PÉNITENCE VIII

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HOMÉLIES SUR LA PÉNITENCE.

 

HUITIÈME HOMÉLIE (1).

 

ANALYSE.

 

Comme l'arche de Noé, l'Ég lise reçoit dans son sein des vautours, des loups et des serpents ; mais tandis que l'arche les rendait tels qu'elle les avait reçus, l'Ég lise les transforme, par la pénitence, en brebis, en agneaux, en colombes. — La pénitence sauvera-t-elle celui qui a passé toute sa vie dans le crime? oui, elle le sauvera : et si vous en voulez un garant, je n'en ai point d'autre que la miséricorde de Dieu. — La pénitence seule ne pourrait rien, mais jointe à la bonté de Dieu, elle peut tout. — La malice de l'homme, si grande qu'elle soit, est une malice bornée ; mais la miséricorde de Dieu ne connaît pas de bornes, elle est infinie. — 1° La malice de l'homme se perd dans la miséricorde de Dieu comme une étincelle dans la mer. — 2° Vous êtes retombé plusieurs fois dans le péché, vous le reconnaissez, c'est un commencement de résurrection. — Ne rougissez pas de revenir à l'Ég lise , ni de faire pénitence; ne rougissez que du péché. — Le démon nous fait pécher avec hardiesse et trouver de la honte dans la pénitence. — 3° et 4° Cette doctrine trouve sa preuve dans l'Écriture. — Beau commentaire du premier chapitre d'Isaïe.

 

1. J'ai été séparé de vous hier, mais contre ma volonté et bien à regret; j'étais séparé de corps, et non de coeur ; j'étais séparé par la chair, et non par l'esprit. Je vous embrassais tous autant que je le pouvais, et je vous portais dans ma pensée. Avant que je fusse parfaitement guéri de la maladie qui m'a tenu éloigné de mon troupeau, lorsque j'en ressentais encore les restes, je me suis empressé, mes très-chers frères, de jouir de votre présence, et je suis accouru pour vous annoncer la parole sainte. Ordinairement les malades, dès qu'ils sont convalescents, désirent de réparer leurs forces par l'usage des bains. Moi, j'ai désiré avant tout de revoir ceux que je chéris, et de satisfaire au plus tôt leur empressement à m'entendre : j'ai désiré de revoir cette mer immense dont les eaux sont sans amertume , et les flots sans agitation. Non, il n'est pas de port aussi sûr que l'Ég lise . J'ai voulu reparaître dans ce champ purgé d'épines et de ronces. Non, il n'est pas de

 

Traduction de l'abbé Auger, revue.

jardin aussi beau que votre assemblée. On ne trouve point dans ce jardin un serpent perfide, mais Jésus-Christ, chef des fidèles et auteur des grâces; on n'y trouve point d'Eve qui occasionne une chute, mais l'Ég lise qui affermit nos pas; on n'y trouve point de feuilles d'arbres, mais les fruits de l'Esprit divin; on n'y trouve point une haie d'épines, mais une vigne féconde. Si j'y trouve des épines, je les change en oliviers ; car si les vices de la nature nous dégradent, les privilèges du libre arbitre nous honorent. Si je trouve un loup, j'en fais une brebis, non en changeant la nature, mais en convertissant la volonté. Ainsi l'on peut dire que l'Ég lise est bien supérieure à l'arche; l'arche a reçu les animaux, et les a gardés tels ; l'Ég lise reçoit les animaux et les change. Je m'explique. Le milan est entré dans l'arche, et il en est sorti milan : le loup y est entré, et il en est sorti loup. On entre milan dans l'Ég lise , et l'on en sort colombe ; on y entre loup, et l'on en sort brebis; on y entre serpent, et l'on en sort agneau, non parce que la nature (323) est changée , mais parce que le vice est banni.

Voilà pourquoi je ne cesse de vous parler de la pénitence; la pénitence, qui paraît si affreuse, si horrible, et qui cependant est le remède des péchés, la réparation des fautes, le rachat des délits, l'espérance du salut, un préservatif contre le désespoir, une arme contre le démon, un glaive qui abat sa tête superbe. La pénitence nous ouvre le ciel, et nous introduit dans les demeures célestes; elle nous donne la liberté de parler au Seigneur, de verser des larmes en sa présence; elle nous rend victorieux de toutes les ruses du démon. Voilà pourquoi je ne cesse de vous parler d'une vertu qui vous donne l'assurance de triompher de votre ennemi. Vous êtes pécheur, ne désespérez pas : je ne me lasse point de vous offrir ce remède pour adoucir vos maux, parce que je sais quelle arme c'est contre le démon que de ne pas désespérer de vous-même. Si vous avez commis des péchés, ne désespérez pas, je vous le répète sans cesse; si vous en commettez tous les jours, recourez tous les jours à la pénitence. C'est ainsi que, quand les maisons sont vieilles et qu'elles manquent par plusieurs endroits, nous ne nous lassons pas de les réparer, de substituer des parties neuves à celles qui se dégradent. Etes-vous maintenant vieilli par le péché? renouvelez-vous par la pénitence. Puis-je me sauver, direz-vous peut-être, par la pénitence? Oui, vous le pouvez. J'ai passé toute ma vie dans le péché, et je me sauverai par la pénitence ! Oui, sans doute. Qu'est-ce qui le prouve? C'est la bonté du Seigneur. Ce n'est pas sur votre pénitence que je compte, sur une pénitence qui est incapable d'effacer toutes vos fautes, et qui ne pourrait vous ôter vos alarmes si elle était seule; mais comme elle se joint à la bonté de Dieu, que cette bonté est sans bornes, au-dessus de toute expression, comme votre malice a des bornes, et que le remède n'en a pas (votre malice, quelque grande qu'elle soit, n'est qu'une malice humaine, au lieu que la bonté divine est ineffable), ayez confiance, parce que la bonté du Seigneur surpasse votre malice. Une étincelle qui tombe dans la mer ne peut y produire aucun effet : or, votre malice est à la bonté de Dieu ce qu'une étincelle est à la mer; ou plutôt elle est beaucoup moindre, puisque la mer, quelque immense qu'on la suppose, est toujours limitée, au lieu que la bonté du Seigneur ne connaît pas de limites.

Je parle ainsi, non pour vous rendre liches dans la vertu, mais plus ardents à la pratiquer. Je vous ai souvent exhortés à vous éloigner des spectacles. Vous avez prêté l'oreille à mes paroles, il est vrai; mais vous avez négligé mes conseils, vous avez paru aux spectacles, sans tenir compte de mes discours. Ne rougissez pas de revenir ici, et de m'écouter encore. J'ai écouté, direz-vous, et je n'ai point pratiqué; comment reviendrai-je? Mais vous sentez du moins que vous n'avez pas pratiqué; mais vous avez honte; mais vous rougissez; mais vous vous imposez vous-même un frein sans que personne vous accuse; mais nos paroles sont restées gravées dans votre mémoire; mais nos instructions vous purifient sans qu'il soit besoin de notre présence. Vous n'avez pas pratiqué, dites-vous, et vous vous condamnez vous-même; vous avez donc pratiqué en partie, puisque, n'ayant pas pratiqué, vous vous le confessez et dites- Je n'ai pas pratiqué. Celui qui se condamne lui-même pour n'avoir pas mis la parole en pratique, se montre disposé à le faire. Vous avez paru aux spectacles, vous avez commis la faute, vous vous êtes rendu l'esclave d'une vile courtisane : vous êtes sorti du théâtre, vous vous êtes rappelé le spectacle; vous avez rougi; revenez à l'ég lise . Vous avez senti de la douleur, invoquez Dieu; c'est un commencement de résurrection. J'ai écouté, et je n'ai pas pratiqué, direz-vous toujours : comment reviendrai-je à l'ég lise , comment écouterai-je de nouveau ? Vous devez revenir pour cela même que vous n'avez pas pratiqué, afin d'écouter de nouveau et de pratiquer. Si l'on met un appareil sur une plaie et qu'elle ne soit pas guérie, n'en remet-on pas encore un autre jour? Le bûcheron veut-il abattre un chêne? il prend sa cognée, il coupe la racine. S'il donne un coup, et que l'arbre stérile ne tombe point, n'en donne-t-il pas un second, un quatrième, un cinquième, un dixième? Suivez cet exemple. Une courtisane est un chêne, arbre stérile, qui ne produit que des glands, nourriture de pourceaux. Enracinée depuis longtemps dans votre âme, elle l'assujettit à ses caprices, et la rend toute matérielle. Mes paroles sont la cognée. Vous les avez entendues un jour : une passion enracinée depuis si longtemps tombera-t-elle en un jour? Quand il faudrait revenir trois fois, cent fois, et davantage, il n'y aurait rien d'étonnant. Travaillez seulement à (324)  couper une mauvaise habitude, qui est quelque chose de si funeste, de si difficile à détruire. Les Juifs mangeaient la manne, et ils regrettaient les oignons d'Égypte. Nous étions plus heureux en Egypte (Nom. II, 48), disaient-ils; tant l'habitude est quelque chose de honteux et de nuisible ! Quoique vous vous soyez corrigé pendant dix jours, pendant vingt, pendant trente, je ne suis pas encore satisfait, je ne vous félicite pas encore, je ne vous applaudis pas; je vous exhorte seulement à ne point perdre courage, à rougir de vous-même, et à vous condamner.

2. Je vous ai parlé de la charité, vous avez écouté mes discours, vous vous êtes retiré; et vous avez fait tort à vos frères, vous n'avez pas pratiqué la parole que vous avez entendue. Ne rougissez pas de revenir dans l'ég lise ; rougissez de commettre une faute, ne rougissez pas d'en faire pénitence.

Examinez ce que le démon fait en vous. Il faut bien distinguer le péché et la pénitence. Le péché est la plaie, la pénitence est le remède. Ce que le remède et la plaie sont au corps, le péché et la pénitence le sont à l'âme. Le péché renferme la honte, la pénitence donne la confiance. Écoutez-moi avec attention, je vous en conjure, afin de ne pas confondre l'ordre des choses, et de ne pas perdre le fruit de rues instructions. Remarquez bien ce que je dis : Plaie et remède, péché et pénitence. Le péché est la plaie, la pénitence est le remède. La plaie produit la corruption, le remède arrête le progrès de la corruption. Le péché souille l'âme, il enfante le ridicule et l'opprobre; la pénitence fait naître la liberté et la confiance, en même temps qu'elle fait disparaître la souillure du péché. Observez que la honte suit le péché, et que la confiance accompagne la pénitence. Eh bien ! retenez ceci, le démon renversant l'ordre, attache la confiance au péché et la honte à la pénitence. Je reviens sans cesse jusqu'à ce que je me sois bien expliqué; et je ne puis finir avant d'avoir prouvé ce que j'ai avancé. Il faut distinguer la plaie et le remède. La plaie produit la corruption, le remède arrête le progrès de la corruption. La corruption est-elle dans le remède? La guérison est-elle dans la plaie? ces objets n'ont-ils pas leur ordre naturel? peut-on faire marcher l'un avant l'autre? Non, sans doute. Appliquons cela aux maladies de l'âme. Le péché a pour partage l'opprobre et l'ignominie; la pénitence a pour cortège la confiance, le jeûne, la justification. Confessez le premier vos iniquités, dit l'Écriture, afin que vous soyez justifié. (Is. XLIII, 26.) Le juste est son premier accusateur. (Prou. XVIII, 17.) Ainsi le démon, qui sait que le péché renferme la honte, laquelle est fort propre à ramener le pécheur, et que la pénitence est suivie de la confiance, laquelle est de nature à attirer le pénitent, par un renversement d'ordre, attache la honte à la pénitence et la confiance au péché. Comment cela? Le voici Quelqu'un est épris d'une passion folle pour une courtisane publique; il la suit comme son captif; il entre sans pudeur dans le lieu de prostitution, s'abandonne à la courtisane, consomme le crime avec la même effronterie et la même audace : il sort, et il ne rougit que lorsqu'il faut effacer, par la pénitence, le crime qu'il a consommé sans honte. Malheureux ! vous ne rougissiez pas, lorsque vous vous abandonniez à la courtisane, et vous rougissez lorsqu'il faut en faire pénitence ! Il rougit de s'être livré à une courtisane, et il ne rougissait pas lorsqu'il s'y livrait. Et c'est en cela que consiste la malice du démon. Cet esprit impur ne lui permet pas de rougir dans le péché, il lui fait braver les regards publics, parce qu'il sait que la honte alors lui ferait fuir le péché; il le fait rougir dans la pénitence, parce qu'il sait que la honte alors l'éloigne de la pénitence. Il lui cause deux maux, il l'entraîne dans le péché et le détourne de la pénitence. Vous ne rougissiez pas, lorsque vous vous livriez à une courtisane; et vous rougissez, lorsqu'il faut appliquer le remède au mal ! vous rougissez lorsqu'il faut effacer le péché; et lorsque vous auriez dû rougir, vous étiez armé d'audace ! vous ne rougissiez pas lorsque vous deveniez pécheur; et vous rougissez lorsqu'il faut devenir juste !

Confessez le premier vos iniquités, afin que vous soyez justifié. O bonté du Seigneur t l'Écriture ne dit pas: afin que vous ne soyez point puni, mais : afin que vous soyez justifié. Il ne vous suffit donc pas, ô mon Dieu, de ne point punir le coupable, vous le justifiez encore ! Oui, sans doute, dit-il (observez ceci, mes frères), je le rends juste. Et qu'est-ce qui le prouve ? l'exemple du larron de l'Évangile. Pour avoir dit seulement à son compagnon : Est-ce que vous ne craignez pas Dieu? Pour nous, nous souffrons justement, et nous portons la peine de nos crimes, le Sauveur lui dit : (325) Vous serez aujourd'hui avec moi dans le ciel. (Luc, XXIII, 40, 41 et 43.) Il ne lui dit pas : Je vous affranchis du supplice, je vous épargne foute punition; mais il l'introduit dans le ciel comme juste. Vous voyez que la confession de ses fautes l'a rendu juste. Dieu a aimé les hommes jusqu'à ne pas épargner son Fils pour épargner l'esclave. Il a livré son Fils unique pour racheter des esclaves ingrats; il a donné le sang de son Fils pour le prix de leur rançon. O bonté du Seigneur! Ne me dites donc plus : J'ai commis un grand nombre de fautes; comment pourrai-je les expier? Vous ne pouvez rien, le Seigneur peut tout; il effacera, oui, il effacera tellement vos péchés, qu'il n'en restera aucune trace. Cela n'est pas possible dans nos corps : avons-nous été blessés au visage? quelque soin qu'on se donne, quoiqu'on épuise les remèdes et les ressources de l'art, on guérit bien la plaie, mais la cicatrice demeure, et ne cesse d'offrir une preuve sensible de la blessure dans les traits défigurés. Quoi qu'on fasse pour faire disparaître la cicatrice, on ne peut réussir; la faiblesse de notre nature, l'impuissance de l'art, l'inefficacité des remèdes, sont des obstacles qu'il est impossible de vaincre. Mais lorsque Dieu efface les péchés, il n'en laisse pas de cicatrice, il ne permet pas qu'il en reste une marque, il rend la beauté en rendant la santé, il donne la justification en délivrant de la peine; il fait, en un mot, que le pécheur est comme s'il fût resté innocent. Il enlève le péché, il le fait disparaître comme s'il n'existait pas ou qu'il n'eût jamais existé. Il n'en laisse ni trace ni indice.

3. Et qu'est-ce qui atteste ce que je dis? Je ne me contente pas d'annoncer cette vérité, je veux la démontrer par les Ecritures, afin de porter les choses au plus haut degré de certitude. Je produis comme témoins des hommes malheureusement blessés, un peuple entier tout couvert de plaies, rempli de corruption, dévoré déjà par les vers, qui n'est pas affligé d'une ou deux plaies, mais dont tout le corps, depuis les pieds jusqu'à la tête, n'est qu'une plaie, et qui cependant pourra être si parfaitement guéri qu'il ne restera ni trace ni indice du mal. Ne perdez rien de mes paroles qui tendent à opérer le salut de tous. Je prépare des remèdes bien supérieurs à ceux qu'ont inventés les hommes, des remèdes que toute la puissance des princes ne pourrait procurer; car, que peut un prince? faire sortir de prison, mais non délivrer de l'enfer; combler un sujet de richesses, mais. non sauver une âme. Moi je vous mets entre les mains de la pénitence, pour que vous sachiez quelle est sa force et sa vertu, pour que vous appreniez qu'il n'est point de péché ni d'iniquité qui résiste à son pouvoir. Je produis, pour appuyer mes discours, non pas un seul homme, non pas deux, non pas trois, mais des milliers d'hommes couverts de plaies et d'ulcères, souillés de mille crimes, et qui ont été guéris par la pénitence, de façon qu'il n'est resté ni cicatrice ni trace de leurs anciens maux. Mais écoutez avec attention ce que je vais dire, gravez-le dans votre mémoire, afin que dans d'utiles entretiens vous puissiez vous-mêmes instruire vos frères absents, et que vous inspiriez plus d'ardeur à venir nous entendre aux fidèles maintenant privés du fruit de cette instruction.

Ecoutons Isaïe, qui a contemplé les esprits célestes, qui a entendu leurs concerts mystiques, qui a fait un si grand nombre de prédictions sur Jésus-Christ; demandons-lui ce qu'il annonce: Vision d'Isaïe au sujet de la Judée et de Jérusalem. (Is. 1, et suiv.) Dis-nous, grand prophète, dis-nous ta vision : Ecoutez, cieux; terre, prête l'oreille, parce que le Seigneur a parlé. — Tu dis autre chose que ce que tu as annoncé. — Quelle autre chose ai-je annoncée? — Tu débutes par dire : Vision au sujet de la Judée et de Jérusalem, et laissant la Judée et Jérusalem, tu invoques les cieux et la terre; tu laisses les créatures raisonnables pour t'adresser aux éléments dépourvus de raison. —-Je le fais, parce que les créatures raisonnables sont devenues plus déraisonnables que les êtres dépourvus de raison ; et aussi parce que Moïse, près d'introduire les Israélites dans la terre promise, prévoyant les maux dont ils seraient accablés en punition de ce qu'ils devaient abandonner les biens dont ils jouissaient, s'écriait lui-même : Ecoutez, cieux; que la terre entende les paroles qui sortent de ma bouche. (Deut. XXXII, 1.) J'atteste les cieux et la terre, dit Moïse aux Juifs, que si vous abandonnez le Seigneur votre Dieu, lorsque vous serez entrés dans la terre promise, vous serez dispersés chez toutes les nations. Isaïe est venu, il annonce l'accomplissement prochain de ces menaces. Il ne pouvait attester ni Moïse qui était mort, ni les Israélites contemporains de Moïse, qui étaient morts aussi; il atteste les éléments (326)  qu'avait attestés Moïse. Voilà, dit-il aux Juifs, que vous êtes déchus des promesses, voilà que vous avez abandonné Dieu. Comment invoquerai-je ton témoignage, ô Moïse ! puisque tu n'es plus? comment invoquerai-je celui d'Aaron que la mort a aussi enlevé? Tu ne peux invoquer mon témoignage, lui répond Moïse, invoque celui des éléments. Voilà pourquoi moi-même, lorsque je vivais, je n'ai attesté ni Aaron ni aucun autre, parce qu'ils devaient mourir ; mais j'ai attesté les éléments qui doivent demeurer toujours, les cieux et la terre. Isaïe dit donc : Ecoutez, cieux; terre, prête l'oreille, vous que Moïse m'ordonne d'invoquer aujourd'hui. Une autre raison encore pour laquelle il atteste les éléments, c'est qu'il parlait aux juifs. Ecoutez, cieux, vous qui leur avez envoyé la manne; terre, prête l'oreille, toi qui leur as donné des cailles en abondance. Ecoutez, cieux, écoutez, vous qui, contre les lois de la nature, suspendus sur leurs têtes, avez été pour eux une campagne fertile. Terre, prête l'oreille, toi qui, étendue à leurs pieds, leur as servi une table dressée sur-le-champ. La nature était oisive, la grâce seule opérait. Sans les travaux dix labourage, ils avaient une nourriture toujours à leurs ordres; sans aucun apprêt de la main des hommes, la manne, source féconde et sanctifiée, leur tenait lieu de tout. La nature avait oublié sa propre faiblesse. Comment leurs habits ne s'usèrent-ils pas ? comment leurs chaussures ne vieillirent-elles pas? Dieu n'épargnait point les prodiges pour subvenir à leurs besoins. Ecoutez, cieux ; terre, prête l'oreille. Après de si éclatants témoignages d'une bonté attentive, après de semblables bienfaits, le Seigneur est outragé. A qui m'adresserai-je ? n'est-ce pas à vous, puisque je ne trouve pas d'homme qui m'écoute? Je me suis présenté, et nul homme ne s'est offert à moi; j'ai parlé, et personne ne m'a écouté. Je parle à des êtres dépourvus de raison, puisque les êtres raisonnables se sont rabaissés au-dessous de la brute. Voilà pourquoi un autre prophète, voyant un roi furieux qui outrageait le Seigneur par un culte sacrilège rendu à une idole, s'écrie avec force, tandis que tous les autres étaient effrayés. Ecoute, autel, écoute-moi ! (III Rois, XIII, 2.) Quoi donc ! prophète, tu parles à une pierre ? Oui, puisque l'âme du prince est plus dure que la pierre. Ecoute, autel, écoute-moi ! voilà ce que dit le Seigneur: et à l'instant l'autel s'est divisé en deux parts. La pierre a écouté, la pierre s'est fendue, et a rejeté la victime. Comment l'homme a-t-il refusé d'entendre ? Le prince étendit la main pour saisir le prophète. Que fit Dieu? il sécha la main du prince. Voyez la bonté du Seigneur, et l'emportement de l'esclave ! Pourquoi Dieu ne commence-t-il pas par sécher la main de Jéroboam ? c'était afin que l'exemple de la pierre le rendît plus sage. Si la pierre ne se fût pas fendue, je t'aurais épargné; mais puisqu'elle s'est fendue, et que tu ne t'es pas corrigé, je tourne contre toi ma colère. Il étendit la main pour saisir le prophète, et sa main desséchée demeura comme un trophée, qui constatait son crime et sa honte. Tous les gardes, les officiers et les soldats qui l'environnaient ne purent la rétablir; elle resta publiant hautement le triomphe de la piété, la défaite du crime, la bonté du Seigneur, et la folie du prince, dont tous les satellites ne purent rétablir la main.

4. Mais pour ne pas perdre de vue notre sujet par de continuels écarts, prouvons ce que nous avons annoncé. Qu'avons-nous donc annoncé? Que quand on serait tout couvert des plaies du péché, si l'on fait pénitence, si l'on pratique le bien, Dieu les fera disparaître de façon qu'il n'en paraîtra ni cicatrice, ni trace, ni indice. Voilà ce que j'ai annoncé; voilà ce que je vais tâcher de prouver. Ecoutez, cieux; terre, prête l'oreille, parce que le Seigneur a parlé. (Is. I, 1 et suiv. ) Et qu'a dit le Seigneur? J'ai mis au monde des enfants, je les ai élevés, et ils m'ont méprisé. Le boeuf reconnaît celui auquel il appartient, l'âne reconnaît l'étable de son maître (ô Juifs ! plus stupides que les animaux les plus stupides !) et Israël ne m'a pas reconnu, et mon peuple m'a oublié. Malheur à la nation pécheresse ! Pourquoi malheur ! est-ce qu'il n'y a point d'espoir de salut ? pourquoi, prophète, t'exprimes-tu de la sorte? C'est que je ne trouve aucune guérison, c'est que j'ai employé des remèdes, et que le mal a résisté à tous les remèdes. Voilà pourquoi je me suis retiré. Qu'ai-je donc à faire? Je ne me fatiguerai point à guérir ce qui ne peut être guéri. Malheur ! ce mot est l'expression d'une femme qui se lamente. Malheur ! le prophète a raison d'employer cette parole. Suivez-moi, je vous prie, mes frères. Pourquoi dit-il Malheur? c'est qu'il éprouve ce qui arrive dans les maladies du corps. Lorsqu'un médecin voit un malade désespéré, il soupire, il répand des larmes; (327) les serviteurs et les proches se lamentent et gémissent, mais en vain et sans fruit; car lorsqu'un malade est près de mourir, quand le monde entier se lamenterait, il ne pourrait le rappeler à la vie ; de sorte que les lamentations sont un témoignage de tristesse, et non un moyen de salut. Mais il n'en est pas de même de l'âme; les pleurs rendent souvent la vie à ce qui est mort chez elle. Pourquoi ? c'est qu'aucune puissance humaine ne pourrait ressusciter un homme mort corporellement; au lieu que le repentir ressuscite celui qui est mort spirituellement. Regardez un fornicateur; pleurez sur son sort, et souvent vous le rendez à la vie. C'est pour cela que saint Paul ne se contentait pas d'avertir, mais qu'il pleurait en donnant des avis à chacun des fidèles. Et pourquoi pleurait-il? c'est afin que si les avertissements n'avaient pas assez de force, les pleurs vinssent au secours. C'est ainsi que le prophète se lamente. Le Fils de Dieu, qui voit dans l'avenir la ruine de Jérusalem , s'écrie : Jérusalem , qui tues les prophètes, et qui lapides ceux qui te sont envoyés. (Matt. XXIII, 37.) IIladresse la parole à la ville dont il prévoit la ruine; il emploie le langage d'un homme qui se lamente. Ecoutons encore le prophète : Malheur à la nation pécheresse, au peuple chargé d'iniquité ! (Isa. I, 4 et suiv.) Vous voyez qu'il n'y a rien de sain dans eux, qu'ils sont tout couverts de plaies. Malheur à la race corrompue, aux enfants pervers! Pourquoi le prophète se lamente-t-il ? Vous avez, dit Isaïe, abandonné le Seigneur; vous avez irrité le Saint d'Israël. A quoi servirait de vous frapper davantage? De quel fléau vous affligerai-je? vous enverrai-je la faim, la peste? j'ai épuisé contre vous toutes les punitions, et votre perversité est toujours restée la même. O vous qui ajoutez sans cesse péché sur péché! Toute tête est languissante, tout coeur est abattu. Il n'y a point de plaie ni d'ulcère. Quel langage ! Tu disais tout-à-l'heure, prophète : Race corrompue, enfants pervers, vous avez abandonné le Seigneur, vous avez irrité le Saint d'Israël. Tu pleures, tu te lamentes, tu te livres au désespoir de la douleur, tu fais l'énumération des plaies; et, un moment après, tu dis : Il n'y a point de plaie ni d'ulcère. Expliquons le prophète. Il y a une plaie lorsque, le reste du corps étant sain, une seule partie est affectée et malade. Mais ici le prophète dit que tout le corps n'est qu'une plaie. Il n'y a pas simplement plaie, ulcère, partie enflammée; mais tout est malade depuis les pieds jusqu'à la tête. On ne peut ni appliquer de remèdes, ni bander les plaies, ni les adoucir avec l'huile. Votre terre est déserte, vos villes sont. brûlées par le feu, les étrangers dévorent votre pays. Je vous ai fait tous ces maux, et vous ne vous êtes pas corrigés ; j'ai épuisé toutes mes ressources, et le malade reste dans un état de mort. Ecoutez la parole du Seigneur, princes de Sodome et de Gomorrhe : Qu'ai-je besoin de la multitude de vos victimes ? Est-ce qu'il parle aux habitants de Sodome? Non; mais il appelle les Juifs habitants de Sodome, leur donnant le nom de ceux dont ils avaient le caractère. Ecoutez la parole dit Seigneur, princes de Sodome et de Gomorrhe : Qu'ai-je besoin, dit le Seigneur, de la multitude de vos victimes ? Je suis dégoûté des holocaustes de vos béliers, je ne veux pas du sang de vos agneaux. En vain vous -venez m'offrir la fleur de farine. Votre encens m'est en abomination. Je ne puis plus souffrir vos nouvelles lunes et vos sabbats. Je hais vos jeûnes et votre solennité du grand jour. Lorsque vous étendrez les mains vers moi, je détournerai les yeux de vous. Lorsque vous multiplierez vos prières, je ne vous écouterai pas. Peut-on rien ajouter à une pareille colère? Le prophète invoque le ciel, il gémit, il pleure, il se lamente; il dit : Il n'y a point de plaie ni d'ulcère. Dieu est irrité ; il ne reçoit pas les sacrifices, les nouvelles lunes, les sabbats, l'offrande de la fleur de farine, les prières, les mains étendues vers le ciel. Vous voyez l'ulcère horrible, vous voyez la maladie incurable, non d'un seul homme, de deux, de dix, mais de plusieurs milliers d'hommes. Que dit ensuite Isaïe? Lavez-vous, purifiez-vous. Est-il un péché dont vous désespériez d'obtenir le pardon? Le même Dieu qui dit : Je ne vous écoute pas, dit aussi : Lavez-vous. D'où vient cette différence de langage? L'un et l'autre est utile, l'un pour vous effrayer, l'autre pour vous attirer. Si vous ne les écoutez pas, Seigneur, ils n'ont point d'espérance de salut; s'ils n'ont point d'espérance de salut, comment pouvez-vous leur dire : Lavez-vous? Mais Dieu est un père qui chérit ses enfants, le seul vraiment bon, le plus tendre de tous les pères. Et afin que vous sachiez qu'il est vraiment père, il dit aux juifs : Que te ferai-je, ô Juda ? Est-ce que vous ne savez pas, ô mon Dieu ! ce que vous ferez? (328) Je le sais, mais je ne veux pas agir. Leurs crimes énormes sollicitent ma vengeance, ma bonté infinie me retient. Que te ferai-je, ô Juda? t'épargnerai-je? mais tu n'en deviendras que moins attentif et moins vigilant. Te punirai-je? mais ma bonté s'y oppose. Que te ferai-je ? te consumerai-je parle feu comme Sodome? Te détruirai-je comme Gomorrhe? Mon coeur a changé. Dieu qui ne connaît pas les passions , emprunte le langage de l'homme qui les éprouve, ou plutôt il parle comme une mère tendre; il a changé, comme on le pourrait dire d'une femme pour son enfant : Mon coeur a changé comme celui d'une mère. Peu content de ces paroles, il ajoute : Je me suis troublé dans mon repentir. (Osée. II, 8.) Est-ce que Dieu se trouble? gardons-nous de le croire. Dieu ne peut éprouver de trouble. Mais, comme je l'ai dit, il prend nos façons de parler: Mon coeur a changé. Lavez-vous, purifiez-vous. Que vous ai-je annoncé, mes frères? ne vous ai-je pas dit que si Dieu voit les pécheurs disposés à faire pénitence, quand ils seraient chargés de crimes, tout couverts d'ulcères, il les traite et les guérit, sans qu'il reste aucune cicatrice, aucune trace, aucune marque de leurs péchés. Lavez-vous, purifiez-vous, délivrez vos âmes de toute iniquité; apprenez à faire le bien, imposez-vous-en la loi; jugez la cause de l'orphelin, rendez justice à la veuve. Ces préceptes ne sont pas difficiles à pratiquer; la nature nous y porte d'elle-même; la femme la plus faible est capable de compassion. Et après cela, venez, et soutenez contre moi votre cause. Commencez par agir, et je ferai le reste; faites quelque chose pour moi, et je ferai tout pour vous. Venez. Et à qui irons-nous? à moi que vous avez offensé, que vous avez irrité; à moi qui vous ai dit : Je ne vous écoute pas, afin qu'effrayés par cette menace, vous apaisiez ma colère; venez à celui qui refuse de vous écouter, afin qu'il vous écoute. Et que ferez-vous, Seigneur? Je ne laisserai aucune cicatrice, aucune trace, aucune apparence de péché. Venez, soutenez contre moi votre cause, dit le Seigneur. Il ajoute : Quand vos péchés seraient comme l'écarlate, je les rendrai blancs comme la neige. Reste-t-il la moindre cicatrice, la moindre ride, la moindre tache? Quand ils seraient rouges comme le vermillon, je les rendrai aussi blancs que la laine la plus blanche. Reste-t-il aucune marque, aucune ombre de noirceur? Comment s'opère ce changement? Ne vous l'ai-je pas promis? car c'est un oracle de la bouche du Seigneur. (Job, XIV, 4.) Vous voyez non-seulement la grandeur des promesses, mais la majesté de celui qui accorde cette grâce. Tout est possible à Dieu qui peut nous purifier des plus grandes souillures. Ecoutons-le donc, et convaincus de toute l'efficacité du remède de la pénitence, renvoyons-en la gloire à Celui à qui appartient la gloire et l'empire, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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