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SUR LES ÉCRIVAINS GRECS ET LATINS.
A L'ORATEUR MAGNUS.
Je m'aperçois bien que notre cher Sébésius a profité de vos conseils, et je m'en aperçois encore mieux par son changement de vie que par votre lettre. Sa conversion me donne plus de joie que ses égarements ne m'ont causé de chagrin. On a vu dans cette circonstance une sorte de combat entre la tendresse d'un pire et la piété d'un enfant :celui-là oubliant le passé, et celui-ci promettant de mieux vivre à l'avenir. Cet heureux changement doit être et pour vous et pour moi un grand sujet de contentement, puisque je retrouve un fils et vous un disciple. Vous me demandez à la fin de votre lettre pourquoi je cite dans mes ouvrages les auteurs profanes, et pourquoi je mêle avec la pure doctrine de l'Eglise les folies du paganisme. Je n'ai â ce sujet qu'un mot à vous dire : c'est que vous ne me feriez jamais une pareille question si vous n'étiez point passionné pour Cicéron, et si vous aviez abandonné Volcatius pour lire l'Ecriture sainte et les ouvrages des interprètes; car qui ne sait que Moïse et les prophètes se sont servis des auteurs païens, et que Salomon adresse des questions aux philosophes de Tyr, et répondu à celles qu'ils lui ont proposées? Aussi il nous apprend dès le commencement de ses Proverbes qu'il ne les a écrits que « pour nous faire comprendre les discours de la sagesse, les paroles ambiguës, les paraboles et leur sens mystérieux, les maximes et les énigmes des sages; » ce qui ne convient qu'aux dialecticiens et aux philosophes. L'apôtre saint Paul, en écrivant à Tite, ne cite-t-il pas ce vers d'Epiménide : « Les Crétois sont tous menteurs ce sont de méchantes bêtes qui n'aiment que la bonne chère et l'oisiveté? » Callimaque a depuis inséré dans ses ouvrages l'hémistiche de ce vers héroïque. Il ne faut point du reste s'étonner que la traduction latine ne rende pas exactement l'original, puisque la traduction des oeuvres d'Homère offre à peine un sens quelconque. Ce même apôtre s'est encore servi dans une autre de ses épîtres de ce vers de Ménandre : « Les mauvais entretiens corrompent les bonnes moeurs. » Et disputant à Athènes dans le palais de Mars, il cite ces paroles d'Aratus : « Nous sommes les enfants de la race de Dieu. » C'est la fin d'un vers héroïque. Ce chef de l'armée chrétienne, et ce grand orateur n'en demeure pas là; car pour soutenir les intérêts de Jésus-Christ et établir la vérité de notre religion, il se sert avec avantage d'une inscription qu'il avait vue par hasard sur un autel. Il n'ignorait point qu'on doit, à l'exemple du véritable David, désarmer son ennemi et couper la tète au superbe Goliath avec sa propre épée. Il avait lu que Dieu même ordonne dans le Deutéronome, avant d'épouser une prisonnière de guerre, de lui raser la tête et les sourcils, et de lui couper la barbe et les ongles. Faut-il donc s'étonner qu'entraîné par l'éloquence humaine, je mette au nombre des Israélites cette belle captive, et qu'après l'avoir rasée, c'est-à-dire purifiée de ses idolâtries, de ses erreurs, de ses dérèglements et de tout ce qui est mort en elle, je la prenne pour mon épouse, et que j'en aie des enfants légitimes capables de servir le Dieu des armées? Je travaille pour l'établissement de la famille de Jésus-Christ, et le commerce que j'ai avec cette étrangère ne (442) sert qu'à augmenter le nombre de ses serviteurs. Le prophète Osée épouse une prostituée nommée Goiuer, fille de Debelaïm, dont il a un fils appelé Jézrhael, c'est-à-dire enfant de Dieu. Isaïe prend un rasoir tranchant pour raser le menton et les pieds des pécheurs. Le prophète Ezéchiel, voulant nous représenter les malheurs dont l'impie Jérusalem était menacée, se rase la tête et en retranche tout ce qui est sans sentiment et sans vie. On a blâmé, au rapport de Firmianus, saint Cyprien, cet homme st célèbre dans l'Eglise par son éloquence et son martyre, pour avoir, en écrivant contre Démétrianus, cité plusieurs passages tirés des prophètes et des apôtres, que son adversaire prétendait être faux et supposés, et pour tic pus s'être plutôt appuyé sur l'autorité des philosophes et des poètes qu'un païen n'eût pas osé rejeter. Celse et Porphyre ont écrit contre la religion chrétienne; Origène a répondu à celui-là avec force; Méthodius, Eusèbe et Apollinarius ont écrit contre celui-ci avec habileté et talent. Origène a composé huit livres contre Celse; l'ouvrage que Méthodius a fait contre Porphyre contient jusqu'à dix taille lignes; Eusèbe et Apollinarius ont composé contre lui, l'un vingt-cinq volumes et l'autre trente. Lisez-les, et vous avouerez que je suis un ignorant auprès d'eux; et après avoir tant étudie, je tue souviens à peine, et encore d'une manière très confuse, de ce que j'ai appris dans ma jeunesse. L'empereur Julien, dans la guerre des Parthes, composa sept livres de blasphèmes contre Jésus-Christ, et, comme parle la fable, il fut battu avec ses propres armes. Si j'entreprenais d'écrire contre lui, vous ne me permettriez pas sans doute de recourir à l'autorité des philosophes et des stoïciens, et de m'en servir comme de la massue d'Hercule pour écraser la tête de ce chien enragé. II est vrai que bientôt après il éprouva dans le combat la puissance de notre Nazaréen, ou, comme il l'appelait par mépris, du Galiléen, ayant été percé d'un coup de lance, comme châtiment de ses impiétés et de ses blasphèmes. Joseph a écrit en faveur de l'antiquité du peuple juif deux livres contre Appion d'Alexandrie, surnommé le grammairien, où il cite un si grand nombre de passages tirés des auteurs profanes que je ne saurais comprendre comment un Juif de nation, appliqué dès ses plus tendres années à l'étude de l'Ecriture sainte, a pu lire tous les ouvrages des auteurs grecs. Que dirai-je de Philon que les savants regardent comme le Platon des Juifs? Continuons à parcourir tous les auteurs qui citent les profanes dans leurs ouvrages. Quadratus, disciple des apôtres et évêque de l'Eglise d'Athènes, ne présenta-t-il pas à l'empereur Adrien, comme il se rendait au temple de Cérès, un livre pour la défense de la religion chrétienne, où la force et l'élévation de son génie parurent avec tant d'éclat qu'il s'attira l'admiration de tout le monde et fit cesser une cruelle persécution qui s'était élevée contre l'Eglise? Le philosophe Aristide, homme très éloquent, présenta au même empereur l'apologie des chrétiens, toute remplie de passages tirés des philosophes. Justin, également philosophe, suivit son exemple, et présenta à l'empereur Antonin, à ses fils et au sénat, un livre qu'il avait composé contre les Gentils, où il défend hautement l'ignominie de la croix, et confesse avec une liberté vraiment chrétienne la résurrection de Jésus-Christ. Que dirai-je de Meliton, évêque de Sardes? d'Apollinarius, prêtre de l'Eglise d'Hiérapole? de Denis, évêque de Corinthe? de Talianus, de Bardesane, d'Irénée, successeur de saint Photin, martyr, qui tous ont écrit plusieurs volumes pour faire voir dans duels philosophes chaque hérésie se formait? Pautenus, philosophe de la secte des stoïciens, fut envoyé aux Indes par Démétrianus, évêque d'Alexandrie, qui connaissait sa profonde érudition, afin d'annoncer Jésus-Christ aux Brachmanes et aux philosophes de ces pays-là. Clément, prêtre de l'Eglise d'Alexandrie, qui, suivant moi, est le plus habile de tous ceux qui ont écrit sur la religion, a fait huit livres intitulés des Stromates, et huit autres qui ont pour titre des Expositions, un contre les Gentils et trois autres intitulés du Pédagogue ou de l'Instruction des enfants. Tous ces ouvrages ne sont-ils pas remplis d'érudition et de tout ce qu'il y a de plus recherché en philosophie? Origène, à son imitation, a écrit huit livres des Stromates, où il compare la doctrine des chrétiens avec celle des philosophes, et où il confirme tous les dogmes de notre religion par l'autorité de Platon, d'Aristote, de Numénius et de Cornutus? Milciades a aussi écrit un livre fort savant contre les Gentils ; Hippolyte et Apollonius, sénateurs (443) romains, ont donné aussi quelques ouvrages au public. Nous avons encore des livres de Julius Africanus, qui a écrit l'histoire des temps; de Théodore , qui depuis fut appelé Grégoire , homme égal aux apôtres en miracles; de Denis d'Alexandrie, d'Anatolius, prêtre de l'Eglise de Laodicée : comme aussi des prêtres Pamphile, Piérius, Lucien et Malchion; d'Eusèbe de Césarée, d'Eustrate d'Antioche, d'Athanase d'Alexandrie, d'Eusèbe d'Emèse, de Triphille de Cypre, d'Astérius de Scvtropolis, et du confesseur Sérapion; de Tite, évêque de Bostra; de Bazile, de Grégoire et d'Amphilochius, tous trois de Cappadoce. Tous les ouvrages de cette époque sont tellement remplis de passages et de sentences des philosophes, qu'on ne sait ce que l'on doit le plus admirer en eux, ou la science de l'Ecriture sainte, ou la connaissance profonde des auteurs profanes. Venons maintenant aux écrivains de l'Eglise latine. Où trouve-t-on plus d'érudition et d'énergie que dans Tertullien? Son Apologétique et ses livres contre les Gentils se font admirer. Y a-t-il quelque chose de beau dans les auteurs profanes que Minutius Félix, ce célèbre avocat de Rome, n'ait fait entrer dans son livre qui a pour titre Ociarius, et dans un autre qu'il a fait contre les astrologues (si néanmoins il en est l'auteur comme le titre le porte)? Arnobe a écrit sept livres contre les Gentils ; Lactance, son disciple. en a écrit autant, outre deux volumes intitulés, l'un de la Colère et l'autre de l'Ouvrage de Dieu. Si vous voulez vous donner la peine de les lire, vous trouverez que ce n'est presque qu'un abrégé des dialogues de Cicéron. Quant au martyr Victorin, s'il n'y a pas beaucoup d'érudition dans son ouvrage, il parait cependant qu'il n'a rien épargné pour cela. Quelle concision, quelle profonde connaissance de l'histoire, quelle beauté, quelle éloquence ne trouve-t-on pas dans les ouvrages que saint Cyprien a faits pour prouver que les idoles ne sont pas des dieux! Hilaire, ce grand évêque, qui de nos jours a confessé avec tant de zèle la divinité de Jesus-Christ, a imité les douze livres de Quintilien, et pour le nombre et pour le style. Dans le petit livre qu'il a composé contre le médecin Dioscore, il a montré la connaissance parfaite qu'il avait des belles-lettres. Le prêtre Juvencus, sous le règne de Constantin, a écrit en vers l'histoire de notre Sauveur, sans craindre que la poésie diminuât en rien la majesté de l'Evangile. Je passe sous silence une infinité d'autres écrivains, tant morts que vivants, dont les ouvrages indiquent et l'érudition, et la volonté de s'en servir. Mais afin que vous ne tombiez pas dans une autre erreur en vous imaginant qu'il n'est permis de s'appuyer sur l'autorité des auteurs profanes que lorsqu'on écrit contre les Gentils, je dois vous dire qu'il n'y a presque aucun écrivain, (si vous n'en exceptez ceux qui n'ont jamais cultivé les lettres avec Epicure,) dont les livres ne soient remplis d'une science et d'une érudition profonde. Au reste, pour vous parler ici franchement, je suis bien convaincu que vous n'ignorez pas l'usage de tous les habiles écrivains; mais je pense que quelqu'un vous a suggéré la question que vous m'avez faite, et que ce pourrait bien être Calpurnius, surnommé Lanarius, parce qu'il aime à lire l'histoire de Salluste. Dites-lui, je vous prie, de ma part, que, s'il n'a plus de dents pour manger, il ne porte point envie à ceux qui en ont encore de bonnes , et qu'étant aussi aveugle qu'une taupe, il ne doit point se moquer de ceux qui ont les yeux perçants de la chèvre. J'aurais ici, comme vous voyez, matière à parler, mais il faut terminer ma lettre.
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