|
|
AVERTISSEMENT SUR LE DIXIÈME OPUSCULE DE SAINT BERNARD.
SUR LE DIXIÈME TRAITÉ DU BAPTÊME, A HUGUES DE SAINT-VICTOR.
AVERTISSEMENT SUR LE DIXIÈME OPUSCULE DE SAINT BERNARD.
I. Le traité du baptême était, dans les anciennes éditions, la soixante-dix-septième lettre de saint Bernard; Horstius l'a mise au nombre des opuscules. Il est adressé, dans les plus anciennes éditions : « A maître Hugues de Saint-Victor. » Or il exista, à peu près à la même époque, deux Hugues qui furent abbés de Saint-Victor de Paris; l'un est connu par ces ouvrages et appelé de Saint-Victor, c'est celui à qui ce traité est adressé: il est surnommé le Lorrain ou l'Hyprois, non pas le Saxon dans le fragment que j'ai rapporté au tome I des Analectes; il mourut en 1152 et par conséquent avant le pontificat d'Eugène III. L'autre est cité par ce dernier pape dans une lettre à l'abbé Suger; voici en quels termes il en parle dans cette lettre qui se trouve la soixante-huitième de la collection des lettres de Suger, « Comme notre très-cher fils Hugues, chanoine de Saint-Victor, se propose de revenir auprès de Nous; nous prions Votre Bienveillance de lui donner une monture et les ressources nécessaires pour lui et pour sa bête pendant le voyage.» Mais revenons au premier dont la lettre qui a donné lieu à la réponse de saint Bernard, manque dans ses oeuvres. II. Ce qui a donné lieu à ce traité est l'opinion d'un Anonyme qui soutenait: 1 ° que le baptême avait commencé à être nécessaire, à partir du moment où Notre-Seigneur Jésus-Christ dit à Nicodème : « Si on ne renaît de l'esprit et de l'eau; etc. » 2° Que personne ne pouvait être sauvé sans le baptême ou du moins, à défaut du baptême, sans le martyre; 3° que les Pères de l'Ancien Testament avaient eu une connaissance de l'Incarnation, aussi distincte que les chrétiens; 4° qu'il n'y a point de péché d'ignorance; 5° que saint Bernard s'était trompé en disant dans son Homélie sur ces paroles: Missus est, que les anges ignoraient les desseins de Dieu touchant l'Incarnation. III. Il n'est pas facile de dire quel était cet Anonyme. Il y en a qui pensent que c'est Jean, évêque de Séville à qui Hugues de Saint-Victor a écrit une lettre sur la nécessité de confesser la foi non-seulement de coeur mais encore de bouche; or, Jean avait soutenu qu'il n'était pas nécessaire de la confesser de bouche. Mais, on ne trouve rien dans cette lettre qui puisse faire supposer qu'il soit l'Anonyme de Hugues de Saint-Victor. Elle se trouve dans les oeuvres de cet abbé, au tome III, livre I des Mélanges, chapitre VIII. Il serait plus vraisemblable de dire que cet Anonyme n'est autre que Hugues Farsit, qui était tombé dans plusieurs erreurs touchant les sacrements, comme on le voit par la lettre trente-cinquième de saint Bernard qui lui est adressée et dans laquelle on lit ces paroles: « Je dois pourtant excepter un endroit de vos ouvrages des ouvrages de Farsit, car, entre amis, c'est se trahir que de trahir la vérité par une pusillanime et dangereuse flatterie; j'excepte, dis-je, cet endroit où vous essayez de soutenir et de défendre, en commençant votre ouvrage , une opinion que vous aviez émise, dans l'entretien que nous avons eu ensemble sur les sacrements; j'avoue que je m'en suis senti et que je m'en sens encore ému. Réfléchissez, je vous prie, à la doctrine que vous avez soutenue dans cet entretien, et jugez si elle est ou non contraire à l'enseignement de l'Eglise. Vous avez trop de science et d'humilité pour avoir honte de rétracter une opinion qui ne serait pas conforme à la saine doctrine. » Toutefois comme saint Bernard, à la prière de Hugues de Saint-Victor, répond aux assertions d'un adversaire dont Hugues avait tu le nom et qu'il ne connaissait point lui-même, peut-être semblera-t-il à bien des gens que la lettre suivante s'adressait à un autre que Hugues Farsit, dont notre Saint n'ignorait ni le nom ni la doctrine. Il est vrai qu'on pourrait dire que le recueil, dont Bernard fait mention dans la lettre trente-cinquième, peut être postérieur à la lettre soixante-dix-septième, en sorte qu'en l'écrivant, notre saint Docteur aurait bien pu ignorer quel était l'auteur de l'opinion qu'il y combat. Quoiqu'il en soit, cette lettre-ci n'est point dirigée contre Abélard dont Hugues n'aurait fait aucune difficulté de citer le nom, quoique Abélard ait émis plusieurs pensées qui ont de l'affinité avec celles que saint Bernard combat dans ce traité. Quant à l'époque où parut cette lettre, tout ce que nous pouvons dire de certain, c'est qu'elle est antérieure à l'année 1152, qui est celle de la mort de Hugues de Saint Victor.
LETTRE OU TRAITÉ DE SAINT BERNARD, A HUGUES DE SAINT VICTOR, SUR LE BAPTÊME ET SUR D'AUTRES QUESTIONS QU'IL LUI AVAIT PROPOSÉES.
PRÉFACE.
S'il vous semble que j'ai un peu trop tardé à vous répondre, c'est que votre lettre ne m'a pas été remise aussitôt que vous le penser; par, au lieu de me la faire parvenir sans retard, on l'a retenue assez longtemps à Pontigny. Mais dès que je lai eue reçue, je me suis hâté d'y répondre. Peut-être avez-vous espéré que je le ferais plus longuement; soyez sûr que je l'ai fait encore avec plus d'étendue que mes occupations ne me le permettaient. J'ai tâché cependant de vous exposer mon sentiment sur toutes les questions que vous me proposez, laissant à votre intelligence le soin de les fortifier davantage, s'il est nécessaire, puisque vous en avez le loisir; vous ne manquez pour cela ni de raisons excellentes, ni d'autorités qui vous rendront la chose facile, Au reste, si je pense autrement que l'auteur des propositions auxquelles vous me priez de répondre, sans me le nommer, qu'il soit bien persuadé qu'en vous exposant ma pensée, je ne me propose point de combattre la sienne, quand même je serais d'un autre avis que lui; car si la vérité se trouve de mon côté, ce n'est pas moi, mais c'est elle qui le contredit, et s'il est assez docile pour se rendre à la vérité, elle sera aussi bien pour lui que pour moi; s'il ne s'y rend pas, je lui rappellerai qu'un serviteur de Dieu ne doit point contester, mais supporter tout le monde avec patience (II Tim., II, 24). » Je n'aime point les disputes de mots, et j'évite les nouveautés d'expression; selon le conseil de l'Apôtre ( I Tim., VI, 4). Je n'avance que les pensées des Pères, je n'emploie que les mots dont ils se sont servis, car nous ne sommes pas plus éclairés qu'eux. Je laisse les autres abonder tant qu'il leur plait dans leur propre sens, pourvu qu'on me laisse, moi, abonder dans le sens des Ecritures; car, comme dit l'Apôtre: « Nous ne sommes point capables de former de nous-mêmes comme de nous-mêmes aucune bonne pensée; mais c'est Dieu qui nous en rend capables (II Corinth., III, 5). »
CHAPITRE I. L'obligation du baptême n'a pas commencé au moment où il a été dit à Nicodème: « SI ON NE RENAÎT, etc. »
1. Vous me mandez donc dans votre lettre, que quelqu'un que vous ne me nommez pas, prétend que du moment où le Seigneur a dit: « Si on ne renaît de l'eau et de l'Esprit, on ne peut entrer dans le royaume de Dieu (Joan., III, 5), » nul ne peut être sauvé sans avoir reçu le sacrement d'une manière réelle et sensible, à mains qu'il ne soit suppléé par le martyre, et que dès lors ou était damné lorsqu'on mourait sans ce sacrement, quoiqu'on eût le désir de le recevoir et qu'on fût dans les dispositions d'une foi sincère et d'une vraie pénitence. Et d'abord, pour ce qui est de l'époque qu'il assigne à l'obligation du baptême, il me parait véritablement bien dur et bien rigoureux de dire qu'une parole qui est encore secrète cause déjà un mal public, que le juge frappe avant même de menacer, et que le Sauveur, dans un entretien qui se passait dans les ténèbres de la nuit et dans l'intimité d'un tête-à-tête, a fait une loi qui, étant encore secrète, ne peut sauver personne et ne sert qu'à remplir le monde de réprouvés. Eh quoi! une parole de salut, un précepte de vie ferait mourir l'homme avant de lui donner la vie, et le ferait mourir quand il serait d'autant plus innocent qu'il ignorerait encore quelle est la volonté de son Seigneur? Dieu serait-il assez injuste, comme disait un Païen (Abimélech, Gen. XX, 4), pour punir un peuple innocent et qui ne sait ce qu'il faut faire? Qui oserait le penser? Il ne convient pas à l'Auteur de la vie de porter, dans le monde, la mort qu'il venait exterminer, et de la porter dès le commencement de sa prédication par une ordonnance nouvelle dont le monde ne pouvait être instruit. Ce serait un crime de penser que le dispensateur de tous les biens eût voulu si mal commencer son ministère; non, jamais je ne tomberai d'accord avec qui que ce soit, pour attribuer à Jésus-Christ, le mal que nous ne devons redouter que de l'Antéchrist, dont il est dit qu'il prépare un carquois plein de flèches pour les décocher en secret contre ceux qui ont le cur droit. 2. Mais en attendant, que de gens sont morts dans l'univers sans avoir été baptisés et sans avoir eu connaissance de l'entretien que le Sauveur avait eu pendant la nuit avec Nicodème ! Eh quoi, la loi n'est pas encore publiée et elle ferait déjà des prévaricateurs? Mais, dit l'Apôtre, « comment croiraient-ils en lui, s'ils n'ont point entendu parler de lui? et comment en auraient-ils entendu parler, si personne ne le leur a annoncé; comment enfin le leur aurait-on annoncé, si personne n'a été envoyé pour le faire (Tom., X, 14) ? » Ainsi personne n'est chargé de publier cette loi, et elle n'est, en effet, ni publiée ni connue, et cependant, pourparler comme le mauvais serviteur, le Seigneur est tellement dur qu'il veut récolter là où il n'a point semé, et recueillir là où il n'a rien répandu. Non, non, cela ne saurait être. Voici plutôt la vérité sur ce sujet. Celui qui est le seul véritable maître sur la terre et dans les cieux, instruit dans un entretien secret et familier, un homme qui n'était maître qu'en Israël, de ce qu'il se proposait d'établir; lui apprend ce qu'il avait le dessein d'enseigner un jour, mais, sans vouloir créer une obligation pour les absents, un devoir pour des hommes qui ne pouvaient l'entendre. Quelle injustice n'y aurait-il point à assujettir à une loi, des hommes à qui elle n'a point été promulguée? Il n'en est pas de même des préceptes de la loi naturelle; ils n'ont pas besoin d'être publiés pour être connus; tel est, par exemple, celui-ci: « Ne faites point aux autres ce que vous ne voudriez pas qu'on vous fit à vous-mêmes. » Mais il s'agit ici d'un précepte de droit positif, non pas de droit naturel. La nature, en effet, non plus que la raison, n'enseigne point qu'il faille avoir été extérieurement lavé par les eaux du baptême, pour que lame puisse obtenir le salut éternel. C'est un mystère de Dieu, qu'il faut croire et non discuter, respecter et non juger, que la foi none enseigne et qui ne nous vient pas de la nature, que la tradition enfin nous a conservé et que la raison n'a point découvert. D'ailleurs, la foi ne peut procéder que de Fouie, suivant ces paroles de l'Apôtre: « La foi vient de louïe (Rom., X, 77). » Or, si on ne peut apprendre que ce qu'on entend, comment pourrons-nous être tenus de savoir et d'observer ce dont nous n'avons jamais ouï parler ? Remarquez ici comment l'Apôtre va au devant de l'objection qu'on pourrait lui faire et convainc les incrédules de péché, uniquement parce qu'ils ont entendu parler de la foi. «N'en ont-ils pas entendu parler, dit-il en effet?» Comme s'il disait : ils seraient excusables, s'ils ne l'avaient point entendu annoncer. En effet, là où il n'y a point de loi, il ne saurait y avoir de prévarication. Mais à présent que l'Evangile s'est fait entendre jusqu'au bout du monde et que la parole des apôtres a retenti par tout l'univers (a), on n'a plus à donner pour excuse l'ignorance de la loi, si on ne veut pas en tenir compte. 3. La paresse, la négligence ou la honte de s'instruire font souvent ignorer ce qu'on devrait savoir, et, dans ce cas, l'ignorance est sans excuse. Mais la loi du baptême est-elle de la nature de celles qui peuvent s'apprendre à l'école d'un homme ? L'homme a besoin, pour connaître la pensée de son semblable qu'il la lui manifeste par des signes : à combien plus forte raison ne pourra-t-il pénétrer la pensée de Dieu, si
a Le manuscrit de Compiègne fait suivre ces mots de ceux-ci : « Où ils prêchent l'Evangile aux nations. »
Dieu même ne la lui révèle point? Aussi entendons-le dire lui-même «Si je n'étais point venu et si je ne leur avais point parlé. ils ne seraient point coupables (Joan., XV, 23). » Il ne dit pas simplement: Si je n'avais point parlé; mais, si je ne leur avais point parlé, pour nous faire comprendre sans doute, que leur mépris de sa loi ne devait passer pour inexcusable que depuis qu'il leur avait fait connaître sa volonté. S'il s'était contenté de parler, sans leur parler à eux, ils auraient eu, dans leur ignorance, une excuse à leur mépris; mais, dit le Seigneur, comme j'ai parlé, et leur ai parlé à eux-mêmes, «ils sont tout à fait inexcusables dans leur péché. » Aussi, disait-il encore ailleurs: « J'ai parlé publiquement et devant tout le monde, je n'ai rien dit en secret (Joan., XVIII, 20). » Non pas qu'il n'eut fait plusieurs instructions particulières à ses disciples, mais il ne les comptait pour rien et il n'attachait à la négligence ou à la fidélité à observer (a) ses prédications secrètes, ni peines ni récompenses, jusqu'à ce qu'elles fussent devenues publiques. Enfin il dit encore dans un autre endroit: « Annoncez en plein jour ce que je vous ai enseigné dans les ténèbres de la nuit (Matth. X, 27), » afin que cette publication lui permît de punir le mépris de sa loi ou d'en récompenser l'observation, dans ceux qui en auraient ouï parler. « Celui qui vous écoute m'écoute, dit-il encore, et celui qui vous méprise me méprise (Luc., X, 16). » N'est-ce pas comme s'il leur avait dit : ce n'est point sur ce que je vous aurai révélé en secret, mais sur ce que vous aurez prêché en public, que je jugerai ceux qui auront observé ou violé ma loi ? 4. Peut-être dira-t-on que ceux qui n'en auront point entendu parler, seront punis, non pas à cause du mépris qu'ils en auront fait, mais à cause du péché originel qui ne peut être effacé que par le baptême., Mais qui ne sait que dans les premiers temps il y avait d'autres remèdes au péché originel? Ce fut pour cela que Dieu donna le signe de la circoncision à Abraham et à ses descendants (Genes., XVII, 10). Et je pense que pour les fidèles qui se sont trouvés parmi les idolâtres, les adultes étaient justifiés par la foi et par certains sacrifices, et les enfants par la foi de leurs parents, qui leur était imputée et qui leur suffisait alors. Or, ces lois ont duré jusqu'à celle du baptême, qui les a toutes abrogées. CHAPITRE I, n. 4. 5. Il nous reste donc à déterminer l'époque où celle-ci a commencé. L'auteur en question pense que ce fut au moment où il a été dit à Nicodème : « Si on ne renaît, etc. (Joan., III, 5). » Or, songez que ces mots s'adressaient à Nicodème, ami et disciple de Jésus-Christ, mais disciple caché, parce qu'il craignait les Juifs, et rappelez-vous que c'est
a Telle est la leçon des plus anciens manuscrits et des premières éditions, Les plus récentes en donnent une légèrement différente et font lire comme s'il y avait ; « La fidélité ou à la négligence à augmenter... » augere au lieu de agere. »
pendant la nuit qu'il vint trouver Jésus pour avoir avec lui un entretien secret. Que de milliers de Juifs, sans parler des Gentils, sont à morts depuis ce moment jusqu'à celui où la doctrine du baptême passa des ténèbres à la lumière! Eh quoi! les damnerons-nous pour n'avoir point été baptisés? Mais ce serait faire injure au précepte ancien, que l'anéantir tout d'un coup et lui en substituer un nouveau mais en cachette et à la dérobée, en quelque sorte, qui demeurât sans effet, et qui ne pût suppléer le premier. Que de temps ne s'écoula-t-il point depuis ce moment-là jusqu'au jour où les apôtres prêchèrent à haute voix partout en disant : « Si vous vous faites circoncire, Jésus-Christ ne vous servira de rien (Gal, V, 2) ? » D'ailleurs en quel sens entendrons-nous ces autres paroles : « Depuis le temps de Jean-Baptiste jusqu'à présent, le royaume des Cieux souffre violence (Matth., XI, 12), » s'il est vrai qu'alors même on en était plus cruellement exclu qu'on ne l'était auparavant ou qu'on ne devait l'être plus tard? En effet, quelle voie restait-il pour aller au ciel à l'époque où l'ancienne loi ne subsistait plus parce qu'elle venait d'être abrogée, tandis que celle qu'on lui substituait ne pouvait pas encore être observée, parce qu'elle était encore inconnue? O temps funeste, le seul où il n'y eut plus moyen de faire son salut! La circoncision dont la vertu avait duré jusque-là, n'avait plus d'effet au moment où le baptême parut, et le baptême, dont on, ignorait encore l'institution, était un secours inutile. Dieu sans doute dormait alors et l'homme n'avait plus personne pour le sauver ni pour le racheter.
CHAPITRE II. La nécessité du baptême n'a commencé qu'après la prédication suffisante de l'Evangile. En cas de nécessité, le baptême de foi, au de désir de même que le martyre, suffit.
6. Tant de raisons me semblent prouver clairement que la nécessité du baptême, l'inutilité de la circoncision et des sacrifices institués autrefois pour effacer le péché originel, n'ont pas généralement commencé le jour même où Jésus-Christ dit en secret à Nicodème : « Si on ne renaît de l'eau et du Saint-Esprit, on n'entrera point dans le royaume du ciel (Joan., III, 5) ; » elles ne commencèrent pas même au moment où il envoya ses apôtres en leur disant : « Allez, instruisez toutes les nations, baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit Matth., XXVIII, 19) ; » mais que l'ancien usage ne fut aboli et qu'on ne fut obligé de recourir au nouveau que lorsqu'il ne fut plus raisonnablement possible d'en ignorer le précepte. Pour ce qui regarde les enfants et ceux qui n'ont point l'usage de leur raison, comme le péché originel les rend coupables sans qu'ils aient été prévaricateurs, on doit croire que les sacrements de l'ancienne loi ont pu leur être appliqués, jusqu'au jour où l'usage en fut publiquement interdit. Le furent-ils au delà de ce terme, c'est ce que je ne saurais dire, Dieu seul le sait. Pour ce qui est des adultes, depuis la publication du baptême, nul ne peut refuser de s'y soumettre sans ajouter au péché originel, le péché d'orgueil qui en est le principe, et sans mériter d'être damné pour cette double faute s'il vient à mourir en cet état. Mais si, se convertissant avant de mourir, il veut être baptisé, s'il le demande sans en trouver le moyen, et si d'ailleurs il a une foi pure, une ferme espérance, une charité sincère, j'ose avancer, Dieu me le pardonne! que le seul manque d'eau ne me fera jamais désespérer de son salut et croire que sa foi est vaine, que son espérance est tapeuse et que sa charité périt avec lui, pourvu que ce ne soit point par mépris, mais par impossibilité qu'il soit privé du baptême. Si quelqu'un a une opinion différente, c'est à lui de voir sur quoi il la fonde, quant à moi, je déclare qu'il me répugne de la partager et que je ne le ferais que si j'y étais forcé par les meilleures raisons et par une autorité plus forte que la mienne. CHAPITRE II, n. 6. 7. Mais je serais bien étonné si ce nouvel inventeur de propositions nouvelles et ce nouvel auteur de nouvelles inventions pouvait découvrir quelque raison, que saint Ambroise et saint Augustin eussent ignorées, ou me citer quelque autorité préférable à celle de ces deux Pères. Or l'un et l'autre ont cru ce que je crois; je le lui apprendrai s'il ne le sait pas. Qu'il lise, s'il ne l'a (a) pas fait encore, le discours de saint Ambroise sur la mort de Valentinien (S. Ambr., de Obitu Valent., versus finem) ; et, s'il l'a déjà lu qu'il se rappelle ce qu'il a lu et qu'il avoue ingénuement que selon ce saint Docteur, ce prince mort sans baptême, a été sauvé par sa seule foi et que ses pieux désirs ont suppléé le sacrement qu'il ne reçut point. Qu'il lise aussi le quatrième livre de saint Augustin, contre les Donatistes, ayant pour titre., du Baptême unique. (S. Augus., liv. IV, contra Donat. c, XXII, et de consec. dist. IV, cap. Baptismi vic.); et, qu'après cela il reconnaisse son erreur, ou qu'il ne nous laisse plus douter de son obstination. «Saint Cipryen, dit ce savant Père, cite l'exemple du bon larron qui, sans avoir reçu le baptême, entendit ces paroles: « Aujourd'hui vous serez avec moi en paradis (Luc., XXIII, 43), » et il en conclut d'une manière assez forte, que le martyre supplée quelquefois le baptême. Et lorsque j'examine la chose de plus près, continue-t-il, je trouve que la foi et la conversion
a On ne saurait trop s'étonner de l'impudence d'Abélard qui, pensant que les catéchumènes, à défaut du baptême, ne pouvaient être sauvés que par le martyre, osa dire, dans sa lettre aux Romains, page 564 et dans sa lettre septième à Héloïse, page 129, que saint Ambroise n'avait soutenu le contraire de cet article de foi n sur ce point, que pour adoucir la douleur que la soeur de Valentinien ressentait de sa mort.
du coeur peuvent le suppléer aussi bien que le martyre, lorsqu'il est impossible de recevoir le sacrement. Ce larron prédestiné nous fait assez voir, continue-t-il plus bas, ce que peut, sans l'aide du sacrement, cette foi vive que l'Apôtre nous dépeint en ces termes: «On croit de coeur, pour être justifié, et on confesse de bouche pour être sauvé (Rom., X, 10) ; » Mais on ne reçoit l'effet du sacrement que lorsque c'est par impossibilité de le recevoir, non par mépris, que nous ne le recevons point. » Il est vrai que ce même Père rétracte sa preuve tirée du larron et qu'il ne la croit pas propre à appuyer son sentiment, attendu qu'on peut douter si ce larron n'avait pas été baptisé auparavant (Augus., lib. Retract., II cap. 18 et 55); mais il ne laisse pas de soutenir son opinion avec fermeté et de l'appuyer sur plusieurs raisons, et je ne sache point qu'il l'ait rétractée nulle part. Après avoir rapporté l'exemple de quelques hommes qui, sans le secours extérieur du baptême, ont été intérieurement sanctifiés, il conclut en ces termes: « On voit par là que la sanctification n'est pas toujours attachée à des signes sacrés et visibles dont l'usage a varié selon les temps. Cependant, ajoute-t-il un peu plus loin, on ne doit point négliger le sacrement visible; le mépris qu'on en ferait serait un obstacle suffisant à notre sanctification. » Il est clair par tous ces passages, que, selon ce Père, un homme fidèle et converti n'est pas frustré du fruit du baptême, lorsque, sans le mépriser, il se trouve dans l'impossibilité de le recevoir. 8. II ne me serait pas facile, je l'avoue, de me séparer de ces deux colonnes de l'Eglise, je veux parler d'Ambroise et d'Augustin (a). Qu'ils se trompent ou qu'ils aient raison je déclare penser comme eux, que la foi toute seule est capable de sauver un fidèle qui meurt avec le désir du baptême; mais dont le désir est paralysé, soit par la mort qui le surprend soit par tout autre empêchement insurmontable. Peut-être est-ce pour cela que le Seigneur, après avoir dit: « Quiconque croira et sera baptisé, sera sauvé (Marc., XVI, 16), » n'a point repris: quiconque ne sera pas baptisé, mais « quiconque ne croira pas sera condamné, » afin de marquer que la foi toute seule suffit quelquefois au salut, mais qu'il ne saurait y avoir de salut sans elle. En sorte que, si on admet que le martyre supplée le baptême , ce sera beaucoup moins à cause du supplice qu'à cause de la foi qui l'accompagne. En effet, qu'est le martyre sans la foi, sinon une vaine torture? Eh quoi, c'est la foi qui donnera au martyre le mérite du baptême, et elle n'aura point, toute
a Ce sentiment n'est pas en contradiction avec celui que saint Augustin exprime dans son vingtième sermon sur les paroles de l'Apôtre, chapitre 6, où il fait un crime à un bon catéchumène de ne s'être point présenté au baptême. Toutefois, bien des auteurs anciens ne veulent point que ceux qui se trouvent dans ce cas soient sauvés; tels sont Raban, liv. IV, de Universo, chapitre X, Huin, selon ce que rapporte Chifflet, et, avant eux, Fulgence, dans sa lettre à Ferrand.
seule, la vertu qu'elle communique ?Après tout, si répandre son sang pour Jésus-Christ, est donner aux hommes une grande preuve de la foi, Dieu n'en a pas besoin; il voit dans le coeur du fidèle mourant dans la justice, une foi qui, sans être éprouvée par le martyre, est cependant toute disposée à le souffrir. Ce fidèle se souvient qu'il n'a pas reçu le sacrement du salut, mais il souhaite ardemment de le recevoir, il ressent en même temps une vive douleur de ses fautes, et Dieu le damnerait, quoiqu'il fût dans les dispositions de mourir pour lui? « Nul ne peut dire le nom du Seigneur Jésus que par la grâce du Saint-Esprit (I Corinth., XII, 3). » Or cet homme, non-seulement invoque en mourant le nom du Seigneur Jésus, mais il souhaite encore de recevoir son sacrement. Dirons-nous qu'il ne parle point dans le Saint-Esprit? Ce serait donner un démenti à l'Apôtre; ou bien prétendrons-nous qu'il est damné quand il possède le Saint-Esprit en lui? Le Sauveur, qu'il confesse de bouche, habite en même temps dans son coeur, dans cet état il serait damné ? Si la foi donne au martyre le privilège du baptême, pourquoi cette même foi n'aurait-elle pas la même efficacité aux yeux de celui qui connaît tout, sans avoir besoin d'en être instruit par le martyre? La foi suffit donc pour le salut sans le martyre, quoique le martyre soit d'un mérite très-grand et qu'il soit comme le comble et le suprême degré de la foi. Nous lisons: « Celui qui hait son frère, en est le meurtrier ( I Joan., III, 15), » et encore, « Celui qui voit une femme avec un mauvais désir, est déjà adultère dans son coeur (Matth., V, 28). » N'est-il pas évident par là que la la volonté est réputée pour le fait, lors même que celui-ci ne suit pas la volonté, parce que quelque obstacle s'y oppose? Eh quoi ! Dieu qui est charité, nous imputerait nos mauvais désirs et ne tiendrait pas compte de nos bons? Le Seigneur toujours miséricordieux, aura plus de penchant à punir qu'à récompenser? De même qu'un débiteur mourant dans les sentiments d'une vraie pénitence, est absout de sa dette, quand il est dans l'impuissance d'y satisfaire, ainsi la foi seule, sans le secours du r martyre et du baptême, pourvu qu'elle soit accompagnée d'une vraie conversion du coeur, sauve un mourant, qui veut mais qui ne peut être baptisé. Mais de même qu'il n'y a point de pénitence qui efface la dette d'un débiteur s'il ne restitue en cas qu'il le puisse : ainsi la foi d'un mourant serait vaine s'il négligeait de se faire baptiser quand il le peut. C'est qu'en effet, cette négligence de sa part marque son peu de foi. Une foi vive et parfaite embrasse. et observe tous les commandements; or le baptême est le premier et le plus important de tous. Celui donc qui néglige de l'accomplir, loin de mériter le nom de fidèle, n'est qu'un rebelle et un insoumis; mépriser ce que l'or. croit, c'est ne pas croire véritablement. 9. Pour ce qui est des enfants, comme à cause de leur âge, ils ne sont point en état d'avoir la foi et de se convertir à Dieu, il n'y a point de salut pour eux s'ils mentent sans baptême. Ce n'est pas qu'après avoir été baptisés ils aient la foi sans laquelle il est absolument impossible de plaire à Dieu, mais ils sont sauvés sinon par la foi dont il ne sont pas capables eux-mêmes, du moins par la foi d'autrui. Il est digne en effet, de la bonté de Dieu, de se contenter, pour eux, d'une foi empruntée (a), puisqu'ils sont hors d'état d'en faire des actes par eux-mêmes ; il est trop juste pour exiger aine foi actuelle de ceux qui sont sans péchés actuels, et pour demander d'eux plus que la foi d'autrui; puisqu'ils ne sont encore coupables que du péché d'autrui. Ils ont donc besoin de la foi des autres parce qu'ils naissent souillés du péché que d'autres ont commis, en sorte qu'on peut appliquer aux enfants ce qui est dit en général de tous les hommes : « C'est par la foi que Dieu purifie leur coeur (Act., XV, 9). » On ne saurait doutés que la souillure du péché qui nous vient de nos parents, ne pût et ne dut être lavée par leur foi. Tel est l'ordre des jugements de Dieu qui remplissaient David d'allégresse et lui faisaient dire : « Je me suis souvenu; Seigneur, des jugements que vous avez gercés dans tous les siècles, et je me suis senti consolé (Psalm. CXVIII, 52). » Mais en voilà assez sur ce point.
CADITRE III. Les saints de l'Ancien Testament n'ont pas eu, des mystères de notre foi, une connaissance aussi claire que celle que nous en avons elfe depuis.
10. Le même Auteur, dites-vous soutient que tous les justes de l'ancienne loi qui ont vécu avant l'avènement de Jésus-Christ ont connu l'avenir aussi distinctement que nous qui sommes nés depuis; en sorte que le juste le plus simple n'a rien ignoré de tout ce que lstoire de l'Evangile nous a révélé depuis, et que l'incarnation du Verbe, l'enfantement de la Vierge, la doctrine du Sauveur, ses miracles, sa croix, sa mort, sa sépulture, sa descente aux enfers, sa résurrection et son ascension ont été aussi clairement et aussi distinctement connus des justes des premiers temps qu'ils le sont de ceux qui en ont vu l'accomplissement, et de nous qui les avons appris depuis : de telle sorte qu'il n'y a eu de justes et de sauvés que ceux qui ont eu de tous ces mystères une vue claire et évidente. Or c'est là une proposition fausse,
a Voir sur ce sujet les notes deHorstius; le sermon soixante-sixième de saint Bernard sur le cantique des cantiques, et la lettre de Gautier de Mauritanie, évêque de Laon; contre le moine Guillaume, qui doutait que les péchés fussent remis aux enfants baptisés par un hérétique avant d'avoir l'âge de raison; tome II du Spécilége, page 459.
11. Vous la réfutez si solidement dans votre lettre que je ne trois ni devoir. ni même pouvoir rien ajouter à ce que vous dites. Toutefois, l'Auteur de cette opinion me permettra dé vous dire franchement ce que je pense de lui. Il me semble aimer la nouveauté bien plus que Ila vérité, et craindre par-dessus tout, de penser comme les autres et de ne dire que ce qu'ils ont dit, c'est ce qui fait qu'il ne peut ou ne sait garder aucune mesure dans ses sentiments et dans ses discours. Ainsi quand il prétend égaler en science Ceux qui ont précédé et ceux qui ont suivi les temps de la rédemption, il passe toutes les bornes de la modération et nous fait Dieu avare ou prodigue à l'excès. En effet, ou bien il réduit les élus de ce temps-là à de très-petit nombre d'hommes spirituels qui se sont signalés par leur sainteté insigne, et à qui l'Esprit-Saint, par une grâce singulière, a révélé l'avenir selon ce que rapporte la Sainte Ècriture, et en cela il raccourcit le bras de Dieu, puisque, à l'exception de ce petit nombre de très-saints personnages, personne n'aurait été sauvé dans ce temps-là: ou il reconnaît qu'ils sont en beaucoup plus grand nombre et, dans ce cas il donne au peuple de l'ancienne Loi une profusion de grâce inouïe, puisqu'il suppose que toute cette multitude a connu pleinement tous les mystères de la rédemption. En effet, comme il n'y en a aucun qui soit marqué avec évidence dans l'Ecriture sainte, ou qui ait été publiquement annoncé, il s'ensuit qu'ils n'ont pu les connaître que par une révélation spéciale du Saint-Esprit, et qu'il n'y eut pas de juste qui ne fut spirituel, parfait, doué même du don de prophétie, parmi ceux qui ont été saints et sauvés dans les siècles qui ont précédé la venue de Jésus-Christ. Ainsi, dans cette opinion, il faut dire que le salut fut excessivement rare dans l'ancien temps, ou que la perfection fut extraordinairement commune; or, il y a de l'exagération dans ces deux sentiments. 12. Mais, s'il semble qu'il était plus digne de Dieu de rendre ces premiers temps féconds en hommes parfaits, au lieu d'en borner les justes à un petit nombre, s'il lui est plus convenable d'en sauver plusieurs et de les remplir de l'esprit de prophétie, au point qu'ils pénétrassent clairement dès lors des mystères qui n'étaient point encore révélés, je bénis Dieu dans ses dons, mais je ne vois pas qu'il ait rien réservé pour les temps de grâce et de salut, à moins qu'on ne donne le nom de temps de grâce au temps auquel, selon votre auteur, Dieu prodiguait ainsi les richesses de son Esprit et pendant lequel on eut le bonheur de voir s'accomplir ce voeu de Moïse : « Qui me donnera de voir tout le monde prophétiser (Num., XI, 29) ? » L'Evangile a-t-il rien fait qui approche de ces temps-là? C'est en vain que Paul se vante d'avoir reçu les prémices de l'Esprit-Saint avec les apôtres, car il n'a vu, de son temps, rien de pareil à ce qui s'était passé auparavant; en effet, il se demandait si « tout le monde avait reçu le don de prophétie (I Corinth., XII, 29). » C'est sans raison aussi qu'il se glorifie, comme d'un privilège singulier, d'avoir reçu l'Evangile, non par le ministère des hommes, mais par une révélation directe de Jésus-Christ (Galat., I, 1), puisque, avant lui, le Saint-Esprit l'a déjà révélé à tout un peuple. C'est à tort aussi que Pierre applique à son temps ces paroles du prophète: « Je répandrai mon Esprit sur vos fils et sur vos filles et ils prophétiseront (Act., II, 17 et Joel., II, 28), » puisque dans les siècles passés ce même esprit avait déjà été plus abondamment répandu, si le prophète, ou plutôt, si Dieu qui parlait par la bouche de son prophète, envisageait les temps de la nouvelle alliance, il se fut exprimé plus justement en disant: Je retirerai, non pas je répandrai mon esprit. Mais de plus si nous supposons dans les anciens justes autant de lumières que chez les enfants de l'Evangile, nous sommes obligés de leur supposer aussi plus de grâces, puisque ce n'est ni à la lecture, ni à la prédication qu'ils en sont redevables comme nous, mais uniquement à l'onction du Saint-Esprit qui leur enseignait toutes choses à tous. 13. Mais je le veux bien, supposons, à notre honte et au détriment de la gloire due aux apôtres, que les moindres saints de l'ancienne Loi les ont égalés en lumières et surpassés en grâce, pourrons-nous souffrir du moins que l'Auteur même de toutes grâces nous ait trompés ou se soit trompé lui-même? Or, il a protesté que de tous ceux qui sont nés de la femme il n'en est pas de plus grand que Jean Baptiste (Matth., XI, 11). N'y a-t-il pas à craindre si nous accordons aux anciens ce que nous ferions difficulté d'accorder à ce saint, que nous n'arguions de faux, le témoignage même de la Vérité ? Or, sans faire tort à saint Jean Baptiste, on peut croire et dire qu'il a ignoré quelque chose, ce dont il convient d'ailleurs volontiers lui-même. Si donc nous attribuons à d'autres ce que nous refusons au Précurseur de la Vérité en dépit du témoignage de la Vérité même, nous ne faisons point seulement injure à ce Saint, mais nous blasphémons contre la Vérité et nous lui donnons un démenti. Eh quoi ! l'ami de l'Epoux demande et s'informe auprès de lui, en lui disant: « Est-ce vous qui devez venir, ou bien faut-il que nous en attendions un autre (Matth., XI, 3) ? » et nous assurerions faussement que tant de milliers d'hommes ont eu connaissance de tous les mystères ? 14. Mais on peut remarquer que les anciens ne l'ont pas cru eux-mêmes. En effet, Moïse fait dire à Dieu qui lui parle: « c'est moi qui suis le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, je ne leur ai pas indiqué que mon nom est Adonaï (Exod., III, 6),» sous-entendu, comme à toi, Il supposait donc qu il connaissait Dieu plus parfaitement que ceux qui l'avait précédé. David se vante également d'avoir plus de lumières que ses maîtres et que ses pères; en effet « j'ai été plus éclairé que mes maîtres, dit-il, parce que j'ai médité votre loi (Psalm. CXVIII, 99), » et ailleurs il dit : j'en ai su plus que les anciens. » Daniel dit dans le même sens ; « Bien des hommes passeront et la science s'accroîtra (Dan., XII, 4). » Il voulait parler de l'accroissement de connaissance réservé à la postérité. Si donc il est vrai, selon la pensée de Saint Grégoire (S. Grég. M. Rom., XVII, in Ezech.), que la science des justes se perfectionnait à mesure que les temps avançaient, et, que plus les saints se rapprochaient de l'époque de l'avènement du Sauveur, plus ils découvraient distinctement ce mystère de salut; on ne saurait douter que la vue des choses mêmes et la présence de celui qui les accomplissait en sa personne, ne leur en aient donné des connaissances plus parfaites. Aussi, est-ce à eux qu'il a été dit. « Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez (Luc., X, 23); » et encore: « Je vous ai appelés, mes amis, parce que je vous ai manifesté tout ce que j'ai appris de mon Père (Joann., XV, 15). » Plusieurs rois et plusieurs prophètes ont souhaité voir ce que vous voyez et ne l'ont point vu, entendre ce que vous entendez et ne l'ont point entendu (Luc., X, 24). » Pourquoi cela? parce qu'ils auraient voulu voir plus pleinement les choses qu'ils ne pressentaient qu'à peine et obscurément. Autrement à quoi bon pour eux, voir et entendre Jésus-Christ dans sa chair, si son esprit les avait déjà instruits ? « La chair ne sert de rien, c'est l'esprit qui vivifie (Joann., VI, 64). » S'il est vrai que les prophètes et ceux qui semblent avoir été les saints les plus illustres de la loi ancienne n'ont pas tons vu les choses dans une égale lumière, et ne les ont vues les uns plus, les autres moins, que selon que l'Esprit-Saint leur en faisait la grâce, en donnant aux uns plus, aux autres moins sans préjudice de leur sainteté et de leur perfection, à plus forte raison les justes les moins éclairés ont-ils du ignorer le temps, la manière et l'ordre de la rédemption qu'ils n'attendaient pas moins avec une foi vive et une ferme espérance, sans que leur salut fut moins assuré pour cela. 15. Que de chrétiens, aujourd'hui, croient fermement, espèrent et désirent avec ardeur, la vie éternelle et les promesses du siècle à venir, sans jamais avoir eu la moindre idée de ce bienheureux état! Ainsi plusieurs ont été sauvés avant la naissance du Sauveur, en attendant avec foi sa venue, en espérant avec une ferme confiance un Rédempteur et en se fondant sur la toute-puissance de Dieu qui leur promettait de les racheter gratuitement s'ils aimaient leur bienfaiteur et s'ils mettaient toute leur confiance en ses promesses; mais aucun d'eux ne connut ni l'époque, ni l'ordre, ni l'économie de la rédemption. Enfin, le vénérable Bède, que vous citez, dit eu propres termes que les circonstances de ce mystère n'ont point été révélées à tous les saints: « Moïse, dit-il en effet, et les prophètes ont parlé avant les Apôtres du trophée de la croix, mais en termes obscurs et figurés, au lieu que les apôtres et leurs successeurs en ont toujours parlé d'une manière claire et précise. Ainsi, tous les chrétiens doivent savoir et confesser la foi qu'un petit nombre de parfaits connaissaient alors et que le reste du peuple ne possédait qu'en figures dans les cérémonies légales. » il me vient à l'esprit beaucoup d'autres preuves de ce que j'avance; mais je ne pourrais les consigner ici sans sortir des bornes d'une simple lettre; d'ailleurs il n'est pas nécessaire que je le fasse après ce que vous avez dit vous-même, ainsi que j'en ai fait la remarque plus haut, et je n'ai ajouté à vos preuves celles que je viens de donner que pour répondre à toutes vos questions.
CHAPITRE IV. Saint Bernard prouve, contre l'assertion de son contradicteur, qu'il y a des péchés d'ignorance.
16. Pour la troisième proposition, il n'y a pas lieu, je crois, à s'en mettre bien en peine ; car, outre qu'elle est, manifestement fausse, l'auteur nous donne le moyen de 1a détruire, ans sa première proposition; il se contredit évidemment lui-même. Il prétend que l'entretien que Jésus-Christ eut en secret et pendant la nuit avec Nicodème, fut comme un piège tendu à l'ignorance des hommes, puisque nul ne put des lors, être sauvé sans baptême; n'est-ce pas là reconnaître ouvertement qu'il y a un péché d'ignorance, et même un péché mortel ? à moins que d'avoir l'audace de dire que Dieu damne l'innocent. Mais, comme il est à craindre qu'en négligeant de répondre à l'insensé selon sa folie, il ne présume être sage, et que enhardi par notre silence, il ne répande et ne multiplie à l'infini les semences de son erreur, je veux vous citer les passages les plus précis de la vérité, pour réfuter ses mensonges. Il est probable que cet homme, qui soutient qu'il n'y a point de péché d'ignorance, ne prie jamais Dieu de lui pardonner ces sortes de péchés, et se rit du Prophète, quand il lui entend dire: « Ne vous souvenez pas, Seigneur, des fautes de ma jeunesse ni de mes péchés d'ignorance (Psal. XXIV, 7). » Il doit même condamner Dieu, quand il impose des pénitences pour ces sortes de fautes, par la bouche de Moise, et qu'il dit: « Si quelqu'un pèche par ignorance, contre quelque point de la loi et reconnaît son péché, il offrira au prêtre un bélier sans tache, selon ce qui aura été réglé pour sa faute (Levit., 17) : « et ailleurs : « Le prêtre priera pour lui, et son péché lui sera remis; parce qu'il a offensé le Seigneur sans le savoir (Ibid. 48). » 47. Si l'ignorance n'est jamais un péché, pourquoi est-il écrit dans l'Epître aux Hébreux, qu'il n'y avait que le grand prêtre qui entrait une fois l'an, dans le Saint des saints et qu'il y portait le sang des victimes pour l'expiation de son ignorance et de celle du peuple (Hébr., IX, 7) ? S'il n'y a point de péchés d'ignorance, Saul n'a point péché en persécutant l'Eglise, puisqu'il l'a fait dans l'ignorance et dans l'incrédulité; bien plus, il méritait des louanges en blasphémant, en persécutant, en outrageant l'Eglise, en jetant la terreur partout, en ne respirant que le sang des disciples du Seigneur, puisqu'il n'avait en vue que de signaler son zèle pour les traditions de ses pères. Il ne devait donc pas dire : « J'ai trouvé miséricorde (Galat. I, 14), » mais, J'ai reçu la récompense de ma conduite, puisque, en même temps que son ignorance l'exemptait de tout péché, son zèle le rendait digne de récompense. Si lignorance ne peut être un péché, pourquoi condamner les meurtriers des Apôtres? Loin de penser mal faire en les faisant mourir, ils s'imaginaient même rendre service à Dieu. Enfin, pourquoi Jésus-Christ prie-t-il pour ceux qui le crucifient, « puisqu'ils ne savent ce qu'ils font (Luc., XXIII, 34), » et, par conséquent, ne pèchent point? C'est lui-même qui nous en donne l'assurance; oserons-nous le soupçonner de mensonge, quand même nous soupçonnerions l'Apôtre de vouloir peut-être excuser sa nation, lorsqu'il dit que, si les Juifs avaient connu le Seigneur de gloire, ils ne l'auraient jamais crucifié? Tous ces passages ne montrent-ils pas dans quelle ignorance grossière se trouve celui qui ne sait pas qu'on peut pécher par ignorance? Mais en voilà assez sur ce point.
CHAPITRE V. Saint Bernard avait avancé que les anges mêmes avaient ignoré le plan divin de l'incarnation; cette proposition ayant été l'objet de plusieurs attaques, il la défend.
18. Vous m'insinuez, à la fin de votre lettre, en termes obligeants que plusieurs personnes trouvent mauvais que j'aie avancé, en expliquant i'Evangile a que le plan de Dieu pour le mystère de l'incarnation n'a été révélé à aucun ange, avant de l'avoir été à la sainte Vierge. Il me semble qu'ils ne sont pas tout à fait dans leur droit; en effet, ils peuvent remarquer que je n'affirme rien positivement et qu'au contraire, j'ai la précaution de suspendre mon jugement en me servant de la disjonctive ou; car après avoir dit pour quelle raison je pensais que l'Evangéliste après avoir dit que (a) l'ange Gabriel fut envoyé, ajoute expressément, de Dieu (Luc., I, 36), » j'en donne une seconde, mais avec réserve et sans me déclarer pour un sentiment plus que pour l'autre, afin de n'être point obligé de les défendre l'un ou l'autre et de laisser au lecteur la liberté
a Il s'agit ici de l'Evangile selon saint Luc, chapitre premier, et des mots : Missus est, qu'il explique dans son homélie I.
d'embrasser celui qui lui plaira davantage. Si l'un des deux peut se soutenir, pourquoi m'entreprendre sur l'autre, puisque je ne me prononce pour aucun et que j'en abandonne le choix au lecteur? Mais quand j'aurais avancé que l'ange n'a pas connu l'incarnation, je n'aurais point prétendu parler du dessein que Dieu avait formé d'opérer notre salut au milieu de la terre,puis qu'il avait déjà été donné à quelques hommes de le prévoir et de le prédire; et lors même que j'aurais écrit ou pensé que ce dessein aurait été inconnu aux anges, quant aux circonstances de temps, de lieu, de manière et de personne que Dieu avait choisies pour l'exécuter, je ne vois pas qu'il y ait là quelque chose d'incroyable. Chacun peut en sûreté suivre son sentiment, pourvu qu'il n'y ait point quelques fortes raison ou quelque autorité considérable qui lui soit opposée. 19. Or, quelle raison ou quelle autorité m'oblige de croire que le temps de l'incarnation ait été autrefois révélé aux anges ; ce temps, dis-je, dont l'Apôtre a dit que «lorsqu'il fut accompli, Dieu envoya son Fils formé d'une femme et assujetti à la loi (Gal., IV, 4) ? » Il me paraît plus vraisemblable que les mêmes anges qui, selon Jésus-Christ, ignorent le jour de son dernier avènement, ont aussi ignoré le temps du premier. Et qui sait si la Sagesse de Dieu ne leur a pas tenu spirituellement sur l'incarnation, le même langage qu'elle tint sensiblement aux apôtres sur le jugement dernier quand elle leur dit: « Il ne vous est pas donné de connaître les temps et les moments que le Père a réservés en son pouvoir (Act., I, 7) ? » De plus, quelle raison avons nous de penser que les anges discernaient Nazareth des autres villes, avant qu'un archange y saluât une vierge et lui annonçât qu'elle enfanterait le fils de Dieu? A la vérité les prophètes ont prévu et prédit qu'il naîtrait à Bethléem et que Jérusalem serait le lieu de sa mort ; mais je ne vois nulle part que Nazareth soit précisément marqué pour le lieu où il devait être conçu; et, lorsqu'il est dit, il « s'appellera Nazaréen (Matth., II, 23), » lEvangile, qui rapporte les paroles du Prophète, les applique à son éducation, plutôt qu'à sa conception, parce qu'il demeura dans cette ville, à son retour d'Egypte, et y fut élevé. Voilà pourquoi les Juifs disaient à Nicodème : « Examinez les écritures et vous verrez qu'il ne vient point de prophète de la Galilée (Joan., VII, 52) ; » il s'adressait à un docteur de la loi, à un maître en Israël, à un homme par conséquent bien instruit de ces choses. Cependant, ils lui montrent qu'ils n'est écrit nulle part que le Christ dût naître en Galilée, dont Nazareth était une ville. Ils avaient présent à l'esprit le passage du Prophète qu'ils citèrent à Hérode quand il leur demanda où le Messie devait naître (Matth., II, 1). Ainsi Jésus-Christ est né à Bethléem et il est mort à Jérusalem, c'est ce que les prophètes avaient formellement prédit. Il fut conçu à Nazareth en Galilée; mais Nicodème ne trouve aucun endroit, dans les Ecritures où la Galilée et Nazareth soient marquées comme le lieu destiné à l'avènement du Messie. 20. Nathanaël, qui était aussi instruit dans la loi, ayant entendu dire à Philippe que Jésus, fils de Joseph, était de Nazareth, reprit avec étonnement : « Peut-il venir quelque chose de bon de Nazareth (Joan., I, 46)? » Sa surprise vient de ce qu'on lui annonce que le Messie est de Nazareth, quand l'Ecriture n'en parle point. Si on prétend que l'exclamation de Nathanaël est affirmative plutôt que dubitative, à cause de l'endroit que j'ai cité plus haut, « il s'appellera Nazaréen, » on ne saurait en conclure que le Prophète eût su que Nazareth était le lieu où Jésus-Christ serait conçu, attendu qu'il pouvait lui appliquer ce nom en plusieurs sens. Or, les anges ont pu ignorer le lieu rie sa conception, aussi bien que les prophètes. 21. De plus, comment prouvera-t-on qu'ils aient connu le moyen incompréhensible que Dieu devait employer, quand on voit Marie elle-même s'en informer avec une espèce de trouble? J'oserais même dire qu'il était inconnu à l'ange chargé d'annoncer ce mystère, et il le confesse lui-même, si nous pesons bien le sens de ses paroles. En effet, quand il dit à Marie : «Le Saint-Esprit viendra en vous (Luc, I, 35), » ne semble-t-il point la renvoyer à l'école du Saint-Esprit, pour apprendre de lui ce qu'il ne se flatte point de savoir lui-même, et pour sentir ce qu'il ne peut lui exprimer. Puis il ajoute : «La vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre (Ibidem), » comme pour lui marquer, d'une façon plus précise encore, que c'est dans l'ombre que la Trinité seule, de concert avec Marie seule, doit opérer en elle ce mystère ineffable. Jean-Baptiste ne veut-il pas faire entendre aussi, combien il s'estime incapable de comprendre ce mystère, quand il se déclare indigne de dénouer les cordons des souliers de Jésus-Christ? Enfin, quelle preuve a-t-on que les anges connussent Marie de nom ou de visage, et qu'ils sussent qu'elle était choisie pour être la mère du Sauveur, à l'exception de l'archange que nous devons croire que Dieu lui donna pour gardien, dès sa naissance? Le démon ne la reconnut pas pour telle, même après qu'elle eut conçu. parce qu'elle était fiancée à Joseph, et il est très-croyable qu'avant la conception de Notre-Seigneur, les anges ne la connaissaient point, comme devant être la mère du Sauveur. Car, quoique les esprits malins soient déchus de la grâce spirituelle, ils n'ont pourtant point perdu entièrement leur pénétration et leurs lumières naturelles. 22. Vous voyez combien de raisons j'aurais de croire, sans aller contre la foi ni contre l'autorité des Ecritures, que la révélation de ce grand mystère fat réservée à Marie, du moins quant à ses circonstances de temps, de lieu et de manière, et quant au chois d'une vierge. Voilà ce que vous pouvez dire à vos frères qui me blâment d'avoir dit, à la louange de la sainte Vierge, que les mots « envoyé de Dieu» ont été mis exprès pour qu'on ne s'imaginât point que Dieu eût communiqué à aucun ange, excepté à l'archange Gabriel, le plan de l'incarnation, avant de l'avoir fait connaître à la sainte Vierge. Quand je dis le plan de l'incarnation, je n'ai pas voulu parler de l'uvre même de la rédemption, mais seulement des circonstances de temps, de lieu, de manière et de personne qui devaient en accompagner l'exécution. Adieu.
SUR LE DIXIÈME TRAITÉ DU BAPTÊME, A HUGUES DE SAINT-VICTOR.
CHAPITRE I, n. 4.
266. Seule a servi aux enfants, etc. Saint Grégoire le Grand émet une opinion semblable dans son livre IV des Morales, chapitre ni. En effet il dit.: « Ce que l'eau du baptême produit chez nous, la foi toute seule le produisit chez les anciens et chez les enfants, la vertu du sacrifice chez les adultes, et le mystère de la circoncision chez les descendants d'Abraham. » Toutefois, saint Augustin ne parait pas être de cet avis, il dit en effet dans son livre V. contre Julien, chapitre XI. « Il ne faut pas croire qu'avant la circoncision, les serviteurs de Dieu qui avaient la foi dans le Médiateur à venir selon la chair, n'aient eu aucun sacrement pour assurer le salut des petits enfants, quoique l'Ecriture pour de bonnes raisons, nous laisse ignorer quel était ce sacrement. » L'auteur du sermon sur le motif de la circoncision, s'exprime en ces termes: « Il est certain qu'il exista en tout temps un moyen d'effacer le péché originel qui est passé de nos premiers parents dans tous les hommes. » C'est d'ailleurs l'opinion de Scot, de Durand, de Paludanus et même de saint Thomas, III p. q. LXX, art. 4 ad. 2. qui dit que probablement les parents fidèles adressaient à Dieu quelques paroles pour leurs enfants une fois mis au monde et surtout pour ceux qui se trouvaient en danger de mort, ou leur donnaient une certaine bénédiction qui était comme le sceau de la foi, de même que les adultes avaient pour eux-mêmes la prière et les sacrifices. (Note de Mabillon. )
CHAPITRE II, n. 6.
267. L'ancienne loi commença à cesser d'être en vigueur alors que, etc. En effet, comme il est de l'essence de la loi positive de n'obliger qu'après avoir été promulguée, et qu'il est certain d'ailleurs que le baptême n'est point de précepte naturel mais seulement de précepte divin positif, il s'ensuit que les hommes n'ont pu être tenus de l'observer que lorsqu'ils en eurent connaissance, ce qui n'a pu avoir lieu que par la promulgation qui en fut faite. Car s'il est vrai qu'il fut toujours nécessaire tic renaître du Saint-Esprit pour être sauvé, la manière dont on doit renaître du Saint-Esprit, qui est d'être baptisé, n'a pas toujours été nécessaire; elle ne le devint qu'après l'institution du baptême, en partie par l'abolition de l'ancienne manière, c'est-à-dire, de la circoncision, en partie aussi par la promulgation du nouveau précepte. Par conséquent, ce n'est point à partir du moment précis oit il a été dit: « Si on ne renaît, etc. » qu'on doit croire que tous les hommes, ou même les Juifs et encore moins les enfants ne purent être sauvés sans être baptisés. Car la loi du baptême n'était pas encore promulguée alors, et bien qu'elle eût commencé probablement l'être par les apôtres qui baptisèrent avant la passion de Notre-Seigneur, elle ne l'était pourtant point encore suffisamment à cette époque pour être censée complètement promulguée et produire son effet. Nous pensons donc que la nécessité du baptême ne fut point encore suffisamment annoncée par ces paroles de saint Pierre aux Juifs: «Que chacun de vous se fasse baptiser, etc. » pour avoir eu dès lors, même chez les Juifs, le caractère d'une véritable loi, car il est évident que les paroles de saint Pierre ne pouvaient être entendues de tous les autres Juifs qui se trouvaient répandus dans le reste de la Judée et dans le monde entier. On doit donc se contenter de dire, que la loi du baptême ne commença à être obligatoire que du moment qu'elle fut suffisamment promulguée, ce qui est d'ailleurs de la nature de toute loi positive. La nécessité du baptême était prêchée en même temps que l'Évangile dont elle fait partie. C'est d'ailleurs en ce sens que saint Bernard répond à Hugues de Saint-Victor, qui embrassa volontiers son sentiment ainsi qu'on peut le voir dans son livre II des Sacrements. Voyez encore saint Thomas III par. q. LXXXVI, art. 2, ainsi que le Commentaire du Maître des sentences, sur cet endroit de saint Thomas, livre IV, distinction 3; Estius, Soto, etc. et la lettre cent huitième de saint Augustin. (Note de Horstius. ) 268. La volonté est réputée pour le fait, etc. Il ne faut pas entendre ces mots en ce sens que la volonté, c'est-à-dire l'intention de recevoir le sacrement, ait en soi la force même du sacrement, c'est-à-dire agisse à la manière du sacrement et produise le même effet dans l'âme que si on avait reçu le sacrement lui-même. Elle n'agit pas ex opere operato, mais ex opere operantis, comme on dit, en tant qu'elle est le désir de l'accomplissement de l'oeuvre sacramentelle, elle agit donc comme acte de foi et comme prière. Si donc le voeu du baptême est réputé pour le fait même du baptême, cela ne tient pas de la nature des choses, mais de la miséricorde de Dieu qui, eu égard à la foi et au désir de celui qui veut faire son salut, supplée dans le cas de nécessité au défaut du sacrement. Dans ces oeuvres, où il est moins tenu compte du fait matériel que de l'intention de celui qui agit, la volonté, pourvu qu'elle soit suffisamment grande et complète, est réputée pour le fait, parce que le mérite de l'action même repose tout entier dans l'intention qui peut être aussi grande et même quelquefois plus grande sans l'acte qu'avec lui. C'est donc dans ces sortes d'oeuvres que la volonté est réputée pour le fait; mais non point dans celles qu'on appelle oeuvres opérées, excepté pour les choses où la miséricorde de Dieu supplée invisiblement ce que l'oeuvre visible sacramentelle ne saurait produire elle-même. Or, ce supplément de la miséricorde divine, quand le désir du sacrement visible existe effectivement, passe aux yeux de tous les l'ères comme incontestable. Voir sur ce point saint Cyprien, Lettre à Jubaien; saint Ambroise, Oraison funèbre de Valentinien, qui mourut en allant demander le baptême à saint Ambroise; saint Augustin, livre IV, Contre les Donatistes, chap. XXII et XXV, et sur le Lévitique, questions LXXXIV. (Note de Horstius.)
MÊME TRAITÉ, MÊME NOMBRE.
269. Il est juste, en effet, que ceux à qui l'âge ne permet point de faire des actes de foi, etc., Saint Augustin était du même avis comme on peut le voir dans son livre IV, Contre les Donatistes, chap. XXIII. De même que les adultes qui sont dans l'impossibilité physique de recevoir le baptême sont néanmoins sauvés, parce que la charité supplée spirituellement ce sacrement. Ainsi le baptême lui-même supplée la foi, là où elle est impossible et sauve celui qui les reçoit dans ces conditions. «Telle est la doctrine de l'Église catholique, car elle baptise les petits enfants qui sont encore incapables de croire de coeur pour obtenir la justice, et de confesser leur foi de bouche pour obtenir le salut. » Au chap. XIV, il continue en ces termes: «De même que chez les adultes, ce qui manque au sacrement, non pas par suite de l'orgueil ou du mépris de l'homme, mais par un effet de la nécessité, est suppléé par la bonté du Tout-Puissant ;ainsi, chez les enfants baptisés, la grâce du même Dieu Tout-Puissant supplée ce qui leur manque, non par suite d'une volonté impie de leur part, mais parce que, à cause de leur âge trop tendre encore, ils sont incapables de croire de coeur pour obtenir la justice et de confesser leur foi de bouche pour obtenir le salut. Aussi, quand d'autres répondent pour eux, attendu qu'ils ne sauraient le faire eux-mêmes, pour qu'on puisse leur administrer le baptême, ce sacrement produit tout son effet dans leurs âmes. » Ailleurs encore, dans la lettre XXIII, à Boniface, saint Cyprien dit encore : « Les petits enfanta sont présentés pour recevoir la grâce spirituelle du baptême, beaucoup moins par les mains de ceux qui les apportent à l'église, quoiqu'ils les présentent en effet eux-mêmes aussi s'ils sont de bons chrétiens, que par les mains de la société tout entière des saints et des fidèles. En effet, ces enfants sont censés présentés à l'église par tous ceux qui sont heureux qu'on les présente et dont la sainteté et la charité indivisibles les aident à recevoir le Saint-Esprit. Ainsi on peut dire que notre Mère l'Église, qui est tout entière dans les saints, opère elle-même en cette occasion, attendu que seule elle enfante tous les saints et chacun d'eux en particulier. » D'ailleurs, si leur propre foi supplée en cas de nécessité, le baptême pour les adultes, tandis que la foi des autres ne peut sauver les enfants sans le secours du baptême, cela s'explique ainsi; c'est que la foi propre, même sans le baptême,rapproche Dieu de l'homme, et, par elle-même, le lui rend propice, puisque la foi lui inspire la prière à Dieu, la douleur de ses péchés et le désir du salut. Or, il ne s'opère rien de semblable dans les enfants par la foi d'autrui, elle les laisse éloignés de Dieu tant qu'ils n'ont point reçu le sacrement du baptême. Or, il convient plus à la bonté de Dieu de sauver celui qui est déjà revenu à lui, et qui le cherche, que celui qui est encore tout entier loin de lui et qui n'a en soi aucun principe de vie spirituelle. Ajoutez à cela que l'Eglise dont la charité maternelle donne tous les jours de nouveaux enfants au Christ, ne veut donner aux petits enfants le bénéfice de sa foi que par les moyens établis pour cela par Jésus-Christ lui-même, c'est-à-dire par le. baptême. (Note de Horstius.)
|