PRÉFACE II
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PENTECÔTE

SECONDE PARTIE DE LA PRÉFACE

NICOLAS, SECRÉTAIRE DE SAINT BERNARD.

 

XXXVI. Nicolas était Français de naissance et de sa jeunesse il avait embrassé la vie monastique à Montier-Ramey, monastère situé à quatre lieues de Troyes. Son esprit facile et insinuant lui fit gagner l'amitié de bien des gens, et comme il était fort instruit pour son siècle, il fut chargé dans son monastère de l'instruction des autres. Il sut se faire aimer des hommes les plus importants de son temps, tels que Atton, évêque de Troyes, Pierre le vénérable abbé de Cluny, Pierre de Celles, Henri, frère du roi Louis-le-Jeune, et d'autres encore.

XXXVII. La réputation et le génie de saint Bernard, non moins que sa sainteté, l'attirèrent à Clairvaux; une fois là il fit l'épreuve du genre de vie qu'on y menait et sollicita des plus anciens profès la faveur d'être admis parmi eux, en témoignant un égal désir de quitter une observance moins rigoureuse polir passer à une plus étroite. Il obtint sans peine leur consentement; de retour à son monastère, il pressa l'affaire, et, pendant l'absence de saint Bernard, il écrivit au prieur et aux anciens profès de Clairvaux une lettre qui est sa septième, avec cette suscription : « A mes Seigneurs et révérends Pères le prieur R. (Bualène), et son conseil. » Dans cette lettre, il prend toutes les formes et tous les sentiments; il loue le genre de vie des moines de Clairvaux, et insinue le désir qu'il a de les revoir et de se réunir. à eux. « Votre humilité et mon propre besoin me font concevoir de grandes espérances, mais ce qui m'en fait concevoir davantage encore c'est l'accueil que vous avez fait à mon néant. » Il fait connaître un peu plus loin en ces termes l'époque où il écrivit cette lettre. « Quelle sera ma joie à moi, qui suis assis dans les ténèbres et qui ne vois point encore briller à mes yeux la lumière du Ciel, je veux dire la lumière de Clairvaux? ô lumière qui descends du Père des lumières! ô Clairvaux où brillent les astres du firmament, et d'où est sorti celui qui plus grand que tous les autres, je veux dire le pape Eugène, éclaire maintenant toute la terre! » Ainsi c'est donc sous le pontificat d'Eugène et même la première année de ce pontificat que cela se passait; car Rualène qui était prieur de Clairvaux, devint cette même année abbé du monastère de Trois-Fontaines, près de Rome, à la place d'Eugène. Or, à cette époque, déjà Nicolas était entré à Clairvaux, comme on le voit par sa lettre quarante-troisième, bien que ces paroles « le pape Eugène, » semblent être passées de la marge dans le texte même de la lettre.

                 XXXVIII. Après cette première lettre au prieur et aux plus anciens religieux profès de Clairvaux, Nicolas en écrivit deux autres, l'une au frère Gaucher, de Clairvaux, pour lequel il s'était épris d'une grande affection, et l'autre à Fromond, qui avait été son hôte à Clairvaux; ces deux lettres sont les quarante-cinquième et quarante-sixième. Dans la première, il découvre, dans un style plein de chaleur et d'abondance, les voeux de son coeur et dit que le désir dont il est consumé est si vif « que les jours d'attente lui semblent des années. » Il lui dit qu'il n'a pas manqué au terme fixé, mais qu'il a eu tant à souffrir des importunités, des caresses et des menaces de ses frères de Montier-Ramey, que ce n'est qu'avec toutes les peines du monde qu'il a pu réussir à se séparer d'eux ; mais enfin il s'est arraché de leurs mains et « il est arrivé sans vêtements, sans argent, sans serviteurs et sans chevaux à la Rivaux, » qui était un monastère de Cisterciens, situé dans la campagne de Troyes, d'où il put gagner ensuite l'abbaye de Clairvaux. Mais il dit qu'il en fut tiré pour être conduit « au bout du monde, » à la réclamation de l'abbé de Montier-Ramey. — c'était l'abbé Guy, à la prière de qui saint Bernard composa l'office de saintVictor, — qui le fit peut-être enfermer dans un prieuré d'où il aurait écrit cette lettre remplie des expressions du plus ardent désir, ainsi que l'autre qui est adressée à Fromond à qui il la fit parvenir par un clerc qui s'était retiré avec lui là où il était. Dans sa lettre à Gautier, voici en  quels termes il parle de lui : « Sous les humbles livrées du Christ, j'étais plongé dans le gouffre des voluptés, et le patrimoine du crucifié, le prix des blessures de mon Seigneur, ne servaient à faire de moi, jusques dans le sanctuaire et même dans le Saint des saints un moine sans règle, un prêtre sans dignité. En allant à Rome, guidé par la curiosité plus que par tout autre sentiment, je m'étais fait un nom comme les grands de la terre; mais dans toute ma vie je ne me souviens pas d'avoir mené un seul jour une vie digne de ce nom. » Il ne se peut voir rien de plus humble que ce langage, s'il était celui de la conviction.

XXXIX. Enfin, s'étant mis d'accord, c'est le mot même qui sert de titre à sa lettre quarantième, s'étant, dis-je, mis d'accord avec son abbé, il fut reçu à Clairvaux avec son prieur Thibaut, qui quitta plus tard cette abbaye, et qu'il fit de vains efforts, dans sa lettre sixième, pour y rappeler. Sa conversion fit du bruit, et Brocard ou Burchard, abbé de Balerne, de l'institut de Cîteaux, ne put résister au besoin de le féliciter et lui écrivit, à cet effet, une lettre qui est la neuvième de la collection de celles de Nicolas, on y lit ces mots: « Je rends grâces au Dieu qui fait toutes choses nouvelles, du nouveau miracle qu'il a opéré dans le nouveau changement de Nicolas ainsi renouvelé. En lui faisant quitter l'habit noir pour le blanc, il a fait quelque chose d'aussi nouveau qu'admirable; mais ce qui me paraît bien plus admirable encore, parmi toutes les choses nouvelles qu'il a faites, c'est qu'il ait fait du moine noir que nous connaissions, le moine blanc que nous savons. » C'est en ces termes que les Cisterciens s'applaudissaient de leur prosélyte.

XL. A peine était-il profès chez les Cisterciens, qu'il devint secrétaire de saint Bernard. Ce dernier avait plusieurs secrétaires, à cause de la multitude des affaires qui retombaient sur lui. Le principal était Geoffroy; Nicolas vint après lui. Ce dernier se plaint de ses fonctions dans sa lettre quinzième, à un de ses anciens confrères de Montier-Ramey, mais on ne saurait dire, si ses plaintes étaient sincères. « Vous savez, lui dit-il, que je me trouve à présent au milieu d'hommes qui se distinguent par la sévérité de leur discipline, la gravité de leurs moeurs, la maturité de leurs conseils, le poids de leur autorité, et par la pratique rigoureuse du silence. Je neveux pas que vous croyiez que je me singularise, mais pendant qu on vaque ici à la contemplation, moi, j'ai la plume à la main, je tourne et retourne les tablettes, je travaille mon style et recherche les agréments de la composition littéraire. Du matin jusqu'au soir, je n'ai pas d'autre occupation. Que la responsabilité n'en retombe point sur ceux qui m'ont imposé ce fardeau et m'ont fait un devoir de passer mon temps à écrire des lettres et à répondre aux lettres des autres. »

XLI. Dans une autre lettre, sa trente-cinquième, il décrit ainsi son cabinet de travail: « J'ai un petit cabinet de travail dans mon cher Clairvaux, garni, ou plutôt caché par des instruments de travail céleste ; il a accès, par une porte, dans la salle des novices, où une foule de gens nobles et instruits, viennent enfanter l'homme nouveau dans les exercices d'une vie nouvelle... A droite, est le cloître où se promène la troupe florissante des religieux. C'est là que chacun, sous une discipline très-sévère, vient ouvrir les livres des saintes Ecritures, non pour gonfler de vanité les trésors de leur savoir, mais pour y apprendre l'amour de Dieu, la componction du coeur et la, vraie dévotion.... A gauche est le principal corps de logis avec le promenoir des infirmes, c'est là que, par une nourriture plus délicate, on va réparer les forces d'un corps exténué et brisé par les observances régulières, pour voler de nouveau, quand on a recouvré la santé et qu'on est revenu à un état meilleur, vers la troupe de ceux qui passent leur temps dans le travail et la prière, font violence au Ciel et conquièrent le royaume de Dieu. Ne croyez pas que ma petite demeure soit à dédaigner bien au contraire ; on ne peut la voir saps éprouver le désir d'y habiter, sans être charmé de son aspect et sans la trouver admirablement favorable à la retraite. Elle est remplie de livres de choix et divins; en les apercevant mon coeur se réjouit, ressent plus vivement le mépris des vanités du monde, et se rappelle qu'il n'y a dans le monde que vanité, que tout est vanité, et qu'il n'y a rien de plus vain que la vanité. C'est là que je lis, que j'écris, que je dicte, que je médite, que je prie et que j'adore la majesté du Seigneur. » Mais Nicolas ne passait pas son temps seulement à copier des livres. Il en faisait aussi commerce, comme le prouve sa lettre quarante-neuvième à Pierre de Celles, où il dit entre autres choses: « Je vous écris ces choses, mon doux ami, avec une multitude d'interruptions, car il m'est impossible de vous écrire autrement tant je suis pris, tiraillé par une multitude de choses, mais du moins c'est de ma propre main que je vous écris. Tout ceux qui ont quelque affaire viennent me trouver, or, je suis seul pour les recevoir et je pourrais dire avec le saint homme Jacob c'est sur moi que tout le mal retombe. »

XLII.   On voit par là que Nicolas avait d'autres secrétaires sous ses ordres. L'un d'eux était Gérard de Péronne, son ami particulier, « le collaborateur intime de mes écritures,» dit-il dans sa lettre dixième. Il en parle souvent dans ses autres lettres. C'est à ce même Gérard et an moine Henri, de la famille royale, que Nicolas à dédié ses lettres.

XLIII. Il était en commerce de livres très-suivi avec Pierre de Celles et plusieurs autres. Sa lettre trente-quatrième, à Amédée, évêque de Lausanne, est une de celles qui ont trait à ce trafic. On y lit ces mots: «Je vous envoie le livre d'Anselme sur le Saint-Esprit, bien ponctué, si je ne me trompe, et bien corrigé. » Il ne prêtait ordinairement ses livres qu'à la condition, qu'en les lui renvoyant; on lui en remettrait un exemplaire de, plus. C'est en effet, la demande qu'il adresse à Pierre de Celles dans sa lettre vingt-quatrième. Lui ayant envoyé deux volumes de saint Bernard, il lui dit: «Hâtez-vous d'en faire le plus promptement possible une copie pour me l'envoyer, et répondez ainsi à la peine que je me donne, selon nos conventions. Faites-moi parvenir aussi les exemplaires que je vous ai envoyés, avec la copie que vous en aurez fait faire, selon ce qui a été convenu; veillez bien surtout à ce qu'il ne manque pas un iota. » Voilà ce qu'on lit dans une de ses lettres à Pierre de Celles. Il empruntait aussi lui-même des livres aux autres, comme on le voit dans sa lettre dix-septième à Pierre doyen de Troyes, où il dit: « Renvoyez-moi les lettres de monseigneur du Mans; je me propose de les copier. » Bien plus, il écrivit à Philippe, prévôt de l'Eglise de Cologne et chancelier de l'empereur, au nom de son frère Philippe, pour le féliciter de ce qu'il allait entreprendre le voyage de la Terre sainte et il lui demanda sa bibliothèque qui était fort riche. Voici en quels termes il s'exprime dans sa lettre vingt-neuvième: « Songez à laisser aux pauvres du Christ, qui prieront et pleureront pour vous, le trésor inestimable que vous possédez, je veux dire cette belle bibliothèque que vous avait formée d'une manière admirable et incomparable; et le Dieu de notre salut vous accordera un heureux voyage. »

XLIV.  Pour vivre en plus parfait religieux, Nicolas, à l'exemple des moines de Claivaux, ne veut point se permettre de lire des vers, et, dans une pensée analogue, il renvoie à un de ses amis une tunique qu'il en avait reçue et qu'il ne jugeait point assez simple pour son ordre. Quant aux vers, voici en quels termes il s'exprime dans sa lettre quinzième: « Je n'ai pas encore entre les mains les vers de mon ami, ou plutôt de notre ami Gautier. Mais si je les avais, je ne les lirais pas , attendu que nous nous interdisons tout ce qui est écrit en vers. » Eudes, abbé des religieux noirs de Pottières, lui avait envoyé une tunique en signe d'amitié. Nicolas la lui renvoie avec force remerciements et une lettre, sa vingt-septième, dans laquelle il lui dit: « Cette tunique fait trop d'effet et est d'un trop haut prix pour moi; elle n'a qu'un défaut, c'est d'être trop belle. » Puis il ajoute: « Je ne veux, ne puis et ne dois point la porter. On ne me verra point au milieu de mes frères, qui n'ont que des baillons et un mauvais ceinturon pour vêtements, couvert de pourpre et vêtu d'une tunique Non, non jamais je ne consentirai à recouvrir de nouveau ma chair de péché d'habits splendides, de peur qu'elle ne se laisse encore aller à ses folies. Je vous renvoie donc cette tunique, puisque personne parmi nous n'oserait et ne saurait la porter. Mais vous, mon père, revêtez-vous en, puisque votre ordre et votre rang le permettent. Car lorsque vous portez la tunique, vous ne faites qu'ajouter à vos coutumes; or, vous savez de qui sont ces paroles: «Tout ce que vous dépenserez de plus, je vous le rendrai à mon retour. »

XLV. Il y a trois choses à remarquer dans ces lignes; d'abord on voit par ces mots « un ceinturon » (semicinctorium) de la lettre de Nicolas, que les Cisterciens à cette époque, se ceignaient les reins d'un ceinturon. Que faut-il entendre par là ? C'est ce que nous apprend Herbert, livre I des .Miracles de Clairvaux, chapitre IV; en nous disant au sujet de Schocelin, ermite des environs de Trèves: « Cet homme malgré ses richesses qui étaient considérables, n'avait autour des reins qu'un ceinturon aussi pauvre qu'étroit, qui lui descendait à peine jusque sur les cuisses quand il était forcé de paraître devant quelque un.» On appelait autrefois ce ceinturon lombaire ou brayer. Il est vraisemblable que, dans le principe, les Cisterciens firent usage de semblables ceinturons, surtout quand ils n'avaient qu'une tunique pour tout vêtement; la décence devait même alors en faire une nécessité, puisque pour le travail manuel ils étaient obligés de se débarrasser de leur cucule. Il faut encore remarquer la raison qui fait dire à Nicolas, que porter la tunique c'est « ajouter aux coutumes de l'ordre » de l'abbé de Pottières. Ce religieux avait fait profession selon la règle de saint Benoît qui permet, entre autres choses à ses disciples, l'usage de la tunique, comme on le voit par ce chapitre LV. Cela est vrai: mais à cette époque il était d'usage parmi les moines de porter la soutane, non la tunique qui ne descendait qu'au milieu des jambes, telle que l'avaient alors les religieux de Cîteaux. Mais l'abbé Eudes pouvait-il, comme le dit Nicolas, « dans son ordre et dans son rang, » porter lui-même cette tunique, qui certainement était blanche ! Est-ce qu'il était loisible alors à un moine noir de se mettre en blanc! On ne s'expliquerait pas, s'il en était ainsi, pourquoi il s'éleva entre eux une controverse si vive au sujet des vêtements blancs et des vêtements noirs. Il est vrai qu'en certains pays les bénédictins portaient une tunique blanche, mais ils avaient la cuculle poire, tandis que les Cisterciens l'avaient blanche comme la tunique. Ainsi dans le Cerémonial d'Aniane, qui était en usage à cette époque chez les moines noirs, on voit à plusieurs places des religieux représentés avec la tunique blanche et la cuculle noire, ce que nous avons remarqué encore dans d'autres peintures et surtout dans le livre sur la Croix, de Raban Maure, où il est représenté vêtu de blanc. La controverse qui s'est élevée alors entre les Clunistes et les Cisterciens ne portait point seulement, il faut le reconnaître, sur la couleur de la cuculle, mais aussi sur celle de la tunique comme on peut le voir par la lettre deux cent vingt-neuvième de Pierre le Vénérable, n. 22; néanmoins l'usage n'était point partout le même chez nous. Mais depuis que la coutume s'est établie parmi les moines blancs, de porter la toge pardessus la tunique, de déposer la cucule quand on n'est pas au choeur, ce qui n'était point permis autrefois , même pour se mettre au lit, on trouva que la toge suffisait avec le scapulaire, comme vêtement religieux, et ors la fit partout de drap noir, en conservant la tunique blanche. Plus tard on remplaça la toge par l'étamine, par dessus laquelle on porta la tunique, qui maintenant est noire. Dans le principe les Cisterciens ne portaient que la tunique et la cucule, qu'ils remplaçaient même souvent par le scapulaire et ne voulaient point porter de toge, soit simple, soit garnie de fourrures, non plus que d'étamines.

XLVI. Revenons à Nicolas qui ne négligea rien pour se conserver par une correspondance bien suivie, les amis qu'il avait su se faire, quand il était dans son premier monastère de Montier-Ramey, permi lesquels nous citerons surtout Pierre de Cluny et Pierre de Celles. Nous n'avons que deux lettres de lui à Pierre de Cluny antérieures à son départ de l'ordre de Cîteaux, ce sont les deux dernières de la collection de ses lettres; mais nous en avons bien plus de celles qu'il a adressées à Pierre de Celles, dont la première est sa vingtième lettre; il l'a écrite au nom d'un moine nommé Adam qui avait quitté l'abbaye de Celles pour venir à Clairvaux. La seconde, est la vingt-quatrième de la collection de ses lettres. Nicolas l'écrivit en son propre nom : « A l'abbé de Celles, Dora Pierre, son plus tendre ami. » Dans cette lettre il le prie de vouloir bien entretenir avec lui un fréquent commerce dé lettres. Sa lettre vingt-huitième, a un titre à peu près semblable, elle est adressée : « A son spécial et presque unique ami, Pierre, abbé de Celles. » Il en est de même de la suscription de la lettre quarante-huitième. Celle de la lettre suivante est plus intime encore : « A son chef. » Le titre de la cinquante-deuxième, car je passe celui de la cinquante-et-unième sous silence, est conçu en ces termes: «Un ami de Clairvaux à son ami de Celles, son tout dévoué. » Si je m'arrête avec tant de soins à noter ces détails, c'est afin de montrer que Nicolas, avant son départ de Clairvaux, était connu de Pierre dé Celles sous les meilleurs auspices et regardé par lui comme un tendre ami, et qu'on ne saurait en conséquence le confondre avec cet autre Nicolas d'Angleterre, que Pierre de Celles déclare ne pas même connaître de vue, et dont il repoussa les attaques qu'il osa diriger contre saint Bernard après sa mort.

XLVII. Pendant son séjour à Clairvaux, Nicolas le Français écrivit diverses lettres au nom de différentes personnes, et particulièrement au nom de saint Bernard lui-même, du prieur Rualène et d'autres religieux, faisant un recueil de cinquante-cinq lettres, qu'il dédia « A ses bien-aimés frères Girard et Henri, » c'est-à-dire à Girard de Péronne et à Henri fils de Louis le Gros et frère de Louis le Jeune, alors religieux à Clairvaux, au nom desquels il en écrivit aussi plusieurs. Parmi les lettres qu'il écrivit au nom de Rualène, il y en a une où il s'est glisse un titre erroné, c'est la vingt-troisième, dont la suscription est conçue en ces termes: « A Monseigneur et révérend Hugues, archevêque de Tours, le frère R. » Celui qui a faussé le titre de cette lettre l'a ainsi composé : « Au nom du prieur de Ridal à l'archevêque de Tours. » Jean Picard fait remarquer en marge que Ridal est une abbaye de Cisterciens, située dans le diocèse d'York, en Angleterre, ce qui est juste. Or quel rapport pouvait-il y avoir entre l'archevêque de Tours et cette abbaye-là? Mais il est certain que cette lettre a été écrite au nom du prieur Rualène, dont le nom indiqué par l'initiale seulement dans la suscription de la lettre, a donné lieu à l'erreur dont nous venons de parler. Il s'en trouve une pareille dans la lettre vingt-cinquième.

XLVIII. Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, ressentait, comme nous l'avons déjà vu, une affection, très-vive pour Nicolas, que saint Bernard se plaisait même à lui envoyer de temps en temps pour se communiquer mutuellement par lui leurs plus secrètes pensées. On peut lire à ce sujet une lettre de Pierre le Vénérable, qui se trouve la deux cent soixante-quatrième de la collection de celles de saint Bernard. Mais, ô malheureuse condition de l'homme, Nicolas, abusant de confiance et de la bonté de saint Bernard, en vint au point de se servir de son sceau pour une fin mauvaise, et enfin à se séparer honteusement de lui.. On ignore s'il s'en est jamais sérieusement repenti. Pour ce qui est de l'abus qu'il avait fait du sceau de saint Bernard, ce dernier y fait allusion dans sa lettre deux cent quatre-vingt-quatrième au pape Eugène, où il dit, sans nommer Nicolas, car il était la charité même : « Moi aussi, j'ai été exposé aux coups des faux frères: bien des gens ont reçu, comme de moi, des lettres falsifiées et scellées de mon sceau contrefait; ce qui me peine le plus c'est qu'on m'assure que vous en avez vous-même reçu aussi quelques unes. » Il déplore ce funeste événement, dans une autre lettre, sa deux cent quatre-vingt-dix-huitième au même pape Eugène; mais cette fois il nomme le coupable, son crime était connu. « Le moine Nicolas n'est plus chez nous, dit-il, il ne s'y trouvait point avec ses pareils : il a laissé en partant de tristes souvenirs parmi nous. Il y avait longtemps déjà que j'étais informé de sa conduite, mais je patientais toujours, dans l'espérance que Dieu toucherait son coeur ou que, nouveau Judas, il se découvrirait lui-même. (Quelle longanimité de sa part!) C'est ce qui est arrivé. Je l'ai trouvé nanti, à      son départ, non-seulement le livres, d'or et d'argent, mais encore de trois sceaux, dont un à lui, le second au prieur et le troisième à moi... Mais je ne veux ni fatiguer vos oreilles, ni souiller mes lèvres du récit de toutes ses infamies; toute la contrée les connaît et en a horreur. » Saint Bernard ajoute que s'il se rend à la cour de Rome, comme il l'a annoncé avec une sorte de jactance: il n'est personne plus digne que lui de s'y voir condamné « à une réclusion perpétuelle, »   La sortie de  Nicolas se place à l'anné 1151, comme on le voit par la lettre deux cent quatre-vingt-dix-huitième de saint Bernard au pape Eugène, datée de cette année-là même, et par une de Pierre le Vénérable, la trois cent quatre-vingt-dix-huitième, sur l'élection de l'évêque de Grenoble qui eut lieu cette même année, et dans laquelle Pierre le Vénérable représente Nicolas comme un messager aussi cher et fidèle à saint Bernard qu'à lui-même.

XLIX. On croit généralement qu'il s'enfuit en Angleterre, où il se serait réfugié dans le monastère de Saint-Alban, et on le confond avec un certain Nicolas, qui, après la mort de saint Bernard, fit connaître et attaqua l'opinion de ce saint Docteur sur la conception de la sainte Vierge et fut réfuté par Pierre de Celles. Il est vrai que cet adversaire de saint Bernard se nommait aussi Nicolas, mais il est constant aussi qu'il était anglais, comme on le voit par deux lettres de Pierre de Celles, la vingt-troisième du livre VI, et la dixième du livre IX. Dans la première, Pierre de Celles dit : « Que la légèreté anglaise ne se fâche point si la maturité française l'emporte sur elle... J'ai éprouvé que les Anglais étaient bien plus rêveurs que nos Français. » Dans la seconde il s'exprime ainsi: « Le Français tiendra l'Anglais enfermé et garrotté dans son antre. » Cette manière de parler prouve que ce Nicolas était un anglais, mais de plus on voit par les derniers mots de la lettre de Pierre de Celles, qu'il lui était même inconnu de visage : en effet « je voudrais bien te voir face à face lui dit-il, toi dont les beaux écrits ont retenti si souvent à mes oreilles. » Je ne parle point de la différence de style; celui de l'Anglais est rude et souvent pénible, tandis que celui de Nicolas de France est plus agréable et plus travaillé. D'ailleurs, on sait que le Nicolas de Clairvaux était bien connu de Pierre de Celles avant sa fuite et lui était lié d'amitié; qu'il n'était point Anglais mais Gaulois ou Français. Il n'y a donc pas moyen de le confondre avec le Nicolas d'Angleterre.

L. Mais où donc, me dira-t-on, se retira notre Nicolas ? Après avoir porté ça et là ses pas errants, il finit par revenir à son premier monastère de Montier-Ramey, lorsque, saint Bernard étant mort, il put espérer d'y vivre en paix et en sûreté. C'est ce qui résulte de la lettre cinquante-neuvième de l'évêque de Lisieux Arnoul à Nicolas et de celle de Nicolas lui-même à Guillaume, évêque de Reims, que V. Cl. Etienne Baluze a publiée dernièrement dans le tome second de ses Mélanges. Cette dernière lettre certainement n'est pas antérieure à l'année 1176 qui est celle où Guillaume devint évêque de Reims. Il le loue, dans cette lettre, de l'avoir reçu dans le sanctuaire de son amitié et de ne se point prêter à la détraction et à la calomnie que Nicolas redoutait en effet beaucoup. Ensuite il s'excuse de ne lui avoir point fait de visite depuis longtemps et il ajoute, ce qui nous intéresse à savoir : « Vous donnerai-je pour excuse la difficulté des chemins et la longueur de la route qui sépare l'église de Reims de l'abbaye de Montier-Ramey? » Il est évident par là qu'à l'époque où il écrivait cette lettre, il était revenu à Montier-Ramey. « Mais la distance qui nous sépare n'est pas longue, la route est unie, et, d'un bout à l'autre, habitée par de nombreux amis.

LI. Que faisait-il à Montier-Ramey et à quel titre s'y trouvait-il ? c'est ce que nous apprennent les lignes suivantes, dont nous n'extrairons que ces mots: c Ajouterai-je que je n'ai pas la permission d'aller vous voir? Mais je vais et viens comme il me plaît, et je suis tous les jours dehors. Je pourrais alléguer ces raisons si je dépendais de quelqu'un et si je n'étais point libre de ma personne. » Ainsi, nous voyons qu'à Montier-Bamev, il vivait dans une complète indépendance. Il était bien triste pour un homme qui avait été le disciple et le secrétaire de saint Bernard, d'en être venu là ! Mais faut-il s'étonner de cette chute quand on voit les anges mêmes tomber du ciel ? Mais on reconnaît eu lui toujours la même vanité quand il fait gloire encore, comme autrefois, de la multitude de ses amis. Ainsi, dans une lettre qu'il écrivit à peu prés dans le même temps que la précédente, à Henri, comte de Champagne, et qui se trouve reproduite dans le même volume des Mélanges, il dit: « Dès ma jeunesse, je me suis plu dans l'amitié des grands et des princes de ce monde, mais je vous suis toit particulièrement redevable, à vous, par droit de naissance, de ce que je suis, et par droit d'amitié, de ce que je puis. » Il suit de ces paroles que Nicolas était par sa naissance originaire de Champagne, dont Henri était seigneur. On ne peut attribuer sa chute, comme celle de beaucoup d'autres, qu'à un vain sentiment de gloriole et d'orgueil. On voit clairement combien il fut dévoué à Henri, comte de Champagne et de Troyes, par deux de ses lettres, dans l'une desquelles il lui dédie ses sermons, qu'on a publiés dans la Bibliothèque de Cîteaux; voici la suscription de cette lettre : « A Henri, mon seigneur particulier et mon bienfaiteur, etc. » L'autre porte : « A son sérénissime prince et très-cher seigneur, etc. » Elle se trouve imprimée dans le tome second de Baluze; on y lit: « J'envoie à votre sublime personne quelques lettres que j'ai eu occasion d'adresser pendant ces deux dernières années, ;soit au Pape, soit au chancelier de la cour de Home, soit, enfin à quelques personnages de qualité. » Mais il paraît, d'après la lettre quarante-neuvième d'Arnoul, évêque de Lisieux, « Au moine Nicolas, du monastère de Montier-Ramey, » qu'il abusa de l'autorité de ce prince; en effet, dans cette lettre, il parle d'un certain chanoine de mauvaise vie, disciple de Nicolas, que celui-ci dit avoir reçu « une dernière fois en grâce, » à la recommandation d'Arnoul, qui prétend de son côté ne l'avoir point recommandé.

LII. On voit par tout ce que nous venons de rapporter, quel homme était ce Nicolas; il était d'une caractère vain, inconstant, inquiet, et tel qu'on ne pouvait attendre presque rien de bon de lui. D'ailleurs, nous ignorons quelle fut sa fin. Il me reste maintenant, selon ce que j'ai promis plus haut, à donner ici un spécimen du premier sermon de saint Bernard, traduit en français, tel qu'il se trouve dans le manuscrit des Feuillants de Paris. En voici le titre et le commencement.

 

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CI ENCOMIMENCENT LI SERNON SAINT BERNAVT KIL, FAIT DE L'AVENT ET DES ALTRES FESTES PARME LAN.

 

1. Nos faisons vi chier Freire lencomencement de lavent, cuy rions est asseiz renomei2 et connuiz al monde, si cum sunt li nom des altres sollempniteiz, mais li raison del nom nen est mie paraventure si conue. Car li chaitif fil dadam nen ont cure de verileit, ne de celles choses ka lor salvaleit aparlienent, anz quierent... les choses... faillani, et trespessaules. À quel gent... nos semblans... homes de cette generation, ou a quei gent evverons nos ceos eui nos veons esire si ahers et si enracineiz en terriens solaz, et eus corporéiens kit repartir ne sen puyenl ? Certes semblant surit a ceos qui plongiel sunt en aucune grant cuve, et ki en péril sunt de noier. Tu varoyes kit ceos liment kes lienent, ne kit par nule raison ne vuelent devverpir ceu ou il primier puyent mettre lor mains quels chose ke ce soit, aneor soit ceu tels choses ke ne lor puisl niant aidier, si cum surit racines derbes ou alires tels choses. Et si aucune gent vienent a ols por ols ososcor, si plongent ensemble ols ceos kit payent aggrappeir ensi kit a ols nen a ceos ne puyent faire nule ajué. Ensi perissent li chaitif en cette grant nier ke si est large, quant il les choses ki perissent ensevent et les estaules layent aleir•, dont il poroient esire delivreit del péril ou il   sunt.... prennoyent et salveir loi' airmes. Car de la verileit est dit, et ne mies de la vaniteit, Vos la conesseriz, et ele vos deliverrat. Mais vos eheir Freire, a cuy Deus revelet, si cttni a ceos ki petit sunl cetts choses, ke receleis sunt as saige... senneiz vos soiez entenduit eus encenousement erécor celes choses, ke vrayement aparlienent a vostre salveteit: et si penseiz di merremeni a la raison de ces  avenement, quareiz et encerehiéz ki test soit ki vient, et dont il vient, ou il vient, et por kai il vient, quant il vient, etpar quel voie il vient. Cerles molt fait aloeirceste curiosileiz, et moli est saine. Car lote sainte Eglise ne ceieberroit mies si devotement test avenement, saucuens granz Sacrement esloit en lui receleiz.

2. Tot a premiers sesvu- dez ensemble lapostle ki de ce venement est toz enbahy, etc.

3. Por Deu chier Friere fuyez orgoil, et forment lo fuyez. Orgoilz est commencement de lot péchiez, ki si hisnelement abattit en parmenanl... Luciferum, ki reluisoit plus kler ke ioles les esloiles, ki un Engle ne muai mies en diaule , mais me lo prince des Engles, qui aparmemes ot envié de lomme, et si mist en luy la félonie, kit avoit conceut en luy mismes, quant il li semonut kit seroit si cum Deus saichanz bien et mal, sil maingieuet de larbre ki de fendus li estoit. Chaili f malaurous ke promes tu, cum, ce soit ke li Fils del haltisme ait la cleif de science. Anz est il mismes li cleif David, qui clot et nul ne avurel. En lui sunt reponuit luit li tressor de sapience et de science. Embleras les lu dons por doneir a tomme. Or puez veor ke menteires est cist et ses peires selon la sentence de notre Signor. Il fut menteires quant il dist kit semblant seroit al haltisme: et peines fust de la menzonge, quant il lenvelirneie semence rte la falseteil gillatassi... enhomme, quant il dit quit seroient si cum Deu. Et tu assi o tu homme tu vois lo lairon, et si cours ensemble lui. Vos aviez otit, chier Freire, ceu cum leist anuit en Ysaié la Pro fete, lai ou nostre Sires dist, Li prince de ton peule sunt inobedient et eompaignon de lairons.

4. Par verileit nostre Prince jurent inobedient et compaignons de tairons. Cest Adam et Eve ki furent li encomencemet de nostre lignieié, ki par lo consoil del serpent, mais del diaule par lo serpent vorrent oralement traire en ols ceu kapartient solement al Fil de Deu, Nem a ceste fieié ne mût mies li Peines en respit la torture cum faisoil al fil. Car li Peires aiment le Fil, anzlo venuit aparmêmes assi de lome, ot si apeësel son noz toz sa... Car nos pechames tuil en Adam; et en lui receumes luit la sentence de dampnation. Et ke feroit li Fil... il por luy avengier veoit si enmeut lo Peine kit a nule créature nen espargnieuet, assi cum il desist. Por mi pert mes (Peires) toiles ses créatures. Li premieres Engles se volt esleveirà ma haltesce, et si ost granl compagniéé ki a lui consentit: mais li amors ke li Peires al vers mi prist a parmémes venjance de luy, ensi kit luy et lot les siens ferit de cruyer chastiement: et de plaié ke sancié ne puel eslre. La science ke meye est ausi volt ansi entrepenre li hom. Et il de lui nen ot mies assi piliet, ne lespar gnat ses oils. At dons Deus cure des beestes? Il n'en avoil fait mais ke dous nobles créatures ke renaules estoient, et que dovoient eslre beinaurouses, test Lengle et lime. Mais por mi ai parduit une grant partie dengles et oz les hommes. Donkes perceu kit saichenl ke ju aimme ausi lo Peire, si est droiz quil rezoivet parmi eeos quit ai parduit assi curas en une maniere parmi. Si par mi est leveiz cist lempez, si cum dist Jonas, prenneiz me, et si me gilliez en la meir. Tuit ont de mi envié: mais ju en vois, et si me demonsterray teils a ols, ke tait cil qui lor envie acoyseront et insevré me verront, seront bien aureil. etc.

 

 

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