LA MORT



Que faudrait-il pour connaître la Mort ?

Son royaume est séparé de cette terre par un abîme; et rien de ce que notre planète nous a fourni ne peut franchir ce précipice. En effet, quand le corps physique a fini son temps, le composé humain se dissocie; les esprits recteurs de chacun des trois règnes reprennent ce qu'ils lui avaient prêté; les esprits des courants magnétiques et mentaux font de même; c'est pour cela que le double, la mémoire, la pensée restent ici-bas, pendant l'intervalle de deux incarnations.

La seule vraie mort est la perte de la Lumière; toutes les autres morts ne sont que des transformations. De même que notre intellect ne sait pas évoluer s'il ne passe d'une opinion à l'autre, de même notre moi ne peut gagner son lieu propre s'il n'expérimente des multitudes d'organismes transitoires.

Bannissez donc de votre coeur le crainte de la mort. Mais se rendre compte du mécanisme de ce phénomène, c'est tout une autre affaire. La position où nous sommes pour l'étudier ne nous permet pas d'en saisir plus que quelques détails extérieurs. Et, quand je dis nous, j'entends tout le monde, même les mystiques de nos pays, même les vieux rabbins que guidait la Shekinah, même les brahmanes subtils, même les ascètes jaunes ensevelis dans le Tao. Le Christ seul connaît l'énigme de ce sphinx camard, puisque et parce que c'est Lui qui en soutient l'existence.

Nous ne pouvons y voir qu'un assemblage de contradictions. Une mort, par exemple, est en même temps une naissance; c'est une de nos plus grandes douleurs et c'est une grâce inestimable; c'est la plus radicale des séparations. et cependant nos ancêtres restent là avec nous; c'est un très grand voyage, et il n'y a qu'un pas à faire pour l'accomplir; elle est un repos, malgré qu'on travaille encore de l'autre Coté; les défunts vont ailleurs, et ils sont tout de même parfois très longtemps attachés au cadavre; tout le monde doit subir la mort, et il y a des êtres qui ne la connaissent point encore; enfin, elle est la forme la plus implacable de la fatalité, quoiqu'il soit possible de la vaincre.

Vous savez déjà quelques-unes des raisons qui s'opposent à la prolongation artificielle de la vie. Réellement, nous ne partons jamais avant l'heure fixée, même les vieillards qui n'ont plus qu'une existence végétative, même les enfants en bas âge. Les Parques sont plus sages que nous, et elles ne coupent le fil que par ordre. Celui qui a conscience de la bonté du Père ne trouve donc jamais rien à demander pour lui-même, si ce n'est de la Lumière. Et, cependant, les résurrections ne se produisent pas sans motifs.

La Mort n'est pas, en effet, une déesse infaillible. Il se peut qu'elle ait des envies de vengeance, il se peut qu'elle se trompe de porte. Cela vous semble inouï, sans doute, mais de tels manquements dans son service ne sont pas très graves par rapport à la complexité de celui-ci; ce n'est pas une catastrophe mondiale que, sur des millions de coups de faux il y en ait un ou deux qui dévient. Toutefois, il est nécessaire d'avertir la Moissonneuse et de la préparer aux siècles pendant lesquels l'accès de la Terre lui sera interdit.

Voilà pourquoi ceux-là seuls peuvent arrêter le bras de la Mort qui l'ont maîtrisée pour leur propre compte, qui portent la Vie en eux, et qui se tiennent debout à la droite de l'Ami.