L'EXIL


Toute créature, en vivant, évolue dans un sens ou dans l'autre. Ses progrès et ses regrès s'expriment, au coeur du monde, par des marches et des contremarches; la forme même du langage indique ces mouvements spirituels.

Se diriger vers un but, aller à un idéal, prendre une route, suivre un maître, ce n'est pas seulement accomplir une certaine série systématique d'actes, de sentiments et de pensées. Ces dressages de nos organismes terrestres ne sont possibles, à vrai dire, qu'en tant que réactions, dans le champ de la conscience, de la marche intuitive et fidéique qu'effectue, dans le lieu du coeur cosmique, notre principe volitif, le coeur individuel.

Le scribe qui, sous le très clair regard de Jésus, s'écrie d'enthousiasme, et s'engage " à Le suivre partout où Il ira ", c'est son esprit qui parle, sans que sa raison saisisse la porte de sa promesse.

Cet homme n'a pas vu l'énorme cancer qui ronge la création; il n'a pas compris que les dieux, rois de l'existence, comme les rois, dieux dans leurs nations, n'entretiennent que ceux qui les servent. Les princes de la ruse et du meurtre ménagent des tanières à leurs séides; les génies de la vanité, des belles apparences, et des mesquins calculs donnent à leurs courtisans de quoi se faire bâtir des nids. Mais lequel des tyrans du monde protégera l'humanité de Celui qui vient pour le mettre à bas de son trône ?


Ainsi le Seigneur ne trouve, dans ce cosmos qu'Il a construit de Ses mains, nul abri pour Son corps, nul hôte pour Le servir. Cette solitude ne L'effraie pas, quoique cette ingratitude L'attriste. Car, en Lui-même, Il est impassible, immuable et fixe; mais, dans Sa fonction de Sauveur, Il assume toutes les sensibilités, toutes les inquiétudes et tous les ravissements de l'Amour.

A mesure que le disciple L'imite, la solitude s'agrandit autour de lui. Les créatures s'écartent, et les génies, et les dieux; puis tous l'attaquent, parce que sa simple présence leur est un reproche cinglant. C'est alors que la constance devient difficile; le Fils de l'homme, Lui-même, sous une de ces rafales, a demandé que " ce calice s'éloigne ".

Plus la créature est haute, plus le nombre de ses pairs diminue; et il se trouve, de siècle en siècle, certains qui souffrent et saignent dans tels déserts de ce monde immense, sans jamais rencontrer un frère qui les conforte. Mais, si la sagesse commune s'écrie; Vae soli ! cet ange du surnaturel Amour, dont le seul regard suffit à faire flamber les coeurs, verse le vin très fort de ses bénédictions au téméraire pionnier du divin que nul inconnu n'effraie.

Ce voyageur intrépide trouve de même, à de rares intervalles, une oreille attentive, des yeux admiratifs; et les gemmes qu'il extrait des cavernes du Néant lui appartiennent. De sorte qu'il n'est pas complètement nu, ni totalement pauvre, ni absolument seul.

Mais le Fils de l'homme subit cet indicible abandon; c'est pour cela qu'il faut Le chérir, entrer en Lui de toute notre fougue, tout regarder par Ses yeux, tout exalter jusqu'à Sa hauteur, tout apprendre selon Sa méthode crucifiante, extraire de Son bras toute énergie, Le voir enfin en tout.