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HOMÉLIE IV. NE POUVANT DONC ATTENDRE PLUS LONGTEMPS, JE VOUS L'AI ENVOYÉ, POUR RECONNAÎTRE L'ÉTAT DE VOTRE FOI, AYANT APPRÉHENDÉ QUE LE TENTATEUR NE VOUS EUT TENTÉS, ET QUE NOTRE TRAVAIL NE DEVINT INUTILE. MAIS TIMOTHÉE, ÉTANT REVENU VERS NOUS, APRÈS VOUS AVOIR VUS, ET NOUS AYANT APPORTÉ LA BONNE NOUVELLE DE VOTRE FOI ET DE VOTRE CHARITÉ, ET DU BON SOUVENIR, QUE VOUS AVEZ SANS CESSE DE NOUS, QUI VOUS PORTE A DÉSIRER DE NOUS VOIR, COMME NOUS AVONS AUSSI LE MÊME DÉSIR POUR VOUS, NOUS TENONS A VOUS DIRE, MES FRÈRES, QUE, DANS TOUTES LES AFFLICTIONS ET DANS TOUS LES MAUX QUI NOUS ARRIVENT, VOTRE FOI NOUS FAIT TROUVER NOTRE CONSOLATION EN VOUS; QUE NOUS VIVONS MAINTENANT, SI VOUS DEMEUREZ FERMES DANS LE SEIGNEUR. (III, 5-8 JUSQU'À LA FIN DU CHAPITRE.)
Analyse.
1-3. Les prophètes, les saints ne connaissent pas tout, ils participent à la faiblesse humaine. Pourquoi Dieu a voulu qu'il en fût ainsi. Affection de saint Paul pour les fidèles; ses inquiétudes, en ce qui concerne leur foi et leurs moeurs. Raisons du voyage de Timothée, envoyé par saint Paul, à Thessalonique. C'est du coeur que vient le mal de la corruption ; tel, sans faire d'actions mauvaises, est perverti.
4. Contre l'impureté. De l'amour pur, de lamour des saints en général et de saint Paul en particulier; de sa tristesse et de ses larmes pour les pécheurs.
5. Courage, bonté, chasteté de Joseph. De l'oubli des injures, de la facilité à pardonner, de l'humilité. Rompons tous nos liens, ne différons pas l'uvre de notre salut.
1. La question qui se pose aujourd'hui devant nous, occupe un grand nombre de personnes, et se représente bien souvent. Quelle est cette question ? «Ne pouvant donc », dit-il,« attendre plus longtemps, je vous ai envoyé « Timothée pour reconnaître l'état de votre (199) foi ». Que dites-vous? Celui qui connaît tant de choses, celui qui a entendu les paroles mystérieuses, celui qui est monté jusqu'au troisième ciel, il y a quelque chose qu'il ne connaît pas, et cela lorsqu'il est à Athènes, dans une ville qui n'est pas très-éloignée de Thessalonique, quand la séparation date de si peu de temps? « Comme des orphelins » , dit-il, « loin de vous pour un peu de temps ». (Chap. II, 17.) Ainsi un tel homme ne connaît pas l'état de ceux de Thessalonique, et il faut nécessairement qu'il leur envoie Timothée, pour reconnaître l'état de leur foi? « Ayant « appréhendé » , dit-il, « que le tentateur ne « vous eût tentés, et que notre travail ne de« vînt inutile ». Quoi donc, dira-t-on , est-ce que ces grands saints ne savaient pas tout ? Non; et c'est ce que l'on peut conclure d'un grand nombre d'anciens exemples et de ceux qui les ont suivis. Ainsi Elisée ne connaissait pas la pauvre veuve. (IV Rois, IV.) Ainsi Elie disait à Dieu : « Je suis demeuré seul, ils cherchent encore à m'ôter la vie » ; ce qui lui valut de Dieu cette réponse : « Je me suis « réservé sept mille hommes ». (III Rois, XIX, 10, 18.) Et quand Samuel fut envoyé pour oindre David, le Seigneur lui dit : « N'ayez égard, ni à sa bonne mine, ni à la grandeur de sa taille, parce que j'ai rejeté Saül, et que je ne juge pas des choses par ce qui en paraît aux yeux des hommes; car l'homme ne voit que le dehors, mais le Seigneur regarde le fond du coeur » (I Rois, XVI, 7) ; ce qui marque la sollicitude et la providence de Dieu. Comment et pourquoi? Et pour les saints eux-mêmes, et pour ceux qui se confient aux saints. Car, de même que c'est Dieu qui permet les persécutions, de même c'est encore Lui qui permet que les saints ignorent beaucoup de choses, afin de les réduire à la modération; de là ce que Paul disait lui-même . « J'ai ressenti, dans ma chair, un aiguillon qui est j'ange de Satan , pour me donner des soufflets » (II Cor. XII, 7), cest-à-dire pour que je ne m'élève pas trop dans mes pensées. Dieu l'a voulu ainsi pour que les autres hommes n'allassent pas s'imaginer de trop grandes choses à son sujet. Et en effet, si à voir les miracles que les saints ont opérés, on les a pris pour des dieux (Act. XIV, 10) , cette erreur se serait bien plus propagée , s'ils eussent toujours montré la connaissance de toutes choses. Aussi le même Paul dit encore : « Je ne veux pas que l'on m'estime au-dessus de ce que l'on voit en moi, ou de ce que l'on entend dire de moi ». (II Cor. XII, 6.) Et maintenant, écoutez les paroles de Pierre, quand il eut guéri le boiteux : « Pourquoi nous regardez-vous avec des yeux étonnés, comme si c'était par notre vertu, ou par notre puissance, que nous eussions fait marcher ce boiteux? » (Act. III, 12.) Si ces paroles, ces actions, malgré l'infirmité de ceux qu'on entendait, qu'on voyait, provoquaient des suppositions fausses, que serait-il arrivé s'ils eussent été revêtus de toute espèce de grandeur? Pierre ne veut pas qu'on puisse attribuer à une nature surhumaine, dont les apôtres seraient doués , les grandes oeuvres qu'ils opèrent; il veut prévenir une adoration insensée; voilà pourquoi il montre la faiblesse des apôtres; il veut couper court à tout prétexte d'orgueil, et voilà pourquoi Paul montre ici une certaine ignorance; voilà encore pourquoi, bien qu'il se fût souvent proposé d'aller à Thessalonique , il n'y a pas été; c'est pour qu'on sache, à n'en pas douter, qu'il y a beaucoup de choses qu'il ignore; cette ignorance offrait donc un grand avantage. D'ailleurs , même avec cette ignorance, il y avait encore un grand nombre de gens qui le nommaient la grande vertu de Dieu; d'autres l'exaltaient de diverses manières; s'il n'eût pas paru ignorant, que n'auraient-ils pas pensé de lui? Maintenant , il semble qu'il y ait, dans ces paroles, comme un reproche; si pourtant on les considère avec attention , elles montrent bien plutôt que les gens de Thessalonique méritent l'admiration, par leur vertu qui surmontait les tentations. Comment cela? Soyez attentifs. En effet, vous leur avez d'abord dit, ô bienheureux Paul, que vous étiez destiné pour souffrir ces maux, et de plus, vous leur avez encore dit, que personne donc ne se trouble; pourquoi, maintenant, leur envoyez-vous Timothée , comme si vous aviez peur que ce que vous redoutez n'arrive ? L'apôtre n'écoute ici que son affection; ceux qui aiment redoutent même les dangers qui n'existent pas, c'est le caractère d'une charité ardente; de plus, l'apôtre s'inquiète du grand nombre des tentations. Sans doute , j'ai dit, « ce à quoi nous sommes destinés » , mais l'excès des maux m'a effrayé. Aussi l'apôtre ne dit-il pas qu'il les condamne, en leur envoyant Timothée (200) , mais : « Ne pouvant pas attendre plus longtemps », paroles où respire l'amitié. Que signifie, « ayant appréhendé que le tentateur ne vous eût tentés?» Voyez-vous que les tentations qui . nous font chanceler, sont des uvres du démon, qui proviennent de ce qu'il veut nous égarer? S'il ne peut pas nous ébranler nous-mêmes, il ébranle, en nous attaquant, ceux qui sont plus faibles : c'est là l'effet d'une faiblesse insigne, d'une faiblesse inexcusable. C'est ce qu'il fit, à propos de Job, en excitant son épouse : « Maudissez Dieu », lui dit-elle, « et mourez». (Job. II, 9.) Voyez comme le démon l'a tentée. Maintenant, pour. quoi l'apôtre ne dit-il pas: Ne vous eût ébranlés, mais: « Ne vous eût tentés? » C'est que, dit-il , j'ai soupçonné seulement que vous pouviez avoir été tentés; il se garde bien d'appeler cette tentation un ébranlement. Il faut accepter le choc pour être ébranlé. Ah ! voyez la tendresse de Paul. Il oublie ses afflictions, les perfidies qui l'entourent. Car je pense qu'en ce moment il demeurait dans la Grèce, où saint Luc nous dit qu'il séjourna trois mois au milieu des pièges des Juifs qui voulaient le perdre. 2. Donc il oublie ses propres dangers, ne pensant qu'à ses disciples. Voyez-vous qu'il n'est pas un père selon la nature qui puisse lui être comparé? Que faisons-nous? dans les afflictions, dans les dangers, nous ne pensons plus qu'à nous; Paul, au contraire, ne craignait, ne tremblait que pour ses enfants, au point de leur envoyer, malgré les dangers qu'il courait lui-même, son unique consolateur, son unique auxiliaire, Timothée. « Et que notre travail ne devînt inutile ». Pourquoi ? Quand même ils auraient été renversés, -ce ne serait pas de votre faute, ce ne serait pas par votre négligence. N'importe, en ces circonstances, je dis que mon travail serait devenu inutile, c'est mon vif amour pour mes frères qui parle ainsi. « Ayant appréhendé que le tentateur ne vous eût tentés ». Ce qu'il fait, sans savoir s'il vous fera tomber. Eh bien ! le démon, même sans savoir s'il triomphera, nous attaque; nous, au contraire, quoique nous sachions parfaitement que nous aurons l'avantage sur lui, nous ne sommes pas en éveil? Que le démon nous attaque sans savoir l'issue de la lutte, c'est ce qui se voit à propos de Job : en effet, voici ce que disait à Dieu ce démon pervers : « N'avez-vous pas, à l'intérieur et à l'extérieur, mis un rempart tout autour de lui ? Enlevez-lui ses biens j'imagine, certes, qu'il vous bénira en face ». (Job, I, 10, 11.) Il nous tente. S'il voit un côté faible, il attaque; s'il rencontre la force., il se retire. « Et que notre travail », dit l'apôtre, «ne devînt inutile ». Ecoutons tous le récit des fatigues de Paul. Il ne dit pas: Notre ouvrage, mais « notre travail ». Il ne dit pas : Et que vous vous perdiez, mais: «Et que notre travail n'ait été inutile». Quand vous auriez été ébranlés, je n'en serais pas surpris; mais puisque vous ne l'avez pas été, je vous admire. Voilà, dit-il, ce à quoi nous nous attendions, mais ce qui s'est produit, c'est tout le contraire : car non-seulement vous ne nous avez donné aucun sujet d'affliction, mais, de plus, vous nous avez consolés. « Mais Timothée étant revenu vers nous après vous avoir vus, et nous ayant apporté la bonne nouvelle de votre foi et de votre charité». «Et nous ayant apporté la bonne nouvelle », dit-il. Voyez-vous l'allégresse de Paul ? Il ne dit pas : Nous ayant apporté la nouvelle, mais: « La bonne nouvelle », tant il attachait de prix à leur solidité dans la foi, à leur charité. Car nécessairement, quand la foi est solide, la charité aussi est robuste. Et il se réjouissait de leur charité, parce qu'il y voyait un signe de leur foi. « Et du bon souvenir que vous avez sans cesse de nous, qui vous porte à désirer de nous voir, comme nous avons aussi le même désir pour vous ». Il y a ici des éloges : ce n'est pas seulement quand nous étions auprès de vous, ni quand nous faisions des miracles, mais maintenant encore, quand nous sommes loin de vous, frappés de coups, en proie à mille maux, que vous avez su garder un bon souvenir de nous. Ecoutez, voyez l'admiration qui s'attache aux disciples, gardant de leurs maîtres un bon souvenir, voyez combien leur sort est digne d'envie; imitons-les; car, par là, nous servons nos propres intérêts, nous ne sommes pas utiles seulement à ceux que nous aimons. « Qui vous porte à désirer de nous voir, comme nous avons aussi le même désir pour vous ». Encore un sujet de joie ici pour les fidèles. Apprendre, quand on aime, que celui qui est aimé connaît l'amour qu'on lui porte, c'est là un grand motif de joie et de consolation. « Nous tenons à vous dire, mes frères, que, (201) dans toutes les afflictions et dans tous les maux qui nous arrivent, votre foi nous fait trouver notre consolation en vous; que nous vivons maintenant, si vous demeurez fermes dans le Seigneur ». Où trouver l'égal de ce Paul qui regardait le salut du prochain comme son propre salut, qui était, à l'égard de tous, ce qu'est le corps pour ses membres? Qui nous fera entendre aujourd'hui un pareil cri de l'âme? Ou plutôt, qui concevra jamais un pareil sentiment dans son coeur? Il ne pensait pas que les fidèles dussent lui savoir gré des épreuves qu'il acceptait pour eux, mais c'est lui qui leur savait gré de ce que ses épreuves à lui n'ébranlaient pas leur constance; il a l'air de leur dire : C'est pour vous plus que pour nous,que les épreuves sont dangereuses; vous êtes plus éprouvés, vous qui ne subissez pas les souffrances, que nous qui les subissons. Mais depuis que Timothée, dit-il, nous a apporté ces bonnes nouvelles, nous ne sentons plus rien de nos douleurs, mais, « dans toutes les afflictions, votre foi nous fait trouver notre consolation »; et non-seulement dans toutes. les afflictions, mais « dans tous les maux qui nous arrivent », dit-il, et avec raison. Car un bon maître est au-dessus de toutes les douleurs, tant que ses disciples s'avancent au gré de ses désirs. C'est par vous, dit-il, que nous sommes consolés; ce qui veut dire, c'est vous qui nous fortifiez. Assurément c'était tout le contraire ; car le courage qui triomphe des souffrances, qui résiste avec fierté, un pareil exemple suffisait bien pour affermir les disciples. Mais l'apôtre voit, dans le sens opposé, l'édification qu'il raconte, il transporte l'éloge aux disciples : c'est vous, dit-il, qui avez répandu sur nous l'huile fortifiante, c'est vous qui nous avez permis de respirer, c'est vous qui nous avez enlevé le sentiment de nos souffrances. Et il ne dit pas Nous respirons, ni, nous sommes consolés, mais que dit-il? « Que nous vivons mainte« nant » ; il montre par là qu'il n'y a pour lui d'autre épreuve, d'autre mort que le scandale qui provoquerait leur chute, puisque ce qu'il regarde comme sa vie, c'est leur avancement. Quel autre a jamais exprimé ainsi, ou sa douleur de la faiblesse de ses disciples, ou la joie qu'ils lui causent? Il ne dit pas : Nous nous réjouissons, mais, « nous vivons », marquant par là la vie à venir. 3. C'est que, sous cette espérance, la vie même n'est pas une vie pour nous. Voilà quels doivent être les sentiments des maîtres, ceux des disciples ; et nul n'aura jamais à s'en repentir. L'apôtre développe ensuite cette pensée ; voyez, écoutez : « Car quelles actions de grâces pouvons-nous rendre assez dignement à Dieu, à cause de vous, pour toute la joie dont nous tressaillons, à cause de vous, devant notre Dieu; nuit et jour, le conjurant avec ardeur, pour qu'il nous soit donné de voir votre visage, afin d'ajouter à ce qui peut manquer encore à votre foi (9, 10) ? » Non-seulement, dit-il, c'est la vie que nous vous devons, mais nous vous devons aussi une joie si grande, que nous ne pouvons pas en rendre à Dieu de dignes actions de grâces. Votre perfection, nous la regardons, dit-il, comme un présent divin; vous nous avez fait tant de bien, que nous pensons que ce bien nous vient de Dieu, ou plutôt que c'est l'oeuvre de Dieu; car ni l'âme humaine, ni l'ardeur de tout le zèle humain ne sauraient rien produire de pareil. « Nuit et jour », dit-il, « le conjurant avec ardeur ». Encore des expressions où la joie éclate. Supposez un agriculteur qui entend dire que la terre arrosée de ses sueurs est chargée de fruits; il lui tarde devoir de ses propres yeux ce qui le remplit d'une joie si vive; c'est ainsi que Paul brûle de voir la Macédoine. « Le conjurant avec ardeur » , voyez combien c'est expressif; « pour qu'il nous soit donné de voir votre visage, afin d'ajouter à ce qui peut manquer encore à votre foi ». Ici, une question qui demande assez d'explications. Si vous vivez maintenant, parce que les fidèles sont solides, si Timothée vous a apporté les bonnes nouvelles de leur foi et de leur charité, si vous en avez été rempli d'une joie si vive , qu'il vous est impossible d'en rendre à Dieu de dignes actions de grâces, comment vous avisez-vous de parler de ce qui peut manquer encore à leur foi? N'auriez-vous tout à l'heure fait entendre que des flatteries? Nullement, gardons-nous d'en rien croire. L'apôtre a commencé par dire qu'ils ont soutenu nombre de combats, qu'ils n'ont pas été moins éprouvés que les Eglises de la Judée. Qu'est-ce que cela signifie? C'est qu'ils n'avaient pas eu pleine et entière communication de la doctrine, ils n'avaient pas appris tout ce qu'ils avaient à apprendre, ce que montre l'apôtre vers la fin de sa lettre. Peut-être y (202) avait-il, chez eux, des recherches au sujet de la résurrection , des agents nombreux de troubles, non plus des persécutions, des dangers pour les personnes, mais de prétendus docteurs. De là ces mots : « Ce qui peut manquer encore à votre foi » ; de là le tour que prend l'expression; l'apôtre ne dit pas : Afin de confirmer, mais « afin d'ajouter ». En effet, quand il avait craint pour la foi même : « Je vous ai », écrivait-il, « envoyé Timothée pour vous affermir » ; mais ici il n'est question que d'ajouter à ce qui peut manquer, ce qui est plutôt une oeuvre d'enseignement qu'un effort pour raffermir; c'est de même que Paul écrit ailleurs : « Pour que vous soyez parfaits pour toute bonne oeuvre». (I Cor. I, 10.) Or, ce qui est humainement parfait, c'est ce à quoi il ne manque que très peu de chose; c'est là ce qui devient parfait. « Que Dieu lui-même notre Père, et Notre-Seigneur Jésus-Christ nous conduisent vers vous. Que le Seigneur vous fasse croître de plus en plus dans la charité que vous avez les uns pour les autres, et envers tous, et qu'il la rende telle que la nôtre est envers vous (11, 12) ». C'est la marque de la plus tendre affection, non-seulement de ressentir dans son coeur un tel désir, mais encore d'exprimer ce voeu dans sa lettre; voilà la marque d'une âme brûlante et qui ne peut plus du tout se contenir; il faut remarquer aussi l'usage qui se fait ici de la prière, et en même temps une justification d'une absence qui n'était ni volontaire, ni le fait de l'indifférence. C'est comme s'il disait : Que Dieu lui-même supprime les épreuves qui nous entraînent de tous les côtés, de telle sorte qu'il nous soit donné d'aller vers vous par le plus court chemin. « Que le Seigneur vous fasse croître de plus en plus ». Voyez-vous le transport d'un amour qui ne se possède plus, qui éclate dans les paroles ? « Fasse croître et surabonder », dit-il, « de plus en plus » ; expressions plus fortes que, augmente. On pourrait dire que l'apôtre désire obtenir d'eux l'excès de leur amour. Qu'il rende votre charité, dit-il, « telle que la nôtre est envers vous ». C'est-à-dire, l'amour, nous l'éprouvons déjà, nous voulons que vous le ressentiez aussi. Voyez-vous quelle extension de charité l'apôtre réclame? La charité entre fidèles ne lui suffit pas : il lavent envers tous et partout. C'est là, en réalité, le propre de l'amour selon Dieu, il embrasse tous les hommes; aimer tel ou tel et non tel autre, ce n'est que de l'amitié à la manière des hommes. Notre amour, à nous, n'est pas de ce caractère. « Telle que notre charité est envers vous. Qu'il affermisse vos coeurs en vous rendant irréprochables, par la sainteté, devant Dieu notre « Père, en la présence de Notre-Seigneur « Jésus-Christ, venant avec tous ses saints (13) ». Il leur montre que c'est à eux que l'amour est utile, non à ceux qui sont aimés. Je veux, dit-il, que cette charité croisse, afin qu'il n'y ait aucun reproche parmi vous. L'apôtre ne dit pas : Qu'il vous affermisse, mais « Qu'il affermisse vos coeurs. Car c'est du coeur que partent les mauvaises pensées». (Matth. XV, 19.) Il peut se faire, sans qu'on opère aucune action, que l'on soit un pervers : ainsi, l'homme qui est envieux, qui ne croit à rien, le perfide, le méchant qui se réjouit du mal d'autrui, qui ne connaît pas l'affection, dont toutes les pensées sont mauvaises, tout cela vient du coeur ; la sainteté consiste à s'en purifier. A proprement parler, la sainteté c'est la chasteté parfaite, puisque l'impureté est surtout la fornication et l'adultère; maintenant, en général, tout péché est impureté, toute vertu au contraire est pureté. En effet, « Bienheureux », dit le Seigneur, « ceux qui ont le coeur pur? » (Matth. V, 8.) Les coeurs purs, dont parle ici le Seigneur, sont ceux qui le sont tout à fait. 4. Je sais bien, en effet, que les autres vices ne souillent pas moins l'âme. Voulez-vous une preuve que la malice en ternit l'éclat? Ecoutez le Prophète : « Purifie ton coeur de la malice, Jérusalem » (Jérém. IV, 14) ; et encore : « Lavez-vous, purifiez-vous, enlevez la malice de vos âmes ». (Is. I, 16.) Il ne dit pas La fornication ; donc ce n'est pas la fornication seulement, mais les autres vices aussi qui souillent l'âme. « Qu'il affermisse », dit-il, « vos coeurs, en vous rendant irréprochables, par la sainteté, devant Dieu, notre Père, en la présence de Notre-Seigneur Jésus-Christ, venant avec tous ses saints ». Le Christ sera donc alors notre juge, mais ce n'est pas seulement en sa présence, mais aussi en présence du Père que nous serons jugés. Ou bien encore, l'apôtre dit que nous devons être tout à fait irréprochables devant Dieu : c'est ce que je répète sans cesse, nous devons l'être en présence de Dieu (car c'est en cela que consiste la vertu sincère) et non-seulement, en (203) présence des hommes. C'est donc la charité qui rend irréprochable, car en réalité elle nous fait éviter toute espèce de fautes. Or, je m'entretenais, un jour, avec une personne, et je disais que la charité nous rend irréprochables, que l'amour du prochain ne laisse entrer dans notre âme aucun péché, je passais en revue tous les autres péchés; une des personnes que je connais le mieux, m'interrompit alors pour m'objecter : Et la fornication ? Aimer et se livrer à la fornication sont-ils incompatibles? N'est-ce pas au contraire de l'amour que vient ce péché? On comprend que l'amour du prochain exclue l'avarice, l'adultère, l'envie, les perfidies et tout ce qui y ressemble; mais est-ce la même chose de la fornication ? Alors moi, je lui soutins que l'amour est de nature à détruire la fornication. Car celui qui aime la femme adonnée à cette honte, s'efforcera de l'éloigner des autres hommes, et il se gardera bien de se livrer lui-même à ce péché. C'est la plus forte preuve de la haine qu'on porte à la femme impudique, que de se livrer avec elle à l'impudicité; c'est une preuve d'affection réelle, que de la détourner de cette abominable conduite. Il n'est pas, non il n'est pas de péché que la puissance de l'amour ne consume, comme fait un feu dévorant. Le sarment le plus mince résiste plus aux flammes d'un bûcher, que le péché à la puissance de l'amour. Sachons donc le faire et germer et grandir dans nos âmes, afin de pouvoir nous tenir dans la grande société des saints; tous ces illustres saints se sont rendus agréables à Dieu par leur amour du prochain. D'où vient qu'Abel a reçu la mort, et ne l'a pas donnée ? C'est qu'il était plein d'amour pour son frère; une pensée de meurtre ne pouvait entrer dans son âme. D'où vient que Caïn conçut cette envie qui l'a perdu ? Je dis Caïn, je ne veux plus l'appeler le frère d'Abel. C'est que les fondements de l'amour n'étaient pas assez solides en lui. D'où vient la gloire des fils de Noé? N'est-ce pas de leur amour pour leur père, ce qui fit, que leurs yeux ne supportèrent pas sa nudité ? D'où vient que le troisième a été maudit? N'est-ce pas parce qu'il était incapable. d'aimer? Et Abraham, d'où est venue sa gloire? sinon de l'amour qu'il a montré en s'occupant des intérêts de son neveu? de la supplication qu'il fit entendre pour les habitants de Sodome? Oui, l'amour des saints était plein de transports, plein d'ardeur; leur âme était ouverte à la pitié. Réfléchissez en vous-mêmes, concevez, s'il se peut, l'amour brûlant de Paul, l'audace avec laquelle il défie les flammes, cet homme de diamant, solide, inaltérable, en qui rien ne branle, rivé à Dieu par la crainte, qui ne fléchit jamais. « Qui donc nous séparera », dit-il, « de l'amour de Jésus-Christ? L'affliction, ou les angoisses, ou les persécutions, ou la faim, ou la nudité, ou les périls, ou le glaive ? » (Rom. VIII, 35.) Celui qui méprisait tout cela, et la terre, et la mer, celui qui se moquait des portes de l'enfer, de ces portes de diamant, celui à qui rien jamais ne résistait, le même homme, voyant les larmes de quelques-uns de ses amis, fut tellement brisé, broyé, lui, ce coeur de diamant, qu'il ne put dissimuler son émotion, qu'aussitôt il s'écria : « Que faites-vous, de pleurer ainsi, et de m'attendrir le coeur? » (Act. XXI, 13.) Que dites-vous, je vous en prie? Une larme a-t-elle pu briser ce coeur de diamant? Oui, dit-il, je résiste à tout, mais non à l'amour; il est plus fort que moi, il me domine. C'est là ce qui plaît à Dieu. Il a résisté à l'abîme des eaux, et il suffit de quelques larmes pour lui fendre le coeur. « Que faites-vous, de pleurer ainsi, et de m'attendrir le coeur? » C'est que la puissance de la charité est grande. Voulez-vous le voir encore dans les pleurs ? Ecoutez ce qu'il dit, dans une autre circonstance : « Pendant trois ans, nuit et jour », dit-il, « je n'ai pas cessé d'avertir, avec des larmes, chacun de vous ». (Act. XX, 31.) La vivacité de sa charité lui faisait craindre l'invasion de quelque fléau. Et encore : « Je vous écrivis alors, dans une grande affliction, dans un serrement de « coeur, avec une grande abondance de lai« mes ». (II Cor. II, 4.) Et maintenant, répondez-moi, que penserons-nous de ce courageux Joseph, de cet homme ferme, qui tint tête à une tyrannie si impérieuse, qui se montra si fier devant un tel foyer d'amour, qui sut combattre, repousser avec tant de noblesse la passion de sa maîtresse insensée? Quelle âme n'aurait pas été séduite? La beauté, la dignité, l'éclat du rang, la magnificence des vêtements, l'enivrement des parfums (car les odeurs embaumées sont aussi des dissolvants de l'âme), les paroles les plus caressantes, quelles séductions manquaient? 5. Vous savez fort bien que cette femme, (204) possédée par l'amour, par un amour si violent, n'aurait reculé devant aucune espèce d'abaissement, après avoir pris le ton d'une suppliante. Elle était tellement brisée, cette femme parée d'ornements d'or, cette femme, d'une condition royale, qu'elle a bien pu se jeter aux pieds d'un esclave, captif dans sa maison, qu'elle a bien pu encore le conjurer, en pleurant, en s'attachant à ses genoux, et cela, non pas une fois seulement, ni deux, mais souvent, en renouvelant tous ses efforts. Joseph pouvait voir alors surtout un oeil étincelant; il n'est pas vraisemblable qu'elle fît sa toilette sans y penser; elle devait, au contraire, mettre tous ses soins à s'embellir, en femme qui tenait à tendre de nombreux filets pour prendre l'agneau de Jésus-Christ. Ajoutez ici encore beaucoup de sortilèges et de charmes. Eh bien ! pourtant, cet homme inébranlable, solide, insensible comme la pierre, quand il vit ses frères, qui l'avaient vendu, qui l'avaient jeté dans une citerne, qui l'avaient livré, qui voulaient le tuer, qui avaient été la cause et de sa prison et de sa haute fortune, quand il apprit, de leur bouche, ce qu'ils avaient dit à son père : « Nous dirons », rapporte l'Ecriture, « qu'une bête sauvage l'a dévoré » (Gen. XXXVII, 20), il fut brisé, il sortit, il se sentit fondre, il sentit son coeur se briser, ses larmes jaillissaient; ne pouvant supporter son émotion, il sortit, puis il revint, « se faisant violence » (Gen. XLIII, 30), c'est-à-dire, essuyant ses larmes. Comment, que fais-tu , ô Joseph ? tu pleures? Mais convient-il donc de verser des larmes? Ce qu'il faut ici, c'est que ta colère éclate, et ta fureur, et ton indignation, et que tu infliges un châtiment terrible, que tu exiges une juste réparation; tu tiens tes ennemis en tes mains, ces meurtriers de leur frère, et tu peux satisfaire ta vengeance. Et, ce faisant, tu ne commettras pas une action contre la justice, ce n'est pas toi qui commences l'oeuvre de la violence, tu te venges de ceux qui ont usé de violence contre toi. Ne considère pas ta dignité, ton rang; ce n'est pas à ces traîtres que tu dois ton élévation, mais à Dieu, qui a sur toi répandu ses faveurs. Qu'as-tu à sangloter? Joseph répondrait : J'ai, pour moi, l'estime de tous, loin de moi le malheur de tout perdre par cette rancune vindicative . en vérité, je n'ai rien autre chose à faire, en ce moment, qu'à pleurer. Je ne suis pas plus cruel que les bêtes féroces ; on les voit, par un instinct naturel, se réconcilier, quels que soient les maux qu'elles aient soufferts. Je pleure, uniquement de ce qu'ils ont pu me traiter ainsi. Imitons-le, à notre tour, et pleurons sur ceux qui nous font une injure; ne nous irritons pas contre eux; ils sont réellement dignes de larmes, parce qu'ils se mettent sous le coup. de la punition et du supplice. Je n'ignore pas quelles larmes vous versez maintenant, quelle joie vous pénètre; vous admirez Paul, vous êtes, devant Joseph, en extase, vous leur donnez le titre de bienheureux. Mais voici ce qu'il faut faire : s'il arrive que l'un de vous a un ennemi, que celui-là y pense en ce moment, qu'il y tienne sa réflexion attachée, qu'il profite de la ferveur dont son coeur s'embrase au souvenir des saints, pour fondre l'endurcissement de la colère, pour adoucir ce qu'il y a, dans son âme, de farouche rigueur. C'est que je n'ignore pas non plus que quand vous serez sortis de l'église, quand j'aurai cessé de parler, quelque reste de ferveur qui vous brûle encore, vous ne serez plus tout ce que vous êtes au moment où vous entendez la parole. Donc c'est maintenant qu'il faut rompre la glace du coeur; c'est une glace en réalité que ce souvenir qui refroidit, qui engourdit l'âme, après une injure qu'on ne veut pas oublier. Mais invoquons le soleil de justice; demandons-lui de nous envoyer ses rayons; au lieu d'une dure glace, il n'y aura plus en nous qu'une onde rafraîchissante. Une fois réchauffée au soleil de justice, notre âme n'aura plus en elle rien de dur, de raboteux ni de sec, rien de ce qui ne sert qu'à brûler, sans porter aucun fruit; on n'y trouvera plus que des fruits mûrs, doux et suaves, des sources abondantes de plaisir et de joie. Aimons-nous les uns les autres, ce rayon viendra sur nous. Accordez-moi, je vous en conjure, ce qui m'est nécessaire pour que mon discours soit un transport d'allégresse faites que j'entende dire qu'il ne vous aura pas été tout à fait inutile; qu'un de vous, au sortir de l'église, a serré bien vite les deux mains de son ennemi, s'est jeté à son cou, l'a embrassé, pressé contre son coeur, l'a couvert de ses caresses et de ses larmes. Serait-ce une bête féroce, une pierre, tout ce que vous voudrez, votre bonté l'adoucira. Car enfin pour. quoi un tel est-il votre ennemi ? Parce qu'il vous a outragé ? Mais il ne vous a fait aucun (205) mal. Mais voilà, c'est par des considérations empruntées à l'argent, que vous dédaignez ce frère, qui est votre ennemi? Non, jamais cela, je vous en conjure. Rompons tous nos liens. Nous avons l'occasion dans nos mains, sachons en faire un bon usage. Coupons les cordages qui nous attachent au péché; avant de partir d'ici pour le jugement, jugeons-nous réciproquement nous-mêmes. « Que le soleil », dit l'apôtre, « ne se couche point sur votre colère ». (Ephés. IV, 26.) Pas de délai. Les délais ne font qu'engendrer, à l'infini, les ajournements. Différer aujourd'hui, c'est ajouter à votre confusion ; hésiter demain, c'est vous apprêter plus de honte encore ; reculer après-demain, c'est vouloir encore plus de rougeur sur son front. Ne nous déshonorons pas nous-mêmes; pardonnons afin qu'il nous soit pardonné. Si nous recevons notre pardon, nous obtiendrons les biens du ciel, en Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
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