CHAPITRE VIII
La dévotion de la sainte Vierge est prouvée
par les saints Pères,
l'autorité des conciles, l'usage de l'Église
et la conduite de Dieu même
Ce n'est pas une chose nouvelle que la dévotion à l'immaculée Mère de Dieu ; elle est aussi ancienne que le christianisme, et les saints Pères enseignent qu'elle l'a même précédé, disant que la glorieuse Vierge a été le sujet des désirs et des soupirs des patriarches et des prophètes. Les religieux du sacré ordre du Carmel tiennent par tradition que leur Père, saint Elie, en a eu une connaissance très claire, que le mystère même de son Immaculée Conception lui fut révélé, qu'il en inspira la dévotion aux enfants des prophètes ses successeurs, et que, dès ce temps-là, tant de siècles auparavant la venue de Notre-Seigneur, le Carmel a commencé de révérer avec de grands honneurs celle qui en devait être la dame patronne. L'on rapporte aussi que le prophète Jérémie en a eu les lumières très grandes, et qu'il en fit faire même une image que l'on garde encore aujourd'hui, et que la célèbre église de Notre-Dame du Puy prétend avoir en sa possession. L'Histoire de Chartres nous apprend que les druides honoraient longtemps auparavant l'incarnation du Verbe, sa très pure Mère ; qu'ils en avaient fait faire une image avec cette inscription : À la Vierge qui doit enfanter. L'on tient que c'est encore la même image qui est gardée avec tant de respect en la chapelle de Notre-Dame de Chartres, un des lieux les plus dévots de notre France. Mais ce qui est admirable, c'est que Dieu faisait plusieurs miracles à l'occasion de l'image de la Vierge qui devait enfanter, lorsque même elle n'était pas encore, et parmi les ténèbres d'un peuple si peu éclairé. Ces théologiens, qui estiment que Dieu non seulement fit connaitre aux anges le dessein de l'incarnation du Verbe, mais encore la Vierge qu'il devait prendre pour sa Mère, enseignent ensuite que les bons anges s'étant soumis aux ordres de Dieu, et à la Vierge qu'il leur donnait pour souveraine, à raison de sa maternité, et, au contraire, les mauvais anges n'ayant pu souffrir qu'une pure créature fût élevée au-dessus de leur nature angélique, l'on peut soutenir que la soumission que les bons lui ont rendue a été une occasion de leur félicité, comme le défaut de respect une occasion de la perte des esprits rebelles. Ainsi l'on peut dire que, dès l'origine du monde, et dans le ciel même, la dévotion de la sainte Vierge, en quelque manière, a eu son commencement.
Les premiers Chrétiens avaient une dévotion si grande pour cette digne Mère du grand roi Jésus, qu'ils venaient à Jérusalem des lieux les plus éloignés pour avoir le bonheur de la voir ; mais, comme plusieurs ne pouvaient pas faire un si long voyage, quoiqu'ils en eussent un très grand désir, saint Luc fit divers tableaux de la sainte Vierge pour satisfaire à leur dévotion. Saint Pierre, prince des apôtres et le chef de tous les premiers Chrétiens, consacra une chapelle à Tortose en son honneur. Albert le Grand estime que le disciple très-aimant, saint Jean l'évangéliste, parmi les hauts mystères qu'il a proposés en son Apocalypse, a eu un dessein particulier d'y faire voir, sous diverses figures et emblèmes, les excellences et grandeurs de sa très chère Mère ; et que ce qu'il a dit de ce trône admirable de Dieu, de cet autel mystérieux de cette princesse revêtue d'un soleil et couronnée d'étoiles, se doit entendre de Marie mère de Jésus-Christ. Aussi, quoique tous les saints apôtres, comme parle saint Ildephonse, lui aient porté un singulier respect, et qu'ils lui aient rendu toutes sortes de devoirs, néanmoins saint Jean l'a chérie et honorée jusqu'à la fin de sa vie plus spécialement que les autres. C'était ce saint, comme son enfant bien-aimé, qui introduisait les fidèles en sa présence : c'est ce que nous assure de lui-même le glorieux saint Denis par ces paroles : « Saint Jean, le prince des évangélistes et prophètes, qui, vivant sur la terre, reluit comme un soleil dans les cieux, m'ayant conduit en la présence de cette incomparable Vierge, je me sentis environné extérieurement, et pénétré intérieurement d'une lumière si admirable, et comblé d'une telle douceur et suavité, que mon corps ni mon esprit ne pouvaient supporter une telle félicité, de telle sorte que je suis presque tombé en défaillance. J'atteste Dieu, qui était présent en cette Vierge, que, si la doctrine ne m'eût assuré du contraire, je l'eusse prise pour une divinité revêtue d'un corps mortel. »
Saint Grégoire Thaumaturge ayant été instruit de saint Jean l'Évangéliste par le commandement de la Mère de Dieu, qui lui parurent tous deux au milieu d'une grande gloire en sa chambre, sur la diversité des opinions qui pour lors troublaient la tranquillité de l'Église touchant ce qu'il devait croire, il ne faut pas s'étonner s'il a témoigné tant de reconnaissance envers sa chère bienfaitrice, invitant toute l'Église aux sentiments de vénération pour une si grande princesse ; et il déclare, en son second discours de l'Annonciation, que tous ceux qui auront une dévotion sincère vers la sainte Vierge, et qui aimeront son incomparable pureté et sainteté, jouiront d'une grâce angélique, et que c'est par elle que la très sainte et consubstantielle Trinité est comme dans le monde. Saint Basile, en sa liturgie, ordonne qu'un prêtre et un diacre, auparavant que l'évêque sorte de la sacristie, le précède comme ses hérauts, et que le diacre parlant au peuple s'écrie à haute voix : Souvenons-nous de la très sainte et immaculée Vierge Marie, Mère de Dieu, notre souveraine dame.
Saint Ambroise (De virginib., 1. II) propose la sainte Vierge à toutes les personnes qui se veulent consacrer à Dieu, comme un très parfait original de toutes les vertus ; et il dit, en un autre lieu, qu'elle avait une grâce si abondante et si admirable, que non-seulement sa virginité était en assurance parmi les plus insolents, mais que même elle inspirait par ses sacrés regards l'amour de la pureté à ceux sur qui elle portait ses yeux. La grande confiance que ce Père avait en sa protection, lui a fait implorer l'assistance de ses intercessions en divers endroits de ses ouvrages. Mais si la qualité de mère demande toute sorte de devoirs et imprime dans les curs toutes les plus douces tendresses de l'amour, saint Augustin invitant les fidèles à la considérer comme leur bonne mère, il voulait qu'ils eussent pour elle tous les sentiments d'une cordiale dévotion. Elle est la mère, dit cet excellent docteur, dans le livre De la sainte virginité, de tous les membres de Jésus-Christ, c'est-à-dire tous les Chrétiens, d'autant que par son incomparable charité elle a coopéré d'une manière très excellente à ce que les fidèles prissent naissance dans l'Église. Saint Ildefonse, traitant de la virginité de notre glorieuse Dame déclare qu'il désire avec fidélité d'être serviteur de la Mère, pour avoir l'honneur d'être un dévot serviteur du Fils.
Saint Jean Damascène, au discours premier De la mort de la Mère de Dieu, déclare qu'il attache à ses pieds sacrés, son âme comme une ancre très ferme, et qu'il lui dédie et consacre son esprit, son âme et son corps, et enfin tout ce qu'il est. Saint Bonaventure, sur ces paroles du Psaume (CXXXII, 2), Sicut oculi ancillae, enseigne que toutes les âmes fidèles sont les servantes de l'auguste Reine du paradis et même de toute l'Église universelle. « Les yeux de cette servante », s'écrie-t-il, « doivent toujours être aux mains de sa maîtresse, parce que les yeux de toute l'Église doivent toujours regarder les mains de Marie : c'est par les mains de cette Dame que nous possédons tout le bien que nous avons. » Et il cite saint Bernard en témoignage de la vérité qu'il avance, qui soutient que Dieu ne fait aucun bien aux hommes, qu'il ne passe par les mains de la très pure Vierge. « Nous devons, dit Richard de Saint-Laurens, au livre second des Louanges de la Vierge, nous attacher inviolablement à son saint service ; c'est un conseil sans erreur, de nous lier à ses chaines, et de tourner toutes les pensées et désirs de nos curs vers elle. »
Saint Bernard, dont la langue et la plume ne font que couler le miel et le lait d'une dévotion remplie de toutes les tendresses qu'un amour sacré peut donner, se surpasse soi-même et est tout triomphant quand il parle de sa bonne Mère ; aussi dit-il qu'il n'y a rien qui lui ravisse tant le cur, que quand il s'agit de traiter de ses louanges. C'est pour ce sujet, que ne trouvant aucun moment libre pendant la journée à causes de continuelles occupations, il se retranchait une partie du peu de temps qu'il donnait la nuit au repos, pour pouvoir écrire de ses grandeurs, n'ayant rien de plus cher ni de plus doux que de penser tout à son aise à Marie, le digne objet de ses plus tendres affections. Tantôt donc il dit que ses grandeurs sont inouïes, et que pouvant appeler Dieu son fils, nul des anges n'oserait parler de la sorte ; que c'est une élévation qui n'a jamais eu ni n'aura jamais sa pareille, d'avoir ce Dieu pour sujet ; que saint Joseph non-seulement selon son sentiment, mais encore celui des saints Pères, s'est voulu retirer d'elle, ne s'estimant pas digne de demeurer avec une si parfaite créature, qu'il ne regardait qu'avec une sainte horreur de la présence de Dieu en elle : tantôt il assure qu'elle n'est pas seulement touchée du feu du divin amour, mais qu'elle en est de tous côtés couverte, environnée, embrasée, et toute consommée en ses flammes ; quelquefois, que son chef aimable et précieux est bien digne d'être couronné d'étoiles, et qui, brillant plus que les astres, leur donne plutôt une nouvelle splendeur qu'il n'en reçoit de leur part ; que la région céleste est devenue plus lumineuse par les irradiations de cet astre virginal ; et d'autrefois, qu'elle est après Jésus, notre médiatrice ; et que si l'on examine bien toute l'histoire évangélique, il n'y a jamais eu en elle la moindre apparence de rigueur ; mais son béni cur a toujours été rempli de douceur, d'amour, de piété et de miséricorde. Elle est faite toute à tous, dit ce dévot saint, elle ouvre à tous le sein de sa miséricorde, afin que tous reçoivent de sa plénitude : le captif y trouve sa rédemption, le malade sa guérison, le triste sa consolation, le pécheur sa rémission, le juste la grâce, l'ange la joie, toute la très-sainte Trinité sa gloire, et la personne du Fils reçoit d'elle la substance de sa chair humaine. Hélas ! Mais que serions-nous sans elle ? Si nous ôtons du ciel cette étoile, que restera-t-il sinon une ombre de mort, une nuit très obscure et fâcheuse ? Ayons donc un amour et une vénération toute singulière pour Marie ; recourons à elle de toutes les affections de nos curs ; car telle est la volonté de celui qui a voulu que nous eussions tout par Marie : que cet aimable nom ne sorte point de notre bouche, et qu'il ne s'éloigne jamais de notre cur. Saint Bernardin de Sienne, étant grandement fatigué par ses fonctions apostoliques, ne trouvait rien qui lui récréât l'esprit plus agréablement que quelque lieu solitaire où il pût penser à loisir à sa chère maîtresse, et donner une liberté tout entière à son cur de soupirer tout à l'aise en son amoureuse présence. Saint Anselme publie que l'honneur de la servir est quelque chose de plus glorieux que de commander aux nations et d'avoir l'empire du monde.
Mais enfin, qu'un vicaire de Jésus-Christ parle, c'est-à-dire celui de la bouche duquel Dieu se sert pour nous enseigner ses vérités. C'est le saint Pape Grégoire VII, honoré de miracles après sa mort, en une lettre qu'il adresse à la princesse Mathilde, dont il prenait un soin particulier pour les services qu'elle avait rendus à l'Église contre les schismatiques. Le moyen qu'il lui donne pour son salut est d'avoir une dévotion spéciale à la sainte Vierge, et lui assure que l'avant mise sous sa protection, il l'y met encore, et qu'il ne désistera jamais de l'y mettre.
Les conciles généraux nous peuvent apprendre les véritables sentiments de l'Église touchant l'honneur qui est dû à la très sainte Vierge ; mais particulièrement celui d'Éphèse, qui est le troisième concile général, et l'un des quatre que saint Grégoire le Grand respectait comme les quatre évangélistes. Il est bien difficile d'entendre ce qui se passa en ce temps-là pour la défense de l'honneur de notre aimable Souveraine sans être sensiblement touché, à peine peut-on contenir les larmes qu'une sainte joie donne. Pour moi, j'avoue que je n'y puis penser sans en avoir le cur puissamment attendri : je suis témoin des mouvements extraordinaires de joie et de tendresse qui ont paru dans les curs de personnes qui composaient de saintes assemblées où l'on prêchait l'histoire de ce concile, concile sacré à qui l'Esprit de Dieu donna une force admirable contre les ennemis de la Mère de Dieu, et un zèle indicible pour soutenir ses divins intérêts.
Ce qui suit est en partie tiré de l'excellent Livre de la dévotion à la sainte Vierge, composé par Mgr Abely, évêque de Rodez. L'infâme Nestorius, selon l'ordinaire des hérétiques, se servant de ruses diaboliques pour ôter à la sainte Vierge la qualité de Mère de Dieu, de prime-abord il déguisait ses desseins, et se servant du même mot que les catholiques, il transposait un accent, dont la transposition changeait entièrement le sens du terme ; car de la façon qu'il le mettait, il voulait dire Marie, fille de Dieu, au lieu de Marie, mère de Dieu. De plus, voulant connaître si sa doctrine trouverait quelque lieu dans les esprits des peuples, si une fois elle leur était ouvertement prêchée, il se servit d'un prêtre qui était son confident, nommé Anastase, pour la publier en ses sermons. Il tâche de surprendre les magistrats, il gagne par ses libéralités les officiers de l'empereur, il compose plusieurs traités et cahiers volants remplis de faussetés et d'artifices, et néanmoins les colore d'un spécieux prétexte de soutenir la vérité et de défendre l'honneur de Dieu, il les fait répandre en diverses provinces par ses émissaires, et en envoie particulièrement aux solitaires et monastères qui florissaient en sainteté, se persuadant que s'il pouvait les séduire, la réputation de leur vertu en attirerait plusieurs à son parti.
Mais à même temps que le malheureux Anastase eut prêché en la grande église de Constantinople, que Marie n'était pas mère de Dieu, tous les assistants furent saisis d'horreur ; il leur semblait entendre non la voix d'un homme, mais celle d'un démon ; un murmure s'élève, tout le peuple s'écrie, et demande justice au patriarche Nestorius, qui tâche par ses artifices d'apaiser les esprits ; mais ayant fait monter en chaire l'évêque Dorothée, qui prononça publiquement que la qualité de mère de Dieu n'était pas due à la très sainte Vierge, et Nestorius ayant déclaré qu'il avait parlé par ses ordres, c'est une chose bien remarquable que la consternation du peuple de cette grande ville. Il sort de l'église, court par les rues, met l'alarme partout, crie contre Nestorius et ses suppôts. Tout ce grand peuple était tellement indigné du blasphème qui avait été prononcé contre leur glorieuse Dame, qu'il faisait tout et n'oubliait rien pour y apporter quelque remède. L'on vit pour lors sortir de leurs retraites de vénérables vieillards qui avaient blanchi dans leurs solitudes, et paraître au milieu des troupes nombreuses de la grande ville de Constantinople pour se jeter aux pieds du patriarche, et lui présenter leurs requêtes ; mais cet impie après avoir tâché de surprendre leur simplicité par ses artifices, et voyant leur fermeté en la vraie foi, les fait mener en prison par ses satellites, et leur fait souffrir quantité de tourments. Pour lors on vit non-seulement les solitaires, mais plusieurs ecclésiastiques, plusieurs laïques être battus à coup de soufflets, souffrir des affronts ignominieux pour la querelle de la très pure Vierge ; on vit les cachots remplis de ces illustres confesseurs de l'honneur de la Mère de Dieu, qui mettaient toute leur gloire en leurs chaines, et surabondaient de joie au milieu de leurs fers.
Cependant, saint Cyrille, un des plus zélés dévots de la mère de Dieu qui fut jamais, que les fidèles serviteurs de Marie doivent prendre pour un des plus grands saints de leur dévotion (l'ordre des Carmes en fait la fête le 28e jour de janvier), fit tant par ses instances envers le Pape et l'empereur qu'un concile général fut convoqué en la ville d'Éphèse, en la grande église dédiée sous le nom de la très sainte Vierge, où les Pères du concile étant demeurés toute la journée, leur zèle les portant à travailler incessamment pour une affaire de telle conséquence, il n'est pas possible d'exprimer la ferveur que le peuple fit paraître pour sa sainte patronne. Depuis le matin jusqu'au soir il attendait aux portes de l'église toutes les autres occupations cessèrent, les boutiques demeurèrent fermées : tout ce bon peuple, oubliant ses nécessités, ne pensait qu'aux intérêts de la très sainte Vierge, qu'il respectait avec une dévotion particulière, ayant pendant sa vie honoré la ville d'Éphèse de sa présence, y ayant fait quelque séjour avec saint Jean le disciple bien-aimé de Jésus-Christ. Enfin, la nuit étant arrivée, et les portes de l'église étant ouverte, le grand Cyrille, légat du Saint-Siège, parut à la tête de plus de deux cents évêques, et fit lire publiquement la sentence de condamnation contre l'impie Nestorius. « Nous avons, disait ce saint patriarche, condamné ce nouveau Judas, nous l'avons privé de tout grade et dignité ecclésiastique. » À ces paroles l'on entendit de grands cris de joie et d'allégresse, dont l'on commença de faire retentir les airs de toutes parts. L'on criait : L'ennemi de la Vierge est terrassé, vive la grande, l'auguste, et toujours victorieuse Mère de Dieu. L'on prononçait toute sorte d'exécrations contre Nestorius, l'on donnait mille bénédictions au glorieux Cyrille et à tous les autres prélats ; l'on conduisit les Pères en leurs maisons avec des flambeaux, et les dames faisaient brûler des parfums dans les rues par où ils devaient passer. On alluma des feux de joie ; partout on ne parlait que des victoires de la Mère de Dieu ; c'était le sujet de tous les entretiens, et il semblait quune nouvelle vie eût été rendue à ce peuple, qui estimait linjure faite à la Mère de Dieu pire que la mort même. Les saints abbés et ermites sortirent de leurs cellules, et entre autres le célèbre moine Dalmatius, qui depuis quarante-huit ans était enfermé dans son monastère, y alla avec les autres par un ordre même exprès qui lui fut donné du ciel, et tous chantaient des hymnes et cantiques en action de grâces du jugement du concile. L'on peut dire que jamais décret de l'Église n'a été reçu avec tant de joie.
Comme la superbe des hérétiques s'augmente toujours, Nestorius au lieu de se soumettre au concile, en fait intercepter les lettres, pour empêcher qu'on ne sût dans Constantinople ce qui s'y était passé, et en même temps écrit à l'empereur contre les Pères, et très particulièrement contre saint Cyrille ; et pour mieux couvrir sa perfidie, il proteste qu'il veut garder inviolablement les décrets du concile de Nicée, puis se plaint d'avoir été malicieusement condamné par quelques évêques portés de haine et d'envie, en un concile que l'on avait tenu contre les formes ordinaires, sans lui donner aucun temps pour se justifier.
L'empereur, ayant été surpris de la sorte, envoie un de ses principaux seigneurs à Éphèse, qui fit arrêter saint Cyrille, et le vénérable Memnon, évêque de cette ville d'Éphèse, qui se crurent bienheureux de se voir en prison pour la cause de celle qui nous a tous tirés de la captivité de l'enfer. Cependant les Pères, voyant toutes les avenues fermées par les soldats qui soutenaient Nestorius, chargèrent un fidèle catholique de leurs lettres qui, pour n'être découvert, se déguise en pauvre et met toutes ses dépêches dans un bâton creusé, et ainsi arrive heureusement à Constantinople ; Ces lettres ayant découvert les impostures de l'hérésiarque, l'empereur ordonna que tout ce qui avait été résolu dans le concile serait exécuté, et fit un édit par lequel, pour abolir entièrement la mémoire honteuse de ce malheureux, il commanda que le nom de Nestorius serait effacé de tous les livres, et que quand on parlerait de ses sectateurs, on ne les appellerait pas nestoriens, mais simoniens. Il ne fut plus permis de lire ou retenir ses livres ; et, après avoir été banni dans les déserts de l'Afrique, sa langue fut rongée des vers, et la terre s'ouvrit sous ses pieds, pour l'abimer tout vivant dans les enfers.
Le bienheureux Pape Célestin, comblé de joie et de consolation d'avoir vu sous son autorité ces saints prélats condamner ce monstre, leur en écrivit une lettre pour se conjouir avec eux, comme aussi à l'empereur, au clergé et au peuple de Constantinople, pour les exhorter de persévérer en la défense et confession des vérités qui avaient été déterminées par le concile. Pour ce qui est de saint Cyrille, il ne se peut dire avec combien de larmes de joie il fut reçu en sa ville d'Alexandrie, où ayant fait prêcher le jour de la naissance de Notre-Seigneur un évêque, qui prononça que le véritable Emmanuel avait été enfanté par la très sainte Vierge Marie mère de Dieu, tout le peuple qui avait été jusqu'alors dans le silence, poussa de grands cris, disant : Voilà quelle est la véritable foi, c'est là le vrai don de Dieu. Ô grand Cyrille ! Nous souhaitions entendre cette parole : que celui qui ne parle point de la sorte, soit anathème. Et ce bon évêque continuant sa prédication, comme il eut dans la suite du discours réitéré ces paroles, la Vierge mère de Dieu, le peuple pour la seconde fois fit de grands cris, se réjouissant les larmes aux yeux de ce que ce prélat parlait ainsi.
Je ne sais, après cela, comme il se trouve des personnes qui, se disant catholiques, tâchent de diminuer la dévotion de la Mère de Dieu, comme si elle était contraire au premier esprit du christianisme ; ou si elles n'ont pas assez de hardiesse pour s'y opposer ouvertement, prétendent que l'on y est trop appliqué. Ô mon Dieu ! S'il y a quelque plainte à faire, c'est de nos insensibilités : car nous pouvons dire avec bien de la justice, que nos plus grandes ardeurs pour la Mère de Dieu ne sont que des glaces, comparées à la fervente dévotion de la sacrée Vierge des Chrétiens des premiers siècles. Que ceux qui avancent témérairement que les louanges sont excessives que l'on donne en nos temps à cette reine des anges, et que les expressions sont trop fortes que l'on fait de ses grandeurs, entendent les sentiments d'un concile parlant par la bouche de celui qui y présidait, le grand saint Cyrille. C'est par vous, dit le bienheureux patriarche parlant devant tous les Pères, et adressant ces paroles à la divine Marie, c'est par vous que la très sainte Trinité est adorée et glorifiée ; c'est par vous que le ciel est rempli d'allégresse et que les anges et les archanges se réjouissent ; c'est par vous que les démons sont mis en déroute, et que notre chute est réparée et l'entrée du ciel ouverte aux hommes, c'est par votre entremise que ceux qui sont aveuglés par l'idolâtrie, parviennent à la connaissance de la vérité, et par le moyen de la foi à la grâce du saint baptême ; c'est par votre faveur et assistance que le saint Évangile a été prêché, et l'Église fondée par à toutes les régions de la terre. Après des louanges si sublimes, je laisse à considérer si l'on peut parler d'une manière plus glorieuse de cette sainte cité de Dieu.
Le second concile de Nicée, composé de trois cent cinquante prélats, où les légats du Pape Adrien présidèrent, jugea qu'il était si nécessaire d'établir fortement le culte de la sacrée Vierge, que les Pères qui y étaient assemblés ordonnèrent que plusieurs miracles arrivés en sa faveur seraient insérés dans les actes du concile.
Mais l'Église universelle, qui ne peut avoir que des sentiments légitimes en toutes les pratiques de dévotion qu'elle approuve, que ne fait-elle pas pour témoigner ses respects envers sa glorieuse Dame ? Combien d'églises cathédrales dédiées à Dieu sous son nom par toute la terre ? Et se rencontre-t-il presque aucune église, où il n'y ait une chapelle en son honneur ? Avec combien de religion honore-t-elle tous ses mystères, et tant de fêtes qu'elle a instituées pour sa gloire, et comme si toutes ces solennités n'étaient pas suffisantes pour satisfaire à sa dévotion, elle destine un jour toutes les semaines, c'est à savoir le samedi, qu'elle consacre à sa mémoire. Mais ce qui est de merveilleux, c'est que du jour de la conception du Notre-Seigneur, elle en fait une fête de son immaculée Mère, et l'office et les hymnes du jour sont en l'honneur de cette admirable princesse. Elle appelle le jour de la présentation de notre Sauveur la fête de la Purification de la Vierge, et les hymnes du jour dans le bréviaire romain sont en l'honneur de cette sacrée Vierge. Ce qui est encore de plus étonnant, c'est que le jour de la Circoncision et qui est l'octave de la solennité de la naissance de notre divin Maitre, les antiennes de l'office sont de la Vierge aussi bien que l'oraison du jour, dans laquelle l'Église, pour commencer l'année, demande à Dieu de ressentir les secours de sa puissante protection. Elle commence et finit tous ses offices par ses louanges et par son invocation ; l'on ne publie les vérités de l'Évangile que sous sa faveur ; les sermons se commencent par la Salutation angélique. Combien de confréries et d'associations établies par tout le monde pour l'honorer ?
Enfin, il faut finir la preuve de la dévotion à la sainte Vierge par la conduite de Dieu même. Il est aisé de savoir qu'il n'y a point de royaume ni de province où il ne se rencontre des lieux de dévotion de la Mère de Dieu, honorés de plusieurs miracles : ce qui attire un grand concours de peuples de tous côtés. Or il est certain que n'y ayant que Dieu seul qui puisse faire des miracles, ceux qui s'opèrent en ces saints lieux sont une preuve indubitable que les véritables dévotions qui s'y pratiquent sont un effet de sa divine volonté.
C'est donc une illusion que de blâmer le concours des peuples qui viennent implorer le secours de Dieu au pied des autels de sa glorieuse Mère, sous prétexte que cela pourrait apporter quelque diminution au respect souverain qui est dû à Dieu : car nous l'avons déjà dit plusieurs fois, c'est Dieu qui est honoré en tous les honneurs que l'on rend à la Reine du ciel : et si l'on demande, mais pourquoi plutôt en cette église qu'en une autre ? Pourquoi tant de monde prosterné devant cet autel, pendant qu'il y a peu de personnes devant plusieurs autres ? Je réponds que cela arrive par la conduite de Dieu qui en inspire le mouvement : et si l'on en veut des preuves, je dis que les miracles en sont de si assurées qu'il n'y a pas lieu d'en douter. Si l'on réplique qu'il y aurait plus de raison d'offrir ses prières devant les autels de Notre-Seigneur ; je déclare qu'il n'y a point d'autel de la Vierge qui ne soit un autel de Jésus-Christ, tout ce qui se fait pour la gloire de la Mère ayant pour fin la gloire de son Fils bien-aimé. Si l'on recherche de plus d'où vient que l'on ne s'adresse pas à Dieu immédiatement pour l'ordinaire, la raison en est évidente : c'est parce qu'il a voulu que nous allassions à lui par de certains moyens qu'il nous a donnés, comme par la sainte Vierge. Après tout, que ces personnes opposées à une dévotion si sainte, s'en prennent à Dieu même : car d'où vient que dans un royaume où Dieu opère des miracles en des églises ou chapelles de la sainte Vierge, non-seulement en toutes les provinces, mais presqu'en tous les diocèses, et en plusieurs lieus d'un grand nombre de diocèses, à peine trouvera-t-on quatre ou cinq lieux de dévotion qui soient immédiatement en l'honneur de notre Sauveur, où il fasse ses merveilles ? Ce que nous avons remarqué en l'usage de l'Église universelle est plus que suffisant pour faire voir la solidité de la dévotion des particuliers, soit en la multitude des pratiques bien réglées, soit dans les louanges qu'ils donnent à celle qui ne peut jamais être assez louée. Et de vrai, outre ce que nous avons dit ci-dessus, c'est une chose bien remarquable de voir les titres et éloges que l'Église donne à la sacrée Vierge, et je puis assurer que l'on n'y peut rien ajouter : car que peut-on dire davantage, si l'on veut louer sa pureté, que de l'appeler la virginité même ? et c'est ce que fait l'Eglise.
Peut-on se servir de termes qui marquent davantage la confiance que nous devons avoir en sa bonté que ceux dont l'Église use, l'appelant notre vie, notre douceur, notre espérance ? Peut-on avancer rien de plus glorieux, que de soutenir qu'elle seule a détruit toutes les hérésies dans le monde universel ? et c'est ce que chante l'Église, de cette incomparable reine. Je demande ici ce que ces personnes opposées diraient d'un particulier s'il avait écrit, s'il avait prêché, que non-seulement quelques hérésies, mais toutes les hérésies, non-seulement en une partie du monde, mais dans tout le monde, ont été détruites par la seule Vierge ? Que ces personnes nous disent d'où vient que les prédicateurs au commencement de leurs sermons récitent la Salutation angélique, et non pas l'Oraison dominicale ? Doù vient que le chapelet de la Vierge est la prière commune de presque tous les fidèles, et que la couronne de Notre-Seigneur est une dévotion plus rare ? Doù vient que l'office de la divine Sagesse est récité par bien peu de personnes, pendant que presque tous les séculiers qui sont adonnés à la prière récitent celui de Notre-Dame, et font ce que font les églises au chur quand on fait de la férie : et l'ordre de Saint-Bernard tous les jours, aussi bien que celui des Chartreux en leur particulier, ordres recommandables pour leur singulière piété envers la mère de Dieu, et dont toutes les églises sont dédiées en son honneur ?
Sans doute que des mouvements d'une dévotion si universelle en l'Église, et parmi les fidèles de l'Église, ne peuvent venir que de l'inspiration de l'esprit de Dieu, aussi bien que les sentiments contraires, de l'esprit du démon, qui, craignant extrêmement la puissance de celle qui lui a brisé la tête, et qui lui ravit si souvent tant dâmes, les tirant du péché qui les engage dans sa malheureuse captivité, fait tous ses efforts, et emploie toute sa rage pour en diminuer les respects. Et c'est ce qu'il fait en deux manières : la première, en combattant ouvertement sa dévotion par les hérétiques et impies ; la seconde, en tâchant d'en détourner par d'autres suppôts, qui assurent d'un côté qu'ils n'en veulent pas au culte de la Mère de Dieu, mais qui, d'autre part, le diminuent par leurs artifices, en dissuadant les pratiques qu'une véritable piété en peut inspirer. J'avoue, et j'en demeure d'accord, que lorsqu'il s'y rencontre de la superstition, de l'ignorance, ou quelque autre abus, qu'il faut abolir ces superstitions, qu'il faut instruire les ignorants, qu'il faut découvrir les abus et les détruire. C'est même ce que j'ai tâché de faire en nos campagnes dans les visites que j'ai faites de nos paroisses, et l'on ne peut assez recommander aux pasteurs qu'ils enseignent à leurs peuples la différence du culte qui est dû à Dieu d'avec celui qui est dû à sa virginale Mère, qui, n'étant qu'une pure créature, doit s'humilier en là présence de ses manieurs infinies : et c'est une chose déplorable de voir l'ignorance grossière de grand nombre de ces pauvres gens de la campagne sur ce sujet, et dont les curés rendront un compte terrible au jugement de Dieu ; mais je soutiens qu'il faut bien prendre garde de ne pas ôter la dévotion, sous prétexte des abus qui s'y rencontrent et qu'il faut détruire. Luther, au commencement, ne criait que contre les abus qui se commettaient touchant les indulgences, ensuite il combattit les indulgences mêmes : c'est un piège que les fidèles catholiques doivent éviter. Je dirai ici ce qui m'est arrivé faisant quelques entretiens de piété en une maison religieuse, dont le confesseur me déclara qu'il en avait bien ôté les dévotions de la Vierge, et m'en parlait comme s'il eût fait quelque grand coup pour la gloire de Dieu. Je fus saisi d'étonnement et d'horreur, voyant de mes yeux un dérèglement que j'aurais bien eu de la peine à croire parmi les catholiques. Il faut donc bien prendre garde à ces artifices de l'enfer, et être une bonne fois persuadés que, quelque effort que nous fassions pour honorer la Mère de Dieu, jamais nous ne l'honorons assez : car, hélas ! Que pouvons-nous faire, pauvres créatures que nous sommes ?
Il faut donc avoir une haute estime de sa dévotion, et de toutes les choses, pour petites qu'elles soient, qui peuvent y contribuer : et pour ce sujet il est bon d'avoir ses images, les orner, y faire brûler des cierges, se mettre de ses confréries, solenniser avec des respects particuliers ses fêtes, avoir une dévotion spéciale au samedi, pratiquer des jeûnes et autres mortifications tant intérieures qu'extérieures, avoir et lire de bons livres qui traitent de ses grandeurs, parler et écouter volontiers parler de ses louanges, enfin embrasser avec amour tous les moyens qui peuvent établir ou augmenter sa dévotion, autant que l'ordre de Dieu le demande de nous.