès le point du jour les soins charitables de ces astres spirituels du matin du monde, et les plus sombres nuits n'ont pas assez de ténèbres pour en cacher les bontés. Les lumières de ces astres divins n'ont point de couchant ; ces sentinelles posées sur les murs de la mystique Jérusalem veillent également la nuit aussi bien que le jour. Si nous descendons jusqu'au centre de la terre, nous y verrons dans les feux du purgatoire éclater les amours de ces esprits charitables, avec plus d'ardeur que les flammes qui y purifient les âmes. Les pays les plus abandonnés en reçoivent des assistances. Ces soleils de l'empyrée se lèvent sur les pécheurs, aussi bien que sur les justes. Il n'y a point d'infidèle, point de barbare, point de créature raisonnable, pour chétive et malheureuse qu'elle soit, qui n'ait des anges à sa garde. On les trouve dans les plus viles cabanes des dernières créatures de la terre, de même que dans les palais des princes ; tout esprit en ressent les secours ; toute la nature en est aidée ; enfin, il est très vrai que leur amour triomphe de tous côtés.

 

Quel moyen donc de résister à tant d'attraits, à de si doux et de si puissants motifs ? Ô enfants des hommes, jusqu'à quand votre cœur sera-t-il appesanti ? (Psal. IV, 3) Jusqu'à quand aimerez-vous toute autre chose que ce qu'il faut aimer ? Mais nous n'avons ici qu'à répandre des larmes sur la dureté et l'aveuglement des hommes : toutes ces vérités sont certaines, et l'on voit assez que par tous les motifs imaginables l'on doit aimer les saints anges ; cependant leur dévotion est bien rare, et s'ils sont des esprits très aimants, ils sont bien peu aimés. Il est vrai que la dévotion des anges gardiens, qui ordinairement sont du dernier chœur, commence à devenir plus commune : mais l'on trouve peu de personnes appliquées à la dévotion de tous les autres chœurs de ces célestes hiérarchies. Peu de gens s'occupent de l'amour des séraphins, des chérubins, des trônes, des dominations, des vertus, des puissances, des principautés, des archanges.

 

Je sais bien que ce défaut arrive du peu d'intérieur de la plupart des âmes. Elles sont toutes plongées dans la chair, et elles sont peu touchées que par les choses sensibles : il y en a peu qui par leur dégagement des choses matérielles, et le détachement parfait, donnent lieu à ces pures élévations de la grâce, qui nous font converser en esprit dans le ciel, pendant que nos corps vivent ici-bas sur la terre ; et qui en nous découvrant le monde spirituel, nous occupent de ce qui s'y passe, parce que nous considérons les anges gardiens comme étant auprès de nous (et c'est bien fait, on ne les peut même assez considérer), parce qu'on les regarde comme attentifs à nous procurer du bien et à nous délivrer du mal, l'on en est un peu plus touché ; car après tout, ce que l'on fait pour les anges gardiens, n'est presque rien, si l'on médite avec soin les obligations incroyables que nous leur avons. Mais pourquoi ne pas faire amitié avec les séraphins, et tous les autres anges ? Plus ils sont élevés, plus leur pouvoir est grand aussi bien que leur amour ; et ce qui est plus pressant, c'est qu'il y a plus de Dieu en eux, qui est le grand motif des âmes qui aiment purement. Mon Dieu ! Si les rois de la terre voulaient bien vous recevoir, vous qui lisez ces pages, en leur amitié particulière, et vous mettre du nombre de leurs plus chers favoris, je vous demande ce que vous feriez ? Sondez un peu votre cœur sur cette pensée, mais que ce soit de la bonne manière ; et ensuite considérez qu'il ne tient qu'à vous de faire de belles et éternelles amitiés avec un nombre innombrable de rois du ciel ; il ne tient qu'à vous d'être de la grande faveur auprès d'eux. Si vous voulez même (je vous conjure de penser plus d'une fois à cette vérité), il ne tiendra qu'à vous, à la faveur de leur crédit, d'être rois comme eux dans le séjour fortuné de l'empyrée.

 

Je vous avoue que je voudrais tout faire, avec le secours de la grâce, pour pouvoir un peu réveiller les esprits des hommes, et les tirer de l'aveuglement où ils sont, au sujet de la dévotion à tous les chœurs des anges. C'est ce qui m'a obligé à donner ce petit ouvrage en leur honneur. Il y a longtemps que j'en suis pressé, non-seulement par des personnes de vertu, à qui je dois beaucoup déférer, mais bien plus par les mouvements intérieurs que j'en porte. Il y a plus de quatorze ou quinze ans que j'en suis tellement pressé, et avec tant de marques, que Dieu tout bon demande de moi ce petit travail, que je croirais commettre une grande infidélité d'y résister. Après nos petits livres de Dieu seul. - De l'amour de Jésus au très saint Sacrement, - De la dévotion à l'admirable Mère de Dieu, il est juste que nous écrivions De l'amour et de la dévotion aux neuf chœurs des saints anges. L'on me dira peut-être que le nombre des livres qui traitent de la piété est grand, mais un grand saint de nos jours, le glorieux François de Sales, a répondu il y a longtemps à cette objection. Hélas ! Le monde ne se plaint pas de ce que l'on parle presque toujours de la terre : car si vous y prenez garde, presque tout l'entretien des compagnies n'est que des choses sensibles. La terre, les hommes, les plaisirs et les biens de ce monde sont presque toute l'occupation des esprits et des cœurs, et ensuite toute la matière de leurs discours et de leurs écrits.

 

Considérez un peu sérieusement combien il y en a peu dans une ville qui s'entretiennent de Dieu, et des chères voies qui conduisent à sa bienheureuse possession, comme de la pauvreté, de la chasteté, de la mortification et du renoncement à soi-même ; combien de lettres écrit-on tous les jours dans toutes les parties du monde ; et n'est-il pas vrai que presque toutes ces lettres ne regardent que les affaires de la terre ? Ce sont des lettres pour des procès, pour des rentes, pour des fermes, pour de l'argent, pour s'établir en ce monde, pour se soutenir parmi les créatures, pour en avoir l'amitié et l'estime, pour en détourner les mépris et l'éloignement, pour l'honneur et la gloire de ce chétif monde : qui se plaint cependant de toutes ces lettres ? Mais, ô aveuglement et endurcissement épouvantable des créatures ! Ténèbres et duretés qui demandent des larmes de sang ! L’on crie que l'on donne trop d'écrits pour l'amour, l'honneur et l'intérêt de Dieu : ah ! Monde, que ton procédé en toutes choses est abominable ! Je ne veux jamais avoir que des horreurs pour toi, et toutes les aversions imaginables. Je ne me mets donc guère en peine de ce que tu penses et de ce que tu peux penser ou dire ; Dieu seul, Dieu seul. Dieu seul, et il me suffit. Ton estime, ô monde, et ton amitié, aussi bien que tous tes discours, ne méritent pas même que l'on y pense un seul moment, si ce n'est pour les détester ! Si l'on nous dit que dans nos petits discours tout ce qu'il y a de nous est fort méprisable, nous en demeurons d'accord : nous pensons et disons la même chose ; niais c'est ce qui nous fait attendre des grandes bénédictions du ciel ; moins de la créature, et plus de Dieu : mon néant me soutient, et je sais que c'est de rien que Dieu a tiré ses plus grands ouvrages.

 

Me confiant donc uniquement en Jésus seul, et en la protection de sa très sacrée Mère, et aux puissants et charitables secours des saints anges, je consacre ce petit ouvrage à la gloire de ces bienheureux esprits. J'aurais eu envie d'aller de ville en ville, de village en village, publiant les bontés des anges, et les motifs qui nous engagent à les aimer. J'aurais eu envie d'en parler à tous les hommes, s'il avait été en mon pouvoir, et de crier partout et dans les places publiques, et en toutes sortes de lieux : à l'amour et à la dévotion des anges ! Mais au moins, puisque cela ne m'est pas possible, je fais imprimer ces feuilles afin qu'elles suppléent à ma voix, et soient portées où je ne puis me faire entendre, afin que ne pouvant pas grand' chose, et pour parler plus véritablement, ne pouvant rien du tout, au moins je fasse ce que je pourrai faire en la vertu de la grâce, pour donner aux cœurs des hommes de l'amour pour les chœurs angéliques.

 

Autrefois le divin Chrysostome, considérant la misère du monde, témoignait souhaiter que ces paroles de l'Ecclésiaste (I, 2) : Vanité des vanités, et toutes choses ne sont que vanité, qui en marquent puissamment le néant, fussent écrites en gros caractères dans les places publiques, sur les portes des villes et des maisons, et en toutes sortes de lieux. Et moi je voudrais que ces paroles du grand saint Léon Pape : Confirmate amicitias cum sanctis angelis, faites des amitiés avec les saints anges, parussent en toutes les avenues des villes et villages, en toutes nos églises, dans toutes les chambres et cabinets ; que partout il y eût des personnes dont le grand soin fût de les dire et redire ; que tous les prédicateurs ne fissent jamais aucun sermon sans les publier fortement, et qu'elles fussent toujours insinuées dans les entretiens particuliers.

 

Qu'on fasse tout ce que l'on pourra, Jamais nous ne nous acquitterons dignement de nos devoirs envers ces aimables esprits. De là vient que les saints Pères n'oublient rien pour nous porter à les honorer et aimer. Tantôt ils nous pressent de les aimer saintement, de faire de belles amitiés avec eux, de nous rendre leur conversation familière ; tantôt ils nous exhortent à leur rendre nos respects, et à les honorer autant que nous le pourrons. Quelquefois ils nous disent que nous ne nous oubliions pas de leur présence, que nous soyons soigneux de les regarder, de penser à eux, de les entretenir ; et d'autres fois, que nous ayons toutes les reconnaissances possibles pour leurs bontés, et que le souvenir ne s'en efface jamais de nos mémoires. Enfin ils disent tout, et font tout pour nous animer à une dévotion si juste.

 

Le céleste saint Denis, qui en a écrit si amoureusement, prend plaisir à prendre la qualité de Philange, c'est-à-dire, de l'ami des anges. Cet homme de Dieu, contemporain des apôtres, et disciple du grand Apôtre, tout plein de l'esprit apostolique, et tout plein de l'amour des anges, les apôtres du ciel, et les coadjuteurs des hommes apostoliques de la terre, pour nous marquer, et à toute la postérité, son zèle pour ces admirables intelligences, prend publiquement la qualité de leur ami, et la met dans ses écrits, afin que tout le monde le sache.

 

Qu'un chacun porte son envie où il voudra : mais pour moi, s'il y a au monde qualité qui doive être désirée à mon goût, c'est celle de philange, d'ami des anges. Ô qualité préférable à celle de monarque et de souverain ! Ô qualité plus précieuse que l'or, la topaze et toutes les pierreries de l'univers ! Y a-t-il quelque chose qu'on ne doive faire et souffrir pour posséder une qualité si glorieuse ? Ô aimables esprits ! Ma plus grande ambition sera toujours d'avoir le très grand honneur de votre sainte amitié. Je vous aime et vous veux aimer ; mais faites que je vous aime davantage. Je n'ai rien qui me soit plus considérable que mon cœur ; je vous le donne, et le mets entre vos mains, pour en être les gouverneurs, pour le donner au pur amour ; afin qu'il aime avec vous, et qu'il n'aime que ce que vous aimez et comme vous aimez, Dieu seul. Je n'ai rien de plus précieux que ma vie ; je la consacre à votre gloire, et je m'estimerais trop heureux de la perdre pour votre honneur en l'honneur de Dieu : au moins tous les moments en sont dédiés à Dieu pour votre gloire : sans cesse je désire vous louer à la vie, à la mort, après la mort. Je n'ai rien de plus étendu que mes désirs. Ah ! ils sont tous à vous, et il me prendrait envie que toute la terre résonnât de vos louanges, que partout il y eût des temples, et dans tous les temples des autels qui vous fussent consacrés ; partout des congrégations, des processions fondées, des sermons, des prédicateurs gagés, des plumes employées à votre service ; que partout vos images parussent ; partout il y eût des solennités établies, des offices composés en votre honneur ; qu'il y eût de saintes unions de personnes qui fissent profession de vous faire connaître, de faire remarquer votre aimable présence, de vous faire saluer, et qui n'eussent d'autres plus grands soins que de parler de vous, et de dire à tout le monde qu'il faut vous aimer, et aimer Dieu seul en vous, qui est le grand tout, qui doit être uniquement considéré en toutes choses.

 

Mais puisque ces choses surpassent mon pouvoir, je ferai au moins tout ce que je pourrai. Au moins, dirai-je par ces feuilles que vous êtes les tout aimables, les très aimants ; et hélas ! bien peu aimés. Je crierai à tous ceux qui les liront : À l'amour et à la dévotion des anges ! Ô hommes ! Aimez les anges ; ce sont les amis fidèles par excellence, des avocats, des protecteurs très puissants, des maîtres très sages, des pères, des frères tout remplis d'amour pour nous. Ils sont les patrons, les protecteurs, les avocats de toutes sortes de personnes, d'états et de conditions. Aimez les anges, hommes apostoliques ; ce sont les divins missionnaires du paradis. Aimez les anges, prédicateurs, docteurs ; ce sont les savants de la science du ciel et de la belle éloquence de l'éternité. Aimez les anges, vous qui êtes les prêtres dit Seigneur ; c'est par leurs mains que le sacrifice est offert à la majesté de Dieu. Aimez les anges, vous qui êtes retirés dans les cloîtres, ou qui vivez dans la solitude ; ces esprits admirables sont toujours retirés en Dieu et n'en perdent jamais la vue. Aimez les anges, vous qui paraissez en public, qui vivez parmi le monde ; ces pures intelligences y demeurent avec vous. Aimez les anges, personnes mariées ; l'exemple du saint archange Raphaël, qui conduisait Tobie, fait voir d'une manière admirable les soins qu'ils prennent de votre état. Aimez les anges, veuves et orphelins ; ce sont les nonpareils dans les charitables secours qu'ils rendent aux personnes qui en ont quelque besoin. Aimez les anges, ô vierges, ô vierges, encore une fois, aimez avec ferveur les anges ; ce sont les grands amis de la virginité ; ils en sont même les admirateurs, voyant dans des vaisseaux fragiles un trésor si précieux, et des créatures faibles vivre en la terre comme ils vivent au ciel. Aimez les anges, personnes justes ; ce sont les guides de la sainteté. Aimez les anges, pécheurs ; ils sont pour vous un asile assuré. Aimez les anges, personnes affligées, pauvres, misérables ; ils sont la consolation et le refuge de tous les malheureux. Aimez les anges, riches, puissants, grands du monde ; ce sont ces divines clartés qui vous feront voir que tout ce qui passe est méprisable, et qu'il ne faut soupirer qu'après la bienheureuse éternité. Mais aimez, ô hommes, les séraphins ; ce sont les princes du pur amour. Aimez les chérubins, ce sont les grands docteurs de la science des saints. Aimez les trônes, ce sont les patrons du véritable repos de l`âme, et de la tranquille paix du cœur. Aimez les dominations ; ils vous apprendront à devenir les maîtres de vous-mêmes et de toutes choses, vous élevant au-dessus de tout l'être créé par une union intime au Créateur. Aimez les vertus, ce sont les maîtres des voies de la sainte perfection. Aimez les puissances, ils sont vos défenseurs contre la malice, la rage et le pouvoir des démons. Aimez les principautés, ce sont eux qui prennent des soins si grands du bien des monarchies, des États, et de ceux qui gouvernent. Aimez les archanges, ce sont les zélateurs du bien commun, et l'on en reçoit mille et mille bénédictions dans les provinces, dans les villes, dans les villages et dans toutes sortes de pays. Aimez, enfin, les anges du dernier chœur, ce sont des astres dont nous ressentons plus souvent les célestes influences, étant plus proches de nous, et veillant sur le bien de tous les hommes en particulier avec un amour et des soins inexplicables. N'ayons plus que des amours du feu pour ces pures flammes de l'empyrée, et ne cessons jamais d'aimer ceux qui ne se lassent jamais de nous bien faire et de nous combler de toutes sortes de grâces.

 

Mais, ô mon Dieu, bénissez tous les dévots de vos saints anges, tous ceux qui, en lisant ces pages, prendront de véritables résolutions de se consacrer à leur dévotion. Bénissez-les de la bénédiction des justes, les faisant marcher par les voies droites qui conduisent à vous, et les tirant des voies obliques des pécheurs. Bénissez-les de la bénédiction d'Abraham, leur donnant l'esprit de sacrifice, de victime et d'hostie. Bénissez-les de la bénédiction d'Isaac, les mettant dans l'obéissance et l'assujettissement à toutes vos divines volontés. Bénissez-les de la bénédiction de Jacob, leur découvrant les mystères de la sainte religion, Bénissez-les de la bénédiction des élus, leur faisant entendre ces douces paroles : Venez, les bien-aimés de mon Père, posséder le royaume qui vous est préparé dès le commencement du monde. (Matth. XXV, 34) Bénissez-les de la bénédiction de ces célestes esprits, les mettant dans leur compagnie, et les faisant jouir de leur bonheur. Grande et auguste reine du paradis, bénissez-les de votre charitable protection, afin qu'étant tous unis dans les mêmes desseins du seul intérêt de Dieu seul, Dieu seul vive et règne dans tous nos cœurs, dans les siècles des siècles.