CHAPITRE II
Avoir une dévotion particulière
à l'immaculée Conception de la très pure Vierge
Si sainte Brigitte, au livre VIe de ses Révélations, déclare que la bienheureuse Vierge lui a manifesté que Dieu avait permis que plusieurs personnes pieuses avaient douté de la vérité de son Immaculée Conception, afin de donner plus de lieu à ses dévots de faire paraître leur zèle en un sujet qui lui était si glorieux, quoique la vérité en fût cachée à quelques-uns qui le révoquaient en doute ; il ny a point à délibérer pour ses esclaves en cette rencontre, qui doivent faire une haute profession de soutenir tout ce qui regarde la gloire de leur bonne maîtresse. Et c'est une maxime enseignée par les plus saints et plus braves théologiens que nous devons accorder à la Mère de Dieu tous les privilèges qui lui peuvent être donnés sans préjudice de la foi. Nous avons dit que le véritable esclave est autant que l'on peut être selon Dieu à la divine Marie : il faut donc qu'il soit pour sa Conception Immaculée, il doit en soutenir hautement la vérité en toutes sortes d'occasions, il doit se déclarer ouvertement et en public et dans le particulier pour ce mystère, qui doit être le sujet de sa dévotion particulière, en faisant la fête avec toute la solennité possible, en s'y préparant par des pratiques spéciales d'une vertu solide, et en l'honorant souvent le long de l'année par les dévotions que l'amour de sa chère mère lui inspirera. Ce n'est pas de merveille, si lorsque l'on considère une personne, on demeure d'accord touchant ses intérêts de toutes les choses où tout le monde ne trouve aucune difficulté ; mais c'est lui rendre des témoignages d'une amitié sincère, de prendre son parti dans une cause fâcheuse, où elle est puissamment combattue. Disons de même, qu'il ne faut pas s'étonner si des catholiques honorent la très sainte Vierge en des mystères qu'ils sont obligés de croire par la foi, s'ils célèbrent des fêtes qui sont reçues des schismatiques même, comme celles de l'Annonciation que les Moscovites solennisent avec des respects tout extraordinaires, quoiqu'ils ne reçoivent pas les autres fêtes des mystères de Notre-Seigneur. Les marques d'un zèle véritable que l'on peut donner, doivent paraître en une matière qui est contestée : et nous devons nous réjouir de la liberté qui nous est accordée, pour avoir lieu de témoigner à notre divine princesse notre bonne volonté. Comme c'est elle qui a détruit toutes les hérésies, selon que le chante l'Église ; c'est le propre des hérétiques de s'opposer aux honneurs qui lui sont rendus par les fidèles. Dans le dernier siècle, le misérable Luther osait bien dire que les fêtes de la très sainte Vierge lui déplaisaient beaucoup ; mais surtout la fête de sa très pure Conception. C'est ce qui doit animer le zèle de ses dévots, dont l'ardeur se doit redoubler par les contradictions de l'enfer et de ses suppôts : aussi voyons-nous que le Saint-Esprit inspire plus que jamais la dévotion de l'Immaculée Conception dans le cur des fidèles.
Le roi catholique Philippe III obtint de Paul V par ses ambassadeurs, qu'il avait envoyés tout exprès, une bulle par laquelle il était défendu de soutenir dans les sermons, leçons, ou autres actes publics, l'opinion contraire à l'Immaculée Conception : mais il n'est pas possible d'exprimer la joie de tout le royaume d'Espagne à la nouvelle de la bulle : il fit une grande fête depuis le 6 d'octobre jusqu'au 8 de décembre, partout l'on faisait des processions solennelles en actions de grâces, ce n'était que feux de joie de tous côtés, c'était une réjouissance publique de toute sorte d'états et de conditions, qui tâchaient de faire paraître à l'envi l'un de l'autre leur amour pour les intérêts de la souveraine du ciel et de la terre. Grand nombre de princes, plusieurs universités, quantité de chapitres, de collèges et de confréries s'obligèrent par vu de ne dire jamais rien de contraire à la vérité de ce privilège de la Mère de Dieu ; mais de le croire inviolablement jusqu'au dernier soupir de leur vie, autant que l'Église le permettait. L'on en institua la confrérie, que Charles-Quint avait déjà fait établir en d'autres lieux, où le roi, les princes et princesses, les ducs, marquis, comtes, et enfin les plus grands du royaume, plusieurs universités, collèges, cent quatre-vingt monastères, et plus de vingt mille hommes ayant donné leur nom, ils firent tous vu de soutenir l'Immaculée Conception ; le roi catholique embrassant cette dévotion avec une telle ferveur qu'il serait allé volontiers à pied à Rome, s'il avait cru pouvoir obtenir quelque chose de plus du Saint-Siège en faveur de ce mystère. Philippe IV, digne héritier du zèle d'un roi si pieux, aussi bien que de ses États, impétra de Grégoire XV, l'an 1622, une bulle par laquelle il était défendu non-seulement, comme en la précédente, de soutenir l'opinion contraire dans les actes publics, mais encore dans les entretiens particuliers : et à présent cette dévotion s'est tellement augmentée en ce royaume catholique que la plupart des prédicateurs commencent leurs sermons par ces saintes paroles : Loué soit à jamais le très saint Sacrement de l'autel et l'Immaculée Conception de la Mère de Dieu.
Il y a déjà longtemps que notre France s'est déclarée pour le glorieux privilège de celle qu'elle reconnaît pour sa puissante protectrice, étant plus que jamais en sa dépendance, à raison du vu et de la donation que lui en a faite le feu roi Louis le Juste, de glorieuse mémoire, renouvelée et confirmée par le roi Louis Dieu-Donné, à présent régnant, et ratifiée et acceptée par tous ses sujets catholiques. Sa plus florissante université n'accorde la qualité de docteur qu'à condition de défendre un privilège si avantageux à la mère de toute la science des saints : et ces années dernières l'on a vu dans la capitale du royaume une maison de saintes religieuses établies par la piété de notre grande reine, qui sont toutes dédiées en l'honneur de la très pure Conception, après la solennité d'une grande fête, suivie d'octave, dans laquelle pendant tous les jours de ladite octave plusieurs princes de l'Église et autres fameux prédicateurs publiaient les grandeurs, aussi bien que la vérité du mystère.
Il est bien difficile d'en douter à celui qui considérera que la très sainte Vierge, si elle n'avait été exempte de péché originel, aurait été sujette du démon : car quelle apparence que celle qui devait briser la tête du serpent infernal en fût l'esclave ? Quelle apparence que celle qui devait triompher avec tant de gloire de enfer, y fût assujettie ? Non, dit un ancien Père, la justice ne permettait pas que ce vaisseau d'élite fût déshonoré par des misères qui sont communes au reste des hommes. Mais peut-on croire, que si dans la terre où il y a si peu d'ordre, les maitres cependant y sont préférés aux valets, les rois à leurs sujets ; que dans le ciel l'on considère davantage les serviteurs, que celle qui en est l'auguste reine ? Si Marie a été sujette au péché originel, il faut dire qu'en cela Adam a eu plus de privilège, et que les anges ont été plus heureux, leur pureté n'ayant jamais été souillée de la moindre tache d'aucun péché. Disons de plus, qu'il y allait de l'honneur de son Fils qu'elle en fût préservée ; parce que comme la gloire des pères descend jusqu'à leurs enfants, de même leur ignominie retourne en quelque manière sur eux. Saint Thomas se sert de cette raison pour prouver que la très sainte Vierge n'a jamais commis aucun péché véniel. Mais si cette preuve est forte à l'égard du péché véniel, elle l'est bien plus à l'égard du péché originel, puisque l'âme par le péché véniel ne sort pas de la grâce et de l'amitié de Dieu, et n'est pas sous la domination du démon : ce qui arrive par le péché originel. Si donc, l'Angélique docteur ne peut souffrir la pensée du plus petit péché véniel en l'âme de la très sainte Vierge, s'il estime que son Fils en aurait été déshonoré, qu'il y allait de ses divins intérêts de ne le pas permettre ; comment pourra-t-on se persuader que cette âme toute sainte ait tombé dans le péché d'origine, qui est un péché mortel, qui prive du paradis et de la grâce ? En vérité la seule idée en donne l'horreur : car serait-il bien possible que Marie, la plus aimée, aussi bien que la pus aimante des créatures, eût été le sujet de la haine de son Fils, eût été le sujet de l'aversion d'un Dieu qui l'avait destiné pour sa Mère ? Serait-il bien possible que le diable pût se vanter de l'avoir eue sous son empire, et de l'avoir détenue captive sous ses fers, et garrottée en ses chaînes ?
Il est vrai qu'il y a eu quelques saints dans des sentiments contraires ; mais c'était dans des temps où ce mystère n'était pas encore assez connu. Ils disaient que la fête qui en était célébrée, n'était pas approuvée des Souverains Pontifes ; ils disaient qu'il n'y avait que des églises particulières qui en faisaient la solennité. Mais ces raisons pourraient-elles aujourd'hui avoir quelque force, puisque la fête est reçue par le Saint-Siège, et de toute l'Église universelle ? De plus, il y a de graves auteurs, et des chroniques d'un grand ordre, qui rapportent que ces saints paraissant visiblement après leur mort, se sont rétractés de leurs opinions, et ont avoué la vérité de la Conception Immaculée.
L'on peut encore remarquer que les oppositions de ces saints n'ont servi qu'à faire paraître avec plus d'éclat la pureté sans tache de la bienheureuse Vierge en sa conception toute sainte : car si l'on objecte que leur autorité est grande, c'est ce qui doit persuader davantage la vérité qu'ils ont impugnée, quoi qu'avec respect, puisque toutes les écoles de théologie ayant tant de déférence pour leur doctrine, si elles ne la suivent pas en quelque matière, c'est une des marques les plus fortes que l'on puisse avoir qu'elle n'est pas vraie.
Mais y a-t-il rien de plus puissant, pour nous convaincre les esprits, que l'inclination générale de l'Église universelle ? Si elle parle du péché originel dans le dernier concile cuménique, elle déclare qu'elle n'y comprend pas lImmaculée Mère de Dieu. Dès les premiers siècles, le grand saint Augustin a enseigné que lorsquil s'agit du péché il ne voulait en aucune façon parler de la bienheureuse Vierge. Et, de vrai, le Saint-Esprit ne lui dit-il pas, dans les Cantiques, qu'elle est toute belle et sans aucune tache ? Et ne pouvons-nous pas assurer avec justice que c'est ce même Esprit qui unit les esprits de presque tous les fidèles, pour conspirer unanimement à la pieuse croyance de cette vérité ? En sorte que, si l'on demande à tous les peuples qui viennent en foule louer le Seigneur en sa sainte Mère par toute la terre habitable, en autant de lieux qu'il y a des églises, le jour de la fête de sa Conception, ce qu'ils viennent honorer en la solennité de ce mystère, sans doute qu'ils répondront qu'ils ont dessein d'honorer la Conception Immaculée de la Mère de Dieu. Et en cette rencontre, toutes les chaires de nos temples retentissant de cette vérité, toute la terre fait comme un écho à toutes les voix qui s'y font entendre, répétant cette vérité, qui s'y publie par autant de bouches qu'il y a de personnes qui les écoutent. Ajoutons à ceci que les souverains pontifes ont approuvé l'office de l'immaculée Conception, qui se fait dans tout l'ordre de Saint-François, non-seulement le jour de la fête, mais tous les samedis de l'année, hors le temps de carême, quand ils ne sont pas empêchés par quelque fête ; qu'il y a des ordres institués en l'honneur de ce mystère, de grandes indulgences accordées à ceux qui y ont une dévotion spéciale.
Davantage le ciel conspire avec la terre pour l'établissement d'une si sainte dévotion, qu'il ne peut autoriser plus efficacement que par le grand nombre de miracles qu'il fait en sa faveur. Le fameux Avila, prédicateur apostolique d'Espagne, qui vivait dans une extrême pauvreté, n'ayant rien et ne possédant rien, quoiqu'il ne fût pas religieux, mais prêtre dans le siècle, annonçant d'une force merveilleuse les vérités de l'Évangile, exhortait tous les fidèles à la dévotion de la toute sainte Conception, et assurait que c'était un singulier moyen pour être délivré de l'impureté, rapportant de grands miracles que Dieu, tout bon, faisait pour soutenir une dévotion si avantageuse à sa très-sainte Mère. Ces miracles continuent tous les jours, et il y a peu d'années qu'il s'en est fait d'admirables. La séraphique Thérèse avait une dévotion très spéciale à ce privilège de la glorieuse Vierge ; et c'est une des plus anciennes dévotions de l'ordre du mont Carmel, qui tient par tradition que la connaissance en avait été donnée par révélation au saint patriarche Elie. Elle le faisait honorer particulièrement tous les samedis par sa communauté ; et elle rapporte qu'un religieux ayant été délivré d'une attache déshonnête qu'il avait pour une malheureuse, qui s'était servie d'un petit portrait qu'elle lui avait donné, où était attaché un maléfice pour le gagner, s'étant défait de ce portrait, elle estime que cette grâce lui a été donnée à raison de la dévotion qu'il portait à l'Immaculée Conception. L'on doit ici remarquer que les maléfices, et tous les démons qui en sont les auteurs, ne peuvent pas forcer la volonté, et que la seule cause du consentement que les hommes donnent au péché par ces maléfices est le mauvais usage de la grâce de Dieu, qui est donnée pour y résister ; le peu de soin que nous avons de nous servir des moyens propres pour ne nous pas laisser vaincre, comme des sacrements, de l'oraison, des veilles, des jeûnes, du recours à la protection de la sainte Vierge et des saints anges ; et enfin notre faiblesse à nous laisser aller à nos inclinations et à ne pas éviter les occasions, et autres choses qui contribuent à notre perte. Le vénérable P. Jean de la Croix, premier Carme déchaussé, et singulièrement dévot à la très pure Conception, après avoir mené une vie toute cachée avec Jésus en Dieu, par l'amour des humiliations et mépris, et s'étant rendu une belle image vivante de l'adorable crucifié en sa vie et en sa mort, a participé à la gloire de sa résurrection, Dieu l'avant honoré de plusieurs miracles ; et il semble que le ciel ait pris plaisir à le faire paraître aux yeux des hommes, après sa mort, à proportion qu'il s'y était voulu caché pendant sa vie, faisant voir des images miraculeuses de différents mystères et de divers saints dans les moindres parcelles de sa chair très pure, pour marquer qu'il avait l'esprit de ces mystères et les grâces de ces saints. Mais ce qui est bien considérable, c'est que le mystère de l'Immaculée Conception y paraissait d'une manière tout extraordinaire, comme si cet homme, tout de croix en son nom et en ses actions, cet homme de vertus et de prodiges, n'eût pas été content de n'avoir qu'une bouche et qu'une langue, durant sa vie, pour en persuader la dévotion, et qu'il eût obtenu de Dieu, après sa mort, que les moindres parties de son corps fussent changées comme en autant de langues admirables, pour l'enseigner d'une manière toute-puissante aux âmes les moins zélées.
Disons donc que la raison nous porte à honorer ce mystère, et que l'autorité nous en persuade le respect. Disons que l'inclination de l'Église universelle, les approbations, indulgences et autres grâces du Saint-Siège, n'en doivent laisser aucun doute dans nos esprits, qui doivent être tout convaincus par les miracles. Mais disons encore que le ciel ayant parlé clairement sur ce sujet, il n'y a plus d'apparence de ne se pas rendre. Les Révélations de sainte Brigitte ont été approuvées de l'Église, et cette grande sainte assure qu'il lui a été révélé que la très pure Vierge a été conçue sans péché originel. Je sais que le cardinal Cajetan, répondant à cette objection, cite sainte Catherine de Sienne, qui a été dans un sentiment contraire. Mais ce n'est pas répondre à la difficulté de l'objection, dont la force n'est pas dans l'autorité seulement d'une sainte, mais dans la révélation qu'elle en a eue de Dieu. Sainte Brigitte dit nettement qu'elle en a eu révélation du ciel ; et sainte Catherine de Sienne ne parle que selon ses pensées, dont il ne faut pas s'étonner, puisqu'en cela elle suit l'opinion de la plupart des docteurs de son ordre. Davantage, plusieurs ont estimé que ce qui se lit de cette matière dans les écrits de cette grande sainte y a été ajouté, et n'est nullement d'elle. Mais supposons qu'il en soit ainsi, les prophètes ne parlent pas toujours en prophètes ; ils ont leurs lumières propres, dans lesquelles ils se peuvent tromper.
Enfin, l'on me dira que la foi ne nous oblige pas de croire ce privilège de la Mère de Dieu, et il est vrai : c'est pourquoi, comme nous l'avons déjà dit, étant en liberté de le croire, ou de ne nous y pas arrêter, c'est en cela que nous pouvons donner des marques de notre zèle (1). Un célèbre théologien, dans un gros volume qu'il a intitulé Theologia Mariana, qui est l'un des plus savants et des plus dévots ouvrages que l'on ait composés en l'honneur de notre incomparable maîtresse, dit que si l'on disputait la noblesse à une personne considérable en la présence d'un grand roi, et le roi ne décidant pas absolument la chose, déclarât cependant qu'on lui ferait plaisir de tenir cette personne pour noble, sans doute qu'elle aurait juste sujet de se plaindre de ceux qui combattrait sa noblesse, et elle pourrait dire qu'ils seraient ses ennemis : car pourquoi attaquer de gaieté de cur une qualité qui lui est avantageuse ? Le roi même aurait lieu de s'en offenser, pour la résistance que l'on ferait à ses inclinations. Or de même, dit ce savant homme, ne semble-t-il pas que c'est se déclarer contre la sainte Vierge, que de lui disputer un de ses plus grands privilèges ? Pourquoi ne pas lui donner une faveur, et ne demeurer pas d'accord d'une grâce qui lui est si glorieuse, le pouvant faire en bonne conscience ? N'a-t-elle pas lieu de demander pourquoi on lui envie sa gloire ? Mais l'Église n'y oblige pas. Faut-il pour prendre des sentiments avantageux de la Mère de Dieu, y être obligé ? Quelle preuve serait-ce de l'amitié que nous aurions vouée à une personne que nous considérerions beaucoup, d'attendre à la servir quand nous y serions contraints ? Quelle apparence donc d'être au service de la reine du ciel à de telles conditions ? Pour peu de zèle que l'on puisse avoir pour ses intérêts, y a-t-il occasion que l'on n'embrasse quand il s'agit de les soutenir ? Mais disons plus, que si l'Église ne nous oblige pas à croire l'Immaculée Conception, elle nous le permet, et même elle nous y invite, et propose des faveurs, et n'a que des grâces pour ceux qui se rangent de cette pieuse croyance. Après cela, qui nous empêche d'entrer dans le parti de ses fidèles dévots ? Nous le pouvons, c'est ce qui est incontestable : pourquoi donc ne le pas faire ! L'Église nous y invite, pourquoi résister à ses mouvements ? Elle nous accorde de grandes grâces pour ce sujet : pourquoi nous priver de ces bénédictions ? Reprenons ces pensées, et nous mettant en présence de la divine Marie, considérons-les un peu avec attention. Ô très sainte Vierge, je puis vous obliger en prenant des sentiments très glorieux touchant vos privilèges : mais je n'en veux rien faire, n'y étant pas obligé par la foi : cependant il est entièrement en ma liberté de vous marquer en cette rencontre mon zèle : mais je n'en ferai rien : ce n'est pas que je ne connaisse assez que les inclinations de l'Église en vont là ; mais j'aime mieux suivre les mouvements de quelques particuliers et les lumières de mon esprit. Je vois, de plus, qu'il y a de grandes bénédictions et des faveurs et grâces non pareilles, mais je choisis plutôt de perdre toutes ces grâces, et de me priver de toutes ces bénédictions, que de vous accorder une faveur que soutiennent toutes les plus fameuses écoles de théologie, et qui fait le sentiment presque universel de tout le monde : je veux faire bande à part, et m'attacher à une opinion que l'on n'oserait enseigner publiquement, que l'on ne peut plus prêcher, et dont même il n'est pas permis de disputer dans les entretiens particuliers. Voilà ce que font ceux qui tiennent l'opinion contraire de la toute sainte Conception, et en vérité c'est ce que je ne comprends pas : nous ne les condamnons pas, mais nous nous étonnons comme ils peuvent agir de la sorte envers la très sainte Mère de Dieu.
Il faut ici ajouter que les Turcs reconnaissent qu'entre les enfants d'Adam, Marie a été conçue sans péché. Après cela serait-il bien possible que nous voulussions lui dénier un privilège que les mahométans, ses plus cruels ennemis lui accordent ? Quoi ! Il serait vrai de dire qu'un malheureux Turc, qu'un misérable infidèle aurait des sentiments plus avantageux de la Conception de la toute aimable Marie ! C'est ce qu'un bon cur aura toujours bien de la peine à supporter.
Le dévot Jean Berchmans, de la Compagnie de Jésus, avait signé de son sang qu'il défendrait toujours l'Immaculée Conception, et c'était un ange de la terre, aussi n'y est-il pas longtemps demeuré ; ces âmes innocentes sont plus propres pour l'empirée que pour le monde qui n'en est pas digne, étant tout rempli de corruption : et comme l'on rapportait au grand cardinal Bellarmin la dévotion de cette âme angélique, il s'écria fortement : « Ô sainte Vierge ! Vous l'avez voulu avoir de votre parti. » Il ne faut pas en être surpris, puisque le dévot Alphonse Rodriguez a eu révélation qu'une des raisons pour lesquelles Dieu a suscité la Compagnie de Jésus dans son Eglise, est de soutenir l'opinion de la Conception Immaculée ; et de vrai, l'effet qui en est suivi, en a bien fait voir la vérité, tant de savantes plumes de cette société s'étant employées pour la défendre, tant d'éloquents prédicateurs en ayant prêché avec des persuasions si vives la vérité, tant de célèbres docteurs l'ayant enseignée dans les écoles avec une force nonpareille , tant de congrérations de cette Compagnie en ayant établi la dévotion en toutes les contrées du monde.
(1) L'Immaculée Conception de la très sainte Vierge est un dogme de notre foi depuis le 8 décembre 1854