DIEU SEUL

ou

Le saint esclavage de l’admirable Mère de Dieu

 

DEUXIÈME TRAITÉ

 

CHAPITRE PREMIER

Avoir une affection singulière

à tout ce qui regarde le service de la Mère de Dieu

 

 

Saint Ildefonse, parlant de sa divine maîtresse, assure qu'elle a été presque toute changée dans le divin amour. Comme nous voyons, dit ce saint, que le feu pénètre le fer, de même le Saint-Esprit a tout pénétré et consumé la divine Marie dans les vives flammes de son pur amour ; en sorte qu'on ne voyait en elle que les feux adorables de cet amour-Dieu. Une maîtresse si aimante demande des serviteurs et des esclaves qui aiment, et en vérité je ne sais pas comment il est possible d'avoir un cœur, et ne la pas aimer : Je ne comprends pas comme il y a des hommes insensibles, pour n'être pas touchés de la chaste dilection d'une princesse si aimable. Disons ici qu'il faut ou n'avoir plus de cœur, ou l'aimer ; mais disons qu'il faut être tout de cœur pour l'aimer.

 

Or celui qui aura un véritable amour pour la très sacrée Vierge, ne manquera jamais de zèle pour tout ce qui regarde son honneur et sa gloire : et c'est ce zèle que nous donnons pour première pratique à ses fidèles esclaves, qui non-seulement doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour les intérêts de leur glorieuse dame ; mais encore ils doivent respecter et chérir tout ce que l'esprit de Dieu inspire aux autres touchant le culte d'une si auguste reine. Il faut grandement honorer toutes ses confréries et congrégations, toutes les dévotions réglées qui se pratiquent en son honneur, les chapelles et autels, ses images en quelques lieux qu'elles soient ; toutes les choses qui servent à sa dévotion, comme les chapelets, les scapulaires, les livres qui traitent de ses louanges, les ordres qui lui sont spécialement dédiés, les personnes qui font une profession particulière de la servir. Ceux qui aiment véritablement la mère du bel amour n'ont pas besoin de preuves pour les convaincre sur ce sujet, ni de motifs pour les porter à une chose si juste : le chaste amour de leur aimable reine donne assez de lumières à leurs esprits, et assez de flammes à leurs bons cœurs : il ne faut qu'aimer pour entendre ce que je dis ; et s'il se trouve des esprits peu éclairés sur cette matière, il n'y a pas à douter qu'il leur tient au cœur. L'on a vu l'un de ses plus dévots esclaves, le grand cardinal de Burelle, s'élever sur ses pieds avec ardeur, et hausser le bras autant qu'il pouvait, pour toucher du bout du doigt quelqu'une de ses images. C'était l'amour qui lui inspirait de telles pratiques, qui ne seront jamais bien entendues que par ceux qui aiment. Mais que les esprits superbes, et qui enflés de leurs sciences sont tout plongés dans l'orgueil, blasphémant ce qu'ils ignorent, apprennent des choses insensibles mêmes le respect qui est dû à tout ce qui sert au culte de la Mère de Dieu.

Qu'ils apprennent à respecter ses scapulaires, des feux qui tant de fois n'ont osé les toucher au milieu de leurs flammes, les laissant dans leur entier, quoiqu'ils eussent consumé tout ce qui les environnait. Qu'ils sachent pendant qu'ils invectivent contre cette dévotion, soit en public, soit en particulier, que toute la nature crie pour leur défense la toute puissance de Dieu : se servant de tous les éléments pour opérer de grands miracles en faveur de ceux qui les portent. Les diables tremblent, et sont contraints de s'enfuir à la vue des plus petites choses qui servent à sa dévotion, pendant que quelques personnes se laissent aller dans un tel excès de présomption, qu'elles vont jusqu'à les mépriser. Cette reine du ciel voulu elle-même nous faire connaitre la haute estime que nous devons avoir de ces choses, qui paraissent si peu considérables aux prudents et sages du monde, lorsque, paraissant à un de ses congrénanistes des maisons de la Compagnie de Jésus, elle lui fit une forte correction de ce qu'il avait mal usé d'une plume qui était destinée pour écrire les affaires de la congrégation. Pour moi j'avoue que je ne vois rien de petit, que je trouve tout grand dans le service de ma très chère maîtresse, l'admirable Mère de Dieu. Je préférerais de balayer ses églises et chapelles aux plus éclatants emplois de la terre ; j'aimerais mieux en cueillir la poussière avec ma langue et ma bouche, que d'entrer dans les charges les plus honorables ; je tiendrai toujours à grande gloire de baiser les vestiges de ses serviteurs, et enfin, je n'ai point de plus forte ambition que de vivre l'esclave de ses esclaves : qualité qui me sera toujours plus chère que ma vie, et dont je fais plus d'état que de tout ce qu'il y a de plus glorieux au monde ; et je suis bien aise de dire en face du ciel et de la terre, que ses fers me sont plus agréables que les plus douces libertés : et si l'on me donnait le choix de ressusciter des morts, et de commander à toute la nature, ou bien d'en être chargé, je proteste que je préfèrerais ces chaînes.

 

Ce n'est pas assez au cœur sincèrement zélé de chérir et respecter jusqu'aux moindres choses qui regardent le culte de la Mère de Dieu ; mais de plus on les doit soutenir avec une sainte liberté accompagnée d'une prudence chrétienne, et non pas de celle du monde qu'il faut avoir en horreur en toute sorte de rencontres. Il faut bien parler toujours de toutes les véritables pratiques de sa dévotion et engager les autres doucement à faire le même. L'on doit s'opposer avec sagesse à ceux qui les attaquent, soit ouvertement, soit en des manières cachées par des prétextes spécieux. Non, nous ne devons pas rougir quand il s'agit de soutenir les intérêts de notre glorieuse dame ; ce nous serait trop d'honneur de donner non-seulement nos paroles, d'être exposés à la raillerie, de passer pour esprits faibles, mais encore de répandre jusqu'à la dernière goutte de notre sang pour leur défense. Oh ! Plût à Dieu avoir des millions de vies pour les sacrifier toutes à Dieu seul, pour la gloire de mon aimable princesse ! S'il était nécessaire de passer pour le plus insensé des hommes dans l'esprit de toutes les créatures pour un tout petit brin de sa gloire, je le voudrais de tout mon cœur. Ô ma très bonne Mère ! Ô ma très sainte dame ! Je voudrais que tous les hommes me chargeassent d'ignominies, si vous en étiez un tant soit peu plus glorifiée. Oh ! Que je sois pour le reste de mes jours l'opprobre de la terre, et l'abjection même, s'il y va d'un seul degré de votre gloire ! Que diront ces gens, qui font profession de son service, et qui n’oseraient pas à peine ouvrir la bouche pour défendre ses intérêts dans une compagnie, quand ils paraîtront en sa glorieuse présence ? Le zèle porte encore à se servir de tous les moyens raisonnables pour l'établissement et l'augmentation de sa dévotion, en procurant l'institution de ses confréries aux lieux où elles ne sont pas, ou en y faisant entrer les personnes dans les lieux où elles sont établies, en faisant prêcher de ses grandeurs, en distribuant des livres qui traitent de sa dévotion, ou bien en les lisant ou racontant dans les occasions ce qu'on y a lu, en donnant de ses images et chapelets à ceux qui n'en ont pas, surtout aux pauvres et aux paysans de la campagne, les instruisant à même temps des principes de la religion ; et comme il faut honorer, selon la foi catholique, la glorieuse Mère de Dieu, leur rapportant quelques exemples et histoires authentiques pour les y animer ; leur enseignant quelque dévotion réglée pour tous les jours, et prenant garde quand on donnera quelque aumône corporelle, et particulièrement dans la visite des malades, de s'en servir pour l'établissement de la dévotion de notre bonne maîtresse, comme étant le propre d'un véritable esclave de travailler incessamment pour son auguste dame. Un des plus excellents moyens est de contribuer aux missions, dans la vue d'y faire connaître et aimer Notre-Seigneur Jésus-Christ, et à même temps sa très pure Mère, et particulièrement de coopérer aux missions et séminaires des pays étrangers, pour acquérir des royaumes et empires tout entiers à l'empire de Jésus et de Marie. Les prédicateurs pourront insinuer dans tous leurs sermons quelque motif de son amour, et de temps en temps prendre quelques jours pour en traiter plus au long, et porter tous les cœurs à aimer celle que nous n'aimerons jamais assez. C'était la pratique de saint Bonaventure ; mais comme il vit qu'étant général de son ordre ses grandes occupations ne lui donnaient pas assez de loisir, il ordonna à tous les prédicateurs qui vivaient en la famille de l'humble saint François, de publier souvent les louanges de l'immaculée Mère de Dieu, et leur disait que c'était un des moyens les plus efficaces de retirer les hommes du vice, et les porter à la vertu. Son zèle passa encore plus avant (dit un pieux et savant auteur) car les bouches et les langues des hommes ne contentant pas encore assez son amour, il appela, pour ainsi dire, à son secours des bouches de fer ; des créatures même inanimées, insinuant la sainte pratique de faire sonner les cloches en quelques heures du jour et de la nuit, pour appeler les hommes à rendre leurs respects à la Mère du Créateur de toutes choses.