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CINQUIÈME HOMÉLIE. CONTRE CEUX QUI N'ASSISTENT AUX RÉUNIONS QUE LES JOURS DE FÊTE ET SUR CE SUJET : QU'EST-CE QU'UNE FÊTE? CONTRE CEUX QUI ACCUSENT LA DIVINE PROVIDENCE, PARCE QU'IL Y A DES RICHES ET DES PAUVRES ICI-BAS ; QUE LA PAUVRETÉ EST CE QU'IL Y A DE PLUS UTILE, QU'ELLE OFFRE TOUJOURS PLUS DE CHARME ET DE SÉCURITÉ QUE LA RICHESSE : ET SUITE DES RÉFLEXIONS SUR ANNE.
ANALYSE.
1. Contraste entre la foute qui encombre l'ég
2. Richesse des textes sacrés. Retour à lhistoire d'Anne. Encore ses actions de grâces.
3 Souffrir pour le Christ, récompense suprême. Démonstration de la Providence et réfutation des objections tirées de l'inégalité des fortunes : que cette inégalité est un bien, même pour les sociétés humaines.
4. Sort du riche et sort du pauvre ici-bas : qu'il y a égalité entre eux, on même inégalité à l'avantage du pauvre.
5. Preuves nouvelles à l'appui de cette proposition.
1. C'est vainement, à ce qu'il paraît, que nous avons exhorté les personnes présentes à notre précédente réunion , les pressant de rester fidèles à la maison paternelle, de ne pas imiter ceux que nous voyons seulement les jours de fête paraître et s'en aller. je me trompe, ce n'est pas vainement. En effet, quand bien même nos paroles n'auraient persuadé personne , nous avons, nous du moins, gagné notre salaire , nous avons consommé notre justification devant Dieu. Voilà pourquoi le prédicateur, que son auditoire soit attentif ou distrait, doit toujours semer la parole, et placer son argent, de telle sorte que Dieu désarmais n'ait plus affaire à lui, mais à ses banquiers. C'est ce que nous avons fait par nos censures, nos reproches, nos exhortations, nos avertissements. Nous avons rappelé ce fils de famille, qui avait mangé son bien, et qui revint ensuite au logis paternel; nous avons joint à cela un tableau de toutes ses misères, faim, opprobre, affronts, et de tout ce qu'il endura sur la terre étrangère, voulant par cet exemple ramener les coupables à la sagesse : et nous n'avons point borné là notre discours, nous leur avons encore montré la tendresse d'un père, évitant de leur demander compte de leur apathie, au contraire, les accueillant à bras ouverts, leur accordant le pardon de leurs fautes, leur ouvrant la maison, leur préparant la table, les. revêtant de la robe de l'instruction, enfin, leur prodiguant tous les soins. Mais eux, ils n'ont point imité le fils dont je parle, ils n'ont point condamné leur précédente désertion, et au lieu de rester dans la maison paternelle, ils s'en sont esquivés de nouveau. C'est donc à vous qu'il appartiendrait, à vous qui restez constamment avec nous, de les ramener, de leur persuader de prendre part à toutes nos fêtes, c'est-à-dire à chacune de nos réunions. Car, si la Pentecôte est passée, la fête n'est point passée de même : toute assemblée est une fête. Qu'est-ce qui le prouve? Les propres paroles du Christ : là, dit-il, où deux ou trois (517) sont réunis en mon nom, je suis au milieu d'eux. (Matth. XVIII, 20.) Quand le Christ est au milieu des fidèles rassemblés, quelle plus forte preuve voulez-vous que c'est fête ? Où il y a enseignement et prières, bénédictions des pères, et auditions des saintes lois, où il y a réunion de frères et commerce de vraie charité, où il y a conversation avec Dieu, et entretien de Dieu avec les hommes, comment n'y aurait-il point fête et solennité? Ce qui constitue les fêtes, ce n'est point le nombre mais bien la qualité des personnes réunies ; ce n'est point le luxe des vêtements, mais la parure de la piété ; ce n'est point la magnificence du banquet, ce sont les dispositions de l'âme. Car la plus grande fête est une bonne conscience. Dans les solennités du monde, l'homme qui n'a ni riche habit à revêtir, ni fable somptueuse où s'asseoir, vivant dans la pauvreté, la disette, et l'excès des maux, ne s'aperçoit point de la venue de la fête, quand il verrait toute la ville entrer en danse, ou même éprouve d'autant plus de peine et de chagrin qu'il voit les autres dans les délices, et lui-même dans l'indigence. Au contraire, l'homme riche, opulent, qui peut changer de robe tous les jours, qui vit au sein de la postérité, croit toujours être en fête, que ce soit fête ou non. Il en est de même dans les choses spirituelles. Celui qui vit dans la justice et dans les bonnes oeuvres, est toujours en fête, même quand ce n'est pas le temps, parce qu'il goûte les joies pures de la conscience : au contraire, celui qui passe son existence dans le vice et dans l'inconduite, et dont la conscience est déchirée de remords, celui-là, même quand la fête arrive, est plus éloigné que personne d'y prendre part. Nous sommes donc libres, si nous le voulons, d'être en fête chaque jour: il ne faut que pratiquer la vertu, et purifier notre conscience. En quoi donc la précédente réunion l'emporte-t-elle sur celle-ci ? n'est-il pas vrai que c'est seulement par le bruit, le tumulte, et rien de plus? Si nous ne jouissons pas moins en ce jour des saints mystères, si nous ne participons pas moins aux autres biens spirituels, comme la prière, l'instruction, les bénédictions, la charité et tout le reste, cette journée vaudra la précédente et pour vous et pour moi qui vous parle. Ceux qui m'ont alors écouté sont ceux qui vont m'écouter encore : ceux qui sont absents aujourd'hui l'étaient alors, bien que présents de corps et en apparence. Ils ne m'écoutent pas aujourd'hui : mais je dis plus, ils ne m'écoutaient point davantage alors : et non-seulement ils n'écoutaient pas, mais encore ils empêchaient les autres d'écouter, parle tumulte et le trouble qu'ils causaient. C'est pourquoi la scène est à mes yeux ce qu'elle était alors, l'auditoire est le même, celui-ci vaut l'autre. Ou même s'il faut dire quelque chose de surprenant, celui-ci a sur l'autre cet avantage, que l'entretien y est paisible, que l'enseignement n'y est point troublé, que l'auditeur comprend mieux ce qu'il entend, parce qu'aucun bruit ne nous étourdit ici les oreilles. 2. Si je parle ainsi, ce n'est-point que je tienne en mépris cette affluence de l'autre jour, c'est afin que vous ne soyez ni tristes ni humiliés en voyant le petit nombre de fidèles assemblés ici. En effet, ce que nous voulons voir à l'ég
Voyez comme elle reste fidèle à la même loi dans toute sa prière. Ainsi qu'elle avait dit au commencement : Mon coeur a été affermi dans le Seigneur, ma corne a été exaltée dans mon Dieu, ma bouche s'est ouverte vis-à-vis de mes ennemis; elle dit ici : Je me suis réjouie dans votre salut; non pas seulement dans le salut, mais dans votre salut. En effet, ce n'est pas d'avoir été sauvée, mais d'avoir été sauvée par vous, que je me réjouis, que je suis heureuse. Telles sont les âmes des saints. Les bienfaits venant de Dieu leur causent moins de joie que le bienfaiteur lui-même : ils ne l'aiment pas pour ses bienfaits, ils aiment ses bienfaits à cause de lui. C'est le fait de serviteurs reconnaissants, d'esclaves pénétrés de gratitude, que de préférer ainsi leur Maître à tout ce qu'ils possèdent. Que ces dispositions, je vous y exhorte, soient aussi les nôtres. Pécheurs, ne gémissons point d'être punis, mais d'avoir irrité le Maître; vertueux, ne nous réjouissons point à cause du royaume des cieux, mais à cause du plaisir que nous avons fait au Roi des cieux. En effet, le sage redoute plus que tous les tourments de l'enfer, de déplaire à Dieu, comme aussi lui plaire a plus de prix à ses yeux que tout le bonheur du royaume. Et ne vous étonnez point que tels doivent être à l'égard de Dieu nos sentiments, quand les hommes mêmes trouvent souvent des gens ainsi disposés pour eux. Il nous échoit souvent des fils dignes de nous : s'il nous arrive de leur faire, même malgré nous, quelque mal, nous nous châtions, nous nous punissons nous-mêmes: et nous agissons pareillement à l'égard de nos amis. Mais si, quand il s'agit de nos amis ou de nos fils, nous trouvons moins dur d'être punis que de les affliger, à plus forte raison devons-nous être vis-à-vis de Dieu dans les mêmes dispositions et juger tous les supplices de la géhenne moins affreux que d'aller contre sa volonté. Tels étaient les sentiments du bienheureux Paul; or, c'est ce qui lui faisait dire: Je suis certain que ni anges, rai principautés, ni puissances, ni choses présentes, ni choses futures, ni ce qu'il y a de plus élevé, ni ce qu'il y a de plus profond, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu, qui est dans le Christ Jésus Notre Seigneur. (Rom. VIII, 38, 39.) Et nous-mêmes, lorsque nous célébrons le bonheur des saints martyrs, nous les célébrons d'abord à cause de leurs blessures, puis à cause de leurs récompenses; d'abord à cause de leurs épreuves, puis à cause des couronnes réservées pour eux. En effet, les blessures sont l'origine des récompenses, les récompenses ne sont point l'origine ni le principe des plaies. 3. De même le bienheureux Paul se réjouissait moins des biens qui l'attendaient que des souffrances qu'il lui arrivait d'endurer pour Jésus-Christ, et il s'écriait : Je me réjouis dans mes afflictions pour vous (Col. I, 24), et ailleurs : Ce n'est pas tout, mais nous nous glorifions encore dans les tribulations (Rom. V,3); ailleurs : (519) enfin : Puisque Dieu nous a fait la grâce, non-seulement de croire en lui, mais encore de souffrir pour lui. (Philip. I, 29.) En effet, c'est une grâce en réalité bien grande, que d'être jugé digne de souffrir quelque chose pour le Christ, c'est une couronne accomplie, c'est un dédommagement égal à la récompensé future : et ceux-là le savent qui savent aimer le Christ du fond de l'âme et avec ferveur. Telle était Anne aussi,, brûlante d'amour pour Dieu, et tout embrasée de cette flamme : c'est pour cela qu'elle disait : Je me suis réjouie dans votre salut. Elle n'avait rien de commun avec la terre, elle dédaignait toute assistance humaine, la grâce de l'Esprit lui donnait des ailes, elle était dans le ciel, elle avait dans toutes ses actions les regards dirigés vers Dieu, et ne cessait de chercher là-haut la fin des maux qui l'accablaient. Car elle savait, elle savait bien que les biens terrestres, quels qu'ils soient, ressemblent, par leur nature, à ceux dont on les tient, et que nous avons constamment besoin du secours d'en-haut, si nous voulons nous reposer sur la foi d'une ancre solide. Aussi recourut-elle en toute chose à Dieu ; aussi, comblée de sa grâce, se réjouissait-elle surtout en songeant à son bienfaiteur, et disait-elle en sa gratitude : Il n'est pas de saint comme le Seigneur, il n'est pas de juste comme notre Dieu, et il n'y a pas de saint excepté vous ( I Rois, II, 2) ; voulant dire par là que le jugement de Dieu est irrépréhensible, que ses arrêts sont intègres et infaillibles. Voyez-vous la pensée de cette âme reconnaissante ? Elle ne se dit pas : Qu'ai-je donc reçu d'extraordinaire, et de plus que les autres ? Ce que ma rivale a obtenu depuis longtemps et à profusion, moi, je ne l'obtiens qu'à la longue, à force de peines, de larmes, de supplications, de requêtes, de fatigues. Bien convaincue de la divine Providence, elle ne demande point de comptes au maître, à la façon de tant d'hommes qui ne laissent point passer de jour sans faire à Dieu son procès. Voient-ils un homme riche, un autre pauvre, c'est pour eux l'occasion de mille attaques contre la providence divine. Que fais-tu, mon ami ? Paul t'a interdit d'entrer en débat avec ton compagnon d'esclavage, en disant ces paroles: Ne jugez pas avant le temps, jusqu'à ce que vienne le Seigneur (I Cor. 4, 5) ; et tu traînes ton maître au tribunal, tu lui demandes compte de ses actes, et tu ne trembles pas, tu n'as point peur ? Et quelle indulgence, quelle excuse trouveras-tu, dis-moi. quand chaque jour et chaque heure t'offrent tant de preuves de sa providence, si tu t'autorises de l'apparente inégalité des fortunes pour accuser l'ordre universel, et cela sans raison ? Sans raison, dis-je : car si tu voulais examiner même ce point dans l'esprit qui convient, et avec attention, tu trouverais; que la divine Providence n'eût-elle pas d'autre preuve, la richesse et la pauvreté en fourniraient une démonstration parfaitement évidente. En effet, supprime la pauvreté : voilà tout l'ordre de la vie bouleversé, toute notre vie gâtée : il n'y a plus ni marin, ni pilote, ni laboureur, ni maçon, ni tisserand, ni cordonnier, ni orfèvre, ni forgeron, ni corroyeur, ni boulanger, ni ouvrier d'aucune espèce: or, en leur absence, tout sera perdu pour nous. Aujourd'hui la pauvreté, avec les besoins qu'elle apporte, est comme une excellente institutrice, assise auprès de tous tant que nous sommes, pour nous pousser, même malgré nous, au travail : tandis que si tout le monde était riche, tout le monde vivrait dans l'oisiveté : et par là tout serait perdu, tout serait gâté. Mais, indépendamment de ce que j'ai dit, il est une autre raison, tirée du sujet même de leurs reproches, avec laquelle il est facile de leur fermer la bouche. Sur quoi te fondes-tu, dis-moi, pour accuser la Providence divine ? Sur ce que l'un possède moins, l'autre davantage? Eh bien! si nous prouvons que, dans les choses vraiment nécessaires et de beaucoup les plus importantes, dans celles qui constituent proprement notre subsistance l'égalité est parfaite entre tous les hommes, te rangeras-tu du côté de la divine Providence ? Il le faudra bien. En effet si pour prouver qu'il n'y a point de Providence, tu pars de ce qu'une chose, à savoir la richesse, n'est pas également répartie entre tous, lorsque nous. t'aurons montré que tous participent également, non point à une chose et à une chose aussi méprisable, mais à un plus grand nombre de biens infiniment préférables, il est clair que tu seras forcé par là, quoiqu'il puisse t'en coûter, de prendre parti pour la divine Providence. Arrivons donc aux choses qui constituent proprement notre subsistance, examinons-les avec attention, et voyons si, sur ces points, le riche a un avantage relativement au pauvre ; le riche a du vin de Thasos , et beaucoup d'autres breuvages pareillement élaborés, (520) colorés par mille ingrédients : mais les fontaines offrent leur eau à qui veut la boire, riche ou pauvre. Vous riez peut-être de cette égalité-là. Apprenez donc combien le meilleur vin est moins précieux que l'eau, moins nécessaire, moins utile : alors vous comprendrez votre erreur, et vous connaîtrez la vraie richesse des pauvres. S'il n'y avait plus de vin, ce ne serait pour personne un grand dommage, hormis pour les seuls malades : mais tarir les sources d'où l'eau jaillit, anéantir cet élément, ce serait bouleverser toute notre existence, ruiner toutes les industries, nous ne saurions plus vivre seulement deux jours, nous péririons bientôt de la mort la plus cruelle et la plus misérable. 4. Par conséquent dans les choses les plus nécessaires, dans celles qui constituent notre subsistance, le pauvre n'a aucun désavantage, ou même, s'il faut dire quelque chose d'étonnant, il a un avantage sur le riche. En effet, on voit souvent des riches que les inIIrmités corporelles causées par la bonne chère condamnent à s'abstenir d'eau le plus possible : le pauvre, au contraire, durant toute la durée de sa vie, jouit en paix de ce breuvage ; comme à une source de miel, on le voit courir à la fontaine, et trouver dans cette boisson un plaisir pur et sans mélange. Que dire maintenant du feu? N'est-ce point un bien plus nécessaire que mille trésors et que toutes les richesses humaines? Eh bien ! le feu comme l'eau est un trésor mis également à la disposition du riche et du pauvre. Et les services que rend l'air à notre corps, et les rayons de la lumière, est-ce qu'ils sont dispensés plus généreusement aux riches qu'aux pauvres? Est-ce que les uns ont quatre yeux, les autres deux seulement pour voir la lumière? On ne saurait le dire riches et pauvres participent à ce bien dans la même mesure, ou plutôt ici encore on peut remarquer que les pauvres sont mieux partagés que les riches, en ce qu'ils ont les sens plus éveillés, la vue plus perçante, une sûreté de perception plus grande. Aussi goûtent-ils des plaisirs plus véritables, aussi jouissent-ils plus pleinement et avec plus de délices du spectacle de la création. Et ce n'est pas seulement en ce qui concerne les éléments, c'est encore à l'égard de toutes les choses que nous offre la nature, que vous verrez régner une parfaite égalité, ou plutôt une inégalité à l'avantage du pauvre. Le sommeil, ce bien plus nécessaire et plus doux que toutes les voluptés, plus utile que tous les aliments, le sommeil est plus facile pour les pauvres que pour les riches, et non-seulement plus facile, mais encore plus profond. Les riches par l'abondance où ils vivent, par leur habitude de manger sans faim, de boire sans soif , de se mettre au lit sans sommeil, deviennent insensibles à tous les plaisirs : car ce n'est pas tant la nature des choses que le besoin qui nous fait trouver du charme à toutes ces choses. Ce qui nous réjouit, ce n'est donc point tant de boire un vin délicieux et parfumé, que de boire lorsqu'on a soif; ce n'est pas tant de manger des gâteaux, que de manger quand on a faim; ce n'est pas tant de dormir sur une couche moëlleuse; que de dormir quand on a sommeil or tout cela se rencontre plutôt chez les pauvres que chez les riches. Et la santé du corps, et les autres avantages physiques ne sont-ils point communs à la fois aux riches et aux pauvres? Est-ce que quelqu'un peut prétendre ou montrer que les pauvres seuls tombent malades, tandis que les riches restent jusqu'au bout dans une parfaite santé ? C'est le contraire que l'on peut voir : les pauvres sont rarement atteints de maladies incurables, tandis qu'elles prennent naissance constamment dans le corps des riches. Goutte, migraine, affaiblissement, contractions de nerfs , impossibles à guérir, humeurs vicieuses et corrompues de toute sorte, c'est encore aux riches que s'attaquent principalement toutes ces incommodités, aux riches qui vivent dans la mollesse, aux riches qui exhalent l'odeur des parfums, et non point aux hommes de travail et de peine, à ceux qui se procurent par un travail quotidien ce qui est nécessaire à leur subsistance. 5. Aussi les mendiants sont-ils moins â plaindre que tous ces hommes qui vivent au sein du luxe : et ces derniers eux-mêmes ne feraient pas difficulté d'en convenir. Souvent un riche étendu sur une couche moëlleuse, entouré d'esclaves et de servantes, objet de la part de tous, des soins les plus empressés, s'il vient à entendre dans la rue un pauvre qui crie, qui demande du pain, pleure, gémit, souhaite le sort de cet homme avec sa santé, au prix de sa propre opulence et de ses infirmités. Et ce n'est pas seulement en santé, c'est encore en ce qui concerne les enfants qu'on trouvera que le riche n'est nullement supérieur au pauvre : chez les uns et les autres on trouve également des familles nombreuses et (521) des familles sans enfants : ou plutôt, en ceci encore, c'est le riche qui a le dessous. Car le pauvre, s'il ne lui est point donné d'être père, n'en ressent point une grande douleur : le riche, au contraire, plus il voit s'augmenter sa fortune, plus il est chagrin de n'avoir pas d'enfants; il ne sent plus aucune joie, faute d'un héritier. De plus, l'héritage du pauvre mort sans enfants , est trop peu de chose pour devenir matière à procès : il passe à ses amis, à ses proches. Au contraire, celui du riche, attirant de tous côtés les yeux, tombe fréquemment aux mains des ennemis du défunt : et cet autre riche vivant, qui voit ce qui se passe au sujet du bien d'autrui , mènera désormais une vie pire que la mort, dans l'attente du même sort pour sa propre fortune. Mais sont-ce les chances de mort qui ne sont point communes? n'arrive-t-il point aux riches aussi bien qu'aux pauvres de décéder avant le temps? Et après la mort, le corps des uns et celui des autres n'est-il pas en proie à la même dissolution, ne devient-il pas également cendre et poussière, n'engendre-t-il pas des vers? Mais les funérailles diffèrent, objectera quelqu'un. Et qu'importe cela? quand vous aurez entassé sur le riche des étoffes précieuses et brochées d'or, le seul résultat sera de lui procurer plus de haine , et de plus graves accusations, de donner carrière à toutes les langues contre sa mémoire, d'attirer sur lui des milliers de malédictions, d'aviver les reproches dirigés contre son avarice, de faire que chacun se brise la poitrine et s'éteigne la voix à maudire ce mort, que le trépas même n'a pu corriger de sa folle passion pour les richesses. Et ce n'est pas là tout ce qu'il faut craindre, c'est encore d'exciter la convoitise des voleurs qui dépouillent les tombeaux : de sorte que tant d'hommages n'aboutissent pour le riche qu'à un plus grand affront. Qui s'aviserait en effet de dépouiller le cadavre d'un pauvre? Le peu de valeur de ses vêtements protège l'enceinte qui enferme son corps. Ici ce ne sont que clefs, verroux, portes et sentinelles , et tout cela en pure perte, car la cupidité pousse à tous les excès d'audace les hommes coutumiers de pareils forfaits. Plus d'hommages ne servent donc qu'à rapporter au mort plus d'insultes : et tandis que celui qui a été enseveli à peu de frais, conserve ses honneurs dans la tombe, celui qui a reçu une sépulture magnifique, est dépouillé et outragé. Et quand bien même rien de cela n'arriverait, il n'y gagnerait rien que d'offrir aux vers une plus riche pâture, et un champ plus vaste à la corruption. Y a-t-il donc là, dites-moi, de quoi s'émerveiller? Et quel est le mortel assez malheureux, assez misérable, pour voir dans ces vanités ce qui rend l'homme digne d'envie? Poursuivons : abordons tout le reste en détail , scrutons chaque chose avec exactitude, nous trouverons les pauvres bien mieux partagés que ,les riches. Ainsi donc , examinons attentivement toutes ces choses, et faisons-les voir à tous les autres ; car il est écrit : Donne au sage une occasion, et il sera plus sage (Prov. IX, 9) : et constamment pénétrés de cette vérité que l'abondance des richesses ne rapporte à ceux qui les possèdent qu'un plus grand nombre de soucis, d'angoisses , de craintes, de périls, croyons que les riches n'ont aucun avantage sur nous. Que dis-je? si nous sommes sages, l'avantage sera en notre faveur, et dans les choses selon Dieu, et dans toutes celles d'ici-bas. En effet, joie, sécurité, bonne réputation, santé du corps, sa4 gesse de l'âme, bonne espérance, répugnance à pécher, tout cela est plus facile à trouver chez les pauvres que chez les riches. Gardons-nous donc de murmurer, et d'accuser notre Maître, comme des serviteurs ingrats , mais témoignons-lui constamment notre reconnaissance, et soyons persuadés qu'il n'y a qu'un mal à craindre, le péché, et qu'un bien, la justice. Si nous sommes dans ces dispositions, ni la maladie, ni l'obscurité, ni l'indigence, ni aucune des choses qui passent pour incommodités ne nous causera de chagrin : et après avoir goûté un bonheur pur et sans mélange, nous obtiendrons les biens futurs par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui gloire au Père et au Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
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