STATUES IV
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QUATRIÈME HOMÉLIE.

 

ANALYSE. Avantages que les habitants d'Antioche ont retiré de leurs angoisses. — La tribulation dispose l'âme à la piété et à la vertu - Heureuses conséquences de la patience dans les afflictions. — Exemple de Job. — Aux souffrances succède le bonheur. — Exemple des trois enfants dans la fournaise. — Dieu protège ceux qui le servent fidèlement. — Encore l'exemple de Job. — Tout notre être doit être consacré à servir Dieu. — Il faut renoncer aux mauvaises habitudes.

 

1. Béni soit Dieu qui a consolé vos coeurs affligés, et raffermi vos âmes ébranlées. Oui, vos coeurs sont consolés; cet empressement, cette ardeur à entendre la parole sainte me le dit assez. Une âme plongée dans la douleur, enveloppée d'un nuage de tristesse ne peut se montrer attentive aux discours qu'on lui adresse. Mais vous, je vous vois ici pleins de bienveillance et d'ardeur, ne donnant aucun signe de découragement , avides de m'entendre et secouant pour cela toutes les angoisses qui vous assiègent. Oui, grâces soient rendues au Seigneur ; ni l'infortune n'a vaincu votre sagesse, ni la crainte n'a affaibli votre courage, ni l'affliction n'a éteint votre générosité, ni le danger n'a diminué votre zèle, ni la crainte des hommes n'a triomphé de l'amour divin , ni l'horreur de la situation n'a abattu votre ardeur. Que dis-je? loin d'être abattus, vous êtes plus fermes, loin d'être affaiblis, vous êtes fortifiés; loin d'être refroidis, vous êtes devenus plus ardents. La place publique est vide, et l'église est remplie. Là le deuil, ici la joie et les délices spirituelles. Si tu vas sur la place publique, ô mon cher auditeur, et que tu pousses des gémissements à l'aspect de cette solitude, cours te réfugier sur le sein de ta mère, et aussitôt pour te consoler elle te montrera la multitude de ses enfants, cette magnifique assemblée de tes frères, et chassera ainsi le découragement loin de ton coeur. Dans les rues de la ville nous cherchons à voir des hommes, comme si nous habitions un désert, et si nous courons à l'Eglise, la foule nous presse de toutes parts et de même que par une mer agitée et soulevée par une violente tempête, tous, saisis de frayeur, se hâtent de gagner le port, ainsi les orages de la place publique, les tempêtes de la ville, vous chassent dans l'Eglise, et vous y enchaînent ensemble par le doux lien de la charité.

N'est-ce pas un nouveau motif de remercier Dieu qui a fait jaillir du sein de la tribulation des fruits si précieux, et du milieu de l'adversité de si grands avantages? Sans l'épreuve, point de couronne , sans le combat, point de récompense, sans le stade, point (567) d'honneurs, sans l'affliction, point de repos, sans hiver, point d'été. Et cela peut se dire non-seulement des hommes, mais aussi des semences elles- mêmes. Pour qu'on voie sortir un épi verdoyant, ne faut-il pas des pluies abondantes , ne faut-il pas que les nuages s'amoncèlent, que le froid durcisse la terre ? Et la saison de la semence n'est-elle pas aussi la saison de la pluie? Puisque la tempête s'est élevée, non pas dans les airs, mais dans les âmes, profitons-en pour semer, et dans l'été nous pourrons faire la moisson. Semons des larmes et nous moissonnerons l'allégresse. Ce ne sont pas mes paroles ; c'est le Prophète qui vous l'annonce : Ceux qui sèment dans les larmes, dit-il, moissonneront dans la joie. (Ps. CXXV, 5.) La pluie qui tombe sur les semences , les fait germer et croître moins vite que les larmes ne développent et ne font fleurir la semence de la piété : les larmes purifient l'âme, arrosent l'esprit, font pousser rapidement le germe de la science. Aussi faut-il creuser de profonds sillons. C'est . l'avertissement que nous donne le Prophète ; Remuez vos guérets et ne semez point dans les épines. (Jér. IV, 3.) Le laboureur enfonce dans son champ le soc de la charrue, le prépare à recevoir et à garder la semence, qui de la sorte ne restera pas à la surface, mais pénétrera dans le sein de la terre, et y poussera de fortes racines. C'est ce que nous devons faire aussi: la tribulation, comme un soc de charrue, doit déchirer profondément nos coeurs. Ecoutez un autre prophète : Déchirez vos cœurs, dit-il, et non vos vêtements. (Joël, II, 3.)             Déchirons donc nos coeurs, et si quelque mauvaise herbe, quelque pensée coupable y a germé, arrachons-la, et offrons aux semences de la piété une terre bien purifiée. Si pour cultiver, pour semer, pour verser des larmes, nous profitons de la tribulation et du jeûne , quand donc viendrons-nous à componction ? Quand les souffrances seront passées? Quand la joie sera de retour? Non, cela est impossible.

Le repos et les délices engendrent la mollesse, comme la tribulation produit l'énergie et ramène au dedans d'elle-même l'âme occupée à considérer mille objets extérieurs. Ne murmurons point si nous sommes dans l'affliction, mais au contraire remercions le Seigneur : car nous en retirerons de précieux avantages. Le laboureur, après avoir répandu ces grains qu'il a récoltés au prix de tant de travail, appelle la pluie de tous ses voeux; celui qui n'aurait aucune idée de l'agriculture, s'étonnerait et dirait : Que fait donc cet homme? il disperse des grains qu'il a recueillis; non-seulement il les disperse, mais il les mélange si bien avec la terre qu'il lui sera impossible de les réunir de nouveau; bien plus, il demande la pluie qui va gâter ces grains et les changer en boue. Il sera tout troublé quand il verra briller les éclairs, quand il entendra le bruit du tonnerre. Le laboureur, au contraire, se réjouit; il tressaille à la vue de cet orage. Car il ne regarde pas le présent, mais il songe à l'avenir; peu lui importe le bruit du tonnerre, il compte déjà les gerbes de blé : la semence va se corrompre, mais il poussera des épis verdoyants ; la pluie sans doute est peu agréable, mais la poussière qui couvrira l'aire du laboureur fera ses délices. Nous aussi, mes Frères, ne songeons pas à la tribulation présente, à ces maux passagers, mais aux avantages qui nous en reviendront, aux fruits qu'ils vont produire; attendons les gerbes qu'ils doivent enfanter. Si nous sommes vigilants, nous pouvons des conjonctures présentes recueillir les fruits lés plus abondants. et remplir le trésor de notre âme. Si nous sommes vigilants, non-seulement de cette tribulation ne résultera pour nous aucun dommage, mais nous en retirerons des biens sans nombre; si nous vivons dans l'indolence, le calme même nous perdra. La prospérité et l'adversité sont également funestes à l'homme négligent, mais elles profitent toutes deux à celui qui est sur ses gardes. L'or garde son éclat même dans l'eau; jeté dans la fournaise, il en sort plus brillant; plongées dans l'eau, la terre se dissout, l'herbe se flétrit; qu'elles tombent dans le feu, la terre se durcit, et l'herbe est consumée. C'est l'image du juste et du pécheur. Le juste, au sein de la paix, conserve son éclat, comme l'or au milieu de l'eau; que l'épreuve survienne, il n'en est que plus brillant, comme l'or que le feu a purifié. Mais le pécheur se dissout, se flétrit au sein du bonheur, comme la boue et l'herbe jetées dans l'eau ; la tentation le consume et le perd, comme le feu calcine la boue et dévore l'herbe.

2. Ne nous laissons donc pas abattre par les maux présents. Si vous êtes pécheur, le feu de la tribulation brûle et consume vos péchés. Si vous êtes vertueux, il vous donne plus d'éclat et de splendeur. Veillez et demeurez sobre, et (568) rien ne pourra vous nuire. La cause de tant de chutes, ce n'est pas la tentation elle-même, c'est la lâcheté de ceux qu'elle éprouve. Voulez-vous être heureux, vivre dans le calme et dans la joie, ne recherchez ni le calme ni la joie, mais armez votre âme de patience et de courage. Sans cela, non-seulement vous succomberez à l'épreuve, mais le calme vous perdra et vous renversera mieux encore. Non, ce ne sont pas les attaques de l'adversité qui compromettent notre salut, mais l'engourdissement de notre âme. Ecoutez Jésus- Ch rist : Celui qui écoute mes paroles et les met en pratique est semblable à un homme prudent qui a bâti sa maison sur le roc : la pluie est tombée, les vents ont soufflé, les torrents se sont précipités sur elle, et elle ne s'est pas écroulée: car elle avait le rocher pour fondement. Et encore : Celui qui entend mes paroles et ne les accomplit point ressemble à cet insensé qui bâtit sa maison sur le sable; la pluie tombe, les eaux se précipitent, les vents soufflent et fondent sur elle, elle tombe, et ses ruines s'étendent au loin. (Matth. VII, 24-27.) Vous le voyez, ce n'est pas la tempête qui cause la ruine de cet édifice, mais l'imprudence de celui qui l'a élevé. Des deux côtés, la pluie, les torrents, les vents déchaînés, une maison. C'est le même édifice , les mêmes accidents; les deux maisons n'ont pas le même sort parce qu'elles n'ont pas le même fondement. Je le répète, ce ne sont point les accidents qui ont amené cette chute , c'est l'imprudence d'un homme. Autrement la maison bâtie sur le roc serait elle-même tombée, et il n'en est rien. Mais ne croyez pas qu'il s'agisse ici d'une maison? Il s'agit de l'âme qui met en pratique les divines paroles qu'elle a entendues, ou qui les rejette loin d'elle. C'est ainsi que Job avait affermi son âme. (Job, I, 16-19.) La pluie survint; il tomba du ciel un feu qui consuma ses troupeaux; les torrents se précipitèrent, c'est-à-dire que sans relâche on venait lui apprendre quelque nouveau malheur, la perte de ses troupeaux, celle de ses chameaux, la mort de ses fils. Les vents soufflèrent; il eut à subir les amères paroles de son épouse : Elève ta voix contre Dieu, disait-elle, et meurs ensuite. (Job, lI , 9.) Et l'édifice ne s'écroula point, son âme ne fut point renversée, le juste ne blasphéma point. Au contraire, il rendit grâces en disant : Le Seigneur me l'avait donné, le Seigneur me l'a ôté; tout Cela s'est fait selon le bon plaisir du Seigneur. (Job, I, 21.) Vous le voyez donc, ce n'est point la tentation, c'est la lâcheté, c'est la torpeur qui cause la ruine. La tribulation, mais elle augmente le courage. De qui cette pensée? De saint Paul lui-même, qui vivait au sein des tribulations : La tribulation, nous dit-il, opère la patience, la patience produit l'épreuve, et l'épreuve l'espérance. (Rom. V, 3, 4). Et de même que les arbres vigoureux, loin d'être arrachés par les vents impétueux qui les agitent en tous sens , acquièrent par là plus de vigueur et de solidité, de même l'âme sainte et pieuse, loin d'être abattue par les assauts des tentations et des malheurs , y trouve une nouvelle force pour souffrir. Le bienheureux Job ne leur dut-il pas un nouveau degré de splendeur et de gloire?

Un homme s'est irrité contre nous, un homme sujet aux mêmes passions que nous, de même nature que nous, et nous avons tremblé; autrefois c'était le démon,.ce démon si pervers, si cruel, qui s'irritait contre Job : bien plus, il mettait en mouvement toutes ses machines, employait tous ses artifices, et il ne put triompher de la force du juste. Un homme s'irrite et s'apaise tour à tour, et cependant nous sommes morts de frayeur. Autrefois l'adversaire, c'était le démon, qui jamais ne se réconcilie avec les hommes, qui leur fait la guerre, sans vouloir entendre parler d'aucun traité, qui leur livre des combats sans qu'il y ait jamais de trêve, et cependant le juste s'est ri de ses flèches. Sommes-nous donc excusables? Pouvons-nous espérer quelque pardon, nous qui, pénétrés des enseignements de la grâce, ne pouvons souffrir une épreuve qui nous vient des hommes, quand ce saint homme, avant la grâce, sous la loi ancienne., a soutenu avec tant de générosité une guerre si terrible? Voilà ce que nous devons sans cesse nous dire les uns aux autres, et de tels entretiens ranimeront notre ardeur. J'en appelle à vos consciences, cette épreuve n'a-t-elle pas eu les résultats. les plus heureux? La débauche a fait place à la sagesse, la barbarie à l'humanité, la mollesse à l'énergie; tels qui jamais n'avaient vu l'église , qui passaient toutes leurs journées dans les théâtres, maintenant ne quittent plus la maison de Dieu. Vous plaindrez-vous donc que Dieu vous ait réformés par la crainte ? que par la tribulation il vous ait ramenés à la pensée de votre salut? Mais votre conscience est tourmentée ? Mais chaque jour votre âme est glacée (569) d'effroi à la pensée de cette mort qui vous menace ?Et n'est-ce point un grand pas vers la vertu, puisque votre piété redouble avec les angoisses. Dieu ne peut-il pas aujourd'hui même nous délivrer de tous nos maux? Il ne les finira pas cependant avant de nous avoir vus purifiés de nos fautes, revenus à lui, affermis et inébranlables dans le repentir. C'est quand il voit son or entièrement purifié, que l'orfèvre le retire de la fournaise; aussi Dieu ne dissipera ces nuages qu'après nous avoir rappelés à la vertu. Celui qui a permis l'épreuve sait bien aussi le terme qui lui convient. Le joueur de cithare ne tend point trop fortement les cordes de son instrument, de peur de les briser; il ne les détend pas non plus au point de nuire à l'harmonie. Ainsi en agit le Seigneur, ne laissant notre âme ni dans un continuel repos, ni dans une tribulation de trop longue durée, mais disposant tout avec sagesse. Trop de repos nous amollirait, une continuelle affliction nous abattrait et nous jetterait dans le désespoir.

3. Abandonnons-lui donc le soin de fixer le terme de nos afflictions; contentons-nous de prier et de vivre saintement. Notre oeuvre, c'est le retour à la vertu; et l'oeuvre de Dieu, c'est de mettre un terme à nos souffrances. Il désire plus vivement que vous-mêmes la fin de cet incendie; mais il attend que vous soyez sauvés. Comme l'affliction a suivi le repos, ainsi, croyez-le, après la tribulation, vous verrez reparaître le calme. L'hiver ne règne pas toujours, ni l'été; il n'y a pas toujours tempête, ni toujours calme; ce n'est pas sans cesse la nuit, ni sans cesse la lumière; la tribulation ne durera pas non plus toujours, le temps du repos viendra, si au sein de la tribulation nous savons toujours rendre grâces à Dieu. Les trois enfants furent jetés dans la fournaise; et cependant ils n'oublièrent pas la religion ; ils ne furent pas effrayés par les flammes. Ils étaient plongés dans le feu, ils se montraient plus empressés à chanter les louanges de Dieu, que ne l'eussent fait des hommes tranquillement assis dans une chambre et à l'abri dé tout danger. Aussi le feu leur tint lieu, pour ainsi dire, de murailles, la flamme de vêtements, la fournaise d'une source d'eau pure. Elles les avait reçus enchaînés, elle les rendit délivrés de leurs chaînes; elle avait reçu des corps mortels, et ces corps, elle les épargna comme s'ils eussent été immortels; elle ne prit pas garde à leur nature , elle ne fit que respecter leur piété. Le tyran avait mis des entraves à leurs pieds, leurs pieds enchaînèrent en quelque sorte la flamme. O étonnant spectacle ! La flamme brisa leurs liens, et ensuite elle fut comme enchaînée elle-même. La nature fut comme transformée par la piété de ces enfants, ou plutôt, non, la nature ne changea pas, mais ce qui est plus merveilleux encore, sans changer, elle perdit toute son énergie. Le feu ne fut pas éteint; mais son ardeur n'eut plus d'effet. Et que peut-il y avoir de plus surprenant? il épargna non-seulement leurs corps si purs, mais jusqu'à leurs vêtements et leurs chaussures; et de même que les vêtements de Paul guérissaient les malades et chassaient les démons, de même que l'ombre de Pierre mettait la mort en fuite; de même aussi les chaussures de ces enfants éteignirent la violence des flammes. Je ne sais que dire : ce miracle est au-dessus de toute expression. Car la violence du feu était éteinte sans l'être; quand il s'agit de leurs corps, elle est éteinte; elle ne l'est plus, quand il faut rompre leurs chaînes. Oui, elle brisa leurs entraves, et n'atteignit point leurs talons. Les pieds et les entraves, mais ils se touchent ! Le feu conserve son énergie, et cependant, il n'ose franchir les liens ! Le tyran enchaîne, la flamme délivre, pour que vous voyiez la cruauté du Barbare, et l'obéissance de l'élément naturel. Et pourquoi les enchaîna-t-il avant de les jeter dans la fournaise? Pour que le miracle fût plus grand, pour que le prodige fût plus merveilleux, pour qu'il fût impossible de traiter d'illusion le témoignage des sens. Si ce feu n'eût été vraiment du feu, il n'aurait point consumé les liens, ni les soldats assis dans le voisinage ; mais voici qu'il exerce sa puissance sur les objets d'alentour, et il se montre soumis à l'égard des jeunes gens. Le démon renverse sa propre puissance par les mêmes armes dont il se sert contre les serviteurs de Dieu, bien malgré lui sans doute. C'est la sagesse et la Providence divine qui retourne contre sa tête ses armes et ses artifices. N'est-ce pas ce que l'on vit alors? Le démon s'insinuant dans l'âme du tyran, ne lui conseille point de trancher la tête à ces enfants, ni de les livrer aux bêtes féroces, ni à aucun supplice de ce genre; mais il lui persuade de les précipiter dans les flammes, pour qu'il ne restât rien de leurs corps et que leur cendre fût mêlée à celle des sarments. Dieu fit servir ce conseil à la ruine de l'impiété, et, comment ? je vais le (570) dire. Ch ez les Perses, le feu est regardé comme un dieu, et les barbares de ces contrées l'entourent d'une grande vénération. Dieu, qui voulait enlever tout prétexte à une telle impiété, permit cette espèce de supplice, pour donner à ses serviteurs une éclatante victoire, sous les yeux mêmes des adorateurs du feu, et les convaincre par des faits manifestes que les dieux des Gentils craignent, non pas Dieu seulement, mais encore ses serviteurs.

4. Voyez aussi cette couronne tressée par tout ce qui semblait devoir triompher de leur constance, et leurs ennemis eux-mêmes devenus les témoins de leur victoire. Nabuchodonosor, dit l'Ecriture, convoqua tous les magistrats, les généraux, les gouverneurs, les princes et les rois, et tous ceux qui étaient revêtus de quelques dignités pour assister à la dédicace de la nouvelle statue, et tous se rendirent à cette invitation. (Dan. III, 2.) L'ennemi prépare la scène, il rassemble les spectateurs. Le stade est ouvert, les spectateurs accourent, et ce ne sont point des gens vulgaires et de condition privée, mais les hommes les plus honorables, tous revêtus de quelque dignité; certes leur témoignage sera cru de tout le monde. Ils étaient venus pour assister à un spectacle annoncé d'avance, mais quelle déception ils éprouvent ! Ils étaient venus adorer une statue, et ils la tournent en dérision; ils s'en vont après avoir admiré la puissance de Dieu qui venait d'éclater si miraculeusement. Et quel est le lieu choisi par le prince? Ce n'est point la ville, ce n'est point un champ, mais de vastes plaines qui doivent contenir cette multitude. C'est dans la plaine de Déira, en dehors de la ville que fut élevée la statue, et un héraut parcourait la foule en criant : Ecoutez, nations , tribus , peuples , langues, à quelque heure que vous entendiez le son de la trompette, de la flûte, de la cithare, de la sambuque, du psaltérion, des instruments de musique de toute espèce, tombez à terre et adorez la statue d'or (c'était vraiment tomber que d'adorer cette statue), et quiconque refusera de tomber et de l'adorer, sera aussitôt précipité dans la fournaise ardente. (Dan. III, 4-6.) Voyez-vous quels combats dangereux, quelles embûches fatales, quel abîme profond, quel précipice de part et d'autre ! Mais ne craignez rien. Plus l'ennemi redouble ses efforts, plus il fait éclater le courage des enfants. Pourquoi cette musique charmante ? pourquoi cette fournaise ardente ? C'est afin d'agir sur les âmes par la volupté en même temps que par la crainte. Il en est qui résistent, qui ne veulent point céder; que tous les instruments de musique unissent leur mélodie pour les charmer et les fléchir. Vous triomphez de ce piège; que la vue de la flamme vous épouvante et vous glace de terreur ; la crainte entrait par les oreilles, la volupté se glissait dans l'âme par les yeux.

Mais rien ne put vaincre la générosité de ces jeunes gens. Comme ils triomphèrent des flammes où on les jeta, ainsi les vit-on se rire de ces instruments de jouissance ou de supplice. C'était contre eux que les démons avaient fait tant d'apprêts; loin de se défier de ses sujets, il était sûr que pas un n'irait contre les ordres du roi. Quand tous eurent succombé et se furent laissé vaincre, on amena les trois enfants. Ainsi leur victoire devait éclater davantage, remportée et proclamée au milieu d'une telle multitude. Si avant qu'aucun autre eût succombé, ils eussent les premiers manifesté leur courage, ils auraient été moins dignes d'admiration. Mais ce qu'il y a de sublime, de vraiment prodigieux, c'est que la multitude des coupables n'ait pu ni les effrayer, ni les affaiblir. Ils ne se dirent pas, comme il arrive souvent : si nous étions les premiers et les seuls à adorer cette statue, nous serions répréhensibles; mais si nous agissons de concert avec tant de milliers d'hommes, qui pourrait ne pas nous pardonner, ne pas nous juger dignes d'excuse? Non, ils ne dirent, ils ne pensèrent rien de pareil, quand ils virent tomber les puissants de la terre. Voyez encore la méchanceté de leurs ennemis, leurs injustes et amères accusations. Ce sont ceux, disent-ils, que tu as préposés aux travaux dans le pays de Babylone. (Dan. III, 12.) Non contents de rappeler leur nation, ils rappellent encore leurs dignités, pour enflammer le courroux du roi ! C'est comme s'ils disaient : les esclaves, ces bannis, ces captifs, tu leur as donné autorité sur nous; et cet honneur, ils osent l'outrager, ils osent se montrer insolents envers celui de qui ils le tiennent. Et voilà pourquoi ils disent : Les Juifs que tu as préposés aux travaux dans le pays de Babylone, ils ont désobéi à ton décret, et refusent de servir tes dieux. Pas de plus bel éloge que cette accusation; de tels reproches sont des louanges; c'est un témoignage irrécusable, puisqu'il sort de la bouche des ennemis. Que va faire le roi ? Il les fait (571) amener devant lui, pour les effrayer par tous les moyens qu'il a en son pouvoir. Mais rien ne peut en venir à bout, ni la fureur du roi, ni leur solitude au milieu d'une telle multitude, ni l'aspect de la fournaise, ni le son de la flûte, ni tous ces regards ardents fixés sur eux; ils se rient de tout cela, et ils entrent dans la fournaise, comme s'ils entraient dans l'onde fraîche d'une fontaine ; et ils adressent au roi ces bienheureuses paroles : Nous ne pouvons servir tes dieux, ni adorer cette statue que tu as élevée. (Dan. III, 18.) Ce n'est point sans motif que je viens de développer ce récit, mais bien pour vous apprendre que rien ne peut vaincre ou effrayer l'homme juste: ni la fureur d'un roi, ni les embûches qui lui sont tendues, ni la haine de ses ennemis, ni la captivité, ni l'abandon, ni le feu, ni les fournaises, ni les supplices, si nombreux qu'ils soient. Si ces jeunes gens ne tremblèrent point devant la fureur d'un prince impie, ne devons-nous pas avoir confiance dans un empereur si plein d'humanité et de clémence, et remercier Dieu de cette tribulation où nous sommes, bien persuadés maintenant que l'affliction augmente notre gloire devant Dieu et devant les hommes, si nous savons la supporter généreusement? Si ces enfants n'eussent été esclaves, leur intrépide liberté ne se fût point manifestée; s'ils n'eussent été captifs, nous ne redirions point maintenant la noblesse de leurs âmes; s'ils n'eussent perdu leur patrie terrestre, nous n'aurions point connu cette vertu, digne des habitants du ciel; si le roi de la terre ne se fût irrité contre eux, nous ne parlerions pas de cette bienveillance que leur témoigna le roi des cieux.

5. Et vous aussi, pourvu que vous ayez Dieu Pour ami, ne désespérez point, fussiez-vous jetés dans une fournaise; mais s'il est courroucé contre vous, ne vous rassurez point, fussiez-vous dans un paradis. On les jeta dans la fournaise, mais ils avaient agi noblement, et la fournaise ne leur fit aucun mal. Adam était dans le paradis, mais il manqua de courage, et il tomba. Job sur son fumier s'abstint de murmurer, et il triompha de ses maux. Quelle distance du fumier au paradis ! Mais la vertu du lieu ne servit de rien à celui qui l'habitait, une fois qu'il se fut laissé vaincre lui-même; et au contraire, malgré cet indigne séjour, la vertu de Job lui servit comme de rempart. contre toute blessure. Nous aussi fortifions notre âme. Qu'une forte amende, que la mort nous menace, si on nous laisse notre piété, nous sommes les plus heureux des hommes. N'est-ce pas aussi ce que nous recommande Jésus- Ch rist? Soyez donc prudents comme des serpents (Matt. X, 16), nous dit-il. Le serpent présente son corps tout entier, pour sauver sa tête; vous aussi, s'il vous faut perdre richesses, corps, tous les biens, la vie même, pour sauver votre piété, ne vous contristez point. Si vous quittez ce monde emportant avec vous la piété, Dieu vous rendra tout le reste avec munificence, il ressuscitera votre corps en le revêtant de gloire, et à la place de vos richesses vous recevrez des biens que nul langage ne saurait exprimer. Job n'était-il pas assis tout nu sur un fumier, endurant une vie plus cruelle que mille morts? Mais il garda sa piété, et tout ce qu'il avait perdu lui fut abondamment rendu, santé, beauté, nombreux enfants, possessions; et à tout cela se joignait un avantage plus précieux encore, la brillante couronne de la patience.Voyez les arbres: si vous enlevez les fruits et les feuilles, si vous coupez tous les rameaux, sans toucher à la racine, ils repoussent de nouveau et n'en ont que plus de vigueur. Ainsi en est-il de nous; s'il nous reste cette racine de la piété, quand même les richesses nous seraient enlevées, quand même notre corps serait livré à la corruption, nous retrouverons de plus magnifiques richesses, un corps plus glorieux. Bannissons donc toute vaine inquiétude, toute vaine préoccupation, rentrons en nous-mêmes, revêtons notre corps et notre âme de l'ornement de la vertu, employons nos membres, comme autant d'armes pour le bien, et qu'ils ne soient jamais des instruments de péché. Surtout faisons de notre langue l'interprète de la grâce d'en-haut, rejetons loin de nos lèvres le poison de la méchanceté, et des discours honteux. Il dépend de nous, en effet, de faire servir nos membres au péché ou à la justice. Entendez comment la langue a été pour les uns un instrument de péché, pour les autres au contraire, un instrument de justice. Leur langue, dit le Psalmiste, est un glaive aigu. (Ps. LVI, 5.) Et ailleurs, au sujet de sa propre langue : Ma langue est comme la plume d'un homme qui se hâte d'écrire. (Ps. XLIV, 2.) L'une commettait le meurtre, l'autre écrivait la loi de Dieu. Ainsi l'une était un glaive, l'autre une plume, non par leur propre nature, mais par le libre usage qu'ils en faisaient. Ainsi en est-il aussi de la bouche : (572) certains hommes avaient lune bouche toute pleine,de venin et de méchanceté, et il le leur reproche en disant: Leur bouche est remplie de malédictions et d'amertume. (Ps. XIII, 3.) Entendez-le au contraire quand il parle de lui : Ma bouche, dit-il, parlera le langage de la sagesse , et mon coeur méditera des paroles pleines de prudence. (Ps. XLVIII, 4.) — Combien encore avaient les mains toutes souillées d'iniquité ! et il les blâme en ces termes : Dans leurs mains ils portent l’iniquité, et leur droite est pleine de présents. (Ps. XXV, 10.) Pour lui, ses main ne savent que s'élever vers le ciel. Aussi disait-il : L'élévation, de mes mains, c'est comme un sacrifiée du soir. (Ps. CXL, 2.) — Il en est de même du coeur. Certains hommes ont le coeur plein de vanité, celui du Psalmiste s'attache à la vérité seule: Leur coeur est vain (Ps. V, 10), dit-il en parlant de ceux-là; et en parlant de lui-même: Mon coeur a exhalé des paroles de sagesse. (Ps. XLIV, 2.) — Autant peut-on en dire de l'ouïe. Il en est qui, semblables aux bêtes, ne prêtent jamais une oreille bienveillante et disposée aux pardon; et c'est à eux que David adresse ce reproche : Leurs oreilles demeurent sourdes et fermées, comme celles de l'aspic. (Ps. LVII, 5.) Pour lui il écoutait avec avidité les divines paroles, et ce qu'il dit le fait assez voir : J'inclinerai mon oreille pour recevoir les conseils de la sagesse, je chanterai sur le psaltérion les desseins de mon coeur. (Ps. XLVIII, 5.)

6. Ainsi donc, que la vertu nous serve comme de rempart, et nous détournerons la colère du Seigneur. Faisons de nos membres autant d'instruments de vertu, apprenons à nos yeux, à nos mains, à nos pieds, à notre coeur, à notre langue, à notre corps tout entier, à ne servir qu'à la vertu ; et souvenons-nous de ces trois recommandations que je vous ai faites, en vous priant instamment de ne haïr personne, de ne point dire de mal contre ceux qui vous ont attristé, de rejeter loin de vos lèvres la funeste habitude des jurements. Quant aux deux premiers préceptes, nous en parlerons dans un autre moment. Mais cette semaine, nous la consacrerons tout entière à vous parler du jurement, commençant ainsi par le précepte le plus facile à observer. Il n'est point difficile, en effet, de vaincre cette habitude de jurer pour peu que nous y mettions de zèle, ayant soin de nous avertir, de nous conseiller les uns les autres, de nous observer, d'examiner et de punir ceux qui mettent en oubli ce commandement. A quoi bon nous abstenir de nourriture, si nous ne chansons de notre âme les mauvaises habitudes. Nous avons passé tout ce jour à jeûner, et ce soir notre table ne ressemblera pas à celle d'hier, elle sera changée et mieux servie. Qui pourrait aujourd'hui se rendre le témoignage qu'il a changé de vie comme il a changé de table, qu'il a modifié ses habitudes, comme il a modifié sa nourriture? Personne, peut-être. Quel profit retirerons-nous donc du jeûne? Aussi vous exhorté-je, et ne cesserai-je de vous exhorter à accomplir l'un après l'autre chaque précepte, et de consacrer à chacun deux ou trois jours. Il en est parmi vous qui rivalisent d'abstinence, et se livrent mutuellement un admirable combat; les uns passent deux jours entiers sans rien prendre, d'autres se privent non-seulement de vin et d'huile, mais de tout autre mets, et n'ont durant le carême que le pain et l'eau pour nourriture. Pourquoi ne rivaliserions-nous pas aussi pour faire disparaître cette habitude de jurer? Cela ne vaudrait-il pas mieux que ton te espèce de jeûne que toute espèce d'austérité corporelle? Ce zèle que nous montrons à nous priver d'aliments, montrons-le aussi à nous abstenir de jurer. N'est-ce pas encourir le reproche de folie que de se soucier si peu -des préceptes, et de mettre toute son ardeur aux pratiques indifférentes. Il n'est pas interdit de manger, mais il est défendu de jurer; et cependant nous nous abstenons de ce qui est autorisé, et nous nous livrons à ce qui est illicite.

J'exhorte donc votre charité à manifester quelque changement dans votre conduite, et à commencer par celui-là. Si tel est notre zèle pendant le temps du jeûne, si cette semaine nous nous corrigeons de l'habitude de jurer, si la semaine suivante, nous éteignons en nous le feu de la colère, si ensuite nous détruisons dans sa racine l'envie de médire, si plus tard nous faisons disparaître d'autres défauts, allant ainsi de progrès en progrès, nous atteindrons peu à peu la perfection, nous échapperons au danger qui nous menace, nous nous rendrons le Seigneur propice. La multitude reviendra se joindre à nous dans cette ville; et nous apprendrons à ceux qui ont pris la fuite que ce n'est ni dans les murs d'une ville, ni dans la fuite ou la retraite, mais bien dans la vertu et dans les bonnes moeurs, que nous pouvons mettre tout notre espoir. Et ainsi il nous sera donné (573) de jouir, et des biens de cette vie, et des biens de la vie future. Veuillent nous en rendre dignes la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus- Ch rist, par qui et avec qui gloire soit au Père, avec le Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

Ces deux dernières Homélies ont été traduites par M. l'abbé JOLY, docteur en théologie,

professeur de rhétorique au petit séminaire de Plomblières-lès-Dijon.

 

FIN DU DEUXIÈME VOLUME.

 

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