CHAPITRE III

Honorer arec toute sorte de respect la maternité divine,

et l'amour incomparable du précieux cœur

de la glorieuse Vierge

 

C'est une chose qui n'avait jamais été ouïe, dit le dévot saint Bernard, qu'une Vierge fût mère et vierge tout ensemble : mais si vous considérez de qui elle est Mère, où est-ce que nous portera l'admiration d'une si éminente dignité ? N'est-ce pas Marie, qui peut sans crainte appeler le Dieu et le Seigneur des anges, son fils, disant : Mon Fils, pourquoi avez-vous fait cela ? (Luc, II, 48) Qui est-ce des anges qui oserait parler de la sorte ? Mais Marie se connaissant mère, donne avec assurance le nom de fils à cette sublime Majesté que les anges adorent avec respect ; ce Dieu à qui les anges font hommage, à qui les principautés et puissances obéissent, était sujet à Marie, et non-seulement à Marie, mais aussi à Joseph pour l'amour de Marie. Qu'une Vierge, poursuit ce Père, domine dessus un Dieu, c'est une sublimité qui n'a jamais eu et qui n'aura jamais de pareille. Mais toutes ces élévations si éminentes ont pris leur origine de ses humiliations abîmales : c'est par l'humilité qu'elle a conçu, disent les Pères, s'abîmant devant l'infinie majesté de Dieu, qui s'anéantissait pour nous dans ses pures entrailles au moment de l'incarnation : et ce fut pour lors qu'étant élevée à une dignité presque infinie par la qualité de Mère de Dieu, que le ciel lui donnait, elle ne prit que celle de sa servante, et l'on peut bien croire qu'elle choisit même le plus bas et vil degré de servitude, qui est celui de l'esclavage. Dieu ayant arrêté les yeux sur cette humilité de sa servante, comme elle le chante elle-même dans son divin cantique (Luc., I, 46 et seq.), c'est la cause pour laquelle toutes les nations la disent bienheureuse : mais plus grand bonheur, et qui est la source de toutes les autres faveurs dont le ciel l’a comblée, est sa maternité divine, qui, lui donnant la qualité de souveraine des anges et des hommes, de reine du ciel et de la terre, fait le fondement de la dévotion de son saint esclavage. C'est pourquoi tous ses esclaves doivent avoir tous les respects possibles pour sa maternité ; ils doivent vivre et mourir dans une dépendance très étroite d'une dignité si glorieuse ; invoquer souvent la très-sainte Vierge sous le nom de Mère de Dieu : qualité admirable, qui a fait le sujet de toutes les plus tendres et plus fortes affections des premiers fidèles, et de tous les plus zélés catholiques.

 

Les fidèles esclaves doivent de plus honorer grandement l'amour de cette mère de la belle dilection, et son cœur virginal, qui a été le siège de cet amour et le principe de la vie humaine et sensible du saint enfant Jésus, puisque pendant que l'enfant est dans le ventre de sa mère, le cœur de la mère est tellement la source de la vie de l'enfant, aussi bien que de sa propre vie, que la vie de l'enfant n'en dépend pas moins que celle de la mère. Cœur, principe de deux vies si nobles et si précieuses, principe de la vie très pure et très sainte de la Mère de Jésus, principe de la vie humainement divine, et divinement humaine du fils de Marie : cœur sur lequel le divin enfant Jésus a pris tant de fois son repos, qui par sa chaleur naturelle a produit et formé le très pur lait dont il a été nourri ; cœur, la partie la plus noble et la plus vénérable du corps virginal qui a donné un corps au Verbe éternel, qui sera éternellement l'objet des adorations de tous les esprits bienheureux. C'est ce qui donne à ce cœur, lorsqu'il est considéré non-seulement comme matériel et corporel, mais encore en tant qu'il signifie tout l'intérieur de l'admirable Vierge Mère de Dieu, des grandeurs qui sont entièrement ineffables : car je rencontre dans ce cœur l'amour des séraphins, la plénitude de la science chérubins, la paix des trônes, la grandeur des dominations, la force des puissances, le gouvernement des principautés, l'excellence des vertus, le soin, le zèle, la charité, la pureté des archanges et des anges. Ô cœur ! Que tu es admirable ! J'y trouve la justice des patriarches, la connaissance des prophètes, la religion d'Abel, la piété d'Enoch, l'a foi d'Abraham, l'obéissance d'Isaac, la constance de Jacob, le zèle de Moïse et d'Elie, et tous les plus fervents désirs des anciens Pères. Ô cœur glorieux, qui renferme toi seul toutes les excellences et vertus de l'Ancien Testament ! Je remarque dans ce cœur la charité des apôtres, la force des martyrs, la fidélité des confesseurs, la pureté des vierges, la retraite des solitaires et toute la sainteté des âmes les plus éminentes. Ô cœur tout divin, rempli de toutes les grâces de la loi nouvelle ! Est totum quod vides, tout ce qui s'entend, tout ce qui se lit, tout ce qui se voit, tout ce qui y a de grand au ciel et en la terre, c'est ce cœur sacré et tout précieux. Ramassez en un toutes les lumières du soleil, de la lune et des étoiles ; mettez vous devant les yeux toutes les clartés des corps des bienheureux : ô mon Dieu quel spectacle ! Il n'y a point de corps de bienheureux qui n'ait plus de clarté que le soleil. Mais combien y en aura-t-il dans l'Empyrée ? Combien donc d'aimables soleils dans ce séjour de félicité ? Cependant ce cœur glorieux a plus lui seul de lumières. Figurez-vous toute la puissance des anges, dont un seul vaut plus qu'une armée, selon le témoignage de l'Écriture. Considérez la force du moindre des démons, qui n'ayant plus de grâce ne jouit plus que de ce qu'il a en sa nature, et ne laisse pas d'être terriblement redoutable ; méditez ensuite qu'elle doit être la puissance d'un bon ange, et de tous les saints anges ensemble ; ce grand et digne cœur est lui seul plus puissant. Joignez en un tous les amours, ce cœur très aimant en a plus et pour Dieu et pour les hommes : Est totum quod vides, et totum quod non vides. Hélas ! après avoir tout dit, nous n'avons rien dit encore. Ce cœur n'aime pas comme les séraphins, ne connaît pas comme les chérubins, n'est pas saint comme les plus grands saints, puisque tous ces amours, toutes ces lumières, toutes ces saintetés ne sont que des amours, des lumières et des saintetés de serviteurs ou d'amis ; mais les grandeurs de Marie sont des grandeurs d'une mère qui a pour fils un Dieu : et ces grandeurs sont plus hautes que le ciel, plus profondes que les abîmes, plus larges que la région des airs, et aussi longues que l'éternité même. Il n'y a que celui-là seul qui l'a faite, qui la connaisse pleinement. Si l'on mettait d'un coté ce cœur virginal, et de l'autre tous les anges et tous les saints ensemble, ce seul cœur, le très uniquement unique cœur entre tous les bons cœurs des pures créatures l'emporterait. Dieu fait plus d'état de lui seul, Dieu en est plus glorifié, et il est plus cher à Dieu. Ah ! Cœur donc la merveille de tous les cœurs ! Ah ! Cœur dont l'amour est le miracle de tous les amours ! Cœur le plus ravissant de tous les cœurs, puisque tu as ravi le cœur du Père éternel, son Fils bien-aimé ; cœur, le roi de tous les cœurs, puisque tu es le cœur de la Mère d'un Dieu ; cœur béni entre tous les cœurs, puisque tu es une source inépuisable de bénédictions ; cœur le plus obligeant de tous les cœurs après l'incomparable cœur de Jésus, puisque les obligations que nous lui avons, sont presque infinies et en quantité et en qualité. Qu'un chacun porte ses dévotions où il voudra : pour moi, j'entends qu'après mon Dieu, ô aimable, ô doux, ô ravissant objet, tous les désirs qui s'écloront dans mon cœur, tous les mouvements qui s'élèveront dans mon âme, tous les actes qui se formeront dans ma volonté, toutes mes actions soient consacrées à ta gloire pour la gloire de Jésus, qui doit lui seul être aimé et loué en tous les amours et en toutes les louanges. Ô cœur inestimable ! Je t'aime plus que mes yeux, plus que mon cœur, plus que ma propre vie, plus que les anges, plus que les saints. Mais c'est ici, mon cœur, où il faut s'élargir dans l'aveu que ce cœur mérite plus d'amour que tous les cœurs, puisqu'il y a plus de Dieu seul. Repassons par notre esprit, considérons toutes les dévotions des âmes les plus ferventes de l'ancienne et de la nouvelle loi. Quel zèle pour les saints anges, quelle ferveur pour tant de saints et de saintes dans les cœurs de leurs dévots ! Mettons en suite et joignons ensemble tout ce zèle, toutes ces ferveurs, ce n'est pas encore assez pour ce cœur admirable, qui mérite l'empire de tous les cœurs. S'ils étaient tous en mon pouvoir, ils en deviendraient bientôt la conquête, ils en seraient bientôt les esclaves, puisque Dieu même s'y est bien voulu assujettir : et c'est ce qui l'a rendu un abîme de grâces, qui contient en soi un nombre presque infini de toutes sortes de bénédictions. Il faudrait être sans cœur pour ne pas honorer d'une manière très spéciale ce cœur maternel de notre très bonne mère et très glorieuse dame, particulièrement après que Notre-Seigneur a bien voulu de sa propre bouche en enseigner la dévotion, en la personne de sainte Mathilde, de l'ordre de Saint-Benoit, qui, étant en peine quelle dévotion elle pratiquerait pour se rendre plus agréable à la très sainte Vierge, cet adorable Sauveur lui apprit à saluer son béni cœur. Le bienheureux Herman, de l'ordre de Saint-Dominique, l'honorait tous les jours par quelque pratique pieuse : sainte Gertrude lui était singulièrement dévote.

 

Mais il a plu à Dieu de susciter en nos jours en son Église une très sainte congrégation de missionnaires ; instituée par le révérend P. Jean Eudes, l'un des plus zélés et fervents serviteurs de notre auguste princesse, qui est toute dévouée et consacrée en l'honneur de cet aimable cœur. Ces dignes missionnaires, très recommandables pour la pureté de leur doctrine, et leur zèle incroyable pour le salut des âmes, prêchant l'Évangile avec une vertu sans pareille dans les villes et campagnes, y établissant à même temps la dévotion solide du cœur virginal de Marie : ils procurent que l'on y érige une association ou confrérie en son honneur par la permission de nos seigneurs les prélats, ayant dressé à cette fin de beaux statuts et d'excellents règlements : ils obtiennent le pouvoir d'en faire la fête tous les ans le 8 de février ; et comme leur amour est grand, ils inspirent quantité de moyens pour bénir et louer cet aimable cœur. Ils ont fait bâtir un magnifique temple sous l'invocation de ce saint cœur en la ville de Coutances en Normandie, où l'on en célèbre la fête tous les ans, comme il a été dit, le 8° jour de février, avec une octave solennelle. Ils en font mémoire dans l'office comme de patron, et leur zèle a reçu tant de bénédictions du ciel, que cette dévotion, malgré toutes les oppositions de l'enfer et de la terre, et même de quelques gens de bien, commence à se répandre en grand nombre de lieux de différentes provinces. Les séminaires de Rouen, de Lisieux et de Bayeux en font une haute profession, aussi bien que celui de Dijon, ville qui, conservant encore l'esprit de dévotion envers la sainte Vierge, qu'elle a autrefois reçue de saint Bernard, se rend considérable par les honneurs extraordinaires qu'elle rend à son précieux cœur. L'office de ce sacré cœur composé par le révérend P. Jean Eudes, que nous avons loué ci-dessus, remplit les langues, dit un grand archevêque, du miel et du lait de la sainte épouse ; et le cœur de la tendresse des plus saintes affections, et il l'appelle un recueil, et comme une empreinte de toutes les suavités que les saintes lettres et les saints Pères ont laissées à l'Église, tirées avec tant de pureté que les vérités de notre foi ni les pratiques des bonnes mœurs n'y courent aucun hasard, mais y peuvent être goûtées comme en leur source. L'on peut dire avec vérité que c'est un office des plus dévots que nous ayons, et qu'il semble que la sainte Vierge en ait inspiré la douceur ; il est bien difficile de le lire avec attention sans avoir le cœur saintement attendri. Grand nombre de prélats ont reçu cette dévotion en leurs diocèses, en ont approuvé l'office, et permis aux prêtres de le faire et d'en célébrer la fête le jour que nous avons marqué. Il s'en fait une grande solennité en la célèbre abbaye de Montmartre, par la singulière piété, de la princesse qui en est la très digne abbesse. La même dévotion se pratique chez les religieuses Bénédictines du Saint-Sacrement de Paris, qui étant toutes dédiées à l'amour de Jésus au très-saint Sacrement, ne respirent que la gloire de la Mère de cet adorable Dieu-Homme, qu'elles honorent comme leur abbesse, ayant mis leur maison, leurs personnes, tout ce qu'elles ont, tout ce qu'elles font, sous la direction et dépendance très particulière de la glorieuse Mère de Dieu, par les soins de leur vertueuse et zélée supérieure, l'une des plus fidèles esclaves de notre auguste maîtresse.