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NEUVIÈME HOMÉLIE.

 

ANALYSE. Amour de saint Ch rysostome pour les habitants d'Antioche. — II les félicite de leurs progrès dans le bien. — Il regrette que plusieurs négligent la parole sainte. — Pourquoi les Ecritures ont-elles paru si tard ? - Beauté de la Création. — Les astres. — Le jour et la nuit. — L'ordre des saisons, la ferre et les éléments, le soleil manifestent la puissance et la sagesse du Créateur. — Il faut s'abstenir de jurer.

 

1. Il n'y a pas longtemps que je m'entretenais avec vous, et voici que je viens encore vous adresser un discours. Que ne puis-je être sans cesse au milieu de vous ! ou plutôt ne suis-je pas toujours présent parmi vous, sinon de corps, au moins par l'amour que je vous porte ? Ma vie tout entière, n'est-ce pas vous-mêmes et le soin de votre salut? Le laboureur songe-t-il à autre chose qu'à semer et à moissonner; le pilote a-t-il d'autre pensée que celle de la mer et des ports ? Et l'orateur, lui aussi, n'a-t-il pas continuellement en vue les progrès de ses auditeurs ? Oui, c'est votre avancement spirituel qui me préoccupe en ce moment. Je vous porte tous dans mon coeur, non-seulement ici, mais encore lorsque je suis chez moi. Sans doute ce peuple est nombreux, et ce coeur a peu d'étendue; mais la charité est spacieuse, et chez nous vous n'êtes pas à l'étroit. (II Cor. VI, 12.) Je n'ajoute pas les paroles qui suivent;. je sais bien aussi que je ne suis pas à l'étroit dans vos âmes, et en voici la preuve évidente. Beaucoup d'entre vous ne m'ont-ils pas dit : « Nous avons suivi vos conseils; nous nous sommes fait une loi de ne pas jurer; nous avons déterminé certaines peines, et quiconque enfreint la loi, doit les subir. N'est-ce pas répondre pleinement à vos désirs, et n'est-ce pas aussi la meilleure marque d'amour que nous puissions vous donner ?» Non, certes, je n'ai pas honte de descendre à ces détails; ce qui me fait agir, ce n'est pas un empressement puéril, mais bien le vif intérêt que vous m'inspirez. Si le médecin peut sans rougir interroger son malade, qui oserait nous blâmer de nous informer sans cesse de votre santé spirituelle? Renseigné de la sorte sur vos progrès, sachant ce qui vous reste à faire, nous pourrons en toute assurance vous donner les remèdes dont vous aurez encore besoin. C'est à force de soin que nous nous sommes rendu de tout cela un compte exact; et nous remercions Dieu de ce que nous n'avons pas semé sur la pierre, ni au milieu des épines, ni attendu longtemps pour faire une ample moisson. Aussi je vous ai toujours dans mon coeur; en vous instruisant, je ne sens point la peine, je suis assez dédommagé par le profit (31) que vous retirez de mes discours. C'est là une récompense bien propre à nous soutenir, à nous animer, à exciter notre zèle, à nous faire supporter pour vous toutes les fatigues. Nous avons donc reçu bien des témoignages de votre reconnaissance, et nous allons maintenant nous acquitter de notre dette, quoique nous n'apercevions pas ici tous ceux qui nous ont entendu faire cette promesse.

Pourquoi donc sont-ils absents? Quelle cause les éloigne de cette table mystique? Peut-être ont-ils pensé qu'après s'être assis à une table matérielle, qu'après avoir donné à leurs corps la nourriture qu'ils réclament, ils ne devaient point venir entendre la parole sainte. Ils se trompent : autrement, pourquoi après le festin mystique Jésus- Ch rist aurait-il fait un long discours à ses apôtres ? Autrement encore , pourquoi 'après avoir nourri plusieurs fois la multitude dans le désert, lui aurait-il distribué ses enseignements ? Je le dirai, dût ce langage paraître étrange à plusieurs, c'est alors surtout qu'il faut prêter l'oreille à la parole de Dieu. Si vous vous persuadez en effet qu'après avoir mangé et bu, vous devez vous trouver à l'église, vous serez sobres malgré vous, jamais vous ne vous enivrerez, jamais vous ne mangerez avec excès. Cette pensée que vous devez vous asseoir au milieu de vos frères, vous conseillera la modération dans le boire et dans le manger; vous craindrez de sentir le vin, de vous trahir par là ou par quelqu'autre indécence, et de faire rire à vos dépens. Ce n'est point pour vous qui êtes ici que je dis ces choses; mais pour les absents auxquels vous les répéterez. Ce qui empêche d'entendre, ce n'est pas la nourriture que l'on prend, c'est la paresse. Vous qui faites un crime de ne pas jeûner, vous êtes bien plus coupables encore de ne point participer à cette table sacrée, de laisser votre âme mourir de faim tout en soignant bien votre corps. Et quelle sera votre excuse ? Quand il s'agit de jeûner, vous pouvez prétexter votre faiblesse; mais quand il s'agit d'entendre la parole sainte, quel prétexte mettrez-vous en avant? La faiblesse du corps, en effet, n'empêche point de recueillir sa part des divins oracles. Ah ! si j'avais dit : Que personne ne vienne à cette assemblée après avoir mangé, que personne ne vienne nous écouter, après avoir pris de la nourriture , vous seriez excusables; mais, au contraire, nous vous attirons, nous vous engageons, nous vous appelons de toutes nos forces; et vous ne venez pas; et vous pourriez vous justifier ! Savez-vous quel est le mauvais auditeur? Ce n'est pas celui qui a mangé ou bu, mais bien celui qui ne veut pas être attentif, qui bâille, qui se laisse aller, dont le corps est ici présent, mais dont l'âme erre bien loin de ce lieu; celui-là, il aurait beau jeûner, il ne retirerait aucun profit de nos discours. Mais que vous ayez mangé, que vous ayez bu; si vous tenez votre âme éveillée, attentive, vous serez d'excellents auditeurs. Ch ez les infidèles, l'usage a prévalu de ne se rendre qu'à jeun au tribunal ou au conseil ; mais les infidèles ne savent point être sages : ils ne se contentent pas de manger pour se nourrir; ils mangent jusqu'à se rendre malades; ils boivent jusqu'à s'enivrer, et c'est pourquoi le soir et à midi ils s'abstiennent de juger ou de délibérer ils sont devenus incapables de le faire. Mais ici nous ne voyons rien de semblable, à Dieu ne plaise. Après avoir mangé, on n'est pas moins sage qu'avant de se mettre à table : on ne mange pas, on ne boit pas, au point d'en mourir ou d'obscurcir sa raison ; mais on ne prend de nourriture que ce qu'il faut pour réparer ses forces.

2. C'est assez d'avertissements: venons maintenant à notre sujet, malgré la répugnance et l'ennui que nous sentons à l'aborder, en l'absence de nos frères. Quelle peine, quelle douleur n'éprouve pas une mère aimante quand elle ne voit pas tous ses enfants autour de la table qu'elle a servie? Cette douleur, je la ressens moi-même en ce moment, et quand je songe que tous ne sont pas ici, je suis tenté de retirer ma promesse. C'est à vous de faire cesser cette répugnance. Promettez-moi de leur rapporter fidèlement mes paroles, et moi je m'acquitterai pleinement de tout ce que j'ai promis. En vous écoutant, ils regretteront moins de n'être pas venus aujourd'hui; et vous serez vous-mêmes plus attentifs à notre discours, puisque vous devez le redire à d'autres. Pour être plus clair, il nous faut reprendre ce que nous avons déjà dit. Nous nous sommes demandé pourquoi les saintes Écritures avaient été données si tard aux Hébreux. Ce ne fut ni à l'époque d'Adam, ni à celle de Noé, ni à celle d'Abraham, mais au temps de Moïse que parut le livre de la Genèse. Si ce livre était utile, dit-on, pourquoi ne paraissait-il pas dès le principe; et s'il était inutile, à quoi bon le mettre au jour plus tard? C'est mal raisonner. Si une (32) chose doit être avantageuse dans l'avenir, il ne s'ensuit pas qu'on doive l'accorder dès le principe; et ce que l'on a donné dès le commencement ne doit point nécessairement demeurer toujours. Le lait n'est-il pas fort utile, et cependant on ne le donne qu'aux enfants; une nourriture solide est aussi chose très-utile; mais on se garde bien de nous l'offrir d'abord; on attend que nous soyons sortis de l'enfance. L'été, si utile pourtant, ne règne pas toujours; l'hiver a ses avantages, et à son tour il disparaît. Eh quoi ! direz-vous, les Ecritures ne sont-elles pas utiles? Oui, sans doute, elles sont très-utiles et même nécessaires. Eh bien! ajoutez-vous, puisqu'elles sont utiles, pourquoi Dieu ne les a-t-il pas données dès le principe? C'est qu'il voulait instruire les hommes par les choses, et non par les livres. Qu'est-ce à dire, par les choses? C'est-à-dire, par la création elle-même. C'est la pensée de l'apôtre saint Paul.

Les Gentils se plaignaient de n'avoir pas eu dès le principe la connaissance de Dieu par les Ecritures. Ecoutez ce qu'il leur répond. Il avait dit : La colère de Dieu éclatera du haut du ciel sur les impiétés et les injustices de ces hommes qui retiennent dans l'iniquité la vérité de Dieu. (Rom. I, 28.) Prévoyant qu'on soulèverait une objection, et qu'on lui demanderait comment les Gentils avaient pu connaître le vrai Dieu, il ajouta : car ce que l'on sait de Dieu leur a été manifesté. Et comment cela? comment pouvaient-ils connaître Dieu? qui le leur avait manifesté? C'est Dieu lui-même, qui s'était manifesté à leurs regards (Ibid. 19), reprend-il. De quelle façon? quel prophète, quel évangéliste, quel docteur leur avait-il envoyé, si les Ecritures n'existaient pas encore? Les perfections invisibles de Dieu, continue-t-il, ont été manifestées à l'intelligence depuis le commencement par les créatures visibles; c'est ainsi que Dieu a révélé son éternelle puissance et sa divinité. (Ibid. 20.) Voici ce que veut dire l'Apôtre : Il a exposé la création aux regards de tous les hommes, pour qu'ils puissent découvrir le Créateur dans ses ouvrages.

C'est la même pensée qu'exprime un autre docteur dans ces paroles : La grandeur et la beauté des créatures fait connaître leur auteur. (Sag. XIII, 5.) Quand vous considérez la grandeur de la création, admirez la puissance qui l'a produite; quand vous contemplez la beauté des créatures, admirez encore et célébrez l'auteur d'un ordre si parfait. A la vue de tant de sagesse le Prophète, saisi d'enthousiasme, s'écriait : Les cieux racontent la gloire de Dieu. (Ps. XVIII, 1.) Comment, je vous le demande, peuvent-ils raconter cette gloire? La voix leur manque, ils n'ont point de bouche, point de langue. Comment peuvent-ils donc raconter? Par le spectacle qu'ils présentent. Quand vous voyez les astres garder si longtemps leur beauté, leur grandeur, leur élévation, leur forme et la place qu'ils occupent, c'est comme si vous entendiez leur voix ; ce sublime spectacle vous instruit et vous adorez l'Auteur de cet ensemble si beau, si admirable ! Le ciel ne parle point, et cependant quand vous le contemplez, c'est comme si vous entendiez des sons plus éclatants que les sons de la trompette, et si, pour vous instruire, il ne s'adresse pas à vos oreilles, il frappe vivement vos regards. Or, le sens de la vue est à la fois plus fidèle et plus sûr que le sens de l'ouïe. Si Dieu se fût servi des livres pour nous apprendre à le connaître, ceux qui savent lire auraient pu les étudier, mais les autres n'en eussent pas retiré le moindre avantage sans le secours des premiers. Le riche aurait pu se les procurer en les achetant, le pauvre, non. Pour les comprendre, il eût fallu savoir la signification de chaque mot; et alors comment le Scythe, le Barbare, l'Indien, l'Egyptien et tous ceux qui n'auraient point connu l'idiome du livre, auraient-ils pu s'instruire ? Mais le ciel, tous comprennent son langage, et le Scythe et le Barbare et l'Indien et et l'Egyptien, et tous les habitants de la terre : il s'adresse à notre intelligence, non parle sens de l'ouïe, mais par celui de la vue. II n'en est pas des choses visibles, comme des langues tous peuvent également les comprendre. C'est un livre où chacun peut lire, l'ignorant comme le sage, le pauvre comme le riche, et n'importe en quel lieu de la terre, il suffira de regarder le ciel pour puiser dans ce spectacle une doctrine abondante. Aussi le Prophète, voulant nous montrer que la création parle un langage intelligible à tous les hommes, soit Grecs, soit Barbares, disait : Ce n'est point un langage, ce ne sont point des paroles dont on n'entende point le son. (Ps. XVIII, 4.) Et voici sa pensée : Il n'est point de nation ni de langue qui ne puisse comprendre cette voix; elle est si claire que tous peuvent l'entendre. Et il ne s'agit pas seulement de la voix des cieux, (33) mais encore de la voix du jour et de la nuit. Et comment cela? Les cieux par leur beauté, parleur grandeur, par tant d'autres perfections saisissent l'âme, quand on les considère, et la remplissent d'admiration pour le Créateur. Mais le jour et la nuit, que nous offrent-ils de si admirable? Rien de semblable, sans doute, à ce que nous voyons dans le firmament; mais quelque chose cependant qui n'est pas moins merveilleux; je veux parler de cette convenance, de cet ordre toujours si exactement suivi. Voyez, en effet, comment ils partagent l'année tout entière ! Ils divisent la durée du temps, en se faisant contre-poids l'un à l'autre, comme les plateaux d'une balance. Dites-moi, n'admirez-vous pas l'auteur d'un si bel ordre? Ce sont comme deux sueurs qui se partagent les biens de leur père avec une mutuelle affection, sans jamais chercher à se nuire. Avec quel soin, en effet, avec quelle égalité le jour et la nuit partagent l'année, se tenant toujours dans leurs limites et ne se repoussant jamais l'un l'autre ! Depuis tant de siècles que le monde existe, jamais en hiver le jour ne fut long, jamais la nuit ne fut longue en été; oui, durant un laps de temps si considérable ils ne se sont rien dérobé l'un à l'autre, pas même une demi-heure , pas même un seul instant.

3. Aussi le Psalmiste, ravi d'admiration devant un partage si bien fait, s'écriait : La nuit transmet d la nuit la connaissance. (Ps. XVIII, 3.) Si vous savez comprendre tout cela, n'admirez-vous pas, dites-moi, celui qui dès le principe a posé ces bornes immuables? Qu'ils entendent, les avares et ceux qui convoitent le bien d'autrui, et qu'ils imitent cette égalité du jour et de la nuit. Qu'ils entendent, ceux que dévorent l'orgueil et l'ambition, ceux qui ne veulent jamais céder aux autres la première place. Le jour se retire devant la nuit, et n'envahit point son domaine; et vous, vous n'êtes jamais rassasiés d'honneurs, et vous ne voulez jamais les partager avec vos frères. Considérez encore la sagesse du législateur. II a voulu que la nuit fût longue en hiver, parce qu'alors les semences, plus tendres, ont besoin de fraîcheur, et ne pourraient supporter une forte chaleur ; mais quand elles se sont développées, le jour augmente aussi, et il devient encore plus long, quand le fruit possède toute sa vigueur, et vient en maturité.

C'est là un avantage non-seulement pour les moissons, mais aussi pour nos corps. N'est-ce pas en hiver que le matelot, que le pilote, le voyageur, le soldat, le laboureur restent chez eux, comme enchaînés par le froid? L'hiver n'est-il pas la saison du repos? Or, si Dieu n'avait alors donné plus de longueur aux nuits, la durée du jour aurait paru excessive à des hommes que l'hiver empêche de travailler. Comment assez louer cet ordre des saisons de l'année? N'est-ce pas comme un choeur de jeunes filles qui, dans l'espèce de danse en rond quelles exécutent perpétuellement, se succèdent dans le plus grand ordre, et où celles du milieu font sans cesse passer doucement et sans trouble leurs compagnes d'une extrémité à l'extrémité contraire?

Au sortir de l'été nous n'entrons point subitement en hiver, ni au sortir de l'hiver, brusquement en été; entre l'hiver et l'été se trouve le printemps qui doit préparer nos corps et les conduire à l'été, doucement, peu à peu, et les y introduire sans qu'ils courent de périls. Une brusque transition pourrait amener des maladies graves et dangereuses, et c'est pourquoi Dieu a voulu que le printemps prit la place de l'hiver pour nous mener à l’été, et l'automne celle de l'été pour nous mener' à l'hiver. Et ainsi nous passons insensiblement et sans avoir rien à craindre, d'une saison à la saison contraire, grâce à celle qui les sépare. Quand on a contemplé le ciel, quand on a contemplé la mer et la terre, quand on a considéré cette harmonie si bien réglée des diverses saisons, cette continuelle succession du jour et de la nuit, il faudrait être bien malheureux, bien insensé pour attribuer tout cela au hasard, et ne pas adorer celui dont la sagesse a si bien disposé cet univers. Mais j'ai quelque chose de plus grand encore à vous montrer : ce n'est pas seulement la magnificence et la beauté de l'univers, mais le mode lui-même de la création qui nous révèle le Créateur. Nous n'étions point présents quand il créait et construisait le monde; et eussions-nous été là, nous n'aurions pu savoir comment s'accomplissait ce grand ouvrage : une invisible puissance disposait l'univers, et le mode lui-même de cette disposition devait être pour nous le meilleur des maîtres; tout y était soumis à des forces supérieures aux lois de la nature. Ce que je viens de dire est peut-être obscur :je vais le rendre plus clair en vous l'expliquant. Il est naturel, tout (34) le monde le reconnaît, que l'eau soit supportée par la terre, et la terre ne peut-être soutenue par l'eau. La terre est dense, elle est dure, solide, capable de résistance, et par là même elle soutient aisément les eaux. Mais l'eau qui est liquide, et sans consistance, qui se divise et s'écoute dans tous les sens, qui cède aux moindres efforts, ne pourrait jamais supporter un corps, même le plus léger. Un petit caillou jeté dans l'eau la fait reculer et fuit, et il s'ouvre un chemin vers ses profondeurs. Si donc vous voyez non pas un mince caillou, mais la terre tout entière portée sur les eaux sans enfoncer, n'admirez-vous pas la puissance surnaturelle qui opère ce prodige? Et où voyons-nous que la terre soit portée sur les eaux ? C'est le Prophète qui le dit : Il l'a fondée sur les mers, et l'a établie sur les fleuves. (Ps. XXIII, 2.) Et encore, dans un autre endroit : à celui qui a fondé la terre sur les eaux. (Ps. CXXXV, 6.) Que dites-vous, saint Prophète? L'eau ne peut soutenir à sa surface le moindre caillou, et elle porte la terre avec ses montagnes, ses collines, avec les villes, les plantes, les hommes, les animaux, et cela, sans être submergée ? Que dis-je, sans être submergée? comment se fait-il qu'entourée par l'eau dans sa partie inférieure pendant un si long espace de temps, elle ne se soit pas dissoute et changée en boue? Que le bois séjourne quelque peu dans l'eau, il se corrompt et se dissout ; que dis-je, le bois? Mais le fer lui-même, si solide pourtant, laissé continuellement dans l'eau, finit pas perdre sa dureté ; et ne doit-il pas en être ainsi puisqu'il tire sa substance de la terre? Aussi voit-on des esclaves qui se sont enfuis chargés d'entraves et de chaînes, s'arrêter au bord des ruisseaux pour y plonger leurs pieds; et quand ils ont amolli les fers qui les retiennent, ils n'ont pas de peine à les rompre avec une pierre. Oui, le fer s'amollit dans l'eau, le bois s'y putréfie, la pierre s'y dissout; et cependant la masse de la terre, établie sur les eaux depuis s'y longtemps, n'a été ni submergée, ni dissoute, ni détruite.

4. Et, qui ne serait saisi d'étonnement et d'admiration, qui ne proclamerait bien haut que ce n'est point là l'ouvrage de l'a nature, mais celui d'une providence supérieure à la nature? Aussi est-il dit dans l'Ecriture : Celui qui a suspendu la terre sur le néant. (Job, XXVI, 7.) Et ailleurs : Dans ses mains sont les bornes de la terre. (Ps. XCIV, 4.) Et ailleurs encore : Il l'a fondée sur les mers. (Ps. XXIII, 2.) Ces textes semblent se contredire, et cependant ils sont parfaitement d'accord. En effet, dire : Il l'a fondée sur les mers, n'est-ce pas dire aussi : Il a suspendu la terre sur le néant. Quelle différence y a-t-il, je vous prie, entre se tenir sur les eaux et être suspendu sur rien? A quoi donc la terre est-elle suspendue et sur quoi s'appuie-t-elle? Le Psalmiste ne vous le dit-il pas ? Les bornes de la terre sont dans ses mains. Ce n'est pas que Dieu ait des mains, seulement David veut nous faire comprendre que cette souveraine Puissance dont la Providence s'étend à l'univers entier, soutient aussi et porte la masse de la terre. Et si vous ne l'en croyez pas sur parole, croyez-en du moins vos yeux. Un autre élément encore peut vous offrir de semblables merveilles. Le feu, de sa nature, s'élève dans les airs, il pétille et s'élance : c'est en vain que vous chercherez à le contraindre, à le violenter; vous ne pourrez le forcer à descendre. Allumez un flambeau, inclinez-le, vous ne pourrez forcer la flamme à se diriger vers le sol : toujours elle remontera, toujours elle sera repoussée en haut. Or, Dieu a imposé au soleil des lois toutes contraires. Il a dirigé ses rayons vers la terre, il a voulu que sa lumière descendît jusqu'à nous, lui tenant pour ainsi dire ce langage : « Regarde en bas, et luis pour les hommes : car c'est pour eux que tu as été créée.» La flamme d'une lampe ne peut s'y résigner, et cet astre si magnifique et si admirable tourne ses rayons vers la terre, suivant des lois toutes contraires à celles du feu, pour obéir à la puissance de son auteur. Voulez-vous contempler encore d'autres merveilles ? La voûte extérieure de ce firmament que nous apercevons est tout entière recouverte par des eaux, qui ni ne s'écoulent, ni ne se retirent. Telles ne sont pas cependant les lois auxquelles d'ordinaire obéit cet élément! Les eaux se rassemblent aisément, quand la surface est con-. cave; mais sur une surface convexe elles s'écoulent de tous côtés et on n'en voit pas rester une seule goutte. Et ce phénomène étrange, on le remarque pourtant dans les cieux. C'est ce que veut encore faire entendre le Prophète, quand il dit: Louez le Seigneur, eaux qui êtes au-dessus des cieux. (Daniel, III, 60.) Ces eaux n'ont pu éteindre le soleil, ni le soleil les dessécher, depuis si longtemps qu'il poursuit sa course au-dessous d'elles.

 

35

 

Voulez-vous que nous revenions- sur la terre et que nous vous en montrions les merveilles? Ne voyez-vous pas cette mer avec ses flots et ses tempêtes? Et cette mer si vaste, si grande, si furieuse, il suffit d'un sable sans consistance pour la contenir. Admirez la sagesse du Seigneur ! Il ne lui a point permis de rester en repos, ni de s'apaiser : vous auriez cru qu'il était dans sa nature de demeurer tranquille : mais tout en restant dans ses limites, elle mugit, elle s'agite, ses flots retentissent . et s'élèvent à une prodigieuse hauteur; puis, quand ils atteignent les sables du rivage, ils se brisent et retombent sur eux-mêmes. Par là elle vous apprend que ce n'est point en vertu de sa nature qu'elle se tient renfermée dans ses limites, mais bien en vertu de la Puissance divine qui la contraint d'y demeurer. Et c'est pourquoi le Créateur lui adonné de si faibles barrières: il n'a mis sur ses rivages ni bois, ni pierres, ni montagnes, pour que vous ne puissiez pas attribuer à ces remparts les effets dont vous êtes les témoins. C'est ce qu'il disait autrefois aux Juifs pour leur reprocher leur insolence : Ne me redouterez-vous pas, moi qui ai donné pour barrière aux flots de l'Océan, un sable qu'il ne franchira jamais? (Jérém. V , 22.) Nous contenterons-nous d'admirer ce monde si grand et si beau, cet ordre merveilleux qui s'élève au-dessus des lois ordinaires de la nature? n'admirerons-nous pas encore cette puissance qui a composé le monde d'éléments contraires, du chaud et du froid, du sec et de l'humide, du feu et de l'eau, de la terre et de l'air? et ces éléments contraires qui constituent l'univers, ces éléments qui se combattent, ne se détruisent pourtant point les uns les autres ! Le feu ne se précipite point pour tout embraser, l'eau n'accourt point pour tout submerger. Si la bile vient à prédominer dans nos corps, nous avons aussitôt la fièvre et tous nos membres sont malades; si l'humeur est trop abondante, elle engendre une foule de maladies qui nous donnent là mort. Dans l'univers, rien de semblable. Mais chaque élément reste à sa place, retenu comme par un frein, enchaîné par la volonté du Créateur qui le force à garder ses limites, et c'est ainsi que cette opposition entre les éléments procure la paix à tout l'univers. Oui, les aveugles mêmes doivent voir, les insensés doivent comprendre que ces divers éléments sont l'oeuvre de la divine Providence, et que c'est elle aussi qui les contient dans leurs limites. Qui serait assez insensé, assez stupide pour ne pas se dire à la vue d'un tel ensemble, d'une si grande beauté, d'un tel arrangement, de cette lutte entre des éléments contraires qui continuent cependant à subsister : S'il n'y avait une Providence pour contenir la masse de ces corps, pour les empêcher de tomber en dissolution, non, ils ne pourraient subsister, ils ne pourraient durer longtemps? L'ordre des saisons, cet admirable accord du jour et de la nuit, tant d'espèces d'animaux, de plantes, de semences et d'herbes continuent de suivre les mêmes lois, et jusqu'à présent rien de tout cela n'a péri, rien n'a disparu.

5. Ce n'est pas tout, il s'en faut bien. Il y aurait sur la création bien d'autres choses à vous dire, plus nombreuses, plus profondes encore que celles-là. Mais nous les renvoyons à demain: appliquez-vous maintenant à bien retenir nos paroles et à les répéter aux absents. Je sais bien que vous êtes peu habitués aux pensées profondes, mais avec de la bonne volonté vous pouvez vous y accoutumer et vous rendre même capables de les exposer aux autres. En attendant, voici ce que je dois dire à votre charité. De même que Dieu nous a glorifiés par une création si magnifique, de même nous devons le glorifier à notre tour par la sainteté de notre vie. Les cieux racontent la gloire de Dieu par le spectacle qu'ils nous offrent; racontons aussi la gloire du Seigneur, non-seulement par nos paroles, mais encore par notre silence, et que l'éclatante lumière de notre vie excite partout l'admiration. Que votre lumière, dit le Sauveur, brille aux regards des hommes, pour qu'ils voient vos bonnes oeuvres, et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux. (Matth. V,16.) Si en effet les infidèles vous voient toujours modestes, toujours sages, toujours purs, ils seront dans le ravissement et diront: Oui, il est grand le Dieu des chrétiens ! Comme il transforme les hommes ! Qu'étaient ceux-ci? Que sont-ils devenus? C'étaient des hommes, il en a fait des anges ! Si on les outrage, ils ne se vengent point; si on les frappe, ils ne s'indignent point; si on les injurie, ils prient pour ceux qui les ont injuriés. Ils n'ont point d'ennemis, ils ne connaissent point le ressentiment, ils ne tiennent point de discours frivoles, ils ne savent ce que c'est que mentir, ils ne se rendent point coupables de parjure, ils ne (36)  consentent pas même à jurer, et on leur arracherait plutôt la langue que de les contraindre à proférer un serment. » Donnons-leur sujet de faire ainsi notre éloge. Oui, chassons loin de nous cette funeste habitude de jurer. Ne voulons-nous pas au moins rendre à Dieu l'honneur que nous rendons à des vêtements de prix? Quand nous avons quelque habit plus riche que les autres, nous nous gardons bien d'en faire abus, et le nom du Seigneur nous l'employons partout, à tout propos et au hasard. Je vous en prie donc, je vous en conjure, ne méprisons pas ainsi notre salut, mais après avoir montré dès le principe tant d'empressement à observer ce précepte, persévérons jusqu'à la fin. Si je vous exhorte sans cesse à ne pas jurer, ce n'est point pour vous reprocher quelque négligence. Je vous vois déjà presque tous corrigés, et je soupire après le moment où vous serez tous parvenus au terme de vos efforts. Les spectateurs n'aiment-ils pas à exciter ceux des combattants qu'ils voient sur le point de triompher. Ne nous lassons donc point non plus: nous voici presque au terme, et le difficile était de commencer.

L'habitude est à peu près vaincue, il reste peu de chose à faire; il n'est plus besoin de beaucoup de travail, il suffit de nous observer un peu, de montrer quelque diligence, pour achever de nous corriger et pour être à notre tour capables d'exhorter les autres. Avec quelle confiance ensuite nous verrons arriver la fête de Pâques ! Quel bonheur pour nous d'être alors deux ou trois fois plus joyeux que nous ne sommes d'ordinaire ce jour-là ! Nous nous réjouirons moins d'être sortis des fatigues d'un jeûne pénible que de participer à cette sainte solennité, pleins de mérite et le front ceint d'une couronne brillante et qui ne doit jamais se flétrir. Mais, pour arriver plus vite à cet heureux résultat, faites ce que je dis. Ecrivez sur les murs de votre maison, gravez dans votre coeur cette faux volante dont parle Zacharie (Zach. V, 1-3), et imaginez-vous la voir apporter la malédiction. Ne la perdez jamais de vue; et quiconque jurera en votre présence, arrêtez-le ; reprenez-le, et surveillez de près vos serviteurs. Si nous prenons à tâche non-seulement de bien nous conduire nous-mêmes, mais encore d'amener les autres à s'amender sur ce point, nous ne tarderons pas à atteindre le but. Une fois que nous aurons entrepris de corriger les autres, nous rougirons, nous serons honteux, de ne pas faire nous-mêmes ce que nous recommandons. C'est assez revenir sur ce sujet. Nous vous avons suffisamment exhortés les jours précédents, et j'ai voulu seulement vous remettre mes conseils en mémoire. Daigne le Seigneur qui, plus que nous-mêmes, veut notre bonheur, nous accorder de nous conformer sur ce point comme sur tous les autres à la règle de la perfection chrétienne, afin qu'ayant cueilli tous les fruits de la justice, nous soyons trouvés dignes du royaume des cieux par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus- Ch rist, par qui et avec qui gloire soit au Père et au Saint-Esprit dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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