CHAPITRE X
De la chasteté de la très sainte Vierge
Comme la virginité est la plus excellente espèce de chasteté, c'est en cette vertu que notre bienheureuse maîtresse a excellé d'une manière qui lui est toute particulière, ayant toujours eu toutes les puissances de son âme et tous les sens et organes de son corps si parfaitement assujettis, que jamais elle n'a ressenti le moindre mouvement du vice contraire, la partie inférieure étant entièrement et sans aucune résistance soumise à la supérieure, qui n'était mue et gouvernée que par le seul Esprit de Dieu seul. C'est pourquoi un ancien auteur l'appelle la sur des anges ; car elle vivait dans un corps mortel, comme un esprit dégagé de la matière et comme si elle n'eût pas eu de corps : c'est pourquoi les anges conversaient tous les jours familièrement avec elle, et lui obéissaient (dit l'auteur dont nous venons de parler), comme à leur mère. Il appelle la divine Marie Mère des anges, parce que toutes les vierges étant des anges en la chair, l'on peut dire que notre sainte princesse étant la mère de toutes ces vierges, elle a augmenté le nombre des anges et rempli leurs sièges. Elle est appelée la Vierge par excellence, en sorte qu'à même temps qu'on dit la Vierge, on entend la Mère de Dieu. L'Église l'invoque sous la qualité de Reine des vierges et de Vierge des vierges, et, ce qui est admirable, c'est quelle l'appelle la virginité même. L'on ne peut rien ajouter à ce sentiment de l'Église pour faire voir que la pureté de notre aimable princesse, surpassant toute la pureté créée, est entièrement incomparable. C'est le lis entre les épines des Cantiques, selon le témoignage de Denis le Chartreux, parce que toutes les autres filles ont été des épines ou pour elles ou pour les autres ; mais la très pure Vierge a toujours été un lis très blanc de la virginité, n'ayant jamais su ce que c'est que la rébellion de la chair contre la raison, et ayant toujours inspiré l'amour de la chasteté à toutes les personnes qui ont eu la grâce de la voir, quoiqu'elle fût la plus parfaite en beauté après Jésus qui ait jamais été. Il ne faut pas s'étonner, dit Richard de Saint-Victor, si son visage était angélique, si sa beauté était céleste, puisqu'elle avait la pureté des anges, et que le Verbe, la splendeur de la lumière éternelle, l'avait choisie pour sa Mère.
Sa divine beauté était accompagnée d'une si douce majesté et d'un éclat si ravissant, que saint Denis l'ayant vue, déclara qu'il l'eût prise pour quelque divinité si la loi ne lui eût assuré du contraire : mais tous les attraits d'une beauté si extraordinaire ne portaient qu'à la pureté. Ses divins regards, dit le pieux Gerson, comme une rosée céleste éteignaient sous les feux de la convoitise. C'est à bon droit, enseigne Alexandre d'alèse, qu'elle est comparée au cèdre, parce que, comme c'est le propre du cèdre de tuer les serpents de son odeur, de même sa sainteté ôtait toutes les ardeurs sensuelles : c'est encore avec justice qu'elle est comparée à la myrrhe, parce que, comme la myrrhe fait mourir les vers, aussi sa pureté détruisait tous les mouvements déréglés de la partie inférieure. L'ange qui instruisait sainte Brigitte, lui révéla que sa très agréable beauté avait été utile et avantageuse à tous ceux qui avaient eu la grâce de la voir, et qu'elle donnait une grande consolation aux âmes. Il lui manifesta de plus que les personnes les plus portées au péché étaient délivrées de leurs tentations autant de temps qu'elles étaient en sa sainte présence.
Saint Thomas tient qu'il nétait pas possible d'avoir des pensées sensuelles en la regardant ; saint Bonaventure est dans le même sentiment. C'est pourquoi saint Grégoire Thaumaturge qualifie sa beauté de très-sainte beauté. C'était une Vierge dont les regards angéliques faisaient des vierges, et qui imposait comme un précepte de pureté, selon la pensée de saint Ephrem. C'est ce qui faisait que son virginal époux saint Joseph la mena en Égypte sans aucune crainte, connaissant les rares privilèges de sa virginité.
Celui qui veut garder inviolablement la chasteté doit la confier et la mettre entre les mains de la reine des anges, et attendre tous les secours nécessaires pour surmonter les difficultés qui s'y rencontrent de sa puissante protection. Il doit se souvenir que c'est un don de Dieu, qu'il faut par suite lui demander par prières, jeûnes et autres bonnes uvres, que c'est un don qui est accordé aux humbles, l'impureté étant la peine du vice superbe, étant certain que tôt ou tard les vains et orgueilleux tomberont dans quelque péché honteux. Je le répète : Que celui-là soit humble qui veut être chaste : la chasteté périra si elle n'est soutenue de l'humilité. C'est un don de Dieu que l'on conserve par l'éloignement des occasions ; dans les combats de la chasteté il faut triompher en fuyant. L'on doit donc avoir en horreur toutes sortes de familiarités avec les personnes de différent sexe. Soyez extrêmement prompte, dit saint François de Sales parlant à Philothée, à vous détourner des acheminements de la lubricité ; car ce mal agit insensiblement, et par de petits commencements fait progrès à de grands accidents. Il est toujours plus aisé à fuir qu'à guérir. Les corps humains ressemblent à des verres qui ne peuvent être portés les uns avec les autres en se touchant, sans courir fortune de se rompre ; et aux fruits, lesquels, quoi qu'entiers et bien assaisonnés, reçoivent de la tare s'entretouchant les uns les autres. Ne permettez jamais, Philothée, qu'aucun vous touche incivilement, ni par manière de folâtrerie, ni par manière de faveur. L'on doit bien aussi se donner de garde des amitiés fondées sur les sens, ou de certaines vertus vaines qui dépendent des sens ; combattant fortement l'inclination affectueuse qui y peut porter : car telles amitiés, dit encore le saint que nous venons de citer, sont folles et vaines, n'ayant pas de fondement ni raison ; et mauvaises, d'autant qu'elles se terminent au péché de la chair, et qu'elles dérobent le cur à Dieu.
Ce n'est pas qu'il ne se passe quelquefois plusieurs années sans qu'il arrive rien qui soit contraire à la chasteté du corps, le démon même l'empêchant par ses ruses, afin que les personnes qui n'ont pas de mauvais desseins, ne découvrant pas le mal de ces amitiés ou trop fréquentes conversations, tombent plus facilement dans ses pièges. Pour les paroles équivoques, elles doivent être en abomination à tous ceux qui aiment la chasteté, n'en proférant jamais et ne permettant pas qu'on en profère en sa présence, soit en témoignant courageusement que cela ne plaît pas, soit en l'empêchant absolument dans les personnes sur lesquelles l'on a du pouvoir. De plus, l'on doit avoir un grand soin de rejeter promptement les mauvaises pensées, se souvenant que si un charbon de feu tombait sur nos habits, nous tâcherions de l'ôter aussitôt et sans aucun retardement. Or ces pensées sont autant de charbons d'enfer que les démons allument pour brûler nos âmes éternellement. Les personnes qui en sont tentées et qui les souffrent à regret, ne doivent pas s'en inquiéter mais se consoler doucement à l'imitation de plusieurs saints et saintes que Dieu a permis d'être exercés par ces sortes de combats.
La dévotion à la Vierge des vierges et aux saints anges est un excellent moyen pour demeurer victorieux de ces tentations ; et il s'est trouvé des personnes qui, étant sur le point d'y succomber, en ont été délivrées heureusement, entendant seulement prononcer le sacré nom de Marie. Saint Bernard ayant rencontré un homme tellement plongé dans le vice de l'impureté, qu'il lui semblait comme impossible de s'en corriger ; il lui demanda s'il voulut bien s'en abstenir un jour en l'honneur de la très pure Vierge ; ce que cet homme ayant fait, et le saint l'ayant encore pressé de se mortifier un second jour pour l'amour de cette reine des anges ; comme ensuite il voulait encore lui parler pour obtenir de lui quelque nouvelle mortification : « C'en est fait, lui dit-il, mon Père, la résolution en est prise, je serai chaste le reste de mes jours. » C'est ainsi que le ciel bénit ce qui se fait en l'honneur de son auguste princesse, la mère de toute pureté. Ses images mêmes ont une bénédiction particulière pour l'inspirer, et il est bon d'en avoir toujours sur soi quelqu'une, la portant avec dévotion et respect. La ville de Rome étant extraordinairement affligée de la peste, le grand saint Grégoire y fit porter processionnellement, en grande solennité, l'image de notre bonne Maîtresse, pour impétrer de la divine bonté le remède à tant à de maux dont cette première ville du monde était affligée ; et, chose admirable, en même temps que cette dévote image passait par quelque lieu, l'air qui était infecté se purifiait, comme si même la corruption des éléments ne pouvait pas supporter la présence d'une image de la Mère de Dieu. Il est donc nécessaire, pour être véritablement son esclave, d'avoir en horreur toute impureté et toutes les choses qui y conduisent, et d'aimer singulièrement la chasteté, comme la vertu de notre sainte dame.
Pour les vierges, leur bonheur est indicible, et elles sont appelées, par les Pères, « la plus illustre partie du troupeau de Jésus-Christ. » Leurs privilèges ont des avantages si particuliers, quils sont incommunicables à tous autres. Leur état est si saint, que les premières personnes de l'Église ont tenu à l'honneur d'en prendre soin. Elles appartiennent à Jésus et Marie d'une manière qui leur est toute singulière. Elles seront distinguées dans l'éternité bienheureuse par une gloire qui leur sera propre, et qui ne sera que pour elles. Ces vérités méritent bien qu'elles s'appliquent soigneusement à conserver un trésor si précieux, considérant que si la virginité est une liqueur céleste, elles la portent dans des vaisseaux de terre qu'il est facile de casser. Il ne faut que broncher d'un pas pour tout briser et répandre. Elles en doivent concevoir, avec la grâce de Notre-Seigneur, une si haute estime, qu'il n'y a rien qu'elles ne doivent souffrir, perdre et faire pour sa conservation. Combien de vierges, comme il a déjà été dit, ont donné leur vie et tout leur sang, et dans un âge très tendre, pour posséder toujours ce don du ciel ?
Saint Casimir, prince de Pologne, et tout consommé dans les plus saintes flammes de la dévotion de la Mère de Dieu, aime mieux mourir que de perdre le trésor de la virginité, quoique par le mariage, qui était un moyen licite que les médecins lui proposaient pour le tirer du mal qui lui donna la mort. Cet exemple est merveilleux, et qui doit bien être pesé par les vierges, qui souvent se trouvant embarrassées par quelques difficultés qui peuvent arriver, comme lorsque ne pouvant entrer en religion, ou parce qu'elles n'en ont pas le moyen, ou parce qu'elles n'en ont pas la vocation, sont pressées de se marier. Il s'agissait de la mort, qui est le plus terrible des maux ; mais il était question du bien de tout un royaume ; car que ne devait-on pas espérer sous le règne d'un prince qui en devait porter la couronne, et qui avait en perfection toutes les qualités qui peuvent faire un grand roi, et un roi bienfaisant à tout le monde ? Quelle gloire n'en devait pas arriver à Dieu ! Cependant il préfère la virginité à toutes ces considérations, et il aime mieux perdre la vie que de la perdre. Sa mort, qui a été suivie de tant de miracles, est un témoignage certain de l'approbation que Dieu en a donnée, et l'on a trouvé son corps entier plusieurs siècles après sa mort, avec le cantique qu'il avait composé en l'honneur de la Vierge des vierges, et qu'il faisait souvent chanter par ses pages. Notre peu de courage ne nous doit-il pas faire rougir au sujet d'une action si généreuse ! Hélas ! Nous n'avons pas à délibérer sur les couronnes, et il ne s'agit pas de mourir pour demeurer vierge, nous n'avons pas à résister à toute une cour et à tout un royaume qui parlait par les puissances qui le gouvernaient ; nous n'avons pas à combattre les plus grandes et fortes raisons que l'on peut jamais opposer. Un parent, une petite difficulté, un qu'en dira-t-on, une crainte d'avoir quelque difficulté à l'avenir, ces choses nous découragent et souvent nous abattent. Les saint Henri, les saint Édouard, et tant d'autres princes et princesses, ont vécu virginalement dans le mariage même, et au milieu d'une florissante cour. L'on ne doit pas se regarder ; car nous ne pouvons jamais assez nous défier de nous-mêmes et de nos forces, qui ne sont qu'une pure faiblesse ; mais, mettant toute sa confiance en Notre-Seigneur Jésus-Christ, en sa très-pure et virginale Mère, et en la protection des saints anges ; il faut s'encourager avec une sainte générosité à la pratique d'une vertu si agréable à notre Dieu, mettant bas toutes les vaines craintes que la nature, le monde et les démons peuvent donner.