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TRAITÉ SUR LE SACERDOCELIVRE DEUXIÈMEANALYSE
Le sacerdoce est la plus grande preuve damour que lon puisse donner à Jésus-Christ. Avantage du sacerdoce. Le sang de Jésus-Christ est le prix des âmes. Amour de Jésus-Christ pour son Eglise. Les devoirs du sacerdoce sont plus grands que ceux de tout autre état. Il y en a peu qui en sont dignes. Le prêtre a une responsabilité. Les ennemis du troupeau du Seigneur. La guérison des âmes est plus difficile des brebis. La cause et lexistence même des maladies de lâme que celle sont difficiles à connaître. Nul autre remède que la persuasion. Le sacerdoce demande une âme supérieure. Combien la prudence est nécessaire au prêtre. Le sacerdoce est une fonction pleine de difficultés et de périls. Nécessité de connaître parfaitement le candidat. Excellence de la charité. Eloge de Basile. Sa charité. Pourquoi Chrysostome a refusé lépiscopat. Son refus, loin dêtre une offense pour les électeurs, les a mis à labri dune foule daccusations quon naurait pas manqué de lancer contre eux. 1. Que lon peut se servir de la ruse pour le bien, ou plutôt quainsi employée elle mérite moins ce nom que celui de conduite ingénieuse, on pourrait assurément le montrer plus longuement; mais comme ce qui a été dit le montre dune manière suffisante, il deviendrait fatigant, ennuyeux dajouter au discours des développements superflus. Ce serait maintenant à toi de prouver que ce na pas été pour ton avantage que jai suivi cette conduite à ton égard. Basile répondit: Et quel avantage ai-je donc retiré de cette ingénieuse adresse, de cette prudence, comme il te plaira de lappeler; dis-le moi, afin que je demeure persuadé que tu ne mas pas trompé. CHRYSOSTOME. Et quel plus grand avantage, lui dis-je, que dexercer un ministère que Notre-Seigneur Jésus-Christ a déclaré être une preuve de notre amour pour lui? Car sadressant au prince des apôtres : Pierre, lui dit-il, maimes-tu? Et Pierre ayant répondu: Oui, Seigneur, il ajouta: Si tu maimes, pais mes brebis. (Jean, XXI, 15). Lorsque le Maître demande au disciple sil laime, ce nest pas pour le savoir, lui qui connaît le fond des coeurs; cest afin de nous apprendre combien il sintéresse à la conduite de son troupeau. Cela est évident et entraîne une conséquence qui ne lest pas moins, savoir: quune grande et ineffable récompense attend celui qui exerce une fonction que Jésus-Christ tient en si haute estime. Par le zèle que notre domestique apporte à soigner le bétail qui lui est confié, nous jugeons de lattachement quil a pour nous, quoiquil ne sagisse que danimaux qui sachètent à prix dargent; quelle récompense, à plus forte raison, le Sauveur des âmes ne réserve-t-il pas à celui qui gouverne le troupeau racheté par lui, non par argent ni autre chose semblable, mais par sa propre mort et par leffusion de son sang? LApôtre répond : Seigneur, vous savez que je vous aime, prenant pour témoin de son amour celui même qui en était lobjet; mais Jésus-Christ ne sen tient pas là, il demande des preuves damour. Cest quen effet son désir était moins de faire voir combien Pierre laimait, puisque Pierre avait déjà donné plusieurs marques non équivoques de ses sentiments, que de nous montrer combien il aime lui-même son Eglise; il voulait donner à saint Pierre et à nous cet enseignement, afin que nous ayons nous-mêmes un grand zèle pour ses intérêts. Pourquoi Dieu na-t-il pas épargné son Fils unique? Pourquoi la-t-il livré, ce cher et unique objet de sa tendresse? Pour se réconcilier les hommes devenus ses ennemis, et pour se faire (573) un peuple particulier. Et ce Fils lui-même, pourquoi a-t-il versé jusquà la dernière goutte de son sang? si ce nest pour racheter les brebis quil a remises aux mains de Pierre et de ses successeurs. Jésus-Christ disait encore : Quel est le serviteur fidèle et prudent que son maître a établi pour gouverner sa maison? (Matth. XXIV, 45.) Voilà encore des paroles qui ont lapparence du doute; mais celui qui les prononçait ne doutait pas davantage en les prononçant, que lorsquil demandait à Pierre sil laimait, moins pour sassurer de son amour que pour montrer la grandeur du sien. De même ici quand il demande : Quel est le serviteur fidèle et prudent? Jésus-Christ le connaît assez: seulement il veut nous montrer la rareté de tels serviteurs et la grandeur de leur ministère. Quon en juge par la grandeur de la récompense quil leur destine : Je vous dis en vérité quil létablira sur tous ses biens. (Matth. XXIV, 47.) 2. Soutiendras-tu maintenant que ce nest pas pour ton bien que je tai trompé ? Toi qui vas être préposé au gouvernement des biens de Dieu, charge qui a valu à saint Pierre sa puissance et sa haute prééminence sur le reste des apôtres, selon cette parole : Pierre, dit le Seigneur, maimes-tu plus que ceux-ci ? pais mes brebis. (Jean XXI, 15.) Il aurait pu dire : situ maimes, jeûne, couche sur la dure, veille sans cesse, protége les opprimés, sois le père des orphelins, le défenseur de la veuve ; mais non: laissant là toutes ces oeuvres, que dit-il? Pais mes brebis. Ces sortes de bonnes oeuvres, la plupart des simples fidèles peuvent les pratiquer , les femmes aussi bien que les hommes; mais daussi importantes fonctions que le gouvernement dune Eglise , et la direction dun si grand nombre dâmes , non-seulement les femmes en sont exclues, mais très-peu dhommes en sont dignes. Quon présente ceux que la supériorité du mérite distingue entre tous les autres , ceux qui par la vertu de leur âme surpassent leurs frères autant que Saül surpassait les Hébreux par sa haute taille, ce nest même pas assez, à beaucoup près. Surpasser les autres hommes de toute la tête nest pas une mesure qui puisse convenir ici: quentre le pasteur et les brebis de Jésus-Christ, il y ait toute la distance qui sépare les hommes raisonnables des animaux privés de raison, cest encore trop peu dire, eu égard à la grandeur des intérêts qui sont en jeu, et au péril de la situation. Le berger qui perd des brebis, soit que les loups les aient emportées, soit que les voleurs les aient dérobées, soit quelles aient péri par la contagion ou par quelque autre accident, trouvera peut-être grâce auprès du propriétaire du troupeau, et si lon veut le traiter avec rigueur, il en sera quitte pour payer le dommage; mais que celui à qui le soin des hommes, ce troupeau raisonnable de Jésus-Christ, a été confié, en laisse perdre quelquun, ce ne sera pas son bien, mais son âme qui en répondra. Ajoutez que le combat à soutenir est bien autrement sérieux et difficile. Ici ce ne sont ni des loups à repousser, ni des voleurs à redouter, ni les atteintes dun mal contagieux à prévenir. Avec quels ennemis le ministre de Jésus-Christ est-il en guerre? contre qui lui faut-il combattre? Ecoutons lApôtre qui nous les dénonce : Nous navons pas à combattre seulement contre la chair et le sang, mais contre les principautés , contre les puissances, contre le Prince de ce monde de ténèbres, contre les esprits de malice répandus dans lair. (Ephes.VI, 12.) La vois-tu, cette multitude terrible dennemis implacables, ces affreuses phalanges non bardées de fer, mais trouvant dans leur nature de quoi sarmer de toutes pièces? Veux-tu voir une autre armée non moins cruelle et barbare, toujours en embuscade pour surprendre le troupeau? tu lapercevras du même point de vue, je veux dire que le même apôtre qui nous a mis en garde contre les premiers ennemis, nous dénonce encore ceux-ci: On connaît, dit-il, les oeuvres de la chair, qui sont la fornication, ladultère, limpureté, limpudicité, lidolâtrie, les empoisonnements, les haines, les querelles, les jalousies, les colères, les cabales, les médisances, les murmures, les enflures de coeur, les révoltes (Gal. V, 19), et beaucoup dautres que lApôtre na pas énumérés, nous laissant à juger des autres par ceux-ci. Quand il sagit de brebis proprement dites, ceux qui en veulent au troupeau voient-ils le gardien prendre la fuite; ils ne soccupent nullement de lui et se contentent de ravir les brebis; mais ici, que les malfaiteurs soient venus à bout de semparer de tout le troupeau, loin de laisser le pasteur en repos, il lassaillent avec encore plus dacharnement et daudace, et ne quittent le combat que victorieux ou vaincus. Jajouterai que les maladies des animaux sont faciles à (574) reconnaître, comme la faim, la contagion, les blessures ou toute autre cause de souffrance, grand avantage pour le traitement et la guérison des malades. En voici un autre encore plus grand et plus efficace pour le prompt rétablissement de la santé: les bergers ont le pouvoir de forcer les brebis à endurer le traitement, lorsquelles ne lendurent pas de bon gré; rien de plus facile que de les lier, lorsquil faut brûler ou couper; que de les garder longtemps enfermées, lorsque cela est utile; que de changer leur nourriture , que de les éloigner des cours deau; enfin , tous les autres remèdes quon pense devoir contribuer à la santé des troupeaux, sont de la plus facile application. 3. Il nen est pas de même des maladies des hommes; dabord il nest pas aisé de les apercevoir; il ny a que lesprit de lhomme qui sache ce qui est dans lhomme. (I Corinth. II,11.) Comment appliquer un remède pour une maladie dont on ignore lespèce, dont lexistence même nest pas toujours facile à constater, et qui, lorsquelle sest manifestée clairement, nen est que plus difficile à guérir? Car on ne peut pas traiter tous les hommes avec la même facilité que le berger traite ses brebis. Le traitement des âmes exige lui aussi quon lie, quon prive de nourriture, quon brûle et quon coupe. Par malheur lapplication du remède dépend du malade et non du médecin. Ladmirable saint Paul le savait bien; et cest pour cela quil écrivait aux Corinthiens : Nous ne prétendons pas dominer sur votre foi; nous ne faisons que coopérer à votre joie. (II. Cor. I, 23.) La chose la moins permise aux chrétiens, est de corriger par la violence les fautes des pécheurs. Dans la jurisprudence humaine, quun malfaiteur tombe sous la main de la justice, le magistrat, déployant le pouvoir étendu dont il est investi, sait bien lempêcher, bon gré mal gré, de vivre à sa fantaisie. Mais nous, nous navons, pour rendre les hommes meilleurs, dautre ressource que la persuasion, jamais la contrainte. Les lois ne nous donnent pas le pouvoir de contraindre ceux qui pèchent, et quand elles nous laccorderaient, nous ne pourrions pas en faire usage, puisque le Seigneur na de couronnes que pour ceux qui sabstiennent du mal par une volonté libre et non malgré eux. Une grande habileté est donc nécessaire pour obtenir, par la seule persuasion, que les malades se soumettent volontiers au traitement des prêtres et que même ils leur en sachent gré. Si le malade quon a lié se débat, et, comme il en est le maître, rompt ses liens, il ne le fait pas sans aggraver son mal; sil fait dévier le fer de la parole divine, une nouvelle blessure est la conséquence de son mauvais vouloir; et loccasion dune cure devient la cause dune maladie plus grave. Car il ny a personne au monde qui puisse guérir celui qui ne veut pas lêtre. 4. Que faire donc? Si tu uses de trop dindulgence là où il faudrait une grande sévérité, et que tu aies peur denfoncer le fer dans la plaie qui demande une profonde incision, tu ne traites le mal quà demi; mais aussi que tu coupes sans ménagement parce que lopération est nécessaire, il peut arriver que le malade rebuté par la violence de la douleur perde patience, quil rejette brusquement remèdes et appareils, enfin quil aille se jeter dans quelque précipice, après avoir brisé le joug et rompu les liens. Jen pourrais citer beaucoup qui se sont portés aux plus fâcheuses extrémités parce quon voulait les soumettre à toute la rigueur des peines que méritaient leurs péchés. Il ne faut pas toujours exiger dans le châtiment une mesure proportionnée à la faute; mais après un mûr examen, sassurer des dispositions de celui par qui elle a été commise, de peur quen voulant réunir ce qui est déchiré tu ne fasses une rupture pire que la première, et quavec lintention louable de relever ce qui est à terre, tu ne le précipites encore plus bas. Les âmes faibles et languissantes, plus particulièrement celles qui sont enlacées dans les plaisirs du siècle, celles que lorgueil de la naissance ou du pouvoir entretient dans une humeur altière, pourraient, ménagées avec douceur et ramenées peu à peu à faire quelque pieux retour sur elles-mêmes, se corriger sinon totalement du moins en partie, et se dégager ainsi de cette chaîne de maux qui les enveloppe. Vouloir les soumettre brusquement à une discipline sévère, ce serait les priver de ce commencement de conversion. Lâme quon a une fois forcée de braver la honte, tombe bientôt dans linsensibilité; plus de pathétiques exhortations qui la touchent, plus de menaces qui lébranlent, plus de bienfaits qui lattendrissent. Son état est pire que celui de -cette cité que le Prophète maudissait en disant:
Tu tes fait un front de prostituée, tu regardes effrontément tout le monde. (Jerem., III, 8.) Cela étant, quelle prudence ne faut-il pas au (575) pasteur, et aussi quelle clairvoyance pour sonder une âme en tous sens et discerner son état. Sil en est qui se retranchent obstinément dans un désespoir furieux et perdent toute confiance de se sauver à cause de lamertume des remèdes quils ne peuvent souffrir; il en est aussi, qui, parce quon na pas exigé deux une satisfaction eu rapport avec leurs fautes, se laissent aller au relâchement, deviennent beaucoup plus mauvais, et senhardissent à pécher toujours plus gravement. De tout cela, le prêtre ne doit rien laisser inexploré; il faut quil recherche tout exactement, et quil applique en conséquence le remède dont il dispose, sil ne veut pas perdre le fruit de ses peines. Ce nest pas tout; il faut encore réunir au corps de lEglise les membres qui en sont séparés, et que de soins et de peines ne doit-il pas prendre pour cela! Le pasteur de brebis a son troupeau qui le suit partout où il le guide; que des brebis sécartent du droit chemin, et que, quittant le bon pâturage elles sen aillent brouter en des endroits stériles et escarpés; il suffit dun cri plus fort pour ramener et réunir au troupeau la portion qui sen était séparée: mais cet homme qui a quitté le droit chemin de la foi, quil faut de soins au pasteur pour le ramener! que de persévérance! que de patience! Il ne faut pas songer à lentraîner par la force, à le contraindre par la peur. La persuasion seule peut le ramener à la vérité quil a quittée dabord. Il faut donc au pasteur une âme généreuse qui ne défaille jamais à la peine, qui jamais ne désespère du salut des égarés, qui ne se lasse jamais de penser et de dire : Peut-être que Dieu leur fera connaître un jour la vérité, et les délivrera des filets du démon. (II Timoth. XI, 25.) Cest pourquoi le Seigneur parlant à ses disciples leur dit : Quel est le serviteur prudent et fidèle? (Matth. XXIV, 43.) Qui ne travaille quà sa propre perfection ne sert que lui seul. Mais le bien du ministère pastoral sétend à tout le peuple. Quelquun distribue de largent aux pauvres, ou bien il vient en aide dune manière quelconque aux opprimés; cest là sans doute se rendre utile au prochain; mais il y a entre ce genre de service et ceux quil faut attendre du prêtre, autant de différence quil en existe entre le corps et lâme. Cest la raison pour laquelle le divin Maître disait que les soins donnés à son troupeau sont une marque de lamour quon lui porte à lui-même? BASILE. Tu naimes donc pas Jésus-Christ. CHRYSOSTOME. Si, je laime, et je ne cesserai jamais de laimer, mais jai peur doffenser celui que jaime. BASILE. Voilà une énigme à laquelle je nentends rien. Jésus-Christ, dis-tu, commande à celui qui laime de paître ses brebis; foi, tu refuses de le faire, et pour ten dispenser tu allègues lamour que tu portes à Jésus-Christ? CHRYSOSTOME. Il ny a pas dénigme dans mes paroles, elles sont très-claires et très-simples. Sans doute, si jétais capable dadministrer cette charge comme le veut Jésus-Christ, et que je refusasse de le faire, on devrait se demander ce que signifie mon langage. Mais puisque la faiblesse de mon âme me rend tout à fait inapte à cette administration, quy a-t-il dinexplicable dans ce que je dis? Oui, ce troupeau bien-aimé du Christ, je craindrais, après lavoir reçu florissant et bien nourri, de le laisser dépérir par mon incurie, et dirriter ainsi contre moi le Dieu qui la aimé jusquà se livrer lui-même pour son salut et sa rédemption. BASILE. Tu plaisantes en parlant de la sorte. Car, situ parlais sérieusement, je ne vois pas comment tu pourrais mieux prouver que jai raison de me plaindre, tout en cherchant à calmer mon chagrin. Je savais bien déjà que tu mavais trompé, trahi; mais la justification que tu as entrepris de faire de ta conduite me lapprend bien mieux encore, et je comprends parfaitement toute la gravité de la situation où tu mas engagé. Si tu tes dérobé à ce grand ministère, bien convaincu que les forces de ton âme ne suffisaient pas pour une si lourde charge, cétait moi quil fallait premièrement en éloigner, quand même jaurais eu le plus grand désir dy arriver et sans attendre que ma confiance teût laissé arbitre de mes intérêts. Mais tu nas pensé quà toi seul; pour moi, tu mas oublié. Que dis-je? plût à Dieu que tu meusses oublié : ce serait à souhaiter; mais tu as toi-même tendu le piége qui ma fait tomber dans les mains de ceux qui cherchaient à me prendre. Tu nas pas même la ressource de dire que la voix publique ta trompé; que cest elle qui ta induit à soupçonner en moi quelque grand et rare mérite. Il sen faut bien que je sois du nombre de ces hommes qui excitent ladmiration et attirent les regards du monde! Et quand on se serait livré à quelque semblable illusion en ma faveur, cétait à toi à faire plus de cas (576) de la vérité, que de lopinion de la multitude. A la bonne heure, si nos rapports habituels ne tavaient mis à même de me connaître, tu pourrais dire avec un semblant de raison, quen me donnant ton suffrage, tu nas fait que céder à lentraînement populaire. Mais sil nest personne au monde qui me connaisse plus à fond, pas même ceux à qui je dois le jour et léducation, quel discours assez persuasif trouveras-tu pour faire croire à tous ceux qui tentendront que cest bien malgré toi que tu mas poussé dans cette situation périlleuse? Mais brisons là-dessus : je ne te ferai pas de procès pour cela: dis-moi seulement ce que nous pourrons répondre à ceux qui nous accusent tous deux. CHRYSOSTOME. Je ne mengagerai pas dans cette question, que je naie réfuté pleinement les reproches que tu me fais pour ton propre compte, quand tu me répéterais mille fois que tu me pardonnes. Tu disais tout à lheure que lignorance me ferait trouver moins coupable, que je cesserais même de le paraître, si, te connaissant moins, je tavais engagé dans la carrière où tu es; au lieu que, tayant livré non par ignorance, mais avec une parfaite connaissance de ce qui te concerne, toute excuse raisonnable, toute justification légitime mest enlevée. Eh bien! moi je dis tout le contraire. Je soutiens que dans une matière aussi grave lexamen ne saurait être trop sérieux : que celui qui veut élever un sujet au sacerdoce ne doit pas sen rapporter uniquement à la voix publique, mais que, non content de la consulter, il doit encore, il doit, avant tout et par-dessus tout, avoir sondé lui-même les dispositions du candidat. Quand lApôtre écrit à Timothée: Il faut encore quil ait bon témoignage de ceux qui sont hors de lEglise (I Tim. III, 7), il nentend pas exclure la nécessité dun examen sévère et rigoureux, et ne donne pas la réputation comme une marque décisive dans lépreuve quil sagit de faire. Car après avoir énuméré beaucoup dautres conditions, il ajoute la bonne renommée en dernier lieu, pour montrer non quelle doit être considérée seule dans les élections, mais quelle ne doit venir quaprès les autres, rien nétant plus ordinaire que les erreurs de la multitude à cet égard. Quand cet examen scrupuleux a eu lieu préalablement, cest alors que lon peut sans danger se fier au suffrage public. Cest pourquoi lApôtre fait suivre les autres conditions de lassentiment des gens du dehors. Car prenons-y garde, il ne dit pas simplement que le sujet doit avoir un bon témoignage, mais il ajoute le mot encore, pour montrer quil faut, avant de consulter la renommée, soumettre le sujet à un sévère examen. Donc, puisque je te connaissais plus à fond, même que tes père et mère, comme tu en conviens, la justice exige que je sois renvoyé absous de toute accusation. BASILE. Cest précisément ce qui te ferait condamner infailliblement, si lon voulait taccuser. Est-ce que tu ne te souviens plus dune chose dont je tai parlé souvent, que les faits tont mieux apprise encore, je veux dire la faiblesse de mon caractère? Est-ce que tu navais pas coutume de me railler sur mon peu dénergie, et sur la facilité avec laquelle les plus ordinaires difficultés me jettent dans labattement? CHRYSOSTOME. Je me souviens bien de te lavoir souvent entendu dire, et je ne saurais le ruer. Mais si je te raillais quelquefois, cétait en plaisantant et non sérieusement que je le faisais. Mais, sans disputer sur ce point, ce que je demanderai à mon tour, cest que, si je viens à parler de tes bonnes qualités, tu veuilles bien mécouter avec une ingénuité égale à la mienne. Si, après cela, tu entreprends de me démentir, je ne tépargnerai pas : mais je démontrerai que cest la modestie qui te fait parler plutôt que la vérité, sans avoir besoin, pour confirmer mon dire, dautres témoins que tes propres discours et tes propres actions. Avant tout je veux tadresser une question: Sais-tu combien est grande la force de la charité? Jésus-Christ, laissant tous les prodiges que devaient opérer les apôtres, a dit: Le signe auquel les hommes reconnaîtront que vous êtes mes disciples, cest que vous vous aimiez les uns les autres. (Jean XIII, 35.) Pan! dit que la charité est la plénitude de la loi, que sans elle les dons de Dieu ne sont daucune utilité. Or, ce bien si excellent, ce caractère distinctif des disciples du Christ, ce don au-dessus de tous les dons, je lai vu fortement enraciné dans ton âme, y porter les fruits les plus abondants. BASILE. Cette vertu me fut toujours très-chère, et je mets à la pratiquer tout le zèle dont je suis capable, jen conviens moi-même mais, hélas! je nai pu seulement atteindre à la moitié de sa haute perfection : tu men seras témoin toi-même, si, toute complaisance à part, tu veux rendre hommage à la vérité. CHRYSOSTOME. Je vais donc recourir aux (577) preuves: la menace que je tai faite, je vais lexécuter, et prouver que tu tiens plus à être modeste que véridique. Je raconterai un fait récent, afin quon ne me soupçonne pas, comme on pourrait faire si jen rappelais danciens, de vouloir envelopper la vérité dans les ombres dun passé lointain. La vérité ne permet pas de rien ajouter à ce qui est, même dans lintention dêtre agréable. Un de nos amis faussement accusé doutrage et demportement courait un extrême danger: alors, sans que personne teût impliqué dans laccusation, sans être prié par personne, pas même par celui qui allait être victime de la calomnie, tu tes jeté tête baissée au milieu des périls pour en tirer notre ami. Voilà ce qui sest passé, et pour te convaincre par tes propres paroles, je te rappellerai celles que tu prononças dans cette occasion. Comme les uns napprouvaient pas ce dévouement, et que les autres y applaudissaient et ladmiraient, tu répondis à ceux qui te blâmaient: Que voulez-vous que je fasse ! je nai pas appris â aimer autrement, que dexposer ma vie, lorsquil le faut, pour sauver un ami en péril. Les paroles sont autres, mais la pensée est la même que celle de Jésus-Christ disant à ses disciples, pour leur marquer les limites de la parfaite charité:
Nul ne peut fournir une plus grande marque damour, que de donner sa vie pour ceux quil aime. (Jean XV, 13.) Si cest là lextrême limite de la charité, tu y es arrivé, par tes actions comme par tes paroles; tu es monté jusquau faîte même: voilà le secret de la trahison dont tu te plains, de la fraude que jai ourdie contre toi. Tai-je convaincu que ce nest pas dans une mauvaise intention, ni pour te faire tomber dans aucun péril, mais par la certitude où jétais de faire une chose utile, que je tai poussé dans la carrière sacerdotale? BASILE. Mais timagines-tu que la force de la charité suffise pour corriger un peuple de ses vices? CHRYSOSTOME. Assurément la charité pourrait en grande partie contribuer à cette oeuvre. Au surplus, si tu veux que je produise des preuves de ta prudence, jaborderai ce point; et je montrerai que tu es encore plus prudent que charitable. BASILE (saisi de honte à ce mot et rougissant.) Encore une fois, laissons-là ce qui me concerne. Je voulais dès le commencement quil nen fût pas question. As-tu quelque bonne réponse à faire aux étrangers qui nous censurent? Cest un point sur lequel je serai charmé de tentendre. Laissons-là cette vaine escrime: dis-moi ce que nous pourrons opposer pour notre défense, tant à ceux qui nous avaient fait lhonneur de penser à nous, quà ceux qui, pour aigrir le ressentiment de nos électeurs, affectent de répondre que nous leur avons manqué gravement. 7. CHRYSOSTOME. Soit: cest aussi là que jai hâte den venir. Maintenant que ma cause est plaidée vis-à-vis de toi, je me tournerai sans difficulté vers cette autre partie de ma défense. Quelle est donc leur accusation? Quels sont leurs griefs? Jai fait, disent-ils, une grave injure aux électeurs , en refusant lhonneur quils moffraient. A quoi je réponds dabord que lon ne doit pas craindre doffenser les hommes, lorsque en déférant à leur volonté on se mettrait dans le cas doffenser Dieu. Quant à ceux quune telle conduite fâcherait, jajouterai que leur mécontentement ne serait pas pour eux sans péril, ni même sans quelque grave dommage. Des personnes dévouées à Dieu, et ne voyant que lui seul, doivent, selon moi, être animées de sentiments de piété, qui les empêchent de regarder un pareil refus comme une injure qui leur serait faite, dussent-ils essuyer mille fois ces prétendus affronts. Jamais lidée dune pareille offense nest même entrée dans mon esprit. En effet, si cétaient lorgueil, la vaine gloire qui meussent fait agir, comme lon men accuse, à ce que tu dis, mes accusateurs devraient me mettre au rang des plus grands coupables, pour avoir méprisé des hommes respectables, considérables, et de plus mes bienfaiteurs. Si lon est punissable de faire du mal à qui ne nous en fait pas, que sera-ce den faire à qui veut nous combler dhonneur? Car on ne saurait dire que ces hommes aient voulu se montrer reconnaissants de services, petits ou grands, quils auraient reçus de moi. De quel châtiment ne serait pas digne celui qui rendrait le mal pour le bien? Si jamais pareille pensée nest entrée dans mon esprit, si je me suis refusé à la charge pesante quon voulait mimposer, par des motifs tout différents; pourquoi, au lieu de me pardonner et même de mapprouver, maccuse-t-on davoir eu pitié de mon âme? Bien loin que je leur aie fait injure, je prétends au contraire leur avoir donné la plus grande marque de déférence en nacceptant pas. Ne (578) tétonne pas de cette proposition qui a lair dun paradoxe, car jen donnerai bientôt la preuve: on naurait pas manqué, sinon tous du moins ceux qui trouvent plaisir à la médisance, de former toutes sortes de soupçons, de tenir toutes sortes de propos, tant sur le compte de lélu que sur celui des électeurs; par exemple on eût dit : quils ne regardent quà la richesse; quils se laissent éblouir par léclat de la naissance; quils ne nous avaient donné leurs suffrages quen échange de nos adulations. Je ne sais pas même si lon nen serait pas venu jusquà répandre le soupçon quils se seraient laissé gagner par argent. Jésus-Christ, aurait-on ajouté, appelait à lapostolat des pêcheurs, des faiseurs de tentes, des publicains; pour eux, ils repoussent ceux qui vivent de leur travail de chaque jour; mais cultiver les lettres profanes, vivre dans loisiveté, voilà des titres qui fixent leur choix et leur admiration. Comment, en effet, expliquer autrement lexclusion donnée à cette foule de vieux serviteurs qui ont blanchi dans les travaux du ministère ecclésiastique, pour élever tout dun coup aux premières dignités, qui? un jeune homme qui na jamais goûté de ces laborieuses occupations, et dont la vie sest consumée tout entière dans la vaine étude des sciences profanes et séculières. Voilà ce quon aurait pu dire et davantage encore, si javais accepté: mais maintenant, non; la malignité na plus la ressource dun seul de ces prétextes; personne ne pourra nous accuser, ni moi, dadulations, ni les électeurs, de vénalité, à moins de vouloir être visiblement fou. Un homme qui veut sélever à quelque dignité par la flatterie ou par largent, ne senfuit pas: il nabandonne pas la partie au moment dobtenir ce quil a désiré. Cest à peu près comme si quelquun, après avoir beaucoup travaillé à la terre, pour faire rendre à ses sillons une riche récolte, et déborder à flots le vin pardessus ses pressoirs, le moment de la moisson ou de la vendange arrivé, laissait à dautres ce qui lui a coûté tant de peine et dargent. Tu vois que les médisants, malgré la fausseté de ce quils auraient pu dire, nauraient cependant pas manqué de prétextes pour accuser les évêques de consulter, en faisant lélection, autre chose que la justice et la conscience. Cest moi qui ne leur ai pas laissé le droit douvrir la bouche, de desserrer les dents. Ce nest là quune faible partie des calomnies auxquelles eux et moi nous aurions été en butte. Mais une fois entré en fonctions, quel débordement daccusations sans cesse renaissantes, auxquelles il maurait été impossible de répondre, quand même toutes mes actions eussent été irréprochables! et, combien plus impossible encore, à cause des fautes nombreuses que mon inexpérience et ma jeunesse nauraient pas manqué de me faire commettre! Aujourdhui jai anéanti jusquau prétexte de telles accusations contre les évêques; en agissant autrement, je les aurais exposés à une tempête dinjures. Cest à de jeunes étourdis, aurait-on crié de toutes parts, quils confient des fonctions aussi augustes, aussi redoutables. Ils ont perdu le troupeau du Seigneur: on ne voit plus que jeu et dérision dans les affaires de lEglise. Désormais, toute iniquité aura la bouche fermée. (Ps. CVI, 42). Pour toi, tu nas rien à craindre de semblable; tes oeuvres apprendront bientôt à ceux qui voudraient tattaquer que lon ne doit pas juger de la prudence dun homme par le nombre des années, ni mesurer la maturité à la blancheur des cheveux; que ce nest pas aux jeunes hommes, mais aux seuls néophytes, quil faut interdire lentrée du sanctuaire, et quil y a entre lun et lautre une grande différence. (579) |