LA SOUILLURE



L'office de l'homme est triple; c'est recevoir, transformer, répandre. De ce que la Nature lui apporte il n'est pas responsable, s'il ne lui a pas demandé. Ces choses ne peuvent donc point, si basses soient-elles, ou si perverses, obscurcir son esprit. Mais son travail personnel, et par suite sa responsabilité, commence avec les transformations qu'il fait subir, dans les divers alambics qu'il possède : estomac, poumons, sensorium, mental, cervelet, etc., aux substances de toute espèce que le milieu lui envoie.

Et il est pleinement comptable de la qualité des forces, des sentiments et des idées qu'il rayonne; et, si ces oeuvres sont mauvaises, c'est par choc en retour qu'elles rentreront en lui sous une autre forme pour achever de le corrompre.

La tentation à laquelle on résiste ne souille pas, mais purifie. Tout voyageur doit être accueilli. Mais l'hôte saura maintenir le bon ordre dans la maison.

La prudence recommande de chasser les mauvais désirs dès qu'ils se présentent; mais il est préférable, si on en sent la force, de converser avec eux, de les raisonner, comme on ferait avec un enfant indocile, afin de les convertir en énergies pour le bien. " L'homme, dit Saint-Martin, est une pensée de Dieu; il est régénéré successivement dans sa pensée, puis dans sa parole, puis dans son action ". La purification, pour être durable, doit donc partir de l'interne; les yogas, les jeûnes, les réceptions sacramentelles, les entraînements magiques ne valent dans l'Absolu qu'à cause du sentiment cardiaque qui les vitalise.

Les pouvoirs dont les hommes, ou leurs dieux, sèment les germes en nous ne sont pas viables; le Père S'occupe de tout et ce qu'Il n'a point ordonné ne dure pas. Un adepte qui s'est fait tout seul peut retenir les privilèges conquis ou achetés pendant cinquante ans, pendant quelques siècles même, mais un jour arrive où il faut qu'il restitue. Si gigantesque que soit une volonté, elle ne régit qu'un petit coin de l'univers; si vaste que soit une intelligence, elle ne reflète qu'une partie du tout. Un être qui, de son chef, s'institue le directeur de son voisin, est bien exactement un aveugle qui conduit un autre aveugle; tandis que les places que le destin distribue, dans toutes les hiérarchies, s'accompagnent d'un secours spécial qui permet au titulaire, malgré sa possible incapacité, de remplir tout de même à peu près sa fonction.

Les contempteurs de la morale en font ressortir les variations, dont ils rendent Dieu responsable, tandis que ce sont les hommes les auteurs de ces divergences. La formule synthétique de notre conduite est qu'il ne faut faire de tort à aucun être, même à ceux qui, pour le moment, constituent notre personnalité.

Matthieu énumère sept formes de mal, et Marc treize. Mais, quel qu'en soit le nombre, tout vice souille parce qu'il résulte de la collaboration de notre volonté avec une puissance ténébreuse et qu'il corrompt la vie de l'un de nos organes. Une mauvaise pensée aboutit à un acte mauvais, et détruit l'équilibre mental. Un adultère est une rupture de promesse, un vol, et désorganise l'harmonie des naissances.

La fornication gaspille les forces que la Nature ne nous confie que pour offrir à un plus grand nombre d'âmes la possibilité de l'existence terrestre; elle nourrit, en outre, certaines classes d'invisibles immondes, et facilite parfois de graves désordres dans les plans des incarnations. Le meurtre enlève à un grand nombre d'êtres les possibilités d'avancement que donne cette vie, et auxquelles ils avaient droit.

La méchanceté attire sur nous les tourments qu'elle inflige au prochain; on est comptable, en effet, des moindres fautes que l'on fait commettre. La médisance nous isole des protections providentielles, et détourne l'esprit de son chemin normal. L'envie provoque la discorde et nous signale à la jalousie d'êtres plus forts que nous. Il n'y a jamais lieu de convoiter rien, car la créature la plus misérable possède tout de même quelque chose que personne d'autre ne détient, et on n'a toujours que ce que l'on mérite.

L'orgueil immobilise et aveugle.

Le blasphème évoque le désespoir; bien qu'il n'atteigne pas Dieu, il détermine dans l'invisible des explosions redoutables.

La folie, enfin, rend inutile en grande partie notre présence sur cette terre; étant la suite de désirs trop violents, elle désorbite des organes en nous, et empêche le travail.

Toutes les formes du mal ont ensemble d'étroits rapports; elles s'engendrent et se tuent tour à tour, pour renaître plus venimeuses. Toutes sont en nous plus ou moins actives, selon la collaboration qu'elles reçoivent de nous. Mais le Ciel n'attend que notre demande pour les amoindrir et les tourner au bien; et que de fois Il ne nous soumet à l'épreuve que pour faire jaillir notre cri de détresse, comme Jésus le marque dans Sa réponse à la femme grecque qui lui demandait le salut de sa fille.

Par contre, on n'a pas le droit de mettre le Ciel au défi. Ceux qui le font prouvent leur mauvais vouloir et l'adultération de leur esprit. A un certain point de vue, le résultat de nos actes est un mariage avec l'idéal que nous servons; or, notre esprit a un époux spirituel qui est le Seigneur de la religion où nous sommes nés. C'est ce qu'indique la légende de Krichna et des bergères, et l'infidélité des Israélites qui délaissèrent la Shekinah pour des idoles (Zohar; sect. Lekh-Lekha). Le vrai Dieu ne punit pas les volages; Il attend leur retour, pour reprendre avec Lui ceux qui se repentent. C'est ce que Jésus fait, après avoir vaincu la mort; en remontant au Ciel Il entraîne dans Son sillage tous ceux qui se sont convertis. Quant aux autres, comme le prophète Jonas, entre deux existences ils sont soumis pendant trois jours au spectacle de leurs erreurs et de leurs crimes.

Jésus est très indulgent; Il excuse nos erreurs, car le mal grouille en nous avec une vie intense. Les germes des forces spirituelles de toute qualité qui sont mises en nous à l'origine croissent et portent des fruits à mesure que nous avançons d'existence en existence. Et, quand elles ont subi une préparation spéciale, elles servent à nourrir bien des créatures autour de nous. Cette préparation se fait par un levain, et ce levain, c'est ce qu'il y a au fond de notre coeur. Si c'est la sincérité, les fruits de nos oeuvres seront sains malgré nos erreurs et nos maladresses; si c'est le mensonge, ces fruits seront vénéneux, malgré toute notre science, et notre savoir- faire.

Voilà pourquoi le Christ met Ses disciples très en garde contre l'hypocrisie, parce qu'ils ont à faire à la foule versatile et trompeuse.

Se donner l'apparence et l'autorité de la vertu pour satisfaire ses désirs personnels appelle en nous l'illusion. Le mal que nous allons faire, commis dans l'ombre qui est son habitat, y foisonne rapidement; on profane des gestes de Lumière en les faisant servir à des oeuvres de ténèbre; quand la honte de l'hypocrisie se découvrira, les hommes et les assistants invisibles se scandaliseront; des forces sont gaspillées à émettre dans l'atmosphère seconde des formes vaines, des centres vampiriques quant à l'individu et, quant au milieu, des tromperies dans les existences suivantes. C'est le diable qui a inventé la ruse, la sournoiserie. Le Ciel veut que tout se passe au grand jour de Son soleil.

Le Christ et Ses amis sont les seuls qu'on ne puisse pas duper, parce que ce sont les seuls en qui habite le Vrai.

En somme, rappelons-nous que tout est vivant; que c'est nous qui choisissons notre société d'invisibles; et que toute dette se paie là où elle a été contractée. Si nous nous détournons d'un devoir, la juste Nature nous charge de porter la souffrance que notre paresse aura causée, et sept incarnations ne passeront point qu'elle ne nous ait ramenés dans le même lieu, dans les mêmes circonstances, dans le même entourage, pour faire l'effort que nous avions autrefois refusé.

Souvenons-nous que rien ne grandit sans travail; les mauvaises propensions intérieures, les oppositions extérieures sont les résistances utiles à l'entraînement des forces de l'esprit. " Dépense de la vie si tu veux recevoir de la vie ", disait Saint-Martin. La stagnation est interdite; qui n'avance pas, recule; qui ne se développe pas, s'étiole. " On est un saint, répondait Ruysbroeck à un hésitant, dans la mesure où on veut le devenir ".

La volonté est réellement puissante; il faut qu'on l'emploie, et qu'on apprenne par l'expérience à en voir la perfection dans sa conformité la plus intime avec la Loi du Père.