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HOMÉLIE II. C'EST POURQUOI, DEPUIS QUE NOUS AVONS SU CES CHOSES, NOUS NE CESSONS DE PRIER POUR VOUS, ET DE DEMANDER A DIEU QU'IL VOUS REMPLISSE DE LA CONNAISSANCE DE SA VOLONTÉ, EN VOUS DONNANT TOUTE LA SAGESSE ET TOUTE L'INTELLIGENCE SPIRITUELLE, AFIN QUE VOUS MARCHIEZ DANS LES VOIES DE DIEU D'UNE MANIÈRE DIGNE DE LUI, TACHANT DE LUI PLAIRE EN TOUT, PORTANT LES FRUITS DE TOUTES SORTES DE BONNES OEUVRES ET CROISSANT EN LA CONNAISSANCE DE DIEU. (I, 9, 10.)
Analyse.
1. Explication du chapitre I, versets 1 et 2. Paul commence presque toujours par louer ses auditeurs.
2. Explication des versets 9, 10, 11 et 12. Dieu nous fait participer et nous rend dignes de participer à l'héritage des saints.
3. Explication des versets 13,14,15. Dieu nous a arrachés à la tyrannie du démon. Par une rédemption complète, le Christ nous a frayé le chemin de son royaume. Titres du Christ.
4. Grandeur des bienfaits de Dieu. La vie de ce monde n'est qu'un mal. Sources de l'incrédulité, la mollesse et la lâcheté.
5. Le chrétien incrédule est pire et fait plus de mal que le païen.
6. C'est pour s'étourdir lui-même, c'est pour faire taire sa conscience que d'incrédule repousse le dogme du jugement dernier et le dogme de la résurrection. Le fatalisme est une doctrine injuste, inhumaine et cruelle.
1. « C'est pourquoi », c'est-à-dire parce que nous avons connu votre foi et Notre charité. Les espérances que nous avons conçues alors nous ont encouragé à demander encore à Dieu pour vous sa protection dans l'avenir. Dans les luttes on s'applique à exhorter les athlètes qui vont saisir la victoire. Ainsi fait Paul : il s'adresse à ceux qui ont le mieux (109) réussi. « Du jour où nous avons appris ces choses », dit-il, « nous ne cessons de prier pour vous ». Oui, nous prions pour vous et ce n'est pas depuis un jour, ce n'est pas depuis deux ou trois jours. Il leur montre ici sa charité pour eux, et il leur fait entendre aussi qu'ils ne sont pas encore arrivés au but. C'est le sens de ce mot « qu'il vous remplisse ». Voyez ici sa prudence. Il ne dit jamais que tout leur manque ; il dit partout qu'il leur manque quelque chose encore. C'est le sens de l'expression « qu'il vous remplisse ». Puis il dit : « Tâchant de lui plaire en tout », par toutes sortes de bonnes oeuvres; puis encore : « Etant rempli de force en tout », et plus bas : Pour avoir, « en toutes rencontres, une patience et une douceur persévérante ». Ce mot « en toutes rencontres » est d'un homme qui rend justice à leurs progrès, sans proclamer encore leurs perfections. « Qu'il vous remplisse ». Il ne dit pas: Qu'il vous donne; car cette connaissance leur a déjà été donnée. Il dit : « Qu'il vous remplisse », c'est-à-dire, qu'il perfectionne cette connaissance. Il y a ici une réprimande légère et un éloge qui, n'étant pas complet, ne les engage pas à se négliger. Mais comment seront-ils « remplis de la connaissance de la volonté de Dieu?» Ils seront conduits à cette connaissance parle Fils de Dieu et non par les anges. Vous le savez, leur dit-il, il faut que vous y soyez conduits : il vous reste maintenant à apprendre pourquoi Dieu vous a envoyé son Fils. Si notre salut devait s'opérer parle moyen des anges, Dieu n'aurait pas envoyé, n'aurait pas livré son Fils. « En vous donnant»,dit-il, « toute la sagesse et toute l'intelligence spirituelle». Comme ils se laissaient abuser parles philosophes, il veut qu'ils acquièrent la sagesse spirituelle et non la sagesse humaine. Or, si pour connaître la volonté de Dieu,il faut avoir la sagesse spirituelle, pour connaître son essence, il faut de constantes prières. Et il leur fait voir ici depuis combien de temps il prie pour eux sans relâche. Tel est le sens de ces mots « du jour où nous avons appris ». Ces mots sont aussi la condamnation de ceux que cette longue prière n'aurait pas rendus meilleurs. « De demander à Dieu » et de demander avec un zèle ardent. Nous avons beaucoup prié, dit-il, et vous avez déjà connu quelque chose; mais vous avez encore besoin d'en connaître beaucoup d'autres. « Afin que vous marchiez dans les voies de Dieu, d'une manière digne de lui ». Il est ici question de la manière dont il faut vivre et agir, et c'est là un point sur lequel l'apôtre insiste toujours. Il ne sépare jamais la foi de la bonne conduite. « Tâchant de lui plaire en tout ». Cette expression est expliquée par la suivante : « Portant les fruits de toutes sortes de bonnes oeuvres, et grandissant dans la connaissance de Dieu ». Si Dieu s'est révélé tout entier à vous, si vous avez reçu de lui cette connaissance sublime, montrez que votre conduite est à la hauteur de votre foi. Car cette foi nouvelle impose à ses adeptes un plan de vie magnanime, plus magnanime encore que l'ancienne loi. Quand on connaît Dieu, quand on a été trouvé digne d'être le serviteur, que dis-je? le fils de Dieu, quelle vertu ne faut-il pas avoir? « Que vous soyez en tout remplis de force ». II veut ici parler des épreuves et des persécutions. Nous prions Dieu, dit-il, que vous vous sentiez pleins de force, pour que vous ne tombiez pas dans l'abattement et le désespoir. « Par la puissance de sa gloire », c'est-à-dire, pour que vous ayez une ardeur proportionnée à l'éclat de sa gloire. « Pour avoir, en toutes rencontres, une patience et une douceur persévérante ». Ce qu'il dit là revient à ceci Nous prions Dieu, en un mot, qu'il vous fasse la grâce de mener une vie vertueuse, une vie digne de votre plan de conduite, qu'il vous fasse la grâce de rester fermes, comme des athlètes qui puisent leurs forces dans le ciel. Il ne parle pas encore de leurs croyances; il ne s'occupe que de leur vie où il ne trouve rien à reprendre, et après leur avoir donné la part d'éloges à laquelle ils ont droit, il en vient à les accuser. C'est la méthode qu'il suit toujours dans ses épîtres. A-t-il à reprendre ou à louer, il commence par l'éloge et finit par l'accusation. Il se concilie et gagne d'abord son auditeur; il ôte à ses accusations tout caractère passionné, et montre qu'il voudrait toujours donner des éloges, mais que la nécessité lui dicte un autre langage. C'est ce qu'il fait dans sa première épître aux Corinthiens. (I Cor. V.) Après les avoir loués beaucoup de leur affection pour lui, il s'en prend à un fornicateur, et il en vient à les accuser. Dans l'épître aux Galates (Galates, I), il suit une marche toute contraire. Mais que dis-je? A bien examiner les choses, il fait sortir une accusation d'un éloge. Ne pouvant parler de (110) leur bonne conduite, ayant à intenter contre eux une grave accusation, ayant affaire à des auditeurs corrompus qui pouvaient supporter les reproches, parce qu'ils étaient endurcis, il commence par les accuser en disant : « Je m'étonne » (Ibid. 6) ; c'est là un mot d'éloge. Plus bas il loue non leur conduite actuelle, mais leur conduite d'autrefois, en ces termes : « Vous étiez prêts, s'il eût été possible, à vous arracher les yeux, pour me les donner ». (Ibid. IV, 15.) « Portant des fruits ». Il parle ici de leurs oeuvres. « Remplis de force » pour résister aux épreuves, « pour avoir, en toutes rencontres, la patience et la longanimité ». Entre eux, ils doivent faire preuve de longanimité ou de douceur; à l'égard des étrangers ils doivent faire preuve de patience. On fait preuve de longanimité ou de douceur envers ceux dont on pourrait se venger; on fait preuve de patience à l'égard de ceux dont on ne peut se venger. Aussi ne dit-on jamais : «La patience » de Dieu, tandis qu'il est souvent question de sa longanimité ou de sa douceur, comme dans ce passage de saint Paul lui-même : « Méprisez-vous donc les trésors de sa bonté, de sa tolérance et de sa longanimité? » (Rom. II, 4.) « En toutes rencontres». Il ne s'agit pas d'avoir de la patience aujourd'hui seulement, et de ne plus en avoir ensuite. « Que Dieu vous donne toute la sagesse et toute l'intelligence spirituelle ». Autrement comment connaître sa volonté? Cette volonté, ils croyaient la connaître; mais leur sagesse n'était pas une sagesse spirituelle. « Afin que vous marchiez dans la vie d'une manière digne de Dieu ». Voilà en effet la meilleure ligne de conduite à suivre ! Voilà ce qui s'appelle le droit chemin. Quand on sera bien pénétré de la bonté de Dieu (et on en sera pénétré, en voyant qu'il nous livre son Fils), on aura plus d'ardeur pour le servir. D'ailleurs, nous ne nous bornons pas à demander pour vous la science; nous demandons que votre conduite témoigne de vos lumières; car celui qui sait et qui ne pratique pas, mérite toujours d'être puni. « Afin que vous marchiez dans la vie », dit-il. C'est-à-dire, telle est la ligne que vous devez suivre constamment et toujours. Il nous est aussi nécessaire de suivre le droit chemin de la vie que de marcher. Il appelle toujours la vie un chemin, un voyage, et avec raison. Il nous prouve que c'est là le plan de vie que nous devons nous proposer; il n'arien de commun avec la vie mondaine. C'est un grand mérite que cette vie selon Dieu. « Afin que vous marchiez dans la vie d'une manière digne de Dieu, et de bonnes oeuvres en bonnes oeuvres ». Afin que vous marchiez sans vous arrêter. Puis, en se servant d'une expression métaphorique, il ajoute : « Portant les fruits de la vertu, et grandissant dans la connaissance de Dieu; afin que, grâce à la puissance de Dieu », vous deveniez forts, autant que l'homme peut être fort. « Par la puissance de Dieu ». Voilà une parole bien consolante ! Il n'a pas dit : La vertu, le pouvoir, mais la puissance » ; cette expression a plus de grandeur. « Par la puissance », dit-il, c'est-à-dire par la domination « de sa gloire » ; car sa gloire est partout toute-puissante. Il vous a consolés en vous disant qu'après avoir marché dans le déshonneur et dans l'opprobre, vous avez suivi ensuite une marche digne du Seigneur. Il s'agit ici du Fils de Dieu, souverain maître de la terre et du ciel, du Fils de Dieu dont la gloire règne dans tout l'univers. Il ne s'est pas borné à dire : Soyez forts; il a dit Soyez forts autant que doivent l'être les serviteurs d'un maître aussi fort. « En la connaissance de Dieu ». Il insiste sur cette connaissance ; car l'erreur consiste à ne pas connaître Dieu, comme il faut. Afin que vous croissiez, dit-il, dans la connaissance de Dieu. Quand on ne connaît pas le Fils, on ne connaît pas le Père non plus. Il faut donc apprendre à connaître Dieu; car sans cela, de quoi sert la vie ? « Pour avoir, en toutes rencontres, la patience et la longanimité, accompagnées de la joie. Rendant grâces à Dieu ». Puis, pour les exhorter, il ne rappelle pas ces biens encore cachés à leurs yeux, auxquels il a fait cependant allusion d'abord en ces termes : « A cause de vos espérances qui reposent dans le ciel» ; il leur rappelle ce qui s'est déjà passé. Car c'est sur le passé que repose l'avenir. Il suit cette méthode en plusieurs endroits. Car le récit de ce qui a eu lieu fait croire aux paroles de l'orateur, et éveille l'attention de l'auditoire. « Rendant grâces à Dieu avec joie », dit-il. C'est là une conséquence de ce qu'il a déjà dit : Nous ne cessons de prier pour vous, et de rendre grâces à Dieu de ce qu'il a fait pour vous. Vous voyez comme il en vient à parler du Fils de Dieu. Si nous rendons grâces à Dieu, avec tant de (111) joie, c'est que ses bienfaits dont nous parlons sont grands. Il y a bien des motifs pour rendre grâces. On rend grâces, parce que l'on était dans la crainte. On rend grâces, même quand on est affligé. Voyez Job rendant grâces à Dieu au sein même de la douleur. Entendez-le, quand il dit : « Dieu m'a donné, Dieu m'a ôté ». (Job, I, 21.) N'allez pas dire qu'il était insensible à ses malheurs et qu'il n'était pas dans l'affliction; vous ôteriez à ce juste ce qui fait son plus grand éloge. Mais, ce n'est point ici par crainte, ce n'est point seulement parce que Dieu est notre maître, c'est tout naturellement que « nous rendons grâces à celui qui nous a rendus dignes d'avoir notre part dans cet héritage de lumière échu aux saints ». Ce sont là de grands bienfaits. Non-seulement Dieu nous a donné, mais il nous a rendus dignes de recevoir. Pesez ces paroles : « Celui qui nous a rendus dignes ». Un homme, même de la plus basse extraction, devenant roi, peut donner à qui bon lui semble un rang élevé; mais rendre son favori capable de bien remplir sa charge, voilà ce qu'il ne peut faire; car l'élévation du favori le rend quelquefois ridicule. Ah ! si le souverain nous donne en même temps la dignité, la capacité, l'aptitude, voilà des honneurs véritables ! C'est ainsi que Dieu agit, dit l'apôtre. Non-seulement il nous donne le plus honorable héritage, mais il nous rend dignes de l'accepter. 3. Il y a donc ici un double honneur Dieu nous a donné; Dieu nous a rendus dignes de recevoir le don. L'apôtre n'a pas dit seulement. «Qui nous a donné »; il a dit : Qui nous a rendus aptes et propres à « prendre notre part dans l'héritage de lumière, échu aux saints ». Cela veut dire qu'il nous a mis au rang des saints. Mais ce n'est pas tout; cela veut dire aussi qu'il nous a fait jouir des mêmes biens qu'eux. Car la part de l'héritage, c'est ce que chacun des cohéritiers reçoit. Il petit arriver en effet qu'on fasse partie de la même cité, sans jouir des mêmes avantages. Mais avoir la même part et ne pas jouir des mêmes biens, voilà qui est impossible. Il peut arriver encore qu'on ait à partager un même lot, mais que ce même lot ne soit pas également partagé. Exemple : nous sommes tous copartageants d'un même héritage; mais la part de chacun de nous n'est pas la même. Mais ce n'est pas là ce que dit l'apôtre. Nous avons, dit-il, la même part au même héritage. Pourquoi ces mots de lot et d'héritage? C'est pour montrer que nul homme ne doit à ses bonnes actions et à sa justice le royaume des cieux. Cet héritage est, pour ainsi dire, une bonne aubaine qui nous arrive. Nul homme, en effet, n'arrange assez bien sa vie pour être trouvé digne du royaume des cieux; cet héritage est un pur bienfait de Dieu. C'est pourquoi il est dit: « Quand vous aurez fait tout ce qu'il faut»; dites: « Nous sommes des serviteurs inutiles; car nous n'avons fait que ce que nous devions faire ». (Luc, XVII, 10.) « Notre part dans l'héritage de lumière échu aux saints »; c'est-à-dire « dans la connaissance de Dieu». Il parle là, ce me semble, du présent et de l'avenir. Puis il nous montre le prix du don que l'on a daigné nous faire. Ce qu'il y a d'étonnant, en effet, ce n'est pas seulement qu'on nous ait jugés dignes d'un royaume; il faut encore penser à ce que nous étions, car cela fait beaucoup. « C'est à peine, en effet, si quelqu'un voudrait mourir pour un juste; peut-être néanmoins quel« qu'un aurait-il le courage de mourir pour un homme de bien». (Rom. V, 7.) « Qui nous a arrachés à la puissance des ténèbres », dit l'apôtre. Tous ces bienfaits, c'est à Dieu que nous les devons; car le bien ne vient jamais de nous. «A la puissance des ténèbres», dit-il, c'est-à-dire à l'erreur, à la tyrannie du démon. Il n'a pas dit seulement Aux ténèbres; mais: A leur puissance. C'est que le démon avait sur nous un grand pouvoir, un pouvoir tyrannique. C'est un grand malheur déjà que d'être soumis à l'influence du démon; mais c'est un malheur plus grand encore que d'être soumis à sa puissance. « Et nous a fait passer», ajoute l'apôtre, dans le royaume de son Fils bien-aimé». Il ne suffit pas à Dieu de montrer sa tendresse pour nous, en nous délivrant des ténèbres. C'était déjà beaucoup; mais nous introduire dans son royaume est bien plus encore. Voyez comme il a su multiplier ses dons. Nous étions dans l'abîme; il nous en a délivrés, et non content de nous en délivrer, il nous a fait passer dans son royaume. « Qui nous a arrachés ». Il ne dit pas: « Qui nous a soustraits »; mais: « Qui nous a arrachés », pour montrer toute la grandeur de notre affliction et de notre misère, et toute la pesanteur de ces chaînes. Puis, pour faire voir combien tout est facile à la puissance de Dieu, (112) il dit: « Il nous a fait passer » dans le royaume, comme on fait passer des soldats d'un lieu dans un autre. Il n'a pas dit: Il nous a « conduits », il nous a « placés », car alors nous n'y serions pour rien. Il « nous a fait passer », dit-il, ce qui montre que l'homme aussi y a mis du sien. «Dans le royaume de son Fils bien-aimé». Il n'a pas dit : Dans le royaume des cieux; il a donné plus d'éclat et de poids à son expression, en disant: « Dans le royaume de son Fils». Quoi de plus flatteur pour l'homme? Ailleurs, du reste, il dit aussi : « Si nous persévérons, nous régnerons avec lui ». (II Timothée, II, 12). Il a daigné nous faire le même honneur, qu'à son Fils. Et l'apôtre ne se contente pas de dire : « De son Fils »; il dit : «De son Fils bien-aimé ». A cette épithète il joint les titres naturels de ce Fils: « Qui est l'image du Dieu invisible ». Mais il n'aborde pas tout aussitôt ce chapitre. Il parle d'abord du grand bienfait de Dieu. De peur qu'on ne s'imagine que ce bienfait tout entier vient du Père, et que le Fils n'y est pour rien, il l'attribua dans son entier au Père et dans son entier au Fils. Le Père nous a fait entrer dans le royaume du Fils; mais le Fils nous a mis en état d'y entrer. Que dit l'apôtre en effet? « Qui nous a arrachés au pouvoir des ténèbres». Expression qui se lie intimement à celle-ci : « Par le sang duquel nous avons été rachetés et avons obtenu la rémission de nos péchés». Voici le mot par lequel, par le sang duquel » qui revient ici. Et il parle d'une rédemption pleine et entière qui doit nous empêcher de faillir et de redevenir mortel. « Qui est l'image du Dieu invisible, et qui est né avant toutes les créatures ». Nous tombons ici sur des mots qui ont donné naissance à une hérésie. Nous différons donc notre explication et demain nous satisferons, sur ce point, votre curiosité. Mais s'il faut dire ici quelque chose de plus, avouons que l'oeuvre du Fils est la plus grande. Comment cela? C'est qu'en restant au milieu des liens du péché, nous ne pouvions entrer dans son royaume; en nous délivrant, il nous en a facilité l'entrée, et ce sont ses bienfaits qui nous en ont frayé le chemin. Que dis-je? En nous remettant nos péchés, il nous y a amenés. Voilà dès à présent un dogme bien établi. 4. En terminant, nous avons encore un mot à dire. C'est qu'après avoir reçu un si grand bienfait, nous devons toujours en conserver la mémoire, toujours réfléchir à cette faveur divine, aux maux dont nous avons été délivrés, aux biens que nous avons acquis, et alors nous serons reconnaissants, alors nous sentirons s'augmenter en notre coeur notre amour pour Dieu. Quoi donc ! ô homme, vous êtes appelé à un royaume, au royaume du Fils de Dieu, et vous tardez, vous hésitez, vous restez plongé dans la torpeur! S'il vous fallait chaque jour vous élancer, à travers mille morts, à une pareille conquête, ne devriez-vous point braver tous les périls? Pour obtenir une place de magistrat, il n'est rien que vous ne fassiez; pour participer à la royauté du Fils unique de Dieu, vous n'êtes pas prêt à braver mille glaives menaçants, à vous précipiter au milieu des flammes ! Chose plus grave encore, au moment de quitter ce monde, vous vous lamentez, vous vous plaisez à demeurer en cette vie, tant vous tenez à votre corps ! Quoi donc? La mort est-elle pour vous si terrible? Ah ! j'aperçois la cause de vos craintes ; c'est que vous menez une existence molle et oisive. Quand la vie est amère, on voudrait avoir des ailes pour en sortir. Mais nous ressemblons à des poussins frêles et délicats qui voudraient toujours rester dans leur nid. Et cependant, plus nous y resterons, plus nous deviendrons faibles. Qu'est-ce que cette vie en effet? C'est un nid de paille et de boue. Vous avez beau me montrer vos grands édifices, vos palais tout brillants d'or et de pierres précieuses, je dirai toujours : Nids d'hirondelles que tout cela. A l'approche de l'hiver, tout cela tombe de soi-même; or, j'appelle l'hiver ce jour qui n'est pourtant pas l'hiver pour tous les hommes. Ce temps-là, Dieu l'appelle le jour et la nuit c'est la nuit pour les pécheurs ; c'est le jour pour les justes. Moi donc, à mon tour, je l'appelle l'hiver. Si, pendant l'été, nous ne sommes pas élevés de manière à pouvoir nous envoler, quand l'hiver arrivera, nos mères ne nous accueilleront pas; elles nous laisseront mourir de faim ou périr au moment où tombera notre nid. Toute cette demeure terrestre, Dieu va la nettoyer, comme l'hirondelle nettoie son nid et plus facilement encore. Dieu va tout détruire, tout rétablir, tout mettre à sa place. Ces âmes incapables de voler, ces âmes qui ne peuvent traverser les airs, pour aller à Dieu, et qui ont reçu une éducation trop basse et trop servile pour se confier à la légèreté de (113) leurs ailes, ces âmes souffriront ce qu'elles doivent naturellement souffrir. Un nid d'hirondelle tombe-t-il, la couvée périt bientôt; nous autres, nous ne périssons pas, mais nous sommes condamnés à des souffrances éternelles. Oui, ce temps-là sera l'hiver, ce sera même quelque chose de plus terrible et de plus cruel que l'hiver. Alors point de pluies torrentielles; mais des fleuves de feu : pas de ténèbres tombant des nuages; mais des ténèbres indissolubles et profondes : point de ciel à voir, point d'atmosphère transparente; un cachot plus étroit que le séjour des malheureux qui sont ensevelis dans les entrailles de la terre. Ces vérités, nous les répétons souvent, sans pouvoir convaincre certains esprits. Quoi d'étonnant! si tel est l'effet de notre parole à nous, chétive créature, puisqu'on n'écoutait pas davantage les prophètes, non-seulement quand ils abordaient de pareils sujets, mais quand ils parlaient de la guerre et de la captivité. Et Sédécias, convaincu par Jérémie, ne rougissait pas. Voilà pourquoi les prophètes disaient : « Malheur à ceux qui disent. Qu'elles s'accomplissent bien vite les oeuvres de Dieu, afin que nous en soyons témoins, et que le conseil du Saint d'Israël s'exécute, pour que nous le connaissions ». (Is. LIV, 19.) Ne nous étonnons pas de ce langage. Les hommes qui existaient à l'époque de l'arche. étaient incrédules aussi; ils ne commencèrent à croire que lorsqu'il n'était plus temps. Les habitants de Sodome attendaient les événements et n'y crurent que lorsque la chose était inutile. Et pourquoi parler de l'avenir? Ce qui se passe aujourd'hui en divers lieux, ces tremblements de terre, la destruction de toutes ces villes, qui s'y serait attendu ? Et pourtant ces catastrophes récentes étaient plus croyables que les désastres du temps passé, que le miracle de l'arche. Pourquoi? C'est que les hommes d'autrefois n'avaient eu sous les yeux aucun précédent et ne connaissaient pas encore les saintes Ecritures. Nous autres, au contraire, nous sommes instruits par d'innombrables exemples, par ce qui s'est passé de nos jours, par ce qui s'est passé jadis. Mais quelle a toujours été la source de l'incrédulité? C'est la lâcheté et la mollesse. On s'occupe de boire et de manger; on ne s'occupe pas de croire. Ce qui est conforme à nos désirs, nous le croyons, nous l'espérons; mais les discours qui viennent heurter. nos opinions ne sont pour nous que des bagatelles. , 5. Mais ne donnons pas dans ce travers. Il n'y aura plus de déluge; il n'y aura plus de ces châtiments qui font périr tant de monde; mais c'est un commencement de supplice que la mort de l'homme qui ne croit pas au jugement. Qui est revenu de là-bas, s'écrie l'incrédule, pour nous dire et pour nous raconter ce qui s'y passe? Homme incrédule, si votre langage n'est qu'une plaisanterie, votre langage est déjà un mal ; il ne faut pas plaisanter sur de pareilles matières. C'est plaisanter sur des sujets qui n'ont rien de plaisant et sur des choses périlleuses. Mais si vous parlez sérieusement, si vous pensez qu'au-delà de cette vie il n'y a plus rien, comment osez-vous vous dire chrétien? Car je ne m'occupe point ici de ceux qui sont en dehors de notre religion. Pourquoi ce baptême que vous recevez? Pourquoi entrer dans l'Eglise? Est-ce que nous vous promettons de hautes dignités et des magistratures ? Non : tout notre espoir repose sur la vie future. Pourquoi venir à nous, si vous ne croyez ni aux saintes Ecritures, ni au Christ? Non : un tel homme n'est pas chrétien. Dieu me préserve de l'appeler ainsi ! Un tel homme est pire qu'un païen. Pourquoi ? Parce que tout en croyant à un Dieu, vous ne croyez pas en ce Dieu. La croyance du païen n'est pas une impiété ; lorsqu'on ne croit pas à l'existence du Christ, nécessairement on ne doit pas croire en lui. Mais il y a impiété, il y a même inconséquence à confesser que Dieu existe et à ne pas ajouter foi à sa parole. C'est un propos d'ivrogne, un propos inspiré par la sensualité, par la débauche et par l'intempérance que cette parole : « Mangeons et buvons; nous mourrons demain ». (I Cor. XV, 32.) Ce n'est pas demain, c'est au moment où vous parlez ainsi que vous mourez. N'y aura-t-il donc, dites-moi, rien qui nous distingue des pourceaux et des ânes? Car enfin , s'il n'y a ni jugement, ni récompense , ni rémunération, ni tribunal, pourquoi avons. nous reçu la raison en partage? Pourquoi sommes-nous les rois de la création? Pourquoi commandons-nous aux créatures? Pourquoi les créatures nous obéissent-elles ? Voyez-vous comme le démon nous presse de tous côtés, comme il nous pousse à méconnaître le don que Dieu nous a fait ? Il confond tout, les serviteurs et les maîtres. Comme un (114) marchand d'esclaves, comme un esclave ingrat, il s'efforce de faire descendre un être libre à l'état de bassesse et d'abjection où tombe celui qui a offensé le Seigneur. On dirait qu'il veut supprimer le jugement; il voudrait supprimer Dieu. Oui, le démon est toujours ainsi. C'est par fraude, par ruse, c'est en usant de piéges qu'il agit; il n'agit pas franchement et de manière à nous mettre sur nos gardes. S'il n'y a pas de jugement, Dieu n'est pas juste ; c'est le langage de l'homme que je parle ici : et si Dieu n'est pas juste, il n'existe pas : enfin, si Dieu n'existe pas, tout est le jouet du hasard , il n'y a ni vice, ni vertu. Mais c'est là un langage que le démon ne tient pas ouvertement. Avez-vous bien vu le fond de la pensée de Satan? Voyez-vous comme il voudrait faire de nous des brutes ou plutôt des bêtes féroces ou même des démons? Ne l'écoutons pas. Oui, il y a un jugement, malheureux et infortuné que vous êtes. Et je sais bien pourquoi vous parlez comme vous le faites. C'est que vous avez bien des fautes sur la conscience ; vous avez offensé le Seigneur; vous ne parlez pas en pleine liberté, en pleine franchisé, et vous croyez pouvoir faire mentir la nature. En attendant, dit l'incrédule, je ne veux pas me mettre l'âme à la torture avec cette idée de la géhenne; si elle existe, je me persuaderai qu'elle n'existe pas et je me plongerai dans les délices. Mais pourquoi donc entasser fautes sur fautes? Si vous croyez, pécheur que vous êtes, aux tourments de l'enfer, vous en serez quitte pour expier vos péchés. Mais si vous ajoutez à vos péchés le crime d'une incrédulité impie, vous serez puni en outre de cette incrédulité avec la dernière- rigueur. Et ce qui aura été pour vous une triste consolation d'un moment, deviendra contre vous un chef d'accusation qui vous vaudra un supplice éternel. Vous avez péché, soit. Mais est-ce une raison pour exhorter les autres à pécher aussi, en leur disant qu'il n'y a pas de géhenne? Pourquoi tromper les âmes simples? Pourquoi décourager le peuple de Dieu et lui ôter la force de lever les mains au ciel? Vous renversez tout, en tant que cela dépend de vous. S'ils vous écoutent, les gens de bien ne deviendront pas meilleurs; ils tomberont dans la mollesse et dans l'inaction; les méchants, de leur côté, persisteront dans le vice. Mais si nous corrompons les autres, obtiendrons-nous, pour cela, le pardon de nos péchés? N'avez-vous pas été témoin des tentatives du démon pour faire tomber et pour terrasser Adam? Le démon a-t-il obtenu son pardon pour cela? Son supplice, au contraire; a été certainement aggravé. Ne fait-il pas tout ce qu'il peut pour que nous portions la peine non-seulement de nos fautes, mais des fautes d'autrui? Ne croyons donc pas, en entraînant les autres dans notre perte, adoucir notre sentence; nous nous attirerons, au contraire, une condamnation plus lourde et plus cruelle. Pourquoi nous pousser dans l'abîme et nous perdre les uns les autres ? Ce sont là des habitudes sataniques. Homme, avez-vous péché? Vous avez un Dieu bon et clément; priez-le, suppliez-le, pleurez, gémissez, effrayez les autres et demandez qu'ils ne tombent pas dans les mêmes erreurs que vous. Qu'un esclave, après avoir offensé son maître, dise à son fils Mon fils, j'ai offensé mon maître; toi, efforce-toi de lui plaire et ne fais pas comme moi; cet esclave, dites-moi, n'obtiendra-t-il pas, jusqu'à un certain point, son pardon? Ne parviendra-t-il pas à calmer, à fléchir son maître? Mais si, tenant un tout autre langage, il fait entendre que son maître ne fera pas justice à chacun, que, pour lui, le bien et le mal se mêlent et se confondent, que dans sa maison, on ne sait pas gré aux esclaves de ce qu'ils font, que pensera le maître d'un esclave pareil? Ne lui fera-t-il pas subir un châtiment plus rigoureux encore ? Oui, certes, et il aura raison. Le premier esclave trouvera une certaine excuse dans son repentir; l'autre n'obtiendra point de pardon. A défaut d'autre exemple, suivez du moins l'exemple de ce riche qui, au milieu des tourments de l'enfer, disait : « Père Abraham, envoyez Lazare vers mes frères, de peur qu'ils ne viennent dans ce lieu de souffrances ». (Luc, XVI, 27, 28.) Il ne pouvait en sortir, lui ; mais il voulait empêcher les autres d'y tomber. Renonçons donc à notre langage satanique. 6. Quoi, direz-vous, quand les gentils ou les païens nous interrogent, ne voulez-vous pas que nous nous occupions d'eux? Mais quand, sous prétexte de vous occuper des gentils, vous jetez les chrétiens dans le scepticisme, c'est la doctrine de Satan que vous vous mettez en devoir d'établir. Ce sont des témoins que vous cherchez pour appuyer une doctrine à laquelle vous ne pouvez faire croire avec les (115) seules ressources de votre esprit. Si vous êtes obligé de discuter avec un gentil, donnez donc à la discussion son véritable point de départ, recherchez si le Christ est Dieu et Fils de Dieu, et si ces prétendus dieux du paganisme ne seraient pas des démons. Cela une fois prouvé, tout le reste s'en déduit. Mais tant que vous n'avez pas posé le principe, il es£ inutile de discuter sur les conséquences. Avant d'avoir appris les axiomes, il est superflu et inutile d'arriver aux derniers corollaires. Ce gentil ne croit pas au jugement. Eh bien ! il est dans le même cas que vous. Les Grecs peuvent citer aussi beaucoup de philosophes qui ont traité cette matière. Ces philosophes séparent l'âme du corps; mais enfin il reconnaissent un dernier jugement. Et ce point-là est si clairement établi parmi eux, que personne n'en ignore, que les poètes et tous les écrivains s'accordent sur le tribunal et sur le jugement. Aussi, en général, les gentils en croient là-dessus leurs écrivains; ni les juifs, ni qui que ce soit, ne doutent de cette vérité. Pourquoi donc nous trompons-nous les uns les autres ? Vos mauvaises raisons, c'est à moi que vous les dites. Mais que direz-vous à Dieu qui a façonné les coeurs, qui connaît tous les replis de notre pensée , qui vit et qui agit en nous, dont la parole est plus perçante qu'un glaive à deux tranchants ? (Hébr. IV, 12.) Car, à parler franchement; quand vous commettez une faute, ne vous condamnez-vous pas vous-même ? Est-il au monde un homme qui ne se blâme lui-même, quand il agit avec tiédeur? Est-ce une sagesse aveugle que cette sagesse qui fait que nous nous condamnons nous-mêmes, lorsque nous commettons une faute? Car c'est là, oui c'est là une grande sagesse. En définitive donc, règle générale et universelle : quand on mène une vie vertueuse, qu'on soit gentil, qu'on soit même hérétique, on croit au jugement dernier; quand on se traîne dans le vice, on n'admet presque jamais le dogme de sa résurrection. Et c'est ce que dit le Psalmiste : « Vos jugements se dérobent à ses yeux ». (Ps. IX, 27.) Pourquoi ? Parce que de tout temps les voies du Seigneur ont été méconnues. «Mangeons et buvons », disent les incrédules; « car nous mourrons demain ». Voyez quelle bassesse et quelle abjection ! C'est au fond des verres que l'on va puiser cette parole dont on s'arme pour renverser le dogme de la résurrection. Ah ! c'est que l'homme ne veut pas absolument supporter le jugement de sa propre conscience. C'est ainsi que l'homicide se persuade qu'il échappera à la sentence, pour commettre un meurtre de sangfroid. S'il avait comparu devant sa conscience, il y aurait regardé à deux fois, avant de devenir un assassin. Il sait bien ce qu'il fait, mais il simule l'ignorance, pour se soustraire aux terreurs et aux tourments de sa conscience; autrement il se serait trouvé faible devant le meurtre. Ainsi les pécheurs savent bien que le péché est un mal, et ceux qui chaque jour roulent dans ce même cercle de maux, ne veulent pas le savoir, quoique leur conscience les reprenne. Mais n'écoutons pas ces hommes. Il y aura , oui il y aura un jugement et une résurrection, et Dieu ne souffrira pas que tant d'actions aient été faites en vain. C'est pourquoi, je vous en prie, fuyons le vice et cherchons la vertu, pour embrasser la véritable doctrine , en Jésus-Christ Notre-Seigneur. Et pourtant, quel est celui de ces deux dogmes le plus facile à admettre, le dogme de la résurrection, ou celui du fatalisme? Ce dernier dogme est plein d'injustice, plein de déraison, plein de cruauté, plein d'inhumanité; l'autre est plein d'équité et de justice distributive, et pourtant ce n'est pas celui qu'on admet. La faute en est à notre paresse; car il suffit de réfléchir, pour rejeter le fatalisme. Ces philosophes grecs qui font du plaisir le but de la vie, l'ont accepté; mais tous ceux qui se sont attachés à la vertu, l'ont banni comme une doctrine insensée. Si telle a été le sort de cette doctrine chez les gentils, elle doit à plus forte raison disparaître devant le dogme de la résurrection. Voyez l'habileté du démon à se servir de deux moyens contraires. Oui ! pour nous faire négliger la vertu, pour introduire chez nous le culte de Satan, il y a introduit le fatalisme, et par deux voies différentes il est parvenu à son double but. Quelle raison pourra-t-il alléguer, l'homme qui n'ajoute pas foi à ce dogme admirable de la résurrection, et qui croit à toutes les absurdités des fatalistes? Ne vous nourrissez donc pas, incrédules, de cette consolation que votre pardon vous sera accordé. Tournons-nous avec ardeur vers la vertu, et vivons réellement pour Dieu , en Jésus-Christ.
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