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HOMÉLIES SUR LA PÉNITENCE.

 

CINQUIÈME HOMÉLIE (1). Du jeûne ; — sur le prophète Jonas ; — sur Daniel et les trois jeunes hommes ; — sur la Pénitence ; — elle a été prononcée au commencement du Carême.

 

ANALYSE.

 

1° Le jeûne nous rassemble dans la maison de Dieu notre Père, et nous ramène dans les bras de l'Eg lise notre Mère. — Il met en fuite les démons, il soutient la vertu des solitaires, il conduisait Moïse et Elie en présence de Dieu. — 2° Vous méprisez le jeûne, Dieu porte contre vous une sentence de mort; vous le pratiquez, Dieu la révoque. —Exemple des Ninivites. — 3° Un jeûne de trois jours les sauva. — C'est moins la longue durée que l'énergie de la pénitence qui efface les péchés. — Exemple de saint Pierre. —  4° Ce fut par le jeûne que Daniel se fit respecter du lion, et les trois jeunes hommes de Babylone des flammes dans lesquelles ils avaient été jetés. — 5° Le jeûne est utile, même pour la santé. — Il s'excuse d'en dire davantage sur ce que l'évêque Flavien devait parler après lui.

 

1. C'est aujourd'hui un jour de fête et d'allégresse, et notre assemblée est plus nombreuse qu'à l'ordinaire. A quoi faut-il l'attribuer? au jeûne. C'est le fruit de sa présence, ou plutôt de son approche. Le jeûne nous rassemble dans la maison de notre père; le jeûne réveille notre zèle, et nous ramène dans les bras de notre mère. Mais si l'attente seule nous inspire une telle ardeur, combien plus sa présence même nous rendra-t-elle vigilants et attentifs ! Une ville que doit visiter un gouverneur sévère sort de son engourdissement, et déploie toute son activité. Mais que cette comparaison du jeûne avec un gouverneur sévère ne vous effraye pas; ce n'est pas pour vous qu'il est redoutable, c'est pour les démons. Qu'un homme soit agité de l'esprit impur, montrez-lui seulement la figure du jeûne; enchaîné par la crainte , il deviendra calme et aussi immobile qu'un terme, surtout s'il voit associée au jeûne sa soeur et sa

 

1. Traduction de l'abbé Auger, revue.

 

compagne, je veux dire la prière. Cette espèce de démon, dit Jésus-Christ, ne se chasse que par te jeûne et la prière. (Matth. 17, 20.) Puisque le jeûne chasse les ennemis de notre salut, et qu'il est redoutable à nos adversaires les plus terribles, nous devons, loin de le craindre, le chérir et l'embrasser avec joie. C'est l'ivresse, c'est l'intempérance, et non le jeûne, qu'il faut redouter. L'intempérance nous charge de fers, elle nous livre à la tyrannie de nos passions comme à un maître dur et cruel, au lieu que le jeûne, brisant nos liens, nous affranchit du joug insupportable d'une odieuse servitude, et nous rend la liberté que nous avions perdue. Si donc il combat nos ennemis, s'il nous fait passer de l'esclavage à la liberté, où trouver une preuve plus forte de son amour pour l'espèce humaine ? La plus forte preuve d'amitié que l'on puisse donner à quelqu'un, n'est-ce pas d'aimer ce qu'il aime et de haïr ce qu'il hait? Voulez-vous apprendre comment le jeûne est (298) le plus bel ornement de l'homme, et sa plus forte défense, pensez à l'ordre bienheureux et admirable des solitaires. Ils ont fui le tumulte de ce monde pour se réfugier sur le sommet des montagnes, et se formant des cabanes dans la solitude, comme dans un port tranquille, ils ont pris le jeûne pour leur associé et pour leur compagnon. Le jeûne en a fait des anges; il les élève au faîte d'une philosophie sublime, et non-seulement eux, mais tous ceux encore qui dans les villes suivent fidèlement ses leçons. Moïse et Elie, qui s'élèvent comme des tours sublimes parmi les prophètes de l'Ancien Testament, ces hommes si illustres et si grands, avaient beaucoup de crédit auprès de Dieu; cependant toutes les fois qu'ils voulaient en approcher et converser avec lui, autant qu'il est possible à un simple mortel, ils avaient recours au jeûne, qui les conduisait comme par la main auprès de la Divinité. Aussi lorsque Dieu eut créé l'homme, il le mit aussitôt entre les mains du jeûne, comme entre les mains d'une mère tendre et d'un excellent maître. Ces paroles : Tu peux manger de tous les fruits des arbres de ce jardin, mais ne touche pas au fruit de l'arbre de la science du bien et du mal (Gen. II, 16, 17), sont une espèce de précepte du jeûne. Or, si le jeûne était nécessaire dans le paradis terrestre, à plus forte raison l'est-il dans le monde. Si le remède était utile avant la blessure, à plus forte raison l'est-il après; si nous avions besoin d'armes lorsque les passions ne nous avaient pas encore déclaré la guerre, à plus forte raison le jeûne nous est-il nécessaire, maintenant que les passions et les démons se liguent pour nous combattre. Si Adam avait écouté la première parole de Dieu, il n'eût pas entendu cette seconde : Tu es terre et tu retourneras en terre. (Gen. III, 19.) C'est parce qu'il a désobéi qu'il a trouvé la mort, les ronces,.les épines, le travail, une vie agitée par les inquiétudes, une vie plus triste que la mort même.

2. Vous voyez comme Dieu s'irrite lorsqu'on dédaigne le jeûne: écoutez comme il s'apaise lorsqu'on le pratique. Vous méprisez le jeûne , Dieu porte contre vous une sentence de mort; vous le pratiquez, Dieu la révoque. Comme il voulait vous montrer toute la vertu de ce pieux exercice, il lui a donné le pouvoir de rappeler des voies du trépas et de ramener à la vie des hommes déjà condamnés, déjà sous le poids d'une sentence et qu'on traînait au supplice, et cet effet ne s'est pas étendu à deux ou trois, à vingt hommes seulement, mais à tous les Ninivites. Une ville immense et magnifique, couchée dans la poussière, sur le bord du précipice, allait recevoir du ciel le coup qui devait la faire rouler dans l'abîme, lorsque le jeûne, comme une vertu survenue d'en-haut, l'a arrachée des portes de la mort et l'a ramenée à la vie. Mais déroulons ensemble des pages de cette grande histoire. Le Seigneur adressa la parole à Jonas, dit l'Ecriture, allez, lui dit-il, dans la grande ville de Ninive. (Jon. 1, 12.) D'abord Dieu cherche à intéresser le prophète, dont il prévoit la fuite , par la grandeur et l'importance de la ville. Mais entendons la prédiction : Encore trois jours, et Ninive sera détruite. (Id. III, 4.) Pourquoi annoncer à l'avance tout le mal que vous allez faire? —Afin de n'être pas obligé d'accomplir ce que j'annonce. Ainsi, vous l'entendez, il menace ce peuple des feux de l'enfer, pour ne pas l'y jeter. Que mes paroles, dit-il, vous inspirent un salutaire effroi, afin que vous n'en éprouviez pas l'effet. Pourquoi resserre-t-il le temps dans un si court espace? c'est pour nous montrer toute la vertu de ces barbares, je veux dire des Ninivites qui, en trois jours, savent écarter de leurs têtes les maux qu'avaient mérités leurs crimes. C'est aussi pour que vous admiriez la clémence de Dieu, dont une pénitence de trois jours suffit pour désarmer le courroux, et que vous ne tombiez pas dans l'abattement, quel que soit d'ailleurs le nombre de vos péchés. En effet, de même qu'une âme engourdie dans la paresse ne travaille que faiblement à son salut et à sa réconciliation avec Dieu, quoiqu'elle ait tout le temps nécessaire à la pénitence, de même une âme embrasée d'une sainte ardeur, et qui s'empresse de se laver de ses péchés dans les eaux de la pénitence, peut, dans un court espace de temps, effacer jusqu'à la trace de ses souillures. Pierre n'a-t-il pas renié trois fois son maître ? trois fois n'a-t-il pas juré qu'il rie le connaissait pas? Les paroles d'une misérable servante n'avaient-elles pas glacé son courage ? Eh bien ! a-t-il eu besoin de plusieurs années de pénitence? Non, sans doute, il s'est relevé la même nuit qu'il était tombé ; blessure et remède se sont suivis de près; malade, il a recouvré soudain la santé. Comment? par son repentir et par ses larmes. Que dis-je? par des torrents de larmes (299) qu'il versa. Car l'Evangéliste ne dit pas seulement qu'il pleura, mais qu'il pleura amèrement. (Matt. XXVI, 75.) il n'y a pas d'expression assez forte pour peindre l'abondance de ses pleurs ; l'événement le fait voir clairement. Après cette chute déplorable sans doute, puisque rien ne peut égaler l'horreur de ce reniement honteux, après cette chute, Pierre remonte à sa dignité première, et Dieu lui confie le gouvernement du monde entier, et ce qu'il y a de plus admirable, il nous le montre plus attaché au Seigneur que tous les apôtres ensemble. Pierre, lui dit-il, m'aimez-vous plus que ne font ceux-ci? (Jean, XXI, 15.) Est-il un exemple plus éclatant de ce que peut le repentir? Pour qu'on ne dise pas que si Dieu a pardonné aux Ninivites, cela n'a rien d'étonnant, puisque c'étaient des hommes grossiers et ignorants, et pour que l'on n'atténue pas la miséricorde divine en s'autorisant de ces paroles: Le serviteur qui n'aura pas su la volonté de son maître, et quine l'aura pas exécutée, sera moins battu (Luc, 12, 48), voilà Pierre qui vient rendre témoignage : Pierre connaissait parfaitement cette sainte volonté. Cependant, tombé de si haut et si bas, il recouvre toute la confiance du Sauveur. Vous-même, donc, quelque faute que vous ayez commise, ne désespérez pas de votre salut. Ce qu'il y a de plus terrible dans le péché, c'est d'y persévérer. Il n'y a pas de chute plus lourde que celle dont on ne saurait se relever; c'est ce malheur qui arrache des larmes des yeux de Paul, des soupirs de sa poitrine. Puisse Dieu, dit-il, lorsque je serai revenu chez vous, ne pas m'humilier! Puissé-je ne pas être obligé d'en pleurer plusieurs, non-seulement de ceux qui auront péché, mais de ceux qui, étant tombés dans des impuretés, dans des fornications et des dérèglements infâmes, n'en auraient point fait pénitence. (II Cor. XII, 21.) Certes il n'y a pas pour la pénitence de temps plus propice que le temps du jeûne.

3. Mais je reviens à l'histoire de Ninive. Le prophète entendant ces paroles descendit au rivage de Joppé, pour se retirer à Tarsis, et fuir de devant la face du Seigneur. (Jon. 1, 3.) Homme, où donc fuis-tu? n'as-tu pas entendu la voix du Prophète? Où irai-je pour me dérober à votre esprit? et où m'enfuirai-je de devant votre face? (Ps. CXXXVIII, 7.) Sur la terre? mais la terre et tout ce qu'elle renferme est au Seigneur. (Ps. XXIII, 1.) Dans l'enfer? Si j'y

descends, vous y êtes encore. (Ps. CXXXVIII, 8.) Dans le ciel? Si j'y monte, vous y êtes. (Ibid. 10.) Dans la mer? Votre main m'y soutiendra. Jonas l'éprouva. Mais la nature du péché est telle, qu'il jette les âmes dans les ténèbres de l'ignorance. Quand l'ivresse, en rendant la tête pesante, éteint en l'homme la lumière de la raison, il marche au hasard et sans rien voir, et tombe dans le précipice, le gouffre ouvert sous ses pas; c'est ainsi que ceux qui pèchent sont enchaînés par les liens d'une sorte d'ivresse et ne savent plus ce qu'ils font; le présent et l'avenir échappent à leurs yeux éblouis. Dites-moi, est-ce le Seigneur que vous fuyez? Attendez un peu, et l'événement vous prouvera que la mer elle-même, son esclave obéissante, ne saurait vous soustraire à son pouvoir. Jonas, en effet, avait à peine mis le pied sur le vaisseau, que la mer souleva ses flots et amoncela ses vagues comme des montagnes; et de même qu'une servante fidèle, venant à rencontrer un de ses compagnons fuyant loin de son maître après lui avoir fait un larcin, ne le quitte pas et fait auprès de ceux qui voudraient le recevoir tous ses efforts pour les en détourner, jusqu'à ce qu'enfin elle le ramène à la maison; de même la mer, reconnaissant en Jonas l'esclave fugitif, suscite aux matelots mille embarras, fait naître mille obstacles, gronde, élève sa grande voix, non pas pour le condamner, mais pour menacer le vaisseau et ceux qui le montent d'un prochain naufrage, s'ils ne lui rendent pas celui qui, comme elle, doit obéir au Seigneur. Que firent donc les matelots? Ils jetèrent dans la mer la charge du vaisseau qui n'en fut pas soulagé (Jon. 1, 5) ; car le même fardeau y était resté, le corps du prophète, charge pesante, moins par elle-même que par la grandeur du péché. Car rien n'est plus lourd en effet que le péché et la désobéissance. Zacharie le comparait à une masse de plomb. (Zach. V, 7.) David nous en fait connaître la nature en disant . Mes iniquités se sont élevées jusqu'au-dessus de ma tête, et elles se sont appesanties sur moi comme un fardeau insupportable. (Ps. XXXVII, 5.) Jésus-Christ ne disait-il pas lui-même aux pécheurs endurcis : Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et qui êtes chargés, et je vous soulagerai. (Matth. II, 28.) Le poids du péché allait submerger le vaisseau; cependant Jonas dormait profondément, mais d'un sommeil lourd et non réparateur ; du sommeil de la douleur, et non pas de la tranquille innocence; car les serviteurs qui (300) ont l'âme généreuse s'aperçoivent vite de leurs fautes. C'est ce qui arriva à Jonas. A peine avait-il commis cet acte coupable de désobéissance, qu'il en sentit toute la gravité. A ces traits, reconnaissez le péché. Dès qu'il se montre, il cause à l'âme qui l'a conçu des douleurs surnaturelles. En venant au monde, l'enfant fait cesser les douleurs de sa mère, au contraire le péché, aussitôt qu'il est commis, déchire par des tourments affreux le coeur qui l'a engendré. Mais que fait le pilote? Il s'approche de Jonas, et lui dit: Levez-vous et invoquez le Seigneur votre Dieu. (Jon. 1, 6.) Son expérience lui a appris que ce n'est point une tempête ordinaire; il voit dans les coups qui le frappent la main de Dieu, qui, supérieure à tous les efforts humains; bouleverse les flots, et fait que tout l'art qu'il saurait employer ne leur sera d'aucun secours. Cette tempête, pour être vaincue, demandait un pilote plus grand qu'un homme, le pilote même qui gouverne à son gré le monde entier, elle ne pouvait être apaisée que par un secours d'en-haut. C'est pourquoi tout l'équipage, laissant là rames, voiles et cordages, élevait au ciel ses mains suppliantes, et priait Dieu. Voyant l'inutilité de leurs prières, les matelots jetèrent le sort, dit le prophète, et le sort leur révéla quel était le coupable. Ils ne se précipitèrent pas sur lui pour le plonger dans les flots; mais, au milieu du tumulte et dans les horreurs de la tempête, calmes comme s'ils eussent été à l'abri, ils érigèrent sur le vaisseau une sorte de tribunal, et permirent à Jonas de parler, de se défendre, et s'informèrent de la vérité avec autant de scrupule que s'ils eussent eu à rendre compte du jugement qu'ils allaient prononcer. A quoi vous occupez-vous? d'où venez-vous? allez-vous? quel est votre pays, votre peuple? L'accusateur, c'était la mer dont les flots grondaient; le sort avait prononcé et porté témoignage contre Jonas, et cependant malgré les clameurs de la ruer, malgré l'arrêt du sort, les matelots hésitaient encore, et comme dans les tribunaux civils, la présence de l'accusateur, les dépositions des témoins, les indices, les preuves ne suffisent pas pour que les juges condamnent l'accusé, et qu'ils attendent ses propres aveux, ainsi ces hommes barbares et remplis d'ignorance n'observent pas moins l'ordre de la procédure, et cela quand leur vaisseau lutte contre les flots de la mer qui leur permet à peine de respirer, et qui s'abandonne à toute sa fureur. D'où provenaient toutes ces précautions? De Dieu même, qui voulait qu'il en fût ainsi, afin sans doute d'inspirer à son prophète des sentiments de douceur, et auquel il semblait dire: Imitez ces matelots, ces hommes ignorants; ils tiennent compte d'une âme, ils n'osent perdre votre corps; et vous, au contraire, vous avez compromis, autant qu'il a été en vous, le salut d'une ville où tant d'hommes respirent. Ils savent, ces matelots, que vous êtes la cause de tous leurs maux, et ils ne se sont pas jetés sur vous pour vous punir; et cependant, bien que vous n'ayez rien à reprocher aux Ninivites, vous les avez plongés dans l'abîme de perdition. Je vous ai ordonné d'aller auprès d'eux et de les sauver par votre prédication, vous m'avez désobéi. Les matelots, sans qu'on leur ait rien dit, s'inquiètent, s'agitent et cherchent tous les moyens de vous soustraire au supplice que vous avez mérité. En effet, la mer eut beau accuser Jonas, le sort tomber sur lui; en vain il porta témoignage contre lui-même, et fit l'aveu de sa fuite, ils ne donnèrent point la mort au coupable; on les vit, au contraire, tenter tous les moyens de le dérober, après sa faute, à la violence de la mer. Mais la mer, ou plutôt Dieu ne le permit pas, car il voulait le ramener dans la bonne voie par l'épreuve de la baleine, ainsi qu'il l'avait essayé par l'exemple que lui donnèrent les matelots. Quand ceux-ci eurent entendu Jonas leur dire : Prenez-moi, et jetez-moi dans la mer, et elle s'apaisera (Jon. I,12), ils tâchaient néanmoins de regagner la terre; mais les flots qui s'élevaient de plus en plus les en empêchèrent.

4. Vous avez vu fuir le prophète, entendez-le maintenant parler du fond des entrailles de la baleine. Dans le premier cas, c'est l'homme qui a souffert; dans le second, c'est le prophète qui se manifeste. La mer le reçut donc, le déposa dans le ventre de la baleine, comme dans une prison, pour conserver à Dieu son esclave fugitif; il ne périt ni dans les eaux, ni dans le ventre de l'énorme poisson qui le transporta jusque sous les murs de Ninive. Ainsi la mer et la baleine, par l'effet d'une force surnaturelle, se soumirent à l'ordre qui leur fut prescrit, pour que tout, dans cette circonstance, contribuât à l'instruction du prophète. Il arriva donc, et, comme s'il eût été chargé de lire une lettre du prince, qui eût contenu la condamnation à une peine sévère, il parcourait la ville (301) en criant : Encore trois jours, et Ninive sera détruite. (Jon. III, 4.) Les Ninivites entendirent cette menace, ils en crurent le prophète ; et aussitôt hommes, femmes, serviteurs, maîtres, magistrats, simples particuliers, enfants, vieillards, pratiquèrent le jeûne ; les animaux même ne furent pas dispensés d'une austère abstinence. On voyait partout le sac de la pénitence, partout la cendre, partout les pleurs et les lamentations. Celui même dont le front était orné du diadème descendit du trône royal, se revêtit du sac, se couvrit de cendres; et c'est ainsi que la ville fut arrachée au désastre dont elle était menacée. Chose étonnante ! le sac, alors plus honoré que la pourpre, fit ce que la pourpre n'avait pu faire; la cendre produisit l'effet que n'avait pu produire le diadème. N'ai-je donc pas eu raison de dire que nous devions craindre l'ivresse et l'intempérance, et non le jeûne? L'ivresse et l'intempérance furent à la veille de détruire une grande ville, et dé la renverser de fond en comble; le jeûne la soutint lorsqu'elle était sur le penchant de sa ruine. C'est parce que Daniel entra avec le jeûne dans la fosse aux lions qu'il en sortit comme s'il se fût trouvé avec des brebis. Ces animaux, qui par eux-mêmes ne respirent que meurtre et carnage, excités par leur férocité naturelle (car rien de plus féroce qu'un lion), et par leur faim qu'on avait irritée en ne leur donnant aucune nourriture pendant sept jours; ces animaux, dis-je, quoique pressés par un bourreau intérieur qui les sollicitait à déchirer les entrailles du prophète, respectèrent leur proie et n'osèrent pas toucher à cette nourriture qu'on offrait à leur avidité. C'est parce que les trois enfants à Babylone entrèrent avec le jeûne dans la fournaise ardente, qu'après avoir été longtemps au milieu des flammes, ils n'en sortirent que plus brillants et plus beaux. Toutefois si le feu qui les environnait était vraiment du feu, comment n'agissait-il pas selon sa nature ? Si leurs corps étaient vraiment des corps, comment n'éprouvèrent-ils pas ce qu'ils devaient éprouver au milieu des flammes ? Comment! interrogez le jeûne, il vous répondra, il vous donnera le mot de cette énigme, car c'en était une; il vous expliquera pourquoi des corps passibles combattirent contre le feu et triomphèrent du feu. Quelle lutte admirable ! quelle victoire plus admirable encore ! Appréciez la vertu du jeûne, et recevez-le avec empressement. Eh ! puisqu'il secourt dans la fournaise ses fidèles observateurs, et les garde dans la fosse aux lions, puisqu'il chasse les démons, révoque les sentences de Dieu, réprime la fureur des passions, nous ramène à la liberté, et rappelle le calme dans notre âme, ne serait-ce pas le comble de la folie que de le fuir et de le craindre lorsqu'il nous offre de si grands avantages? Il macère, dit-on, le corps et l'affaiblit. Oui; mais, dit l'Apôtre, plus l'homme extérieur se détruit en nous,plus l'homme intérieur se renouvelle de jour en jour (II Cor. IV, 16). Ou plutôt, si l'on veut examiner la chose avec attention, on verra que le jeûne est le père de la santé. Si vous n'en voulez pas croire mes discours, interrogez les médecins, et ils vous diront clairement que l'abstinence est la mère de la santé; qu'au contraire une foule de diverses maladies, telles que la goutte, la migraine, l'apoplexie, l'hydropisie, les inflammations, les tumeurs, sont engendrées par les délices et par l'intempérance, qu'elles en émanent comme de funestes ruisseaux d'une source funeste, et qu'en ruinant la santé du corps elles ruinent aussi la sagesse de l'âme.

5. Ne craignons donc pas le jeûne, puisqu'il nous délivre de si grands maux. Et ce n'est pas sans raison que je vous exhorte à ne pas le craindre; car j'en vois plusieurs qui , comme si on voulait les livrer à un maître dur et farouche, hésitent, balancent, se permettent aujourd'hui tous les excès de l'intempérance et de la débauche. Je vous exhorte donc à ne pas détruire d'avance, par ces excès, les avantages que vous pouvez retirer du jeûne. Ceux qui, avant de prendre des médecines amères pour remédier à des dégoûts, se remplissent de nourriture, ressentent toute l'amertume du remède, sans en recueillir le fruit, parce qu'ils l'empêchent d'agir comme il devrait sur les humeurs vicieuses. Aussi les médecins recommandent-ils de se coucher à jeun, afin que le remède attaque d'abord, avec toute sa vertu, l'abondance des humeurs qui causent la maladie. De même, si vous vous livrez aujourd'hui à l'ivresse pour prendre demain le remède du jeûne, vous le rendrez inutile, vous en éprouverez toute la peine sans en retirer le profit, parce que vous userez, pour ainsi dire, toute sa vertu contre le mal récent produit par la débauche, au lieu que si vous préparez votre corps, si vous l'allégez par l'abstinence, si vous recevez avec un esprit sobre un remède spirituel, vous pourrez par son moyen effacer (302) un grand nombre de vos anciennes fautes. N'allons donc pas au jeûne par l'ivresse, et ne terminons pas une sainte abstinence par des excès honteux; n'agissons pas, en un mot, comme celui qui précipiterait un corps malade en le poussant rudement. C'est ce qui arrive à notre âme lorsque, répandant les nuages de l'ivresse sur les- commencements et sur la fin du jeûne, nous nous privons de tout le fruit que nous pourrions en recueillir. Les hommes qui combattent contre les bêtes féroces ont soin de bien munir les parties principales de leurs corps, afin d'attaquer avec moins de risque ces terribles animaux; ainsi maintenant plusieurs d'entre nous, comme s'ils allaient combattre dans le jeûne un animal féroce, se fortifient contre lui, et se munissent par les excès du boire et du manger. Les insensés ! ils obscurcissent et abrutissent leur raison par l'ivresse pour recevoir le jeûne, dont l'œil est doux et tranquille. Si je fais cette demande à un de ces hommes : Pourquoi courez-vous aujourd'hui au bain? il me répondra: C'est pour recevoir le jeûne avec un corps pur. Si je lui demande ensuite: Pourquoi vous enivrez-vous aujourd'hui? C'est, dira-t-il, parce que je vais entrer dans le jeûne. Mais n'est-il donc pas absurde de se préparer à cette fête du jeûne avec un corps purifié par l'eau et un coeur souillé par la débauche?

Je pourrais m'étendre davantage sur ce sujet; mais j'en ai dit assez pour ramener les personnes sages. Je termine donc ici mon discours , d'autant plus que je désire d'entendre notre père commun. Nous, comme de simples bergers, assis à l'ombre d'un hêtre ou d'un chêne, nous chantons des airs rustiques sur un chalumeau champêtre; au lieu que notre saint pontife, semblable à un excellent musicien qui enlève tous les spectateurs par les accords sublimes qu'il sait tirer de sa lyre d'or, nous charme et nous instruit tous, moins par l'harmonie des paroles que par le concert heureux des actions et des discours. Tels sont les maîtres que demande Jésus-Christ : Celui qui fera, dit-il, et qui enseignera, sera grand dans le royaume des cieux. ( Matth. V, 19.) Tel est notre Maître; aussi est-il grand dans le royaume des cieux ! Puissions-nous, grâce à ses prières et à celles de ses pieux coopérateurs, être jugés dignes nous-mêmes du royaume céleste par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui la gloire soit au Père et à l'Esprit-Saint, maintenant et toujours, dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

 

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