La religion de combat par l’abbé Joseph Lémann

Livre premier

Le rassemblement des enfants de lumière

Chapitre deuxième

Appel à un rassemblement général des enfants de lumière

– I. La fameuse allégorie de Platon: les prisonniers de la caverne; elle servira à faire comprendre le bonheur des enfants de lumière, l’horreur des sociétés secrètes, et la captivité auprès des fausses religions.
– II. Comme quoi les catholiques sont vraiment les enfants du jour, en dehors de la caverne: splendeurs délicieuses dont ils sont environnés. Mais il y a des non-catholiques qui sont destinés à devenir aussi enfants du jour: quels sont ceux-là.
– III. Adeptes des sociétés secrètes, leurs chaînes; l’état de ces malheureux est le même que celui des prisonniers de la caverne, avec aggravation. Peinture de Dante jointe à celle de Platon, pour exprimer leur affreux sort.
– IV. Troisième catégorie d’hommes: les captifs des ombres dans la caverne, mais sans qu’ils soient enchaînés; ils sont libres de sortir. Qui sont-ils? Pauvres idolâtres; pauvres israélites; pauvres musulmans. Explication sur Abraham: il n’a été que l’ombre projetée en avant de Celui qui devait venir.
– V. L’humanité tendant à se diviser en deux camps immenses: pour le Christ, contre le Christ, que les fils de lumière se rassemblent, et que les captifs des ombres se joignent à eux!

I

L’Évangile de saint Jean contient cette déclaration: Jésus devait mourir pour la nation juive, et non seulement pour cette nation, mais aussi pour rassembler en un les enfants de Dieu qui étaient dispersés. Les enfants de Dieu ont été rassemblés en un dans l’Église catholique. Le rassemblement est donc aussi ancien que la mort de Jésus et que l’établissement de l’Église. Cependant, après tant d’attaques furieuses qui ont eu pour objet de chercher à les disperser comme des troupeaux de brebis effrayées, et en face de la plus formidable de toutes les attaques, n’est-il pas utile, nécessaire, sinon de provoquer, du moins de rappeler ce rassemblement, et de le rendre plus complet, partant plus délicieux;

Et je rends grâce au ciel qui nous a rassemblés!

De quelle manière ce complément s’obtiendra-t-il? Les événements, dont nous avons dit au chapitre précédent «qu’ils étaient les anges de Dieu», en détermineront, sans doute, le mode et la célérité. Le saluant de nos désirs, nous voudrions aider, de notre humble place, à sa consolante réalisation. Une célèbre allégorie de Platon nous servira: l’allégorie des prisonniers de la caverne. Le grand philosophe expose l’obscurcissement et l’aveuglement où les hommes sont plongés ici-bas, sous l’image de malheureux relégués dans les profondeurs d’une caverne, et dans les conditions suivantes; l’exposé a la forme piquante du dialogue.

I. – Description de la caverne. Illusions des prisonniers qui prennent des ombres pour la réalité.

Socrate. – Figure-toi que, relativement à la science et à l’ignorance, la nature humaine soit dans une situation pareille à celle que je vais te représenter. Imagine des hommes dans une caverne souterraine dont l’ouverture, tournée vers la lumière, est aussi large que la caverne tout entière est profonde. Depuis leur enfance, ces hommes ont les jambes et le cou attachés par des chaînes qui les empêchent de bouger et de regarder autre chose que ce qu’ils ont en face; ils ne peuvent tourner la tête; la lumière leur vient d’un feu allumé assez loin, en haut et derrière eux. Entre ce feu et les prisonniers, il y a un chemin dont le niveau est plus élevé, et le long duquel on a construit un petit mur semblable à ces cloisons que les charlatans dressent devant les spectateurs et par-dessus lesquelles ils montrent leurs merveilles.
Glaucon. – Je vois tout cela.
S. – Imagine encore que le long de ce mur passent des hommes portant des objets de toute espèce, qui apparaissent ainsi au-dessus du mur; ces objets sont des statues ou des représentations d’animaux en pierre, en bois, de formes et de fabrication très diverses; et comme il doit arriver parmi ces hommes, les uns parlent, les autres se taisent.
G. – Étrange tableau, étranges prisonniers!
S. – Nous leur ressemblons. Penses-tu d’abord que, dans une telle situation, nos captifs puissent voir autre chose d’eux-me leurs compagnons, que les ombres projetées, grâce à la lueur du feu, sur le côté de la caverne vers lequel sont tournés leurs regards?
G. – Non, puisque pendant toute leur vie ils sont contraints de tenir la tête immobile.
S. - Et quant aux objets que l’on promène, n’est-il pas vrai, de même, qu’ils n’en verront que les ombres?
G. – Assurément.
S. – Et en supposant qu’ils s’entretiennent ensemble, ne penses-tu pas qu’ils désigneront ces ombres qu’ils voient passer, comme s’ils étaient convaincus que ce sont les objets eux-mêmes?
G. - Nécessairement.
S. - Et de plus, si la prison avait un écho, toutes les fois que l’un de ceux qui passent derrière eux viendrait à parler, ne s’imagineraient-ils pas que c’est l’ombre mobile qui parle?
G. – Oui, certes.
S. - Par conséquent, nos prisonniers ne prendraient absolument pour vraies que les ombres de ces objets fabriqués.
G. – Il n’en peut être autrement.

II. – Délivrance d’un des prisonniers. Il est traîné de force au grand jour. Impressions qu’il reçoit de la vue des objets et de la lumière.

Socrate. – Considère maintenant ce que serait pour eux la délivrance, et la guérison de leur erreur, si pareil bonheur pouvait leur arriver; suppose qu’on détache un de ces hommes; qu’on le force de se lever sur-le-champ, de tourner la tête, de marcher, de regarder du côté de la lumière; il ne pourra faire tout cela sans souffrances; l’éblouissement l’empêchera de voir les objets dont il ne contemplait que les ombres. Que penses-tu qu’il répondrait, si quelqu’un venait lui dire qu’auparavant il ne voyait que des fantômes trompeurs; que maintenant placé dans la réalité, il voit plus juste? Ne crois-tu pas que notre homme ne saurait que répondre, et qu’il jugerait que ce qu’il voyait auparavant était plus vrai que ce qu’on lui montre.
Glaucon. – Certainement.
S. – Et si on le forçait à regarder le feu, ses yeux n’en seraient-ils pas douloureusement affectés? ne les détournerait-il pas pour les reporter sur ces ombres qu’il peut contempler sans souffrance? ne jugerait-il pas qu’elles sont réellement plus visibles que les objets qu’on lui montre?
G. – Oui.
S. – Et si maintenant on le traîne malgré lui par ce chemin rude et escarpé qui monte vers la lumière du soleil, sans le lâcher avant qu’il ne soit arrivé au grand jour, cette violence ne provoquera-t-elle pas ses plaintes et son indignation? Et l’éclat du soleil éblouissant ses yeux, ne sera-t-il pas incapable de rien distinguer dans cette immense clarté nouvelle pour lui?
G. – Il ne pourra rien voir, du moins à ce premier moment.
S. – Il faudra, n’est-ce pas, que ses yeux s’habituent lentement et graduellement à contempler les objets. Ce qu’il verra d’abord plus facilement, ce sont les ombres, ensuite les images adoucies des objets qui se reflètent dans le miroir des eaux, plus tard ces objets eux-mêmes. Ensuite il pourra tourner ses regards vers les corps célestes, contempler les cieux voilés par la nuit, les constellations et la lune dont la lumière tempérée l’éblouira moins que le soleil et les feux du jour.
G. – Sans aucun doute.
S. – À la fin, je pense, il sera capable non seulement de voir le soleil dans les eaux et partout où son image radieuse se réfléchit, mais de le regarder où il est, de le contempler en lui-même, et de l’admirer sur son trône des airs.
G. - Il en doit être ainsi.

III. – La pitié du prisonnier délivré pour ses compagnons restés dans la caverne.

Socrate. – Eh quoi! se rappelant alors sa première demeure, la science qu’on y pouvait avoir, ses compagnons de chaînes, ne s’estimera-t-il pas heureux de son changement? ne prendra-t-il pas en pitié les autres? Que t’en semble?
Glaucon. – Cela est certain.
S. – Et s’il y avait dans la caverne des honneurs, des louanges, des récompenses établies entre les captifs pour celui qui observe avec le plus de pénétration les ombres à leur passage, qui se rappelle le mieux celles qui d’habitude précèdent, celles qui suivent, celles qui vont ensemble, et qui, par cette connaissance, est le plus capable de prévoir l’avenir, crois-tu que notre homme pût désirer encore pareils honneurs et pareille autorité, et porter envie à ceux des prisonniers qui les obtiennent? Ne préférera-t-il pas cent fois, comme l’Achille d’Homère, être un garçon de charrue au service d’un homme pauvre, et souffrir tout au monde plutôt que de reprendre ses opinions et son existence d’autrefois?
G. – Je crois qu’il préférera tout souffrir, plutôt que de retourner vivre dans la caverne.

Telle est, en majeure partie, cette fameuse allégorie des prisonniers de la caverne. Elle suffirait, à elle seule, pour mériter à son auteur cet éloge qu’on a prononcé de lui: que les écrits de Platon ont formé la préface humaine de l’Évangile.

II

Cette merveilleuse allégorie nous servira pour reconnaître tout d’abord les enfants de lumière, les féliciter, et appeler dans leurs rangs ceux qui gémissent ailleurs.
Y a-t-il ici-bas, par opposition à la caverne des ombres, un royaume de lumière et de clartés incontestables?
Oui, et c’est l’Église catholique.
L’Église catholique, en effet, n’est-elle pas l’opposé de la caverne, c’est-à-dire la région de la vérité, la patrie de la certitude et de l’air libre, la réalisation brillante du beau et du bien? Ce n’est plus la caverne sombre et étouffée, comme au temps du paganisme: c’est la cité tout au haut de la montagne, aperçue de l’univers entier, et dont les avenues sont ouvertes à tous les peuples. N’a-t-elle pas justifié sous nos yeux, dans les événements que nous avons rappelés au chapitre précédent, les annonces réjouissantes des prophètes:
Dans les derniers temps, la montagne sur laquelle sera bâtie la maison du Seigneur, dépassera le haut des monts; elle s’élèvera au-dessus de toutes les collines, et toutes les nations y accourront en foule. Lève-toi et sois illuminée, Jérusalem, parce que la lumière est venue et que la gloire du Seigneur s’est avancée sur toi. Les nations marcheront à la lueur de ta lumière, et les rois, à la splendeur de ton lever.
L’Église, la véritable Église, est donc bien l’opposé de la caverne: qui ne voit l’Église? Mais à cette justification du dehors vient s’adjoindre la justification encore plus saisissante du dedans:

Jésus-Christ qui, dans cette Église, dans cette immense cité, est adoré du levant au couchant, n’est-il pas le soleil de justice, le roi du jour? Il s’était présenté ainsi en Judée: Je suis la lumière du monde; or, quel autre que Jésus-Christ occupe l’horizon depuis dix-neuf siècles, comme roi du jour? Les âmes le savent bien. C’est vers lui qu’elles s’inclinent. C’est lui qui les fait tressaillir, lui qu’elles adorent; elles sont heureuses sous ses bénis rayons. Une des plus magnifiques expressions de Platon s’est réalisée à la lettre; il disait du prisonnier délivré: il ose enfin admirer le soleil sur son trône des airs. Trône des airs: ah! lorsque Jésus-Christ sort de son tabernacle, comme le soleil, de son crépuscule du matin, et lorsque, par l’exposition du Très Saint Sacrement, il monte glorieusement dans l’espace, n’est-ce pas alors ce trône des airs que Platon a salué sans le savoir, trône des airs, vers lequel notre amour envoie le double hommage de l’encens et de l’adoration?

La très sainte Vierge Marie, à son tour, n’est-elle pas l’étoile du matin, la douce aurore qui adoucit et tempère l’éclat de la Divinité: éclat souvent trop vif pour des yeux malades, pour des yeux pécheurs! On n’osait pas regarder le Souverain Maître, on ose regarder sa mère! Platon avait dit encore du prisonnier délivré: il contemplera d’abord plus volontiers les cieux voilés par la nuit, les constellations, dont la lumière tempérée l’éblouira moins que le soleil et les feux du jour. Oh! comme Platon eût tressailli de bonheur en voyant, dans la très sainte Vierge Marie, son noble espoir réalisé! Comme il aurait, le premier, béni et accepté ce miséricordieux secours de Marie, dont il avait, peut-être, rêvé la douce médiation! Comme il aurait répété avec nous les paroles de la belle prière que l’Église semble avoir empruntée à son allégorie:

Solve vincla reis;
Profer lumen cœcis
Iter para tutum,
Ut videntes Jesum,
Semper collætemur!
«Brise les fers aux condamnés; fais arriver la lumière aux aveugles; fraye-nous une route assurée, pour que voyant Jésus, éternellement nous nous réjouissions!»

Oui, Marie la douce Vierge est bien la lumière tempérée qui conduit à l’éclat du jour. Elle est l’astre bénin et souriant qui attire les yeux encore tremblants: en se levant vers elle, nos paupières ne sont pas obligées de se refermer!
Les sacrements dans l’Église, ne sont-ils pas des fontaines limpides, où le chrétien trouve un rafraîchissement et une force en rapport avec les besoins de son être? «Les regards du prisonnier de la caverne en montant à la lumière du jour, avait dit également Platon, s’arrêteront plus volontiers sur le miroir des eaux qui représente l’image des objets…» N’est-ce pas le rôle des sacrements? Fontaines où se reflète le ciel, ils nous apportent la paix de l’Infini accommodée aux battements de notre cœur, à la faiblesse de notre amour.

Enfin, tout ce qui se fait dans l’Église catholique ne s’accomplit-il pas au grand jour, dans la plus large publicité, sans craindre ni éviter les regards? Tout est public dans l’Église: tout, excepté l’aveu des fautes dans le sein de la miséricorde!
Quoique très rapide, cette esquisse du royaume de la lumière est bien suffisante pour nous permettre de répondre maintenant, sans difficulté, à cette question: qui sont ici-bas les enfants de lumière?
Ce sont ceux qui font partie de la visible Église catholique.
Ils lui sont nés par le baptême.
Un baptême est une sortie de la caverne. On entre, par la porte du baptême, dans le royaume de la lumière.
Quand nous venons au monde, nous sommes fils de la nuit. Notre première naissance est ténébreuse. Job n’a-t-il pas pleuré de la sorte: Périsse le jour auquel je suis né, et la nuit en laquelle il a été dit: Un homme est conçu. Plainte lugubre, confirmée par ce mot du Nouveau Testament: Nous naissons fils de colère. Mais pour la renaissance par le baptême, l’Église chante: Chaste génération accompagnée de clarté! Sa mémoire est immortelle, elle est en honneur auprès de Dieu et auprès des hommes! Aussi toutes les fois que doit se faire un baptême, l’Église met-elle en branle les joyeuses sonneries de ses cloches. Elle fait du bruit pour appeler auprès de l’enfant qui va renaître, tous les regards. Le ciel et la terre sont, en quelque sorte, invités. L’eau coule sur le front du petit enfant, l’eau la plus pure, vraies gouttes de lumière, puisque la grâce sanctifiante y est unie. La joie est peinte sur tous les visages, et l’heureuse mère à qui on rapporte son enfant régénéré, presse contre son cœur un ange, un enfant beau comme le jour. Ce n’est pas une exagération, ni une hyperbole. Car saint Paul, l’austère saint Paul, ravi de cette renaissance de l’homme au grand jour, adressait aux premiers chrétiens, et, en eux, à tous les baptisés, cette parole de félicitation: «Vous êtes tous les fils de la lumière et les fils du jour.» C’est la noblesse des chrétiens, ils sont les fils du jour!
Dans les temps incertains et ténébreux qui sont les nôtres, j’aime à me représenter l’Église sous les traits d’une de ces mères chrétiennes des premiers siècles, réfugiées dans les catacombes. Elle est entourée d’une blanche troupe d’enfants, et, tout à la fois pensive et souriante au sein de ces sombres corridors, elle échange avec sa jeune troupe, à la pâle lueur des flambeaux, le colloque suivant, composé des pensées de saint Paul.
L’Église leur dit avec une certaine anxiété grave et solennelle: «Écoutez-moi, mes enfants. Bien que vous soyez nés dans ces catacombes, vous êtes des enfants de lumière. Dieu vous a donnés à moi, non dans les ténèbres, mais dans la belle clarté. Accomplissez donc des œuvres de lumière.»
Et ses enfants l’interrogent: «Mère, qu’est-ce qu’une oeuvre de lumière?»
«– Une œuvre de lumière, mes enfants, c’est n’importe quelle action de la vie accomplie dans l’esprit de Jésus-Christ votre Dieu et votre père.
«Voilà pourquoi, mes enfants, il y a, ici-bas, pour l’homme une marche dans la lumière à travers tous les sentiers où il passe; des fruits de lumière, pour la nourriture de de son âme; et des armes de lumière pour les combats qu’il doit livrer.
«Sa marche est lumineuse, quand il suit Jésus-Christ, mettant ses pas dans la trace de ses pas divins, imitant son humilité et sa patience: marchez comme des enfants de lumière.
«Les fruits de lumière, nourriture pour son âme, sont la bonté, la justice et la vérité; c’est aussi l’accomplissement de la volonté du Père céleste qui est dans les cieux: fruits de lumière qui ont été la nourriture de Jésus-Christ, qu’ils forment la vôtre, ô mes enfants!
«Et les armes de lumière, ce sont les armures inaltérables que Jésus-Christ a prescrites comme absolument nécessaires contre les attaques des esprits de ténèbres: la vigilance et la prière; revêtez-vous-en.
«Et puis, ô mes enfants, pour ce qui regarde cette foule d’actions journalières qui composent la trame de la vie, n’importe quelle action deviendra pour vous une œuvre de lumière si vous l’accomplissez au grand jour de la vérité, car voici la règle de conduite laissée par Jésus-Christ, votre père: Quiconque fait le mal hait la lumière; mais celui qui fait la vérité s’approche de la lumière.
«De la sorte, ô mes enfants, objet de mes tendresses et de mes alarmes, vous resterez fidèles à votre noble origine.» Voilà donc les incontestables enfants de lumière: 1es catholiques. Mais sont-ils les seuls, et n’y en a-t-il pas d’autres dans ce vaste univers?
Miséricorde divine, que tu es délicate! Ceux-là le sont aussi qui, n’ayant pas eu le bonheur d’être nés catholiques, appartiennent cependant, par la bonne foi et une vie pure, à l’âme de l’Église. L’âme de l’Église, admirable expression de la doctrine catholique, selon laquelle des enfants demeurent inconnus de leur mère, quoique portés dans ses entrailles! La surprise de leur révélation et de leur nombre est réservée au ciel.
Le Père Lacordaire a écrit ces lignes aussi vraies que consolantes: «Il est des âmes qui ne peuvent pas nommer Jésus-Christ parce que Jésus-Christ ne leur fut jamais nommé. Mais une goutte de son sang les a cherchées à travers d’invisibles sillons, et mêlée au leur comme un arôme de l’éternelle vie, elles ont répondu par un gémissement tacite au sourd appel de sa charité.» Victimes de leur naissance, ces âmes se trouvent présentement dans une obscurité native, et leurs ailes sont, pour ainsi dire, liées par le respect que la grâce témoigne à leur naissance; mais leurs ailes sont réservées pour la lumière, et elles se déploieront! Elles sont de l’Église, elles appartiennent à l’Église;
Elles lui ressemblent même:
Chose admirable en effet, l’Église, toutes les fois qu’elle est persécutée et méprisée, qu’elle est obscurcie et comme morte sous le linceul qu’étend sur elle la haine, prie ainsi: Peut-être que les ténèbres m’opprimeront, ô mon Dieu! Mais les ténèbres n’ont point d’obscurité pour vous… Voici que la nuit devient toute lumineuse: ma nuit sera illuminée comme le jour! C’est un fait que jamais les oppressions, les prisons, les peines, n’ont obscurifié l’Église; elles n’ont servi qu’à son éclat: pour elle, les ténèbres n’ont plus d’obscurité, sa nuit s’est illuminée comme le jour! Or, il en sera de même de vous, chères âmes qui avez la bonne foi, le cœur pur, mais qui n’êtes pas encore officiellement les enfants de l’Église; victimes de votre naissance, vous vivez dans l’obscurité; prenez courage, les ténèbres ne vous opprimeront pas, votre nuit sera illuminée comme le jour!
Catholiques visibles, catholiques invisibles, c’est donc vous qui formez la magnifique phalange des enfants de lumière.

III

En regard de l’Église royaume de la lumière, y a-t-il des hommes qui soient encore dans les ténèbres.
Hélas! oui, et de deux manières.
Les uns, que l’on doit nommer avec l’évangile les fils de ténèbres; les autres, qui continuant à s’attacher après dix-neuf siècles de christianisme aux ombres, aux figures, aux fantômes, sont en quelque sorte les captifs des ombres.
D’abord les fils de ténèbres:
À cette heure de l’histoire du monde, une partie du genre humain se trouve sous la domination complète d’une institution terrible: les sociétés secrètes, et en particulier la secte maçonnique. Or, ces sociétés et cette secte ont ramené la caverne, et même quelque chose de pire, de plus sombre. La caverne de Platon est aggravée.
En effet, la structure de la société, telle que la veut la Franc-Maçonnerie, a pour point de départ un souterrain, un caveau, un antre ténébreux et ignoré. La caverne de Platon avait une large ouverture; du dehors un feu allumé lui envoyait des lueurs, et les ombres des réalités se dessinaient sur ses parois internes. Rien de semblable dans l’antre de la Franc-Maçonnerie: point d’ouverture, point de lumière venant du dehors; la salle des mystères est complètement fermée; au milieu, des lampes sépulcrales, un squelette et un poignard, comme l’ont révélé quelques-uns de ses adeptes. Jamais Platon, s’il eût vécu à notre époque, ne fût allé chercher ses inspirations dans un semblable souterrain! Les prisonniers de son allégorie avaient le cou et les pieds enchaînés, condamnés à ne pas tourner la tête, immobiles dans leurs entraves. C’est la même captivité dans la Franc-Maçonnerie, mais avec aggravation. D’exécrables serments enchaînent les adeptes, ils ne sont plus libres, véritablement serrés dans leurs entraves. Quand un ordre leur arrive, ils ne peuvent plus tourner la tête, pas même du côté d’une mère, d’une sœur, d’un enfant, qui leur tend ses bras. C’est là l’aggravation! Dans cette affreuse société, on est obligé, lorsqu’elle l’exige, de lui tout sacrifier, on ne doit plus avoir de regards pour rien. Dans la caverne de Platon, il y avait au moins des ombres qui passaient, qui intéressaient: mais ici plus d’ombres, plus de souvenirs, plus de patrie, plus de famille, tout est éteint: il n’y a plus que le prince des ténèbres qui seul domine, imposant autour de lui l’obéissance muette et passive des esclaves. C’est exécrable!
Mais voici le contraste final entre la caverne de Platon et un souterrain maçonnique.
Les prisonniers de Platon, lorsqu’ils étaient délivrés, passaient graduellement des ténèbres à la lumière, d’un demi-jour au plein jour; il y avait transition ménagée. Dans les loges de l’infernale Maçonnerie, il y a aussi transition ménagée, des degrés, mais en sens contraire: pour passer de la lumière aux ténèbres! Un penseur profond a dit de l’erreur: «S’il n’existait aucunes nuances entre l’erreur et la vérité, peu d’hommes seraient assez forts pour tomber dans l’erreur: ils ont besoin d’y descendre lentement et de se familiariser avec les ténèbres.» Se familiariser avec les ténèbres: c’est là précisément l’habileté et la puissance de la terrible société maçonnique, elle a établi dans son sein des degrés, des nuances, des ménagements, afin que ses victimes puissent se familiariser avec les ténèbres. Il y a des échelons où elle consent à voir s’arrêter les âmes et les instruments qui ne pourraient pas aller plus loin… Ce sont en quelque sorte des cercles descendants, exactement comme les cercles de l’Enfer de Dante, – à mesure qu’il descendait d’un cercle dans un autre, Dante trouvait plus d’horreur. – Quand l’enfer maçonnique s’empare d’une ville ou d’un royaume, il met tout d’abord en avant son plus haut cercle, celui qui paraît toucher presque à la justice, à la raison et à la paix. Le lendemain, ce premier cercle est chassé par le second, et les cercles se succèdent vite, et descendent, en roulant, jusqu’à celui où l’on égorge, où l’on poignarde… Voilà comment se sont formés les fils de ténèbres à notre époque. Oh! sans doute, il y a eu des fils de ténèbres à toutes les époques. Il y a eu les débauchés; il y a eu les hérésiarques; il y a eu les révoltés; mais ce qui ne s’était jamais vu, c’étaient les ténèbres montées des souterrains au gouvernement du monde et disposant de la direction de la société;
Ce qui ne s’était jamais vu, c’était Dieu chassé de partout comme étant lui-même les ténèbres;
Ce qui ne s’était jamais vu, c’était toute une race d’hommes façonnés, dans les antres, à la double haine de n’importe quelle idée religieuse et de n’importe quel ordre social; Cela ne s’était jamais vu, et nous le voyons! En vérité, l’auteur de l’allégorie de la caverne n’eût-il pas fui avec épouvante tous rapports avec de pareils hommes?

IV

Loin de la belle lumière de l’Église, il y a une autre catégorie d’hommes que nous avons nommés les captifs des ombres. Il faut bien se garder, toutefois, de les confondre avec les fils de ténèbres.
Mais quoi! après deux mille ans bientôt de christianisme, y a-t-il donc encore des infortunés épris des ombres, fascinés par des fantômes? Hélas, oui.
Et qui donc sont ces infortunés?
Beaucoup de pauvres idolâtres;
Beaucoup de pauvres israélites;
Beaucoup de pauvres musulmans;
Captifs des ombres, disons-nous, et comment cela?
Voici :
Le prisonnier de la caverne de Platon, quand on voulait le traîner à la lumière, frémissait, si l’on s’en souvient, de cette violence et s’écriait, en ramenant vivement ses yeux éblouis et fatigués vers les parois de la caverne où se projetaient les ombres: «Voilà, je vous assure, la réalité!»
Eh bien, ils tiennent exactement le même langage, tant de pauvres idolâtres qui se prosternent encore aujourd’hui, avec frénésie, devant les créatures, ombres du Créateur:. refusant leurs hommages et leurs adorations à Celui qui est la souveraine perfection. Fanatiques de la créature, ils s’y cramponnent comme à la seule réalité. Idolâtres qui sont nombreux, non pas seulement dans les steppes de la Tartarie ou près des grands lacs de l’intérieur de l’Afrique, mais idolâtres en pleine Europe, plus épris et plus fanatiques même de la créature que les ignorants de l’Afrique ou de l’Asie. Cramponnés avec fureur aux biens de la terre, oubliant le souverain Bien, les idolâtres de l’Europe montrent leurs champs, leurs affaires, leur or, leurs coffres, le palais de la Bourse, et ils disent: Ici seulement, est la réalité! … Captifs des ombres, des fantômes!
Captifs des ombres également, beaucoup d’israélites, beaucoup de musulmans. «Mais! pauvres infortunés, disait un jour un voyageur à un groupe d’hébreux qu’il considérait pleurant le vendredi soir sur les ruines du Temple à Jérusalem, retournez la tête. Ce n’est plus ici, sur des ruines, qu’il faut regarder; c’est là-bas…»
Et il leur montrait dans le lointain le lieu de la résurrection de Jésus-Christ inondé de lumière, et la Croix qui étincelait.
Hélas! ils ne détournaient même pas la tête, tout entiers au passé, tout entiers aux ombres!…
Le croirait-on? ce qui les trompe, eux et les populations innombrables de l’Asie détournées par Mahomet, ce qui les trompe et leur est devenu le plus grand obstacle, c’est le nom d’Abraham: figure qu’on a exagérée, ombre qui les fascine et les empêche de se retourner vers Jésus-Christ. Il y a, en physique, ce phénomène: les ombres, dans leur projection et leurs dessins, sont toujours exagérées. Une ombre qui se projette a une proportion démesurée. Pareil phénomène est arrivé au rôle d’Abraham auprès des israélites et des musulmans: l’Esprit de mensonge a exagéré cette figure. Incontestablement, Abraham est une bien grande figure. Que n’a-t-on pas dit à sa louange, l’Église, la première? «Il est le père de tous les croyants.» – «Le nom d’Abraham est la race sémitique ce que les obélisques sont à l’Égypte.» Et bien d’autres louanges auxquelles les chrétiens applaudissent comme les israélites. Néanmoins, en regard de Jésus-Christ, Abraham n’est que l’ombre projetée en avant: silhouette majestueuse de Celui qui devait venir; patriarche avant-coureur d’Un plus grand que lui! Il est l’ombre: Jésus-Christ, lui, est la lumière, la réalité éblouissante. «Avant qu’Abraham fût, j’étais,» a dit le Christ. Il était, et Abraham, en sortant de Chaldée, a été son ombre projetée !
Or, fascinés par l’ombre, par le grand nom d’Abraham, les israélites, et avec eux les musulmans, ne se retournent pas vers la lumière, vers la réalité. Mon Dieu! qu’y a-t-il donc à faire pour les désabuser? Écoutez, pauvres captifs:
Le prophète Isaïe a comparé les flancs d’Abraham à une carrière d’où le peuple d’Israël a été extrait; il disait: «Vous qui suivez la justice et qui cherchez le Seigneur, jetez les yeux sur cette roche dont vous avez été taillés et cette carrière profonde dont vous vez été tirés: jetez les yeux sur Abraham votre père!» Oh! comprenez, restes d’Israël, ces admirables paroles du prophète, si bien en harmonie avec l’allégorie de Platon. Abraham a été, dit le prophète,- la carrière, la roche d’où vous avez été tirés. Par conséquent, remarquez donc! Abraham n’est que la roche, que la carrière profonde; Jésus-Christ, lui, est l’horizon au dehors de la carrière. Si vénérable et si vénéré que soit Abraham, il n’est que la caverne dans les flancs de laquelle vous avez tous dormi; il est également, si vous le voulez, l’ombre projetée du Christ qui s’y dessinait; mais Jésus-Christ, lui, est la lumière au dehors, il est le plein jour. Comprenez-vous, restes d’Israël. Sortez donc, oh! sortez de la caverne; passez d’Abraham à Jésus-Christ!
Mais nos entraves? objecterez-vous.
Vos entraves: elles sont tombées! La Vérité éternelle s’est montrée, qui a annoncé à tous les captifs, dans la synagogue même de Nazareth:
«Vous, êtes libres, la Vérité vient vous délivrer. L’Esprit du Seigneur m’a envoyé pour annoncer aux captifs leur délivrance.»
Examinez vos mains, palpez vos pieds, chers captifs des ombres, Israélites sincères qui attendez le Messie; à vos mains, à vos pieds, il n’y a plus ni entraves du respectable, mais suranné Rituel hébraïque, ni entraves du stupide et tyrannique Talmud; rien ne vous enchaîne plus, vous pouvez vous retourner et sortir. Sortez donc! Osez, osez ce magnifique mouvement qui s’appelle une conversion. Se convertir, c’est, puisqu’on est libre, se détourner des ombres, si grandioses, si vénérées soient-elles;
S’en détourner, pour se retourner vers Celui qui est la pleine clarté;
C’est s’élancer hors de la caverne, pour entrer dans le royaume de la lumière, et dire avec reconnaissance, en tombant aux pieds de Jésus-Christ: Vous êtes mon Seigneur et mon Dieu!

Oh! que la réflexion, par laquelle Platon termine sa magnifique allégorie à propos du prisonnier délivré et venu à la lumière, trouve bien sa place ici:
«Socrate. - S’il y avait dns la caverne des honneurs, des louanges, des récompenses établies entre les captifs pour celui qui observe avec le plus de pénétration les ombres à leur passage, crois-tu que notre homme pût désirer encore pareils honneurs et porter envie à ceux des prisonniers qui les obtiennent? Ne préférera-t-il pas cent fois, comme l’Achille d’Homère, être un garçon de charrue au service d’un homme pauvre, et souffrir tout au monde plutôt que de reprendre ses opinions et son existence d’autrefois?
«Glaucon. - Je crois qu’il préférera tout souffrir plutôt que de retourner vivre dans la caverne.»

V

Le rassemblement des enfants de lumière, tel est le but à atteindre.
L’allégorie de Platon nous a servi à discerner trois catégories d’hommes parfaitement distinctes: les fils de lumière, les fils de ténèbres, les captifs des ombres.
Indiquons le rassemblement, en suppliant les anges de Dieu et les événements qu’ils dirigent, de le presser, de le hâter:
Le monde est arrivé à une heure de son histoire où deux termes qui ne supporteront plus d’intermédiaire, commencent à se poser, ces deux termes: pour le Christ, contre le Christ. Un des plus savants évêques de l’Allemagne, Mgr Emmanuel de Ketteler, donnait, il y a vingt ans, à un ouvrage politique qui fit grand bruit, cette conclusion: Christ ou Antechrist, celle antithèse renferme tout le mystère de l’avenir. Et il ajoutait: Toutes les directions de temps, bonnes et mauvaises, nous poussent vers un point unique, Jésus-Christ, vers une solution unique: serons-nous avec ou contre Jésus-Christ?
Il disait vrai, les idées, les passions, les progrès, les événements, la haine, l’amour, nous poussent vers ces deux termes catégoriques qui diviseront désormais toute l’humanité en deux camps: Christ ou Antechrist, ceux qui seront avec le Fils de Dieu, et ceux qui seront contre lui. Plus de neutralité possible, plus d’abstention, chaque homme sera contraint de se définir: Je suis à Jésus-Christ, ou bien je suis contre lui.
Cela étant, qu’y a-t-il à faire?
Groupez vos personnes, et après vos personnes, groupez vos phalanges, vous d’abord, fils de lumière, enfants de l’Église catholique royaume de la lumière: groupez vos phalanges, rassemblez-vous! Autrefois, lorsque chez l’ancien peuple de Dieu, il y avait danger, la trompette sonnait, et ce cri traditionnel se faisait entendre à travers les montagnes de Palestine: Que tout Israël se lève depuis Dan jusqu’à Bersabée. Dan était l’extrémité dé la Palestine vers le nord, Bersabée était l’autre extrémité vers le sud, et tout Israël, c’est-à-dire tous les hommes valides, se dressaient avec un mâle courage depuis Dan jusqu’à Bersabée.
À son tour, le peuple catholique est devenu le peuple de Dieu; à son tour il est en danger: que tous les fils de lumière se lèvent donc, depuis l’extrémité où le soleil se lève jusqu’à l’autre extrémité où il se couche; car c’est la gloire du royaume catholique de n’avoir pas d’autres limites que celles du soleil lui-même! Mais pour l’honneur de votre race ô fils de ce royaume, que le soleil ne se lève et ne se couche pas sur votre torpeur et votre inactivité! Tous debout! Tous en rangs!
Voilà pour les fils de lumière.
Quant aux captifs des ombres, nous leur tiendrons ce langage:
Sortez du lieu des ombres et venez vous joindre à nous, chers israélites, chers protestants, chers déistes, trop épris de la figure de ce monde qui passe! Détournez-vous des ombres; prenez nos mains, les voici; donnez les vôtres, et montez dans nos rangs. Venez vous joindre à nous pour lutter, tous ensemble, contre les fils de ténèbres. Frères séparés, nous avons besoin de vous dans le triomphe définitif de l’Église et de la Société! L’Évangile ne contient-il pas cette si consolante déclaration, début de ce chapitre: Jésus devait mourir pour la nation juive, et non seulement pour cette nation, mais pour rassembler en un les enfants de Dieu qui étaient dispersés. Ô Israël, laisse rassembler enfin tes pauvres dispersés dans le sein de la très douce Église! Et ainsi, plus d’intermédiaire possible: Christ ou Antechrist. N’ayons pas peur! C’est une formidable, mais magnifique démonstration du catholicisme qui est en train de se tracer. Car les fils de ténèbres ayant dessein, cette fois, de ne rien épargner de ce qui rappelle Dieu, tous les honnêtes gens comprendront que le catholicisme seul est la cité forte, civitas firma; qu’il est le mur et l’avant-mur, murus et antemurale; qu’il est la Défense! «Défends-nous et défends tout», lui crie-t-on déjà de toutes parts. Aussi, comme ces soldats qui se sont avancés trop en avant, ou qui sont demeurés trop en arrière, les uns téméraires, les autres retardataires, beaucoup de protestants honnêtes, de rationalistes honnêtes, d’israélites honnêtes, commencent à se replier, en pressant le pas, vers la cité forte; ils se hâtent d’accourir à l’ombre de la grande muraille. L’intérêt de la conservation ramène les chers égarés; la reconnaissance achèvera de les établir parmi nous. Tout se réfère au catholicisme, et il sera le salut de tous les rassemblés.

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