RUFIN
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APOLOGIE DE SAINT JÉRÔME CONTRE LES ACCUSATIONS DE RUFIN.

 

J'ai lu la lettre que vous a inspirée votre sagesse, lettre remplie d'invectives contre celui que vous avez autrefois comblé d'éloges, que vous regardiez comme un collègue chéri et votre propre frère, et que maintenant vous appelez en discussion, et que vous cherchez à effrayer par des imputations criminelles.

J'ai vu que l'on pouvait vous appliquer en tous (388) points ce passage de Salomon : « L'arme de l'outrage se trouve dans la bouche des sots, et jamais la parole de la sagesse n'a été prononcée par un insensé qui ne dira que ce qui lui sera inspiré par la passion. » Isaïe a dit aussi : «L'insensé ne prononce que des paroles insensées; son coeur sera le siège de tous les vices; il mettra donc le comble à ses iniquités et ne craindra pas de mentir à la face de Dieu. » Était-il donc nécessaire de m'envoyer un volume de calomnies et de prononcer contre moi tant d'injures, si vous m'épouvantez à la fin de votre lettre par des menaces de mort, de sorte que je n'ose répondre non-seulement à vos accusations, mais encore à vos louanges? En effet, vous accusez et louez en même temps, et de la même source découle le doux et l'amer. Je vous en conjure, donnez-moi le premier l'exemple de cette humilité et de cette modestie que vous exigez de moi, et cessez vous-même de mentir, vous qui faites aux autres un crime de leurs mensonges. Quant à moi, je ne couvre personne d'opprobre ; je ne me constitue pas votre accusateur; car je ne songe pas à ce que vous méritez, mais à ce qu'il est de mon devoir de faire. Je redoute ces paroles du Sauveur : «Malheur à celui qui scandalisera un seul de ces petits enfants qui croient en moi! Il vaut mieux pour lui avoir une meule lie moulin suspendue au cou, et être précipité flans les abîmes de la mer. Malheur au monde à cause du scandale ! il est nécessaire qu'il existe ; mais malheur à celui qui l'occasionne! » Moi aussi, je pourrais amasser contre vous des calomnies ; dire que j'ai vu ou entendu ce qui n'est à la connaissance de personne ; je pourrais ainsi tromper des hommes peu instruits , faire prendre mes mensonges pour la vérité, ma fureur pour la modération. Mais je suis loin de vouloir vous imiter ; je refuse de faire ce que je vous reproche. Des bassesses ne peuvent être proférées que par celui qui en commet. L'homme pervers obéit à la voix de son esprit pervers, et ne parle  que pour nuire ; la bouche parle de l'abondance du coeur. Jouissez donc de votre succès, car votre ancien ami que vous accusez aujourd'hui dédaigne de vous couvrir d'opprobre. Cc n'est pas que je craigne vos calomnies, non, mais j'aime mieux être accusé qu'accusateur; j'aime mieux souffrir l'injure que la rendre. Je connais cette maxime de l'Apôtre: « Mes frères, ne vous vengez pas vous-mêmes, car le Seigneur a dit: La vengeance appartient à moi seul; moi seul je dois en disposer; il faut nourrir votre ennemi s'il a faim , lui donner à boire s'il a soif. En agissant de la sorte, vous amasserez des charbons ardents sur sa tête. » En effet, celui qui se venge lui-même, ne mérite pas que Dieu s'occupe de sa vengeance. Cependant, avant de répondre à votre lettre, je vais vous demander à vous, le plus ancien des docteurs, le meilleur des prêtres, le parfait imitateur du Christ : pouvez-vous perdre votre frère , lorsque la pensée seule de la haine vous rend déjà homicide? N'avez-vous pas appris du Sauveur que lorsqu'on vous frappe sur une joue vous devez présenter l'autre? Lui même a dit à celui qui le frappait « Si j'ai mal parlé, prenez acte du mal que j'ai dit ; si j'ai bien parlé, pourquoi me frappez-vous?» Vous me menacez de la mort, et les serpents peuvent me la donner. La mort est pour tous, l'homicide est le fait des scélérats, Qu'arrivera-t-il donc si vous me donnez la mort? Ne serai-je pas immortel? Que ne suis-je forcé de mériter ce bonheur ! Les opinions des apôtres ne furent-elles point partagées dans le cours de leur inaltérable amitié? Lorsque Paul et Barnabé furent en désunion au sujet de Jean , surnommé Marc , la mer sépara-t-elle ces Hommes que l'Évangile du Christ avait si étroitement liés? Le même Paul ne résista-t-il pas à Céphas qui ne marchait pas droit dans le sentier de l'Évangile? Et cependant il l'appelle son précurseur et la colonne de l'Église; il vante sa prédication pour ne pas rendre ses travaux inutiles. Est-ce  que les fils ne peuvent pas être au sujet de la religion en opposition avec leurs pères, les époux avec leurs épouses, sans pour cela détruire la tendresse qu'ils ont l'un pour l'autre? Si vous pensez comme je pense, pourquoi me haïssez-vous? Si vous pensez autrement , pourquoi voulez-vous me. faire périr? Faut-il tuer celui qui a une opinion différente de la vôtre? Je prends Jésus à témoin de ma conscience, lui qui doit juger mes écrits et les vôtres. Je voulais garder le silence d'après l'avis du saint évêque Chromatius, je voulais terminer tout d'un coup nos différends et vaincre le mal par le bien. Mais puisque vous me menacez de mort si je ne garde le silence, je me vois forcé de répondre , de peur (389) qu'en me taisant je ne paraisse approuver l'inculpation, et qu'une si grande modération ne paraisse être la preuve d'une mauvaise conscience. Voici votre dilemme : ce n'est pas l'art de l'éloquence que vous ignorez qui vous l'a inspiré, mais votre coeur, mais votre esprit de bourreau. Si je garde le silence, je suis coupable; si je réponds, je suis un méchant. Vous me forcez donc en même temps de répondre et de garder le silence. J'adopterai un terme moyen. Ainsi, je détruirai vos calomnies, et je me garderai bien de proférer des injures; car qui ne craint celui qui est prêt à tuer? Je suivrai pied à pied votre proposition, et je laisse de côté ces livres si savants que j'ai réfutés avant d'en avoir fait lecture. Vous prétendez que vous n'avez fait connaître mes fautes qu'à ceux que mes paroles ont blessés, et non à d'autres personnes ; car il ne faut point parler par ostentation, mais seulement pour le bonheur des chrétiens. Mais, je vous le demande, comment le bruit de vos écrits est-il parvenu jusqu'à moi ?qui les a répandus dans Rome? dans l'Italie? dans la Dalmatie? Si mes fautes étaient un secret pour vous et pour vos amis, comment leur récit est-il venu frapper mes oreilles ? Vous osez dire que ce n'est pas par ostentation, mais seulement pour le bonheur des chrétiens que vous, vieillard, vous vomissez contre un autre vieillard tant d'injures, des injures que l'assassin craindrait de proférer contre le voleur, la prostituée contre le libertin, le bouffon contre le comédien! Vous me jetez au visage une foule d'accusations, et vous me percez le coeur de traits acérés que vous aiguisez depuis longtemps. Etait-ce pour publier mes louanges que vous avez envoyé des courriers dans toutes les provinces? Etait-ce pour publier ma gloire qu'ils allaient dans les villes et villages et jusque dans les réunions de vieilles femmes? Est-ce là votre sainte modération; est-ce là le bel exemple que vous voulez offrir aux Chrétiens ; est-ce ainsi que vous êtes modeste et retenu ? C'était pour me raconter vos odieuses paroles que l'on venait en foule de l'Occident, et les récits s'accordaient si bien entre eux que je me vois forcé de répondre non à vos ouvrages que je n'ai jamais lus , mais aux opinions qui en résultent, et d'opposer le bouclier de la vérité aux traits du mensonge que vous lancez dans tout l'univers.

Votre lettre dit : « Veuillez ne pas corrompre mon secrétaire à force d'or comme l'ont fait vos amis pour s'emparer de mes faibles ouvrages que je n'avais pas encore revus ni terminés entièrement. Ils pouvaient alors altérer plus facilement ce que personne ou presque personne n'avait encore entre ses mains. Je vous conjure d'accepter ce livre que je vous offre gratuitement, que sans doute vous auriez voulu acheter bien cher. » Ne rougissez-vous pas de parler ainsi ? Moi ! corrompre à force d'or votre secrétaire? Quel est l'homme assez puissant pour lutter contre l'or de Darius ou de Crésus? pour ne pas craindre un nouveau Demaratus ou un nouveau Crassus? Vous êtes-vous endurci au point de placer votre espoir dans le mensonge, de le regarder comme une défense, et de penser que l'on ajoutera foi à toutes vos calomnies? Qui donc, à Bethléem, a été prendre, dans la chambre de mon frère Eusèbe, votre lettre louangeuse? Par quel artifice, par quelles machinations a-t-on trouvé dans le logement de Fabiola, et du prudent Occanus, ce vrai chrétien, un livre qu'ils n'avaient jamais vu? Croyez-vous donc vous faire passer pour innocent en attribuant aux autres vos propres fautes? Tous ceux qui vous blessent doivent-ils passer pour coupables, malgré leur franchise, malgré leur innocence? Car vous avez ce qui perdit la virginité de Danaë, ce que Giezi préféra à la sainteté de son maître, et Judas à son Sauveur. Cependant, voyons un peu ce que mon ami a pu dénaturer de vos écrits que vous n'aviez pas encore relus ni corrigés, comment il lui aura été d'autant plus facile de les falsifier, que personne ou presque. personne ne les possédait encore.

D'abord, je vous ai écrit, et je prends Dieu à témoin que je n'ai pas plus approuvé cette accusation que je n'approuve toute celle d'un chrétien contre un autre chrétien. En effet,qu'était-il nécessaire de faire connaître, au risque de scandaliser ou de perdre bien des hommes, ce qui aurait pu être repris ou dénoncé en secret?

Mais comme chacun a ses passions, comme l'ami n'est pas maître de la volonté de sou ami, comme je désapprouve une accusation même justement méritée, de même je ne puis soupçonner que vos écrits aient été falsifiés par un homme d'une sainteté reconnue. Et, en vérité, quels changements un homme qui ne connaît (390) que le latin, peut-il faire dans la langue grecque? Peut-on ajouter ou retrancher un seul mot à des écrits où les phrases sont tellement enchaînées que l'une dépend de l'autre , où le moindre changement est aussi apparent qu'une pièce sur un manteau? Faites vous-même ce que vous me recommandez de faire. Comportez-vous au moins avec un peu de la retenue d'un homme sinon d'un chrétien. Croyez-vous donc qu'après avoir méprisé et étouffé la voix de voire conscience , vous pourrez vous justifier par de vaines paroles, vous que les faits accablent? Si Eusèbe a acheté au poids de l'or vos écrits encore imparfaits, pour les falsifier, présentez ceux qui n'ont pas été altérés, et si vous parvenez à me prouver qu'ils ne contiennent rien d'hérétique, alors il sera coupable du faux. Tout ce que vous changerez , tout ce que vous corrigerez, ne pourra jamais me prouver  que vous êtes vrai catholique. Si l'erreur ne s'était glissée  que dans des mots ou dans quelques passages, on pourrait la faire disparaître ; mais lorsque partout se trouve la même proposition, lorsque vous dites que les créatures raisonnables qui se sont perdues par leur propre faute doivent se retrouver toutes dans le même état pour rencontrer ensuite de nouveaux écueils, que pouvez-vous corriger? Vous avez tout à détruire! Si vous suivez mes conseils, vous ne critiquerez plus les ouvrages des autres ; car vous aurez assez de vous occuper des vôtres. Je ne puis comprendre votre raisonnement de quelque manière que ce soit; vous prétendez que c'est parce que vos écrits étaient imparfaits, et  que vous n'y aviez pas mis la dernière main, qu'Eusèbe a pu les altérer avec plus de facilité. Ou je suis peu intelligent, ou votre raisonnement est entièrement absurde et stupide. Si vos écrits n'étaient pas encore corrigés ni même achevés, ce n'est point Eusèbe qui est coupable, mais vous seul par vos retards et votre lenteur,vous qui avez négligé de les revoir.

On ne peut reprocher à mon ami que d'avoir livré trop vite au public ce que vous vous disposiez à retoucher peu à peu ; si , au contraire, comme vous le voulez, ces écrits ont été altérés par Eusèbe, pourquoi ne cessez-vous de dire et d'affirmer que l'on a mis au jour des ouvres ; imparfaites encore, et qui même n'étaient pas revues? Corrigées ou non corrigées, elles sont frappées de la même condamnation. Personne, dites-vous, ou presque personne , ne les avait à sa disposition; quelle contradiction dans ce peu de mots! Si personne ne les avait, comment quelques personnes les possédaient-elles? Si quelques personnes les possédaient , pourquoi prétendre qu'elles n'étaient au pouvoir d'aucune? Vous mentez lorsque vous dites que peu de monde les possédait, et que, d'un autre côté, vos propres expressions indiquent au contraire que personne ne les possédait. Qu'avez-vous fait de ce secrétaire que vous affirmez avoir été acheté? Dites son nom, la somme qu'on lui a versée, des mains de qui il l'a reçue; et, sans doute, vous avez rejeté loin de vous ce traître, vous avez repoussé de votre maison cet homme coupable d'une si mauvaise action. Mais voyez plutôt s'il n'est pas vrai qu'Eusèbe et d'autres personnes aient reçu vos écrits du petit nombre de vos amis qui en possédaient? Les divers exemplaires se ressemblent tellement et s'accordent tellement entre eux, qu'ils ne diffèrent l'un de l'autre par quoi que ce soit. Quelle est donc votre imprudence de livrer au public un ouvrage encore imparfait? Vos écrits n'étaient pas encore revus que déjà tout le monde avait lu des erreurs que vous deviez faire disparaître. Ne sentez-Vous pas que vos mensonges ne s'accordent pas entre eux ? Que vous a-t-il servi de vous écarter de l'opinion des évêques, d'engager une lutte et de vous faire condamner par vos propres discours? D'où l'on voit que, selon l'expression d'un grand orateur, vous avez l'intention de mentir, mais que vous n'avez pas ce talent. Je suivrai l'ordre de votre lettre, et je rapporterai même vos propres expressions. Vous dites : «J'ai t'ait l'éloge de votre éloquence dans mes écrits , je l'avoue , et ,je serais encore disposé à le faire, si, contre l'avis de votre cher Tullius, vous ne me l'aviez rendue odieuse par votre vanité. » Où ai-je vanté mes talents , moi qui ai reçu vos louanges avec peine? Est-ce que vous parlez ainsi, parce que vous ne voulez pas être flatté par de fausses louanges? Eh bien ! je vous attaquerai ouvertement, afin que vous sachiez ce que c'est qu'une accusation, vous qui dédaignez la louange.

Je n'étais pas assez sot pour vouloir faire connaître votre ignorance , que personne ne peut mieux relever que vous-même par vos écrits ; mais j'ai voulu faire connaître à vos condisciples qui n'ont point étudié la littérature (391) avec vous, les progrès que vous avez faits en Orient pendant trente années, vous qui regardez comme preuve d'un bon esprit le bavardage, la diffusion et la médisance. Vous dites : « Je n'emploie point la férule contre vous, et je ne prétends point faire apprendre les lettres à mon vieil écolier au moyen du fouet; mais parce que nous ne pouvons prévaloir contre la force de votre éloquence et les partisans de vos doctrines, et que vous nous éblouissez par des éclairs de génie , de manière que vous pensez voir partout des envieux, nous désirons à l'envi vous écraser, de peur que, si vous veniez à obtenir la première place parmi les écrivains, et à vous renfermer dans votre éloquence , comme dans une citadelle, il ne soit plus loisible à aucun de nous, qui voulons savoir quelque chose, de dire un seul mot. » Je suis philosophe, rhéteur, grammairien, dialecticien, je connais l'hébreu, le grec, le latin ; je parle donc trois langues. Et vous de cette tisanière vous en connaissez deux : vous vous exprimez avec tant d'art dans la langue des Grecs et des Latins , que les Latins vous prennent pour un Grec, et les Grecs pour un Latin ; c'est comme l'évêque Epiphane, surnommé Pentagloptos, parce qu'il parle en cinq langues contre vous et votre favori. En vérité j'admire avec quelle témérité vous osez dire d'un homme aussi capable : «vous consommé dans tant de sciences, comment pourrez-vous obtenir le pardon d'une faute, si vous venez à la commettre, et pourquoi ne pas garder toujours un silence modeste? » Quand j'eus lu ces mots, je crus avoir commis une faute quelque pai1, sachant que celui qui ne pèche jamais dans ses paroles est parfait, je me doutai qu'on ne manquerait pas de la publier à l'instant même où elle serait aperçue. En effet deux jours avant le départ du porteur de ces lettres, les injures que vous avez répandues contre moi vinrent frapper mes oreilles. Pourquoi proférez-vous des menaces et dites-vous : « Comment pourra-t-on vous pardonner si vous tombez dans l'erreur? Pourquoi ne pas garder continuellement le silence?» C'est peut-être le manque de temps qui vous a empêché de classer vos paroles ; peut-être aussi aviez-vous à accompagner un de ces hommes instruits qui se disposait à venir prendre dans mes opuscules un essai de votre brillante éloquence. Plus haut vous

vous exprimez ainsi: « Recevez gratuitement ce livre que, vous auriez peut-être voulu acheter bien cher. » Et maintenant vous parlez de l'éclat de l'humilité : j'ai voulu vous prendre pour modèle, mais votre messager se hâtant de retourner vers vous, j'ai pris le parti de m'adresser en peu de mots à vous-même, qui proférez tant d'injures, plutôt que de me plaindre plus longuement aux autres. Et en attendant vous jouissez hardiment de votre maladresse. Une seule fois vous faites un aveu , vous dites: « Vous condamner, inutilement quelques passages, puisque tous sont ouvertement condamnés par vous-même » Je ne vous ferai pas de reproches d'avoir admis comme acheté un livre qui a été véritablement acheté, puisque la marchandise vaut le prix. L'empressement que votre messager met à retourner vers vous ne me permet que de m'attacher au sens de votre grossier bavardage ; je ne vous parlerai ni de vos solécismes ni de vos barbarismes, mais je rendrai évidents vos mensonges, votre fourberie et votre impudence. Si vous m'écrivez seulement pour me donner des conseils et me corriger, prenez garde de produire trop de scandale, prenez garde que l'excès de l'un ne détruise les autres. Pourquoi faites-vous proclamer ces écrits par vos partisans dans tout l’univers? Où est donc ce redoutable syllogisme dont vous parlez, qui doit me forcer à garder le silence? Quel est donc l'homme que vous voulez corriger, excellent Mentor, en envoyant vos conseils à ceux qui n'ont commis aucune faute? Si c'est à moi que vous adressez vos reproches, comme vous ne m'avez pas écrit, je me servirai contre vous de vos propres paroles, et je vous demanderai, Mentor ignorant, qui prétendez-vous corriger? Sont-ce les hommes qui n'ont commis aucune faute , ou moi, à qui vous n'avez pas écrit? Croyez-vous donc que vos lecteurs soient assez sots pour ne pas saisir votre adresse ou plutôt votre ruse, semblable à celle du serpent, le plus rusé des animaux? Pourquoi exigez-vous de moi des avertissements secrets , moi que vous accusez à la face du monde entier? Et vous ne rougissez pas de revêtir vos mensonges du nom d'apologie ; et vous vous plaignez de ce que je présente un bouclier à vos traits médisants! Comme un homme religieux et saint , comme un homme plein d'humilité vous dites: Si j'ai commis une (392) faute, pourquoi vous adresser aux autres et non à moi seul? Je vous rétorque votre argument. Pouvez-vous en effet me reprocher une seule faute que vous n'ayez vous-même commise? Vous ressemblez à un homme qui, trouvant de la résistance dans son ennemi qu'il accable de coups de poings et de coups de pieds, lui demande s'il ne tonnait la maxime qui veut que lorsqu'on est frappé sur une joue on présente l'autre. Quoi donc, homme admirable, est-il écrit que lorsque vous me frappez et m'arrachez les yeux, je ne dois pas faire la moindre résistance, sans que vous me répétiez sans cesse les préceptes du Christ? Vous voulez faire sentir la subtilité de vos raisonnements, et en cela vous ressemblez aux jeunes renards qui habitent les cavernes du désert et dont parle Ezéchiel, dans cette phrase : « Prophète d'Israël , vous ressemblez aux renards du désert. » Voyez ce que vous avez fait , vous me flattez tellement dans vos écrits que si je n'avais pas repoussé loin de moi vos louanges et n'avais pas dit que j'étais entièrement l'ennemi de vos flatteries, on aurait pu me prendre pour un hérétique, moi qui ai résisté à vos accusations, moi qui , bien éloigné de vous porter envie, ai répondu aux calomnies et non au calomniateur. Vous vous indignez, vous vous mettez en colère et vous m'attaquez avec les écrits les plus violents, moi qu'autrefois vous combliez d'éloges. Vous les avez fait répandre et publier partout, et ils sont venus à ma connaissance de l'Italie, de Rome et de la Dalmatie. J'avoue qu'alors j'ai répondu à vos calomnies, et que j'ai employé toutes mes forces à prouver que je n'étais pas partisan de l'hérésie, J'avoue que j'ai envoyé vos écrits à ceux que vous avez blessés, afin que l'antidote détruisit aussitôt le poison. C'est pour cela que vous m'avez adressé vos premiers livres et la lettre dernière, qui m'accable d'injures et de calomnies. Que voulez-vous donc que je fasse , cher ami? Que je me taise? mais alors on me croira coupable. Que je parle? mais vous m'épouvantez par vos menaces de mort et vous parlez déjà non pas à la justice ecclésiastique , mais à celle des tribunaux. Qu'ai-je fait? qu'ai-je mérité? en quoi vous ai-je offensé? Est-ce en soutenant que je ne suis pas hérétique , que je ne mérite pas vos éloges? Est-ce en dépeignant dans un discours public, les ruses et les parjures de l'hérésie? Cela vous regarde-t-il, vous qui ne cessez de publier que vous êtes un vrai chrétien? Vous qui m'accusez plus souvent que vous ne vous défendez vous-même? Est-ce que ma défense est votre accusation? Ne pourrez-vous être orthodoxe sans prouver que je suis hérétique? A quoi peut vous servir mon amitié? Peut-on expliquer cette sagesse qui vous porte à accuser les autres lorsque vous êtes accusé vous-même? Vous êtes poursuivi? vous fuyez, et vous ne craignez pas de provoquer celui qui ne demande que du repos. J'en appelle au témoignage du Sauveur, que c'est malgré moi et avec répugnance que je m'abaisse jusqu'à vous faire une réponse; qu'il fallait toutes vos provocations pour me faire rompre le silence. Je vous le dis, enfin cessez de m'accuser, et je cesse de me défendre. Quel bel exemple pour ceux qui nous entendent, que la lutte de deux vieillards, surtout de deux vieillards qui tiennent à se faire passer pour catholiques ! Otons l'accusation d'hérésie, et nous n'avons plus aucun sujet de dispute. Condamnons la doctrine d'Origène, qui aujourd'hui est condamnée par tous, avec la même ardeur que nous la vantions autrefois. Donnons-nous la main, réunissons nos cœurs, et suivons d'un pas agile les deux soutiens de l'Orient et de l'Occident. Si nous avons protégé l'erreur dans notre jeunesse, nous devons nous corriger dans notre vieillesse. Si vous êtes mon frère, réjouissez-vous de ma conversion; si je suis votre ami, de même je dois vous féliciter du changement qui s'est opéré en vous. Tant que nous serons en inimitié, on croira que c'est la nécessité et non la conscience qui nous porte à embrasser la vraie foi; nos inimitiés réciproques nous ôtent à l'un et à l'autre le témoignage d'un sincère repentir; si nous croyons les mêmes choses, si nous avons les mêmes volontés, ce qui constitue une solide amitié, selon l'expression de Catilina lui-même, si nous haïssons d'une haine semblable et condamnons ensemble la vieille hérésie, pourquoi nous livrerions-nous bataille , nous qui attaquons et défendons les mêmes principes?

Pardonnez-moi d'avoir vanté le talent et le style d'Origène dans ma jeunesse, et lorsque je ne connaissais pas encore son hérésie, et moi je vous pardonnerai d'avoir fait dans votre vieillesse l'éloge de ses écrits. Vous avouez que vous avez reçu mes ouvrages deux jours (393) avant l’arrivée de ma lettre, et que c'est à cause de cela que vous n'avez pas eu le temps de me répondre. Vous dites d'ailleurs que si vous aviez pris vos dispositions et vous vous étiez préparé au combat, vous auriez paru non faire de simples reproches, mais lancer la foudre. Mais qui vous croira, homme sincère ? vous êtes comme le marchand d'Orient qui vend les marchandises qu'il a apportées et en achète d'autres pour retourner dans sa patrie, sans rester plus de deux jours à Aquilée. Qui vous a forcé de répondre si précipitamment à ma lettre ? Etes-vous plus éloquent lorsque vous polissez vos ouvrages pendant trois ans entiers , et qu'il n'est personne pour corriger vos bévues? Est-ce votre précipitation qui fait que votre discours, bien éloigné des règles que Pillas a tracées, ressemble à une mer embarrassée d'écueils? Votre mensonge est si évident que non-seulement je soutiens que vous n'avez pu me répondre en deux jours, mais que même il vous a été impossible de lire ma lettre en deux jours. De là il résulte ou que cette lettre a été écrite en plusieurs jours comme l'élégance du style le prouve, ou que vous êtes bien négligent, si votre style est diffus, puisqu'il serait pire avec le travail qu'avec l'improvisation.

Pourquoi hésitez-vous et prétendez-vous que vous avez traduit du grec, ce que moi j'avais rapporté avant vous dans un discours latin? Je ne comprends guère ce que vous voulez dire par là, à moins que vous n'accusiez encore mes commentaires sur l'Epitre aux Ephésiens ; et dans la croyance que je ne puis vous répondre à ce sujet, vous ne craignez pas de mettre le comble à votre impudence et tel est votre aveuglement, que vous fermez les oreilles à la voix de la persuasion. Dans mes commentaires, j'ai expliqué aux uns et aux autres mes opinions et celles des divers auteurs, exposant sans détour les pensées de l'hérésie et de la vraie foi. Or tel est vraiment l'usage des commentateurs et la marche que l'on doit adopter pour exposer les divers systèmes et expliquer ce qui nous parait vrai à nous et aux autres. Cette méthode a été adoptée non-seulement par les interprètes des saintes Ecritures, mais encore par les explicateurs des sciences profanes , tant grecques que latines. Dans votre discours sur le livre de l'Origine, vous ne pouvez agir de la même manière: c'est bien prouvé par votre préface, dans laquelle vous promettez que vous repousserez les erreurs, et que, de tout ce qui a été dit par les hérétiques, vous ne recevrez que le meilleur. De cette manière, tout le bien ou le mal que vous pouvez dire ne peut être imputé à l'auteur dont vous êtes l'organe, mais à vous seul qui interprétez. Vous énumérez aussi les crimes d'Origène; mais comme à ce sujet vous nous renvoyez à vos écrits, nous vous avons répondu avant même d'en avoir fait lecture.

Au sujet du livre de Pamphilius il m'est arrivé un événement, qui ne me couvre pas de ridicule, comme vous le dites, mais qui est assez plaisant. Après avoir dit que cet ouvrage était d'Eusèbe et non de Pamphilius, j'ai dit enfin que pendant plusieurs années j'avais bien pensé qu'il était de Pamphilius, et que l'exemplaire en avait été altéré par vous. Voyez combien je crains peu vos plaisanteries pour oser les reproduire ici. Nous avons reçu un exemplaire de votre ouvrage, comme s'il était de Pamphilius ; j'ai cru un chrétien, j'ai cru un prêtre, je n'ai jamais eu la pensée que vous puissiez commettre un tel crime. Mais dans le moment où tout l'univers s'occupait de la question d'Origène, je me suis appliqué avec plus de soin à rechercher les exemplaires ; et dans la bibliothèque de Césarée j'ai trouvé six volumes d'Eusèbe. Lorsque j'en eus fait lecture, je pris le volume que vous seul aviez mis au jour sous le nom d'un martyr : il parlait du Fils et du Saint-Esprit, et renfermait en grande partie des blasphèmes, la plupart altérés. C'est vous, Didymus ou un autre qui avez écrit ce que vous êtes convaincu d'avoir écrit si ouvertement dans l'ouvrage periarkon, et cela avec d'autant plus de raison, qu'Eusèbe, comme j'ai déjà dit dans deux de mes ouvrages, assure que Pamphilius n'a mis au jour aucun autre ouvrage que le sien propre. Dites-nous donc de qui vous tenez l'exemplaire, et, pour éviter l'opprobre , n'allez pas me nommer quelqu'un qui ait cessé de vivre, et, ne sachant m'indiquer l'auteur, n'allez pas rechercher un homme qui ne peut plus parler. Mais si ce mensonge prend sa source dans vos tablettes, il est évident que quand bien même je me tairais, vous ne pourriez vous empêcher de le savoir. Admettez comme vrai que le titre de ce livre et le nom de son auteur aient été changés (394) par quelques partisans d'Origène. Pourquoi l'avez-vous traduit en latin? c'est sans doute pour que le grand nom de ce martyr fasse adopter partout le monde les opinions d'Origène, sur la réputation et le témoignage d'un si grand écrivain. Il ne nous suffit pas de l'apologie de ce personnage éclairé, il faut encore que vous écriviez vous-même un livre pour le soutenir. Après avoir fait répandre ses ouvrages par vos partisans, vous traduisiez sans crainte du grec vos livres periarkon, et vous en faisiez l'éloge dans la préface, en disant que tout ce qui a été altéré par les hérétiques dans ces ouvrages, vous l'avez corrigé par la lecture des autres écrits d'Origène. Vous me louez aussi moi-même dans la crainte de trouver quelque contradicteur parmi mes amis. Vous publiez les vertus d'Origène. Vous élevez jusqu'au ciel mon élégance pour traîner ma foi dans la boue, vous m'appelez votre frère, votre collègue, vous affirmez que vous cherchez à être mon imitateur; et, après avoir vanté la traduction que j'ai faite des soixante-dix homélies d'Origène et de quelques commentaires sur l'Apôtre, où j'ai corrigé ce qu'il v avait de. défectueux, afin que les Latins n'y trouvent rien de contraire à la foi catholique, vous accusez aujourd'hui ces mêmes livres d'hérésie. Vous vous exprimez d'une toute autre manière sur celui-là même que vous avez vanté autrefois, croyant qu'il pensait comme vous; vous le condamnez parce que vous voyez en lui un ennemi de vos impostures. Qui de nous deux a calomnié le martyr? Est-ce moi qui proclame qu'il n'est point hérétique et qu'il ne peut être l'auteur d'un livre condamné par l'univers entier; ou vous qui, changeant le titre de l'ouvrage, avez mis au jour sous le nom d'un martyr les oeuvres d'un Arien? Vous ne vous contentez pas d'avoir scandalisé la Grèce, il faut encore que: vous scandalisiez les Latins, que vous défiguriez par votre version autant qu'il est en votre pouvoir un illustre martyr. Il est vrai que telle n'était pas votre intention, ce n'était pas pour faire condamner le martyr, ce n'était pas pour m'accuser, mais c'était pour soutenir contre nous les opinions d'Origène. Mais sachez que la foi romaine, célèbre par la tradition apostolique, ne se laisse pas prendre à de tels piéges; la voix d'un ange lui annoncerait une religion différente de celle qui nous est enseignée, que, soutenue par le grand nom de Paul, elle ne pourrait jamais se laisser égarer. Ainsi. mon frère, quoique l'ouvrage ait été falsifié par vous, comme on le croit généralement, soit par un autre, comme vous vous efforcez même de le prouver, soit que vous ayez pensé témérairement que les oeuvres d'un hérétique étaient d'un martyr, changez le titre et délivrez la simplicité romaine d'un grand péril. Il ne vous appartient pas de faire passer pour hérétique le plus illustre des martyrs, et pour ennemi de la religion du Christ celui qui a sacrifié sa vie pour elle. Dites plutôt : j'ai trouvé un livre, j'ai cru qu'il était d'un martyr. Ne craignez pas d'être puni, je ne vous poursuivrai pas, je ne chercherai pas des mains de qui vous l'avez revu; ou bien nommez quelqu'un que la mort a frappé, ou bien encore dites que vous l'avez acheté à un inconnu sur la place publique.

Et, en effet, on ne cherche pas votre condamnation, mais seulement votre conversion; il vaut mieux vous tromper que faire passer un martyr pour hérétique. En attendant , traitons ensemble et abandonnons le champ de bataille, Au jugement dernier vous verrez ce que vous aurez à répondre aux plaintes du martyr. Vous défendez ce que personne ne vous dispute et vous détruisez ce que personne ne réprouve. Vous répétez ce que vous avez lu dans mes lettres. Dites-moi qui vous a permis, lorsque vous interprétez quelque chose, de retrancher, de changer ou d'ajouter? Vous répondez aussitôt à vous-même et vous parlez contre moi ; mais je vous le demande, qui vous a permis de mêler dans vos commentaires, aux pensées d'Origène et à celles d'Apollinarius, vos propres pensées? Pourquoi ne pas vous entretenir seulement ou de vous, ou d'Origène, ou de tout autre? Lorsque vous agissez autrement, vous commettez la plus grande faute et vous oubliez le proverbe des anciens : les ;lenteurs doivent avoir de la mémoire. En effet, vous dites que dans nies commentaires il est des questions d'Origène et d'Appollinarius, et des opinions que j'attribue à d'autres écrivains. Comment pouvez-vous me faire un reproche de ce que quand j'écris cela, un autre le dit? Ainsi il y a quelqu'un de soupçonné; or ce quelqu'un, c'est un autre ou moi. Entre Apollinarius et Didymus il est une grande différence de raisonnement, de style et d'opinions. Lorsque sur un même point ils sont en (395) contradiction, je donne mon avis, dois-je à cause de cela être accusé d'avoir des opinions différentes? mais laissons cela.

Maintenant, je vous le demande, qui vous a condamné d'avoir supprimé, ajouté ou changé certains passages dans Origène, et qui, dans l'état de torture où vous vous trouviez en quelque sorte, vous a demandé si ce que vous aviez changé était bon ou mauvais?C'est en vain que vous feignez d'être innocent, c'est en vain que, par une question insensée, vous cherchez à éviter nos poursuites. Quant à moi, je ne vous ai pas fait un crime d'avoir traduit Origène selon vos caprices, car moi-même j'ai agi ainsi et avant moi Victorin Hilaire et Ambroise ; mais je vous ai fait un crime d'avoir corroboré la traduction hérétique dans votre préface, par votre propre témoignage. Vous me forcez de répéter les mêmes choses et de marcher dans un sentier déjà battu. Vous dites dans la même préface que vous avez retranché ce qui avait été ajouté par les hérétiques et d'avoir remplacé le mauvais par du bon. Si donc vous avez fait disparaître le mal, ce que vous avez laissé subsister ou ce  que vous avez ajouté serait ou d'Origène ou de vous, qui l'avez donné comme bon. Mais, d'un autre côté, vous ne pouvez nier que dans cet ouvrage il est encore bien des choses pernicieuses. Cela me regarde-t-il , direz-vous? Adressez-vous à Origène! Moi, je n'ai fait que détruire ce que les hérétiques avaient ajouté. Dites-moi maintenant pourquoi vous avez toléré les erreurs des hérétiques et laissé intactes celles d'Origène. N'est-il pas évident qu'en partie vous avez condamné les hérésies d'Origène en les rapportant aux hérétiques, et qu'en partie vous les avez adoptées parce que vous trouviez que ces pensées, loin d'être mauvaises, étaient bonnes et conformes à votre croyance? J'ai seulement voulu savoir si, selon votre préface, qui nous annonce que vous devez retrancher le mal pour ne laisser que le bien, ce que vous avez conservé est bon ou mauvais, et je vous ai enchaîné avec un argument inattaquable. Si vous avez bien parlé vous êtes hérétique, si au contraire vous n'avez omis que des erreurs, aussitôt vous entendez dire: pourquoi a-t-il donc loué dans sa préface ce qui est pernicieux? Du reste vous vous déguisez avec adresse.        Pourquoi avez-vous livré des écrits pernicieux à la connaissance des Latins? Ce n'est pas l'homme qui instruit qui doit faire connaître le mal, cela n'appartient qu'à celui qui le défend ; car il faut bien prendre garde que le lecteur n'adopte de fausses opinions et ne repousse ce qui est l'évidence, qui, quelquefois mal comprise, nous parait inadmissible. Et, après tout cela, vous osez dire que je suis l'auteur de ces écrits; mais vous avez fait plus qu'expliquer ces ouvrages car là, où on ne peut rien changer, on est seulement interprète. Si vos livres n'avaient pas de préface; si, comme Hilaire, dans la traduction de ses Homélies, vous n'aviez pas jugé le bien et le mal, mais l'aviez rapporté à son auteur ; si vous n'aviez pas dit que vous aviez retranché le mauvais et laissé le bon, vous pourriez sortir d'une manière quelconque de ce mauvais pas. Voilà ce qui rend nulle la subtilité de votre esprit et ce qui vous empêche de sortir du labyrinthe où vous êtes renfermé. N'abusez pas tant de la simplicité de vos lecteurs, et ne croyez pas que tous soient assez imbéciles pour ne pas rire de vous voir appliquer des emplâtres sur un corps sans blessures, vous qui abandonnez à la gangrène des membres qui en sont couverts. Nous savons déjà, d'après votre apologie, ce que vous pensez de la résurrection de la chair quand le corps n'est privé d'aucune de ses parties ni d'aucun de ses membres, et vous ne pouvez pas donner une preuve plus claire et plus manifeste de votre sottise que de dire que votre opinion a été adoptée par tous les évêques d'Italie. Je vous croirais sur parole si cet ouvrage, qui est le vôtre et non celui de Pamphilius, ne faisait naître des doutes dans mon esprit ; et cependant je suis surpris que l'Italie ait approuvé ce que Rome avait repoussé loin d'elle, et que les évêques aient admis ce que le siège de l'Eglise avait condamné. Vous dites en outre que j'annonce dans ma lettre, que l'évêque Théophile a mis dernièrement au jour une exposition de foi qui n'est pas encore parvenue jusqu'à vous, et vous me promettez de suivre tout ce qu'il a tracé. Je n'ai pas connaissance d'être l'auteur de ce bruit et d'avoir jamais écrit une telle lettre; mais vous, vous donnez votre assentiment à des choses vagues et incertaines dont le succès est encore douteux, pour éviter les choses certaines et parvenir (396) à leur refuser votre assentiment. Pendant deux ans j'ai interprété deux de ses lettres, une presque paschale et une synodique, dirigées contre Origène et ses partisans , et quelques autres écrits adressés à Apollinarius et au même Origène ; et, pour l'édification de l'Église, j'ai chargé des hommes parlant notre langue de les publier. Je ne me souviens pas d'avoir traduit quelque autre de ses ouvrages. Mais vous qui vous vantez d'embrasser toutes les opinions de l'évêque Théophile, prenez garde d'être entendu par vos maîtres et vos condisciples; prenez garde d'offenser quelques-uns de ces hommes qui nous appellent , moi scélérat , et vous martyr ; prenez garde d'irriter contre vous celui qui vous envoyait des lettres contre l'évêque Epiphane, qui vous exhortait à ne pas abandonner la cause de la vérité, à rester inaccessible, et à ne pas craindre de toujours conserver votre foi. Cette lettre est regardée comme olographe par ceux à qui vous l'avez adressée. Ensuite vous parlez, selon votre habitude, pour que je vous réponde, à vous, aveuglé par la fureur, sur ce que vous avez dit précédemment. Alors vous proférez tout ce qui vous vient à l'esprit. N'avez-vous plus rien à dire pour donner une vigueur plus redoutable à votre bavardage? Vous vous indignez, si je vous blâme de parler avec tant de licence, vous, orateur sacré, qui ne rougissez pas de reproduire les turpitudes des comédiens et des débauchés. Vous me demandez ensuite quand j'ai commencé à adopter les opinions de l'évêque Théophile, et à m'associer à sa communion de foi. Vous vous répondez à vous-même : je crois que c'est lorsque vous employâtes tous vos efforts et votre zèle à défendre Paul, qu'il avait condamné. Vous l'engagiez, ce même Paul, au moyen d'un rescrit impérial, à reprendre son sacerdoce dont l'avait privé le jugement du pontife. Je ne répondrai pour moi-même que lorsque j'aurai repoussé les injures adressées aux autres; quelle est la clémence, quelle est l'humanité qui vous porte à insulter aux passions d'autrui et à découvrir          ses blessures aux yeux de tous? Est-ce ainsi que vous ont instruit les paroles du Samaritain, qui porte à l'hôtellerie le mourant qu'il a trouvé, verse de l'huile sur ses blessures, et promet une récompense à l'hôtelier ? Est-ce ainsi que la brebis fut ramenée à l'étable, le dragon retrouvé et l'enfant prodigue reçu dans la maison paternelle? Soit, je vous avais offensé, c'est moi, comme vous le dites, qui ai attiré sur votre tête toutes ces accusations. Un homme qui veut rester obscur mérite-t-il que vous découvriez ses blessures, que vous lui causiez une vive douleur en cherchant à les rouvrir? Quand bien même il mériterait d'être outragé, devriez-vous le faire? Ou je me trompe, ou, il est vrai, comme on le prétend généralement, que vous poursuivez en lui les ennemis d'Origène, et qu'à l'occasion d'un seul vous revenez contre chacun.

Si vous adoptez les opinions de l'évêque Théophile et si vous croyez que c'est un crime de résister aux décrets des pontifes, que direz-vous donc de ceux que Théophile lui-même a condamnés? Que pensez-vous du pape Anastase? Personne ne peut croire, cousine vous le dites, que le pontife d'une si grande ville vous ait offensé , vous qui étiez innocent et même absent. Je ne vous dis pas que je m'établis l'arbitre des sentences pontificales ni que je veuille les annuler, mais chacun doit se tirer du danger comme il peut, et savoir ce qu'il doit penser de sa propre opinion. Dans notre monastère nous possédons tous l'hospitalité au fond de nos coeurs, et nous recevons tous avec joie et humanité, car nous craignons que Marie et Joseph ne trouvent pas de place dans l'hôtellerie et que Jésus repoussé par nous ne dise : « Je vous ai demandé l'hospitalité et vous me l'avez refusée. » Nous ne repoussons que les hérétiques qui sont admis par vous seul, nous voulons laver les pieds des voyageurs et non discuter leur mérite. Souvenez-vous, mon frère, de ses aveux et des coups qui lui déchirèrent les membres; souvenez-vous des prisons, des cachots et de l'exil, et vous ne verrez pas avec peine que nous offrons l'hospitalité aux malheureux. Sommes-nous hérétiques parce que nous présentons, au nom de Jésus-Christ , un verre d'eau fraîche à ceux qui ont soif? Voulez-vous savoir ce qui fait que j'ai pour lui de l'amour et vous de la haine? La faction des hérétiques chassée autrefois de l'Égypte et d'Alexandrie se réfugia à Jérusalem et voulut se joindre à lui, afin de partager ensemble leurs disgrâces et rendre commune leur accusation ; mais lui la repoussa, (397) ne témoigna que du mépris et de l'indignation, disant qu'il n'était pas ennemi de la foi et qu'il refusait d'entreprendre une guerre contre l'Eglise; que ce qu'il avait fait lui avait été inspiré par la douleur et non par la fourberie, et qu'il n'avait pas voulu attaquer l'innocence d'autrui, mais prouver la sienne. Vous traitez d'impie le décret impérial rendu après les sentences pontificales, parce que celui qui l'a mérité l'a regardé comme tel. Que pensez-vous de ces hommes qui, frappés d'une condamnation, assiègent les palais et réunissent leurs efforts pour persécuter dans un seul homme la religion du Christ ? Je n'appellerai pas d'autre témoin de ma communion et de celle de l'évêque Théophile, que cet homme que vous prétendez avoir été injurié par moi et qui m'adressait continuellement des lettres dans le temps même où, comme vous le savez fort bien, vous empêchiez qu'elles me fussent remises. Chaque l'ois vous alliez publier que son ennemi était mon ami même le plus sincère, et vous répandiez les mensonges qu'aujourd'hui vous consignez dans vos écrits pour exciter sa haine contre moi, et persécuter la vraie croyance par ce que l'insulte a de plus amer. Mais un homme éclairé et d'une sagesse apostolique démontra avec le temps et les circonstances l'opinion que j'avais de lui et les piéges que vous me tendiez. Si mes partisans, comme vous l'écrivez, vous ont dressé des embûches à Rome et vous ont enlevé, pendant votre sommeil, vos écrits imparfaits, qui a suscité des séditions en Egypte contre l'évêque Théophile? qui a provoqué les édits des princes? quia excité des troubles dans la plus grande partie de l'univers? Et dès votre jeunesse vous osez vous vanter d'avoir été le disciple et le modèle de Théophile, lorsque l'humilité naturelle de celui-ci l'empêcha de professer des opinions avant d'être évêque , lorsque vous n'étiez plus à Alexandrie dès qu'il occupa ce haut rang. Vous osez dire pour me couvrir d'opprobre : « Moi je n'accuse pas mes maîtres et je ne les quitte jamais. » Si cela est vrai, votre opinion me parait fausse. En effet, je ne vous fais pas un crime d'accuser ceux qui m'instruisent, mais je redoute ces paroles d'Isaïe : «Malheur à ceux qui disent que le bien est mal et le mal est bien, qui mettent la lumière dans les ténèbres et les ténèbres dans la lumière, qui disent que l'amer est doux, que le doux est amer! » Vous, lorsque vous goûtez indistinctement le miel et le poison des pensées de vos maîtres, vous vous éloignez des opinions de l'Apôtre qui vous commande de ne suivre ni lui ni même l'ange s'il s'écartait de la vraie foi. Sous le nom de Vigilantius je ne sais ce que vous rêvez. Quand donc ai-je écrit qu'à Alexandrie il passait pour souillé d'hérésie ? Présentez-moi un ouvrage, produisez une lettre,vous ne trouverez nulle part ce désordre et cette maladresse qui vous portent à croire que tout le monde doit ajouter foi à vos discours; vous n'osez les répéter , vous qui, parce que vous n'avez rien à m'opposer , feignez de la modestie. De cette manière, vous faites croire au lecteur que vous m'épargnez; vous, qui par vos mensonges n'avez pas épargné votre conscience. Quel était le jugement porté sur ces écrits, que votre bouche, si retenue, n'ose le faire connaître? Est-il quelque chose de condamnable dans les saintes Ecritures? Si vous rougissez de parler, écrivez au moins pour nous convaincre d'insolence par vos discours. Pour ne plus en rien dire, je prouverai dans cet écrit, que vous avez un front d'airain et que vous en imposez. Voyez combien je crains vos calomnies; si vous exécutez vos menaces, tous les crimes que vous m'imputerez seront les vôtres. Je vous ai répondu à l'égard de Vigilantius. Il se montra calomniateur comme vous l'êtes aujourd'hui; ami, vous louez ennemi, vous calomniez. Je sais qui a excité sa rage contre moi ; je connais vos intrigues, je connais votre candeur que vante tout le monde. Votre fourberie s'est servie de sa grossièreté pour me perdre. Si je l'ai démontrée dans mes écrits, c'est pour vous empêcher d'occuper le premier rang dans la littérature. Vous ne devez pas accuser de turpitude des écrits que vous n'avez jamais lus tout entiers, mais comprendre et avouer que c'est l'indignation qui m'a forcé de répondre à vos calomnies. La lettre du saint pape Anastase vous a mis hors de vous-même, et dans votre trouble, vous ne savez où poser le pied : tantôt vous prétendez que j'en suis l'auteur, tantôt qu'elle a dû vous être remise par celui à qui elle a été envoyée. Vous accusez de nouveau l'injustice , soit qu'elle vienne de lui ou non; vous affirmez qu'elle ne vous regarde pas, vous qui avez le témoignage de son prédécesseur ; vous, épris d'amour pour votre petite ville, vous êtes sourd aux prières de Rome. (398) Si vous croyez que cette lettre est mon ouvrage, pourquoi ne la cherchez-vous pas dans les archives de l'église romaine? De manière que, lorsque vous aurez découvert qu'elle ne vient pas de l'évêque, vous puissiez connaître le vrai coupable. Vous ne chercherez plus à m'emprisonner dans de faibles toiles d'araignée, mais dans des filets solides que je ne puisse rompre. Si, au contraire, elle vient de l'évêque de Rome, vous agissez comme un insensé en me demandant l'exemplaire d'une lettre que je n'ai jamais reçue, en ne demandant point le témoignage de celui qui l'a envoyée d'Orient. Vous avez sous votre main l'auteur et le témoin. Allez plutôt à Rome et vous présentez à lui, demandez pourquoi il vous a couvert d'opprobre , vous qui n'aviez connaissance de rien et qui étiez absent ;pourquoi il a envoyé en Orient des lettres contre vous, en vous flétrissant à votre insu du nom d'Hérétique, en disant que les écrits d'Origène avaient été traduits par vous , et par vous livrés à la simplicité du peuple, pour lui faire oublier la vraie loi que les apôtres ont enseignée, et en prétendant (ce qui vous cause la plus vive douleur) que vous condamnez ceux-là même que vous souteniez dans votre préface. Il y a du sérieux dans ce que ce grand pontife vous impute, et dans les rapports qui sont faits et qu'il écoute avec imprudence. Élevez la voix, et criez dans les carrefours et sur les places publiques : «Ce livre n'est pas le mien, ou si c'est le mien, Eusèbe a volé mes écrits lorsqu'ils n'étaient pas encore corrigés; je les ai composés autrement, ou plutôt je n'ai rien composé ; je n'ai donné cet ouvrage à personne, ou du moins à un bien petit nombre, parmi lesquels il s'est trouvé un ennemi assez scélérat pour 1'alsilier mes écrits, et des amis assez négligents pour n'y point prendre garde. » Voilà, mon frère, ce que vous auriez dû l'aire et non pas tourner le dos à votre adversaire pour diriger contre moi les traits de votre médisance. Que sert-il à vos blessures que je sois blessé moi-même? L'homme qui est frappé peut-il se consoler, en voyant périr son ami près de lui? Vous produisez les écrits de Sirice que le Seigneur a rappelé, et vous témoignez du mépris pour ceux d'Anastase qui vit encore. En quoi peut donc vous nuire ce qu'il a écrit à votre insu, ou ce que peut-être il n'a pas écrit?

S'il a écrit, le témoignage de l'univers tout entier doit vous suffire ; parce que personne ne croira que le pontife d'une si grande ville ait couvert d'opprobre un innocent ou un absent. Vous vous dites innocent, et Rome frémit en interprétant ce mot; vous vous dites absent, vous qui accusé n'avez pas osé répondre. Vous redoutez tellement le jugement des Romains que vous aimez mieux affronter une attaque de barbares que la sentence d'une ville paisible. Qui a envoyé récemment en Orient des écrits où le pape Anastase répand sur vous des fleurs avec tant d'abondance que, si vous les lisiez, vous songeriez plutôt à vous défendre qu'à attaquer'? Considérez votre sagesse incomparable, vos satires piquantes et la beauté de votre sainte éloquence. Vous êtes attaqué par les autres, vous êtes accablé de leurs accusations, et vous vous déchaînez comme un furieux contre moi et vous dues : « Ne puis-je donc raconter comment vous avez quitté Rome? ce qu'alors on a pensé de vous, et ce que l'on a écrit dans la suite? quels ont été vos serments? où vous vous êtes embarqué, et quelle force de vertu vous a fait éviter le parjure ? Je pourrais en dire davantage, mais j'aime mieux me taire que parler plus longtemps. » Voilà ce que vos discours ont de plus beau ; et si après cela j'ose prononcer contre vous quelques paroles piquantes, vous me menacez aussitôt de la proscription et de la mort; tandis que vous, homme éloquent, vous abusez de vos talents oratoires, en feignant de passer sous silence ce que vous dites réellement, de sorte que, ne pouvant pas prouver les mensonges que vous avancez, vous les faites accepter au moyen de vos réticences. C'est là votre bonne foi, c'est ainsi que vous épargnez votre ami et que vous vous abandonnez aux tribunaux pour me perdre par une multitude d'accusations, tout en paraissant me ménager. Voulez-vous que je vous fasse le récit de mon départ de home ? il ne sera pas long: « Au mois d'août, lorsque les vents étésiens soufflaient, je m'embarquai en pleine sécurité au port de Rome, accompagné du saint prêtre Vincent, de son jeune frère, de quelques religieux qui habitent aujourd'hui Jérusalem et d'une grande foule de saints. J'atteignis Reggio et je m'arrêtai pendant quelques jours sur le rivage de Sylla ; c'est là que j'entendis parler des fables des anciens, de la fuite précipitée de l'astucieux (399) Ulysse, du chant des syrènes et du gouffre insatiable de Charybde. Comme les habitants de ces lieux, en me racontant toutes ces merveilles, me conseillaient de diriger ma course, non vers les colonnes de Protée, mais vers le port de Joppé, je préférai me rendre en Chypre par Malée et les Cyclades, pensant que la première route qui m'était indiquée ne pouvait être que celle des fugitifs persécutés, et que la seconde, au contraire, était celle que devait suivre un homme à l'abri de toute crainte. Après avoir été reçu par le respectable évêque Epiphane dont vous vous attribuez le témoignage, je suis arrivé à Antioche, où j'eus le bonheur de communier avec Paulin évêque et confesseur. I>

Je partis au milieu de l'hiver au moment du froid le plus rigoureux et je fis mon entrée dans Jérusalem ; c est là que j'ai été témoin d'un grand nombre de miracles et que j'ai pu voir de mes propres yeux ce que la renommée seule m'avait fait connaître. De là je me suis dirigé vers l'Égypte, j'ai visité le monastère de Nitrie et j'ai vu les aspics qui se glissent au milieu même de l'assemblée des saints. Ensuite j'ai regagné avec empressement ma chère ville de Bethéem : là, j'ai adoré la crèche et le berceau du Sauveur. J'ai aussi visité le plus célèbre des lacs. Enfin, loin de me livrer à un lâche repos, j'ai appris bien des choses que ,jusqu'alors j'avais ignorées. Mais je ne souffrirai pas que vous taisiez l'opinion que l'on avait de moi dans Rome et ce que l'on écrivit plus tard, puisque vous avez le témoignage de plusieurs lettres; je yeux bien être accusé non par vos mensonges et par les calomnies que vous débitez effrontément, mais seulement par des ouvrages ecclésiastiques. Voyez combien je vous redoute; si vous produisez contre moi le plus petit ouvrage de l'évêque de Rome ou de tout autre pontife, j'avouerai que je suis seul capable de tout ce que l'on a écrit contre vous. Maintenant ne pourrai-je pas aussi, moi, parler de votre départ, vous demander votre âge, dans quel lieu et en quel temps vous vous êtes embarqué, où vous avez passé votre vie, quelle a été votre société?

Mais je suis loin de faire ce que je vous reproche et de reproduire dans une discussion religieuse le bavardage des vieilles femmes en dispute. Que votre sagesse apprenne seulement qu'il faut prendre garde d'employer contre son ennemi ce qu'à l'instant il peut employer contre vous-même. La conduite astucieuse que vous avez tenue envers l'évêque Epiphane est vraiment étonnante. Vous refusez de croire qu'après son baiser de paix et son discours il a pu écrire contre vous; c'est comme si vous prétendiez que celui qui vivait il y a peu de temps n'a pu mourir, ou que les reproches qu'il vous a adressés sont plus étonnants que l'excommunication après la paix. « Ils se sont écartés de nous, dit-il, mais jamais ils n'ont été avec nous; car, s'ils étaient avec nous, ils ne nous auraient jamais quittés. » L'Apôtre nous ordonne d'éviter l'hérétique après un ou deux avertissements. Avant d'être écarté et condamné, il faisait partie du troupeau de Jésus-Christ. Et je ne puis en même temps m'empêcher de rire de ce qu'averti par un homme officieux, vous vous répandez en louanges sur Epipliane. Tantôt c'est un vieillard en délire, tantôt un anthropomorphite, tantôt c'est cet homme qui débita en votre présence six mille livres d'Origène, qui s'imagine que c'est pour lui une, obligation de rendre dans toutes les langues du monde témoignage contre Origène, et qui ne veut pas qu'on lise cet auteur parce qu'il craint que les autres ne s'aperçoivent de son plagiat. Lisez vos écrits et lettres, ou plutôt ses lettres, dans lesquelles je montrerai un seul témoignage de votre foi, afin que nos louanges aient au moins un prétexte plausible. «Pour vous, mon frère, que Dieu vous délivre, ainsi que le peuple saint de Jésus-Christ, qui met en vous son espoir, tous nos frères qui sont avec vous et surtout le prêtre Rufin, de l'hérésie d'Origène, des autres hérésies et des maux qu'elles occasionnent. Si, à cause d'un ou de deux mots contraires à la vraie foi, un grand nombre d'hérésies ont été condamnées par l'Église, combien, à plus forte raison, passera-t-il pour hérétique celui qui a forgé tant d'opinions pernicieuses, tant de dogmes contraires à la foi catholique et qui s'est déclaré ennemi de Dieu! » Voilà le témoignage que rend contre vous un homme d'une sainteté reconnue ; c'est ainsi qu'il cherche à vous embellir, c’est ainsi qu'il vous loue. Voilà l'écrit que vous ayez soustrait au poids de l'or de la chambre de mon frère pour en calomnier l'interprète et pour me faire passer comme coupable du crime le plus évident. Mais que vous importe à vous qui êtes dans tout d'une si grande prudence et qui gardez si bien un juste milieu, que si on avait voulu vous (400) croire, ni Anastase ni Epiphane n'auraient écrit contre vous, à moins que les lettres elles-mêmes n'aient réclamé et confondu votre audace. Vous méprisez aussitôt leur jugement, et vous vous mettez peu en peine s'ils ont écrit ou non, parce qu'ils n'auraient pu écrire contre un innocent et un absent. Ce n'est point contre un saint homme qu'il faut formuler de semblables accusations pour faire voir qu'en donnant le baiser de paix il a conservé de la haine dans le coeur. C'est ainsi que vous raisonnez, c'est ainsi que vous cherchez à établir votre défense. L'univers entier reconnaît que sa lettre est contre vous; nous sommes convaincus que vous l'avez reçue avec toute son authenticité, et je m'étonne de la candeur ou plutôt de l'impudence avec laquelle vous niez ce dont vous ne cloutez nullement. Epiphane qui vous a donné le baiser de paix, et qui a conservé de la haine dans le coeur, sera donc flétri! N'est-il pas vrai qu'il vous a d'abord averti, qu'il a voulu vous corriger et vous remettre dans le bon chemin, et  que c'est pour cela qu'il n'a point refusé le baiser de Judas et qu'il a tenté d'émouvoir un traître par ses vertus; et que, lorsqu'il a vu qu'il s’épuisait en vains efforts, qu'il était impossible de changer les taches de la panthère et la peau de l'Ethiopien, il a indiqué dans ses écrits ce qu'il avait conçu dans son esprit? Vous soutenez aussi quelque chose de pareil contre le pape Anastase, parce que vous possédez la lettre du pape Sirice, que ce dernier n'a pu écrire contre vous. Je crains que vous ne pensiez qu'on vous fait injure; je ne sais comment, homme de pénétration et de prudence comme vous l'êtes, vous débitez de pareilles sottises ; de telle sorte que tout en prenant vos lecteurs pour des imbéciles vous prouvez vous-même que vous êtes un insensé. Ensuite vous terminez par ces belles paroles : « A Dieu ne plaise que cela regarde les hommes saints ! » Il n'y a que votre école qui peut produire des choses semblables. A notre départ vous nous avez accordé la paix, et vous nous avez lancé par-derrière des traits empoisonnés. Ici encore vous avez voulu faire preuve d'éloquence, ou plutôt de déclamation. Nous vous avons donné la paix, mais nous n'avons point embrassé l'hérésie. Nous vous avons donné la main, nous vous avons accompagné à votre départ pour que vous deveniez catholique, et non pour nous faire hérétique nous-même. Je voudrais cependant savoir quels sont ces traits empoisonnés que nous vous avons lancés par-derrière, comme vous vous en plaignez. Des prêtres, Vincent, Paulinien, Eusèbe et Mutin : Vincent arriva à Rome longtemps avant vous, Paulinien et Eusèbe partirent un an après votre traversée. Deux ans après Butin fut député pour la cause de Claudius. Tous ces hommes s'occupèrent, soit de gérer leurs affaires domestiques, soit de sauver les autres du péril qui les menaçait, Pouvais-je savoir qu'à l'occasion de votre entrée dans Rome, un homme de noble origine rêverait qu'un vaisseau chargé de marchandises était entré dans le port à pleines voiles? qu'une sotte interprétation ne détruirait pas toutes les objections contre la fatalité? que vous feriez passer les ouvrages d'Eusèbe pour ceux de Pamphilius! que vous vous placeriez au-dessus comme le couvercle d'une coupe empoisonnée? qu'en traduisant avec toute la majesté de votre éloquence le fameux ouvrage vous donneriez naissance à une nouvelle espèce de calomnie,! Nous avons repoussé les accusations avant même que vous ayez accusé. Non, non, je le répète, ce n'est pas ma propre volonté, mais la volonté du Seigneur qui nous oblige à combattre l'hérésie, nous qui devions remplir une autre tâche, et qui, nouveaux Joseph, devons écarter une famine prochaine par la ferveur de notre foi.

A quels excès ne se porte pas l'audacieux une fois déchaîné? Il s'oppose un crime qui lui est étranger pour faire croire que c'est nous qui l'avons inventé. Ce qui est dit sans application à personne, il se l'applique. Il se disculpe des fautes des autres et n'est sûr que de son innocence; il jure qu'il n'a pas écrit sous mon nom au peuple d'Afrique une lettre dans la traduction de laquelle j'avoue que, trompé par les Juifs, j'ai fait des erreurs , et il envoie des écrits qui contiennent tout ce qu'il affirme avoir ignoré. Je m'étonne que sa prudence ait pu coïncider avec la perversité d'un autre, de telle sorte que quand l'un ment en Afrique, l'autre, de concert avec lui. assure dire la vérité. Je ne. sais quel homme habile pourrait approcher de l'élégance de son style. A vous seul il convient de répandre le poison des hérétiques et de présenter à toutes les nations la coupe de Babylone. Vous faites disparaître du grec les (401) écrits latins, et vous livrez à la connaissance des fidèles d'autres préceptes que ceux qu'ils ont reçus des apôtres; et il ne me sera pas permis après la version des Septante, que j'ai revue avec le plus grand soin, et que j'ai donnée il y a plusieurs années aux hommes qui parlent ma langue; il ne me sera pas permis, dis-je, de traduire, pour réfuter les Juifs, les ouvrages qu'ils avouent être authentiques, afin que s'il s'élève une discussion entre eux et les chrétiens, ils n'aient aucun moyen d'éluder une défaite, mais qu'ils soient rudement frappés par leurs propres armes. Je me souviens de m'être expliqué plus longuement à ce sujet en plusieurs endroits et à la fin du deuxième livre où j'ai répondu à votre accusation. J'ai contenu par de bonnes raisons votre popularité qui vous servait à exciter contre moi la jalousie des hommes simples et sans expérience. Sur ce point, je crois devoir fixer l'attention du lecteur.

Non, je ne passerai point ce trait sous silence, pour que vous ne vous plaigniez pas que le falsificateur de vos écrits possède à nos yeux la gloire d'un martyr, puisque vous-même, coupable d'un crime semblable, vous avez reçu des hérétiques, après votre exil à Alexandrie et votre séjour dans des cachots. Quant à votre ignorance, j'y ai déjà répondu; mais vous y revenez toujours et ne cessez de me rappeler, comme si j'oubliais votre apologie précédente, que vous étudiez depuis trente ans des ouvrages grecs et que vous ignorez le latin. Remarquez un peu que je n'ai pas voulu vous reprocher quelques mots, car tous vos écrits doivent être changés entièrement; mais que j'ai eu l'intention de prouver à vos disciples qu'après tant de fatigues, vous étiez parvenu à ne rien savoir; de leur faire comprendre quelle modestie il faut avoir pour enseigner ce que l'on ignore, pour écrire ce qu'on n'a jamais compris; et de les engager à chercher la sagesse de leur maître dans ses sentiments. Vous ajoutez que ce sont les péchés qui font horreur et non les paroles, le mensonge, la calomnie, la médisance, le faux témoignage et toute espèce d'outrages; vous désirez que leurs exhalaisons impures ne blessent pas mon odorat. Je vous croirais si je ne m'étais aperçu du contraire; c'est comme si le foulon et le corroyeur avertissaient le marchand de parfums de boucher ses narines lorsqu'il passe devant leurs boutiques. Je ferai ce que vous conseillez; je boucherai mon nez de peur qu'il ne souffre de l'odeur délicieuse de votre franchise et de vos bénédictions. J'admire avec quel talent vous raisonnez dans les louanges et les reproches que vous m'adressez, car à ce sujet vous avez varié. Or, s'il vous est permis de dire de moi du bien et du mal, de même il m'est aussi permis à moi de reprendre Origène et Didyme que j'ai auparavant comblés d'éloges. Sachez donc, ô le plus sage des hommes, la gloire de la dialectique romaine, qu'il n'est pas mauvais de louer un homme dans certaines circonstances et de le blâmer dans d'autres; mais qu'il est mauvais de toujours l'approuver ou le désapprouver. Je vais vous donner un exemple, afin qu'un sage lecteur puisse comprendre ce que vous ne comprenez pas. Nous admirons le génie de Tertullien, mais nous réprouvons son hérésie. Les connaissances profondes d'Origène nous enchantent, et cependant nous n'admettons pas la fausseté de ses principes; nous vantons la mémoire de Didyme et la pureté de ses opinions sur la Trinité, mais nous nous écartons de lui en tout ce qui concerne les erreurs qu'il partage avec Origène. Et, en effet, nous ne devons pas imiter les défauts de nos maîtres, mais seulement leurs vertus. Autrefois un certain personnage qui avait à Rome pour grammairien Afrus, dont les connaissances étaient très étendues, se croyait l'émule de son maître lorsque seulement il imitait les sifflements de sa voix et la rudesse de son langage. Dans votre préface peri arkon, vous m'appelez votre frère et votre collègue, vous vantez mon éloquence; vous publiez la pureté de ma foi. Vous ne pourrez rien m'ôter de ces trois qualités, prenez le reste comme il vous plaira pour ne pas paraître en contradiction avec vous-même à mon sujet. En m'appelant votre frère, vous m'avouez digne de votre amitié; en vantant mon éloquence, vous ne m'accusez plus d'incapacité, et en confessant la pureté de ma foi, vous ne pouvez plus imprimer à mon nom la tache d'hérésie. Hors ces trois points, si vous trouvez quelque chose à blâmer en moi, vous ne paraîtrez pas être en contradiction avec vous-même. En résumé, il résulte que vous êtes coupable en blâmant en moi ce que vous avez d'abord loué. Quant à moi, je ne (402) mérite aucun reproche si, dans les mêmes hommes, j'indique ce qui est digne d'éloge et réprouve ce qui mérite le blâme. Vous entreprenez de parler de l'état des âmes, et vous tournez en ridicule la faiblesse de mes connaissances; et afin qu'il vous soit permis d'ignorer ce qu'à dessein vous feignez de ne pas savoir, vous m'entretenez d'abord des esprits célestes; vous me demandez ce que sont les anges et les archanges; s'ils ont une demeure et ce qu'elle est; s'ils ont entre eux des marques distinctives ou s'ils n'en ont point; ce qui produit le soleil, le croissant et le déclin de la lune; quel est le cours des astres; quelle est leur nature. Je m'étonne que vous n'ayez pas songé à rapporter ces vers : «Quel est ce frémissement de la terre; par quelle puissance la mer se gonfle-t-elle et se replie-t-elle sur elle-même après avoir brisé tout ce qui l'arrête? et qui m'expliquera les éclipses du soleil et de la lune, l'origine des hommes et des animaux ?quia produit l'eau et le feu, l'arcture, la pluie, les hyades et les deux taureaux? Pourquoi, pendant l'hiver, le soleil va-t-il s'éteindre dans l'Océan? Par quelle cause la nuit se répand-elle avec tant de lenteur?» Ensuite, abandonnant le ciel pour descendre sur la terre, vous traitez des questions bien moins élevées; et en effet vous me demandez qui produit les sources, les vents, la grêle, la pluie, l'amertume de l'eau de la mer, la douceur de celle des fleuves; qui produit les nuages, les éclairs, le tonnerre et la foudre? Quand je vous aurai répondu  que j'ignore tout cela, il vous sera permis d'ignorer aussi sans crainte l'état des âmes, et par la connaissance d'une seule chose, vous compenserez votre ignorance sur tant d'autres points. Vous qui, à chaque page, riez du peu d'étendue de mes connaissances, ne savez-vous pas que nous voyons le brouillard et les ténèbres qui vous environnent? Pour avoir l'air d'un savant, pour paraître au milieu de vos calphurniens tenir le sceptre de la science, vous m'étalez votre physique tout entière. C'est donc en vain que Socrate nous dit: « Ce qui est au-dessus de nous ne nous appartient pas.» Si donc je ne vous explique pas pourquoi la fourmi, qui est un animal si petit et dont le corps n'est à proprement parler qu'un point imperceptible, marche avec six pieds, tandis que l'éléphant, cette masse énorme, ne marche qu'avec quatre; pourquoi les serpents et les couleuvres rampent sur le ventre et leur poitrine; pourquoi le vermisseau, que l'on nomme vulgairement insecte à mille pieds , en est pourvu d'un si grand nombre; si, dis-je, je ne puis expliquer tous ces mystères, il ne me sera pas permis de connaître l'état des âmes. Vous me demandez ce que je pense à ce sujet pour vous emparer de ma réponse aussitôt que je l'aurai faite; si je vous réponds ces paroles de l'Ecclésiastique : « Chaque jour la Providence produit des âmes et les fait passer dans le corps de ceux qui naissent, » sur-le-champ vous me tendez les piéges d'un maître, et vous me demandez où est la justice de Dieu ; s'il donne des âmes à ceux qui naissent de l'adultère et de l'inceste. Il coopère donc aux crimes des hommes en donnant des âmes aux corps formés par l'adultère ; comme si la faute de celui qui sème doit retomber sur le froment ; comme si le froment qui a été volé devait souffrir du crime du voleur; comme si enfin la terre ne devait pas échauffer dans son sein la semence qui y a été déposée par des mains impures. Voilà votre mystérieuse question : pourquoi les enfants meurent-ils s'ils ont reçu des corps à cause de leurs péchés. Il existe un livre de Didyme qui répond à votre question. « Ceux-là, dit-il, n'ont péché que légèrement; il leur suffit d'avoir été un instant emprisonnés dans cette enveloppe.» Mon maître et le vôtre, à l'époque où volis lui adressiez toutes ces questions, a composé à ma prière trois volumes de commentaires sur le prophète Osée. Là, on peut voir ce qu'il vous enseigna et ce qu'il m'enseigna à moi-même. Vous me pressez de répondre sur la nature des choses; si c'était ici l'occasion, je pourrais vous citer les opinions de Lucrèce ou d'Épicure, celles d'Aristote ou des péripatéticiens, celles de Platon et de Zénon, ou des académiciens et des stoïciens. Et pour en venir à l'Église, qui est le siège de la vérité, les livres des prophètes, de la Genèse et de l'Ecclésiaste nous offrent bien des pensées sur ces questions. Ou si nous ignorons tout ce qui a rapport à l'état des âmes, vous auriez dû dans votre apologie avouer votre ignorance sur tous ces points, et demander à vos accusateurs pourquoi ils vous adressent ! une question avec tant d'impudence, lors

ignorent tant de choses. Vaisseau plein de richesses, vous qui venez (403) chercher la pauvreté à Rome avec des marchandises apportées de l'Orient et de l'Égypte , vous êtes le seul qui, par vos écrits, ranimez la vraie foi! Si donc vous n'étiez pas arrivé, homme rempli de talents, les mathématiciens douteraient encore et les chrétiens ne sauraient que répondre au fatalisme. Vous m'adressez des questions sur l'astrologie, le cours des astres, vous qui avez amené un vaisseau chargé de marchandises; je confesse ma pauvreté; comme vous, je ne me suis pas enrichi en Orient. Pharus vous a appris ce que Rome a toujours ignoré. L'Égypte vous a donné ce que jamais l'Italie n'a eu en sa possession. Vous écrivez qu'il y a chez les commentateurs ecclésiastiques trois opinions sur l'état de l'âme ; la première est d'Origène, la seconde de Tertullien et de Lactance (quoique vous mentiez hautement à l'égard de ce dernier), la troisième que nous, hommes simples, ne comprenons pas; et dans ce cas, comment accusons-nous Dieu d'injustice? Et vous affirmez par serment que vous ne savez passe qui est vrai. Répondez-moi, je vous prie. Pensez-vous ou que, hors de ces trois opinions, il peut exister quelque chose. de vrai, ou que ces opinions sont fausses, ou enfin que parmi elles il en est une qui soit vraie? Si vous répondez affirmativement à la première de ces questions, pourquoi resserrez-vous dans des limites si étroites la liberté de la discussion ;pourquoi publiez-vous des mensonges et gardez-vous le silence sur la vérité? Si de ces trois sentiments, il. en est un qui soit vrai et deux qui soient faux, pourquoi ignorez-vous pareillement ce qui est vrai et ce qui est faux? Cachez-vous donc; la vérité pour ne rien craindre lorsque vous voudrez défendre le mensonge? Voilà le brouillard, voilà les ténèbres dont vous vous servez pour détruire la lumière, Aristippe de notre époque, qui avez lait entrer un navire chargé de toutes sortes de marchandises dans le port de Rome, qui vous êtes assis au milieu du peuple et avez étalé toute la science d'Hermagoras et de Gorgias de Leontium. Tandis que vous hâtiez votre navigation, vous avez oublié d'acheter en Orient la solution d'un petit problème. Vous criez, vous publiez partout que vous avez appris à Aquilée et à Alexandrie que Dieu est le créateur des âmes et des corps. A ce propos on agite la question de savoir si c’est Dieu ou le démon qui a créé les âmes, et l'on ne se demande pas si les âmes ont été créées avant les corps, (ce que prétend Origène) ; si elles avaient besoin d'être renfermées dans une misérable enveloppe, et si enfin elles s'assoupissent, s'engourdissent et dorment d'un sommeil semblable au nôtre. Vous vous taisez lorsque l'on vous interroge, et vous répondez lorsqu'on ne vous demande rien. Vous riez souvent de ma vanité qui me porte à faire croire que je sais ce que j'ignore et à énumérer tous les savants pour en imposer à un peuple grossier. Vous êtes de feu; que dis-je ? de foudre, car vos discours foudroient; votre bouche ne peut contenir le feu qu'elle renferme; vous ressemblez à Barclio-Chebas, l'auteur de la révolte des Juifs, qui soufflait de son haleine la paille enflammée que sa bouche contenait, pour faire croire qu'il vomissait du feu. Comme un autre Salmonée, vous foudroyez tous les pays que vous traversez.

Quant à l'accusation de parjure, puisque vous me renvoyez à vos ouvrages et puisque moi-même, dans d'autres écrits, je vous ai répondu ainsi qu'à Calphurnius, je me contenterai de vous dire eu peu de mots que vous exigez d'un homme livré au sommeil ce que vous n'avez jamais fait étant éveillé. Je suis coupable d'un grand crime, il est vrai, d'avoir dit aux jeunes filles et aux vierges du Christ qu'il ne faut pas lire les ouvrages profanes, et d'avoir promis, après avoir été averti dans un songe, de ne jamais les lire. Votre vaisseau est annoncé par révélation dans Rome; vous promettez une chose et en faites une autre. Venu pour résoudre une question d'astrologie, vous détruisez la foi des chrétiens. Ce vaisseau , qui avait parcouru à pleines voiles les mers Ionienne, Adriatique et Tyrrhénienne, vient faire naufrage au port. Ne rougissez-vous pas de rechercher de telles extravagances et de me forcer à vous les reprocher? Supposons qu'un autre eût fait sur vous un songe qui vous ait couvert de gloire, n'importait-il pas à votre honneur et à votre sa gesse de dissimuler ce que vous avez appris, et de ne pas vous glorifier du songe d'un autre comme d'un témoignage imposant? Voyez quelle différence existe entre votre songe et le mien. Moi, j'avoue humblement que j'ai été blâme; vous, vous publiez avec jactance qu’on vous a comblé d'éloges. Vous ne pouvez dire : « Je ne me soucie nullement de ce qu'un autre (404) a vu, » lorsque vous avancez, dans vos brillants écrits, que c'est la raison qui vous a porté à interpréter ce songe, afin qu'un homme célèbre n'en perdit point le souvenir. Voilà le but de tous vos efforts. Prouvez mon parjure, vous ne serez pas hérétique.

J'arrive au reproche d'avoir été infidèle après notre réconciliation. J'avoue que de tous les crimes dont vous m'accusez et me menacez , je ne dois rien tant repousser que la fraude, la fourberie et l'infidélité. L'homme peut pécher, le démon seul peut tendre des piéges. Avons-nous donc résolu, en présence d'Anastase, que nous déroberions à Rome vos ouvrages ? que des chiens déchaînés déchireraient pendant votre sommeil vos écrits imparfaits? Est-il croyable que nous ayons préparé des accusations avant même que vous vous soyez rendu coupable? Savions-nous donc ce qui se passait dans votre âme; ce qu'un autre pensait de vous pendant son sommeil, pour que le proverbe trouvât en vous son application, et que l'ignorant pût en remontrer à Minerve? S'il est vrai que j'ai envoyé Eusèbe pour vous tendre des embûches, qui a excité contre vous l'indignation d'Aterbius et de tant d'autres? N'est-ce pas celui qui me croyait hérétique à cause de notre amitié? Lorsque j'eus répondu à ses attaques en condamnant les dogmes d'Origène, vous vous êtes renfermé dans votre demeure et n'avez jamais osé le voir, soit dans la crainte d'être obligé de condamner ce que vous ne vouliez pas condamner, soit qu'en résistant ouvertement vous eussiez voulu soutenir l'hérésie. Est-ce que l’homme qui a été voire accusateur ne pourra servir de témoin contre vous? Avant l'arrivée de saint Epiphane à Jérusalem, avant qu'il vous eût donné tous les signes extérieurs d'une parfaite réconciliation, et lorsqu'il conservait encore de la haine dans son coeur; avant. due, pour vous couvrir de honte, nous lui eussions dicté les lettres qui flétrissaient du nom d'hérétique celui dont son amitié avait prouvé l'orthodoxie. Aterbius vous poursuivait à Jérusalem; s'il n'était parti bien vite, il aurait senti la force non de votre éloquence, mais du bâton dont vous vous servez pour frapper les chiens.

« Pourquoi, dites-vous, avez-vous soutenu que mes lettres étaient fausses? Pourquoi, après mes explications, avez-vous osé dans vos écrits ridiculiser mon style? Si je m'étais trompé, (car je suis homme), vous deviez m'en informer par des lettres particulières et avoir pour moi les mîmes égards que j'ai pour vous dans la lettre d'aujourd'hui. » Voici tous mes torts : accusé par des éloges trompeurs, j'ai voulu me justifier et, sans nuire à votre réputation, faire connaître à la multitude les accusations qui partaient de vous seul; désirant non vous accuser d'hérésie, mais seulement éloigner de moi tout soupçon. Pouvais-je présumer que j'exciterais votre colère en écrivant contre ces hérétiques? Vous aviez prétendu avoir fait disparaître tout ce qui est contraire à la foi dans les écrits d'Origène. Je ne vous croyais plus partisan des hérétiques, et c'est pour cela que je me suis déchaîné non contre vous, mais contre les ennemis de la religion. Si en cela j'ai montré trop de zèle, pardonnez-le-moi. J'ai cru que je vous ferais plaisir. Vous prétendez que mes affidés, par leur fraude et leur ruse, ont répandu dans le public vos ouvrages, qui étaient renfermés dans votre chambre ou chez celui qui seul était chargé de les garder. Comment se fait-il, comme vous l'avouez plus haut, que personne ou presque personne ne les possédait? S'ils étaient dans votre chambre, pour quelle raison se trouvaient-ils chez celui qui seul était chargé de les garder? Si, au contraire, celui-là seul qui possédait vos écrits les tenait cachés chez lui, ils ne se trouvaient donc pas seulement renfermés dans votre chambre, et quelques personnes ne les possédaient, donc pas comme vous le dites ? Vous m'accusez de vous les avoir dérobés, et encore vous prétendez  que je les ai achetés au poids de l'or et avec des marchandises d'un prix exorbitant. Mais que de contradictions sur un seul point et dans une petite lettre! Quel désaccord dans vos mensonges ! Il vous est permis d'accuser, et il me sera interdit de me défendre? Quand vous me chargez d'accusations, vous oubliez que je suis votre ami ; quand je vous réponds, c'est alors seulement  que le souvenir de notre amitié vous revient en esprit. Dites-moi, je vous prie, si vous avez composé vos ouvrages dans le dessein de les tenir cachés et de ne pas les livrer au public? Si c'est pour les tenir secrets, pourquoi avez-vous écrit ? Si c'est pour les répandre, pourquoi les cachiez-vous? Mais voici mes torts, c'est de ne pas avoir fait taire vos (405) accusateurs qui sont mes amis. Voulez-vous que je vous communique leurs lettres, dans lesquelles ils m'accusent d'hypocrisie, parce que, sachant que vous êtes hérétique , je garde le silence ; parce que, en vous accordant aveuglément la paix, j'ai occasionné les guerres intestines de l'Eglise? Vous donnez le nom de disciples à ceux qui se défient de moi parce que j'ai été votre condisciple, et qui me croient votre partisan parce que j'ai repoussé vos louanges avec trop de faiblesse. Votre prologue est tel que votre amitié m'a fait plus de tort auprès d'eux que votre haine. S'ils s'étaient mis dans la tête que vous étiez hérétique, avaient-ils raison ou tort? En voulant vous défendre, je n'ai fait que m'attirer une accusation semblable à celle dont ils vous chargeaient. Enfin ils m'opposent vos éloges, ils les croient sincères et ils ne pensent pas que ce soient des piéges que vous m'ayez tendus. Ils me reprochent avec amertume les louanges dont vous m'avez toujours comblé. Que voulez-vous que je fasse? Faut-il  que pour vous j'aie mes condisciples pour accusateurs? que je présente ma poitrine aux traits que l'on dirige contre mon ami? Quant, à vos livres peri arkon  vous devez me remercier; car, comme vous le dites, examinant minutieusement tout ce qu'ils contenaient, vous n'avez laissé que ce qui est pur. Quant à moi je les ai rendus d'après le grec. C'est là que votre foi brille, ainsi que l'hérésie de l'auteur que vous avez traduit. Les chrétiens les plus illustres m'écrivaient de Rome : « Répondez à votre accusateur afin de ne pas paraître l'approuver en gardant le silence. » Tout le monde, d'une voix unanime, me priait de faire connaître les tergiversations d'Origène, de désigner aux Romains ce qu'il y a de nuisible dans les paroles des hérétiques, pour qu'ils évitent de les entendre. En quoi cela peut-il vous blesser? Etiez-vous le seul interprète de ces ouvrages? Personne n'avait-il partagé avec vous ce travail ? Faites-vous partie des soixante-dix interprètes; et après votre ouvrage, sera-t-il défendu d'entreprendre le même travail? Moi aussi, comme vous le dites vous-même, j'ai traduit plusieurs ouvrages du grec en latin. Vous avez la liberté de les traduire comme bon vous semblera, car le mal comme le bien sera imputé à son auteur; et c'est ce qui vous serait arrivé à vous-même, si vous n'aviez prétendu avoir retranché ce qui sentait l'hérésie, pour ne conserver que les opinions orthodoxes. Voilà le noeud qu'on ne peut délier. Si vous vous êtes trompé comme homme, condamnez vos premières idées. Mais que ferez-vous de votre Apologétique , que vous avez composé pour la défense des écrits d'Origène? Que ferez-vous du livre d’Eusèbe, que vous avez fait passer pour un martyr, après avoir changé quelques passages ? Vous avez, avancé plusieurs propositions qui sont contraires à la foi catholique. Vous aussi vous traduisez des ouvrages latins en grec, et vous nous défendrez de donner des commentaires aux nôtres ? Si ,j'avais répondu à vos écrits qui ne me blessaient pas, j'aurais pu paraître traduire ce que vous aviez traduit, à votre confusion, pour montrer ou votre ignorance ou votre mauvaise foi. Mais aujourd'hui vous inventez une nouvelle manière de se plaindre. Vous gémissez de ce chie j'ai répondu même à une lettre qui m'accusait. Home, troublée de votre traduction, me demandait un remède à ce malheur.

Ce n'est pas que je pouvais être utile dans un tel moment; mais on voulait bien m'accorder quelque capacité. Vous qui avez fait cette traduction, vous étiez mon ami, que vouliez-vous donc que je fisse? Ne faut-il pas plutôt obéir à Dieu qu'aux hommes? Ne me suis-je pas attaché à défendre la substance de Dieu plutôt qu'à recéler un vol? Je ne pourrai donc vous plaire si je n'attire sur ma tête les mêmes accusations que celles qui pèsent sur la vôtre? Si vous n'eussiez fait aucune mention de moi, si vous ne m'eussiez pas prodigué de magnifiques éloges, il me resterait un refuge et l'espérance d'obtenir quelques suffrages. Je ne serais pas contraint de produire de nouveaux commentaires. Mais, mon cher ami, vous m'avez forcé à perdre quelques jours à la composition de cet ouvrage et à publier hautement ce que les gouffres de Charybde auraient dû ensevelir à jamais. Quoique grièvement offensé, je n'ai pas oublié mes devoirs d'ami, et autant qu'il a été en mon pouvoir j'ai tâché de me défendre sans vous attaquer. Vous êtes trop soupçonneux et querelleur, vous qui vous attribuez l'opprobre dont on veut couvrir les hérétiques. Si je ne puis être votre ami qu'en devenant en même temps l'ami des hérétiques, je soutiendrais plus facilement leur haine que leur amour. Vous croyez que j'ai forgé un (406) nouveau mensonge en vous écrivant en mon propre nom une lettre comme si elle avait été composée depuis longtemps, afin de paraître bon et modeste, lettre que vous n'avez jamais entièrement reçue. Cette affaire peut se prouver facilement. Bien des gens à Rome en possèdent des exemplaires depuis environ trois ans, et jamais ils n'ont voulu vous en faire parvenir, sachant ce que vous disiez de ma personne et combien d'opinions pernicieuses vous répandiez contre la religion chrétienne. Moi qui ignorais votre conduite, je vous avais écrit comme à un ami. On ne vous remit donc pas la lettre à vous qu'on savait être mon ennemi, et on ménagea mon illusion et votre conscience. A ce sujet vous prétendez qu'après vous avoir écrit une telle lettre, je ne devais pas écrire dans un autre ouvrage, lancer contre vous tant d'invectives. Voilà toute votre erreur et le sujet de vos plaintes, c'est que vous prenez pour vous tout ce que nous avons dit contre les hérétiques, et parce que nous ne les avons pas épargnés, vous croyez qu'on vous a fait injure, Est-ce que nous vous refusons l'existence parce que nous brisons contre la pierre la tête des hérétiques? et pour ne pas être obligé de prouver que je vous ai écrit, vous dites que le pape Anastase s'est joint à nous pour vous tromper en donnant son approbation. Je vous ai déjà répondu à ce sujet que si vous soupçonnez que la lettre n'est pas de lui, vous avez tout lieu de nous accuser de fausseté. Si au contraire c'est son ouvrage, comme le prouvent les lettres qu'il a écrites contre vous cette année, c'est en vain et à tort que vous vous efforcez de l'accuser de fausseté, puisque sa lettre qui n'est point supposée nous prouve que la nôtre est vraie. Pour excuser votre mensonge combien vous avez fait preuve d'élégance ! et pour ne pas étaler les six mille volumes d'Origène, vous exigez de moi les oeuvres de Pythagore. Où est donc la confiance avec laquelle vous prétendiez à haute voix et avec tant d'emphase que vous aviez fait disparaître de vos livres peri arkon ce que vous aviez lu dans les écrits d'Origène, et  que vous aviez rendu les choses suivant leur véritable expression? D'une si grande quantité d'ouvrages vous ne pouvez montrer un seul volume ni même un seul fragment. Voilà l'aveuglement et les ténèbres qui, selon vous, existent en moi, mais que j'ai dissipés et éloignés de votre esprit

comme vous le savez bien vous-même. Et malgré le coup terrible que nous vous avons porté vous ne gardez pas le silence; au contraire vous prétendez, avec plus d'effronterie encore que d'ignorance, que je nie des faits dont l'évidence nous frappe. Après avoir promis des monceaux d'or il n'est pas en votre pouvoir de donner un denier ni une obole. Je reconnais la justice de votre haine; vous vous emportez contre moi avec une véritable fureur; car, à moins que d'exiger audacieusement ce qui n'est point, vous paraissez avoir ce que vous n'avez pas. Vous me demandez les oeuvres de Pythagore ; qui vous a dit qu'il en existait un seul volume? Les paroles dont vous me faites un crime existent-elles dans mes écrits? Mais supposons que je me sois trompé dans ma jeunesse, et que, livré aux études des philosophes, c'est-à-dire des gentils, j'aie dans le principe ignoré les dogmes du christianisme et attribué aux apôtres ce que j'avais lu dans Pythagore, Platon et Empédocle. J'ai parlé de leurs opinions et non de leurs ouvrages; ces opinions, j'ai pu les lire dans Cicéron , Brutus et Sénèque. Lisez le discours de Vatinius et les autres où il parle de ses réunions d'amis. Feuilletez les dialogues de Tullius, jetez les yeux sur toute cette partie de l'Italie qui autrefois l'ut appelée Grande Grèce ; vous verrez partout les dogmes de Pythagore gravés dans les archives publiques. De qui viennent ces préceptes d'or? N'est-ce pas de Pythagore? C'est là qu'il sont exposés en peu de mots ainsi que dans les commentaires plus étendus du philosophe Jamblicus, qui en partie imita l'éloquence d'un homme sage, d'Archippus et de Lvsides, disciples de Pythagore. Archippus et Lysides établirent des écoles en Grèce, c'est-à-dire à Thèbes. Ils citaient de mémoire et se servaient de leur intelligence au lieu de manuscrits. C'est d'eux  que nous tenons la maxime suivante que l'on peut traduire ainsi : « Nous devons par tous les moyens possibles éviter la mollesse du corps, l'ignorance de l'esprit, l'intempérance, les dissensions civiles, les dissensions domestiques et en général l'excès en toutes choses. » Les préceptes suivants sont de Pythagore : « Tout doit être commun entre amis; un ami est un autre nous-même. Il faut considérer deux époques dans la vie, le matin et le soir , c'est-à-dire ce que nous avons fait et ce que nous devons faire. Après Dieu, il (407) faut rechercher la vérité, qui seule peut rapprocher les hommes du Créateur. » Voici les préceptes qu'Aristote recommande avec soin dans ses écrits : Gardez-vous de dépasser le but, c'est-à-dire les bornes de la ,justice; ne fouillez pas dans le feu avec l'épée, c'est-à-dire ne poursuivez pas par des médisances un coeur irrité et superbe ; il ne faut point chercher à s'emparer du sceptre , c'est-à-dire il faut respecter les lois de l'État; il ne faut point ronger son coeur , c'est-à-dire il faut bannir la tristesse de son âme ; ne marchez point sur la voie publique, c'est-à-dire n'embrassez pas les erreurs des autres ; ne recevez pas l’hirondelle dans votre maison, c'est-à-dire il ne faut point habiter avec des parleurs ; chargez ceux qui sont chargés et ne chargez pas ceux qui ont déposé leur fardeau; c'est-à-dire il faut multiplier les préceptes pour ceux qui marchent dans le sentier de la vertu, et abandonner les hommes qui s'endorment dans l'oisiveté. Puisque j'ai dit avoir lu les dogmes de Pythagore, écoutez ce que Pythagore a trouvé le premier en Grèce : « que les âmes sont immortelles, qu'elles passent d'un corps dans un autre, , et c'est Virgile lui même qui nous dit dans le sixième livre de l'Énéide : Lorsqu'elles ont fourni une révolution de mille ans , Dieu les appelle en grand nombre sur les bords du fleuve Léthé pour que sans doute elles puissent revoir le ciel dont elles ne se souviennent plus; c'est alors qu'elles recommencent à ranimer un nouveau corps , qui d'abord a été Euphorbus, ensuite Calide, puis Hermoticus, puis Perhius et enfin Pythagore ; et qu'après un certain laps de temps ce qui a existé recommence à naître, qu'il n'y a rien de neuf dans le monde, que la philosophie est un recueil de méditations sur la mort, que chaque jour elle s'efforce de délivrer l'âme des chaînes qui l'attachent au corps et de lui rendre sa liberté. Platon nous communique bien d'autres idées dans ses écrits, surtout dans le Phédon et dans le Timée.

C'est après avoir fondé l'académie et fait un grand nombre de disciples que, sentant qu'il ignorait encore bien des choses, il vint dans la Grande-Grèce. C'est là qu'il apprit d'Architas de Tarente et de Timée de Locres, la doctrine de Pythagore, et qu'il appliqua à la profonde science de ce dernier l'élégance et la beauté du style de Socrate. Ce sont toutes ces connaissances réunies qu'Origène, après leur avoir donné un autre nom, a évidemment insérées dans ses livres peri arkon. Comment donc ai-je péché en disant dans ma jeunesse que j'aimais dans les apôtres ce que j'avais lu dans les écrits de Pythagore, Platon et Empédocle? Non, ce n'est point comme vous le prétendez avec calomnie et mensonge , ce n'est point en lisant Pythagore, Platon et Empédocle, que je me suis convaincu de la vérité, mais c'est en voyant ce que j'avais lu dans leurs ouvrages confirmé par d'autres auteurs. Ma manière de raisonner est fort ordinaire, c'est comme si je disais: j'ai lu dans Socrate certaines opinions et je les crois vraies, non parce que Socrate a écrit quelques ouvrages, mais parce que j'ai vu les mêmes pensées dans Platon et dans les disciples de ce même Socrate ; c'est comme si encore je voulais imiter les belles actions que l'histoire d'Alexandre et de Scipion m'a fait connaître, non parce qu'Alexandre et Scipion les ont écrites eux-mêmes, mais parce que j'ai lu dans les oeuvres de divers auteurs ce que j'admire dans ces grands hommes. Donc, quand bien même je ne pourrais prouver qu'il existe des ouvrages de Pythagore, ni démontrer qu'ils ont été reconnus par son fils, sa fille ou ses disciples, vous ne me croiriez pas pour cela menteur, parce que j'ai dit que j’avais lu non ses livres mais ses opinions. Vous vous trompez en pensant que j'ai voulu appuyer votre mensonge , au point que si j'avais voulu montrer un seul volume de Pythagore vous en perdiez au moins six mille d'Origène. J'arrive à votre conclusion, c'est-à-dire à vos invectives; c'est là que vous m'exhorter à la pénitence et que vous me menacez de la mort si je ne hâte ma conversion , c'est-à-dire si je réponds aux crimes dont vous m'accusez; vous me déclarez que le scandale tombera sur ma tête, moi qui par une réponse ai allumé la fureur d'un homme dont la patience et la douceur égalent celles de Moïse. Vous vous vantez de connaître des crimes que je n'ai confessés qu'à vous seul, vous que je croyais mon meilleur ami , et vous me menacez de les publier partout , de me représenter sous les couleurs que je mérite. Je dois me souvenir que je me suis jeté à vos pieds pour éviter que le glaive de votre vengeance ne tombe sur ma tête. Enfin après avoir parlé comme un homme que la fureur aveugle, vous (408) rentrez en vous-même; vous dites que vous désirez la paix si je consens désormais à garder le silence; c'est-à-dire à ne plus écrire contre les hérétiques et à ne pas oser répondre à vos accusations. En me comportant de la sorte, je serai pour vous un frère, un collègue, je serai à vos yeux le plus éloquent des hommes, le confrère et l'ami le plus fidèle ; et ce qui est mieux encore que tout cela, vous avouerez conforme à la vraie foi tout ce que j'ai traduit d'Origène. Si au contraire je parle ou j'agis, aussitôt je serai un impie, un hérétique, un homme indigne de votre amitié. Voilà les louanges qui m'attendent; c'est ainsi que vous m'exhortez à la paix, et vous ne me permettez seulement pas de faire entendre un gémissement et de verser des larmes sur ma douleur. Moi aussi, je pourrais vous représenter sous vos véritables couleurs, m'emporter contre un furieux, dire tout ce que je sais et ce que j'ignore; je pourrais, usant de la même licence, poussé par la fureur et le même aveuglement, amasser contre vous des mensonges et des vérités que je rougirais de dire et vous d'entendre. Je pourrais vous jeter à la tête ce qui ferait mépriser l'accusé ou l'accusateur; je pourrais enfin en imposer au lecteur par un excès d'effronterie , faire passer pour des vérités ce que la plus odieuse impudence me suggérerait. Que les chrétiens se gardent de demander le sang des autres lorsqu'ils offrent le leur, et d'être homicides non par le glaive mais par la volonté; cela convient assez à votre bonté, à votre douceur et à votre simplicité, vous dont le coeur corrompu exhale l'odeur embaumée des roses et l'odeur fétide des cadavres. Contre le sentiment du prophète, ce que vous aviez vanté comme doux, vous dites que c'est amer.

Dans des discussions religieuses il n'est pas nécessaire d'en appeler aux tribunaux ; je ne dirai rien autre chose que ce proverbe : « Quand vous aurez dit ce que vous vouliez dire, vous entendrez ce que vous ne voudrez pas entendre. »

Si ce proverbe vous semble un peu trivial, homme très sage, si vous préférez les maximes des philosophes et des poètes, lisez cet adage d'Homère. « Soyez surs d'entendre vous-même ce que vous aurez dit aux autres. » Suivez cet exemple dans vos écrits, c'est ce que je réclame de votre sainteté, si admirable et si pure que les démons sont furieux à la vue seule de vos vêtements. Quel est le catholique qui dans une discussion a jamais reproché une turpitude à son adversaire? Sont-ce là les leçons que vous avez reçues de vos maîtres? Vous ont-ils ordonné, lorsque vous ne pourrez répondre, d'arracher la langue et les yeux d'un homme qui ne peut se taire? Vous n'avez pas lieu de vous glorifier beaucoup de ce que les scorpions et les cantharides peuvent faire comme vous. C'est ce que firent Fulvia contre Cicéron, Hérode contre saint Jean, parce qu'ils ne pouvaient entendre la vérité; ils percèrent avec une aiguille la langue qui disait vrai. Les chiens aboient pour défendre leur maître, et vous ne voulez pas que je parle pour la défense du Christ? On a beaucoup écrit contre Marcion, Valentinius, Arius et Eunomius; mais qui leur a jamais reproché une turpitude? Tous ne s'efforcèrent-ils pas de confondre l'hérésie? Vos arguments ne conviennent qu'aux hérétiques, c'est-à-dire à vos maîtres ; car quand une fois ils sont convaincus de perfidie, ils s'arment des traits de la calomnie. C'est ainsi qu'Eusthatius, évêque d'Antioche, se trouva des enfants sans le savoir ; c'est ainsi qu'Athanase, évêque d'Alexandrie, coupa la troisième main d'Arsénius; mais ce dernier, qu'on croyait mort, revint à la vie et prouva qu'il n'en avait que deux. Voilà les fictions que composent vos maîtres et vos disciples contre un autre prêtre de la même Eglise. Avec de l'or, c'est-à-dire avec votre force et celle des vôtres , ils attaquent la vérité de la foi. Que dirai-je de ces hérétiques qui, quoique hors de l'Église, s'intitulent vrais chrétiens? Que publièrent les nôtres contre les plus fameux impies, Celse et Porphyre? Quel est celui d'entre eux qui oublie sa cause pour attribuer inutilement à son adversaire des crimes que doivent prévoir non les réglements ecclésiastiques, mais les rescrits de la justice? Ou qu'importe, si vous perdez votre cause, que vous triomphiez par vos calomnies? Il est inutile que vous soyez accusateur au péril de votre vie; avec un assassin salarié vous pouvez satisfaire tous vos désirs. Vous redoutez le scandale, vous qui depuis si longtemps êtes disposé à donner la mort à un frère qui toujours a été votre ami, et que vous accusez aujourd'hui. Je suis cependant étonné que vous, homme si sensé, vous (409) soyez tellement aveuglé par la fureur, que vous consentiez à m'accorder un bienfait en délivrant mon âme de sa prison et en ne souffrant pas qu'elle reste plus longtemps dans les ténèbres de ce monde. Voulez-vous me forcer au silence? cessez de m'accuser; déposez votre glaive et moi je quitterai mon bouclier. Il est un point sur lequel je ne pourrai m'accorder avec vous , c'est d'épargner les hérétiques et de ne pas avouer que je suis catholique. Si c'est là la cause de notre querelle, je puis mourir, mais non pas me taire. J'aurais dû, il est vrai, répondre à la fureur qui domine dans tous vos ouvrages , et, comme un autre David, la dissiper par des chants modulés sur la lyre; mais je me contenterai du petit nombre de témoignages que j'ai recueillis dans cet ouvrage , et j'opposerai la sagesse à la folie : de sorte que si vous méprisez ma parole, vous ne mépriserez pas au moins celle de Dieu.

Ecoutez ce que le sage Salomon dit de vous, des envieux , des médisants et des calomniateurs : « Ne faites point de mal à votre ami, et n'ayez point sans motif de haine contre votre semblable ; les impies recherchent la calomnie. Eloignez de vous une langue pernicieuse et repoussez loin de vous les lèvres iniques, les regards du calomniateur, la langue du méchant , les mains qui répandent le sang du juste, le cœur qui forme de mauvaises pensées et les pieds qui courent au mal. Celui qui s'appuie sur le mensonge donne de l'aliment aux vents, il suit les oiseaux dans leur vol et quitte les sentiers qui conduisent à sa vigne en laissant au hasard le soc qui doit labourer son champ. Il parcourt des lieux arides et déserts, et ne recueille dans ses mains que la stérilité. La bouche de l'imprudent est voisine du repentir. L'homme qui calomnie est un insensé. Tous ceux qui marchent dans le sentier de la justice possèdent une âme comblée de bénédictions; celui qui conserve de l'animosité dans son coeur est un homme méchant; ce sont les crimes que commet la bouche du pécheur qui le font tomber dans le piège. La conduite des insensés est belle à leurs yeux; l'insensé en un jour l'ait éclater toute sa fureur. Les lèvres qui profèrent le mensonge sont en abomination au Seigneur. Celui qui veille sur sa langue sauve son âme; celui dont les lèvres sont téméraires sera pour lui-même un sujet de terreur. Le méchant ajoute le mal à l'outrage, et l'insensé laisse déborder les flots de sa malice. Vous chercherez la sagesse chez les méchants et vous ne la trouverez pas. Le téméraire sera rassasié de ses actions. Le sage craint et évite le mal; l'insensé plein de confiance en lui-même s'y précipite. L'homme courageux est puissant par la prudence ; l'homme lâche est très imprudent. Celui qui calomnie le pauvre attaque son Créateur. La langue des sages enseigne le bien, et la bouche des insensés profère le mal. L'homme porté à la colère occasionne des dissensions, et tout homme dont le coeur est gonflé d'orgueil, est impur devant Dieu. Celui qui commet d'injustes violences ne restera point impuni. Celui qui aime la vie ménage ses paroles. L'outrage précède le repentir, et les mauvaises pensées précèdent la mort. Celui qui a le regard fixe, roule dans son coeur des projets sinistres et fait naître tous ses maux par ses paroles. Les lèvres de l'insensé le poussent au mal, et une bouche téméraire attire la mort. L'homme méchant éprouvera bien des malheurs ; le pauvre qui est juste est préférable au riche qui dit le mensonge. Il y a de la gloire pour l’homme qui fuit les médisants; mais celui qui est aveugle recherche les hommes pervers. Ne vous livrez pas à la médisance, de crainte d'encourir la vengeance du Seigneur. Le pain du mensonge est agréable à l'homme , mais la bouche de celui qui accumule des trésors sera plus tard remplie de cailloux. La langue du menteur ne prononcera que des paroles vaines, mais elle tombera dans les filets de la mort. Ne dites rien à l'oreille de l'insensé, de peur que le sage ne se moque de vos discours. Autant la massue , le glaive et les traits sont dangereux , autant est funeste l'homme qui prononce contre son ami un faux témoignage; la médisance tombera sur lui avec la rapidité du vol des oiseaux. Ne répondez point aux médisances du méchant., de crainte de devenir semblable à lui, mais répondez aux folies de l'insensé de peur qu'il ne paraisse sage à ses propres yeux. Celui qui tend des piéges à son ami dira, si l'on vient à le découvrir, qu'il l'a fait par plaisanterie. L'homme méchant est toujours prêt à se lancer dans le tumulte des querelles, il est comme la grille que l'on place sur les charbons ardents, et comme le bois que l'on jette dans le feu. Si votre ennemi vous crie à haute (410) voix de l'épargner, ne l'écoutez pas, car les sept péchés sont dans son âme. La pierre est lourde, le sable est difficile à porter, mais la colère de l'insensé est plus insupportable encore ; son indignation est cruelle, sa colère violente et son zèle impatient. L'impie calomnie les pauvres; est bien sot qui compte sur un avare. L'insensé fait éclater toute sa colère, le sage sait la maintenir. Le mauvais fils a des armes au lieu de dents pour anéantir les faibles de la terre et les pauvres d'entre les hommes. » Instruit par ces paroles je n'ai pas voulu déchirer l'homme qui me déchirait, je n'ai pas voulu user de la loi du talion ; j'ai mieux aimé apaiser la colère d'un homme furieux, et répandre dans son coeur empoisonné l'antidote de cet écrit; mais je crains bien que tous mes discours ne soient inutiles, et que je ne sois forcé de me consoler avec ces paroles de David : « Les pécheurs se sont égarés dès leur naissance ; ils ont commis le mal dans le sein même de leur mère; ils ont dit le mensonge. Leur fureur les rend semblables au serpent et à l'aspic, qui se bouche les oreilles pour ne pas entendre la voix des enchanteurs. Dieu leur brisera les dents. Dieu brisera la mâchoire des lions pour anéantir leur force qui sera semblable à l'eau qui s'écoule; il a bandé son arc jusqu'à ce qu'ils fussent détruits. Ils disparaîtront comme la cire qui se fond. Le feu du ciel est tombé sur eux et ils n'ont pu voir le soleil; c'est alors que le juste sera rempli de joie. Il verra les méchants punis ; il lavera ses mains dans le sang du pécheur. L'homme dira : « Si c'est là la récompense du juste, il existe un Dieu qui juge les pécheurs sortit terre.» Vous m'écrivez de votre propre main à la lin de votre lettre: « Je souhaite que vous aimiez la paix. » A ce sujet je vous répondrai en peu de mots : Si vous désirez la faix, déposez les armes, je serai sensible à la douceur, mais je ne crains pas les menaces. Qu'il n'y ait entre nous qu'une même foi, et aussitôt nous aurons la paix.

 

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