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Fabiola ou l'Eglise des Catacombes
du cardinal Wiseman (1854)


Livre II, chapitre 7

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Une triste mort

eu de jours après que Fabiola fut revenue de la campagne, Sébastien crut de son devoir de se rendre chez elle, afin de lui raconter le dialogue qu'il avait surpris entre son esclave noire et Corvinus, ou du moins ce qu'il pouvait lui en dire sans l'inquiéter inutilement. Nous l'avons déjà remarqué, parmi tous les jeunes patriciens que Fabiola voyait dans le palais de son père, Sébastien était le seul qui eût excité son admiration et son respect. Franc, généraux, brave, quoique modeste, doux, gracieux et aimable, toujours occupé des autres, d'un caractère à la fois plein de noblesse et de simplicité, d'une haute sagesse et d'un grand bon sens, il lui apparaissait comme le type achevé de la vertu virile, que le temps ne pourrait entamer, et que la familiarité ne saurait affaiblir.

Aussi, lorsqu'on lui annonça que le tribun Sébastien désirait l'entretenir en particulier dans une des salles du rez-de-chaussée, son coeur battit à cette nouvelle, et son imagination lui suggéra mille suppositions bizarres sur ce qu'il avait à lui dire. Son trouble ne diminua guère quand le jeune officier, après s'être excusé de son apparente importunité, lui dit avec un sourire que, sachant très bien les ennuis que lui causaient les nombreux candidats à sa main, il regrettait de venir en déclarer un autre dont le nom ne figurait pas encore sur la liste. Cette façon ambiguë d'entrer en matière la surprit, et peut-être ne lui déplut pas ; mais elle fut bientôt désabusée en apprenant qu'il s'agissait de ce vulgaire et sot Corvinus. Fabius lui-même, malgré son peu de discernement des caractères, avait assez observé Corvinus dans son dernier banquet, pour le dépeindre à sa fille en se servant de ces flatteuses épithètes.

Sébastien, qui craignait beaucoup plus les effets physiques des philtres d'Afra que leur influence sur le moral, trouva bon d'informer Fabiola du traité conclu entre ces deux savants adeptes de la magie, et dont le but principal, après tout, était d'arriver jusqu'à la bourse d'une dupe récalcitrante ; il se garda bien de répéter ce qui avait été dit des chrétiens. I1 la mit sur ses gardes, et elle lui promit de mettre un terme aux expéditions nocturnes de son esclave nécromancienne. Fabiola ne crut pas un seul instant qu'Afra accomplirait ce qu'elle avait promis de faire ; du reste les dernières paroles de l'esclave noire, après avoir quitté sa victime, étaient bien la preuve qu'elle voulait le tromper ; elle ne craignait pas non plus des artifices qu'elle méprisait profondément ; mais son indignation était grande d'avoir été l'objet d'un marché entre deux personnages aussi vils, et surtout d'avoir été prise pour une femme avaricieuse que l'on pouvait acheter.

«Je reconnais là votre bonté, dit-elle enfin à Sébastien, de venir me donner cet avis ; j'admire la délicatesse avec laquelle vous avez traité un sujet si désagréable, et votre bienveillance envers ceux qu'elle concerne.

- Ce que je viens de faire, répondit le tribun, je suis prêt à le recommencer pour tous ceux que je pourrais préserver ainsi de la douleur et sauver d'un danger.

- Pour vos amis, n'est-ce pas ? demanda Fabiola en souriant ; autrement votre vie entière se passerait à rendre des services qui resteraient sans récompense.

- Qu'il en soit ainsi, je ne saurais mieux l'employer.

- Vous ne parlez pas sérieusement, Sébastien. Si vous voyiez un de vos ennemis, qui vous eût toujours détesté et qui cherchât à vous détruire, menacé d'un malheur qui le rendrait impuissant dans ses mauvais desseins, étendriez-vous la main pour le sauver et le secourir ?

- Certainement. Si Dieu fait briller le soleil et tomber la pluie indistinctement sur ses amis et ses ennemis, comment un faible mortel oserait-il agir d'après un autre principe de justice ?»

Ces paroles surprirent Fabiola ; elles semblaient pareilles à celles du mystérieux parchemin, et appartenaient au système philosophique de son esclave.

«Vous êtes donc allé en Orient ? demanda-t-elle vivement à Sébastien. Est-ce là que vous avez puisé ces principes ? car j'ai chez moi une jeune fille asiatique, demeurée volontairement mon esclave ; elle est douée de rares qualités morales et m'a développé la même théorie.

- Ce n'est point en pays étranger que j'ai puisé ces principes, je les ai sucés avec le lait de ma mère ; néanmoins je crois que nous les tenons de l'Orient.

- Ils sont magnifiques abstractivement, remarqua Fabiola ; mais la mort nous atteindrait avant que nous eussions pu les mettre en pratique, si nous devions régler sur eux notre conduite.

- Et la mort, sans nous surprendre, pourrait-elle venir à un meilleur moment que lorsque nous sommes occupés de l'accomplissement de notre devoir, avant même que nous ayons atteint le but de nos efforts ?

- Pour moi, répondit-elle, je suis de l'avis du vieux poète épicurien. La vie est un banquet que je ne quitterai pas sans être rassasiée, ut conviva satur. Je veux lire le livre de la vie jusqu'à la fin, et le fermer avec calme, après en avoir parcouru la dernière page.»

Sébastien secoua la tête en souriant et dit : «La première page du livre de ce monde se trouve souvent au milieu du volume, à l'endroit que la mort vient désigner du doigt. Mais à la page suivante commence le livre glorieux d'une nouvelle vie, le livre dont la dernière page est l'éternité.

- Je vous comprends, répondit Fabiola d'un air enjoué, vous parlez comme un brave soldat. Il vous faut toujours être préparé à la mort qui vous menace de mille manières. Quant à nous, nous la voyons rarement s'approcher avec tant de rapidité ; elle est plus miséricordieuse, et s'avance à la dérobée pour ménager notre faiblesse. Sans doute vous rêvez le sort plus glorieux et plus honorable de succomber en face de l'ennemi, la poitrine percée de flèches : vous espérez les funérailles solennelles d'un soldat sur un bûcher orné de vos trophées militaires. C'est alors que s'ouvriront pour vous les pages brillantes du livre de gloire.

- Non, non, noble dame, s'écria vivement Sébastien, ce n'est pas là ce que je veux dire. Je ne tiens pas à une gloire dont on ne jouit qu'en se la présentant d'avance. Je parle de la mort la plus vulgaire, qui peut m'atteindre à l'égal du dernier des esclaves : que ce soient la fièvre dont l'ardeur consume le corps, la consomption qui le mine lentement, les cruels ulcères qui le dévorent, ou bien le supplice plus cruel encore que lui inflige la méchanceté des hommes. Quoi qu'il arrive, je reçois tout comme un don de la main que j'aime.

- Prétendez-vous dire qu'une pareille mort soit la bienvenue ?

- Oui, elle me rendrait aussi joyeux que l'épicurien qui pénètre dans la salle d'un banquet, et dont les yeux ravis parcourent les tables richement servies et brillamment éclairées, les mets succulents, les esclaves élégants et couronnés de roses. Lorsque la mort, sous quelque forme que ce soit, m'ouvrira les portes, de fer de notre côté, et d'or de l'autre, qui conduisent à une nouvelle et éternelle vie, mon coeur tressaillira d'allégresse comme celui de l'épouse vers laquelle s'avance l'époux, les mains chargées de présents, afin de la conduire dans sa nouvelle demeure. Je ne crains pas le messager hideux de la mort ; car il m'annonce l'approche de Celui dont le visage resplendit d'une céleste beauté.

- Et qui est-il ? demanda Fabiola avec ardeur. Faut-il donc être déjà dans les bras de la mort pour avoir le droit de le contempler ?

- Non, répondit Sébastien ; car c'est lui qui nous récompensera, non seulement pour notre vie, mais encore pour notre mort. Heureux les coeurs au fond desquels il a toujours trouvé la pureté et l'innocence ! Heureux ceux dont les actions ont toujours été vertueuses ! Ceux-là jouiront du bonheur de le contempler, et ce ne sera encore que le commencement de la récompense.»

Combien cette doctrine ressemble à celle de Syra, pensa-t-elle ; mais avant qu'elle pût ouvrir la bouche pour s'informer de son origine, une esclave apparut sur le seuil de la porte et dit avec respect :

«Madame, un courrier arrive à l'instant de Baia (1).

- Excusez-moi, Sébastien, s'écria-t-elle. Qu'il vienne tout de suite.»

Le courrier, qui avait laissé à la porte d'entrée son cheval épuisé de fatigue, entra couvert de poussière, l'air abattu, et lui remit un pli cacheté.

«Est-ce de mon père ?

- Il s'agit de lui, du moins», fut la réponse de mauvais augure.

Elle ouvrit la lettre et la parcourut du regard ; puis elle jeta un cri et tomba à la renverse. Sébastien la reçut dans ses bras avant qu'elle touchât la terre, l'étendit sur un lit de repos, et l'abandonna aux soins de ses femmes, qui étaient entrées précipitamment en entendant le cri qu'elle venait de pousser.

Un coup d'oeil lui avait tout révélé : son père était mort.


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(1)  Ville d'eaux à la mode aux environs de Naples.