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TRAITÉ DU SACERDOCELIVRE QUATRIÈMEANALYSE Ce livre débute par une objection de Basile : ce que son ami vient de dire sapplique, prétend-il, à ceux qui singèrent deux-mêmes dans les fonctions sacrées; mais non à celui quon y entraîne malgré lui. Chrysostome prouve que cest là une erreur. Exemples de Saül, dHéli, dAaron. et de Moïse. Judas avait été appelé. Ceux qui imposent les mains à des indignes encourent les mêmes peines queux. Plusieurs comparaisons tendant à prouver quil faut nimposer les mains quavec une extrême prudence, suivant le précepte de saint Paul à Timothée. Ce début peut se résumer en un seul mot : de la vocation ecclésiastique. Tout le reste du livre roule sur le talent de la parole que doit posséder le prêtre. Le bon exemple ne suffit pas, sans le talent de la parole ni même le don des miracles. La parole est la seule arme avec laquelle on puisse combattre les ennemis de lEglise. Comparaison de lEglise avec une ville forte. Principaux ennemis aux entreprises desquels lEglise est en butte : les Juifs, les Païens, les Manichéens, les Valentiniens, les Marcionites, les Sabelliens, les Ariens; ces deux dernières sectes se rapprochent de lhérésie de Paul de Samosate. Les ennemis domestiques, les agitateurs de questions oiseuses et insolubles. Objections de Basile : saint Paul na-t-il pas méprisé léloquence? Non, il na méprisé que lart frivole des rhéteurs de son temps. Si quelque ministre de Jésus-Christ pouvait se passer du talent de la parole, cétait bien saint Paul, muni comme il létait du don des miracles, et de son amour incomparable pour Jésus-Christ, amour qui lui fait souhaiter dêtre anathème pour le salut des Juifs. Eloquence de saint Paul : elle est simple et forte et uniquement fondée sur la science et lenthousiasme. Eloge sublime de ses épîtres. Textes de saint Paul, établissant la nécessité pour un évêque de posséder la doctrine pour linstruction des autres: il faut quun évêque soit habile à défendre les dogmes.
Après un moment de réflexion, Basile répondit au discours quil venait dentendre. Si tu avais désiré le sacerdoce et fait quelque démarche pour lobtenir, tes craintes seraient fondées. En recherchant une place on déclare que lon se sent capable de la remplir, et lon nest plus en droit de rejeter sur lignorance les fautes que lon commet dans son administration. On sest privé davance de ce moyen de défense par lempressement avide avec lequel on sest en quelque sorte jeté sur un emploi, pour sen saisir. On est venu volontairement et de son plein gré et lon ne saurait plus être admis à dire cest malgré moi que jai commis cette faute, malgré moi que jai perdu cette âme. Le juge à qui lon aura à en rendre compte répondra : Quoi! tu connaissais ton incapacité, tu savais que ton intelligence nétait pas à la hauteur de cette fonction, ni suffisante pour ladministrer, sans commettre de faute, et tu as été assez hardi pour accourir en recevoir la charge, une charge si peu en rapport avec tes forces? Qui ta forcé? Quelle violence a-t-on exercée pour te contraindre à subir ce joug, malgré ta résistance et ta fuite? Pour toi, tu nentendras jamais de pareils reproches; ta conscience est parfaitement tranquille à cet égard; tout le monde sait très-bien que la brigue na été pour rien dans ton élection, et que cest la justice des électeurs seule qui a tout fait : ainsi ce qui enlève aux autres toute excuse est précisément ce qui taurait fait absoudre. CHRYSOSTOME. Jaccueillis ces paroles en secouant légèrement la tête et en souriant; jadmirais la naïve candeur de mon ami. Je voudrais bien, lui dis-je, que les choses fussent comme tu le dis, ô le meilleur des amis ! non pas pour avoir sujet daccepter ce que jai refusé; car, en supposant même que je neusse pas à craindre le châtiment qui menace le pasteur, négligent et incapable, de la bergerie du Christ, toujours porterai-je au fond de ma conscience le plus insupportable des châtiments, le remords dêtre trouvé indigne daussi augustes fonctions, au jugement même de celui qui me les aurait confiées. Pourquoi donc voudrais-je que ton opinion ne fût point fausse? Par intérêt pour tant de malheureux, (cest la qualification qui leur convient quand tu répèterais mille fois quon leur a fait violence et quils ont péché sans le savoir), pour tant de malheureux, dis-je, qui occupent des places dont ils ne sauraient remplir les devoirs, je (597) voudrais que ton opinion fût vraie, afin que ces hommes évitassent le feu éternel, les ténèbres extérieures, le ver qui ne mourra point, et ces cruelles séparations qui partageront à jamais les élus et les réprouvés. Mais que veux-tu que je te dise? Cest une erreur, incontestablement. Pour te le prouver, je puis dabord employer un argument tiré de la puissance royale, bien moindre aux yeux de Dieu que la dignité sacerdotale. Le fils de Cis, Saül ne devait pas la couronne à ses intrigues. Il était allé à la recherche de ses ânesses, quand il rencontra le Prophète, quil interrogea pour savoir où elles étaient; et Samuel lui parla de la royauté. Quoiquil ajoutât foi aux paroles du prophète, Saül ne témoigna aucun empressement; au contraire, il sesquivait, il refusait : Qui suis-je, disait-il, et quelle est la maison de mon père? (I Rois. IX, 21.) Saül, devenu roi, ne fit pas un bon usage de la puissance qui lui avait été imposée; la résistance quil avait faite, les paroles que je viens de rapporter le défendirent-elles de la colère du Seigneur qui lavait fait roi? Il pouvait répondre aux reproches que lui fit le prophète Ai-je couru après la royauté? Me suis-je placé moi-même sur le trône? Je voulais mener la vie dun simple particulier, vie de paix et de loisir, et tu mas forcé daccepter cette dignité; situ mavais laissé dans mon obscurité, jeusse facilement évité cette pierre dachoppement homme du peuple, ignoré dans ses rangs, à coup sûr je naurais pas été envoyé à cette expédition; Dieu ne maurait pas commandé daller combattre les Amalécites, et sil ne me lavait pas commandé, je naurais pas commis la faute quon me reproche. Mais de semblables excuses sont vaines; non-seulement vaines, mais dangereuses : car elles excitent encore davantage le feu de la colère divine. Celui qui a été élevé à une dignité supérieure à son mérite, loin dalléguer la grandeur de sa charge pour atténuer ses fautes, doit faire servir à son avancement dans le bien, les attentions bienveillantes de la divine Providence à son égard. Prétendre que la hauteur du rang où lon est élevé donne le droit de faillir, ce nest rien moins que vouloir rendre la bonté de Dieu responsable de nos fautes, comme font dordinaire les impies et les lâches qui laissent pour ainsi dire leur vie marcher au hasard démence sacrilège dans laquelle nous nous garderons de tomber, travaillant de tous nos moyens à loeuvre de Dieu, et conservant notre langue et notre coeur purs de tout blasphème! Après cet exemple emprunté à la royauté, je passe à un autre plus approprié à notre sujet. Le grand-prêtre Héli navait pas non plus ambitionné la souveraine sacrificature. A quoi cela lui servit-il, lorsquil eut péché? Que dis-je, ambitionné? il neût pas même été libre de la refuser, la loi le contraignait à laccepter, parce quil était de la tribu de Lévi, et quil avait seul le droit, par sa naissance, doccuper cette dignité héréditaire dans sa race. Ce qui ne lempêcha pas de payer les désordres de ses fils par une expiation terrible. Avant lui, Aaron, le premier grand-prêtre des Juifs, si souvent lobjet des entretiens familiers que Dieu daignait avoir avec Moïse, se rendit coupable pour navoir pas résisté avec assez de force à un peuple furieux. Le pouvait-il tout seul? Ce nen était pas moins fait de lui si son frère neût réussi par ses prières à fléchir la colère de Dieu. Puisque jai nommé Moïse, je ne saurais mieux faire que de tirer de sa vie un exemple en faveur de la vérité que je soutiens. Bien loin davoir montré de lempressement à se mettre à la tête du peuple hébreu, Moïse, ce saint personnage, refusa même dobéir à Dieu qui lui ordonnait den prendre la conduite, jusquau point dexciter sa colère. Plus tard même lorsquil fut devenu le chef du peuple de Dieu, il fût mort volontiers pour être débarrassé de sa charge. Faites-moi mourir, disait-il à Dieu, si vous devez me traiter ainsi. (Nomb. XI, 15.) Cependant, lorsquil eut péché à loccasion des eaux du rocher, le refus persévérant, quil avait jadis fait, du souverain pouvoir, lui servit-il pour obtenir sa grâce? Ne fut-ce pas là lunique motif pour lequel il ne put jouir de lentrée de la terre promise? Tout le monde sait que cette exclusion fut la peine du péché dont nous venons de parler; il nen fallut pas davantage pour que cet homme de miracles fût privé dune récompense accordée à des hommes au-dessous de lui. Après une infinité de fatigues et de travaux, après avoir erré si longtemps dans le désert, ce grand homme signalé par tant de combats et de victoires, mourut sans avoir pu mettre le pied dans la terre pour laquelle il avait essuyé tant de dangers. Et celui qui avait échappé aux fureurs de la mer na pas eu le bonheur de se reposer au port. Ainsi, tu le vois, quon obtienne par brigue (598) les dignités du sanctuaire, ou quon y parvienne par les soins dautrui; il ne reste à ceux qui sy conduisent mal aucune excuse de leurs fautes. En effet, si des hommes qui avaient plusieurs fois refusé, résistant à Dieu même qui les appelait, furent si sévèrement punis, si rien ne put exempter du châtiment, ni un Aaron, ni un Héli, ni même cet admirable et saint prophète, Moïse, le plus doux des hommes qui fussent sur la ferre, à qui Dieu parlait avec la même familiarité quà un ami: comment veux-tu quil nous suffise, pour notre justification, à nous qui sommes si loin de savertu, de nous rendre le témoignage que nous navons rien fait pour notre élévation? surtout lorsque la plupart des élections daujourdhui se font non par la grâce et la vocation de Dieu, mais par les intrigues des hommes. Dieu avait choisi Judas, lui avait assigné sa place dans le collège apostolique, lui avait conféré la même dignité quaux autres apôtres, et même lui avait accordé une marque de confiance particulière, en lui remettant le maniement de largent. (Jean. XII, 6.) Eh bien! après quil eut abusé de ce double honneur, trahissant celui dont il devait publier la divinité, dissipant indignement les fonds déposés dans ses mains pour de plus nobles usages, Judas a-t-il évité la punition quil avait trop méritée? Au contraire, son châtiment fut plus rigoureux que si Dieu lavait moins favorisé. Car il nest pas permis dabuser des dons de Dieu pour loffenser; on doit les faire valoir pour lui plaire. Celui qui prétend éviter la peine qui lui est due, parce quon la placé dans un poste plus élevé, raisonne à peu près comme auraient pu faire les Juifs infidèles, de qui Jésus-Christ disait : Si je nétais pas venu et que je ne leur eusse point parlé, ils ne se seraient point rendus coupables; et si je navais pas opéré parmi eux des miracles que personne na jamais faits, ils nauraient point péché. (Jean. XIV, 22.) A cette parole du Sauveur, du Bienfaiteur du genre humain, qui donc les empêchait de répondre? Pourquoi es-tu venu? Pourquoi as-tu parlé? Pourquoi as-tu fait des miracles? Etait-ce pour avoir loccasion de nous châtier plus sévèrement? Mais ce langage eût été celui de la fureur et de légarement. Le Médecin céleste nest las venu pour vous faire mourir, mais pour vous guérir; il ne pouvait vous abandonner à votre mal : il voulait vous en délivrer entièrement; cest vous qui vous êtes privés volontairement de ses soins; soyez donc punis plus sévèrement. En vous soumettant à ses ordonnances vous guérissez vos maladies anciennes; en fuyant lorsquil se présentait, vous vous mettez dans limpuissance de recouvrer la santé; doublement coupables par votre entêtement, dabord en vous nuisant à vous-mêmes, puis en dédaignant les soins du médecin. Après quil vous aura comblés de ses bienfaits, Dieu ne vous traitera pas de la même manière que si vous naviez reçu de lui aucune faveur; il vous traitera beaucoup plus rigoureusement. Si les bienfaits ne vous rendent pas meilleurs, ils vous rendront plus coupables, et passibles dun châtiment plus sévère. Ainsi le moyen de justification que tu mindiquais se trouve être de nulle valeur; non-seulement il ne sauverait pas, mais il exposerait à une perte plus complète ceux qui y auraient recours. Il nous faut donc chercher un asile plus sûr. BASILE. Où pourrais-je en trouver? je ne sais plus où jen suis, tant ce que tu viens de dire minspire de frayeur. CHRYSOSTOME. De grâce, mon ami, je ten conjure, pas de découragement. Nous lavons, cet asile; il consiste pour les faibles comme moi, à ne point se hasarder; pour les forts comme toi, à mettre lespérance de leur salut dans le soin de ne rien faire, avec la grâce de Dieu, qui soit indigne de leur charge, ni de Celui qui la leur a confiée. Assurément les plus grands supplices nont rien de trop sévère, pour ceux qui, après avoir obtenu, à force de brigue, les dignités du sanctuaire, sy comportent avec tiédeur, ou avec scandale, ou avec incapacité; mais il ne sensuit pas de là quil reste quelque espoir de pardon à ceux qui ne les ont pas briguées; non, ceux-là mêmes nauront rien à dire pour sexcuser. Fût-on demandé, pressé par des milliers de voix et de suffrages, il faudrait les compter pour rien; ce qui est avant tout nécessaire, cest de sexaminer soi-même, cest de ne jamais céder aux obsessions, avant ce regard scrutateur plongé jusquau fond de lâme. Personne ne sengage à bâtir une maison sil nest architecte; à guérir des malades, sil nest médecin. Si nombreux que fussent ceux qui voudraient y contraindre, on refuserait et on ne rougirait pas davouer son ignorance; et quand il sera question de prendre la charge dun si grand nombre dâmes, on ne sinterrogera pas même pour savoir si lon est capable? mais, nonobstant lincapacité la plus complète, on acceptera (599) le saint ministère par complaisance pour un tel, parce que celui-ci lexige, par la crainte doffenser celui-là! Ne serait-ce pas courir avec eux à une perte certaine? On aurait pu se sauver tout seul, on se damne soi-même et les autres. De quel côté attendre le salut? Comment obtenir le pardon? Quels seront nos intercesseurs? peut-être ces téméraires qui ont usé de violence et qui ont entraîné linfortuné à une périlleuse extrémité? Mais eux-mêmes qui les tirera daffaire alors, car ils auront besoin eux-mêmes du secours dautrui, sils veulent éviter le feu de lenfer. 2. Lorsque je parle ainsi, je nai pas lintention de teffrayer, je ne veux que te montrer la vérité toute nue. Ecoute ce que dit lapôtre saint Paul à son disciple, à Timothée, son véritable et cher fils : Nimpose légèrement les mains â personne, et ne participe point aux péchés dautrui. (I. Tim. V, 22). Vois-tu, je ne dis pas de quel blâme, mais de quel châtiment jai sauvé, autant quil était en moi, ceux qui voulaient ma promotion? Comme il ne suffira pas à lélu de dire je navais pas sollicité, je nai point fui, parce que je ne prévoyais point que lon pensât à moi; de même ce sera pour lélecteur une vaine excuse de dire quil ne connaissait pas celui à qui il donnait son suffrage. Cette prétendue justification ne fera quaggraver le tort. Quoi! lon nachète pas un esclave sans le faire voir aux médecins, sans demander des garanties, sans prendre des informations auprès des voisins; non content de cela on exige encore du temps pour lessayer; et quand il faudra choisir le prêtre de Jésus-Christ, sans y faire tant de façons, on prendra le premier venu, pourvu que ce choix soit du goût de tel ou tel électeur, instrument docile de la faveur ou de la haine dun tiers! mais cest absurde. Qui donc implorera pour nous la clémence divine, lorsque ceux qui devraient être nos défenseurs auront eux-mêmes besoin dêtre défendus? Cest le devoir de lélecteur de se livrer à un examen approfondi, cest encore davantage celui du candidat; car bien que ceux qui lauront élu doivent porter avec lui la peine de ses péchés, ce ne sera pas pour lui un titre à limpunité. II doit même sattendre à la plus grande part du châtiment, à moins que les électeurs naient agi par un motif purement humain, et contre toutes les lumières et les inspirations de leur conscience. Sils étaient convaincus du crime davoir introduit dans le sanctuaire, pour un motif quelconque, un sujet à leurs yeux notoirement indigne, un châtiment égal serait probablement réservé à tous, et peut-être un plus grand à celui qui aura conféré les ordres. Quelle responsabilité sur la tête du téméraire qui accorde à lennemi du Christ le pouvoir de ravager son Eglise! Que si lélecteur nest pas coupable à ce point, sil dit avoir été trompé par lopinion publique, cela ne suffira pas pour labsoudre entièrement, mais il sera moins puni que lélu. Pourquoi? parce que les électeurs peuvent avoir été trompés par lopinion publique en donnant leurs suffrages. Mais lélu ne sera pas admis à dire quil ne se connaissait pas plus lui-même quil nétait connu des autres. Comme il doit être plus puni que ceux qui lélisent, il doit aussi sexaminer et séprouver avec plus de soin que qui que ce soit. Et si les personnes qui ne le connaissent pas bien, veulent le contraindre daccepter, il doit aller les trouver, leur déclarer ses défauts, les tirer derreur, et se refuser absolument à recevoir sur ses épaules un fardeau quil nest pas capable de porter. Pourquoi, lorsquil est question dart militaire, de commerce, dagriculture ou de toute autre profession de la vie civile, pourquoi ne voit-on jamais le cultivateur saviser dentreprendre un voyage sur mer, ni le soldat de faire valoir une ferme, ni le pilote de -conduire une expédition militaire, quand même on voudrait les y contraindre sous peine de mort? Cest parce quils prévoient le danger auquel leur incapacité les exposerait. Pour des intérêts si minces quelle prudence! nulle violence ne nous ferait céder. Mais sagit-il du supplice éternel qui menace les dispensateurs infidèles des dons sublimes du sacerdoce, on na plus que de linsouciance en face dun si grand péril, on sy expose de gaîté de coeur, fort du prétexte quon a subi une contrainte. Le souverain juge nadmettra pas une pareille raison. Cétait notre devoir dapporter plus de précautions et de soins aux intérêts de lesprit quà ceux de la chair. Or, cest précisément tout le contraire que nous faisons. Tu veux faire construire un bâtiment, tu soupçonnes dêtre un habile architecte un homme qui nentend rien à larchitecture, tu lappelles, il vient, il se met à loeuvre; mais à peine a-t-il porté la main sur les matériaux préparés pour la construction quil gâte tout: il gâte les bois, il gâte les (600) pierres; bref, il te bâtit si mal ta maison quelle ne peut manquer de sécrouler bientôt: lui suffira-t-il pour sa défense de dire quil a subi une contrainte, quil ne sest pas présenté de son chef? Nullement, voilà ce que répondent la raison et la justice. Il devait, en dépit de toutes les sollicitations, décliner lentreprise. Comment! un homme qui aura gâté du bois et des pierres ne trouvera pas une excuse valable pour sexempter du châtiment; et celui qui perd des âmes, qui met tant de négligence à les édifier, il suffira à un tel homme pour éviter le châtiment, de dire quil a été contraint? quil ne sy fie pas. Il se méprendrait grossièrement. Il nest pas encore temps de prouver que personne ne peut faire violence à celui qui est déterminé à refuser. Jaccorde, pour un moment, quon a réellement contraint tel sujet; quon a usé à son égard de tant de ruses, quil a été obligé de se soumettre : penses-tu pour cela quil évitera la punition? Détrompe-toi, et nayons pas lair dignorer ce que savent même les enfants. Au jour où tous les comptes seront rendus, cette ignorance prétendue ne servirait de rien. Tu nas fait aucune démarche pour être promu au saint ministère, parce que tu connaissais ta faiblesse : très-bien! Il fallait donc persévérer dans ces sages dispositions et ne pas accepter, en dépit de toutes les sollicitations. Quoi! tu navais ni talent ni vertu, tant que lon ne pensait pas à toi, et dès quil sest trouvé une voix pour te crier « monte » , tu es devenu tout à coup un autre homme! Cest une pure plaisanterie, cest même de la folie, pour laquelle il ny a pas de supplice trop sévère. Notre-Seigneur na-t-il pas dit : qui veut bâtir une tour ne doit pas jeter les fondements avant davoir calculé ses forces, sil ne veut pas devenir la risée des passants. (Luc. XIV, 28.) Encore là, tout le risque à courir ne va-t-il pas au delà de quelques plaisanteries à essuyer; ici, il sagit dune punition bien différente, du feu éternel, du ver qui ne meurt pas, du grincement de dents, des ténèbres extérieures, de la séparation davec les bons, et dune place dans lenfer parmi les hypocrites. Voilà ce que ne veulent pas voir ceux qui maccusent; autrement ils ne me feraient pas un crime de ce que je nai pas voulu courir étourdiment à ma perte. Il nest pas ici question de blé ou dorge à cultiver, de boeufs ou de brebis à élever, ni daucune marchandise semblable à soigner : il sagit du corps même de Jésus-Christ. Car selon saint Paul, lEglise de Jésus-Christ est le corps même de Jésus-Christ. Il convient donc que celui à qui ce corps a été confié, travaille à lentretenir dans la parfaite santé et dans la beauté irréprochable, qui lui conviennent; que, par une active surveillance, il le préserve des taches, des rides, en un mot de tout défaut qui pourrait en altérer la forme et léclat; ne doit-il pas, en effet, autant quil est possible à la nature humaine, le montrer digne du divin chef, du chef immortel et bienheureux qui le domine? Que si ceux qui veulent se rendre propres aux combats des athlètes, ont besoin de médecins, de maîtres, dun régime exactement suivi, dexercices continuels et de mille précautions minutieuses, parce que la moindre négligence peut faire avorter tous les autres soins quon aura pris; comment ceux qui sont choisis pour gouverner le corps de Jésus-Christ, dont lexercice nest pas corporel, mais spirituel, et consiste à combattre les puissances invisibles, lui peuvent-ils conserver sa santé et sa vigueur, sils ne possèdent pas toutes les méthodes nécessaires pour en bien traiter les maladies, et ne sont pas, pour cela, doués dune vertu plus quhumaine? 3. Ne sais-tu pas que ce corps mystique est sujet à plus de maladies et daccidents que notre corps matériel, quil saltère plus vite, et se guérit plus difficilement? Or, ceux qui traitent nos corps ont inventé une grande variété de remèdes, toutes sortes dinstruments et dappareils, ainsi que des aliments appropriés à chaque espèce de maladies; quelquefois le simple changement dair , le sommeil ménagé à propos, suffisent pour guérir le malade et tirer le médecin dembarras. Le traitement des maladies spirituelles na pas ces ressources. Après le bon exemple, le ministère sacerdotal ne connaît pas dautre méthode, pour guérir, que la prédication. La .parole seule lui tient lieu dinstrument, daliment, dair salubre. La parole est le remède quil administre, la parole est le feu dont il se sert pour brûler, la parole est le fer avec lequel il tranche : il nen a pas dautre à sa disposition; la parole est-elle impuissante, le prêtre est à bout de moyens. Par la parole nous relevons lâme abattue, nous ramenons à son état naturel celle qui est travaillée de lenflure, nous retranchons les superfluités; nous remplissons les manques; en un mot, cest par elle que nous faisons toutes les opérations qui peuvent être utiles à la santé de lâme. (601) Pour ce qui est de bien régler sa vie, lexemple des autres peut exciter notre émulation et nous porter à les imiter: mais lorsquil sagit de guérir une âme imbue dune mauvaise doctrine, lemploi de la parole est indispensable, non-seulement pour confirmer ceux qui pensent comme nous, mais encore pour combattre nos adversaires. Si nous étions armés du glaive de lesprit et du bouclier de la foi jusquà faire des miracles, et fermer la bouche aux incrédules à force de prodiges, nous pourrions nous passer du secours de léloquence; je me trompe, elle serait toujours utile et même nécessaire. Lapôtre saint Paul en a fait usage, bien que léclat de ses miracles frappât tous les yeux. Un autre membre encore de ce même collège des apôtres nous exhorte à ne pas négliger cette puissance de la parole : Soyez prêts, dit-il, à répondre à quiconque vous demandera compte de lespérance qui est en vous. (I. Pierre III, 15.) Saint Etienne et les autres diacres ne furent préposés au service des veuves, quafin de laisser aux apôtres le temps de vaquer au ministère de la parole. Toutefois le don de la parole nous serait moins indispensable, si nous avions celui des miracles. Mais puisquil nest resté parmi nous aucun vestige de cette dernière puissance, et que de nombreux ennemis ne cessent de nous menacer sur tous les points, il faut nécessairement que nous soyons armés du glaive de la parole tant pour repousser leur attaque, que pour les frapper à notre tour. 4. Cest pourquoi nous devons avoir grand soin que la parole de Jésus-Christ habite en nous avec abondance (Col. III, 16); car nous avons à nous tenir prêts pour toutes sortes de combats; nous sommes en face dennemis divers, nombreux, qui ne se servent point des mêmes armes, ne suivent pas le même plan dattaque. Il faut donc que celui qui veut en venir aux mains avec eux, connaisse toutes leurs différentes manières de combattre, quil sache également manier larc et la fronde, quil soit tour à tour fantassin et cavalier, soldat et capitaine, propre aux combats de mer comme aux attaques de places. Dans les combats ordinaires, il suffit, pour soutenir le choc de lennemi, que chacun se tienne à son poste; dans ceux dont nous parlons, il faut connaître à fond chacune des parties de lart de lattaque et de la défense. Ny eût-il quun endroit mal gardé, lennemi saura bien le découvrir et introduire dans la bergerie ses démons ravisseurs pour enlever les brebis : chose quil nessaie même pas, sil saperçoit quil a affaire à un pasteur vigilant, qui est au fait de ses artificieuses manoeuvres. Il faut donc que nous soyons munis de toutes parts. Une ville entourée partout de bons remparts, se rit des efforts des assiégeants et vit dans une entière sécurité; mais quune brèche soit ouverte dans la muraille, seulement de la largeur dune porte, tout le reste de lenceinte nest plus daucune utilité, fût-il dailleurs en très-bon état. Il en est de même de la cité de Dieu. Tant que la sollicitude et la prudence du pasteur y servent de rempart et denceinte, les entreprises de lennemi tournent à sa honte, et personne dans la ville nest en danger; pour peu que la cité soit entamée, la chute dune seule partie entraîne bientôt la ruine du tout. Que servirait-il, en effet, davoir mis les Gentils en déroute , si les Juifs saccagent la place ? ou davoir triomphé des Gentils et des Juifs, si les Manichéens la livrent au pillage? Quel gain davoir vaincu les Manichéens, si les fatalistes viennent égorger les ouailles jusquau sein de lEglise? A quoi bon donner ici le catalogue complet des hérésies inventées par le Diable , et dont une seule, si le berger ne sait pas les repousser toutes, peut jeter une partie du troupeau dans la gueule du loup? A la guerre, il faut être présent sur le champ de bataille pour vaincre ou pour succomber; ici, il arrive souvent quun combat engagé entre dautres, donne la victoire à un parti qui navait pas figuré au commencement de laction, et qui, comme sil était étranger à la querelle, était resté constamment assis sous sa tente. Ou bien, pour avoir négligé de sexercer à lavance, on se perce de ses propres armes, et lon prête à rire à ses amis et à ses ennemis. Je vais éclaircir ma pensée par un exemple : Les sectateurs de la folie de Valentin et de Marcion, et les autres malades, dont laffection est à peu près de la même espèce, retranchent du canon des divines Ecritures la loi donnée à Moïse par le Seigneur; dautre part, les Juifs ont pour cette loi un si grand respect, quaujourdhui, malgré labrogation qui en a été faite, ils soutiennent que lon doit en garder tous les préceptes contre lordonnance du Seigneur lui-même; mais 1Eglise de Dieu évitant lun et lautre excès, a pris le milieu; lEglise ne pense pas que lon doive encore porter le joug de cette loi, mais elle ne souffre pas que lon en dise du mal. (602) Elle la préconise encore, quoique supprimée parce que cest une loi qui a été utile durant tout le temps quelle fut en vigueur. Pour combattre des ennemis si opposés entre eux, il faut donc garder un juste tempérament; car si, voulant enseigner aux Juifs que ce nest plus le temps de pratiquer les cérémonies de cette loi ancienne, on commence par la critiquer sans ménagement, on donnera une prise terrible au hérétiques qui la rejettent absolument; si pour fermer la bouche à ceux-ci, on lexalte outre mesure, comme sil était encore nécessaire de lobserver au temps où nous sommes, on lâche la bride aux déclamations des Juifs. Des excès contraires ont également jeté hors de la vraie loi, les maniaques sectateurs de Sabellius, de même que les furieux Ariens. Les uns et les autres gardent le nom de chrétiens; mais quand on examine le fond de leurs doctrines on acquiert la conviction, quau nom près, les premiers ne valent pas mieux que les Juifs, et que les seconds se rapprochent fort de lhérésie de Paul de Samosate: quau reste, les uns et les autres sont également éloignés de la vérité. On court donc un grand danger dans les rencontres avec ces hérétiques, on marche sur un sentier étroit, escarpé et des deux côtés bordé de précipices. Il est à craindre quen voulant frapper un de ses adversaires, on ne se découvre aux coups de lautre. En effet, si lon avance que la divinité est une, aussitôt Sabellius exploite la proposition au profit de sa folle impiété: dun autre côté si lon distingue et que lon dise quautre est le Père, autre est le Fils, autre est le Saint-Esprit, voici Arius qui, de la différence des personnes, conclut à la diversité de lessence. Il faut rejeter également et la confusion impie de lun, et la division non moins sacrilège de lautre; on évite ces deux écueils en confessant que la divinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit est une, et en reconnaissant les trois Personnes ou Hypostases; cest ainsi que nous pourrons nous faire un rempart contre la double attaque de nos ennemis. Je pourrais encore te signaler beaucoup dautres rencontres, où lon a besoin dunir lardeur du courage à la précision des manoeuvres, sous peine de se retirer couvert de blessures. 5. Que naurait-on pas à dire des contentions et des disputes qui sélèvent entre les fidèles? Non moindres que les attaques du dehors, elles donnent encore plus de peine à celui qui enseigne. Les uns poussés par un excès de curiosité, soccupent, sans raison et par pure fantaisie, de questions impossibles à résoudre, et dont la solution ne mène à rien dutile. Les autres demandent compte à Dieu de ses jugements; ils voudraient mesurer labîme sans fond de ses conseils : Vos jugements, dit le Prophète, sont un abîme infini. (Ps. XXXV, 7.) Bien peu sappliquent à connaître les dogmes de la foi et la règle des moeurs: beaucoup perdent leur temps à étudier ce quils ne connaîtront jamais, et dont la recherche même offense Dieu. Vouloir absolument pénétrer ce que Dieu nous interdit de savoir, efforts inutiles (qui pourrait faire violence à Dieu!) efforts coupables et dangereux. Et cependant, si lon a recours à lautorité pour réprimer ces chercheurs indiscrets de choses introuvables, on sattire la réputation dun orgueilleux et dun ignorant. Voilà donc encore un point qui exige de la part dun évêque une grande prudence, tant pour éloigner les esprits de questions oiseuses et absurdes, que pour éviter des accusations fâcheuses. Contre tant de difficultés il a pour toute arme la parole, rien que la parole. Sil en est dépourvu, les âmes, dont le gouvernement lui est confié, surtout les âmes faibles et travaillées dun excès de curiosité, seront dans une continuelle agitation, comme le vaisseaux battu de la tempête : que ne doit donc pas faire le prêtre pour acquérir le talent de la parole? 6. BASILE. Pourquoi donc lapôtre saint Paul ne sest-il point soucié de lacquérir ? car il ne rougit point de sa pauvreté en fait déloquence; mais il avance hautement quil est ignorant, et cela en écrivant aux Corinthiens mêmes, admirés pour leur beau parler dont ils étaient si fiers. CHRYSOSTOME. Cest précisément cette parole à laquelle tu fais allusion qui en a trompé un grand nombre, et les a rendus négligents pour létude de la vraie doctrine. Faute daller jusquau bout de la pensée de lApôtre, et de comprendre le sens de ses paroles, ils ont passé toute leur vie dans la somnolence et la paresse, sectateurs fidèles de lignorance , non pas de celle dont saint Paul fait laveu, mais dune autre dont il était plus éloigné que qui que ce soit au monde. Mais je réserve ce point pour plus tard, et pour le moment, supposons que lApôtre ait ignoré lart de parler, (603) comme on le prétend, que pourrait-on en conclure pour des hommes de notre temps? Il possédait une puissance bien supérieure à léloquence, et capable de produire de plus grands effets; lui de qui la seule présence et le simple aspect, sans même quil eût à ouvrir la bouche, suffisaient pour faire trembler les démons. Aujourdhui tous les hommes ensemble auraient beau prier et pleurer, ils ne pourraient ce que pouvaient les vêtements de saint Paul. Paul par sa prière ressuscitait les morts; il opérait tant de prodiges, quil était regardé comme un Dieu par les infidèles. Encore revêtu dun corps mortel, il avait été jugé digne dêtre ravi jusquau troisième ciel, et dapprendre des choses que loreille humaine ne peut pas même entendre. Mais les hommes de nos jours... Je marrête pour ne rien dire de trop dur ni de trop sévère. Mon dessein nest pas de les insulter; je métonne seulement quils ne rougissent pas de se comparer à ce grand homme. En effet, si nous considérons non plus les prodiges, mais la vie du bienheureux Apôtre, et sa conduite angélique, nous le verrons encore plus triomphant par ses vertus que par ses miracles. Qui pourrait représenter la vivacité de son zèle, sa douceur, ses continuels dangers, ses sollicitudes incessantes, sa constante anxiété pour le salut de toutes les Eglises; sa compassion envers ceux qui souffrent, ses tribulations; ses persécutions sans cesse renouvelées, et ses morts de tous les jours? Quel endroit de la terre habitable, quel continent, quelle mer nont pas connu les combats de ce juste? Le désert même la vu plus dune fois, alors quil lui offrait un asile contre le danger. Pas dembûches auxquelles il nait été exposé, mais aussi pas de victoire quil nait remportée. Toujours combattre, et toujours vaincre, voilà sa vie. Mas suis-je assez respectueux envers ce grand homme, lorsque jose faire son éloge? ses grandes actions ne sont-elles pas au-dessus de tous les discours, et autant au-dessus du mien que les grands orateurs sont au-dessus de moi? Persuadé néanmoins que le bienheureux Apôtre aura plus égard à lintention quau succès, je ne marrêterai pas que je naie parlé dun acte qui surpasse autant tout ce que jai dit, que saint Paul surpasse les autres mortels. Quel est cet acte? Cest quaprès tant de belles actions, et après avoir mérité une infinité de couronnes, il souhaita daller en enfer, dêtre livré à un supplice éternel pour sauver et donner à Jésus-Christ ces Juifs, qui lavaient souvent lapidé, et qui lauraient tué sils en avaient eu le pouvoir. Quelquun a-t-il jamais aimé Jésus-Christ à ce point, si lon peut appeler amour un transport qui réclamerait un terme plus expressif encore? Nous comparerons-nous encore à un tel homme, après une si grande grâce quil a reçue den-haut, et une si grande vertu quil a tirée de son fond? Ce serait là le comble de la présomption et de la témérité. Mais était-il aussi ignorant quon le prétend? Il nen est rien, comme on va le voir. On appelle ignorant non celui qui nest pas versé dans les prestiges de léloquence profane, mais celui qui ne sait pas combattre pour la défense des dogmes et de la vérité : et lon a raison. Or, Paul ne se déclare pas ignorant sous lun et lautre rapport, mais seulement sous le premier. Lui-même laffirme, et il fait expressément cette distinction, disant quil est ignorant dans lart de la parole, mais non dans la doctrine. (II Cor. XI, 6.) Il est bien vrai que si, dans le ministre de la parole sainte, je demandais la politesse dIsocrate, la véhémence de Démosthène, la majesté de Thucydide, la sublimité de Platon, on pourrait mopposer le passage de saint Paul allégué ici, mais je fais grâce de tout cela au prédicateur de lEvangile; pour moi, cest quelque chose de superflu, que tous ces ajustements oratoires des profanes; que me font la rondeur des périodes et les élégances de la déclamation? Quil soit pauvre, sil veut, par la diction, quil soit simple et sans art dans larrangement des mots, pourvu quil soit riche de science et quil possède lart de ne jamais faillir à la règle des dogmes; mais je ne permettrai pas quon aille, pour excuser sa propre négligence et sa paresse, ravir à saint Paul le plus illustre de ses avantages, et son principal titre à ladmiration. 7. Comment confondit-il les Juifs de Damas, (Act. IX, 22), avant quil eût commencé à faire des miracles? Commuent terrassa-i-il les Juifs Hellénistes? pourquoi fut-il envoyé à Tarse? (Act. IX, 29, 30), sinon parce quavec la force irrésistible de sa parole il vainquait tous ses adversaires, et les pressait si vivement que, ne pouvant supporter leur défaite, ils sexaspérèrent jusquà jurer sa mort? Car, je le répète, à ce moment il navait pas encore fait de (604) miracles. On ne peut doue pas dire que, la multitude ladmirant déjà comme un thaumaturge, ses antagonistes étaient écrasés sous lascendant de sa renommée. Il nétait puissant jusque-là que par la force de sa parole. De quelle arme se servait-il à Antioche pour combattre les Judaïsants? (Galat. II, 11.) Nest-ce pas par son éloquence seule que dans Athènes, la ville la plus superstitieuse du monde, il gagna lAréopagite avec sa femme? (Act. XVII, 34.) Quel charme merveilleux ne possédait-il pas en parlant, puisquon passait des nuits à lentendre? témoin Eutyque tombé du haut dune fenêtre (Act. XX, 9.) A Thessalonique, à Corinthe, à Ephèse, à Rome que fait-il? il prêche des jours entiers et même des nuits entières expliquant les Ecritures, disputant contre les Epicuriens et les Stoïciens. (Act. XVII, 18.) Je ne finirais pas, si je relevais toutes les occasions dans lesquelles il a montré son talent pour la parole. Avant quil eût fait des miracles, comme pendant le cours de ses prodiges, on le voit user fréquemment de la parole. Qui donc osera nommer ignorant celui qui, soit quil fût aux prises avec un adversaire, soit quil haranguât la multitude se faisait admirer de tout le monde? Les Lycaoniens crurent voir en lui leur Mercure; ses miracles et ceux de Barnabé les firent passer pour des dieux; mais il ny eut que léloquence qui fit prendre Paul pour le dieu de léloquence. (Act. XIV, 11.) Nest-ce pas par là quil a surpassé les autres Apôtres? Doù vient que par toute la terre son nom se trouve si fréquemment dans la bouche des hommes? Doù vient quil est plus admiré que tous les autres, non-seulement parmi nous, mais même parmi les Juifs et les Grecs? Nest-ce pas à cause du prodigieux mérite de ses épîtres, qui ont fait tant de bien aux fidèles de son temps et à ceux qui sont venus depuis, et qui en feront encore tant à ceux qui viendront, jusquau dernier avènement du Christ; car il ne cessera pas dêtre utile aux hommes tant que durera le genre humain. Ses admirables écrits sont comme une muraille de diamant qui entoure et protége les Eglises dans toutes les parties du monde. Champion immortel du Christ, il est encore aujourdhui debout au milieu de lEglise, enchaînant toute pensée sous lobéissance du Christ, renversant tous les conseils, abattant toute hauteur qui sélève contre la science de Dieu. (II Cor. X, 5.) Or, tout cela, il le fait par les admirables épîtres quil nous a laissées, épîtres toutes pleines de la sagesse divine. Ses précieux écrits servent non-seulement au renversement des fausses doctrines et au solide établissement de la vraie foi, mais ils sont encore dune très-grande utilité pour instituer la règle des bonnes moeurs. Cest par leur moyen quaujourdhui encore les évêques parent et ornent la chaste Vierge quil a nommée lépouse de Jésus-Christ (II. Cor. XI, 2), et quils travaillent à former en elle tous les traits du type de la beauté spirituelle; cest par eux quils repoussent les maux qui fondent sur lEglise, et quils lui conservent la santé dont ellejouit. Tels sont les remèdes que cet ignorant nous a laissés, et telle est leur vertu, comme lexpérience lapprend à ceux qui en font continuellement usage. De tout ceci, concluons que saint Paul attachait une grande importance au talent de la parole. 8. Ecoute encore dans quels termes Paul écrit à son disciple : Applique-toi d la lecture, à lexhortation, à linstruction. Et pour lui montrer le fruit quil en retirera, il ajoute : Par là, tu te sauveras, toi et ceux qui técoutent. (I Tim. V, 16.) Et ailleurs : il ne faut pas quun serviteur du Seigneur dispute; mais quil soit doux envers tout le monde, capable dinstruire, patient. (II Tim. IV, 16.) Et poursuivant il dit : Pour toi, demeure ferme dans ce que tu as appris et qui ta été confié; sachant de qui tu las appris; te souvenant que dès ton enfance, tu as été instruit des lettres saintes qui peuvent téclairer pour le salut. (II. Tim. III, 14, 15.) Et encore : Toute écriture divinement inspirée est utile pour enseigner, pour reprendre, pour corriger, pour former à la justice, afin que lhomme de Dieu soit parfait. (II. Tim. III, 16.) Ecoute encore ce quil dit à Tite sur lordination des évêques : Il faut quun évêque soit attaché à la vraie parole, à celle qui est conforme â lenseignement, afin quil puisse convaincre les contradicteurs. (Tit. I, 9.) Comment donc un ignorant pourra-t-il convaincre les contradicteurs de la vraie foi et leur fermer la bouche? A quoi bon sappliquer à la lecture et aux Ecritures, sil faut sen tenir à cette ignorance? Vaines excuses et faux prétextes que tout cela, derrière lesquels voudraient sabriter la paresse et lindolence. Mais, me dit-on, ces conseils sadressent aux prêtres. Je réponds dabord que cest bien deux (605) quil est ici question. Mais jajoute quils sadressent en même temps aux simples fidèles, car, écoute ce que lApôtre dit dans une autre épître, parlant cette fois non plus seulement aux prêtres, mais à tout le monde: Que la parole du Christ habite en vous abondamment avec toute sagesse (Coloss. III, 16); et encore : Que toutes vos paroles soient accompagnées de grâce, et assaisonnées du sel de la sagesse, en sorte que vous sachiez répondre à chacun comme il convient. (Coloss. IV, 6.) Or le précepte dêtre prêt à répondre regarde tout le monde. Ecrivant aux Thessaloniciens, il dit : Edifiez-vous les uns les autres, comme vous le faites. (I. Thess. V, 11.) Quand il parle des prêtres, voici ce quil dit : Que les prêtres qui gouvernent bien soient doublement honorés, principalement ceux qui travaillent à la prédication et à linstruction. (I. Tim. V, 17.) Car le dernier terme de la perfection est atteint dans linstruction lorsque, par leurs exemples comme par leurs paroles, les prédicateurs conduisent les hommes à la vie bienheureuse préparée par Jésus-Christ. Les exemples seuls ne suffisent pas pour instruire: ce nest pas moi qui le dis, cest le Sauveur lui-même : Celui, dit-il, qui pratiquera et qui enseignera, sera appelé grand. (Matth. V, 19.) Si pratiquer cétait la même chose quinstruire, il eût été superflu dajouter le second; il eût suffi de dire, celui qui pratiquera. Mais en les divisant, Notre-Seigneur nous apprend que les oeuvres ne sont pas la parole; et que pour édifier parfaitement les peuples, lexemple et le discours doivent se prêter un mutuel secours. Nentends-tu pas ce que dit aux prêtres dEphèse ce vase délection du Christ: Veillez donc, et noubliez pas que durant trois ans, nuit et jour, je nai pas cessé davertir avec larmes chacun de vous. (Act. XX, 31.) Pourquoi ces larmes, ces discours, ces avertissements alors que léclat de sa vie apostolique était si vif? Sans doute que le bon exemple contribue beaucoup à laccomplissement des commandements ; toutefois, même en cette partie, je noserai dire quil suffise tout seul. 9. Lorsquun combat sengagera sur le terrain du dogme, et que tous combattront avec des armes prises dans les divines Ecritures, de quel secours alors sera la sainteté de la vie? A quoi serviront les fatigues et les sueurs, si après toutes ces austérités, on tombe dans lhérésie par ignorance et quon soit séparé du corps de lEglise? Jen connais plusieurs à qui ce malheur est arrivé. Quel fruit retireront-ils de leur patience? Aucun : pas plus que si, la foi étant saine et entière, la conduite était vicieuse. Il faut donc une grande habileté dans ces combats pour la foi, à celui qui est chargé denseigner les autres. Quand même il serait, lui, inébranlable dans la foi, et invulnérable aux coups des ennemis, la multitude dâmes simples qui lui est soumise, voyant son chef vaincu et réduit au silence par ses contradicteurs, accuse non limbécillité de lhomme, mais la faiblesse du dogme; et ainsi lignorance dun seul cause la perte de tout un peuple. On ne se donnera pas, situ veux, tout de suite à lennemi, mais on commencera à douter des principes jusque-là les mieux assurés; on ne sera plus aussi solidement attaché à certaines croyances que lon avait embrassées de toutes les forces de sa foi. La défaite du maître produit dans les âmes une tempête si violente quelle ne peut finir que par le naufrage. Te dire maintenant quelles calamités, quels charbons de feu samassent sur la tête du malheureux, à qui lon est en droit de reprocher la perte de tant dhommes, la chose serait superflue; tu le sais aussi bien que moi. Voilà donc ce crime dorgueil et de vaine gloire que lon veut mimputer, parce que jai refusé dêtre la cause de la ruine de tant dâmes et, par là, de mattirer un châtiment plus terrible au jour du jugement. Qui oserait encore le soutenir? Personne assurément; à moins de vouloir persister dans une accusation sans motif, et faire le philosophe dans les malheurs dautrui. (606)
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