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HOMÉLIE XXVI. JE SAIS ET JE SUIS PERSUADÉ, DANS LE SEIGNEUR JÉSUS, QUE RIEN N'EST IMPUR DE SOI-MÊME, ET QU'IL N'EST IMPUR QU'A CELUI QUI LE CROIT IMPUR. (XIV, 14, JUSQU'A 24.)
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Analyse.
1 et 2. II n'y a rien d'impur dans la nourriture; toute l'impureté consiste à en faire usage lorsqu'on croit que la nourriture est impure. Eviter de faire , de cette question, nu sujet de scandale. Avant tout, la paix, la joie, la concorde dans le Seigneur. Il vaut mieux même s'abstenir des aliments purs, que de forcer le prochain à manger des aliments qu'il a tort de regarder comme impurs.
3 et 4. Laisser Dieu agir. Jamais la vraie religion n'a été plus facile à découvrir. Eloge de la piété d'Abraham, en dépit des profondes ténèbres de son temps. Tous connaîtront Dieu, depuis le plus petit jusqu'au plus grand. De la conduite que les chrétiens doivent tenir pour amener, par l'exemple de leur vie, les païens à la religion.
1. Après avoir réprimandé d'abord celui qui jugeait son frère, et l'avoir ainsi détourné de l'habitude d'adresser au prochain des paroles amères, il prononce sur le dogme, et instruit paisiblement le moins avancé; et il montre, dans l'accomplissement de cette tâche, une grande douceur. Il ne parle point de punition, ni de rien de pareil ; mais il écarte seulement toute espèce de crainte en cette affaire, afin que l'on écoute plus facilement ses paroles. Il dit donc : « Je sais, et je suis persuadé ». Ensuite, pour qu'un de ceux qui ne croyaient pas encore, ne lui dise pas : Et que nous importe que vous soyez persuadé? Vous n'avez pas assez d'autorité pour vous opposer à, une loi si digne de nos respects, à des oracles appointés d'en-haut ;l'apôtre ajoute: «Dans le Seigneur » : C'est-à-dire, c'est d'en-haut que me vient ce que je sais, c'est du Seigneur que je tiens ma persuasion; n'y voyez pas l'opinion d'un homme. Eh bien donc, de quoi êtes-vous persuadé, et que savez-vous ? Parlez. « Que rien n'est impur de soi-même ». Par le fait de la nature, dit-il, rien n'est souillé ; ce qui produit la souillure, c'est l'intention de celui qui use des choses; c'est pour celui-là seul qu'il y a souillure, et non pour tous. « Rien n'est impur », dit l'apôtre, « qu'à celui qui le croit impur ». Pourquoi donc ne pas corriger son frère, pour qu'il ne croie pas la chose impure? Pourquoi ne pas détourner de la croyance qui lui est habituelle, pourquoi ne pas user d'autorité afin qu'il ne rende pas, par sa manière de penser, la chose impure? Je crains, dit l'apôtre, de l'affliger : aussi ajoute-t-il : « Mais si, en mangeant de quelque chose, vous attristez votre frère, dès lors vous ne vous conduisez plus par la charité (15) ». Voyez-vous comme l'apôtre se concilie les coeurs? Il montre au chrétien faible qu'il a pour lui tant de considération que, pour ne pas l'affliger, il n'ose pas même lui prescrire ce qui est cependant très-nécessaire, qu'il aime mieux l'attirer par une condescendance pleine de charité. Et, après avoir écarté de lui la crainte, il ne lui fait pas violence, mais il le laisse entièrement maître de sa conduite. Car l'avantage de faire renoncer à un genre de nourriture, ne vaut pas l'inconvénient d'attrister son frère. Voyez-vous jusqu'où il porte le zèle de la charité ? L'apôtre sait bien que la charité peut tout redresser. Voilà pourquoi il réclame, ici, une plus grande vertu des fidèles. Non-seulement, dit-il, vous ne devez pas user de contrainte à l'égard de ceux qui sont faibles, mais s'il faut même user de condescendance, vous ne devez pas hésiter. Voilà pourquoi il ajoute ces paroles . « Ne faites pas périr par (394) votre manger celui pour qui Jésus-Christ est mort ». N'estimez-vous pas assez votre frère, pour acheter, même au prix de l'abstinence, le salut de son âme? Comment ! le Christ n'a refusé pour lui, ni d'être esclave, ni de mourir; et vous ne mépriserez pas assez la nourriture pour sauver votre prochain ? Le Christ ne devait pas conquérir tous les hommes, par son sacrifice, il ne l'en a pas moins accompli ; mourant pour tous, il a fait tout ce qui était de lui. Et vous, quand vous savez qu'à propos de cette nourriture vous jetez votre frère dans des maux terribles, vous disputez encore; celui que le Christ juge d'un si grand prix, vous le méprisez à ce point; celui que le Christ a aimé paraît vil à vos yeux ? Et ce n'est pas seulement pour les infirmes que le Christ est mort, mais pour ses ennemis ; et vous, dans l'intérêt des infirmes, vous ne pourrez pas pratiquer l'abstinence? Le Christ a fait le plus grand sacrifice, et vous ne ferez pas le plus petit? Et cependant il est le Seigneur, et vous, vous êtes un frère. Assurément ces paroles suffisaient pour couper court au mal; car elles montrent quelle est la petitesse d'une âme qui, après avoir reçu de Dieu de grands bienfaits, ne le paye pas du moindre retour. « Que votre bien donc ne soit point blasphémé. Car le royaume de Dieu ne consiste pas dans le boire ni dans le manger (16, 47) ». Le bien, c'est ici, ou la foi, ou l'espérance des récompenses à venir, ou la parfaite piété. Non-seulement, dit l'apôtre, vous ne rendez aucun service à votre frère, mais vous exposez et l'Evangile même, et la grâce de Dieu, et le don du ciel aux mauvais discours des hommes. Vos combats, vos disputes, les ennuis que vous causez, les scissions que vous provoquez dans l'Eglise, vos outrages à votre frère, votre haine contre lui, excitent les mauvais discours du dehors : de sorte que non-seulement, par là, vous ne corrigez rien, mais vous produisez un effet tout contraire. Votre bien c'est la charité, c'est l'amour fraternel, c'est l'union, c'est la concorde, c'est la paix, la vie douce et clémente. Ensuite, nouvelle raison pour mettre un terme aux scrupules timorés de l'un, à l'esprit disputeur de l'autre, il dit : « Car le royaume de Dieu ne consiste pas dans le boire ni dans le manger». Est-ce que c'est par là que nous pouvons être justifiés? C'est ce qu'il dit ailleurs encore: « Si nous mangeons, nous n'en aurons rien davantage devant Dieu, et si nous ne mangeons pas, nous n'en aurons rien de moins ». (I Cor. VIII, 8.) Il n'y a pas de preuve à faire ici, une simple assertion suffit. Ce que dit l'apôtre revient à ceci : croyez-vous que c'est le manger qui vous donne le royaume du ciel? Aussi l'apôtre, se moquant de l'importance qu'ils attachent aux aliments, ne dit pas seulement que ce royaume ne consiste pas dans le manger, il dit, en même temps, ni dans le boire. Quels sont donc les titres qui nous donnent l'entrée au ciel. La justice, la paix, la joie, la pratique de la vertu, la concorde fraternelle, que contrarient de pareilles contestations; la joie de l'harmonie que ruinent de semblables reproches. Ces réflexions, l'apôtre le adressait, non pas à un seul des deux partis, ais à l'un et à l'autre à la fois, parce qu'il y a ait opportunité de les faire entendre aux uns et aux autres. 2. Ensuite, après avoir parlé de paix et de joie (comme on peut trouver la paix et la joie même en faisant le mal), l'apôtre, après avoir dit: « Mais dans la justice, dans la paix et dans la joie », ajoute: « Que donne le Saint-Esprit ». Ainsi, celui qui cause la perte de son frère, trouble la paix et la joie, et il lui fait plus de tort que le malfaiteur qui ravirait de l'argent. Et ce qu'il y a de plus détestable, c'est qu'un autre a sauvé celui à qui vous faites tant de mal, et que vous perdez. Maintenant, comme ces pratiques, à savoir le genre des aliments, et cette apparence de vie parfaite ne conduisent pas dans le royaume de Dieu, et ne font que conduire à tous les désordres, comment ne pas mépriser des choses sans valeur, pour s'assurer des plus considérables? Ensuite , comme c'était la vaine gloire qui inspirait secrètement ces reproches adressés aux chrétiens judaïsants, l'apôtre ajoute : « Celui qui sert Jésus-Christ en cette manière, est agréable à Dieu et approuvé des hommes (18) ». On n'admirera pas autant votre perfection de vie, que votre paix et votre concorde. Ce sont là, en effet, des biens dont tous pourront jouir, mais votre perfection de vie ne sert à personne. «Appliquons-nous donc à rechercher ce qui peut entretenir la paix parmi nous, et observons tout ce qui peut nous édifier les uns les autres (19) ». La première partie de ce conseil regarde le faible qui ne doit pas troubler la paix; la seconde concerne le plus (395) fort, qui ne doit pas mépriser son frère. Toutefois l'apôtre en fait un conseil qui s'adresse à tous, quand il dit : « Les uns les autres »; il montre par là que, sans la paix, l'édification n'est pas facile. «Que le manger ne soit pas cause que vous détruisiez l'ouvrage de Dieu (20) » ; ce qui veut dire, le salut de votre frère, réflexion qui doit inspirer de la crainte, en montrant que celui qui réprimande agit au rebours de- ce qu'il désire. En effet, non-seulement, dit 'apôtre, vous n'édifiez pas ce que vous croyez édifier, mais vous détruisez , non l'édifice d'un homme, mais l'édifice de Dieu, et cela sans une grande raison, en ne poursuivant qu'un but chétif; «Que le manger ne soit pas cause », dit-il. Ensuite, pour empêcher que ces concessions n'affermissent le plus faible dans ses erreurs, l'apôtre se retourne vers lui, et lui fait la leçon : « Ce n'est pas que toutes les viandes ne soient. pures, mais un homme fait mal d'en manger, lorsqu'il le fait par le scandale, c'est-à-dire avec une conscience mauvaise. Ainsi quand vous auriez contraint votre frère, et que, de force, il aurait mangé, il n'y aurait là aucun profit; ce n'est pas la nourriture qui souille, mais lintention de celui qui mange. Si donc vous ne corrigez pas cette intention, tous vos efforts sont vains , et vous n'avez fait que nuire; car il y a bien de la différence entre croire simplement qu'une viande est impure, ou d'en manger lorsqu'on la croit telle. Lors donc que vous violentez cette âme faible, vous péchez doublement : vous augmentez son préjugé en le combattant, vous l'obligez de manger d'une chose qu'elle croit impure. Par conséquent, tant que vous n'avez pas opéré la persuasion, n'exercez pas de contrainte. « Et il vaut mieux ne point manger de chairs, et ne point boire de vin, ni rien faire de ce qui est, à votre frère, une occasion de chute et de scandale, ou qui le blesse, parce qu'il est faible (21.) ». Voilà donc maintenant l'apôtre plus exigeant; il ne lui suffit pas qu'on s'abstienne de la contrainte, il veut encore que l'on ait de la condescendance pour le chrétien judaïsant. Car lui-même en a souvent donné l'exemple, comme quand il circoncit son disciple, quand il se rasa les cheveux, quand il fit les oblations légales. Il n'eu fait pas ici, néanmoins, une règle expresse, il se contente de parler sous forme de sentence, il ne veut pas tomber dans l'inconvénient d'encourager la nonchalance des moins avancés. Que dit-il? « Et il vaut mieux ne point manger de chairs ». Et que dis-je, de chairs? Quand ce serait du vin, quand ce serait tout ce que vous voudrez qui serait une occasion de scandale, abstenez-vous; rien ne peut entrer en comparaison avec le salut de votre frère. Et c'est ce que le Christ nous fait assez voir, lui qui est descendu du ciel, et qui a tout souffert pour nous. Il y a un reproche sensible pour les plus forts dans ces trois mots .: « Une occasion de chute et de scandale, ou qui le blesse, parce qu'il est faible ». Ne m'objectez pas, dit l'apôtre, que vôtre frère agit sans raison, mais que vous pouvez le corriger. Sa faiblesse est une raison suffisante pour que vous lui veniez en aide, d'autant plus qu'il n'en résulte pour vous aucun tort. Car cotre condescendance ne sera point une hypocrisie, mais une indulgence édifiante et sage. Si vous usez de contrainte à son égard, il vous résiste, il vous condamne, et il s'opiniâtre dans son préjugé et dans son scrupule; si, au contraire, il vous trouve indulgent , il se prend d'affection pour vous; votre enseignement ne lui paraît pas suspect, et il vous met à même de répandre insensiblement en lui les semences de la vérité. Mais du moment qu'il aura conçu de la haine contre vous, vous aurez fermé vous-même tout accès dans son âme à vos paroles. Donc n'usez pas contre lui de contrainte, mais vous-même abstenez-vous, à cause de lui ; non pas parce que vous regardez les aliments comme impurs, mais parce que vous seriez pour lui un sujet de scandale; par ce moyen vous accroîtrez son affection pour vous. Voilà dans quelle pensée Paul a dit: «Il vaut mieux ne point manger de chairs»; ce n'est pas que la nourriture soit Impure, mais c'est que votre frère serait scandalisé et blessé. « Avez-vous une foi éclairée? Contentez-vous de l'avoir dans le coeur (22)». Ici l'apôtre me semble faire doucement allusion à la vanité des fidèles plus avancés. Voici ce qu'il entend dire : Voulez-vous me montrer votre perfection dans la sagesse? ne me la montrez pas, qu'il vous suffise de votre conscience. 3. Quant à la foi dont parle ici l'apôtre, ce n'est pas la foi relative aux dogmes, mais celle qui est en rapport direct avec la question dont il s'agit. De la foi proprement dite, l'apôtre est le premier à dire : « Il faut confesser sa foi par ses paroles, pour être sauvé » (396) (Rom. X, 10); et ailleurs il est écrit : « Celui qui m'aura nié devant les hommes, je le renierai moi aussi ». (Luc, IX, 26.) Renier sa foi, c'est se perdre; quant à la foi qui nous occupe ici, ce qui est funeste, c'est de la confesser à contre-temps. « Heureux celui que sa conscience ne condamne point en ce qu'il veut faire ». Ici l'apôtre s'attaque encore au plus faible, et il lui montre que la seule conscience suffit à l'autre. Quand même on ne vous verrait pas, vous vous suffisez à vous-même, pour votre félicité. En effet, après avoir dit qu'on doit se contenter d'avoir la foi dans le coeur, Paul, qui ne veut pas que ce tribunal de la conscience paraisse peu respectable, dit que vous devez le mettre au-dessus de toute la terre. Quand tous les hommes vous accuseraient, si vous ne vous condamnez pas vous-mêmes, si votre conscience ne vous fait pas de reproches, vous êtes heureux. L'apôtre ne parle pas ici de tous les hommes absolument. Il en est un grand nombre qui ne se condamnent pas, et qui commettent des fautes très-graves; ce sont là les plus malheureux de tous les hommes; mais la pensée de Paul ne dépasse pas les bornes du sujet tout particulier qu'il traite ici. « Mais celui qui, étant en doute s'il peut manger d'une viande, ne laisse pas d'en manger, est condamné (23) ». Encore une réflexion pour que l'on traite avec ménagement les moins avancés. Quel avantage en effet qu'ils mangent sans être sûrs de pouvoir le faire, et qu'ils se condamnent eux-mêmes? Celui que j'estime, moi, c'est celui qui mange de tout, à la condition qu'il n'éprouve aucune hésitation à le faire. Voyez coin me il les invite non-seulement à manger, mais à manger en toute pureté de conscience. Ensuite il dit pourquoi tel est condamné, « Parce qu'il n'agit pas selon sa foi » ; ce n'est pas parce que la nourriture est impure, mais parce qu'on n'agit pas selon sa foi : celui qui a mangé, ne croyait pas que la nourriture était pure, c'est quoiqu'il la crût impure qu'il y a goûté. Par ces paroles, l'apôtre montre aux plus avancés toute l'étendue du mal qu'ils font, en ayant recours à la violence, et non à la persuasion, pour faire goûter à des viandes que l'on croit impures ; il veut, par ces réflexions, faire cesser les reproches adressés aux chrétiens judaïsants. « Or, tout ce qui ne se fait point selon la foi, est péché ». Voilà un homme qui n'a pas la certitude, dit l'apôtre, il n'a pas la foi que la chair est pure, comment ne ferait-il pas un péché ? Toutes ces paroles ne s'appliquent, dans la pensée de Paul, qu'au sujet en question, et non à tous les sujets. Et considérez combien l'apôtre s'occupe d'éviter les occasions de scandale. Plus haut, il disait : « Si en mangeant de quelque chose vous attristez votre frère, dès lors vous ne vous conduisez plus par la charité ». Il ne faut pas chagriner son frère; à bien plus forte. raison convient-il de n'être pas pour lui un sujet de scandale. Et encore : « Que le manger ne soit pas cause que vous détruisiez l'ouvrage de Dieu». C'est un crime, c'est un sacrilège de détruire l'église matérielle ; à bien plus forte raison, le temple spirituel, car l'homme est plus auguste, plus précieux qu'un édifice de pierre. Ce n'est pas pour les murailles que le Christ est mort, mais pour ces temples dont je parle. Soyons donc circonspects, mes frères, et ne donnons à personne la moindre prise contre nous. La vie présente est un stade, il faut savoir regarder de tous les côtés à la fois, et ne pensons pas qu'il suffise d'ignorer pour être excusé. Il y a, n'en doutez pas, il y a un châtiment pour l'ignorance, quand l'ignorance est impardonnable. Les Juifs étaient dans l'ignorance, mais leur ignorance ne méritait pas le pardon ; les Grecs étaient aussi dans l'ignorance, mais ils ne peuvent invoquer d'excuse. Quand vous ignorez ce qu'il vous est impossible de connaître, vous êtes excusables ; mais quand ce que vous ne savez pas est facile à connaître, quand vous pouvez l'apprendre, vous devez vous attendre à la plus rigoureuse des réparations. D'ailleurs, si nous ne nous enfonçons pas à plaisir dans nos ténèbres, si nous faisons tout ce qui dépend de nous pour nous en retirer, Dieu, pour nous aider à en sortir, nous tendra la main ; c'est ce que Paul disait aux Philippiens : « Si en quelque point vous pensez autrement, Dieu vous découvrira ce que vous devez croire ». (Phil. III, 15.) Mais quand nous ne voulons pas faire même ce qui ne dépend que de nous, nous ne devons pas nous attendre à son secours : c'est ce qui est arrivé aux Juifs. « C'est pourquoi je « leur parle en paraboles », dit le Christ, « parce qu'en voyant ils ne voient point ». (Matth. XIII, 13.) Comment se faisait-il qu'en voyant ils ne vissent point? Ils voyaient les démons chassés, et ils disaient : « Il est (397) possédé du démon » ; ils voyaient les morts ressuscités, et ils ne l'adoraient pas, au contraire, ils s'efforçaient de le tuer. Corneille ne se montrait pas ainsi. II faisait avec soin tout ce qui dépendait de lui, et voilà pourquoi Dieu fit le reste. Ne dites donc pas : Comment Dieu a-t-il pu abandonner, un tel, cet homme plein de sincérité, d'honnêteté, tel païen ? D'abord, en fait de sincérité, les hommes ne peuvent pas porter de jugement; le jugement n'appartient qu'à celui qui a fait les coeurs : ensuite on peut encore dire que bien souvent tel homme n'a montré ni aucun souci, ni aucun zèle pour la vérité. Et comment le pouvait-il, direz-vous, avec sa simplicité et sa bonne foi ? En vérité considérez-le donc, je vous en prie, cet homme simple et sincère, examinez-le en ce qui concerne les affaires du siècle, vous verrez qu'il y a montré une très-grande application s'il en eût montré autant pour les choses spirituelles, Dieu ne l'aurait pas négligé; car la vérité est plus claire que le soleil. En quelque pays qu'on soit, le salut est facile, avec un- peu d'attention , pour peu qu'on attache de l'importance à cette affaire. Est-ce que cette histoire de notre salut n'a pas dépassé la Palestine? est-elle renfermée dans ce petit coin de la terre? N'avez-vous pas entendu cette voix du prophète : « Tous me connaîtront, depuis le plus petit jusqu'au plus grand ». (Jér. XXXI, 34.) Ne voyez-vous pas l'accomplissement de la vérité ? Quel pardon peuvent-ils donc espérer, ceux qui voient la vraie croyance propagée, et qui ne se meuvent pas, qui ne s'inquiètent pas, qui ne font rien pour s'instruire ? 4. Mais prétendez-vous, dit-on , exiger cet empressement d'un paysan, d'un barbare? Oui, et non-seulement d'un paysan, d'un barbare, mais encore de l'homme le plus enfoncé de tous dans la barbarie. Car enfin, je vous le demande, comment se fait-il que dans la vie ordinaire il sache repousser une injure, résister à la violence, user de tous les moyens pour se préserver de la moindre atteinte, et qu'au contraire, dans les choses spirituelles, il ne montre pas la même prudence? Quand il s'agit d'adorer une pierre qu'il prend pour un Dieu, de célébrer des fêtes, il dépense son argent et manifeste beaucoup de scrupule, il ne se montre jamais négligent par simplicité; ce n'est que quand il faut reconnaître quel est le vrai Dieu, que vous venez me parler de sincérité, de simplicité ! Non, non, la vérité n'est pas là, votre simplicité n'est qu'un engourdissement coupable. Car enfin où est la simplicité, la rusticité, où la trouvons-nous? chez les contemporains d'Abraham , ou chez les nôtres? Elle fut, n'en doutons pas, chez les hommes des anciens temps. Et à quelle époque a-t-il été plus facile de trouver la religion sainte, aujourd'hui ou autrefois? De nos jours, évidemment. De nos jours, chez tous les hommes, le nom de Dieu a été proclamé, la voix des prophètes a retenti, les événements se sont accomplis, les païens ont été confondus; dans les anciens temps, la plus grande partie de la race humaine, sans doctrine, était sous la domination du péché; ni loi, ni enseignement, ni prophète, ni miracles, ni préceptes, ni foule plus instruite, ni secours pour l'esprit; obscurité profonde, nuit sans lune, nuit d'hiver, où toutes choses gisaient dans l'engourdissement. Et pourtant cet homme admirable, ce patriarche généreux, en dépit de tant d'obstacles, reconnut Dieu, pratiqua la vertu, remplit un grand nombre d'hommes du zèle qui l'animait, et fit tout cela sans rien connaître de la sagesse du dehors. Où l'aurait-il trouvée, les lettres n'existant pas encore? Qu'importe? Comme il fit tout ce qui dépendait de lui, Dieu, de son côté, fit le reste. Vous ne pouvez pas dire qu'Abraham hérita de la piété de ses pères : il était idolâtre. Eh bien, quoique sorti de tels ancêtres, quoique barbare, élevé au milieu de barbares, sans maître pour lui apprendre la religion, il connut Dieu, et chez tous ses petits enfants, qui ont pu jouir de la loi et des prophètes , son nom est entouré d'une gloire, d'une vénération que rien ne saurait exprimer. L'explication de cette histoire? C'est que les affaires de la vie du siècle l'inquiétaient peu, c'est qu'il était entièrement adonné aux choses spirituelles. Et Melchisédech? N'était-ce pas un homme des mêmes temps, et sa gloire ne lui a-t-elle pas mérité le titre de prêtre du Seigneur ? C'est qu'il est impossible, absolument impossible que celui dont l'esprit est vigilant soit négligé de Dieu. Ne vous troublez pas à mes paroles; mais tous parfaitement convaincus que tout dépend de la bonne volonté, regardons, considérons bien où nous en sommes, afin de devenir meilleurs. Ne demandons pas à Dieu des comptes, ne cherchons pas à savoir pourquoi il a négligé un tel, appelé, au contraire, un tel. Ce serait (398) faire comme un serviteur en faute qui perdrait le temps à censurer l'administration de son maître. Malheureux, infortuné, au lieu de t'inquiéter de tes propres comptes, des moyens d'apaiser ton maître, tu t'avises de demander des comptes à celui à qui tu en dois rendre ! tu négliges ce qui doit te faire punir un jour ! Que dirai-je donc au païen, me demande-t-on? Précisément ce qui vient d'être dit. Et considérez non-seulement ce que vous pouvez dire au païen, mais la manière de le corriger. Quand l'examen qu'il fait de votre vie, est pour lui une occasion de scandale, pensez alors à ce que vous lui direz. Vous ne payerez pas pour lui-même, s'il est scandalisé; toutefois si votre manière de vivre le blesse, vous courez les plus affreux dangers. Il vous entend disserter sur le royaume de Dieu, et il vous voit épris des choses présentes ; il vous voit craindre l'enfer, et en même temps redouter les malheurs d'ici-bas; voilà ce qui doit vous donner des inquiétudes. Le païen vous accuse, et vous dit : Si vous aspirez au royaume du ciel, pourquoi ne méprisez -vous pas les choses présentes? Si vous êtes dans l'attente du redoutable tribunal, pourquoi ne méprisez-vous pas les malheurs présents? Si vous espérez l'immortalité, pourquoi ne vous moquez-vous pas de la mort? A de tels discours, méditez votre défense. On vous voit trembler pour une perte d'argent, vous qui attendez le bonheur du ciel; pour une obole de profit, la joie vous inonde; vous trahissez votre âme pour un peu d'argent, voilà ce qui doit vous donner des inquiétudes; car voilà, voilà ce qui scandalise le païen. Donc, si vous avez souci de votre salut, préparez votre défense à cette occasion, votre défense, non par des paroles, mais par vos actions. Jamais la question dont nous parlions tout à l'heure n'a été pour personne un sujet de blasphémer Dieu, mais une mauvaise conduite provoque des milliers de blasphèmes. Corrigez-vous donc de ces désordres. Le païen, d'ailleurs, ne manquera pas de vous dire encore : et comment pais-je savoir que Dieu n'a commandé que ce qu'il est possible de pratiquer? Vous êtes chrétien de père en fils, élevé dans cette bonne religion, et pourtant vous ne faites rien de digne de cette religion. Que lui répondrez-vous? Il faudra vous borner pour toute réponse à lui dire : Je vous montrerai d'autres personnes qui pratiquent les vertus chrétiennes, à savoir les moines des déserts. Ne rougissez-vous pas, vous qui vous confessez chrétien, de vous en remettre aux autres parce que vous ne pouvez pas montrer en.vous-même la pratique des devoirs d'un chrétien ? Le païen vous répondra sur-le-champ : Quelle est donc la nécessité de se transporter sur les montagnes et dans les déserts ? Si la sagesse n'est pas possible au milieu des villes, vous attaquez gravement cette religion qui fait un devoir de sortir des cités pour courir aux déserts. Montrez-moi un homme ayant femme et enfants, une maison à lui, et pratiquant la vertu chrétienne. Eh bien ! que répondrons-nous? n'y a-t-il pas là à baisser la tête et rougir ? Le Christ, en effet, n'a pas commandé d'aller vivre au désert, mais qu'a-t-il dit? « Que votre lumière brille devant les hommes » (Matth. V, 16) ; il ne dit pas Devant les montagnes, ni les déserts ou les lieux inaccessibles. Ce que je dis maintenant, ce n'est pas pour dénigrer ceux qui ont occupé les montagnes, mais pour déplorer le malheur de ceux qui habitent les villes, et qui en ont banni la vertu. C'est pourquoi, je vous en conjure, rappelons cette sagesse qui est sur les montagnes, faisons-la rentrer dans nos murs, afin que les cités deviennent réellement des cités : voilà la manière de corriger le païen, voilà la manière d'éviter mille scandales. Voulez-vous à la fois, et le délivrer de tout scandale, et vous assurer à vous-même le bonheur de jouir d'innombrables récompenses? Corrigez votre propre vie, rendez-vous de tous les côtés, resplendissant. « Afin que les hommes voient vos bonnes oeuvres, et qu'ils glorifient votre père qui est dans les cieux ». C'est ainsi que nous pourrons jouir de cette gloire, nous aussi, gloire éclatante, ineffable ; puissions-nous tous l'obtenir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
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