PRÉFACE « Veillez, car vous ne savez ni le jour ni l'heure.. ou l'époux paraîtra »(Matthieu XXV, 13)
La parabole des Vierges sages et des Vierges folles se renouvelle chaque jour. C'est que nous sommes trop dans le vague, encore trop dans l'irréalité de nos préoccupations personnelles, trop dans la nonchalance de nos toutes petites convoitises. Il faut sortir de soi, à tout prix, et de propos décisif, ou sinon, un jour, de durs bergers nous pousseront, avec des lances en guise de houlettes. Dans cette sphère partielle que la psychologie nomme le conscient, nous devons n'ignorer rien de ce qui s'y passe, nous devons tout y soumettre au contrôle de la Loi évangélique; ici, soyons les tyrans de nous-mêmes. Mais, lorsque nous avons reconstruit notre personne à l'image de Jésus, tel du moins que nous Le voyons, alors rendons la main à nos enthousiasmes pour appeler de toutes nos forces, que la discipline aura décuplées, une forme inconnue, plus haute, plus belle et plus vraie de Celui qui n'attend que notre cri pour descendre auprès de nous. Tout cela se résume en un mot : la patience, la force d'accepter, la force de pâtir. La patience parfaite nous sacre rois de nous-mêmes; c'est pourquoi certains se sont écriés : ou souffrir, ou mourir. Je sais bien que nous sommeillons dans la nuit ; au moins que l'étoile unique de la foi y luise ; que les grands souffles de l'Amour l'embaument. L'allégresse n'est pas dans les choses; elle sera dans notre coeur, si nous en avons versé les impuissances et les scories dans le coeur incandescent de notre Maître, qui seul nous aime pour toujours. Quand on est distrait dans la prière sans souffrir de ces distractions; quand on est sec, dégoûté; quand on ne donne plus à ses devoirs le temps normal; quand on commet des fautes sans que cela nous inquiète; ne lire que pour tuer le temps : ne travailler que pour ne pas se faire remarquer; chercher ses aises : voilà la tiédeur. L'Amour n'a besoin pour s'épanouir que de soi-même; plus il se donne, plus fort et plus splendide il renaît. Il ne s'enquiert pas des chances de réussite, il ignore les temporisations prudentes, les combinaisons adroites, les précautions timides. Des qu'il aperçoit une larme, il s'élance pour la sécher; entre l'agresseur et la victime on le voit s'offrir et, bien que faible, nu, sans armes, il triomphe finalement de toutes les violences. Sa force réside dans sa spontanéité, parce qu'il est, par sa racine, identique à l'Esprit. L'Amour, la ferveur, le feu, voilà ce que nous devrions demander tout les matins et tout le long des jours. Mais, je vous le répète, il faut subir d'abord une préparation, une mundification, une purification. Nous devons alors obéir à la maxime du renoncement dans toute sa rigueur. Chaque fois que l'on sera sur le point de faire quelque chose qui ne soit pas manifestement un devoir ou une charité - même la chose du monde la plus insignifiante - , chaque fois qu'une impulsion irréfléchie naît qui ne soit pas du dévouement, on devra la refréner, se forcer à l'acte contraire. Notre Jésus S'est condamné à toute une vie de sensations, de travaux, de promiscuités insupportables à la finesse exquise et à la subtilité de Sa nature. Forçons nous donc : soyons sans indulgence pour le moi; nourrissons-le copieusement, mais nourrissons-le de ce qu'il n'aime pas. En face de chaque acquisition, de chaque expérience, de chaque aise que la vie nous offre, demandons, nous d'abord : Est-ce que j'aime cela ? Est-ce que je ferais cela volontiers ? Si oui, refusons, prenons le parti contraire; mangeons ce qui nous déplaît. Notre esprit s'allégera et s'illuminera après chacun de ces petits calices amers et deviendra du même coup capable de toucher un nombre d'esprits de plus en plus grand. Dès lors l'Amour commencera de répandre autour de nous sa très pure clarté; nous n'aurons plus besoin de syllogismes pour parvenir à l'action. La vraie vie sera en nous. En face des créatures et des événements notre intelligence comprendra tout de suite, notre coeur sera tout de suite ému, nos bras se tendront d'eux-mêmes pour alléger le fardeau des faibles. Ce ne sont pas les héroïsmes prestigieux les plus difficiles; ce sont les petits sacrifices. Ce sont donc ceux-là les plus riches. Ce sont eux les infimes cristaux qui, fondus par milliards au foyer de l'Amour, forment les murailles impérissables de la Cité divine. L'ascèse mystique est un fait admirablement un. Il suffit que vous pensiez à Jésus pour que vos oeuvres les plus vulgaires, vos préoccupations les plus lointaines se rassemblent d'elles-mêmes vers ce but, à la fois tout proche et infiniment éloigné. Et, si vous vous souvenez qu'entre tous les mondes, par centaines de mille, peuplés de créatures intelligentes et responsables, cette terre compte parmi le petit nombre de celles qui, jusqu'aujourd'hui, ont porté le Verbe, vous comprendrez pourquoi ceux qui peuvent se sacrifier peuvent aussi se faire entendre de Celui qui est la Parole du Père. Les thèmes que je vous propose dans ce manuel sont donc destinés à nous faire reprendre souffle au milieu du combat, à remettre de l'ordre en nous-mêmes, à nous remémorer les principes, à rassembler notre attention, à resserrer le contact intime avec Notre Maître. Ce sont des exemples : vous pourrez vous en choisir d'autres; l'essentiel, c'est que le disciple ménage par intervalles à sa pensée des détentes grâce auxquelles il disposera ses forces avec plus de calme, de lucidité, d'assurance et qu'il s'habitue ainsi à conduire ensemble aux labeurs du service mystique les énergies de sa raison, de son corps et de son coeur selon une harmonie de plus en plus profonde. L'unité de notre être sera le résultat magnifique de cette triple discipline. |