Chapitre III
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CHAPITRE III : L'ORATOIRE

 

I. La fondation de l'Oratoire, point culminant de la Contre-réforme en France. — Renouvellement de « l'état de prêtrise ». — Il ne s'agissait pas de réformer, mais de sanctifier le clergé. — Une congrégation qui, « par un état perpétuel », honorera « le souverain sacerdoce de Jésus-Christ ». — Le prêtre, en tant que prêtre, voué à une perfection au moins aussi haute que le religieux. — Condren et la véritable mission de l'Oratoire. — Témoignage du P. Amelote.

II. L'Oratoire rend « un hommage particulier » au Verbe incarné. — Il a pour mission de vivre et de répandre la doctrine spirituelle de Bérulle. — Le P. Coton et l’ « Ordre qui manquait à l'Église ». — Que la fin principale de l'Oratoire n'est pas « l'éducation » du clergé. — L'Oratoire et « la vertu de religion ». — « Sans exception, toutes les fonctions du sacerdoce ». — La sainte Vierge, l'Église, l'Ecriture sainte. — Ferveur liturgique de l'Oratoire.

III. L'esprit et les constitutions dans les Ordres religieux. — Saint Ignace et Bérulle.— Constitutions sommaires de l'Oratoire. — Netteté du type oratorien. — La distinction oratorienne. — Simplicité et sérieux. — Indépendance : le P. François de Saint-Pé et la duchesse d'Orléans. —

IV. Les trois facteurs qui ont contribué à fixer le type oratorien. 1) Les Hautes études. — Goût pour les sciences et les belles-lettres. — Les conciles. — Avantages et inconvénients possibles de ce développement que Bérulle n'avait pas prévu. — Leur humanisme n'a jamais été un humanisme « séparé ». —Thomassin et Bouhours. 2) L'antijésuitisme. Qui a commencé ? — Bérulle et la Compagnie de Jésus ; services rendus; premières hostilités. — Ce n'est pas la spiritualité bérullienne qui explique les premières antipathies des jésuites à l'endroit de l'Oratoire. — Ils ont cru que l'Oratoire méditait leur ruine. — Le mémoire des Jésuites à Richelieu contre Bérulle. — Violence des premiers conflits. — Les paroles irréparables. — Les maladresses de Bérulle. — « Iste homo natus est ad pessima ».— Trop long silence ; défense trop impétueuse. — Le Discours sur les grandeurs de Jésus et le branle-bas des Approbations. — L'offensive contre les jésuites; epicurae turbae; avant goût des Provinciales. — La querelle éternisée dans un livre de dévotion, dans la somme officielle du bérullisme. — L'Oratoire et le jansénisme ; les ennemis de nos ennemis sont nos amis. — Que le véritable esprit de l'Oratoire résiste invinciblement au jansénisme : Gibieuf, Bourgoing et Saint-Pé. 3) La tradition bérullienne. — Dévotion particulière de l'Oratoire au Verbe incarné. — Batterel et la tradition oratorienne. —

 

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Lejeune. — Malebranche. — Quesnel. — « Nous aimions mieux Jésus-Christ ».

 

 

I. La fondation de l'Oratoire et des filiales oratoriennes —Saint-Sulpice ; la Mission ; les Eudistes — qui, à l'exemple, ou sous l'inspiration directe de M. de Bérulle, travailleront à « relever l'état de prêtrise », cette fondation, dis-je, conséquence nécessaire du mystique mouvement que nous racontons, marque le point culminant de la Contre-réforme française (1). Écoutons à ce sujet M. de Bérulle dans un de ses discours aux premiers oratoriens.

 

(1) — Sur l'esprit de l'Oratoire, il faut naturellement se rapporter d'abord aux Oeuvres complètes de Bérulle, à la lettre du P. Bourgoing qui leur sert de préface et aux « Oeuvres  complètes du P. Charles de Condren : ses lettre .... par les soins de l'Abbé l'in, Paris, 1837. Dans ce chapitre, je me servirai de cette édition, parce que l'éditeur a joint aux Lettres de Condren, plusieurs documents sur les origines oratoriennes. Quand, plus tard, nous étudierons la personne même de Condren, je me servirai d'une autre édition. Viennent ensuite ; La ve du P. Ch. de Condren (Amelote), II, ch. V, VI, VII, et VIII ; les Entretiens sur les sciences..., par le P. Bernard Lamy, Lyon, 1748, V° Entretien ; c'est un texte capital, d'une beauté rare et dont le cardinal Perraud n'a cité que des extraits ; histoire de Pierre de Bérulle... par M. Tabaraud, Paris, 1817 ; L'Oratoire de France au XVII° et au XIX° siècle, par le P. Adolphe Perraud (depuis cardinal), 2° édit., Paris, 1866 ; les tomes II et III de l'abbé Houssaye ; Vie du P. Jean Eudes... par le P. D. Boulay, t. I, Paris, 19o5, chap. V, L'Oratoire de Jésus, et chap. XIX, Le jansénisme et l'Oratoire. Pour l'histoire de la Congrégation, voici un bref résumé : Le 10 novembre 1611 Bérulle s'installe avec ses jeunes compagnons (Jean Bence ; Jacques Gastaud ; Paul Métezeau ; François Bourgoing) dans une maison de la rue Saint-Jacques (le Petit-Bourbon), presque en face du Grand Carmel. Sur l'emplacement de cette maison s'élèvera bientôt le Val-de-Grâce. Dans le courant de 1613, le Mercure français disait à ce sujet : « Sous le nom de prêtres de l'Oratoire, s'est établie au faubourg Saint-Jacques, une nouvelle congrégation. Ce sont tous prêtres ayant des commodités, et gens doctes qui vivent en communauté comme religieux. La plus grande partie du jour, ils sont en prières et méditations. Ils portent la soutane comme les prêtres romains (chose alors peu commune chez nous). Ils out aussi un large manteau et le collet rabattu et non haussé comme celui des jésuites. Plusieurs ont loué cette congrégation, comme aussi elle est louable, et d'autres (l'Université et les Doctrinaires) lui ont été contraires » cf. Tabaraud, I, p. 174. En 1629, l'Oratoire comptait quarante-quatre murons. Je dounerai quelques indications sur les maisons de Paris. Lu 1616, ils quittent le Petit-Bourbon pour se fixer au quartier Saint-Honoré (hôtel du Bouchage, rue du Coq, à deux pas du Louvre). C'est là que résidera le général jusqu'à la Révolution française. Leur église existe encore, mais affectée, comme l'on sait, au culte réformé. En 1624, ils prirent possession de l'abbaye de Saint-Magloire, contiguë à l'église de Saint-Jacques du Haut-Pas, et ils y établirent une sorte de séminaire, où, comme le dira Bossuet, a dans l'air le plus pur et le plus serein de la ville, tant d'ecclésiastiques devaient respirer l'air encore plus pur de la discipline cléricale» (Oraison funèbre du P. Bourgoing). On trouve dans les Registres de l'Oratoire, à la date du 28 octobre 1641 : « Notre confrère de la Fontaine, l'aîné (Jean. Son frère Claude avait été recula même année que lui) se rendra à Saint-Magloire, pour y étudier en théologie, à quoi il doit être convié et pressé. » Ce qui suppose, remarque judicieusement le P. Batterel, qu'il en avait du dégoût ». (Batterel, II, p. 599). Plus tard(1654-1658), Nicolas Pinette, trésorier de Gaston d'Oréans, lit construire pour eux, dans le faubourg Saint-Jacques, une maison de campagne et un noviciat. C'est l'Institution (aujourd'hui hospice des Enfants Assistés, rue Denfert-Rochereau). L'Eglise est encore debout avec l'enfant Jésus du fronton et la dédicace : Sanctimae Trinitati et Infantiæ Jesu sacrum. Là, des pénitents célèbres, Conti, Rancé, etc., vinrent achever leur conversion. L'endroit est plein de souvenirs pieux et piquants. (cf. Marcel Fosseyeux : Les solitaires de l'Oratoire. Revue des Et. hist., janvier 1914). Il nous manque une histoire complète de l'Oratoire. En attendant cet ouvrage nécessaire, on trouvera une feule de renseignements dans les Mémoires domestiques pour servir à l’histoire de l'Oratoire... parle P. L. Batterel, publiés parle P. Ingold, Paris, 19o3, sq. ; cf. aussi les notices du P. Cloyseault, publiées par le P. Ingold ; Grandet. Les Saints Prêtres Français du XVIIe siècle (éd. Letourneau) Paris, 1897, II, pp. 1-149. On trouvera à la fin du deuxième volume de Tabaraud l'histoire sommaire des généraux de l'Oratoire après Bérulle : (Condren, 1629-1644 ; François Bourgoing, 1664-1662 ; Jean-François Senault, 1662-1672 ; Abel Louis de Sainte-Marthe, nommé en 1672, démissionnaire en 1696. mort en 1697 ; Pierre-François de la Tour, 1696-1735 ; Louis de Thomas de la Valette, 1735-1772 ; Denis de Muly, 1773-1779 ; Sauvé Moisset, 1779-179o, « époque à laquelle, il ne fut plus possible de lui donner un successeur ». Sur l'éducation à l'Oratoire, cf. la thèse du P Lallernant : histoire de l'éducation dans l'ancien Oratoire de France, Paris, 1880. Je ne peux naturellement pas songer à mentionner ici les monographies des oratoriens célèbres, le Malebranche si curieux du P. André, le Massillon de Blampignon, etc., etc. ; encore moins les nombreuses études sur Daunou, le Fouché de M. Madelin. La moins connue de ces monographies, et non pas la moins précieuse, est le Tabaraud de M. Dubédat, Bulletin de la Soc. arch. et hist. du Limousin, tome XX, 1872. Beaucoup semblent ignorer que Tabaraud (1744-1832) eut une conduite héroïque, pendant toute la Révolution, et que, malgré son indomptable gallicanisme et sa dévotion à Port-Royal, il n'a pas cessé de vivre dans la communion de l'Église.

 

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Le même Dieu qui a rétabli en nos jours, en plusieurs familles religieuses, l'esprit et la ferveur de leur première institution, semble vouloir aussi départir la même grâce et faveur à l'état de prêtrise, qui est le premier, le plus essentiel et nécessaire à son Eglise, et renouveler en icelui l'état et la perfection qui lui convient selon son ancien usage et sa première institution. Et c'est pour recueillir cette grâce du ciel, pour recevoir cet esprit de Notre Seigneur Jésus-Christ, notre grand-prêtre, pour vivre et opérer sous sa conduite, et pour la conserver à la postérité que nous sommes assemblés en ce lieu et en cette forme de vie qui commence (1).

 

(1) Oeuvres, 1270.

 

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On répète communément qu'en fondant l'Oratoire, Bérulle a eu pour but principal la réforme du clergé séculier. Cette façon de parler peut se défendre, mais elle me semble équivoque et assez fâcheuse. Je dirais plus volontiers que la mission originale de Bérulle est, non pas de réformer, mais de sanctifier le clergé. Sanctification, réforme, il y a plus qu'une nuance entre ces deux mots. Le second évoque naturellement le souvenir de Grégoire VII, et je ne vois pas que l'oeuvre de ce grand pape ressemble à celle du fondateur de l'Oratoire, pas plus que l'Église du  XIe  siècle ne ressemble à l'Église du temps de Louis XIII. Entre ces deux époques, la face du monde spirituel a changé : on n'a plus à corriger les mêmes abus, on ne respire plus la même atmosphère. Aussi voyons-nous les réformateurs bérulliens demander beaucoup à la moyenne du clergé français. La réforme de Grégoire VII est toute disciplinaire et morale, celle de Bérulle, toute mystique. Le premier tâche de ramener le clergé à un minimum de régularité et de décence, le second à un maximum de vertu; l'un insiste sur l'observation des préceptes, l'autre ne parle guère que des conseils; celui-ci exige un clergé honnête, celui-là des prêtres séculiers qui ne le cèdent en rien aux réguliers, et qui, en raison de leur sacerdoce, uniquement parce qu'ils sont prêtres, et en tant que prêtres, visent à la perfection la plus haute : « On ne peut exprimer, écrit le P. Bourgoing, en quelle haute estime et vénération » M. de Bérulle a eu toujours la prêtrise. Elle « était son vrai élément..., mais il fallait que son esprit sacerdotal se répandit hors de lui et se communiquât à l'Église... Et afin de n'y contribuer pas seulement par lui-même, il a institué la congrégation de l'Oratoire, pour adorer et rendre hommage par un état perpétuel, au souverain sacerdoce de Jésus-Christ, comme seul instituteur de la prêtrise, pour tendre à la perfection sacerdotale, pour en pratiquer et exercer toutes les fonctions sans exception, et encore pour former dans la piété et dans les devoirs ecclésiastiques

 

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ceux qui y aspirent et se dédient à l'Eglise pour cela » (1). On avouera que ce n'est pas là un programme de réforme, au sens ordinaire de ce mot, mais bien d'initiation à la vie parfaite.

L'Oratoire a une mission essentiellement doctrinale : il doit restaurer et glorifier l'idée même du sacerdoce catholique. Au cours des siècles, cette idée s'était insensiblement appauvrie et comme avilie ; le clergé séculier, « l'Ordre du Christ », se désintéressant peu à peu du plus noble de ses privilèges ; — sa vocation à la sainteté — avait en quelque manière cédé ce droit d'aînesse au clergé régulier, aux ordres de saint Benoît, de saint Dominique, de saint François et de saint Ignace. C'est du moins le système que Bérulle nous propose dans un de ses courts aperçus historiques, dont les détails ne paraissent pas toujours de la dernière exactitude, mais qu'affectionnent les esprits sublimes :

 

Il faut donc savoir que l'Eglise est divisée en deux parties, toutes deux saintes, si nous considérons son institution et son origine : l'une est le peuple, l'autre le clergé; l'une reçoit la sainteté, et l'autre l'influe. Et dans les temps les plus proches de sa naissance, de ces deux parties sortaient les troupes des vierges, des confesseurs, des martyrs, qui bénissaient l'Eglise, remplissaient la terre, peuplaient le ciel et répandaient en tout lieu l'odeur de la sainteté de Jésus. Ce corps saint, animé d'un esprit saint, policé de lois saintes, se relâchant et diminuant en sainteté par la corruption des siècles, a commencé son relâchement par le peuple, comme par la partie la plus faible, et lors, d'entre le peuple, quelques-uns se sont retirés pour conserver à eux-mêmes la sainteté propre à tout le corps, et ç'ont été les moines, lesquels. selon saint Denis, sont la partie du peuple la plus haute et la plus parfaite, qui étaient régis par les prêtres en la primitive Eglise, recevant d'eux la direction et perfection de la sainteté à laquelle ils aspiraient par-dessus le commun.

Lors la sainteté résidait au clergé comme en son fort, et abattait

 

(1) Oeuvres de Bérulle, p. 107.

 

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les idoles et les impiétés de la terre. Lors le clergé, composé des prélats et des prêtres,

 

mais dont les religieux ne faisaient pas encore partie,

 

ne respirait que choses saintes, ne traitait que de choses saintes, laissant les choses profanes aux profanes. Lors le clergé portait hautement gravées en soi-même l'autorité de Dieu, la sainteté de Dieu, la lumière de Dieu : trois beaux fleurons de la couronne sacerdotale, joints ensemble par le conseil de Dieu sur ses oints, sur ses prêtres et sur son Eglise, tellement que les premiers prêtres étaient et les saints et les docteurs de l'Eglise; Dieu conservant en un même ordre, autorité, sainteté et doctrine, et unissant ces trois perfections en l'ordre sacerdotal, en l'honneur et imitation de la Sainte Trinité où nous adorons l'autorité du Père, la lumière du Fils et la sainteté du Saint-Esprit, divinement liés en unité d'essence.

 

Il ne faut pas dire seulement que cela est beau, mais aussi que cela est vrai et vrai parce qu'il est beau. Que si, du reste, l'histoire ne confirme pas de point en point ce magnifique tableau, tant pis pour l'histoire, laquelle défigure toujours plus ou moins les pensées de Dieu, qu'elle a mission de réaliser !

 

Mais le temps, qui corrompt toutes choses, ayant mis la relâche en la plus grande partie du clergé, et ces trois qualités, autorité, sainteté, doctrine que l'Esprit de Dieu avait jointes ensemble, étant divisées par l'esprit de l'homme et l'esprit du siècle, l'autorité est demeurée aux prélats, la sainteté aux religieux, et la doctrine aux académies, Dieu, en ce divorce, conservant en diverses parties de son Eglise, ce qu'il avait uni en l'état ecclésiastique (1).

 

Aux prélats, le gouvernement; aux universités, la culture théologique; aux ordres religieux, le monopole de la haute vertu ; je traduis Bérulle sans le discuter, bien

 

(1) Bérulle ne veut pas insinuer qu'avant cette décadence, les prélats partageaient leur autorité avec les prêtres du second ordre; il veut dire : l'autorité, mais sans la sainteté, sans les lumières, est demeurée désormais aux prélats.

 

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assuré, du reste, que nul homme d'esprit n'ira prendre de telles généralisations au pied de la lettre. Il suffit que d'une certaine manière le faisceau primitif ait été rompu,

chacun des trois fleurons détaché des autres, et la couronne sacerdotale brisée.

 

Hélas.... ! la malignité du monde, dans lequel nous vivons, nous a dégradés de cette dignité. Elle est passée en mains étrangères,

 

entendez, chez les réguliers ;

 

et nous nous pouvons justement servir de ces paroles de plainte : Haerereditas nostra versa est ad alienos; car combien qu'ils (les ordres religieux) soient naturels dans la grâce, et dans l'unité du corps de Jésus, ils sont étrangers au ministère, et Dieu, en son premier et principal conseil, ne les a pas choisis pour cela.

 

« Ce sont les prélats et les prêtres » qui sont d'abord, et du droit de leur sacerdoce, appelés soit à la sainteté, soit à la science.

Ce droit ne sera jamais prescrit et nous devons

 

louer la bonté de Dieu, qui nous donne le moyen de rejoindre la sainteté et la doctrine, à l'autorité ecclésiastique, sans intérêt (dommage) de ceux (les réguliers) qui l'ont reçue (sainteté et doctrine) et employée si saintement et si utilement à notre défaut.

 

« C'est le vouloir et le conseil de Dieu » sur la congrégation séculière de l'Oratoire.

 

Nous sommes rassemblés pour reprendre notre héritage,

 

l'héritage de la tribu de Lévi, la vocation à la sainteté,

 

pour rentrer en nos droits, pour jouir de notre succession légitime, pour avoir le Fils de Dieu en partage, pour avoir part à son esprit, et, en son esprit, à sa lumière, à sa sainteté et à son autorité, communiquée aux prélats par Jésus-Christ, et par eux aux prêtres (1).

 

(1) Oeuvres, pp, 1473-1475.

 

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Ce n'étaient pas là des vues proprement nouvelles. Le Docteur angélique, lui-même une des plus grandes gloires u clergé régulier, enseignait déjà que l'état de prêtrise exige encore plus de sainteté que ne fait la vocation religieuse. Requiritur major sanctitas interior quant requirit etiam religionis status (1). Il parait d'ailleurs assez évident « que le sacerdoce, de sa nature, est une condition de vie supérieure même à la profession religieuse » (2). Mais, dans la pratique, on oubliait cette vérité, ou du moins on ne la réalisait plus. Pour vingt raisons, que nous n'avons pas à rapporter, il semblait, non pas que les ordres religieux eussent l'absolu monopole de la perfection, mais que, celle-ci dût s'épanouir plus spontanément, et, si j'ose dire, plus naturellement, dans les cloîtres que partout ailleurs. La médiocrité du clergé séculier avait en quelque façon rejailli sur la grâce même du sacerdoce, et les aspirants à la voie étroite n'hésitaient qu'entre les divers ordres religieux qui pourraient s'offrir à leur choix. De ces directions que la conscience chrétienne a providentiellement suivies pendant de longs siècles, le fondateur de l'Oratoire a délibérément et, lui aussi, providentiellement voulu s'écarter. Il ne dresse pas autel contre autel, il n'entend déprécier en quoi que ce soit la vie religieuse, mais seulement rivaliser de sainteté avec les ordres religieux. Les oratoriens ne seraient que prêtres, et, en tant que prêtres, ils se considéreraient comme voués à une perfection au moins aussi haute que les réguliers.

 

Aaron, écrit à ce sujet le P. de Condren, portait sur son front ce titre : Sanctum Domino, sanctifié au Seigneur, ou consacré au Seigneur, sur une lame d'or; mais les prêtres du Nouveau Testament portent ce titre de sainteté ou de consécration au Seigneur au fond de leurs âmes, par le caractère

 

(1) Sum. Theol, 2-2 q. 184, a 6.

(2) Ribet, L'ascétique chrétienne, ch. VIII, n°4. J'emprunte ces dernières citations au R. P. Lebrun, Oeuvres complètes du V. Jean Eudes, III, Vannes, 1906, pp. XXXVI, XXXVII.

 

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de la prêtrise, qui les met dans une obligation temporelle et éternelle d'être les saints du Seigneur, que le feu même de l'enfer ne saurait effacer.

 

Et c'est pour attester cette vérité par l'existence même et le caractère de leur Institut, que les oratoriens ne s'engagent à la perfection que par les seuls voeux du sacerdoce. Il est dit expressément dans la bulle de fondation, continue Condren, que l'Oratoire,

 

n'étant qu'une assemblée de prêtres (séculiers) ou aspirants a la prêtrise, elle ne s'engage pas par des voeux à observer la pauvreté, la charité, l'obéissance et les conseils évangéliques, mais elle embrasse toutes ces vertus en s'engageant à ce sublime état (du sacerdoce), qui doit sanctifier et perfectionner tous les autres états de l'Eglise, et qui par conséquent suppose la perfection de tous...

Cela n'ôte rien à l'estime que cette congrégation fait des saints vœux..., et tant s'en faut que (l’) intention (de Paul V) ait été d'exiger par là de nous une moindre perfection que celle des religieux qu'au contraire il nous a imposé une étroite obligation de nous appliquer uniquement, et de tendre de toutes nos forces à la perfection sacerdotale, laquelle, sans doute, dans les religieux mêmes, ajoute quelque chose s la sainteté de leurs voeux.

Tous les prêtres de l'Eglise, et particulièrement les pasteurs, sont à la vérité dans ces mêmes obligations : mais les prêtres de l'Oratoire en l'ont une profession expresse et particulière,

 

renonçant, par exemple, « aux cupidités du siècle, à toutes les choses séculières, et même à l'ambition des bénéfices ».

 

Ainsi les maisons de l'Oratoire de Jésus doivent être, à l'égard des autres prêtres, ce que les monastères sont à l'égard des laïques : car, comme dans la décadence et le refroidissement de la première ferveur du christianisme, Dieu inspira à plusieurs laïques l'esprit de retraite et de solitude, d'où se for, nièrent les monastères..., de même l'ordre sacerdotal étant déchu en plusieurs endroits de sa première perfection, Dieu a

 

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excité saint Philippe de Néri en Italie, et l'éminentissime cardinal de Bérulle en France, pour former une congrégation de prêtres qui, non seulement font profession de tendre à la perfection sacerdotale, mais qui se séparent de tout ce qui les en peut détourner..., pour s'attacher, par une profession ouverte, à en rechercher les moyens et en acquérir les vertus, et enfin qui s'unissent en corps pour être à l'égard des autres ecclésiastiques ce que les religieux sont à l'égard des laïques.

Il s'ensuit de là que l'intention de Dieu, comme elle nous est exprimée par son oracle, notre saint Père le Pape en (la) première partie de la Bulle de notre institution, est que nous soyons autant élevés en pureté, en pauvreté, en humilité, en obéissance..., en sainteté de vie, par-dessus le commun des ecclésiastiques, que les plus saints religieux sont élevés par-dessus le commun des laïques ; de telle sorte que la seule présence d'un prêtre ou d'un confrère de l'Oratoire doive exciter la tiédeur des ecclésiastiques relâchés, et confondre le vice de ceux qui sont corrompus, comme Tertullien dit que les chrétiens séparés du monde confondaient par leur rencontre les vices du monde : De occursu meo vitia confundo (1)

 

(1) Lettres de Condren (édit. Pin) pp. 169-171. Cf. Bourgoing : Bérulle « a institué la congrégation de l'Oratoire pour... tendre à la perfection sacerdotale. Il a voulu qu'elle subsistât en cette profession sans aucun voeu, et qu'elle demeurât toujours dans l'état pur et primitif du sacerdoce, tel que N. S. J-C. l'a établi en son Eglise, sans y rien ajouter ni diminuer. Cette exclusion de voeux ne marque pas un défaut de volonté et de zèle à la perfection, mais le dessein d'honorer et d'imiter Jésus-Christ en son souverain sacerdoce par le nôtre, lequel nous appelle et nous élève à une plus haute perfection, et nous unit à Dieu par un plus fort et plus puissant lieu que celui du voeu, savoir par la consécration ». Oeuvres de Bérulle. p. 108 ; cf. aussi, pp. 1o9, 110 : et Tabaraud, op. cit. pp. 168, 169 Ce dernier nous apprend que certains de leurs adversaires appelaient les oratoriens antivotistes. Sur le rapprochement établi par Condren entre l'Oratoire italien et l'Oratoire français, cf. A. Perraud, L'Oratoire de France, pp. 1-28. Je dois ajouter que le dernier biographe du bienheureux Jean Eudes, le R. P. Boulay, n'approuve pas ce rapprochement. Et il est en cela parfaitement logique avec lui-même, car, dans sa pensée, que nous discuterons bientôt, et que nous ne pouvons admettre, l'Oratoire bérullien avait pour fin principale l'éducation du clergé dans les séminaires, fin que l'Oratoire italien ne se proposait certainement pas. Le but de l'Oratoire français, écrit-il, « était avant tout la restauration de l'idée et des vertus du sacerdoce en France (oui, mais il faut entendre cette restauration au sens que Bérulle et Condren viennent de nous expliquer) et par là (l'Oratoire français) se distingue nettement de l'Oratoire de saint Philippe, voué spécialement à l'apostolat des âmes et à l'apostolat de la science » Vie du P. Eudes I, pp. 96, 97. Oui encore, l'Oratoire italien est voué à ces deux apostolats, mais ce n'est pas là ce qui le distingue des autres ordres, des jésuites par exemple. L'innovation de saint Philippe est d'avoir fondé une association de prêtres réguliers qui tendent à la même perfection que les religieux sans pour cela s'engager à cette perfection par les voeux ordinaires de religion. Ipso facto, saint Philippe travaillait à « la restauration de l'idée et, des vertus du sacerdoce ». De ce point de vue, son oeuvre est identique à celle de Bérulle, avec cette différence toutefois que Bérulle a dégagé et formulé plus nettement la philosophie, si l'on peut dire, de cette innovation mémorable. Et voilà pourquoi, quand on se contente de dire que l'Oratoire français a pour mission de restaurer l'idée et les vertus du sacerdoce, on ne définit pas complètement cet Institut. Il faut ajouter que, pour atteindre à ce but qui lui est commun avec l'Oratoire italien, l'Oratoire français fait profession de vivre et de propager la doctrine spirituelle de son fondateur, laquelle n'est pas la doctrine de Philippe de Néri. D'où le second paragraphe du présent chapitre.

 

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N'eût-il fait que rêver cette réhabilitation, cette apothéose ne « l'état de prêtrise », ce serait assez pour la gloire de Bérulle. Mais, chose quasi-miraculeuse, il a réussi. Tant il est vrai que les hommes de doctrine, les prétendus subtils, ou, comme on dit encore, les théoriciens s'entendent mieux que les hommes d'action à transformer insensiblement le monde spirituel. Grâce à Bérulle, ou, ce qui revient au même, grâce à l'Oratoire, au P. de Condren, à Vincent de Paul, à m. Olier, au P. Eudes, le clergé de France a repris son héritage, et, semble-t-il, pour ne plus le perdre. Le P. Amelote a là-dessus une page qui ne satisfait pleinement ni l'historien, ni l'homme de goût, mais qui mérite néanmoins d'être retenue, et qui résumera, non sans un peu de fracas, ce que nous venons de dire. Avant Bérulle et l'Oratoire, écrit-il, « le nom de lévite... et celui de prêtre » avaient perdu tout prestige. « Leur noblesse était tombée en roture » ;

 

Les personnages de qualité aspiraient bien par ambition aux dignités ecclésiastiques, mais il ne s'en voyait point qui se portassent à la prêtrise par piété. S'il y avait un homme d'honneur dans le clergé, ou il fuyait les saints ordres, ou il les cachait sous le nom d'une charge ou d'un bénéfice, ou il ne les exerçait qu'avec une pompe séculière. Il se dérobait soi-même la plus noble de ses qualités et n'en pouvait souffrir la bassesse.

 

Il y a bien quelque exagération dans tout cela, mais laissons-le dire.

 

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Être pasteur des hommes et des troupeaux, c'était une chose égale dans les esprits. Les grands tenaient leurs prêtres parmi leurs plus petits serviteurs. C'étaient les valets de leurs maisons; et ceux qui rendaient les hommes participant de la table de Dieu n'étaient pas clignes d'être conviés à la leur. Ce n'étaient plus les pères et les gouverneurs des princes et des magistrats, c'étaient leurs solliciteurs ou leurs jardiniers. L'on tenait leur conversation à déshonneur, on ne les voyait que dans les boutiques de leurs voisins, ils ne savaient ce que c'était que la propreté, ils étaient les exemples de toutes les incivilités. Leurs couronnes étaient effacées, ils craignaient de porter leurs habits...

 

Les premiers oratoriens, qui tous venaient de bonne maison, portaient la soutane, à la grande surprise du public.

 

On leur donnait des noms ridicules... Ils étaient le sujet des fables et des proverbes; les buveurs en faisaient leurs chansons et psalmodies. Ils étaient le jouet des hérétiques, les enfants les sifflaient et leur faisaient des huées par les

rues.

Nous avons l'obligation à l'Oratoire d'avoir relevé la prêtrise de la boue et de la poussière. Ces Josués ont rebâti l'autel et l'ont appuyé sur ses bases et ses fondements... Ces Ezéchias ont remis les départements des prêtres et des lévites. Leurs exemples, leurs livres, et leurs paroles ont si religieusement honoré le sacerdoce de Jésus Christ, ils ont publié si hautement sa dignité et ses avantages, ils ont tant loué sa grâce et on caractère, que le Clergé s'est réveillé de son assoupissement, il a commencé d'ouvrir les yeux et de reconnaître la pourpre du ciel dont il était revêtu. Les prêtres... ont étudié leur Lévitique. Les conciles ont été retirés de la cendre ; l'un a considéré les saints canons. Les laïques ont été éblouis de la splendeur des robes sacrées ; l'inclination qu'a la grâce des chrétiens envers les prêtres, comme envers leurs pères, s'est excitée. Les grands et les sages ont été ravis du sacerdoce. Cette sainte famille de Jésus s'est vue en moins de rien illustre par l'affluence des grands personnages qui se sont jetés entre ses bras. Le siècle a commencé de voir les gens de considération à l'autel. Le nom de prêtre ne s'est plus caché sous le titre d'abbé, de prieur, de chanoine. Enfin l'amour du sacrifice

 

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et l'honneur de sanctifier l'Eglise avec Jésus-Christ l'a emporté sur le bénéfice; ç'a été la grâce que les clercs ont cherchée aux saints ordres. Les seigneurs et les sénateurs se glorifient maintenant d'avoir en Jésus-Christ une charge infiniment plus noble que ne sont les plus illustres de l'Etat. Chacun confesse que de rendre la vie aux âmes, c'est plus que de faire grâce à des criminels qui ont mérité les punitions corporelles ; que de ruiner l'empire du démon avec trois paroles, et mettre les esprits en repos, c'est une puissance qui surpasse celle des généraux et de leurs armées ; que de produire le corps de Jésus-Christ, et d'en faire à Dieu un véritable présent pour la paix des consciences..., que de pouvoir donner aux hommes le Dieu vivant..., c'est le chef-d'œuvre des miracles de l'Eglise..., c'est le sujet du ravissement des chrétiens. L'Oratoire des prêtres de Jésus n'a pas seulement prêché ces vérités, il a eu la grâce de les imprimer dans les coeurs (1).

 

Il n'y a presque plus rien que de parfaitement exact dans la seconde partie de cette prophétie de Joad. Et cependant, lorsque le P. Amelote publiait son livre (1643) , la propagande oratorienne n'avait pas encore donné tous ses fruits. Que n'eût-il pas dit, vingt ans plus tard, après le plein succès des séminaires, tous bérulliens, du P. Eudes et de Saint-Sulpice (2) !

 

(1) La vie du P. Ch. de Condren, II, pp. 96-100.

(2) Cf. quelques remarques et citations intéressantes du P. Lebrun, dans l'introduction au Mémorial du P. Eudes. Les vues de celui-ci sur le sacerdoce catholique « sont bien grandes et bien belles... Dans ce qu'elles ont d'essentiel, elles ne sont que l'écho de la tradition catholique. On les retrouve chez tous les réformateurs du clergé français au XVIIe siècle... Il serait bien intéressant de les étudier avec leur nuances diverses, chez le P. de Bérulle, le P. de Condren, saint Vincent de Paul, le vénérable Olier... Quel beau livre il y aurait à écrire sous ce titre : Le sacerdoce d'après les réformateurs du clergé français au XVIIe siècle! » lieus la pensée du P. Eudes, « Si grands et si illustres que soient les ordre, religieux, leur gloire pâlit devant celle du sacerdoce, dont Jésus-Christ est, répète-t-il souvent (après Bérulle), « l'Instituteur », « le Fondateur », et « le Chef », et qui est, dit-il encore, « le premier et le plus saint de tous les ordres » et celui « qui sanctifie tous les autres »... « C'est là ce que les réformateurs du clergé français au XVIIe siècle ne cessaient de proclamer. Jaloux de rendre tout son lustre au sacerdoce, qui est l'Ordre de Jésus-Christ, ils appuyaient fortement sur ce principe que nul n'est plus tenu que le prêtre à la perfection, et que nul, non plus, n'est tenu à une plus haute perfection ». Suivent de nombreux textes du P. Eudes qui d'ailleurs reproduisent tous et la pensée et même souvent les mots de Bérulle. Oeuvres complètes du V. Jean Eudes, III, Vannes, 1906, pp. XXI-XLIV. Cette doctrine, de nouveau présentée au XIX° siècle, notamment par le P. Giraud, supérieur général des missionnaires de N.-D. de la Salette (Prêtre et Hostie. N. S. J.-C. et son prêtre considérés dans l'éminente dignité du sacerdoce..., 3° édit., Paris, 1914), cette doctrine, disons-nous, fit une impression profonde sur le cardinal Manning ; c'est même par là qu'il faut expliquer, en partie du moins, l'orientation nouvelle suivie par lui pendant les dernières années de sa vie, et certaines outrances que nous ont fait connaître les indiscrétions de son biographe, M. Purcell. Voici, il ce sujet, quelques extraits récemment publiés, de sa correspondance avec le sage Ullathorne, lequel, soit dit en passant, appartenait au clergé régulier, avant d'être nommé évêque de Birmingham : I know there is a prejudicium against me (i. e. qu'on me croit hostile aux réguliers) and I will tell you my whole mind : 1° Before I was in the Church, all my sympathies were with the regulars. For the first four years after, I was strongly drawn to the passionists and to the jesuits ; 3° The strong desire for rule and community life look me to Bayswater (où il avait formé une sorte de congrégation) ; 4° BUT I CAME TO SEE THE DIVINE INSTITUTION OF THE. PASTORAL OFFICE, AND THAT NO REGULAR ORDER CAN MEET THIS. (Et cela, je le répète, ce sont nos bérulliens français qui le lui ont appris). I also saw the pastoral clergy was at a disadvantage, depressed and lightly esteemed; but I saw that THEY WERE OUR LORD'S OWN ORDER ». Et encore : « I feel that our humble, hard-worked, hard-working, self-denying, unpretending, self-depressing pastoral clergy need to be encouraged, cheered and told of their HIGH and happy state ». Et plus explicitement : « They (le clergé séculier) seem to be cowed, discouraged, depressed, weakened by a tradition of later ages THAT THET NEED NOT BE PERFECT; that they cannot be perfect; and that it is unreal, and a sign of opposition to the, « Religious» TO SPEAK OF PERFECTION anywhere outside of an « Order ». Il écrivait ainsi vers 1883. Manning a exposé, ex professo, et avec plus de sérénité, ces mêmes vues dans son livre tout bérullien sur le Sacerdoce. Et voici, pour notre école française, une assez noble recrue. (Some Birmingham Bygones, illustrated from the correspondence of Manning and Ullathorne, par M. Shane Leslie, Dublin Review, avril-juin 192o.)

 

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II. « L'étai de prêtrise, disait Bérulle, requiert de soi-même deux points. Premièrement une très grande perfection et même sainteté » — c'est là ce que nous venons de rappeler ;

 

secondement, il requiert une liaison particulière à Jésus-Christ..., auquel nous sommes conjoints par ce ministère en une manière spéciale.

 

C'est pourquoi l'oratorien doit « tendre continuellement à la perfection, et à une très grande liaison d'honneur, d'amour et de dépendance à Jésus-Christ ».

 

Comme il a plu à Dieu d'inspirer à chaque famille religieuse le soin et la profession de quelque vertu particulière, en sorte

 

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que, les possédant toutes, elle se rend éminente et singulière en l'exercice et la profession de quelqu'une entre les autres, qui de la pauvreté, comme les capucins, qui de la solitude, comme les chartreux, qui de l'obéissance, comme les jésuites, nous devons reconnaître que le soin particulier d'aimer et d'honorer intimement et singulièrement Jésus-Christ..., outre l'affection continu ne qui lui est due par tous les chrétiens, et qui lui est rendue par tous les ordres religieux, doit être le point auquel cette petite congrégation se doit rendre éminente et singulière entre toutes les autres (1).

 

Qu'on y prenne garde, c'est là une définition au sens le plus technique du mot. Bérulle la répète avec plus d'émotion dans son livre sur les Grandeurs de Jésus, livre de combat, ainsi que nous le montrerons bientôt, et où il s'agissait de réduire une bonne fois au silence les adversaires de l'Oratoire.

 

Faites-nous cette grâce, ô Jésus..., que cette société naissante, et un peu pâtissante, soit de plus en plus établie, fondée et enracinée en vous, et qu'elle tire vie, influence et conduite de vous ; qu'elle n'ait mouvement, sentiment et puissance que pour vous; qu'elle vous rende un hommage particulier, et à votre humanité sacrée... ; qu'elle porte la marque, l'impression, le caractère de votre servitude.,.; qu'elle soit esclave de votre grandeur et de votre puissance, de votre amour, de votre esprit et de votre croix..., et soit uniquement dépendante de votre sacré mystère de l'Incarnation. Et, comme en ce mystère est votre état, votre vie, votre différence dedans l'être créé et incréé..., ainsi je vous requiers que notre vie, notre état, notre différence... soit dérivée de vous et de votre humanité sacrée, et qu'en cette piété, dévotion et servitude spéciale au mystère de votre... divinité humanisée et humanité déifiée soit notre... esprit et notre différence particulière d'entre les autres sociétés saintes... qui sont en votre Eglise, lesquelles semblent avoir voulu saintement partager la robe que vous avez laissée, montant en croix, en partageant entre elles la variété de vos vertus et perfections... Nous choisissons pour notre marque et différence principale cette particulière piété et dévotion vers vous...,

 

(1) Oeuvres, p. 1270.

 

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et généralement vers tous vos mystères... C'est ce que le diable ennemi de Jésus et de la servitude qu'on doit et qu'on voue Jésus, regarde, craint et persécute. C'est ce que des esprits, à mon avis peu considérés, sans le vouloir et sans l'entendre, blâment et calomnient. C'est ce que nous devons et voulons conserver et augmenter en ces orages et tempêtes (1).

 

Plus clairvoyant, plus noble, plus chrétien que ces premiers adversaires de l'Oratoire, le jésuite Coton se félicite au contraire de voir naître cette congrégation nouvelle, qui aura précisément pour objet de répandre une dévotion spéciale et « particulière », au Verbe incarné :

 

Monsieur et Révérend Père, écrit-il à M. de Bérulle..., j'adore, loue et remercie l'éternelle Providence de ce qu'il lui a plu vous choisir (selon la prédiction que m'en avait faite plusieurs années auparavant la sainte âme de Soeur Marie de l'Incarnation), pour établir un ordre qui manquait à l'Eglise. et de ce que vous insinuez en icelui... la particulière dévotion, qu'il est très juste de se trouver en une partie de l'Eglise militante, envers les mystères de l'économie en chair du Verbe divin (2).

 

Nous disions plus haut : l'Oratoire a pour but de restaurer et de glorifier l'état de prêtrise ; il faut ajouter maintenant due, pour atteindre ce but, les oratoriens se proposent, en premier lieu de vivre, et ensuite de répandre au dehors la doctrine spirituelle de M. de Bérulle, telle que nous l'avons décrite dans le chapitre précédent.

Au reste, les deux éléments de cette définition n'en font qu'un (3). C'est en effet la grâce même de leur sacerdoce

 

(1) Oeuvres, pp. 314-315.

(2) Lettre inédite publiée par M. Houssaye, Les Carmélites de France et le cardinal de Bérulle. Courte réponse, Paris. 1873, p. 95.

(3) De ces deux éléments :a) L'Oratoire fondé pour la glorification de l'état de prêtrise; b) pour incarner, vivre, répandre la doctrine bérullienne sur l'union au Verbe incarné — de ces deux éléments, dis-je, le premier est le corollaire du second. J'ajoute que le second est plus continuellement présent à la pensée de Bérulle que le premier. Souvent même il parait oublier celui-ci quand il parle de l'Oratoire. Cette seule remarque suffirait à réfuter les historiens d'aujourd'hui, qui veulent que, la première et principale fin de Bérulle ait été l'éducation du clergé, la fondation des séminaires. Nous reviendrons bientôt sur ce point.

 

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qui oblige les oratoriens à une liaison plus intime, plus étroite avec la personne du Verbe incarné. Il faut, écrivait le second général de l'Oratoire,

 

que nous soyons tout-autrement que le commun des chrétiens, dévoués, consacrés, liés et unis à Jésus-Christ, comme à notre chef et souverain prêtre, avec qui nous ne ferons qu'un même prêtre, n'étant oints que par une participation de l'onction de Jésus-Christ comme prêtre. Et cette participation à son onction divine, cette appartenance et cette liaison à son humanité ainsi consacrée nous        approprie à la personne du Verbe, et nous consacre par elle, avec la sainte humanité, à la gloire de Dieu (1).

 

De là vient le caractère théocentrique de l'Oratoire, et le grand air de religion qu'on remarque chez ses écrivains.

 

De toutes les qualités et grandeurs que le Fils de Dieu a acquises en notre nature, la plus haute et la plus relevée, écrit le P. Bourgoing, est la dignité de prêtre souverain selon l'ordre de Melchisedech; car en celles de Sauveur, de Roi, de Pasteur, de Juge et autres, il nous regarde, il pense à son Eglise, et il s'applique à nos âmes, pour les sauver, les régir, les nourrir, les juger; mais en la qualité de prêtre, il regarde Dieu son père, il l'adore et lui rend un souverain hommage, par l'état et l'office de son sacerdoce éternel  (2).

 

Formé sur le modèle, uni aux sentiments, à la vie du souverain Prêtre, l'oratorien est donc voué à la vertu de religion et à la louange divine, avant de l'être au salut des âmes. Leur vocation diffère beaucoup moins de celle du chartreux ou de celle du bénédictin qu'on ne l'imagine. Croyez-en plutôt l'oratorien modèle, le P. Charles de Condren. Voici comme il écrit à ses frères qui venaient de lui notifier son élection au généralat :

 

L'inclination présente que Dieu me donne à la retraite, à

 

(1) Lettres de Condren, pp. 172-173.

(2) Oeuvres de Bérulle, pp. 1o3, 1o4.

 

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laquelle je m'étais particulièrement disposé depuis le décès de notre révérend Père (Berulle), ayant l'intention, sous le bon plaisir de la congrégation, de passer le reste de ma vie aux pieds du Fils de Dieu; l'amour même que je ressens pour la congrégation, tout en moi me portait à lui désirer un autre supérieur (1).

 

Et de son côté, le P. François de Saint-Pé, l'un des premiers de la congrégation, et sans contredit, l'un des plus saints :

 

Si vous étiez en ma place, écrivait-il à une personne de piété, vous vous trouveriez grandement heureux et vous pourriez y faire dix ou douze heures d'oraison. Si j'aimais autant la prière que l'étude, ce qui devrait être, puisque je suis prêtre, et que je suis prêtre de l'Oratoire, j'emploierais tout mon temps à adorer Dieu et à converser avec lui..., mais je suis un misérable de ne pouvoir m'appliquer que peu de temps à ce devoir principal. Tout prêtre doit être un homme d'oraison, mais un prêtre de l'Oratoire doit être un homme d'une oraison continuelle. Il ne doit agir que par le mouvement de la prière... Il doit se considérer hors de la prière comme un poisson hors de l'eau. Il doit aimer l'étude, mais beaucoup plus l'oraison. Je vous prie de demander pour moi cette grâce à Dieu, de préférer l'oraison à l'étude. Je la préfère dans l'esprit, et cependant j'agis comme si je préférais l'étude : si bien que quand je dis que je préfère l'oraison, je crains de me tromper moi-même, car rates actions font mieux voir quel je suis que mes pensées, qui ne sont peut-être que dans la superficie de mon imagination. Il est vrai que je n'étudie que des choses saintes, et que je tâche parfois d'adorer Dieu en étudiant, mais, après tout, cette étude est beaucoup au-dessous de l'oraison (2).

 

Ce n'est pas que tous les oratoriens doivent mener une vie contemplative. A chacun son attrait, sa grâce ; à chacun de reproduire en lui-même tel ou tel des « états » du Verbe incarné. Aussi bien, comme le dit expressément le P. Bourgoing, l'Oratoire a-t-il droit à exercer « sans exception…

 

(1) Lettres, p. 134.

(2) La vie du P. François de Saint Pé... par le P. Ch. Cloyseault, Paris, 1711, pp. 27o-173 ; cf. Oeuvres de Bérulle, p. 1273 . « L'oraison doit-être un des principaux exercices d'un prêtre, et lequel même nous est représenté par le nom de l'Oratoire, que nous portons ».

 

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toutes les fonctions du sacerdoce » (1). Aucune de ces fonctions ne lui est propre, aucune ne lui est contraire,

 

La congrégation de l'Oratoire est merveilleuse, écrit le P. Amelote, en ce qu'il n'y a point de fruits sur tous les autres arbres d'Eden qu'elle ne produise. Elle fait retentir les trompettes d'argent de la parole de Dieu, comme font la plupart des saints ordres... Elle prononce comme les autres prêtres sur la lèpre... Elle apprend aux petits Moyse et aux Daniel..., la sagesse d'Egypte et de Chaldée, aussi bien que les enfants de saint Ignace... Ils ont des maîtres de la grammaire et des lettres humaines, de l'éloquence, de la philosophie, de la théologie et des saintes Ecritures... Outre ces biens, qui sont communs à la plupart des réguliers, et ceux qui sont particuliers aux enfants de saint Ignace (l'éducation de la jeunesse), cette congrégation possède presque tous ceux des saintes communautés. Elle a des solitaires et des reclus... Il se trouve de ses missionnaires si puissants qu'ils émeuvent les provinces entières, et l'on voit renaître en eux la force des saint Vincent Ferrier. Elle n'est pas moins attachée à l'obéissance de la Sainte Vierge que la famille de ses servants (les services)... Enfin il n'y a point de fonction ecclésiastique qu'elle n'embrasse; son esprit n'exclut aucune grâce... On ne la quitte point pour être évêque. Etes-vous capable des grandes études, elle vous donnera du repos, des livres et des chaires même pour enseigner. Aimez-vous la retraite, elle a des maisons de silence et de solitude. Vous sentez-vous porté à la pénitence, vous trouverez chez elle des exemples de l'abstinence des chartreux. Le zèle de la maison de Dieu vous dévore-t-il le coeur..., elle vous donnera le choix des missions et des cures... Aimez-vous le chant et les cérémonies, elle vous donnera un ministère de chantre dans un chapitre. Enfin sa charité fait qu'elle est toute sorte de communautés (2),

 

parce qu'elle n'a pas d'autre esprit que l'esprit même du Christ, source de toutes les grâces, modèle de toutes les perfections (3).

 

(1) Oeuvres de Bérulle, p. 107.

(2) Vie du P. Ch. de Condren, II, pp. 103-108.

(3) Aucun ministère, disons-nous dans le texte, n'est spécialement propre c l'Oratoire ; aucun ne lui est contraire; toutes les fonctions que peut remplir un prêtre, l'oratorien peut les remplir. — Cette affirmation, vingt fois répétée et constamment sous-entendue, soit parle fondateur lui-même, soit par ses successeurs immédiats, Condren et Bourgoing, est vivement contredite par plusieurs historiens. Ceux-ci prétendent : a) qu'en acceptant des collèges, l'Oratoire a manqué à sa vocation ; b) que la fin principale de l’Oratoire est l'éducation des jeunes clercs dans les séminaires. Je vais discuter ces deux points.

 

a) L'Oratoire et les collèges.

 

Il est très vrai que, dans sa pensée première, Bérulle ne voulait pas que l'Oratoire se chargeât de l'éducation des enfants. Il le dit expressément dans le projet, très vague d'ailleurs, qu'il soumet à l'approbation tenu compte de cette exclusion. Eu fait., du vivant même de Bérulle, l'Oratoire a accepté de diriger plusieurs collèges. Bérulle donne à ce sujet des instructions spéciales, cf. sa lettres « aux Pères... de l'Oratoire de Jésus sont employés dans les collèges ». Oeuvres, pp. 1234, seq. Le P. de Condren dit à ce sujet : « Notre fondateur désirait extrêmement.., que, puisqu'il avait plu à Dieu de donner des collèges à la famille de son Fils, on y étudiât par l'esprit de son Fils ». Lettres, p. 33. La Bulle Sacrosanctae de 1613 permet à l'Oratoire d'ouvrir des collèges; le bref d'Innocent X, Ex romani, confirme les Constitutions de l'Oratoire à une époque où la congrégation dirigeait plusieurs collèges (1654). Au point de vue canonique, le seul qui importe en vérité, le droit de l'Oratoire à se charger dune pareille fonction est donc assuré. Ajoutez à cela l'argument de convenance présenté par le P. Lamy. Si nous n'avions pas de collèges, dit-il « le temps de notre jeunesse passerait inutilement... Ceux qui ont été appliqués à l'instruction de la jeunesse, ont plus de disposition pour tous les emplois de l'Eglise, où la connaissance des lettres humaines est d'un très grand usage. » (Entretiens sur les sciences, p. 194). A quoi l'on oppose une difficulté, qui vraiment n'est pas sérieuse. En ouvrant leurs collèges, les oratoriens « faisaient de la peine aux jésuites », et c'est pour cela du reste qu'ils ont ouvert leurs collèges. Autant dire que les premiers compagnons de saint Ignace, quand ils commencèrent à prêcher, voulaient faire de la peine aux Frères Prêcheurs. Les oratoriens, écrit M. Schoenher « s'adonnent.., à l'instruction secondaire, au grand et peut-être juste dépit des jésuites ». (Histoire du séminaire de Saint-Nicolas du Chardonnet, Paris, 19o9, I, p. 52). C'est la prêter et gratuitement non pas beaucoup de malice à l'Oratoire, mais beaucoup de bassesse à la Compagnie de Jésus. Les jésuites n'ont ni plus ni moins de droit que les oratoriens à ouvrir des collèges. Plus ils en ouvriront les uns et les autres, mieux ce sera.

 

b) L'Oratoire et les séminaires.

 

Le reproche que l'on fait à l'Oratoire au sujet des séminaires a été formulé pour la première fois, en 1625, par un ex-oratorien, le P. Hersent, et plus récemment par M. Faillou, dans la Vie de M. Olier, et par le R. P. Boulay, dans la Vie du P. Eudes. « M. de Bérulle, écrit ce dernier, commençait à former une élite où revivraient dans toute leur pureté l'esprit et les moeurs du Souverain Prêtre, pour se répandre ensuite sur le clergé des paroisses, soit par l'exemple, soit par lit parole, soit SURTOUT par la création des séminaires ». Surtout par les séminaires, telle est la légende, presque universellement acceptée par les modernes, et souvent même dramatisée. De bonne heure, les oratoriens auraient trahi leur premier devoir, qui était d'ouvrir des grands séminaires. Dieu les appelant à l'obscur et monotone dévouement des sulpiciens, ils ont préféré des occupations plus glorieuses et divertissantes, la chaire, la direction, les collèges. Le faible Bérulle, d'ailleurs distrait par la politique, a laissé faire. Condren, désespérant de convertir l'Oratoire, s'est désintéressé de la congrégation, et a cherché en dehors d'elle les quelques prêtres qui fonderont Saint Sulpice, c'est-à-dire, qui feront ce que l'Oratoire devait faire et n'a pas fait. Je n'invente rien, j'adoucis plutôt les textes que je résume.

Or qui ne voit l'invraisemblance d'un pareil système ? A priori, est-il admissible que, dès les premiers jours de son âge héroïque, une congrégation, où les saints ne se comptent pas, ignore ainsi pratiquement jusqu'à sa raison d'être, oublie allègrement, unanimement la lin essentielle que la Providence lui a marquée ? Et personne pour les rappeler à l'ordre, ni Bérulle, leur saint fondateur; ni Condren; ni Mme Acarie, qui les a connus et annoncés dès avant leur naissance (cf. Houssaye. Les carmélites et le cardinal de Bérulle, p. 95-97) ; ni le P. Coton, que je viens de citer, et qui, en 1618, trouve que l'Oratoire va le mieux du monde; ni les évêques; ni le Saint-Siège, qui après les avoir approuvés en 1613, renouvelle cette approbation en 1634. Au reste, nous avons une foule de pièces officielles relatives à la vocation et aux emplois du nouvel Institut. Dans ces documents, jamais un mot sur les séminaires.

Bien mieux, dans le plus ancien, dans celui où Bérulle lui-même dessine pour le soumettre à l'approbation de Rome un premier crayon de sou Oratoire, dans cette pièce, dis-je, le fondateur affirme aussi catégoriquement que possible qu'il ne songe pas, mais pas du tout, à fonder des séminaires. « Ainsi, écrit-il, l'institution, non de la jeunesse, comme aux jésuites, mais des prêtres seulement, serait une des fonctions de cette congrégation. Et cette institution des prêtres serait, NON EN LA SCIENCE, COMME AUX SÉMINAIRES, mais en l'usage de la science, que l'école et les livres n'apprennent pas, et aux vertus purement ecclésiastiques, et en la forme d'exercer... les fonctions ecclésiastiques ». (Cf. Boulay, op. cit, Appendice, p. 2o). Ainsi, dans la pensée encore très incertaine du fondateur, use des fonctions du nouvel Institut serait de réunir, d'une façon ou de l'autre, et de former, soit à la piété, soit aux devoirs paroissiaux, non pas les jeunes clercs, aspirants au sacerdoce, ruais les jeunes prêtres. Il rêvait peut-être de quelque institution plus ou moins semblable à la seconde probation des jésuites. C'est là même ce qui fut essayé, mais timidement, à Saint-Magloire. Je n'ai pas besoin de faire remarquer les difficultés sans nombre que présentait l'exécution d'un pareil projet. Il doit nous suffire ici? que loin d'inclure l'oeuvre des séminaires dans son programme primitif,: Bérulle l'en avait formellement écartée. Nous avons d'autres documents, et « chose singulière », c'est le R. P. Boulay lui-même qui nous les fournit. « Chose singulière, dit-il, nous trouvons, M. 215, une pièce de 1618, sur la congrégation de l'Oratoire, où, dans l'exposé de la vie de ses membres et des fonctions qu'ils remplissent, il n'est question ni des séminaires, ni d'autres maisons de formation ecclésiastique » (op. cit., p. 21). La chose serait en effet plus que déconcertante si l'Oratoire avait eu la « fin principale » qu'on lui prête ; imaginez une pièce officielle où les franciscains, rendant compte de leur vocation particulière, ne diraient pas un mot de la pauvreté! Mais à quoi bon insister? On n'apporte aucune preuve à l'appui de cette légende. Implicitement ou explicitement, tous nos textes officiels la combattent. Reste à savoir comment elle a pu se former, comment peuvent lui faire crédit des historiens aussi consciencieux que le R. P. Boulay.

Si l'on ose parler de la sorte, c'est la faute du Saint-Père. Fort curieusement, c'est la bulle de Paul V qui a orienté les esprits vers une mauvaise piste. Curieusement, dis-je, parce que cette bulle — comme, bon gré malgré,il faut l'avouer — « ne désignait les séminaires que d'une façon assez vague » (Monier, Vie de M. Olier, Paris, 1914, p. 136), ou plutôt, parce que, loin de les désigner, elle les exclut. La dite bulle s'inspire manifeste ment de l'écrit de Bérulle auquel nous venons de faire allusion, mais elle ajoute à ce texte une demi-ligne fatale :

 

Projet de Bérulle.

 

L'institution DES PRÊTRES SEULEMENT serait une des fonctions de cette congrégation; et cette institution des prêtres, non en la science, comme aux séminaires, mais en l'usage de la science..., et aux vertus purement ecclésiastiques.

 

Texte de la bulle.

 

Sacerdotum insuper ET ALIORUM AD SA CROS ORDINES ADSPIRANTIUM instructioni, non circa scientiam, sed circa usum scientiæ, ritus et mores proprie ecclesiasticos se addicere.

 

Ainsi, le Pape approuve tout à fait l'idée qu'a eue Bérulle de travailler — entre antres ministères — à la formation religieuse des prêtres, mais accordant au fondateur ce que celui-ci n'avait pas demandé, il veut encore que l'Oratoire ait le droit de travailler, non pas certes à la formation théologique, non circa scientiam, mais à la formation religieuse des aspirants au sacerdoce.

Pour conclure de là que le Saint-Siège invite l'Oratoire à fonder des séminaires, il faut une souplesse de dialectique dont je me trouve pour ma part tout à fait dépourvu, mais, d'un autre côté, comment ne pas reconnaître que le projet initial de Bérulle (formation religieuse des prêtres), déjà difficile à exécuter, le devient plus encore après les retouches de Paul V ? C'est qu'en réalité, ni d'un côté ni de l'autre, on ne trace un vrai programme d'action. Bérulle soumet au Saint-Siège les lins principales et l'esprit de l'Oratoire. Quant aux réalisations pratiques, il demande une sorte de blanc-seing que la bulle lui octroie.

Il n'en reste pas moins que Rome accordait à l'Oratoire « les aspirants au sacerdoce ». D'où les oratoriens ont conclu qu'une de leurs missions était de s'occuper des jeunes clercs. De jour où ils essaieront de s'acquitter de cette mission, la force même des choses les amènera à fonder de séminaires proprement dits, et voici les trois états du projet de Bérulle.

 

Projet primitif (1611)

 

L’institution des prêtres seulement, non en la science, comme aux séminaires, mais aux vertus…

Texte de la bulle (1613).

 

Une des fonctions de l’Oratoire sera de former et les prêtres et les candidats au sacerdoce, non à la science, mais aux vertus ecclésiastiques. ( Cf. Une interprétation déjà plus large de ce texte dans les lettres  de Condren p. 173)

Décret de la 7e assemblée générale de l'Oratoire (1654).

 

L'institution des prêtres.., et jeunes clercs destinés à l’Eglise serait une des principales l'onctions de cette congrégation, pour les instruire et former en toute l'étendue du sacré ministère, SOIT EN LA SCIENCE COMME AUX SEMINAIRES, soit en l'usage de la science. (Cf. Monier. Vie de M. Olier, p. 137.

 

 

 

L'opposition entre ces divers textes est assez flagrante. Bérulle et Paul V disaient « non circa scientiam, » pas de séminaires. L'assemblée, « et circa scientiam, comme aux séminaires ». On voit du reste que la dite assemblée ne songe aucunement à dissimuler la modification qu'elle apporte aux textes primitifs. Elle a tout l'air de dire : la formation théologique des jeunes clercs ne fut pas d'abord, mais désormais elle sera regardée comme une des fonctions propres de notre Institut. Que penser de cette évolution ? Je la crois parfaitement légitime, et conforme aux intentions de Paul V. Celui-ci en effet n'avait pas voulu donner un sens prohibitif à la réserve « non circa scientiam », réserve que Bérulle lui avait en quelque sorte dictée. A la demande de Bérulle, Rome répondait « juxta preces ». Mais, de l'ensemble de la bulle, il ressort à l'évidence qu'on permet aux oratoriens tontes les fonctions qui, de près ou de loin, pourront contribuer à restaurer en France l'état de prêtrise, c'est-à-dire, et sans exception, toutes les fonctions sacerdotales. Bref, l'oeuvre des séminaires est tout à fait conforme à la vocation de l'Oratoire, mais on ne peut pas dire qu'elle soit la fin première et principale de cet Institut. — Sur tout ceci, cf. La mission de J. J. Olier et la fondation des grands séminaires en France, par G. Letourneau, Paris 1906 p. 31, seq. Le savant curé de Saint-Sulpice corrige délicatement les affirmations de M. Faillou (Vie de M. Olier, I, p. 138), reprises parle R. P. Boulay, mais ne nous parait pas s'expliquer assez nettement sur ce point. En revanche, il montre fort bien comment l'Oratoire a préparé « doucement la fondation définitive des séminaires». Dans son Histoire des séminaires français, Paris, 1919, I, pp. 134, 135, M. Degert, montre excellemment qu'il est tout à fait injuste de reprocher à l'Oratoire s de ne pas s'être absorbé dans la fondation des séminaires ». En revanche, il est très bizarre que l'érudit M. Schoenher ait accepté, les yeux quasi-fermés la légende que nous combattons (cf. Histoire du séminaire de Saint-Nicolas du Chardonnet, Paris, 1909). Ce livre est des plus intéressants, mais pourquoi l'auteur prend-t-il un air chagrin toutes les fois qu'il traite de l'Oratoire ?

 

 

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Les « dévotions principales » de l'Oratoire, dit encore le P. de Condren sont, « après Dieu », « la Mère de Jésus-Christ, son Église » et « l'Écriture sainte ».

 

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a) Parce que la très sainte Vierge a, par la vertu du Très-Haut, formé le corps que Jésus-Christ nous a laissé par testament,

 

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et a été la première à recevoir le Saint-Esprit pour le

 

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produire au monde..., la congrégation veut que tous les siens la servent, l'honorent et l'aiment..., non seulement par l'obligation qui est commune à tous les enfants de Dieu, mais encore par l'alliance spéciale que les prêtres contractent avec elle dans la production du corps de Jésus-Christ, qu'ils doivent apprendre d'elle à traiter saintement, et par la ressemblance et la liaison de la grâce sacerdotale avec celle de Mère de Dieu, en ce que l'une et l'autre regardent le même corps de Jésus-Christ (1)...

 

(1) Le P. Eudes, écrit le R. P. Lebrun « aimait à rapprocher le prêtre de la sainte Vierge... Il voyait, dans les rapports du prêtre avec Jésus-Christ et avec les âmes, une participation à la double maternité de Marie, et c'est pourquoi il se plaisait à l'appeler la « Mère », et parfois la « Reine » et la « Soeur » des prêtres, et à saluer en ceux-ci une « image de la Vierge Mère ». Il écrit par exemple dans la prose de la messe du Sacerdoce : Horum (sacerdotum) matrem te Mariam. — Et sororem et reginam — Omnis laudet spiritus. » Et voilà bien, semble-t-il, une étape nouvelle dans le développement de la dévotion mariale. Mais ici encore, c'est Bérulle, c'est Condren qui ont la première initiative. Le P. Eudes ne fait que répéter ses maîtres. Cf. l'hymne : Quam pulchre graditur, dont on se sert à Saint-Sulpice pour les vêpres de la Présentation : Quid nos illaqueant iusproba gaudia? — Cur nos jans pigeat vincula rumpere? —Dux est Virgo sacerdos — Fas sit que properat sequi. — Pie IX s'est fait le défenseur de cette expression dans un bref en date du 25 août 1873. « Adeo arcte (Maria) se junxit divini Filii sui sacrificio ut Virgo sacerdos appellata fuerit ab Ecclesiae Patribus ». A quel Père de l’Eglise ce bref fait-il allusion, je l'ignore. Mais, ancienne ou non, cette association, Virgo sacerdos n'a été, je le crois du moins, pleinement réalisée qu'au XVIIe siècle, et, encore une fois, grâce à Bérulle. Cf. Oeuvres du P. Eudes, III, pp. XXIV, XXV.

 

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b) Et parce que Dieu choisit les prêtres parmi ses enfants, et les donne à l'Eglise pour la servir comme sa fille aînée et l'épouse de son Fils, la congrégation oblige les siens à un amour spécial envers elle et à une offrande quotidienne et habituelle d'eux-mêmes à Jésus-Christ pour la servir...

La congrégation veut que les siens honorent l'Eglise, non seulement dans son ensemble, mais encore dans toutes ses parties... Elle soumet sa doctrine et sa conduite intérieure et extérieure, non seulement au Saint-Père, mais à tous les évêques, et même aux docteurs, sachant bien qu'elle ne peut trop se soumettre à l'Eglise, après laquelle elle regarde les facultés de théologie comme les oracles de la religion chrétienne, desquelles elle veut apprendre la science du salut, et particulièrement celle de Paris, dont elle a beaucoup reçu, et qu'elle veut pour cela toujours honorer.

 

Et comme s'il eût prévu la révolte prochaine des jansénistes, Condren ajoutait :

 

et parce que nous vivons dans un siècle où plusieurs se sont scandalisés des Ecritures saintes et des monuments de doctrine qui nous restent des premiers siècles de l'Eglise,

 

c'est-à-dire, scandalisés des différences que l'on croit remarquer entre l'Eglise primitive et « l'Église présente »,

 

notre congrégation enseigne aux siens que l'obéissance que Dieu nous commande de rendre à son Eglise est rendu à l'Eglise présente, qui nous baptise et nous prêche, et non pas à l'Eglise primitive directement, que nous honorons néanmoins ; car elle sait et enseigne que l'Eglise est sainte dans tous ses âges et qu'elle est sans erreur; tuais nous devons l'écouter par la bouche de celle qui nous parle et qui nous instruit ; car c'est à elle à nous donner la vraie intelligence de ses premiers sentiments, aussi bien qu'à nous exposer les Ecritures saintes et les premières instructions de Jésus-Christ (1).

 

(1) A propos de cette pleine soumission à l'Eglise, voici encore un passage très curieux que j'emprunte à la même lettre du P. de Condren. Les constitutions de l'Oratoire ne lui permettent « de s'arrêter à aucun esprit particulier, ni de s'attacher à une doctrine à elle » ; elles ne lui laissent pas même « la faculté de donner aux siens des instructions cachées, ni de désirer d'eux aucun secret touchant son esprit, sa conduite ou sa doctrine ; puisqu'elle doit toujours être exposée à toute l'Eglise, et que tous les évêques peuvent l'obliger à leur en rendre compte... C'est pourquoi la congrégation fait profession de ne rien avoir de caché en son cœur, et, de nécessité aussi bien que de volonté, il faut qu'elle dise avec Jésus-Christ : Ego palam locutus sum mundo, et in occulto locutus sum nihil ». Lettres, p. 97.

 

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Il importait de souligner ces déclarations capitales, d'ailleurs si heureusement formulées, et par là de rappeler que l'Oratoire ne répugne pas moins au schisme que les autres congrégations religieuses (1).

De là venait aussi la ferveur liturgique du jeune Oratoire. « Les hautes et sublimes idées que Dieu donnait à M. de Bérulle sur tous les mystères de la religion, lui inspiraient pour l'église et pour le choeur qui en est la partie la plus excellente, une vénération qu'il avait communiquée à ses disciples. Aussitôt que la cloche s'était fait entendre, ils quittaient leur chambre, passaient en silence dans la sacristie, où M. de Bérulle ne permettait pas qu'on parlât, l'appelant « l'antichambre du Seigneur », et, disposés par le recueillement aux saintes fonctions qu'ils allaient remplir, ils se rendaient à leur stalle. Revêtus de leurs surplis à larges manches, immobiles, abîmés en Dieu, ils éprouvaient une joie que trahissait leur visage à passer des heures dans ce lieu, « le plus saint, le plus doux, le plus auguste de leur maison, le lieu du séjour de Dieu avec les hommes, de la conversation des hommes avec Dieu ». A la manière dont ils psalmodiaient et chantaient, il était facile de reconnaître que, dociles aux enseignements de leur supérieur, ils entendaient s'acquitter divinement d'un

 

(1) L'esprit de l'Oratoire, écrit le P. de Condren « consiste à fuir tout esprit propre et particulier, pour n'en avoir point d'autre que celui que (le Christ) a donné à son Eglise. Car, étant une société de prêtres, elle est obligée à la vie commune, dans laquelle le Fils de Dieu a établi le sacerdoce. Elle doit élever les sujets que Dieu lui donne dans les lois communes de l'Église... Elle leur apprend que leur première soumission... est à l'Eglise et au Souverain Pontife », Lettres, pp. 96, 97.

 

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ministère qu'ils estimaient divin. Non seulement en effet, ils se regardaient dans cette auguste fonction comme députés par toute la création pour rendre à Dieu les adorations auxquelles il a droit, mais encore, dans un sentiment où on ne sait ce qui domine, de la conviction de leur néant ou de la joie de leur grandeur sacerdotale, ils ne se voyaient que comme les instruments de Jésus-Christ. Depuis l'Incarnation, se disaient-ils, pour s'abaisser et se grandir à la fois, toute la religion est renfermée en un Dieu adoré et un Dieu adorant, et nul hommage n'est agréé du Père s'il n'a son origine au coeur de son Fils, et s'il n'est formé par lui sur les lèvres de ses prêtres, par lesquels c'est encore lui et lui seul qui adore » (1). C'est ainsi qu'à l'origine de presque toutes les grandes initiatives qui ont renouvelé le catholicisme moderne, nous retrouvons M. de Bérulle. Ce prétendu rêveur devance le très peu spéculatif' Dom Guéranger. Rappelons en passant que, pendant de longues années, les cérémonies de l'Oratoire parisien seront dirigés, et le mieux du monde, par un autre rêveur qui s'appellera Malebranche (2).

c) Enfin la Congrégation de l'Oratoire porte « les siens... à l'amour des Écritures saintes, et principalement des Évangiles, où reluit davantage la doctrine de Jésus-Christ, où ses paroles nous ont été conservées, où nous avons ses mystères qu'elle honore singulièrement » (3). Ainsi

 

(1) Houssaye, II, pp. 131, 132. Sur la musique religieuse à l'Oratoire, cf. ib., pp. 133, 134. Sur le B. P. Eudes et l'office divin, cf. Oeuvres complètes du V. P. Eudes, III, pp. XLVI, seq.

(2) Autre initiative pieuse dont je n'ai pas le temps de parler, mais dont il y aurait grand intérêt à suivre le progrès et la décadence. L'Oratoire fut le premier à remettre en honneur ce qu'on peut appeler la dévotion au sacrement de baptême — dévotion que Port-Royal s'assimilera plus tard. Cf. Dialogue sur le baptême, ou la vie de Jésus communiquée aux chrétiens dans ce sacrement (ce titre dit tout), avec l'explication de ses cérémonies et de ses obligations, composé par le R. P. F. D. S. P. (François de Saint-Pé), Paris, 1667. Le livre fut très goûté en son temps et eut plusieurs éditions.

(3) Lettres de Condren. Lettre XXVI : De l'esprit de la Congrégation de l'Oratoire, pp. 96-1o3.

 

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toujours le P. de Condren; soixante ans plus tard, le fameux P. Bernard Lamy parle tout de même :

 

Comme notre esprit est celui de Jésus-Christ, les pensées, les maximes de Jésus-Christ qui sont dans l'Évangile, sont notre règle. Aussi la lecture de ce divin livre nous est fort recommandée. Nous le devons porter avec nous, comme la relique la plus précieuse et la plus belle marque de notre Religion : nous en devons lire un chapitre, tous les jours, à genoux et tête nue(1).

 

III. Un Ordre religieux ne sort pas en un jour tout achevé du cerveau de son fondateur. Avant d'être une organisation, il est un esprit, et un esprit ne se laisse pas formuler comme les articles du code. L'ambition du fondateur et celle des recrues qui se joignent à lui parait d'abord assez indéterminée. Ils se proposent une vie héroïque, mais dont ils ne se hâtent pas de fixer le cadre. Ils voient même plus nettement ce qu'ils ne veulent pas être que ce qu'ils seront. Leur instinct, ou plutôt leur grâce les détourne, souvent malgré eux, des ordres déjà connus, les pousse à tenter des routes nouvelles. Ils font crédit à cette grâce, et. comme eux, l'Église elle-même. Les bulles de fondation sanctionnent des promesses, des espérances ; elles approuvent, si j'ose dire, un germe, dont le développement futur demeure le secret de Dieu. Ainsi, quand ils descendirent de Montmartre, saint Ignace et ses compagnons ne se formaient qu'une idée extrêmement vague du rôle précis qui les attendait. Ils se dévoueraient au service du Roi éternel, qui, dans la fameuse méditation des Exercices, les appelait à une croisade nouvelle. D'eux-mêmes, et en attendant les consignes célestes, ils s'orientaient du côté de la Palestine. Un contretemps providentiel leur fit prendre d'autres chemins. Quant à établir dès leurs débuts tout un système de règles, cela pressait moins encore.

 

(1) Entretiens sur les sciences... par le R. P. Bernard Lamy... dernière édition. Lyon, 1768, p. 181.

 

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Ignace hésitera longtemps avant de se décider à écrire ses constitutions. Pourquoi, disait-il, ne pas se fier à la loi intérieure, aux directions de l'Esprit ? Bérulle et l'Oratoire naissant ne se sont pas gouvernés d'une autre façon. D'une seule chose ils étaient sûrs : la grâce ne les appelait, ni à la Compagnie de Jésus, ni à aucune autre des anciennes familles religieuses, mais à une forme de vie encore à peu près inédite, à une sorte de compromis entre le clergé régulier et le séculier. Ils avaient déjà un « esprit », et nième, chose moins commune, une doctrine particulière, doctrine immobile et très arrêtée. Pour le reste, ils auraient dit volontiers, en traduisant fata par le mot chrétien qui lui correspond : fata viam invenient. Ce qu'ils préparaient, ce qu'ils étaient mente déjà, ils le soupçonnaient à peine, ils n'auraient pu le mettre sur le papier, mais Dieu le savait (1).

Lorsque Bérulle mourut en 1629, l'Oratoire fondé en 1611, et qui déjà couvrait toute la France, n'avait pas encor de constitutions (2) et il n'en aura jamais que de très sommaires.

 

(1) Des remarques analogues ont été faites sur les origines de la Visitation par un historien qu'il est inutile de nommer. « Saint François de Sales n'était pas homme à emprisonner dès le début dans un plan (mieux vaudrait un moule, un cadre) rigide et définitif, l'oeuvre vivante qu'il se proposait de fonder... Il savait qu'une oeuvre de ce genre échappe toujours en quelque façon aux mains de son créateur, que, plus elle doit réussir et se propager, plus aussi l'on doit s'attendre à la voir s'adapter aux circonstances imprévues que rencontrera ou due provoquera cette expansion elle-même... La grâce, la vie, ces deux impérieuses maîtresses qui refaçonnent à leur gré les plans du génie lui-même — du génie surtout —... « Je n'ai pas fait ce que j'avais voulu faire, a-t-il répété plusieurs fois » .. Une fois sortie de ses mains, sou œuvre lui a révélé ce qu'il avait voulu faire, ou plutôt ce que Dieu avait voulu faire par lui ». Cette comparaison entre la Visitation et l'Oratoire est deux fois intéressante a) L'Oratoire, historique, celui de Condren, de Bourgoing, etc., diffère beaucoup moins de l'Oratoire idéal, d'abord conçu par M. de Bérulle, en diffère moins, dis-je, que la Visitation historique, ne diffère de l'idéale que François de Sales avait très certainement voulue. b) Les deux ordres ont subi un développement analogue : la Visitation, d'abord destinée à d'autres buts, a fini par ne presque plus avoir d'autre raison d'être que de vivre le Traité de l'amour de Dieu, et tout de même, l'Oratoire est devenu uni peinent une congrégation sacerdotale appelée à vivre la doctrine spirituelle de Bérulle.

(2) Cf. Quatre lettres inédites du P. de Condren... par le P. Ingold, Paris, 1880. Dans celle du 28 octobre 1629, Coudras émet le voeu que cette lacune soit bientôt comblée. En fait, il ne semble pas que ce désir ait été réalisé. On codifia les traditions et les habitudes des premiers oratoriens, les exercices qui se pratiquaient du temps de Bérulle. On prescrivit une certaine unité, on régla les élections du général et de ses assistants ; on fixa les attributions des divers supérieurs ; mais en somme les constitutions de l'Oratoire sont restées assez rudimentaires.

 

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maires. « Nos règlements sont en petit nombre, écrira le P. Lamy vers la fin du XVII° siècle, ils ne sont faits que pour entretenir l'uniformité parmi nous » (1).

On leur a beaucoup reproché ce que l'on considère comme une grave lacune, et l'on a voulu expliquer par là ces faiblesses, ces déviations dont nous aurons à parler bientôt. Pour ma part, j'ai beaucoup de peine à partager cette conjecture, et je crois que, même soumis à une organisation plus savante et plus rigide, l'Oratoire n'aurait

pas été beaucoup mieux armé contre les tentations qui l'attendaient. Le mal ne vient pas de là. Après tout, si Bérulle n'avait pu dresser qu'un petit nombre de règlements, aucun doute n'était possible sur la direction spirituelle que devait suivre sa congrégation :

 

Le saint homme dont Dieu s'est servi pour jeter les premiers fondements de cette maison, écrit le P. Bernard Lamy, nous a laissé plusieurs mémoires qui font connaître de quel esprit il était animé, et quel est celui qu'il a inspiré à ses enfants. Toute sa doctrine se réduit à n'agir que par l'esprit de Jésus-Christ... (II) n'a rien oublié pour nous faire entrer dans ces sentiments. Il a établi des exercices propres pour nous lier à Jésus-Christ et à la très sainte Trinité. Il a destiné des temps et des jours à l'adoration de chaque mystère..., et il nous a enseigné par plusieurs écrits comment nous pouvons faire toutes nos actions dans les dispositions de Jésus-Christ adorant son Père (2).

 

Une doctrine, un esprit, au dire même de saint Ignace,

 

(1) Entretiens sur les sciences, p. 181.

(2) Entretiens sur les sciences, pp. 179, 180.  Même depuis sa promotion au cardinalat, Bérulle continuait ses exhortations aux oratoriens. II s intéressait aussi à la formation des novices. Ainsi le P. de Sain-Pé eut la consolation « d'assister souvent aux conférences de piété de M. le cardinal de Bérulle, de lui servir la messe, et de réciter le bréviaire en particulier avec lui. Ce grand homme... répandait de sa plénitude en abondance sur ses disciples ». La vie du P. F. de Saint-Pé, p. 39.

 

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génie organisateur s'il en fut jamais, voilà qui importe beaucoup plus en ces matières que des prescriptions positives, qu'un engrenage de règlements. C'est là ce qui fait l'armature d'une congrégation religieuse. Les jésuites eux-mêmes n'attachent pas à leurs constitutions l'importance, ou plutôt, ils n'attendent pas d'elles les services que l'on pourrait croire. De cette grande œuvre, les jeunes religieux ne connaissent qu'un sommaire de quelques pages, où, comme dans les écrits de Bérulle, il est uniquement question des principes de la vie spirituelle  (1). Quid leges sine moribus ? Le jour où ces chartes spirituelles ne suffiront pas à stimuler la ferveur du religieux et à diriger sa conduite, les plus beaux règlements du monde ne serviront plus qu'à dissimuler pour quelque temps une décadence inévitable. Notre Compagnie, écrit le fameux oratorien que j'ai tant de plaisir à citer,

 

a cet avantage que quand, par nos tiédeurs et nos péchés, nous obligerons Dieu à se retirer de nous, elle disparaîtra tout à coup, sans qu'il en reste aucun vestige. Il n'y a que le lien de la charité qui nous lie ; ce lien étant rompu, nous ne serons plus. Nous ne subsisterons que par la piété (2)

 

(1) On en pourrait dire autant de la règle de saint Benoît qui est moins nu code napoléonien qu'un traité spirituel. Je n'ai pas étudié de près tous les grands ordres, je crois néanmoins qu'en général ils n'ont qu'un petit nombre de règles, à moins toutefois que l'on ne donne ce nom à de simples directions morales ou mystiques, telles que sont par exemple la plupart, et certainement les plus importantes des règles que renferme le Sommaire des Constitutions des jésuites. Dans toutes les congrégations, ce que l'on appelle règle au sens technique ou juridique du mot a surtout pour but d'assurer celle uniformité sans laquelle il n'est pas de vie commune. Ces règles là sont-elles beaucoup moins nombreuses chez les oratoriens que chez les réguliers, je ne le crois pas. Rappelons du reste que l'Oratoire, congrégation séculière et vouée à la perfection de la vie sacerdotale, se considère comme plus étroitement lié par les règles de cette vie. « Les supérieurs, dit le P. Lamy, ont soin de nous mettre devant les yeux les Règles ecclésiastiques (aussi nombreuses pour le moins que celles des réguliers). Nous les étudions comme les religieux celles de leurs patriarches. Or il n'y a rien qui ne soit réglé dans les Conciles, dans les Synodes, dans les Bulles des Papes ». Entretiens, p. 183.

(2) Entretiens sur les sciences, p. 178. Le P. Lamy avait dit plus haut : « Je ne surs plus étonné de ce que j'ai entendu dire à un saint évêque, qu'il arrivait souvent que les communautés, après avoir servi quelque temps l'Eglise, lui faisaient ensuite la guerre ; que, dans les commencements, elles étaient ferventes et animées par la piété, qu'ensuite elles perdaient leur première ferveur ; qu'elles n'agissaient plus que par les ressorts d'une conduite purement humaine, comme les os d'un squelette qui, n'ayant plus de liaison naturelle, sont liés les uns avec les autres par artifice. Ne vaudrait-il pas mieux, disait-il, qu'après que l'Esprit de Dieu (qui est la vie des communautés vraiment régulières) s'est retiré, on en cachât les os ? » Ib., p. 178. Cette métaphore si bien « filée » fera plaisir au lecteur délicat. Mais cet évêque est un peu sévère. Ne croyons-nous pas à la résurrection des morts, et de tous les morts ?— Fili hominis, putasne vivent ossa ista ? — Domine mi, tu scis.

 

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Mais, quoi qu'il en soit de son droit constitutionnel, et de la police intérieure qui le régit, l'Oratoire forme certainement une congrégation très unie, très homogène et qui se distingue aisément des autres. On y trouve sans doute, comme partout, des excentriques et des médiocres, également réfractaires à l'empreinte commune, mais dans l'ensemble ils ont bien le même visage, aux traits nettement accusés. On les reconnaît sans peine, et nul ne fut jamais tenté de prendre le P. Massillon pour un Frère prêcheur, le P. Bernard Lamy pour un capucin, ou le P. Malebranche pour un jésuite. Et sans doute l'on n'arrivera jamais à donner une définition géométrique du type oratorien, mais il en va de même pour toute personne morale, et de celle-ci, on peut, sans trop de « littérature », dégager les traits principaux.

Ils sont en général de bonne maison, d'ailleurs aussi peu mondains que possible, graves plutôt, austères même et très simples. Le sérieux, mais non pas les bizarreries de Port-Royal. Si le mot n'était pas trop laïque, je dirais volontiers qu'ils ont une distinction particulière. Leur naissance le veut ainsi, et leur formation intellectuelle, et plus encore la sublimité de leur doctrine spirituelle. Dans le cours de leur longue histoire, il y a eu chez eux plus d'une cabale, d'âpres divisions ; mais, en règle ordinaire, ils ont une vraie affection les uns pour les autres, et ils aiment beaucoup l'Oratoire. Fouché, Fouché lui-même n'avait presque rien gardé d'humain que ce sentiment, mais il l'a gardé. Ses anciens confrères en ont souvent fait l'expérience. Dans son délicieux entretien — une

 

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visite à l'Oratoire — le P. Lamy fait dire à l'un des personnages :

 

Une des choses qui me charme dans votre maison, c'est l'union qui règne entre ceux qui la composent. Je m'imagine voir cette première assemblée de chrétiens qui n'avaient tous qu'un même coeur. C'est sans doute vos manières polies, et cette ouverture de cour que vous avez les uns pour les autres, qui vous lient si fort.

 

Et l'oratorien qui fait visiter sa maison :

 

La politesse, dit ce bon prêtre, est le noeud de la société civile, car enfin, qui peut vivre avec ceux dont il n'est pas aimé, ou qui ont peur lui du mépris? Au contraire, nous nous rendons facilement aux bonnes manières, et aux marques d'estime et d'honneur dont les autres nous préviennent. Tout ce qu'on appelle civilité et politesse ne consiste que dans un sage discernement de ce qui peut plaire ou blesser ceux avec qui nous vivons et de ce que l'ordre et la bienséance approuvent ou condamnent... Ceux qui ont en partage cette vertu, sont appelés gens d'honneur ; mais il y en a peu dans le monde qui la pratiquent parfaitement, se contentant de la seule apparence... Mais les personnes d'une piété reconnue ne savent ce que c'est que dissimuler, et les marques d'honneur dont elles se préviennent ne sont point équivoques...

 

Il est certainement caractéristique de le voir s'arrêter aussi longuement à cette vertu :

 

Lorsque nous recevons des jeunes enfants, nous leur faisons lire les excellents Traités de la Civilité qui ont été composés, mais nous évitons ce que les civilités du monde ont d'ennuyeux. J'ai appris parmi nous que la civilité bien entendue n'est autre chose que la charité chrétienne, qui est ingénieuse à trouver les occasions d'obliger ses frères, de les consoler dans leurs maux, de les secourir dans leurs besoins, de se réjouir avec eux du bien qui leur arrive..., qui supporte avec patience leurs défauts, les cache..., leur en épargne la honte.

Nous méprisons souverainement ceux qui veulent s'élever au-dessus des autres, qui se laissent aller à leur mauvaise humeur, et qui ne craignent point d'incommoder. La charité règne parmi nous.

 

Civilité, affabilité, mais, encore une fois sérieux. Nul patelinage ; rien de musqué.

 

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On nous apprend aussi qu'un esprit bien fait aime l'ordre, qu'il n'agit point par caprice ni par fantaisie, que la raison est son seul guide, et qu'en toute occasion il a égard à ce que la bienséance exige, c'est-à-dire à ce qui est suivant l'ordre et à ce que la sagesse prescrit. Nous ne pouvons souffrir parmi nous certains esprits dissipés, et qui ne mènent pas une vie exemplaire; ce qui est opposé à l'esprit de Dieu, qui a fait toutes choses avec poids et avec mesure. Nous vivons ici avec une honnête liberté, mais on n'y aime pas le libertinage... Nous avons des heures de silence.

 

Peu de distractions au dehors, peu de visites :

 

Pour cloître, on nous apprend à aimer la solitude et à nous détacher du monde, et on ne peut souffrir qu'on sorte de la maison si ce n'est la charité qui nous y oblige. Nous ne mangeons que rarement chez les séculiers. C'est une maxime que nous faisons en sorte d'observer, afin due le peuple ne nous puisse voir qu'à l'autel, et dans les exercices de notre ministère. Cette solitude n'est ni difficile, ni pénible. Nous aimons la vérité, les jours ne suffisent point pour la consulter aussi longtemps que nous souhaiterions, ou peur mieux dire, on ne s'ennuie jamais de la douceur qu'il y a à l'étudier.

 

A le lire, on sent bien que le P. Lamy est lui-même tout pénétré de l'esprit qu'il tâche de peindre, et l'on n'a pas de peine à comprendre que Jean-Jacques Rousseau ait fait ses délices de ces Entretiens.

Ils ont leur franc-parler, une allure assez indépendante vis-à-vis du pouvoir laïque. Complaisants et flexibles parfois, mais au service des vaincus. Ainsi Bérulle auprès de la Reine-mère, Condren auprès de Gaston. La duchesse d'Orléans s'étant une fois confessée au P. de Saint-Pé, « elle ne voulut plus le quitter. Il s'enfuit pourtant. Au retour de son voyage, il écrivit... ce qui suit : « Il faut que je vous dise que je suis de retour de la Cour de Monsieur. Je crois n'y avoir été guère agréable, aussi y ai-je senti qu'elle ne m'était guère utile. Tout au moins on y perd beaucoup de temps, et il y a encore pis à craindre. Dieu ne m'a pas donné grâce pour ce pays »... Monsieur

 

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et Madame demandèrent qu'on le fit revenir. Le très révérend Père général, pour obéir à leurs Altesses royales et (en même temps) contenter l'inclination du serviteur de Dieu, lui envoya ordre (les supérieurs de l'Oratoire donnaient donc des ordres), de se rendre à Orléans, pour prendre la conduite de la cure de Saint-Pierre. Il crut que Madame, qui demeurait presque toujours à Blois, serait satisfaite qu'il ne fût éloigné d'elle que de quinze ou seize lieues, puisqu'elle pourrait l'avoir auprès de son Altesse, quand elle le souhaiterait, et qu'il lui était impossible de le mettre plus proche, n'y ayant point de maison de l'Oratoire à Blois. Cependant elle voulut qu'il demeurât dan

cette ville. La première règle qu'il se prescrivit quand il se vit contraint d'accepter la charge de confesseur de Madame, fut de ne se mêler en aucune manière des affaires qui ne regardaient point son ministère, et de vivre dans la plus grande retraite... Cela ne put empêcher qu'il ne sût que cette grande princesse était sujette an défaut presque général de tous les princes, et de tous les grands seigneurs, qui est de ne point payer leurs dettes... Il l'en avertit plusieurs fois, et... elle lui promit toujours d'y satisfaire au plus tôt, mais... il arrivait d'ordinaire que toutes ces promesses n'avaient pas d'autre effet qu'un bon désir... (Cependant), Mme la duchesse de Savoie étant morte sans enfants, on fut obligé de lui rendre sa dot. Le bon Père crut pour lors que son Altesse, ayant touché une somme d'argent considérable, elle emploierait pour le moins une partie à acquitter ses dettes. II prit la liberté de lui en parler..., et ayant remarqué que cela n'avait produit aucun effet, il n'hésita plus à se résoudre de quitter et de prendre son congé... Elle l'en estima encore davantage. « Je suis, dit-il, entièrement dégagé de Madame, sans avoir perdu sa bienveillance, dont je bénis Dieu » (1).

 

(1) La vie du P. François de Saint-Pé (op. cit.), pp. 142-17o, passim. François de Saint-Pé (1599-1678) est à mon avis un des oratoriens les plu représentatifs. Gentilhomme et officier chez le roi, chef du gobelet , il avait fait la campagne de Hollande. Converti par le P. de Condren vers 1627, Louis XIII, qui l'aimait, ne lui permit de vendre sa charge et sa compagnie au régiment de Navarre, qu'après le siège de la Rochelle. Son histoire, par le P. Cloyseault, est un des livres qui nous font le mieux connaître la vie des premiers oratoriens. Citons un détail curieux. Fr. de Saint-Pé entre à l'Oratoire le 2 février 1629, immédiatement après avoir vendu sa charge, et il est ordonné prêtre le 23 février 163o.

 

 

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Ils fréquentent peu la Cour où on les respecte, où parfois on les craint, plus qu'on ne les aime. Déplaire au Roi n'est pas pour eux, comme pour les Arnauld, une douleur incurable. Ils ne tremblent pas devant lui. Persécuté, injustement selon moi, comme janséniste, le P. Abel de Saint-Marthe a très grand air dans ses démêlés avec Louis XIV.

L'Oratoire, je le crois, n'a jamais été riche, ni cherché à le devenir. Par là s'explique peut-être un certain manque d'initiative, que l'on remarque chez eux (1). Quoi qu'il en soit, le désintéressement parait une de leurs vertus maîtresses.

 

Notre intention est de gagner des âmes à Dieu, et nous n'entreprenons rien qui nous engage à de grandes dépenses, comme des bâtiments superbes et de riches peintures. C'est pourquoi, en bornant nos désirs, nous avons abondamment le nécessaire... C'est un crime parmi nous de s'ingérer dans les affaires de famille, ou de se mêler de mariages et de procès.

 

Aussi bien ne doivent-ils « avoir aucun empressement pour l'agrandissement et la gloire » de leur Institut :

 

Notre politique est de n'en avoir point, et nous ne nous unissons pas ensemble pour faire un corps brillant, et qui se fasse distinguer d'avec les autres membres de l'Église... Je vous représente notre Compagnie telle qu'elle devrait être, par rapport à l'esprit que Dieu a inspiré à nos premiers Pères... « Il n'y a, disaient-ils, que l'Eglise d'immortelle ».

 

 

Du reste,

 

ces grandeurs démesurées où les corps particuliers de l'Église

 

(1) D'où les lenteurs, et le peu de succès de leur entreprise à Saint-Magloire.

 

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parviennent sont regardées par les sages comme une espèce de tumeur qui, en rendant une partie plus grosse que son état naturel ne l'exige, fait que tout est difforme. Il est nécessaire. dans les communautés, de faire de pareilles réflexions, car l'amour-propre cherche toujours quelques appuis. Après avoir quitté la maison de nos parents, nous nous appuyons sur notre Communauté... et nous concevons pour elle les mêmes affections terrestres et charnelles que nous avions pour nos familles. Si nous n'y résistons pas, nous sommes toujours prêts à sacrifier l'honneur de l'Église pour conserver le nôtre, au lieu que comme elle n'en est qu'un membre, nous devrions l'exposer pour le salut de son chef.

 

Dans la chapelle oratorienne que nous fait visiter le P. Lamy, l'on ne voyait

 

ni marbre, ni or, ni azur, ni rien qui fût capable de fixer les yeux et détourner l'esprit de l'application qu'il doit à la prière. Il n'y avait aucun de ces ornements que la vanité a nouvellement inventés, et qui rendent la maison de Dieu conforme à celle des gens du monde, où règne le luxe. Théodore (un des visiteurs), qui sait les règles de l'Eglise et qui les aime, était ravi que toutes choses y fussent observées selon ce que les canons prescrivent... Ils entrèrent dans la maison, où régnait le même esprit d'ordre et de simplicité ; il n'y avait rien qui fût riche par sa matière; la seule disposition en faisait la beauté. Le règlement de ceux qui composaient cette maison rejaillissait et se répandait sur toutes choses ; on y voyait comme des vestiges de l'innocence et de l'ordre des moeurs de ces ecclésiastiques.

 

Ceux-ci

 

ne font pas consister la piété dans une exactitude scrupuleuse de quelques pratiques extérieures. Ils sont persuadés qu'un esprit raisonnable ne s'éloigne jamais du bon ordre et que, lorsqu'il n'y a rien de meilleur à faire, il s'assujettit aux règles qui ont été établies, afin que ce soit toujours un principe de vertu et de sagesse qui le fasse agir. C'est là ce qui les attache à leurs règlements ; car enfin ils vivent dans une liberté très honnête, et on voit assez qu'ils font toutes leurs actions par amour.

 

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IV. Cet Oratoire que nous essayons de décrire, en suivant d'aussi près que possible, les impressions personnelles d'un témoin de premier ordre, le P. Lamy, cet

Oratoire, nous l'avons jusqu'ici regardé « par le bon côté ». Mais n'est-ce pas à ce point de vue qu'il faut se placer d'abord quand on veut étudier une grande oeuvre? Aussi bien, tout ce que nous avons dit, nous pourrions l'appuyer sur des faits indiscutables, s'il nous était permis de parcourir ici les beaux documents que nous possédons, je veux dire la chronique dorée du P. Cloyseault et les Mémoires domestiques du P. Batterel. Mieux vaut, semble-t-il, indiquer les influences diverses, bonnes et mauvaises, enrichissantes et appauvrissantes qui ont contribué à fixer

le type oratorien. Je ramènerai ces facteurs à trois principaux : les hautes études, l'antijésuitisme et la tradition bérullienne.

 

Les hautes études. — Je continue à citer le P. Lamy.

 

Il n'y avait rien de plus agréable et de plus utile que la conversation de ces ecclésiastiques. Ils y traitent pour l'ordinaire quelque point de doctrine ; ils ont du goût pour les sciences, et connaissent les excellents livres, ce qui vient... de ce qu'on ne lit dans leurs assemblées que de bons ouvrages ; qu'ils parlent souvent des personnes qui ont excellé dans les sciences, et que ceux qui commencent à étudier prennent insensiblement dans ces conversations du goût et de l'estime pour les bonnes choses... La vérité réside depuis longtemps dans cette maison ; elle s'y apprend d'une manière naturelle, et s'y conserve comme par tradition, et par la seule conversation on y devient homme de bien et savant.

 

Et encore, car il y tient :

 

On a toujours eu en cette maison de l'amour pour les belles lettres. Ceux qui l'ont gouvernée ont eu un soin particulier de l'y entretenir. C'est pourquoi on a une attention extraordinaire que nos jeunes gens s'y adonnent. On leur donne d'habiles maîtres qui règlent leurs études, leur font aimer les livres... Lorsqu'il se trouve quelque esprit pénétrant et étendu, qui ait de grands talents pour les sciences, on ne l'occupe à rien

 

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autre, et l'on ne croit pas qu'il puisse rendre de services plus utiles à l'Église qu'en étudiant... On nous laisse suivre les attraits particuliers que nous avons pour certaines études, mais la principale est la discipline de l'Église, l'Écriture, les Conciles et les Pères.

 

Les conciles surtout semblent les avoir passionnés. Ainsi le P. de Monchy d'Hocquincourt « lisait sans cesse l'Évangile et le Concile de Trente, qu'il savait presque par coeur» (1).

Habitués que nous sommes à rencontrer nombre d'oratoriens parmi les hautes gloires de la science et des lettres françaises, la charmante page que l'on vient de lire nous paraît toute naturelle. Bérulle néanmoins et ses premiers compagnons auraient été fort surpris d'apprendre que leur Institut dût bientôt devenir une pépinière de savants et d'écrivains. Telle n'était certainement pas leur ambition. Ils ne rêvaient que de sainteté. Absorbés par le ministère paroissial et les missions, le peu de loisirs qui leur restait, ils le donnaient aux exercices de la vie intérieure. Ils ne méprisaient pas la science, mais ils la distinguaient à peine de la prière. Quant aux belles-lettres, ils s'en désintéressaient tout à fait et de parti pris. Bérulle les estimait fort divertissantes, et c'est pour cela qu'il n'aurait pas voulu d'abord que l'Oratoire se chargeât de l'éducation des enfants. Mais, si l'homme propose, Dieu et la vie disposent. Dès ses débuts, l'Oratoire fut amené, par les circonstances, à accepter plusieurs collèges. D'un autre côté, on voyait affluer des recrues exceptionnellement brillantes, et dont la vocation littéraire était manifeste. Les Jean Morin, les Charles Lecointe, les Jean-François Senault, les Louis Thomassin, les Nicolas Malebranche, et tant d'autres, comment n'auraient-ils pas écrit (2)? Lui

 

(1) J. Grandet, Les saints Prêtres français, II, p. 14o. Le P. de Monchy (1610-1686), très saint homme, un peu singulier, eut beaucoup de part à la conversion de Rancé et à celle de l'abbé (depuis cardinal) Le Camus; cf. Batterel, III.

(2) Je n'ai pas à célébrer ici les illustres de l'Oratoire. Cf. sur eux les quelques biographies données par le cardinal Pergaud dans son livre sur L'Oratoire de France, et surtout, surtout la bio-bibliographie du P. Batterel, si précieuse, si curieuse et, je puis bien dire, si amusante. Batterel n'est peut-être pas toujours de la dernière orthodoxie. Il manque parfois de sérénité, mais, à l état calme, il a le jugement sûr, la critique exigeante et, par tous les temps, beaucoup d'esprit. Je n'ai pas besoin de dire qu'il goûte peu les jésuites, mais en revanche on ne lui reprochera pas d'exalter indistinctement et de parti pris tous ses confrères. Voici par exemple ce qu'il dit de l'un d'entre eux : « Il se soutient fort bien dans sa qualité d'un des plus plats, des plus minces et des plus frivoles auteurs que l'on puisse lire, et il m'en a beaucoup passé par les mains de cette espèce ». Mémoires domestiques, I, p. 152.

 

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non plus, saint Benoît n'avait pas prévu Mabillon, ce bénédictin modèle, et saint Ignace ne songeait guère aux bollandistes, qu'on ne regarde pas néanmoins comme des jésuites manqués.

De quelle façon, dans quelle mesure, cette évolution nécessaire a-t-elle affecté et modifié l'Oratoire idéal d'abord conçu par Bérulle, c'est là un problème difficile et dont nous n'irons pas demander la solution au terrible abbé de Rancé. Sans toutefois approuver le moins du monde les exagérations manifestes de ce grand réformateur — savant lui-même, et qui ne souffrait que modérément des louanges que l'on donnait à son beau style — il faut bien reconnaître qu'un très grand amour pour les sciences, gêne plus ou moins la ferveur mystique. Cette noble page du P. Lamy que je viens de transcrire avec délices, peut-être un saint authentique ne l'aurait-il pas signée Il y a là un je ne sais quoi de trop humain, un partage trop égal, si j'ose dire, entre Cicéron et l'Évangile. Ce n'est pas tout à fait Bérulle, c'est presque Richard Simon. Non que- je me permette d'excommunier ce dernier. Quoi qu'en ait dit celui qu'il appelait peut-être sans ironie « l'illustre censeur », Richard Simon aimait l'Église, il entendait la servir, et il Pa servie en effet, presque aussi redoutable aux protestants que M. de Meaux, et beaucoup plus que lui redoutable aux jansénistes. Il avouerait néanmoins lui-même qu'il préfère Sixte de Sienne ou Maldonat aux dévots écrits

 

(1) Je ne veux certes pas élever le moindre doute sur la haute vertu et sur la piété du P. Lamy: cf. Pergaud, L'Oratoire de France, pp. 28o, 251.

 

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de Bérulle. Critique orthodoxe ou qui veut l'être, mais critique séparé, que la science enchante par elle-même, et qu'elle possède. Il nous montre le point extrême où peut conduire une vie toute consacrée à l'érudition. Mais le P. Lamy ne le suit pas jusque-là. De beaucoup s'en faut ; et de plusieurs (le leurs confrères on peut se demander s'ils ne sont pas encore plus saints que savants. Le P. Gibieuf, cligne de se mesurer avec Descartes, qui l'estime tant, laisse Platon pour les carmélites ; il relit sans fin et prépare pour l'impression les manuscrits de Bérulle ; il publie un grand ouvrage sur la dévotion à la Sainte Vierge. Le P. Thomassin recommence le jésuite Denis Petau, mais en oratorien, mais en bérullien. « Le grand monument élevé par Thomassin à la gloire de la religion et de la philosophie, écrit le cardinal Perraud, c'est son ouvrage sur les Dogmes théologiques. Le P. Petau venait de publier son livre des Dogmes. Il avait écrit leur histoire suivant les règles de l'érudition la plus étendue et la plus exacte. Le P. Thomassin se proposa, non pas de refaire sur le même plan ce que le savant jésuite avait si bien exécuté, mais, en joignant la méthode philosophique (ou plutôt mystique) à la méthode historique, de pénétrer par la méditation dans la connaissance intime de ces mêmes dogmes.  (1)»

Et leur humanisme non plus n'est pas un humanisme séparé. Comme l'a curieusement remarqué le P. Amelote, s'ils ont

 

des maîtres de la grammaire, des lettres humaines, de l'éloquence, de la philosophie, de la théologie, et des saintes Ecritures, il n'y a que les (deux) derniers qui enseignent par inclination. Tous ceux qui sont employés à l'étude des lettres et des sciences du siècle, les regardent comme une des croix des enfants de Dieu.

 

(1) L'Oratoire de France, p. 320. Il est bien curieux que le saint cardinal n'ait pas remarqué, ou du moins qu'il n'ait pas dit que, ce faisant, le P. Thomassin a bérullisé — sit venia ! — le P. Petau.

 

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Il ne met pas l'accent sur les mêmes points que le P. Lamy, mais au fond ils sentent presque de même. On voit bien du reste que, pour la circonstance, le bon P. Amelote s'applique à cicéroniser de son mieux :

 

Ils considèrent le grec et le latin comme des fruits de la confusion de Babylone, et des engeances du péché, qui périront avec le père qui les a produites. Ils reconnaissent même avec Salomon que la contemplation des oeuvres de Dieu..., depuis l'hysope jusqu'aux cèdres du Liban, n'est que vanité et affliction d'esprit. Ils vivent dans une conduite qui ne souffre pas qu'ils s'appliquent à ces doctes oisivetés des païens par complaisance... Mais bien qu'ils soient humiliés de leur engagement aux lettres profanes, ils le portent néanmoins avec patience (1).

 

Il y a fardeaux plus pesants. Toutefois, je le répète, le P. Amelote ne fait ici qu'amplifier, avec un peu de tapage, la doctrine commune des oratoriens. L'humaniste pur, du type Rapin ou Bouhours, est rare chez eux. Ils laissent le prix de vers latins aux jésuites, quoiqu'ils aient réussi, je ne sais comment, à s'adjoindre le plus insigne poète de l'époque pré-santolienne, Nicolas Bourbon.

Je n'ai pas besoin de dire que les humanistes de l'ordre rival ne cherchent en définitive que la plus grande gloire de Dieu : rectam in studiis intentionem servare scolastici nostri conentur; mais, leur intention une fois dressée et dûment renouvelée, il ne voient plus dans le grec et dans le latin que deux langues magnifiques, dignes d'une admiration éternelle. Ils n'oublient pas la tour de Babel, mais son ombre les distrait et les effraie moins qu'elle ne fait les humanistes de l'Oratoire. Un de ces derniers, le P. Thomassin a publié une « Méthode d'étudier et d'enseigner chrétiennement et solidement les poètes ». L'inquiétude que ces deux adverbes trahissent n'est certes pas inconnue aux jésuites, mais elle ne les tourmente pas

 

(1) La vie du P. Ch. de Condren, II, p. 104, 105.

 

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autant. Qu'on lise plutôt les essais presque tout profanes du P. Rapin, du P. Bouhours. Pendant le XVII° siècle du moins, je ne vois qu'un seul oratorien écrire d'une manière aussi dégagée; c'est Richard Simon Il y aurait aussi à comparer les principes de l'une et de l'autre école sur la formation littéraire, et, par exemple, l'art de parler du P. Lamy à la rhétorique du jésuite de Colonia. Celle-ci est exclusivement technique et pratique, d'ailleurs superstitieusement fidèle à la tradition aristotélicienne ; celle-là toute spéculative et philosophique. Malebranche l'estimait fort, et Bayle, et, qui plus est, Mascaron s. Ainsi pour le style. L'oratorien est plus spontané et plus près de l'atticisme ; le jésuite, plus artiste et plus latin. Les premiers songent moins à bien écrire, et c'est peut-être pour cela ,qu'ils écrivent si bien. On ne saurait trop pratiquer ce délicieux Bouhours ; je lui préfère néanmoins le P. Lamy et, à plus forte raison Malebranche. Aussi bien ne devons-nous pas pousser plus avant ce parallèle littéraire. L'Oratoire nous reprocherait notre « complaisance » pour de telles « oisivetés » (3). Une autre discussion nous appelle, beaucoup moins délectable, mais que nous n'avons pas le droit d'éviter.

 

(1) Pour Bouhours, qui avait la tête moins bonne que Rapin, et qui était, je crois, moins sérieusement religieux, « dégagé » n'est peut-être pas assez dire : il donne parfois dans le « cavalier ». On l'en accuse à plusieurs reprises dans les Sentiments de Cléante sur les Entretiens d'Ariste..., et c'est là peut être ce qu'il y a de plus juste dans ce petit pamphlet. Bouhours manquait un peu de goût eu matière de religion, peut-être même en matière de poésie. Mais quel écrivain!

(2) Cf. Perraud, L'Oratoire de France, pp. 281,282 et la notice Lamy dans les Mémoires de Batterel, IV.

(3) Il va sans dire que ce sont là des vues très générales, et qui ne se vérifient pas dans tous les cas particuliers. Ainsi l'on ne saurait parler de l'atticisme du P. Senault — (lequel d'ailleurs faisait corriger ses phrases par Conrart), et d'un autre côté le style, charmant à mon gré, du P. Rapin ressemble beaucoup moins à celui de Bouhours qu'à celui du P. Lamy. Et de même, j'écarte de la discussion les écrivains qui n'écrivent ni bien ni mal, qui n'écrivent pas : ainsi le P. Bourgoing, du côté de l'Oratoire ; et le P. Guilloré, du côté jésuite. Sur les méthodes littéraires de l'Oratoire comparées à celle de la Compagnie de Jésus, cf. P. Lallemant : Histoire de l'éducation dans l'ancien Oratoire de France, Paris. 1880.

«  D'ailleurs il est autant de styles qu'il est d'engagements. « L'on trouve même certaines gens dans la République des Lettres, dit M. Baillet, qui poussent assez loin le raffinement de la critique, pour deviner à la manière d'écrire les auteurs de la Compagnie de Jésus d'avec ceux de l'Oratoire de Jésus ». Essai historique et philosophique sur le goût (Cartaud de la Vilate). Amsterdam, 1;36, p. 233, 239, Lu vérité, il n'y faut pas tant de raffinement. » On m'excusera de n'avoir pas cherché à identifier les citations de Baillet.

 

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2. L'antijésuitisme. — Je ne crois pas que l'Oratoire ait commencé. Une congrégation naissante est presque toute sainte, et les saints n'ont pas coutume de manquer délibérément à la charité. I1 suffit pour les pacifier de se mettre en oraison, et ils le font plus d'une fois par jour. Ils avaient un adversaire commun, la Sorbonne, hostile depuis toujours à la Compagnie de Jésus, et irritée contre M. de Bérulle, qui lui enlevait de brillants docteurs. Duval se résignera difficilement à la vocation du meilleur de ses élèves, Charles de Condren. Dans l'ordre politique, on ne voit rien non plus qui fût de nature à les diviser. Ni les uns ni les autres ne sont très chauds pour M. le cardinal, à moins que l'on ne dise que M. le cardinal n'a de tendresse, ni pour les uns, ni pour les autres. L'Oratoire et la Compagnie penchent assez ouvertement — comme d'ailleurs presque tous les mystiques de cette époque — du côté de la Reine mère. Au surplus, Bérulle voulait du bien aux jésuites; il le leur avait assez montré, lors de l'attentat de Châtel, et au risque de se compromettre en s'affichant: leur ami. Supérieur de l'Oratoire, il les avait obligés à plusieurs reprises, un peu lourdement, j'imagine, mais de grand coeur. Plus tard, quand les hostilités auront commencé, pour ne plus finir, sa main gauche se rappellera les bons offices de sa droite ; il en dressera la liste. Car il a presque autant de gaucherie que de noblesse. Il écrit à Richelieu

 

Je ne veux pas spécifier que j'ai fait appliquer d'aumônes qui étaient en ma disposition,

 

et il spécifie aussitôt :

 

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à un de leurs collèges mille écus, n'ayant pas voulu en appliquer à aucune de nos maisons.

 

A Rouen, il a refusé un collège que la ville lui offrait,

 

 

pour nous loger, écrit-il, et ce pour satisfaire à leurs désirs, et les délivrer de l'ombre qu'ils avaient que la ville ne s'affectionnât à nous pour la régence plus qu'à eux... A Orléans, nous avons travaillé à les introduire, et refusé le collège qui nous était offert..., et ce, pour ne les pas exclure de cette ville, en laquelle ils n'avaient prétexte d'entrer que par cette voie..., A Troyes... A Alençon..., un d'entre nous, seul curé de la ville, a disposé ses paroissiens à demander les jésuites... Le P. de Sancy, depuis qu'il est de l'Oratoire, leur a fait don de douze mille francs... (1)

 

Je tenais à citer ce papier débile, un peu ridicule. Il éclaire le drame qui se prépare, et nous aide à comprendre ce paradoxe éternel : de bons chrétiens qui se déchirent entre eux. Bérulle n'a pas commencé ; il ne suivra pas non plus, mais, faute d'un certain génie, il se donnera l'air de suivre ; il ne saura pas noyer le mal dans le bien.

Y aurait-il eu incompatibilité manifeste entre la spiritualité de la Compagnie de Jésus et celle des oratoriens ? L'abbé Houssaye paraît le croire. « La multiplicité des ordres religieux, écrit-il avec sa noblesse et sa pénétration habituelle... a sa raison d'être dans les besoins multiples des âmes. Or, parmi les âmes, les unes, portées vers Dieu par un vol puissant, aiment à le contempler en lui-même, ou dans l'oeuvre de ses oeuvres, qui est Jésus-Christ, et ne le voient que dans cette lumière; les autres, inclinées à se regarder elles-mêmes, cherchent surtout à connaître les défauts et les vices qui les déparent, et les vertus dont elles se doivent orner. De là deux écoles de

 

(1) Houssaye, II, pp. 588, 589. Vers la fin de 1623, Richelieu, dans l'espoir d'arriver à un accommodement entre les deux sociétés, avait demandé à Bérulle de lui exposer par écrit les reproches qu'il croyait devoir adresser aux jésuites. Le mémoire serait montré à ceux-ci qui s'expliqueraient à leur tour. Nous avons ces deux pièces (Houssaye, II, pp. 588-6o3).

 

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spiritualité, l'une plus théologique que morale.. » Le lecteur connaît déjà ce parallèle qui nous a longuement occupés plus haut. « Venus dans le monde, continue M. Houssaye, à une heure où le vieil édifice catholique était battu en brèche par les réformés, les Pères jésuites, non contents de se fortifier contre les assauts de l'ennemi, firent contre lui d'incessantes et victorieuses sorties. Sur toute la ligne, ils opposèrent à leur négation une affirmation. Les réformés niaient l'autorité du Pape; les jésuites lui firent un voeu spécial d'obéissance; les réformés exaltaient la grâce jusqu'à imputer à Dieu les péchés des hommes; les jésuites maintinrent les droits du libre-arbitre jusqu'à les exagérer peut-être (?); les réformés supprimaient les touchantes et fécondes pratiques de la dévotion catholique; les jésuites multiplièrent les prières vocales, les associations et les voeux. C'est ainsi qu'à l'époque du P. de Bérulle, jusque dans leur piété, se révélait leur mission belliqueuse (je dirais plutôt leur réalisme pratique)... Les origines et la vocation de l'Oratoire étaient tout autres : le P. de Bérulle n'avait jamais porté l'armure..., sa jeunesse s'était passée dans le silence et l'étude.. Condamné à la lutte (contre les protestants)..., on sentait, jusqu'au ton de sa polémique, l'homme habitué à contempler les mystères dans leur foyer le plus intime... Comme leur fondateur, sortis de la Sorbonne, nourris des Pères, vivant dans une étude continuelle des états, de la vie et de la personne du Verbe incarné, les disciples du P. de Bérulle offraient à la piété des fidèles un aliment différent de celui que leur dispensaient les Pères jésuites. Il eût été sage et chrétien de laisser chacun suivre en liberté son attrait..., (mais enfin) la dévotion toute dogmatique de l'Oratoire fut combattue par les partisans de la dévotion toute pratique de la Compagnie » (1).

 

(1) Houssaye. II, pp. 432. 433. Après ce que nous avons dit plus haut, et ce qui nous reste à dire, je n'ai pas besoin de montrer que Fauteur accuse plus que de raison le contraste entre les deux écoles. Nous savons en effet : a) que la doctrine bérullienne se concilie sans peine avec les Exercices spirituels ; b) que les plus grands spirituels de la Compagnie au XVII° siècle se sont ralliés à Bérulle.

 

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J'aimerais qu'il en fût ainsi : car il y a toujours de la grandeur à se battre pour des principes. Je crains toutefois qu'en expliquant de la sorte le conflit qui nous intéresse, le magnanime biographe de Bérulle n'ait pris la cause pour l'effet. Ce ne sont pas les principes qui ont divisé les deux partis; c'est leur division elle-même qui leur a montré qu'ils ne s'accordaient pas de tous points sur les principes, ou plutôt sur la méthode, Ayant d'abord cédé à une antipathie instinctive, ils en sont venus peu à peu à réaliser plus nettement les quelques divergences doctrinales qui semblaient justifier cette même antipathie, divergences beaucoup moins sérieuses d'ailleurs qu'on ne veut le dire, et qui n'étaient certainement pas de nature à provoquer un tel branle-bas. Aussi bien, lorsque les hostilités ont commencé, l'Oratoire ne faisait-il que de naître; il n'avait alors que neuf ou dix ans d'existence, moins peut-être. Sa psychologie, si je puis dire, était encore assez mal définie. Saints et savants, on les demandait partout : il prenaient les premières occasions venues d'exercer leur zèle, suppléances des curés, missions dans les villages, collèges. Quant à leur doctrine spirituelle, bien que déjà très arrêtée dans la pensée de Bérulle, aucun livre ne la présentait au public, et très peu de personnes se trouvaient en mesure de la discuter.

Ce qui a mis en branle cette fâcheuse aventure, je crois bien que c'est la peur. Ces jésuites, que Bérulle aurait volontiers comparés au loup de la fable, se voyaient au contraire dans la même situation que l'agneau. Le jeune Oratoire était pour eux comme un louveteau, déjà menaçant. Comme ils l'expliquent eux-mêmes dans un mémoire à Richelieu, le nouvel Institut ne vivait que pour les détruire :

 

Un conseiller d'un des Parlements de France qui honore la

 

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Compagnie de son amitié, en a donné l'avis, l'ayant appris de l'un des chefs de l'entreprise... Ce sont les prêtres de l'Oratoire qui, en un conseil tenu à Paris entre les principaux de leur congrégation, ont résolu, poussés à cela par quelques-uns du Parlement de Paris et par quelques prélats, de prendre la charge d'enseigner en toutes les villes qu'ils pourront pour contrecarrer les jésuites...

Ils enseignent déjà en six ou sept endroits, pressant, avec des artifices admirables, d'avoir le collège de Chalon-sur-Saône, nonobstant les patentes du Roi qu'ont les jésuites pour ce collège-là. On tient qu'ils poussent la roue des premiers à Troyes pour empêcher que les jésuites n'y enseignent...

 

Les plaignants connaissent leur cardinal et le servent en conséquence:

 

Au comté de Bourgogne, ils font tout leur possible pour avoir le collège de Salins et, en Flandres, celui de Mons... pour se faire planche en Flandres. Tout fraîchement, ils ont passé en Espagne, avec force lettres de recommandation, afin de s'établir en ce royaume-là, par le moyen de la Reine... Il y a de l'apparence qu'ils feront de même en Savoie et Piémont, par le moyen de Mme la Princesse. Un évêque, qui est de leur parti, dit naguère à un Recteur de la Compagnie que bientôt on entendrait de terribles mouvements en Italie, où ces Messieurs tâchent aussi de s'avancer...

 

L'Oratoire compte bien du reste, ruiner « par deçà les monts, l'autorité du Saint-Siège » et c'est pour cela sans doute qu'ils ont juré d'exterminer les jésuites.

 

Un des premiers et plus apparents d'entre eux dit, il y a quelque temps, en présence de bonne compagnie.., que les jésuites avaient bien eu des affaires en France, qui leur avaient donné tout plein d'exercice, mais qu'ils leur en préparaient un duquel ils auraient bien de la peine à se démêler.

Ce n'est plus maintenant sous main, mais tout à découvert qu'ils en veulent aux jésuites, qui, pour ce respect, doivent être sur leurs gardes..., et surmonter avec prudence, patience et charité, le pouvoir et les desseins de leur adversaire.

 

Les malheureux ! De vagues propos, d'invraisemblables

 

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conjectures, des faits controuvés, ils n'apportent pas la moindre preuve, et pour cause, à l'appui de dénonciations aussi graves. Et comme si ce n'était pas assez de candeur inconsciente, en terminant, ils conseillent aux oratoriens de « ne pas croire aisément les rapports » ! (1) Tout, du reste, commandait l'inquiétude et le soupçon aux affolés qui ont rédigé ce piteux mémoire. Depuis tant d'années, les jésuites avaient affaire chez nous à tant de persécuteurs. Hier encore (1595), après l'attentat de Châtel, un de leurs Pères avait été pendu, et la Compagnie chassée de France. Ils se feront peu à peu à ce régime; pour l'instant, ils ont peur, ils vivent l'oreille au guet, dans une alarme incessante. Non pas tous, ni même la plupart. Mais la médiocrité est contagieuse, même quand elle se glisse parmi les élites, et elle s'y glisse toujours. Quelques Pères de peu d'esprit, ou de peu de coeur auront crié au danger (2). On aura fini par

 

(1) Houssaye, II, pp. 682, 683. L'authenticité de cette pièce ne paraît pas douteuse; j'ai toutefois peine à comprendre que la Compagnie ait confié l'expression de ses doléances à un scribe aussi lamentablement vulgaire.

(2) L'histoire vraie des premières années de cette guerre reste pour nous très obscure. Ce que dit à ce sujet l'abbé Houssaye (II, passim), me paraît, au moins dans l'ensemble, tout à fait juste, mais on voudrait plus de précisions. Il faudrait aussi une bonne bibliographie des pamphlets qui furent publiés à cette occasion. Il faudrait surtout une critique minutieuse des deux mémoires remis à Richelieu. Ils ne sont beaux ni l'un ni 1 autre, mais si, dans celui de Bérulle, il y a plus d'une accusation purement tendancieuse, il y a aussi des faits précis, graves, et qui paraissent indiscutables. D'après ce mémoire, on peut distinguer trois épisodes principaux : a) Les attaques doctrinales. Où se prendre, avant la publication du Discours sur les grandeurs, premier ouvrage où la doctrine spirituelle de Bérulle soit présentée ex professo ? On s'empara d'une formule manuscrite — les voeux de servitude au Verbe incarné et à la Vierge — rédigée par lui à l'usage des carmélites. Ou crut, ou l'on feignit de croire qu'il s'agissait là d'un quatrième voeu de religion. J'ignore d'où partirent les premiers coups, mais la lutte fut très chaude ; elle affecta profondément, j'allais dire qu'elle démoralisa M. de Bérulle. La participation de plusieurs jésuites à cette campagne n'est pas douteuse. Mais enfin, et grâce en particulier à Philippe Cospeau — bon théologien, coeur loyal, admirable ami — la campagne fit long feu ; cf. le Narré (publié par Bérulle en 1623) de ce qui s'est passé au sujet d'un papier de dévotion dressé en l'honneur de J.-C. N.-S., et du mystère de l'Incarnation (Migne, pp. 595-626) ; Houssaye, II, 433, et Appendice V.) Je ne crois pas que l'on ait pu attaquer de front le Dis-cours sur les grandeurs. On avait annoncé une réfutation de ce livre par le P. Garasse, mais si cette rumeur était fondée, les supérieurs de la Compagnie eurent la sagesse d'arrêter la publication du pamphlet. b) Attaques contre les moeurs de Bérulle. M. Houssaye, II, pp. 448-452 a raconté cet  abominable incident avec beaucoup de tact. Je n'y reviens pas. c) L'affaire des carmélites. Sur les faits, nulle contestation possible. Il est certain que de nombreux jésuites ont encouragé et soutenu les Carmels français révoltés contre Bérulle, autant dire, contre le Saint-Siège. Toute cette aventure, féconde en incidents lamentables, passe l'imagination. Le P. Coton n'en revenait pas, le très noble P. Coton qui fut toujours l'ami et le défenseur de Bérulle. Les lettres qu'il écrit à ce sujet sont des plus curieuses, et montrent, chez quelques jésuites de ce temps, un esprit d'indépendance et d'insubordination bien étranges. Il écrit le 26 mars 1622 à Marillac (?) « L'affaire des Mères carmélites est un orage que quelque archidémon a excité en vengeance des victoires que tant de bonnes âmes ont remportées sur lui... Car, pour vrai, il y a plus que de l'ordinaire, in genere tentationum ita ut in errorem inducantur etiam, si fieri possit, electi, et l'illusion est si forte qu'elle fait faction soudain qu'elle s'est emparée d'un esprit, et faction presque irrémédiable qui est un signe évident de l'opération du malin. Non enim in turbine aut commotione Dominus, et quand ou veut ramener les esprits seulement à modération ou indifférence, on est suspect et, si dire se peut, mal voulu... J'ai fait ce que j'ai pu à Bordeaux (auprès des jésuites)... et ce avec plus de danger de rupture que d'amendement ». Le 12 août 1623: « L'inconvertibilité des âmes rebelles montre l'impression du malin et en exprime la félonie, et ce qui est épouvantable, attingit cedros Libani, gens d'ailleurs fort spirituels, et en ceci totalement indociles et si peu mortifiés qu'ils bondissent quand on parle seulement de les ramener. Hors l'hérésie, je n'ai rien vu de semblable en acariâtrise. Or, mon r. et tr. ch. Père, (Bérulle) charitas omnia suffert... » Et le 13 juin 1624, de Bordeaux : « Je verrai en qui l'on se peut confier... Le P. J.. Lespaulard, recteur de ce collège, va bien maintenant, mais il me semble qu'il suit un peu le temps. Le Michel Camain est fort assuré, mais il est absent. A. son retour, les bonnes Mères (les carmélites fidèles) pourront prendre confiance en lui. Présent je n'en spécifierai point d'autres, afin d'y mieux penser »... (L'abbé Houssaye a eu le tort de ne publier cette précieuse correspondance que dans sa courte réponse : Les Carmélites de France et le tard. de Bérulle, Paris, 1873, pp. 94-114. La place naturelle de ces inédits était dans la vie mène de Bérulle). — Ces textes seuls suffiraient à prouver que Bérulle n'exagère pas lorsqu'il reproche aux jésuites d'avoir fomenté la dite révolte. « Ils ont maintenu cette division et l'ont portée dans les extrémités qui sont connues..., et les Pères carmes se retirant pour obéir au Pape, eux qui était auparavant cachés sous leurs manteaux ont paru lors publiquement, soutenant seuls les excès et les violences de cette cause tant de fois condamnée par le Saint-Siège ». (Houssaye, II, p..392). Resterait à discuter les mobiles qui leur ont fait prendre cette attitude ? L'affaire ne les regardait pas. La question de droit était résolue par les décisions du Pape. Le seul intérêt des PP. carmes les aurait-il mis en mouvement ? L'historien ne peut juger des intentions secrètes, mais il ne parait pas téméraire de croire qu'ils auront assez volontiers saisi une belle occasion de contrarier Bérulle. Cf. sur toute cette aventure, Houssaye, II, passim; Mémoire sur la fondation, le gouvernement et l'observance des carmélites déchaussées..., Reims, 1894; dans sa Courte réponse, M. Houssaye indique les ouvrages récents qui soutiennent la cause des carmélites révoltées.

Quant aux griefs des jésuites, on les trouvera énumérés dans leur Mémoire. Un Oratorien aurait dit — et c'est fort possible — « que les jésuites devaient être tous mis en un navire et envoyés en Canada, étant pernicieux à la religion et à l'Etat ». Un autre, « qu'il n'y avait que ceux de l'Oratoire qui sussent prêcher ». Un autre, dont malheureusement on n'a pas conservé le nom, « qu'ils aimaient bien les vieux jésuites, mais qu'il n'y en avait plus ». « Un d'eux a dit à Bourges qu'il voudrait lui avoir coûté dix mille écus, et qu'un jésuite, le P. Rabardeau, fût envoyé aux galères », etc. Ils les ont empêchés d'avoir tel collège, ils leur ont fait perdre l'amitié de cinq Prélats. Il est probable en effet qu'une fois la guerre entamée, les moins vertueux des oratoriens auront pris les armes. De part et d'autre, on se sera conduit comme si l'on n'avait jamais lu l'Evangile.

 

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les croire. Fallait-il attendre que, de l'autre côté, l'on commençât? Non, mais au contraire, écraser la conspiration dans l'oeuf, tirer les premiers Ils visèrent bien. La doctrine et jusqu'aux moeurs de Bérulle, tout y passa. — Ainsi jadis les ennemis de la Compagnie naissante : Ignace couvait une hérésie nouvelle; François-Xavier avait des mai tresses. —Alors furent prononcées, non pas du tout par les représentants officiels de la Compagnie, mais par un petit nombre de brouillons, que du reste on n'eut pas le courage de désavouer assez hautement, prononcées,

 

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dis-je, des paroles irréparables que pour son malheur l'Oratoire n'oubliera jamais.

Qu'aurait dû faire Bérulle ? Deux chemins s'ouvraient à lui. En 1538, écrit M. Bellessort, dans son admirable histoire de saint François-Xavier, la Compagnie de Jésus avait eu à « subir un grave assaut. L'apparition sur la scène de Rome de ce petit groupe d'hommes, qui osaient s'approprier un nom donné par saint Paul à l'Eglise tout entière, avait indisposé les autres ordres et soulevé bien des animosités... On travailla à les discréditer; on ramassa toutes les calomnies qui avaient traîné dans les villes où ils avaient passé... C'était l'anéantissement de tout ce qu' (Ignace) avait déjà fait, si en l'absence du Pape, qui était alors à Nice, il ne portait l'affaire devant le Légat et le gouverneur de Rome, et s'il n'obtenait, à sa décharge, une sentence solennelle. Il l'obtint aussi éclatante qu'il pouvait la désirer » (1). C'était une méthode. Le P. Coton en conseillait une autre, plus exclusivement surnaturelle, et peut-être aussi plus habile : « Charitas omnia suffert, écrivait-il à Berulle, omnia sustinet, et praestabilis est super

 

(1) André Bellessort, L'apôtre des Indes et du Japon, saint François-Xavier, Paris, 1917, pp. 62, 63.

 

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iniquitate. Ne permettons donc pas qu'elle se perde pour cela.. C'est à cette heure qu'il faudrait rendre plus de témoignages à la charité » (1). Ne rien voir, ne rien entendre, tout supporter en silence et tout pardonner. Entre ces deux systèmes, Bérulle ne savait pas se décider. Il passait tour à tour de l'un à l'autre, sans énergie du reste, et d'assez mauvaise grâce. Il était homme à comprendre les nobles conseils du P. Coton, et au fond il penchait de ce côté-là. Lorsqu'il fut odieusement attaqué dans son honneur de prêtre, le docteur Duval le pressait de poursuivre les diffamateurs. Il ne voulut pas. Son premier mouvement est presque toujours d'un saint. Il écrit, par exemple, à une carmélite de Tours qui avait eu vent de ces bruits abominables :

 

Je vous remercie du soin que vous avez pris de nous avertir de la calomnie qui court contre nous en vos quartiers,

 

et qui en peu de jours était allée jusqu'à Rome.

 

Je dois plus louer Dieu en ses miséricordes sur nous de nous avoir préservé par sa grâce du mal dont on nous accuse que me mettre en peine de l'accusation qu'on en fait. Il a par sa bonté dissipé les calomnies précédentes; en son temps il dissipera celle-ci qui a peu de fondement, si ce n'est en la malignité de l'esprit qui depuis quelques années a permission de Dieu de susciter ces divisions...

 

Mais en même temps, il rumine cette vilenie qui le consterne, qui l'accable. Il présente ingénument sa défense. Je ne connais pas cette femme ; une petite cousine, à la vérité, « mais d'une branche fort éloignée ». «Ne l'ai jamais vue, ni elle moi, que je sache ». Et, comme il est Bérulle, il insiste :

 

Il y a plus de vingt ans que je n'ai vu monsieur son père, n madame sa mère. Si je la voyais, je ne la reconnaîtrais nullement

 

(1) Inédit publié par Houssaye, Courte réponse, p. 107.

 

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Je n'ai jamais parlé à elle... Par la grâce de Dieu, je n'ai pas vécu de telle sorte que messieurs de Tours doivent aisément croire de moi chose semblable (1).

 

A Dieu ne plaise que je raille cet embarras, cette stupeur douloureuse! Rien ne doit être plus dur à un prêtre que la haine d'un prêtre. C'est comme si l'Eglise elle-même, et Dieu avec elle, nous abandonnait. Mais, à un si grand homme on peut demander plus d'allégresse dans le martyre, une allure plus décidée. L'Evangile nous

montre le Christ traversant la meute de ses calomniateurs, et continuant droit son chemin, comme s'il n'avait rien entendu. Transiens per medium illorum ibat! Que de choses dans cet imparfait tranquille; ibat. Bérulle ne s'arrête pas, mais il tourne la tête en arrière et laisse trop voir sa détresse (2).

 

Un des principaux d'entre eux a dit à des personnes de qualité en leur parlant de moi : Iste homo natus est ad pessima (3).

 

(1) Houssaye, II, PP. 449, 45o.

(2) Je dois citer ici une pièce qui nous rend sensible la détresse dont je parle. C'est une lettre adressée par Bérulle à un prêtre de l'Oratoire, sur la fondation du collège de Nantes : « La rencontre et la nécessité nous ont mis à Nantes près du collège, plutôt qu'aucun dessein prémédité... J'ai considéré que si (ce collège)... tombait en d'autres mains que les nôtres, ou nous serions contraints de changer. de demeure, ou nous serions exposés à beaucoup de contestations... J'ai refusé des collèges en plusieurs bonnes villes du royaume, nommément à Troyes et à Orléans, et je l'ai fait pour les conserver à ces Pères, par le seul désir de les servir. Mais je vous puis dire en confiance que nos services passés et nos affections présentes ont été peu considérés... Il y a quatre ans que je suis persécuté criminellement, et aux moeurs et à la doctrine, par ceux-là même qui me devaient, ce me semble, quelque défense... Je vous dirai confidemment qu'il y a quinze ans qu'une âme de Dieu, qui est encore vivante (peut-être Madeleine de Saint-Joseph), m'annonça cette persécution dans les mêmes termes que je la vois... Ceux qui vous disent que je suis irréconciliable se trompent..., mais je suis résolu depuis longtemps de ne pas faire attention à tout cela et seulement de n'être pas facile à me laisser tromper par eux... Eu même temps que ceux que vous avez en vue ne parlent que de réconciliation..., on nous accuse en France et à Rome d'être schismatiques, dans des écrits que j'ai entre les mains et que je vous ferai voir. Croyez-moi, mon Père, ce n'est pas Dieu qui a suscité cet orage; et si je ne l'avais éprouvé, je n'aurais jamais cru devoir trouver tant de l'homme, tant d'activité, tant d'excès, si persévéramment et si universellement, dans des hommes que leur état oblige à des procédés bien contraires ». Oeuvres, p. 160.

(3) Houssaye, II, p. 591.

 

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Que de réflexions n'aura-t-il pas faites sur cette boutade ! Comme elle lui est restée sur le coeur! Manet alta mente repostum. Il s'avoue, et très sincèrement, digne des pires injures. Il pardonne, mais, faute d'esprit ou de noblesse, il ne sait pas oublier.

Cela parut plus encore et d'une manière plus désastreuse, lorsque Bérulle voulut enfin s'expliquer sur sa doctrine spirituelle. Dans une circonstance analogue, saint Ignace avait conduit l'affaire tambour battant. Il avait demandé des juges. En prison, si Rome nous croit hérétiques ; sinon qu'elle proclame hautement notre innocence. Et puis, qu'on n'en parle plus. Ayant eu gain de cause, il se garde « bien d'abuser de sa victoire et de poursuivre ses accusateurs au delà de leur simple confusion » (1). Bérulle est plus embrouillé. Il s'agite d'abord dans un silence accablé. Puis une idée de génie lui vient : il exposera ses principes dans un grand ouvrage de doctrine et de dévotion. Fort bien. Une exposition toute sereine aurait édifié les indifférents, confondu les accusateurs. Mais il n'est maître ni de son coeur ni de sa plume. Dans ce livre au titre somptueux et pacifique — Discours de l'État et des grandeurs de Jésus — bon gré, malgré, per fas et nefas, il glisse — non, glisser n'est pas bérullien — il déploie un véritable réquisitoire. Il harcèle, il écrase l'ennemi. Ce n'est pas assez. 11 veut associer à ses représailles la Sorbonne et l'épiscopat. D'ordinaire, on se contente de deux approbateurs,

 

mais, dit-il, les oppositions passées et les dérèglements présents, assez connus au public, sans qu'il soit besoin de les renouveler davantage en ce lieu, ont donné sujet à plusieurs de mes amis de juger qu'il était à propos que ces discours portassent l'approbation d'un plus grand nombre de personnes, afin que ceux que la modestie et la solidité de la doctrine ne contiendraient pas dedans leurs bornes, y fussent contenus

 

(1) A Bellessort, op. cit., p. 63.

 

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par le poids, le nombre et l'autorité de ceux qui l'approuveraient (1).

 

Deux suffisent; il en aura vingt-trois : un cardinal (Richelieu); huit évêques; un général d'ordre (Feuillants, Dom Sans) ; dix docteurs ; un prédicateur du Roi et deux capucins, bref un vrai concile : plus deux poètes latins. Je ne m'en plains pas. La plupart de ces approbations s'élèvent au-dessus de la banalité courante, elle montrent que ces hommes considérables ont très bien saisi l'originalité et l'excellence de la doctrine bérullienne (2); mais elles sont vraiment par trop belliqueuses.

 

Voici un livre, dit l'une d'elles, où la calomnie, toute imprudente qu'elle soit, ne pourra mordre. Qu'ils y viennent d'ailleurs. Ils apprendront que, elle aussi, la piété sait trouver des armes, et qu'on n'attaque pas toujours impunément les amis de Dieu (3).

 

C'est le doux évêque Philippe Cospeau qui parle ainsi. Nous ne lui reprochons pas de se passionner pour la juste cause d'un ami; Bérulle toutefois n'aurait-il pas dû le

 

(1) Oeuvres, p. 134.

(2) Celle de Richelieu, par exemple : « Veritas exigit ut profiteamur, imbelles hic columbas aquilarum alimento refici, sensusque abstrusioris mysteria usque ad eo mitigari, plana fieri… ut quod in cibum fortium reserratum est, in puerulorum convertatur. Quod singulare est, dum mens instruitur, movetur affectus. » L'évêque de Poitiers, la Roche-Posay : « Outre que la naïve et solide dévotion, et la netteté du langage s'y rencontrent jointes avec la pure et profonde théologie, il n'a rien paru de semblable jusqu'à présent sur ce sujet. Et faut avouer que, sans une fréquente et vive méditation, accompagnée d'une pureté intérieure, il était impossible de pénétrer si avant eu ce sacré mystère ». Zamet et Dom Sans comparent l'auteur à saint Denis. Hardivillier : « Nec mentibus tantum doctrinae lucem, sed imis visceribus ac pracordiis amoris flammas inserit ». Le prédicateur capucin, Henri de La Grange : « Bien ai-je trouvé son sujet traité d'une façon très excellente... tant pour la doctrine théologique, comme pour la piété mystique ». L'approbation de Frogier, curé de Saint-Nicolas, est compliquée et amusante. Il joue surla ressemblance entre Bérulle et béryl. « Beryllus ille noster ». Enfin Eustache de Saint-Paul, dont on connaît la grande autorité en ces matières, estime que « ce rare traité » ne le cède en rien « aux plus rares écrits des plus doctes et anciens Pères de l'Eglise ». Oeuvres, pp. 133-146, soit onze colonnes de Migne

(3) « Non arbitror id sibi permissurum spiritum calumniae, licet sit impudentissimus, ut in eo quidiquam mordeat. Si fecerit, intelliget, et pietati sua esse arma, nec semper impune Christi servos ab ejus hostibus provocari ».

 

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calmer. Pour M. Grillié, attaquer le livre ce serait « dire anathème à l'Ecole, à tous les théologiens, aux Pères, au Verbe lui-même ». Le capucin Joseph de Paris, à qui en veut-il, lorsqu'il dénonce «l'abus d'une dévotion bâtarde» qui a « beaucoup effacé et rabaissé l'estime avec laquelle l'Eglise primitive... révérait les mystères du Verbi» incarné » ? Et Nicolas Bourbon, lorsqu'il conjure ce «grand livre » de ne pas se laisser intimider par le « murmure importun » d'une « jalouse faction ».

 

Non epicureae cures ludibria turbae,

Non nasos...

 

« Epicureæ» ! Les poètes ont, de droit, toutes les audaces,. mais Bérulle n'aurait-il pas dû se contenter d'être défendu en prose ? En ligne aussi, Jean-Pierre Camus, sur le rempart lui aussi, lui qui pourtant ne veut pas de mal aux jésuites, sans venin d'ailleurs, mais enfant terrible et amusant comme toujours :

 

La petite source de Mardochée, dilatée en sa course, après avoir traversé beaucoup d'amertumes sans troubler ses claires eaux, vient enfin aboutir en la lumière du jour, et apporter au jour une clarté nouvelle. Les Aman la verront et en frémiront, mais leur désir périra, si eux-mêmes ne veulent périr en la contradiction de Coré. La nuit est passée, l'aurore venue. Que la lutte cesse, que la bénédiction arrive, qu'Achan rende gloire à Dieu, qu'on fasse de l'équipage d'Holopherne un anathème d'oubli.

 

C'est là proprement « prendre une catapulte pour lancer le rameau d'olivier », comme dira Newman à propos de l'Eirenicon de Pusey.

 

Celui qui... peut changer en feu de pure et simple justification la boue de la calomnie, a fait paraître ce livre aux yeux du monde, conduisant son auteur par sa main droite, en la vérité, en la douceur (?) et en l'équité, pour remplir d'une respectueuse crainte, ou, s'ils n'en sont capables, de confusion, ceux qui ont prononcé des paroles de malignité contre la sincérité de sa créance... Ainsi la même verge qui a fait sortir de

 

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leurs marais ces grenouilles médisantes, les fera taire (1). Au moins si ces censeurs veulent faire connaître par leur résipiscence qu'il leur reste quelque goutte de bon sang, et quelque bluette de bon sens, ils cesseront de se corrompre en ce qu'ils savent, et de blasphémer en ce beaucoup qu'ils ignorent, attendant en ce silence le salutaire de Dieu, qui leur sera montré par ce livre.

 

On ne nomme pas les jésuites, mais tout le monde savait qu'ils étaient visés. Aux « grenouilles » de moindre importance nul ne pensait; et c'est ainsi qu'après avoir tant dit qu'il s'en remettait à Dieu de sa vengeance, Bérulle menait à l'assaut les trois cents de Gédéon. Il a sa victoire, mais qui lui coûtera cher. Il n'a voulu que le bien, car, pour moi, je ne saurais mettre en doute la sainteté foncière de ce grand homme ; mais, entraîné par une inconsciente et sourde rancune, mais, une fois de plus victime de sa maladresse native, au lieu d'assurer la paix, il vient d'envenimer la querelle. Il a couvert l'ennemi d'une honte au moins inutile, et chose plus grave, il a déposé au coeur même de son oeuvre une semence funeste. Son livre, agressif en trop d'endroits et flanqué des approbations foudroyantes que nous avons dites, son livre, dont il a voulu faire, et qui en effet restera la charte spirituelle de l'Oratoire, va rappeler sans fin aux oratoriens la crise douloureuse qui avait menacé l'honneur de leur Père, et jusqu'à l'existence de leur Institut. On avait vu d'autres guerres de moines, mais c'était la première fois que le fondateur d'une congrégation religieuse éternisait ainsi dans un texte officiel et sacré le souvenir frémissant de ses propres injures. « Tu sais l'affront... Venge-moi », voilà ce qu'une ardente jeunesse pourra lire entre les lignes du pieux manuel qui doit l'initier à la spiritualité bérullienne. La charité des plus saints

 

(1) Je ne veux pas excuser ces « grenouilles », mais je dois rappeler que le lexique des adversaires n'était pas beaucoup plus élégant. D’après Bérulle, les oratoriens se voyaient appelés : « antipapes, génevois, huguenots couverts, ânes brayants, corbeaux croassants, etc. » Oeuvres, p. 612.

 

en deviendra moins sereine ; les autres, et parmi ceux-ci, le P. Quesnel, y perdront bien davantage.

Après ce que nous venons de dire — et c'est uniquement pour cela du reste que nous l'avons dit — la collusion lamentable entre les jansénistes et un trop grand nombre d'oratoriens ne doit plus étonner personne. Les ennemis de nos ennemis sont nos amis; ainsi l'exige du moins la logique, non de la raison ou de l'Evangile, mais de la passion. En dehors de là, rien, absolument rien ne prédestinait l'Oratoire à lier partie avec les troupes du grand Arnauld. On peut scruter à fond leur doctrine spirituelle et leur esprit même, tels que nous les présentent les écrits de Bérulle et des premiers Pères; on n'y découvrira pas le moindre germe d'hérésie, pas l'ombre d'un ferment sectaire (1). La « première soumission (des oratoriens) écrivait le P. de Condren, et leur principale obéissance est à l'Eglise et au souverain Pontife (2) ». Le P. Bourgoing n'est pas moins catégorique (3).

 

(1) Mentionnons ici, mais seulement pour la mépriser comme elle le mérite, l'invraisemblable, l'impardonnable calomnie qu'ont pu se permettre les éditeurs des Mémoires de Rapin. Condren, osent-ils dire, s'opposa toute sa vie à la propagation dans l'Oratoire des doctrines jansénistes, dont Bérulle, par animosité contre les jésuites, avait laissé introduire et peut-être même favorisé les germes dans sa congrégation ». Mémoires du P. Rapin, Paris, 1865, 1, p, 103. Bérulle qui est mort en 1629 aurait été bien empêché de favoriser en quoi que ce soit la diffusion des idées jansénistes. Condrenne s'est jamais opposé, et pour la même raison. à la diffusion de ces mêmes idées, Condren qui du reste, au moment de la mort de Bérulle, était lui aussi intimement lié avec Saint-Cyran.

(2) Lettres, pp. 96, 97.

(3) Le P. Bourgoing, supérieur général de l'Oratoire « était aux eaux de Bourbon lorsqu'il apprit les déclarations de l'Assemblée du clergé de France pour recevoir la nouvelle bulle d'Alexandre VII, du 16 octobre 1656. Aussitôt, oubliant ses infirmités, il mit la main à la plume (et après avoir transcrit, dans une lettre circulaire du 26 avril 1657, le formulaire proposé par l'Assemblée s) il ajoutait : « Ayant envoyé cette lettre à toutes nos maisons, j'ai vu dès lors, comme aussi depuis, une si grande conformité et soumission de toutes nos maisons et de tous les particuliers, que je n'ai pas cru qu'il fût besoin de faire nouvelle instance sur ce sujet... Qu'il ne nous reste que la seule gloire d'être parfaitement obéissants au Saint-Siège, à Nos Seigneurs les prélats et, à l'Eglise, et comme nous ne pouvons être ni nous estimer vrais enfants de la congrégation que nous ne soyons enfants de l'Eglise, nous ne pouvons aussi permettre en conscience qu'aucun de la congrégation soutienne de parole ou par écrit aucune des propositions condamnées... ni doute désormais du contenu de la dite bulle, ni souffrir les interprétations ou divers sens que l'on y voudrait donner ». Batterel, II., p. 315. Cf. Ib.,, 316, 317, d'autres textes semblables Amelote dira plus tard que e ce serait dégénérer de l'esprit de l'Oratoire et démentir sa profession que de se relâcher du zèle, si recommandé par M. de Bérulle, envers le sacré trésor de la grâce de Jésus-Christ, et l'auguste dépositaire de son autorité, de ses droits et de son empire, qui est le Pape ». Batterel, II, p. 561. Il veut dire par là qu'un véritable oratorien ne peut se permettre ni l'ombre d'une concession aux molinistes, ni l'ombre d'une révolte contre le Pape.

 

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Sur la matière de la grâce, les oratoriens suivent pour la plupart saint Augustin et saint Thomas, et si, dès avant leur querelle avec les jésuites, ils paraissent généralement très décidés contre le molinisme, ils n'enseignent pour

cela ni de près ni de loin les propositions condamnées de l'Augustinus. En 1648, le fameux P. Gibieuf, un des oratoriens les plus considérables, et, si l'on peut dire, les plus représentatifs, défend aux Carmels français dont il était le supérieur, tout commerce avec Port-Royal :

 

Maintenant, leur dit-il, que je vois que ces disputes sont plus échauffées que jamais, et que le parti de ceux qui se vantent d'avoir saint Augustin et la vérité pour eux, en la matière de la grâce — combien que je n'en tombe point d'accord en plusieurs points — grossit à vue d'oeil tous les jours, il est nécessaire de vous prévenir contre les dangers que portent leurs livres et leurs entretiens.

J'ai donc à vous dire que ces gens se piquent de la pureté de l'Evangile..., et de zèle pour la doctrine de saint Augustin, et toutefois ils sont fort éloignés de l'humble disposition d'esprit qui a rendu ce saint éminent entre les Docteurs de l'Eglise..., car saint Augustin a soumis toute sa doctrine à l'Eglise, et au chef de l'Eglise, et ces messieurs, voyant un de leurs livres censuré par le Pape, non seulement ne s'y sont pas soumis..., mais ont eu la hardiesse d'écrire contre...

Tout leur fait s'en va en parade et à un extérieur spécieux, qui n'est bon qu'à les tromper eux-mêmes. Ces gens-là ne s'étudient nullement à mettre leurs disciples dans la défiance de leur propre sens : tout leur soin est de les rendre savants, et les styler à la dispute, sans que j'aie remarqué parmi eux, combien que j'y aie pris garde à loisir, qu'ils les instituent dans l'abnégation intérieure... Ils semblent avoir pratiqué la

 

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même chose que les hérétiques, qui d'abord mirent l'Ecriture sainte entre les mains des femmes et des gens non lettrés, pour les rendre juges des controverses.

On dit que quelques-uns d'entre eux renoncent à leurs biens, dont jusqu'à présent je n'ai eu aucune preuve péremptoire, mais, si cela est, en récompense de la pauvreté à laquelle ils se condamnent volontairement, ils se rendent abondants en leur sens, même au préjudice de l'Eglise et du Saint-Siège.

Vous ne lirez donc point leurs livres, ni leurs apologies... J'ajoute à cette défense leur catéchisme ou théologie familière, leurs livrets de dévotion, leurs lettres, la vie de saint Bernard avec leurs réflexions, etc., car tout cela est marqué à leur marque et insinue insensiblement à ceux qui les lisent sans dessein la singularité de leur esprit, et le mépris qu'ils ont pour l'Eglise présente (1).

 

C'est en deux mots tout le procès du jansénisme, et il me paraît difficile de juger la secte avec plus de modération, plus de fermeté, plus de clairvoyance. Je rappelle que cette lettre a été écrite en 1648, c'est-à-dire à une époque où de bons esprits gardaient plus d'une illusion sur le jansénisme. Je veux encore citer un autre oratorien de ces premiers temps, et, lui aussi, une des gloires de son Institut, le P. François de Saint-Pé :

 

Il y a maintenant deux partis et deux sociétés dans l'Eglise, l'un des jansénistes, l'autre des non-jansénistes. Lesquels sont la vraie Eglise ? (2) Sont-ce les jansénistes ? Mais cela ne se peu t, car l'Eglise a Jésus-Christ pour chef invisible, et le Souverain Pontife pour chef visible. Or ils sont séparés de ce chef visible : donc ils ne sont pas l'Eglise.

De plus l'Eglise est catholique, c'est-à-dire répandue par toute la terre. Or est-il que la société des jansénistes n'est point telle. Donc elle n'est point l'Eglise. Il faut donc qu'il se rejoignent à la vraie Eglise, qu'ils cessent de se séparer du chef, qu'ils reviennent à l'unité, qu'ils conservent la paix et la charité, qu'ils cessent de faire bande à part, de conseiller à

 

(1) Cf. Houssaye. Courte réponse, pp. 115-117.

(2) « La vraie réponse serait de dire tous deux, mais ce n'est pas là la sienne », remarque le peu orthodoxe P. Batterel qui a publié cette note da Saint-Pé.

 

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des religieuses de ne pas obéir au Pape et à leur évêque, et qu'ils condamnent ce que le Pape condamne. Or le pape condamne les cinq propositions au sens de Jansénius.

En troisième lieu, l'Eglise est sainte. Or sont-ils saints ? Les saints déchirent-ils par des injures atroces ceux qui leur sont contraires, et qui les persécutent (1).

 

Les polémistes de la Compagnie, le P. Daniel, le P. Bouhours ne parleront pas autrement. Joseph de Maistre non plus. C'est donc bien à tort que l'on imaginerait une sorte d'harmonie préétablie entre l'Oratoire et le jansénisme. L'esprit du premier résiste naturellement à l'esprit du second, et ceux des oratoriens qui ont lutté pour la secte n'ont pas moins combattu l'Oratoire que l'Eglise. Je n'ai pas du reste à examiner ici le caractère de cette défection lamentable. Un petit nombre, le P. Quesnel par exemple, a passé à l'ennemi; une fraction, beaucoup plus importante a pactisé avec lui, et, ce faisant, les uns et les autres, ont cédé beaucoup moins à l'attrait du schisme ou de la révolte qu'aux mauvais sentiments qu'ils nourrissaient contre les jésuites'. Un témoin impartial, trop dégagé

 

(1) Balterel, Mémoires, II, pp. 208-51o. « En tout cela, veut bien noter le digne homme, on ne peut... refuser (au P. de Saint-Pé) la justice de croire qu'il y allait de très bonne foi, et qu'il prétendait même ne faire que suivre, sur les disputes du jansénisme, les sentiments qui lui avaient été tracés par ses pères, le cardinal de Bérulle et les Pères de Coudren et Bourgoing ».

(2) Il y aurait beaucoup à dire sur la jansénisation de l'Oratoire (comme, du reste, sur celle des bénédictins de Saint-Maur et de Saint-Vanne). Le sujet est beaucoup moins simple que certains historiens ne semblent le croire. Rappelons : a) que cette jansénisation fut beaucoup plus lente qu'on ne l'a dit. En 1657, sur 425 prêtres qui composent l'Oratoire, près de 400 souscrivent le formulaire, tout d’obéissance au Saint-Siège, que leur propose le P. Bourgoing; b) qu'elle ne s'étendit jamais à tout l'Oratoire; c) que le jansénisme oratorien n'est pas du tout le jansénisme intégral. Comme type moyen, on peut étudier le P. Batterel, qui, dans ses quatre volumes, a cent fois l'occasion de se confessera nous. Pour la doctrine, il n'est pas plus janséniste que les thomistes, autant dire qu'il ne l'est pan du tout. Cf. pour l'histoire et la critique de cette jansénisation, les ouvrages du cardinal Perraud et du P. Ingold ; cf. aussi le R. P. Boulay. Vie du V. Jean Eudes, I, Paris 1905, 487-530. Je dois dire qu'il m'est impossible d'admettre les principales conclusions de ce dernier travail. Manifestement cet historien n'a pas étudié de première main les origines du jansénisme. A u reste, le R. P. dit excellemment: « Où le mal est, dès cette époque (1643), incontestable et sans remède (un remède est toujours possible) c’est dans  l'opposition qui s'est établie entre l'Oratoire et la Compagnie de Jésus » (p. 527). Oui, là est le grand mal et le principe de tous les autres. Mais le H. P. semble croire que ce conflit aurait été évité si, au lieu d'accepter des collèges, l'Oratoire avait uniquement créé des séminaires. Qu'il veuille bien lire le mémoire des jésuites contre Bérulle ; il y verra entre autres griefs, celui-ci : « Leur intention (aux oratoriens), est, pour s'unir davantage avec les prélats, de prendre charge de tous les séminaires de France tant qu'ils pourront; ils ont eu celui de Mâcon, ils sont après celui de Chalon et ils se tiennent comme assurés de celui de Langres » cf. Houssaye, II, p. 602.

 

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même, un grand critique, Richard Simon (1), l'a dit avant nous, vers 1666: «l'Oratoire devint partagé entre deux factions. Celle qu'on nommait des Jansénistes y était beaucoup plus forte que l'autre parti, qu'on appelait des molinistes. Ces deux partis ont toujours continué depuis dans l'Oratoire, et le premier y a tellement prévalu qu'il y règne presque tout présentement. Mais j'appellerais plutôt ce parti anti-jésuites que jansénistes. Car tous les Pères de l'Oratoire ont signé le Formulaire, et seraient bien fâchés qu'on les traitât de jansénistes. Tout le monde est rempli aujourd'hui de ces anti-jésuites (2). »

 

 

(1) R. Simon. Bibliothèque critique (Sainjore), Amsterdam, 1708, pp. 33o, 331.

(2) Quand on étudie cette pénible histoire, une des premières questions que se pose l'historien est celle-ci : comment les supérieurs ont-ils laissé cette querelle d'abord se déchaîner, puis s'envenimer à ce point' Ou répond que, du côté oratorien, la discipline étant mal définie et subordonnée à la libre acceptation de chacun, les supérieurs n'avaient plus, en cas de crise. qu'une ombre d'autorité. L'explication, d'ailleurs unilatérale, ne manque pas de vraisemblance. Nous savons en effet que le P. Bourgoing, supérieur général de l'Oratoire, eut un gouvernement des plus difficiles, et que, sous le généralat du P. de Sainte-Marthe (16-2-1696, l'Oratoire fut livré à une anarchie complète (cf. Perraud, op. cit., p. 220 .) Mais quoi s'ils n'obéissent plus, c'est donc que l'ancienne ferveur a diminué — diminution que j'attribuerais volontiers, en grande partie du moins à la surexcitation causée par cette campagne contre les jésuites. En se battant, ils désobéissent, mais c’est parce qu'ils ont commencé à se battre que l'obéissance leur est devenue difficile. Et nous voilà au rouet. Sans prétendre tout expliquer, je voudrais attirer l'attention sur un phénomène moral qui n'a peut-être pas été assez remarqué. Je crois bien que, d'un côté comme de l'autre, les supérieurs n'out pas toujours montré assez de fermeté, et surtout pas assez d'esprit de foi. Les oratoriens, lisons-nous dans le mémoire déjà cité, « disent qu'à Bordeaux et Limoges, les jésuites soutiennent les rebelles des carmelines. A la vérité, s'ils le fout, ils font très mal ; mais on ne trouve pas que tout ce qu'on en dit soit bien véritable » (Houssaye, II, pp. 598-599) , Or le P. Coton lui-même avoue qu'ils « le font », et il avoue aussi que pour éviter de plus grands maux, ou les laisse taire (cf. plus haut, p. 203). Mais enfin, il leur était beaucoup plus difficile qu'on ne le croit, de démobiliser leurs troupes. L'obéissance n'était certainement pas la vertu maîtresse de cette époque. Trop rudes, et même parfois trop grossiers pendant la première moitié du siècle, trop peu surnaturels pendant la seconde, ces religieux ne se laissaient pas gouverner aussi docilement que ceux d'aujourd'hui. Plus d'un prédicateur avait conservé l'invraisemblable liberté du temps de la Ligue, et cette liberté était à peine moindre pour les écrits. On répète à satiété que les jésuites ne peuvent rien imprimer que leurs supérieurs n'aient solennellement approuvé. Mais il en est de cette règle comme des autres. Il est très simple de l'éluder. On a toujours un ami qui se charge de traiter avec l'imprimeur. Au besoin, l'on ira jusqu'en Hollande. Citons encore le mémoire des jésuites. « Pour l'écrit (un pamphlet du P. Bauny je crois), jamais (le P. Provincial) n'a commandé ni consenti qu' (il) ait été communiqué ni imprimé, ains l'a défendu vigoureusement, et repris fort aigrement ceux qui en avaient donné la vue du manuscrit, qui par malheur a été imprimé par des séculiers au grand regret de la Compagnie » (Houssaye, II, p. 601). Au grand regret des supérieurs, j'en suis convaincu, mais du P. Baunv, jeu doute fart. Ainsi plus tard, certains ouvrages du P. Surin, que la censure de la Compagnie aurait arrêtés, seront imprimés par les soins du prince de Conti, mais, cette fois, outre le gré du pieux auteur. Nous savons du reste et nous le montrerons mieux dans le prochain volume que, si les jésuites français avaient écouté, sinon les ordres formels, du moins les exhortations très nettes de leurs généraux, ils auraient écrit avec beaucoup moins d'animosité contre les jansénistes. Mais Rome. en ce temps là, était beaucoup plus loin de Paris qu'elle ne l'est aujourd'hui. Cf. ce que dit G. Doncieux à propos des innocentes distractions que se permettaient le P. Bouhours, le P. Rapin et d'autres : a Allées et venues incessantes, un aimable train de promenades de voyages, de séjours champêtres, qui les déshabituait agréablement des étroites chambres nues et des grands murs maussades de leur Collège d, Clermont ». D'après des renseignements tirés des Archives du Gesù ce communiqués à Doncieux par le P. Lauras, les supérieurs romains front raient ces commodités « excessives ». On ne s'en privait pas néanmoins, Cf. G. Doncieux, Un jésuite homme de lettres au XVIIe siècle, le Père Bouhours, Paris, pp. 74, 75. Ancien élève des jésuites, et d'ailleurs, esprit très fin, Doncieux note ces traits de mœurs sans la moindre pharisaïsme. En vérité, rien de plus mais que de crier au scandale, lorsqu'on voit le P. Rapin envoyer à Mme de Sablé quelque gourmande recette. Sous savons aussi que, dans leurs rapports avec leurs propres confrères les religieux de ce temps là entendaient parfois d'une façon assez large les lois de la charité fraternelle. On vit plusieurs jésuites, dit encore Doucieux, « prendre d'étranges licences de se molester entre eux, et, pour une pique de vanité, pour une dispute de régent, eu venir publiquement aux mains sous les yeux des supérieurs tolérants ou distraits ». (Ib., pp. 7o, 71.) Et il donne des exemples. Tolérants ou distraits, non, mais bien plutôt impuissants.

 

 

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c) La tradition bérullienne. — Reste un dernier facteur, sur lequel nous n'avons pas à nous étendre, bien qu'il ait concouru plus efficacement que tous les autres à façonner et à maintenir le type oratorien — je veux parler de cette dévotion particulière au Verbe incarné, que nous avons décrite dans le chapitre précédent, et que l'Oratoire a chèrement gardée jusqu'au dernier jour de son existence. A les considérer de ce point

 

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de vue, qui pour l'historien de la littérature religieuse reste le seul important, on peut affirmer que les oratoriens ont fidèlement rempli leur mission providentielle. Je ne connais pas de première main tous leurs auteurs spirituels — ils sont trop nombreux et ne méritent pas tous une étude spéciale ; mais, à les juger par les excellentes notices que leur consacre la bibliographie de l'Oratoire, je crois pouvoir assurer que, dans l'ensemble, ils ne s'écartent pas de la tradition si nettement formulée par Bérulle et par ses premiers commentateurs, les Pères de Condren, Bourgoing, de Saint-Pé, Amelote, Métezeau, et tant et tant d'autres. Le P. Batterel lui-même nous est une vivante preuve de cette fidélité. Peu mystique, et, dirait-on, à peine dévot, très difficile en matière de goût, critique acéré, il devient grave, il a presque de l'onction dès qu'il touche à la spiritualité oratorienne. Il dira par exemple à propos du Pain cuit sous la cendre, oeuvre gothique du P. Foucault :

 

Ce saint prêtre, qui respire dans ce livre l'esprit de piété et de religion, dont nos premiers Pères étaient presque tous animés, et surtout un grand désir d'unir à Jésus-Christ les âmes qui lui étaient confiées, se sert de la conjoncture de la contagion qui enlevait alors (Orléans, 1631) bien du monde, pour exciter ses paroissiens, et surtout ceux qui étaient de la Confrérie des agonisants, à sauver du moins les âmes de leurs frères, par les secours de leurs prières, et les leurs propres par l'exercice de la charité, s'ils ne peuvent sauver leurs corps de la mort dont la peste les menaçait. Or, c'est dans cette vue qu'il leur fournit des prières ou élévations à N.-S. Jésus-Christ sur tous les mystères de sa vie, par lesquelles les confrères, dès qu'ils entendront sonner une cloche de la paroisse, en signe qu'il y a quelqu'un de la Confrérie à l'extrémité, prieront Jésus-Christ par les mérites d'une telle et telle action de su vie ou de tel mystère qu'il a opéré, de vouloir bien lui donner le soulagement dont il a besoin... Et tout cela est assez bien exécuté pour le fond, car pour le style il se ressent du vieil et du mauvais goût d'alors, comme on a pu voir par le titre (1).

 

(1) Mémoires domestiques, II, pp. 14o, 141. Voici le titre : Le pain cuit sous la cendre, apporté par un ange au saint prophète Elie pour conforter les moribonds et les aider à gagner le niait Oreb, par le P. F. Foucault, prètre de... l'Oratoire, et curé à Orléans, Orléans, 1631.

 

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Bien qu'il n'aime pas le P. Eudes, et qu'il le critique sans mesure, il tient à dire que l'auteur de la vie de Jésus dans les âmes

 

se ressentait de l'éducation qu'il avait reçue dans l'Oratoire, pour faire connaître et aimer N.-S. Jésus-Christ (1).

 

Il trouve le Jésus-Christ dans les Écritures du P. Dorron

 

digne d'un prêtre de l'oratoire, destiné par état à faire connaître Jésus-Christ (2).

 

Dans le Trésor spirituel du P. Quarré, dit-il encore,

 

on sent un digne prêtre de Jésus-Christ, qui parle de la plénitude de son coeur de l'objet dont il est rempli, et un vrai enfant de N. T. H. Père, qui a puisé dans son sein cet ardent désir de faire connaître et aimer Jésus-Christ, et cette force à faire voir que la piété ne consiste qu'à lui être uni (3).

 

Et qu'on ne croie pas que les écrivains spirituels aient seuls travaillé à cette sainte propagande. Même dans leurs sermons, les oratoriens restent pleins de Bérulle. Cette théologie que d'autres ont jugée trop subtile, il n'est pas jusqu'aux missionnaires qui ne se fassent un devoir et une joie de la proposer aux foules. Le merveilleux sermon du P. Lejeune sur les trois naissances du Verbe suit presque de mot à mot le chapitre des Grandeurs qui porte le même titre. On s'accorde à reconnaître que le P. Senault — « le maître et le capitaine de tout homme qui doit prophétiser »,

 

 (1) Mémoires domestiques, p. 263.

(2) Ib., II, p. 5o5.

(3) Ib., pp. 425, 426. Il ajoutait : « Sans le style, qui en est un peu diffus, d'ailleurs, à quelques mots près, pur et noble, je dirais que je n'ai point encore vu de meilleur ouvrage des nôtres en ce genre ». Il estime aussi particulièrement le P. Bourgoing : « Je ne feins point de dire que c'était un des plus dignes disciples que notre saint instituteur se soit formés, excepté pour l'élégance et la pureté de l'élocution ». Ib., p. 3o7.

 

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comme disait Fromentières, — a contribué plus que personne à restaurer chez nous l'éloquence de la chaire. Mais il faut ajouter, me semble-t-il, que cette réforme fut, en quelque manière, moins littéraire que mystique. Senault lui-même dépend de Bérulle. Disons plutôt, si l'on veut, que la piété est utile à tout, même à la formation ou à l'épuration du goût. En leur apprenant à fixer leur esprit et leur coeur sur de hauts mystères, le fondateur de l'Oratoire a déshabitué ses disciples de la grossièreté et de la boursouflure; il les a conduits aux vraies sources du sublime chrétien. Donnez de l'éloquence à Bérulle, et vous aurez Bossuet.

Et tout de même, la philosophie de Malebranche, propagera, bien qu'en la déformant plus ou moins, la doctrine spirituelle de Bérulle. Ce n'est certainement pas en vain que l'auteur de la Recherche de la vérité a respiré pendant toute sa vie l'atmosphère bérullienne, qu'il a lu et médité les maîtres spirituels de son Institut. « La religion, disait-il, c'est la vraie philosophie », en quoi il diffère essentiellement de Descartes. Par religion, il entend le christianisme certes, mais enseigné par saint Augustin, et par les augustiniens de l'Oratoire.

 

N'estimons rien, disait-il, que par rapport à Jésus-Christ ; ne nous regardons qu'en Jésus-Christ; n'agissons et ne souffrons que dans l'esprit de Jésus-Christ. Considérons que Jésus-Christ est le commencement et la fin de toute chose, que c'est le premier-né de toutes les créatures, et qu'elles subsistent toutes en lui. (2).

 

Nous devons, « comme chrétiens », et comme philosophes, pour lui c'est tout un, adorer Jésus-Christ dans tous ses états... tâcher de nous

 

(1) Cf., Perraud, op. cit., pp. 33o, 331.

(2) Méditation pour se disposer à l'humilité et à la pénitence avec quelques considérations de piété pour tous les jours de la semaine (rééditées par A. M. P. Ingold), Paris, 1915, p. 53.

 

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former à lui selon toutes les manières possibles, car nous ne pouvons être agréables à Dieu qu'autant que nous sommes des expressions de son Fils.

Communions au sacrifice de Jésus, vides de nous-mêmes, et avec des désirs ardents de nous remplir de son esprit (1).

 

Pour lui, dit Maurice Blondel, « la philosophie, c'est la vraie religion, « culte spirituel » ; non pas qu'il naturalise le surnaturel, mais il surnaturalise le rationnel, parce que, pour lui, les dogmes les plus spéculatifs du Christianisme expriment la nécessaire relation du fini avec l'infini ; parce que le Verbe incarné est la seule explication intelligible, parce qu'absolument parlant, il n'y a de vérité qu'en lui, de Vérité que lui, et parce que nous ne pouvons être qu'en étant en lui, ni être en lui que s'il est en nous » (2).

Ajoutons enfin que, semblables à ceux de leurs frères qui sont restés pleinement soumis à l'Eglise, les oratoriens jansénistes ou jansénisants ont aussi beaucoup et bien travaillé à maintenir la tradition bérullienne. Exilés volontaires, ils ont continué à chanter sur les bords de l'Euphrate les cantiques de Sion. Et c'est pourquoi, malgré les erreurs qui les séparent des vrais catholiques, nous aurons plus tard à parler des deux grands missionnaires de l'école française, in partibus schismaticorum, Quesnel et Duguet.

« Lorsque l'Oratoire de France fut reconstitué en 1852, quelques membres de l'ancienne congrégation vivaient encore. L'un d'eux, le confrère H. Lefèvre, dernier professeur

 

(1) Méditation pour se disposer à l'humilité, p. 5o, 6o.

(2) M. Blondel, L'anti-cartésianisme de Malebranche. Revue de métaphysique et de Morale, 1916, n° 1. Le premier, je crois, l'éminent Recteur de l'Institut catholique de Toulouse, Mgr Breton a montré ce que Malebranche devait à Bérulle (Les origines de la philosophie de Malebranche, Bulletin... de Toulouse, mai 1912). Au lieu de ces quelques lignes, c'est tout un chapitre que j'aurais dû consacrer à ce grand spirituel, chapitre d'autant plus nécessaire qu'on est moins habitué à considérer Malebranche sous ce jour. Mais, d'une part, je ne crois pas qu'il ait beaucoup agi sur la pensée proprement religieuse du sine siècle, et, d'un autre côté, il faut pour traiter de ce philosophe une compétence qui me manque.

 

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de rhétorique à Juilly, venait fréquemment, aux jours de fête, dîner avec les nouveaux oratoriens… C'était un grand vieillard, sec et maigre, devenu un peu sourd avec l'âge, et qui répondait invariablement de travers aux prières du Benedicite, ce qui amusait les jeunes Pères. Ceux-ci le pressaient de questions sur l'ancien Oratoire. Un jour, l'un d'eux, le P. Mariote, de sainte mémoire, s'enhardit à lui dire : « Expliquez-nous donc ce qu'il y avait au fond entre les jésuites et l'Oratoire, et dites-nous qui des deux, à votre avis, rendit plus de services à l'Eglise.» Après avoir réfléchi un instant, le P. Lefèvre fit cette réponse : « Eh! bien, il faut en convenir, comme éducateurs, les jésuites valaient mieux que nous », mais, ajouta-t-il, en se redressant de toute sa haute stature, mais nous aimions mieux Jésus-Christ » (1).

 

(1) Je dois cette piquante et émouvante communication au R. P Ingold, qui tient le fait du P. Mariole lui-même.

 

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