CHAPITRE v

La Prière


Prenez garde de ne pas pratiquer votre justice devant les hommes dans le désir d'attirer leurs regards; autrement, vous n'aurez point de récompense auprès de votre Père qui est dans les cieux. Quand donc tu feras l'aumône, ne fait pas sonner de la trompette devant toi comme font les hypocrites dans les synagogues et dans les rues pour être glorifiés par les hommes. En vérité je vous le dis, ils ont reçu leur récompense. Mais toi, quand tu fais l'aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite, afin que ton aumône soit faite dans le secret; et ton Père qui voit dans le secret te le rendra.


Et quand vous priez, ne soyez pas comme ces hypocrites qui aiment à prier en se tenant debout dans les synagogues et au coin des rues afin d'être vus par les hommes. En vérité je vous le dis, ils ont reçu leur récompense. Mais toi, quand tu pries, entre dans ta chambre, ferme ta porte, prie ton Père qui est là, dans le secret; et ton Père qui voit dans le secret te le rendra. En priant, n'usez pas de vaines redites comme font les païens, car ils s'imaginent que c'est à force de paroles qu'ils seront exaucés. Ne leur ressemblez donc pas, car votre Père sait de quoi vous avez besoin avant que vous le lui demandiez. Voici donc comment vous devez prier :


Notre Père qui es au cieux,

Que ton nom soit sanctifié !

Que ton règne arrive !

Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel !

Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien !

Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés !

Ne nous laisse pas succomber en tentation,

Mais délivre-nous du mal !


(MATTHIEU, ch. 6, v. 1 à 13. -- LUC, ch. 11, V. 1 à 4.)


Toute l'immense création, depuis les peuples des infusoires jusqu'aux peuples des étoiles, est soutenue par la main du Père qui est le Fils. Cet incessant, ce divin, cet ineffable holocauste se célèbre partout sans autre publicité que la joie des créatures trop rares qui savent en recueillir tout le bénéfice. Il y a déjà une centaine de siècles, les Sages chinois disaient que l'activité du Ciel est secrète et que les effets seuls en sont visibles. C'est cet anonymat qui est le signe de sa perfection.


Oui, le disciple du Christ doit agir comme s'il n'agissait pas. Pour les spectateurs, il vit, il achète, il travaille, il pense, il aime, comme tout le monde; mais lui, dans son coeur, il s'efforce de faire toutes ces choses sans intérêt personnel. Connaître la volonté de son Ami pour l'accomplir, voilà tout son souci. Le résultat personnellement utile de son travail ne l'inquiète pas; il fuit la réputation, les honneurs, la fortune; le mal, il s'essaie à l'éviter; le bien, il est convaincu que c'est le Maître qui l'accomplit par son intermédiaire.


Et, plus tard, après des années de siècles, quand de soldat il est devenu chef, la gloire et le mépris, l'intelligence et l'ignorance, les succès et les revers lui sont indifférents; il les accueille tous comme des hôtes de passage, avec la même cordialité. Il imite ainsi la perfection du Père.


C'est pour en arriver là, c'est pour que tout le monde puisse pressentir cette marche ascendante, que l'Évangile ordonne de tenir secrètes l'aumône et la prière.


La graine porte son fruit là où elle a été semée. Si vous ensemencez, même de bonnes graines, un mauvais terrain, il altérera la qualité des fruits. Si vous faites le bien avec un désir personnel, quelque petit qu'il soit, les fruits de votre acte seront rouillés d'avarice ou de sensualité ou de gloriole. Le Moi pousse plus loin encore ses ravages corrupteurs; mais arrêtons d'abord les premières déprédations; c'est un travail assez dur.


Je vous le répète, l'idéal en l'honneur de qui on offre le meilleur sacrifice : nos actes, c'est lui qui nous récompense. Si vous vous arrangez pour que les gens connaissent votre bienfaisance, leur estime sera tout votre paiement; vous n'en aurez pas du Ciel, puisque ce n'est pas à Lui que vous aurez dédié votre altruisme, mais au dieu de la gloire mondaine.


Le mal et le bien sont des opposés. Le premier est une sorte de parasite; il a en lui-même le besoin de croître; or il ne peut le satisfaire qu'en vampirisant les puissances vives qui sont à sa portée et, parmi ces puissances, l'esprit de l'homme tient le premier rang. C'est pourquoi nous léguons à nos enfants, bien malgré nous, le mal que nous avons commis et beaucoup pensent que nous le retrouvons à notre retour sur cette terre; la lutte, si-toutefois nous avons le courage de l'entreprendre, est alors bien plus dure.


Le bien, au contraire, ne tire pas sa subsistance du monde; il est la vie, il ne se nourrit que de lui-même et se développe en se propageant, à la condition toutefois que cette propagation soit un sacrifice; il est une lumière qui s'exalte dans les ténèbres; et plus la nuit est obscure, plus nombreuses sont les étincelles et plus ardentes. Si donc nous sommes des ouvriers intelligents du bien, semons-le sans que nos frères le sachent; n'en parlons pas, pour que d'autres êtres moins visibles ne le sachent pas non plus. Comme il nous est impossible de nous comporter de la sorte sans être vraiment humbles, le Ciel nous récompensera -- bien qu'Il ne nous doive rien - -- en greffant sur notre coeur la petite fleur de Lumière dont nous aurons été le jardinier.


Mais là ne se borne pas la pratique de la discrétion. Considérez cette qualité, non comme une vertu, mais comme un procédé, comme un instrument de travail. Vous en saisirez mieux les avantages.


De combien de querelles, de coups, de peines une médisance ne peut-elle pas être la source, en dehors du manque d'élévation morale qu'elle indique ? La critique appelle la critique, un racontar en suscite un autre, la hâblerie provoque le mensonge, et ainsi de suite. Mais admettons qu'on ne dise pas de méchancetés; nous racontons ce que nous venons de voir faire à notre prochain. Pourquoi ? Il ne nous l'a pas demandé; nous allons peut-être éveiller une envie, une malveillance, un jugement. Souvenons-nous, à tout instant, qu'avant de prétendre faire du bien aux autres, il faut savoir ne pas leur faire du mal. Nous avons le devoir rigoureux de ne faire souffrir personne. Si nos commensaux et nos amis ne sont pour nous que des occasions de mal, privons-nous-en, cherchons-en d'autres avec qui nous puissions faire et dire quelque chose d'utile.


Il faut être assez discret pour oublier à volonté ce que nous venons d'apprendre sur le compte d'autrui. Ne pas bavarder est simple; mais il faut aussi nous tenir suffisamment pour qu'on ne puisse deviner ce que nous savons. Il faut enfin que ce que nous avons appris sur le compte du prochain n'influe pas sur le jugement intérieur qui se formule, comme malgré nous, à son propos.


L'école de la prière, l'école pratique, comporte trois cours : la bienfaisance anonyme, la souffrance et la tentation. Les livres ne peuvent pas nous apprendre la prière, pas plus que les joies, et je ne sais pas s'il existe sur la terre une douzaine d'hommes qui sachent prier. Il s'y trouve des thaumaturges, certes, et des saints; on les voit prier, et leurs demandes obtiennent des réponses. Mais ces êtres étonnants sont, pour la plupart, comme des sentinelles passant un mot d'ordre, sans toujours le comprendre; ils exécutent une consigne; cependant la prière, cet acte formidable, cette effroyable témérité, cet échange incompréhensible et obscur, a lieu au delà. Or, si ces hommes vénérables ne savent pas, nous, la tourbe, comment saurions-nous ? Et pourtant notre ignorance, notre bassesse, notre nullité, il faut qu'elles prient. Il le faut.


Certaines personnes ne prient jamais, ou parce qu'elles n'y pensent pas, ou parce qu'elles ne croient pas, ou parce qu'elles n'admettent pas la prière. C'est une affaire d'éducation, ou de culture, ou de souplesse à réagir sous les heurts du Destin; chez ces personnes, l'organe immatériel de la prière n'est pas encore développé, et leur être conscient ignore le recours aux Puissances invisibles. Le développement de notre conscient s'opère en effet ainsi : quand l'homme spirituel se trouve incarné, il essaie de faire sentir à l'homme corporel les réalités invisibles et les réalités intelligibles. Si ce dernier répond à ces tentatives, il s'affine, il devient un poète, un artiste, un philosophe, ou un voyant; ses nerfs deviennent sensibles à des délicatesses, son imagination grandie et nettoyée reflète des tableaux d'Au-Delà, sa volonté aspire à l'Idéal, et ces mouvements, que la psycho-physiologie officielle nomme des fonctions, construisent dans les corps fluidiques des organes qui, à leur tour, dynamisent, vitalisent telles parties du corps physique. De ces engrenages proviennent ces changements que toute crise intérieure opère dans la personne physique; l'esprit sculpte le corps; l'oeil d'un peintre porte un signe visible, et l'oeil d'un saint une qualité du regard bien particulière. L'esprit immortel a chez eux modifié la forme mortelle.


Lorsque l'appétit de l'esprit immortel se porte vers le divin, et cela arrive toujours à un moment donné de son évolution, naissent alors les pieux désirs. Or tout désir se construit à lui-même son organe d'action et sa forme d'expression; c'est en vertu de ce fait que les artistes sacrés donnent un contour particulier aux têtes des saints personnages qu'ils représentent.


Plus on diffère un effort, plus il devient difficile; moins on prie, moins on peut prier. Il serait donc sage de commencer tout de suite, en dépit du peu de goût, de l'ennui, de l'insuccès; les moindres circonstances doivent servir-de prétextes à demander l'aide du Ciel. Jamais nous ne sommes importuns à Dieu, jamais nous ne ferons trop bien ce que le devoir nous commande.


Tout désir est un appétit, une faim; quand c'est Dieu que l'on désire, cela se nomme prière; mais en réalité tout désir, tout effort même est une prière. Or, pour avoir faim, il faut que nos forces soient épuisées.


Le travail, quel qu'il soit, est donc le préparateur de la prière; il est même, avec le bon exemple, la seule prière réelle et fructueuse pour l'immense majorité des hommes. Car, ne vous y trompez pas, ceux qu'on appelle les contemplatifs ne sont pas des exemples à suivre; ils constituent des exceptions. Le Christ ne parle nulle part de quiétude, d'extase, de mariage spirituel; tout cela, ce sont des enjolivements humains, dirais-je, si je ne craignais de vous scandaliser. Le devoir de l'homme est d'abord de vivre, d'agir, d'oeuvrer; s'il lui reste du temps, il peut se livrer à telle étude, à tel art qui lui plaît; il en a la liberté. Il peut aussi continuer son devoir et le dépasser : ce sera là le vrai mysticisme.


La prière véritable est un travail bien plus compliqué que le travail matériel; elle exige des connaissances profondes et surtout des facultés fort rares; il faut donc s'y exercer le plus assidûment.


Prenez garde qui vous priez, si c'est le Père vivant, ou si c'est un séraphin de l'Intelligence, un archange de la Beauté, peut-être un dieu de l'Égoïsme spirituel. Comprenez que l'Absolu ne descendra en vous que si le Relatif en est sorti. Laissez donc les intermédiaires, si grands soient-ils; ce ne sont jamais que des créatures; ils ne peuvent que prêter, mais non pas donner. Et puis, que savons-nous des êtres invisibles ? Quelle certitude avons-nous qu'ils sont bien réellement dans la vraie Lumière ? Si l'on s'adresse au Ciel, Ses enfants et Ses anges recevront de Lui l'ordre de nous secourir sans qu'il y ait besoin de les connaître, ni de les appeler.

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Tout endroit est bon pour prier; Dieu est partout. Il vaut mieux s'enfermer chez soi, parce qu'on n'est pas vu, et que l'attention est moins distraite; mais ne croyez pas, comme tant de dévots, qu'un lieu spécial soit indispensable pour parler au Père. L'Absolu est au-dessus, en dehors, en dedans de toutes les formes, inaccessible par les rites seuls, libre de toutes conditions d'espace et de temps.


Par contre, si ces rites sont inutiles, il n'en est pas de même du rayonnement vital de vos actes dont ces rites cherchent à utiliser l'essence. Si vous voulez que votre chambre soit pure, faites-en le temple du vrai culte, je veux dire exercez-y le bien; ne vous y mette pas en colère; n'en laissez pas les murs entendre des paroles inutiles ou malignes; il y a partout des yeux et des oreilles qui nous observent et nous écoutent; donnez le bon exemple, même aux êtres que l'on croit inanimés.


Psychiquement, il faut aussi s'enfermer dans la chambre du soi et faire le silence intérieur. Priez à haute voix, tant que personne ne peut vous entendre. Mais que vos soucis et vos passions se taisent. Dieu est toujours en nous, même quand nous ne Le sentons pas, surtout quand nous sommes dans la sécheresse. Comprenez-le bien, nous ne devons pas prier pour obtenir des consolations sensibles, ni des impressions psychiques plus ou moins agréables. Quand, en prière, vous ressentez de telles choses, je vous dirais presque de ne pas y faire attention, parce que s'en occuper distrait et amène à rechercher les douceurs spirituelles. Si le Ciel nous les donne, acceptons-les avec reconnaissance, mais ne courons pas après, d'autant plus qu'il est facile de se suggestionner et de provoquer, par une sorte d'autosuggestion ou de magie, telle manifestation psychique obscurément désirée et accueillie comme si elle nous venait de Dieu.


En priant tout haut, la demande est mieux vivante, parce que la voix donne un corps au désir, un corps, non plus artificiel, comme avec les parfums, les gestes, les schémas, les yantras, les mantrams et les psalmodies, mais un corps normal et naturel. Nous faisons ainsi collaborer à un peu de bien l'air, les organes de la parole, les centres du langage; nous donnons un exemple salutaire aux esprits des choses qui nous entourent et une nourriture à nos témoins invisibles. Pour les hommes, l'univers se divise en sphères, en hiérarchies; pour le Ciel, ces parties gardent bien leur existence séparée, mais Il les rassemble sans cesse dans l'Unité mobile de Sa Vie. Soyons un comme cela; étant donné un acte, que notre être entier, avec ses innombrables organe, y coopère et que l'intention pure amène tous ces courants, ces muscles, ces magnétismes, ces tensions mentales, ces feux du désir, ces esprits, ces fluides et ces souffles à l'harmonie centrale dont ils proviennent.


Le beau langage est inutile pour parler à Dieu. Il y a de par le monde beaucoup plus de païens qu'on ne le croit (Matthieu VI, 7). Je ne veux pas dire que le brahmanisme ou l'islamisme ou le catholicisme fassent mal en ordonnant des milliers d'invocations à leurs fidèles; mais ils ne les mènent pas directement vers le Centre. Il y a en l'homme deux parties : le coeur spirituel où brille la lumière divine et le reste où brillent des lumières naturelles. Quoi que fasse ce reste, si le coeur n'y coopère pas, ces énergies extérieures n'atteignent pas Dieu; et si le coeur agit, il n'est pas besoin du reste. Quand un dévot récite pendant une heure, il est presque impossible qu'il pense tout le temps à ce qu'il dit; ses paroles vont dans le plan invisible des sons, et y évertuent certaines ondes qui sont capables de produire des effets sur la matière psychique ou même physique; mais le Ciel n'a pas été atteint. Et si le dévot est un prodige de volonté et qu'il a pensé pendant toute l'heure, sans défaillance, à ce qu'il demandait, il a perdu cinquante-cinq minutes à refaire ce qu'il lui aurait suffi de cinq minutes pour mener à bien.

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Les mêmes remarques s'appliquent exactement à tous les rites : depuis les gestes liturgiques auxquels nous sommes habitués dès l'enfance jusqu'aux déterminations astrologiques, jusqu'aux observances innombrables qu'on suit encore aujourd'hui dans l'Inde et en Chine. Tout cela, ce sont des supports à la faiblesse ou des excitants à la tiédeur; ils sont utiles; mais ce ne sont que des auxiliaires. Ne leur donnons pas le rôle essentiel.

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Comment se faire entendre de Dieu ? Je vais encore me répéter, mais les vérités essentielles sont si peu nombreuses qu'il faut revenir sans cesse des principes à leurs applications.


Le Père sait ce dont nous avons besoin sans que nous le Lui demandions (Matthieu VI, 8); parce qu'II sait tout, sans doute, mais d'abord parce que Lui seul est bon. Et cependant il faut prier; nous le devons, même si nous croyons ne faire que quelque chose d'inutile, parce que prier, c'est un acte, parce que prier, c'est obéir au voeu de la Nature et couronner l'effort universel.


Tout prie; la pierre qui mûrit dans les ténèbres de la mine, la plante qui cherche le soleil, l'animal qui en salue la course; tout acte est une demande; un résultat ne s'obtient pas à cause de notre volonté, mais parce qu'en travaillant à sa réalisation, nos énergies, les plus physiologiques même, désirent et espèrent le succès. Seul le coeur de l'homme, trop souvent, se croit maître du monde et rejette toute idée de secours. Et, comme notre esprit est la fleur suprême de la Nature entière, nous sommes obligés de parfaire le grand oeuvre de l'évolution et d'en relier l'effort au trône du Père.


Mais nous nous agitons aujourd'hui bien loin encore de cette prière vivante, apanage des esclaves de l'Amour et à la voix desquels obéissent les maux, les événements et les créatures. C'est pourquoi, tels que nous sommes, ce que nous pouvons faire de mieux, c'est de prier par l'exemple.


Ceci posé, recherchons les conditions indispensables pour que la prière soit entendue de Dieu. Dieu est partout cependant et, de tous les êtres, c'est Lui qui nous est le plus proche, parce qu'II est au centre de nous-mêmes; or nous pouvons être, et nous sommes trop souvent loin de Lui, car notre coeur est double; dans bien des cas notre voix n'arrive pas jusqu'à Lui parce que notre volonté ne parle pas le langage du Ciel. Il faut donc d'abord vivre selon la Loi avant que de vouloir prier.


Ensuite, il faut être humble. Dieu n'écoute pas les orgueilleux, ceux qui se croient forts ou savants ou adroits. Personne ne peut se croire tel, s'il a jamais jeté un coup d'oeil sur l'énormité des puissances qui nous écrasent et sur l'immensité des inconnus qui nous entourent. Cela, c'est le niveau raisonnable de l'humilité, c'est le plus simple. Il faut encore ne pas se croire meilleurs ou plus intelligents que ses camarades; c'est déjà plus difficile et nécessite une certaine connaissance de soi-même, avec pas mal d'expériences désagréables, car ceux-là seuls sont indulgents qui ont souffert.


Rares sont les disciples qui descendent à cette troisième espèce d'humilité, par laquelle on s'estime le dernier des hommes, le moins bon, le moins intelligent, le moins digne d'intérêt, par laquelle on entr'aperçoit que " nous n'avons rien que nous ne l'ayons reçu " , comme le dit l'Apôtre. D'ailleurs l'humilité est un abîme sans fond; on peut toujours y descendre davantage sans crainte de se perdre. C'est la plus sûre des retraites et rien ne nous devrait coûter pour la conquérir, parce que la porte n'en est jamais à la même place; il faut recommencer sans cesse le combat pour la passer.


La troisième condition nécessaire pour que la demande soit entendue, c'est d'être sur le chemin de la Paix; le Ciel est le monde de la paix. Il faut pardonner à ceux qui nous ont fait du mal, non seulement aux hommes, mais à toute créature, aux événements, aux invisibles, aux idées, aux sentiments, aux choses. Nous ne pouvons jouir de cette mansuétude que si nous avons confiance que le Père ne donne pas d'épreuve injuste. Quand nous voulons Lui parler, oublions un instant nos ennuis; nous pourrons ensuite les soutenir avec plus de calme et mieux les combattre. Et le pardon est le meilleur anesthésique pour apaiser nos souffrances d'amour-propre.


En quatrième lieu, il faut s'adresser au Ciel dans un sentiment de reconnaissance et pour les bonheurs et pour les malheurs; si les uns sont des moments de repos, les autres sont les uniques moyens de notre avancement, puisque nous craignons encore l'épreuve.


Cinquièmement, il faut être attentif à ce que l'on dit; il faut l'être parfaitement, non seulement d'intelligence, mais de coeur et de corps. Cette condition est difficile à réaliser; nous sommes essentiellement distraits, parce que nous perdons beaucoup de temps et que nous disons beaucoup de paroles inutiles. Vous vous souvenez que nous avons déjà traité de ceci. L'attention sert donc d'abord pour que la demande porte et ensuite pour l'instruction des auditeurs et des spectateurs invisibles qui nous entourent; s'ils nous voient occupés d'autre chose que de ce que nous-demandons, ils ne peuvent pas nous prendre au sérieux, ils s'en vont, et nous devenons responsable du scandale et des erreurs qui s'ensuivent.


Tout en étant persévérants dans vos demandes, n'oubliez pas de dire : Que la volonté de Dieu soit faite. Un désir trop enthousiaste ou trop avide d'être exaucé introduirait dans la prière un ferment de volonté propre.


Cet ensemble de conditions doit finir par vous paraître passablement difficile, compliqué. Ce n'est qu'une apparence. Dans le spirituel, bien plus encore que dans le matériel, tout se tient, tout est un, partout; attelez-vous à la réalisation d'une seule règle et ne prenez la suivante qu'après vous en être rendus maîtres dans toutes les applications de la première. Votre effort pour celle-ci vous allègera singulièrement l'effort nécessaire au contrôle des autres. Et puis, surtout, ne croyez pas devoir à vous-mêmes les résultats acquis; dans nos ascensions vers le mieux, c'est du Ciel que viennent la force, la réussite et les fruits; nous, quelque grande que soit notre énergie personnelle, ne fournissons rien que notre adhésion au secours divin. Je ne puis vous donner de preuves générales de ceci; mais l'observation vous en fournira certainement à chacun, et de très convaincants, parce qu'elles seront expérimentales.

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En outre il y a une tenue intérieure habituelle qu'il faut prendre et garder, et qui rend tous nos gestes plus aisés. Dieu est simple; Il est avec les simples; Il les écoute plus volontiers. Il Se penche vers les humbles, vers les petits, vers les pauvres; c'est pourquoi les mystiques affirment que l'Absolu, l'Incréé se déversent en nous dans la mesure où nous laissons s'écouler de notre coeur le relatif et les créatures.


Il suffit donc de s'adresser au Père, dans cette même candeur avec laquelle, lorsque nous étions petits, nous demandions à nos parents ce qui nous faisait envie; la forme de la demande importe peu; nous sommes si jeunes encore que la plus sublime esthétique est gauche et malhabile au regard de l'éternelle Beauté.


Les légendes qui montrent les Anges recueillant les prières des saints pour les porter, de hiérarchie en hiérarchie, jusqu'au trône de Dieu, sont vraies. Ce ne sont pas toujours des anges, au sens théologique du mot, qui remplissent cet office; il n'importe; tout cela est prévu et ordonné, chaque chose retourne à sa mère : les lumières vont à la Lumière; les ténèbres vont au Néant. Et les unes et les autres montent ou descendent suivant leur densité. La demande s'élève ainsi aussi haut que la pureté du demandeur donne de force à ses ailes. Les prières des hommes n'arrivent donc pas toutes aux pieds du Père; mais, quand la sphère où elles touchent est trop ardente pour elles, il se peut, en effet, que des êtres de compassion les recueillent, les fassent leurs, et les présentent à Dieu, comme pour leur propre compte. C'est ainsi que nous sommes plus souvent exaucés qu'il ne devrait.


Ces êtres intermédiaires, dont il est inutile de chercher le nom ou l'essence, n'entendent que ce qui porte le sceau de l'Unité; et vous les prieriez, eux, qu'ils comprendraient moins bien vos désirs que si vous vous adressiez directement à Dieu.


Nous ne pouvons penser sans que quelque chose de notre esprit (magnétisme, astral, mental, etc.) ne sorte vers l'objet de notre pensée. Dans cette recherche se font des rencontres imprévues; et c'est ainsi qu'en travaillant une question, nous pouvons en résoudre incidemment une autre. Or la prière vraie est une sortie totale de l'être, qui s'obtient par un calme parfait, une attention profonde; il est donc tout naturel que nous éprouvions pendant qu'elle monte des sensations spéciales, des émotions psychiques, spirituelles et mêmes physiques . Ces émotions constituent un écueil, car notre nature nous portera vers celles de ces touches qui nous seront les plus douces, nous les fera considérer, peut-être à tort, comme le signe de la faveur divine, et nous en arriverons vite à oublier l'objet de la prière, qui est Dieu, pour tendre, par notre propre volonté, vers un accident phénoménique. De là on retombe dans les illusions, dans ce que les hermétistes appellent l'astral.


Tandis que vous priez, ne vous arrêtez pas à noter, goûter, à analyser les sensations particulières que vous pourrez percevoir; ne quittez pas le but; si ce sont des êtres mixtes ou mauvais qui vous envoient ces manifestations subjectives ou objectives, vous gagnez à ne pas vous y laisser prendre; si ce sont des êtres de Lumière, ils ne peuvent se formaliser de ce que vous ne voulez vous en tenir qu'à Dieu seul.


Nous sommes terriblement loin de l'Absolu; avant d'y arriver, que de déserts, de précipices, de tempêtes ! Ne vous inquiétez donc pas des distractions, des sécheresses, des tentations que vous subirez en priant : ce sont les incidents du voyage. Tenez ferme du fond du coeur; c'est dans ce centre le plus intime de vous-mêmes que, si votre voix est entendue, la réponse se fera connaître. Vous n'en saisirez que très rarement les mots; mais vous en goûterez toujours l'exquise fraîcheur, le charme, l'action vivifiante et régénératrice. Ne cherchons rien d'autre; remercions quand cette faveur nous est accordée; remercions encore quand elle nous est refusée, parce que c'est ainsi que notre foi grandira.


Je ne vous dis pas de mépriser toutes manifestations de l'Invisible, d'où qu'elles viennent; je vous dis de ne pas les rechercher, de ne pas vous y attacher. Notez-les comme le savant note les réactions du laboratoire. Tout comporte un enseignement : visions, voix, souffles, déplacements d'objets, tremblements; ce sont bien des plans qui se déplacent, qui viennent à nous, ou c'est peut-être nous qui allons chez eux. Ne bâtissez pas de systèmes. Si vous agissez selon la Loi, le Ciel fera tout le nécessaire pour que vous connaissiez le vrai, même si vos devoirs et vos charges ne vous laissent pas le temps d'étudier ou de réfléchir.


La prière est un acte immense; c'est le plus surhumain des efforts. Derrière chacun de nous se pressent des peuples qui attendent avec angoisse que nous leur ouvrions les portes du temple où ils pourront prier; il en est qui meurent de ce désir. Nous sommes responsables de ces souffrances que nous ne soupçonnons pas cependant, parce que nous savons tous que la prière est un devoir. Nous en sommes encore plus responsables dès ce moment. Et, quand nous nous rendons inconsciemment aux voeux de ces êtres, notre voix est pour eux une harmonie, une lumière et une rosée.


Permettez-moi de vous le dire, je vous apprends ces choses, ou plutôt je vous en fais ressouvenir; mais vous n'aviez pas besoin de les savoir pour agir avec rectitude. Car dès le commencement Dieu a fait connaître l'homme tout le nécessaire. Maintenant vous aurez en même temps moins de mérite à faire votre devoir, puisque la science aura crû en vous au détriment de la foi, et plus de responsabilité si vous ne le faites pas, puisque vous en connaissez à peu près quelques-unes des raisons. Croyez-le bien, pour faire la volonté du Ciel, pour retourner au Ciel, il n'est pas indispensable de comprendre tout; l'intelligence est un encouragement que Dieu donne, mais non pas une méthode de travail irremplaçable. Il suffit d'avoir confiance en notre Jésus-Christ. Les efforts méditatifs et volontaires servent mal à porter nos demandes aux pieds de Dieu; les actes bons et la purification du coeur sont les vrais véhicules.

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Après tout ce que nous venons de dire, vous comprendrez que le langage dans lequel on prie est indifférent. Ceux qui sont imbus des théories de l'occultisme croient que les langues savantes, le sanscrit, l'hébreu, le grec, le latin possèdent une force plus grande pour agir dans l'atmosphère fluidique. Ce qu'ils oublient, c'est que tout a sa croissance, sa maturité, sa décrépitude. Les anciens idiomes furent vivants autrefois; aujourd'hui, ce sont les langues modernes qui ont la vie; c'est elles qu'il faut employer, dynamiser et spiritualiser. Nous naissons dans le sein de telle ou telle nation parce que notre travail actuel est dans cette société. Il ne faut pas s'hypnotiser sur les anciens; la Nature ne recule pas, elle avance sans cesse. Ce que nous avons à faire, c'est de mettre la Lumière intérieure en contact avec toutes les formes présentés de la vie créaturelle; il est inutile de s'occuper de l'astral, de l'éther, des fluides secrets; c'est le plan dont nous possédons la conscience innée qui doit recevoir nos soins; nous travaillerons plus tard les autres plans. Ne cherchons pas les choses lointaines et abstruses; contentons-nous de l'immense devoir quotidien, du terre à terre, du tangible; il y a là beaucoup plus d'ouvrage certainement que nous n'en ferons.


Qui se ressemble s'assemble, dit le proverbe; et en effet tout homme qui répète les actes d'un autre homme s'unit à son protagoniste, dans le plan de ses actes. Ceux donc qui renouvellent les paroles et les actes du Christ, même dans la minime mesure de leurs capacités, s'ils le font de tout coeur, s'unissent à Lui.


Car Sa vie forme une prière ininterrompue; Lui-même Il est l'incarnation vivante de la prière; Il fut le pionnier qui fraya le chemin par où nos appels peuvent monter jusqu'au Père; Il est le médiateur, l'intercesseur, le prêtre, la victime et le sacrifice.


Rien de ce que Notre Seigneur Jésus-Christ a pensé, agi ou dit, ne vient d'ailleurs que du Ciel. C'est pour cela qu'II est philosophiquement incompréhensible; le mental ne peut même pas regarder cette infusion de l'Absolu dans le relatif ni cette effusion du relatif vers l'Absolu, dont la double courbe est la vie propre du Sauveur. C'est la réalisation de l'impossible, la matérialisation de l'invisible, l'existence de l'inconcevable.


Ainsi la prière modèle qu'Il a donnée à Ses disciples n'est pas que l'expression des besoins de l'Univers; c'est aussi l'énoncé des choses que le Père juge utiles à notre béatitude personnelle comme à la béatitude de la Nature tout entière. C'est le tableau du mouvement cosmique; elle en indique les composantes, les points de départ, les buts, les modes. Elle représente l'armée des créatures dans son ascension collective, et la loi de perfectionnement du composé humain. Elle est, en un mot, l'image de la Vie.


C'est donc avec juste raison que certains mystiques y ont découvert la règle des stases extraordinaires de la conscience individuelle et que d'autres y ont retrouvé les arcanes de la création du monde.


Le premier de ces points de vue, c'est sainte Thérèse qui le développe le plus clairement. Selon elle, quand l'âme a reconnu le Père qui est aux Cieux, par les méthodes de la connaissance humaine, par les opérations discursives de l'entendement, elle entre dans l'abandon et commence la pratique de l'oraison de quiétude dont les deux premières demandes du Pater décrivent les phases. La louange : Que Ton nom soit sanctifié est, en effet, un repos après la fatigante ascèse de la vie purgative et de la méditation logique. C'est la première aube de la vie contemplative; la créature a donné presque tout son effort; le Créateur va l'illuminer comme en réponse à la seconde demande : Que Ton règne arrive. La quiétude atteint ici son niveau; la joie descend dans l'âme et se communique parfois jusqu'au corps qui peut devenir le théâtre de phénomènes extraordinaires.


Mais, ce premier réconfort goûté, commence une nouvelle période de travail dont la troisième demande : Que Ta volonté soit faite pose les fondements par l'humilité, par l'anéantissement intérieur complet de la créature.


L'essence de ce travail est l'assimilation de la volonté divine par la volonté humaine, dont la vie devient peu à peu un sacrifice constant. Les douleurs que cet effort produit sont les signes de la nouvelle naissance, de la genèse mystique du Verbe en nous. C'est là ce pain quotidien dont chaque jour nous apporte une miette; aliment si fort, si généreux que la masse des âmes ne peut le supporter. Tous les ennuis, toutes les épreuves, toutes les persécutions, toutes les souffrances imaginables ne sont, en réalité, que les effets sur notre esprit intérieur de ce remède divin.


Et la cinquième demande, le pardon, doit être la pierre de touche de toutes les vertus, le signe de la régénération, la preuve objective et matérielle que toutes les parties de notre être se sont assimilé le pain mystique, le Verbe vivant.

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Mais laissons aux âmes d'élite les mystères que découvrent leurs efforts exceptionnels; restons sur le sol où vit la foule; ne nous offre-t-il pas tout ce dont notre faiblesse est capable de venir à bout ? Pour mieux dire l'oraison dominicale, il suffit de s'en représenter les paroles comme énonçant des choses réelles, et non pas des allégories ou des abstractions vagues. Examinez chacune de ces paroles dans toute l'étendue de son domaine universel, dans toute la profondeur de son sens humain; une seule suffirait alors à remplir vos heures d'enthousiasme, à vous verser toute la force, à vous éclairer de toute la certitude.


Ce nom de Père, la puissance, la sagesse, la bonté qu'il évoque, le retour vers Lui à qui toute chose devrait nous ramener; ce règne sur le monde et sur nous, et sur toutes les parties de l'un et de l'autre, ce gouvernement effectif, actuel, constant, paternel d'abord, ensuite royal; cette volonté, le Christ même, que nous désirons voir se réaliser, s'incorporer en tout dans l'univers, -- en tout dans notre personne; ce pain, source et somme de tous les aliments imaginables, dans toutes les variétés des substances de la Nature; ces offenses, commises ou subies, règne désespérant du mal contre lequel il faut espérer; ces tentations excellentes à nous faire des athlètes spirituels, nous et toutes les créatures; ce mal enfin, qui nous charme et que nous ne comprenons pas, qu'il faut affronter, et dont le Père seul nous délivre, quels sujets immenses pour réfléchir, pour admirer, pour adorer ! Et qu'est-il besoin, si on les contemple avec simplicité, de sens hiéroglyphiques, de transcriptions savantes et de rites ?


Les tâches obscures qui sont notre loi ne sont pas moins ardues que les élans du mysticisme spéculatif; elles le sont peut-être encore plus. Le Père donne à qui Il veut et ce qu'Il veut. Tel est sublime maintenant qui peut devenir imbécile dans une heure. Il vaut mieux donc ne considérer que l'effort immédiat et concentrer sur le présent toutes nos énergies.


Voici les quelques explications utiles pour, dans l'état actuel de nos connaissances, comprendre l'oraison dominicale et la dire le mieux possible, du fond du coeur, nous unissant à Celui qui nous l'a transmise.


Notre Père. -- L'idée de secours qui naît dans le coeur de l'homme doit monter, en bonne logique, jusqu'à l'Etre tout-puissant par excellence. Quant le Christ nomme Dieu, le Père, c'est pour nous en faire pressentir l'infinie sollicitude. Le Dieu de l'Évangile n'est pas le Jehovah vindicatif des Israélites, ni le Parabrahm indifférent et impassible des Védas. L'amour qu'Il a pour nous Le fait soucieux de notre sort, affligé de nos erreurs, heureux de nos joies saines. Si nous avions les yeux ouverts, nous serions confondus au spectacle de tous les êtres et de toutes les forces que ce Dieu met en oeuvre pour nous donner la vie, pour nous la conserver et pour nous l'accroître. Bien loin de châtier, Il guette les moindres mouvements du repentir pour S'élancer au-devant de l'enfant prodigue, lui tendre la main, le réconforter. Rien n'arrive dans notre existence, nous ne prenons pas un morceau de pain, nous ne touchons pas un caillou, sans que le Père ne l'ait prévu et, l'ayant jugé bon, ne l'ait permis. Tout ceci, vous le savez, mais il n'est pas mauvais que vous l'entendiez dire, parce que, souvent, nous n'osons pas suivre les conséquences logiques d'une intuition spirituelle; la nature en nous s'effare et tremble devant les clartés divines. Ainsi écoutez la voix presque imperceptible de l'Ami qui parle tout au centre du coeur et, quand vous l'aurez entendue, obéissez-lui envers et contre tout.


Qui êtes aux Cieux. -- Le Ciel de l'Évangile n'est pas un paradis comme les lieux de repos des religions anciennes; les paradis ne sont que des plans d'existence plus ou moins supérieurs à la terre et sur la plupart desquels l'esprit de l'homme se délasse et reprend des forces pour une descente ultérieure à un enfer quelconque. Ainsi, selon la croyance des réincarnationistes, tel homme, comblé sur la terre de toutes les joies, se trouve en paradis; tel autre, poursuivi par le malheur, y est en purgatoire. Tout lieu d'existence est paradis pour les uns, purgatoire pour les autres, selon les mérites antérieurs. Parmi ces " jardins de délices " , il en est où la beauté, l'intelligence, la splendeur s'épanouissent avec des millions de fois plus d'abondance qu'ici-bas; mais, bien que le bonheur dont on peut jouir sur ces sphères radieuses soit aussi inimaginable pour nous autres que les grandeurs astronomiques comparées aux mesures terrestres, on ne reste qu'un temps limité dans ces mondes. Tandis que l'Absolu, le Ciel, le Royaume de Dieu nous offre un séjour éternel.


C'est par excellence la résidence du Père; et si certains traducteurs de l'oraison dominicale écrivent " aux Cieux ", il faut en conclure que Dieu est partout, même dans le royaume de la Mort. Il laisse bien les créatures construire des murailles entre elles et Lui, mais Il les voit tout de même; pour Lui il n'y a ni voiles, ni barrières, ni cavernes.



3° Que votre nom soit sanctifié. -- Vous avez pu lire, dans des ouvrages spéciaux, des adaptations ésotériques du Pater, où l'on disserte abondamment sur des termes de Kabbale plus ou moins analogues au paroles qui nous occupent. Ne vous enthousiasmez pas trop de ces spéculations. Sur dix auteurs qui traitent de tels sujets, il n'y en a pas un, croyez-le, qui écrive d'expérience. Les séphiroth existent bien, et tous les plans dont parle le Zohar et tous les lokas des Brahmes, et bien d'autres encore; seulement il est très difficile d'aller les exploiter en gardant son équilibre psychique. Ce n'est pas la curiosité qui manque aux amateurs, c'est la capacité.


Les plus hauts adeptes même ne savent rien ou presque rien sur l'essence du Nom, ni sur celle du Nombre. Ne tentez pas d'effort mental extraordinaire; gardez votre énergie pour l'accomplissement du devoir journalier. Vous sanctifierez ainsi le Nom du Seigneur d'une façon bien plus vivante, bien plus saine et bien plus féconde que par n'importe quelle méditation. L'hommage que nous rendons à Dieu par cette demande est la simple reconnaissance du néant que nous sommes devant Lui, et la gratitude infinie que nous devons avoir pour tous Ses bienfaits. S'il existe de par le monde des êtres de qui nous ne sommes pas dignes de délier le cordon de la chaussure, à plus forte raison ne sommes-nous même pas dignes de lever les yeux sur le Père. Jamais nous ne Le remercierons assez.



4 Que votre règne arrive. -- Dieu est le maître de l'Univers; mais Il attend, pour affirmer manifestement Sa souveraineté, que les créatures la reconnaissent. Dans l'état actuel des choses, Il laisse donc la puissance visible à ceux des êtres qui abusent de la force qu'Il leur a donnée. Cette usurpation n'a pas lieu sans Son consentement tacite, il est vrai; mais Il cache aux hommes la permanence de Sa sollicitude. De sorte que, à regarder d'en bas, ce n'est pas Son règne qui fleurit, c'est celui des dieux, des diables et des hommes. Les enfants du Ciel doivent donc désirer la manifestation divine. En d'autres termes, la soumission des créatures à leur Créateur, qui est parfaite dans le plan divin où elle constitue, par sa réalisation biologique, le Royaume de Dieu, doit descendre peu à peu de l'Absolu pour s'incarner successivement dans chacune des régions du relatif : dans les nébuleuses, dans les planètes, dans les fluides, dans les animaux, les végétaux, les pierres et les hommes, dans tout être, collectif ou individuel, invisible ou visible.


Le règne de Dieu dans l'homme, c'est la santé physique, morale ou intellectuelle; le règne de Dieu sur une planète, c'est un paradis physique, organique, social; le règne de Dieu dans l'univers, ce sera la réintégration totale. Et l'un des effets capitaux de l'oeuvre du Christ a été d'asseoir ici-bas les fondements de cette souveraineté divine et béatifique.



5° Que votre volonté soit faite. -- Il est évident que nous ne connaissons pas les desseins de Dieu directement; c'est la première raison pour laquelle il nous faut Lui demander qu'Il les accomplisse. Nous sommes certains de leur excellence, intellectuellement d'abord, par définition, pour ainsi dire; et, ensuite, nous souhaitons les voir réalisés par amour pour leur Auteur. L'Absolu, en effet, n'est pas seulement l'impassible, l'indifférent et l'impersonnel que disent les panthéistes; puisqu'II est l'Absolu, Il doit contenir d'abord toutes les formes de la vie relative et, quand Il S'incline vers les créatures, Il revêt la forme parfaite de leur manière d'être. En tant que Père du monde, Dieu S'intéresse à nous, prend part à nos joies et à nos peines et aime à voir nos mains levées vers Lui. Sa tendresse indulgente fait que Lui, le Tout-Puissant, sollicite notre collaboration, pourtant superflue, à Son oeuvre.


Or nous n'avons en somme à nous soucier que d'obéir à celles des volontés divines qui nous concernent. Le reste des projets providentiels se rapportant à la marche des autres créatures ne nous regarde pas pour le moment. Mais le voeu que nous formulons rend attentifs à ces projets universels une quantité d'agents qui s'accroit avec l'augmentation de notre clarté intérieure propre. Quant aux desseins que Dieu a formés sur nous, Il nous les fait connaître par la conscience d'abord, par la parole de Ses envoyés ensuite. Ces deux codes suffisent à résoudre toutes les incertitudes des décisions que nous pouvons avoir à prendre. Toutes les règles qu'ils contiennent se résument dans la charité. Or, comme les désirs des créatures en reviennent tous à la satisfaction de l'égoïsme, nul ne peut aider son frère sans se gêner soi-même. Par suite, faire la volonté de Dieu, c'est briser sans relâche les désirs personnels, la volonté propre, les plaisirs du Moi.



6° Sur la terre comme au Ciel. -- Ceci est le corollaire de la réalisation du règne de Dieu. Le Ciel, comme je vous l'ai dit tout à l'heure, est le lieu où la volonté du Père est parfaitement exécutée; toutes les formes de la vie sur ce plan sont les formes mêmes de cette volonté divine et ne subsistent que par elle seule. Ici-bas la vie vient aussi du Père, dans son principe; mais, dans son développement, elle se sustente et se vicie d'autres aliments que de celui de l'Éternité. Il faudrait donc que sur terre la faim des êtres, la nature intime de leur désir de vivre, change. Le Père connaît seul le moment opportun et les moyens d'opérer cette conversion; c'est pour cela qu'on Lui demande de faire accomplir Sa volonté; par cela seul qu'elle est Sienne, elle est parfaite. Dans la proportion où les hommes obéissent à Dieu, la Nature entière se guérit, se perfectionne et se libère. La seule étude indispensable est donc de connaître la volonté du Ciel, et le seul travail réel est de dépenser toutes nos forces à la réaliser.



7° Donnez-nous aujourd'hui notre pain quotidien. -- L'homme se fiant à lui-même croit être libre; il n'est qu'un esclave de ses passions ou de ses désirs. A un certain point de vue les unes et les autres sont les hochets que des dieux agitent devant les yeux de notre esprit, pour nous faire travailler conformément à leurs desseins. Et, comme tout fermier a soin de ses serviteurs et de ses animaux, ces dieux ont soin de nous et nous fournissent ce dont nous avons besoin. Mais la nourriture qu'ils nous donnent n'est pas toujours saine; souvent excitante, elle épuise nos organismes.


Le pain que le Père nous destine est seul bon. Mais quel est-il et où le trouver ? La nourriture du corps physique, tout est préparé d'avance pour nous la fournir. Si quelques-uns la trouvent difficilement, il y a une cause juste leur misère, cause qu'il nous vaut mieux ne pas connaître, ni même rechercher. Nous sommes ici-bas pour apprendre, entre autres choses, à subir l'épreuve matérielle; nous n'avons licence de juger que nous-mêmes. Les nourritures de nos autres corps : magnétique, astral, mental, psychique, quelques noms que les ésotéristes leur donnent et quel qu'en soit le nombre, sont également préparées dès avant notre naissance. Les fluides, les feux, les sentiments, les idées, les inspirations viennent en nous, selon le besoin que nous en avons pour faire notre travail, et aussi selon notre désir.


Mais toutes ces choses ne sont que les aliments des enveloppes de l'esprit, et de l'esprit lui-même, lequel, à son tour, n'est que le véhicule de l'âme, que le bois dont s'entretient la flamme éternelle qui vacille au plus profond de nous.


Celle-ci cherche, dans ce monde obscur où elle languit en exil, ce qui lui est semblable, ce qui porte un reflet d'absolu, de liberté, de surnaturel; ce sera son pain, le pain de la vie divine, que nous devrions uniquement demander au Père. Or qu'y a-t-il de divin par excellence dans la Création, si ce n'est l'amour, si ce n'est le sacrifice ?


Comprenez ici, sans perdre pour cela le calme ni la raison, que notre être est très vaste. Tous, même les retardataires, nous sommes des royaumes; chez tous l'univers immense envoie des voyageurs; le plus bas de nos actes a des réactions insoupçonnées et il est lui-même peut-être la dernière ride sur l'océan cosmique d'un caillou lancé à des milliards de lieues d'ici. Il y a donc tous les sacrifices dont la vie familiale, sociale et intellectuelle peut nous offrir l'occasion et, en plus, tous les autres, que la vie des parties profondes de notre être nous apporte. Tout ce qui s'agite dans l'immense forêt de l'inconscient, et qui aboutit, forcément et finalement, à des actes dont la vraie cause nous échappe ainsi que le sens véritable, dans tout cela il y a de l'amour divin, dans tout cela il y a, pour notre nature, de la souffrance.


La souffrance est donc une grâce, une faveur, une bénédiction. Quelle qu'elle soit, c'est le signe d'un amour; c'est elle le pain du Ciel, c'est elle que le disciple désire avec avidité, c'est par elle que se parfait notre union avec le grand Sacrifié; c'est elle qui, en se matérialisant, construit la nature humaine de l'Homme-Dieu; c'est par elle que nous retrouvons les chemins où posèrent Ses pieds vénérables.


Qu'est-ce que la vie de ce corps de chair ? C'est une assimilation et une désassimilation proportionnées de la matière terrestre. Les vies de tous nos autres corps ont des processus analogues. La vie de notre âme, c'est l'absorption de la vie divine. Et la vie divine, c'est Notre Seigneur Jésus-Christ. Qu'a-t-II fait ? Il S'est donné au monde, non pas mentalement, non pas avec de la compassion subjective, mais réellement, avec de la chair et du sang, avec tout ce que comprend l'existence. Faisons de même dans notre petite mesure; donnons aux autres du temps, de l'argent, de nos aises, de notre bonheur, de tout nous-mêmes; la gêne qui en résultera pour nous -- et cette gêne peut aller du simple petit ennui jusqu'aux pires angoisses -- , cette gêne sera un peu du froment éternel.


Pour aider notre inconstance, notre tâche est morcelée. Quel homme peut faire d'avance le plan de sa vie, ou même celui d'une année ? A cause de cela il est écrit qu' " à chaque jour suffit sa peine " . Un jour vit, en effet; c'est comme un carré de terre; il est une oeuvre, un acte complet; il faut le commencer et le finir par un retour à son Auteur; le mystère nocturne nous empêche de voir le lendemain tel qu'il sera; c'est pourquoi Jésus ne demande avec nous que le pain d'aujourd'hui.



8° Pardonnez nos offenses. -- Nous avons beaucoup parlé déjà du pardon; je vous rappellerai simplement que, pour l'obtenir de Dieu, il faut l'exercer nous-mêmes. Ce faisant, nous imitons le Christ, et Il nous prend alors avec Lui. On arrive à pardonner en se rappelant la justice universelle, d'abord, et en se tenant ensuite dans le zéro de l'humilité. Ces exercices passifs, subjectifs une fois suivis, on peut pratiquer la plus superficielle des sortes de pardons : l'oubli de l'injure par celui de nos organes qui l'a subie. C'est alors que nous pouvons dire la phrase du Pater sans craindre de nous condamner nous-mêmes.



9° Comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés . -- Ce pardon divin n'est pas un échange; c'est une récompense de la marque de bonne volonté que nous donnons en usant de mansuétude. L'autre traduction de cette demande, qui parle de la remise de dettes, offre le même sens. Une attaque subie est toujours une dette payée; une désobéissance à Dieu est toujours une dette contractée. Pour pouvoir dire ce verset, il ne faut pas craindre le qu'en-dira-t-on, la moquerie ni la ruse.


10° Ne nous induisez pas en tentation. -- Ces paroles, qui traduisent exactement la Vulgate, le Christ ne les a pas prononcées, mais Il a permis qu'elles passent dans la coutume, parce qu'elles diminuent un peu l'idée de la puissance du Diable, et qu'elles encouragent les tièdes. Le Christ a dit : Ne nous laissez pas succomber à la tentation; et, en effet, la tentation proprement dite vient de l'Adversaire, avec la permission de Dieu, comme le décrit très bien le livre de Job. Il y a deux sortes de tentations : celles qui viennent de notre perversité personnelle et sont le produit de l'alliance d'un diable avec une de nos forces; ce sont les plus communes et les moins dures. Celles qui viennent d'une visite directe d'un soldat du Mal sont plus rares, réservées aux hommes déjà forts. Une tentation à laquelle on résiste est un bon travail, un des meilleurs peut-être. D'abord on ne peut soutenir l'assaut sans humilité, sans confiance en Dieu, et sans lutte. Toutes nos puissances sont ainsi mises en oeuvre, notre esprit, notre personnalité deviennent un champ de bataille; les sept formes du mal y combattent sans cesse les sept formes du bien. Il faut, pour triompher, du calme, de la présence d'esprit et de la décision.


Vous avez vu, au Jardin des Plantes, des visiteurs taquiner les singes ou les chèvres; quand l'animal, agacé, donne un coup de corne ou crie, l'homme est content et s'en va heureux; il a sorti un peu du mal qu'il avait sur lui, à moins que la patience de son souffre-douleur ne l'ait lassé. Il y a des êtres auprès de nous, plus forts et plus indulgents que nous, qui nous taquinent ainsi; nos débats les font rire, bien que nos souffrances nous paraissent horribles et désespérantes et infernales. Quand nous n'en pouvons plus, nous crions : Ne nous laissez pas succomber à la tentation, et un gardien arrive, qui éloigne le promeneur taquin, en lui faisant honte de sa méchanceté.


Si donc la tentation vient à vous, la première précaution à prendre est de rester calme; ne vous montez pas la tête. Ce qui nous paraît grand est si petit en face seulement des grandeurs que contient le monde. Et, si vous êtes un soldat du Ciel, vous subirez l'attaque avec patience, et vous ne demanderez pas que le persécuteur s'en aille.


11° Délivrez-nous du mal. -- C'est le mal universel dont nous désirons être guéris; maladies physiques, ignorances, égoïsmes, misères sociales, laideurs, cruautés, esclavages de toutes sortes. Comme je vous l'ai dit souvent, nous ne pouvons pas nous délivrer nous-mêmes. Un homme qui montre sans cesse une vertu héroïque, ce n'est pas sa vertu qui le guérit ou qui l'illumine; ses travaux ne sont qu'un geste ou une demande; et le Père le sauve en raison de cette prière active. Je vous le répète, Dieu fait tout en nous; nous ne pouvons que nous mettre dans la meilleure attitude pour profiter de Ses dons, en Lui demandant d'éclairer la faiblesse de notre discernement.


12° L'Ainsi soit-il et la formule gnostique ou kabbalistique par laquelle on termine quelquefois l'oraison dominicale se comprennent d'eux-mêmes. C'est l'acte de foi, sans lequel rien ne peut être obtenu, ni accompli. Nous avons eu et nous aurons encore souvent, d'ailleurs, l'occasion de parler de la foi.