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La prison Si un chrétien de nos jours désirait connaître dans tous ses détails ce que nos pères ont enduré pour la foi pendant trois siècles de persécution, nous ne nous contenterions pas d'être descendu avec lui dans les catacombes pour lui apprendre quel genre de vie ils étaient forcés d'y mener ; mais nous lui donnerions le conseil de parcourir ces annales impérissables, les Actes des martyrs, c'est là qu'il pourrait voir comment ils savaient mourir. Après les saints évangiles, nous ne connaissons rien de plus émouvant, rien de plus propre à attendrir et à consoler, à fortifier la foi, à augmenter l'espérance, que ces vénérables monuments. Si le loisir manquait à nos lecteurs pour s'adonner à une si touchante lecture, nous les prierions de prendre au moins connaissance des Actes authentiques des saintes Perpétue et Félicité ; les personnes instruites les liront avec le plus grand plaisir dans leur simple latin d'Afrique, ainsi que plusieurs autres anciens et curieux documents chrétiens. Ceux que nous venons d'indiquer étaient connus de saint Augustin, et ne sauraient être parcourus sans émotion. Si notre lecteur veut bien comparer le récit, plein d'une sensiblerie morbide et exagérée, d'un écrivain moderne qui a publié le journal imaginaire d'un criminel, depuis sa condamnation à mort jusqu'à l'heure de son exécution (1), avec le touchant et fidèle tableau des derniers moments de Vivia Perpetua, noble dame de vingt et un ans, il n'hésitera pas à le trouver beaucoup plus naturel, beaucoup plus gracieux et attachant que les conceptions les plus hardies et les plus romanesques.
Lorsque la tristesse envahit notre âme, ou que les misères de cette vie excitent les murmures de notre faible coeur, que pourrions-nous faire de mieux que de feuilleter ces précieuses et véridiques légendes des nobles martyrs de Lyon et de Vienne, et tant d'autres qui sont arrivées jusqu'à nous à travers les siècles ? Là nous trouverons le remède à notre lâcheté, en voyant ce que des enfants, des femmes, des catéchumènes, des esclaves, ont souffert sans se plaindre, pour l'amour du Christ.
Mais n'abandonnons pas notre récit. Pancrace, enchaîné avec une vingtaine de compagnons, fut conduit en prison à travers les rues de la ville. Comme on les traînait ainsi, trébuchant et tombant à chaque pas, ils étaient frappés sans pitié par les gardes qui les escortaient ; et tous ceux qui passaient à portée ne se faisaient aucun scrupule de les accabler de coups de pied et de coups de poing : les plus éloignés leur jetaient des pierres ou des ordures, en les insultant de la façon la plus grossière (2). Enfin ils arrivèrent à la prison Mamertine, où on les jeta brutalement ; d'autres victimes, des deux sexes, y attendaient déjà le moment de leur sacrifice. Pancrace eut à peine le temps, pendant qu'on lui attachait les menottes, de prier un de ses gardiens de faire connaître son arrestation à sa mère et à Sébastien, et de lui glisser sa bourse dans la main.
La prison Mamertine Les prisons de l'ancienne Rome n'étaient pas un endroit où un pauvre pût désirer d'être renfermé, dans l'espoir d'une meilleure nourriture et d'un logement plus agréable. Deux ou trois de ces cachots, car ce n'était pas autre chose, existent encore ; nous nous contenterons de donner une brève description de l'un d'eux ; on pourra voir ce qu'il en coûtait pour devenir confesseur de la foi, sans préjudice des souffrances du martyre.
La prison Mamertine se composait de deux salles carrées, souterraines, bâties l'une au-dessous de l'autre : une seule ouverture, pratiquée au centre, donnait passage à l'air, à la lumière, à la nourriture, à tous les objets indispensables, et aux prisonniers eux-mêmes. Lorsque l'étage le plus élevé était plein, on peut se demander comment l'air et la lumière pouvaient arriver à l'étage inférieur. Il ne pouvait y avoir aucun autre moyen de renouveler l'atmosphère, d'y entretenir la propreté, ou seulement d'y avoir accès. De larges anneaux de fer pour attacher les prisonniers sont encore scellés dans les pierres massives de la muraille ; plusieurs de ces infortunés avaient les pieds serrés par des ceps. L'ingénieuse cruauté de leurs persécuteurs trouvait souvent moyen d'augmenter l'incommodité que leur causait le sol humide, en y répandant des fragments de vases brisés, afin que ces pauvres chrétiens étendissent leurs membres fatigués sur ce lit douloureux. C'est ainsi qu'en Afrique une petite troupe de martyrs, conduits par les saints Saturnin et Dativus, succombèrent aux souffrances qu'ils eurent à endurer en prison. Les actes des martyrs de Lyon nous apprennent qu'un grand nombre de ceux qui arrivaient dans ces affreux cachots y mouraient avant d'avoir été soumis à d'autres tortures, tandis que, au contraire, ceux qui y retournaient après de cruels supplices, et dans un état désespéré, y recouvraient la santé, sans médecin et privés de tous secours (3). Les fidèles parvenaient à s'introduire dans ces asiles de la douleur, mais non de la tristesse ; ils s'efforçaient, autant qu'il était possible, d'adoucir les souffrances de ces bien-aimés et vénérables frères, et de leur procurer toutes les consolations spirituelles et temporelles.
La justice romaine réclamait au moins les formes extérieures d'un jugement ; c'est pourquoi les prisonniers chrétiens passaient de leur cachot au pied du tribunal ; ils y subissaient un interrogatoire dont nous retrouvons de précieux modèles dans les actes proconsulaires des martyrs, tels qu'ils étaient enregistrés par le greffier de la cour.
Lorsqu'on demanda à Pothin, évêque de Lyon, alors dans sa quatre-vingt-dixième année : «Quel est le Dieu des chrétiens ?» il répondit avec dignité ces simples paroles : «Vous le saurez quand vous en serez digne (4)». Parfois le juge entrait en discussion avec les chrétiens, et ne s'en tirait point à son honneur, quoiqu'ils se contentassent, la plupart du temps, de réitérer leur profession de foi chrétienne. Souvent le magistrat posait cette unique question, comme il arriva au nommé Ptolémée, selon le magnifique récit de saint Justin, et à sainte Perpétue : «êtes-vous chrétien ?» et, sur une réponse affirmative, il prononçait la peine capitale.
Pancrace et ses compagnons furent donc amenés devant le tribunal ; car on devait célébrer dans trois jours le munus ou les jeux pendant lesquels ils devaient lutter contre les bêtes sauvages.
«Qui êtes-vous? demanda le juge à l'un d'eux.
- Je suis chrétien par la grâce de Dieu, fut la réponse.
- Et vous ? dit le préfet à Rusticus.
- Je ne suis, il est vrai, qu'un esclave de César ; mais, en devenant chrétien, j'ai été affranchi par le Christ lui-même ; par sa grâce et sa miséricorde, je partage les mêmes espérances que ceux qui vous entourent.»
Le juge se tournant ensuite vers le saint prêtre Lucianus, vénérable par son âge et ses vertus, lui adressa ces paroles : «Allons, obéissez aux dieux eux-mêmes et aux décrets impériaux.
- Personne, répondit le vieillard, ne peut être réprimandé pour avoir obéi aux préceptes de Jésus-Christ notre Sauveur.
- De quelle science et de quelles études vous occupez-vous ?
- J'ai essayé de me rendre maître de toutes les sciences, et je me suis appliqué à toutes les études ; mais j'ai fini par m'arrêter aux doctrines du christianisme, quoiqu'elles déplaisent à ceux qui s'égarent à la poursuite de fausses opinions.
- Misérable ! comment une pareille science peut-elle vous plaire ?
- Elle fait tout mon bonheur ; car la doctrine des chrétiens est la seule véritable.
- Quelle est-elle ?
- Voici quelle est la pieuse doctrine des chrétiens : Nous croyons en un seul Dieu, auteur et créateur des choses visibles et invisibles. Nous confessons le Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, annoncé autrefois par les prophètes ; il viendra juger les hommes et annoncera le salut réservé à ceux qui croiront à ses paroles. Quant à moi, homme faible et impuissant, je ne saurais parler comme il convient de son infinie divinité, c'est la fonction des prophètes (5). - Vous enseignez aux autres l'erreur, votre châtiment sera donc plus sévère. Qu'on place ce Lucianus sur le chevalet, et que ses pieds soient tendus jusqu'à la cinquième ouverture (6). Et vous deux, femmes, quels sont vos noms et votre condition ?
- Je suis chrétienne, et je n'ai pas d'autre époux que le Christ. Mon nom est Secunda, répondit l'une.
- Je suis veuve, je m'appelle Ruffine, et je professe la même foi salutaire», ajouta l'autre.
Enfin, après avoir posé à tous les mêmes questions et toujours reçu la même réponse, excepté d'un misérable qui, au grand chagrin de ses frères, hésita et consentit à offrir un sacrifice, le préfet, se tournant vers Pancrace, lui dit :
«Et vous, insolent jeune homme, qui avez eu l'audace d'arracher l'édit des divins empereurs, le pardon vous est encore offert si vous consentez à sacrifier aux dieux. Faites preuve de piété et de sagesse, car vous n'êtes encore qu'un enfant.»
Pancrace s'arma du signe vénéré de la croix et répondit avec calme :
«Je suis le serviteur du Christ. Je le confesse de bouche, je l'aime de tout mon coeur et je l'adore sans cesse. Quoique je ne sois qu'un jeune homme, j'ai toute la sagesse d'un vieillard, parce que je ne reconnais qu'un seul Dieu. Vos divinités et leurs adorateurs sont voués à une éternelle destruction (7). - Qu'on le frappe sur la bouche pour ce blasphème ; qu'il soit battu de verges, s'écria le juge irrité.
- Je vous rends grâces, répondit doucement le jeune homme, de ce que vous me permettez de souffrir le même châtiment que mon Sauveur (8).»
Le préfet prononça ensuite la sentence selon la forme habituelle : «Lucianus, Pancrace, Rusticus et les autres, les femmes Secunda et Ruffina, qui se sont déclarés chrétiens et ont refusé d'obéir au divin empereur ou d'adorer les dieux de Rome, seront, par notre ordre, exposés aux bêtes dans l'amphithéâtre de Flavius.»
La populace hurla de joie et accompagna les confesseurs jusqu'à leur prison en les poursuivant de ses cris de haine. Mais leur dignité et la majesté calme qui brillait sur leurs fronts lui imposèrent peu à peu ; quelques-uns affirmèrent que les martyrs étaient parfumés ; car une atmosphère embaumée environnait leurs personnes (9).
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