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LA VIGNE MYSTIQUE ou TRAITÉ DE LA PASSION DU SEIGNEUR SUR CES PAROLES : JE SUIS LA VÉRITABLE VIGNE.
CHAPITRE XXXI. De trois avantages de la vie future qu'obtiendront les vierges.
CHAPITRE XXXIII. De laveur de la charité, ou de la rose rouge et ardente.
CHAPITRE XXXIV. De la rose de la charité.
CHAPITRE XXXV. De la rose de la passion.
CHAPITRE XXXVI. Des sept effusions du sang de Jésus-Christ, notre vigne.
CHAPITRE XXXVII. De la seconde effusion du sang
CHAPITRE XXXVIII. De la troisième effusion.
CHAPITRE XXXIX. De la quatrième effusion du sang.
CHAPITRE XL. De la cinquième effusion du sang.
CHAPITRE XLI. De la sixième et de la septième effusion du sang.
CHAPITRE XLII. Du safran de l'abstinence de notre vigne.
CHAPITRE XLIII. De l'odeur des fleurs de la vigne.
CHAPITRE XLIV. Qu'il faut trouve des fleurs dans notre vigne.
CHAPITRE XLV. De lodeur des fleurs de la vigne.
CHAPITRE XXXI. De trois avantages de la vie future qu'obtiendront les vierges.
108. Poursuivons, et indiquons, comme nous l'avons marqué en cette matière, les trois avantages qui seront le partage spécial des vierges du Christ. Le très-heureux apôtre saint Jean Évangéliste vit, dans son Apocalypse, douze fois douze mille saints jouant de la lyre, ils avaient le corps pur d'une virginité sans tache; ils avaient dans le coeur une fraîcheur parfaite, et ils suivaient l'agneau, l'Époux des vierges partout où il allait (Apoc. XIV, 4). C'est là la récompense spéciale des vierges, désignée par « la quatrième feuille » de la fleur du lis : elles suivent l'agneau où qu'il porte ses pas. Où croirons-nous que va cet agneau, puisque personne n'ose ou ne peut le suivre, si ce n'est vous? où, dis-je, pensons-nous qu'il va? en quelles gorges? dans quelles prairies? Là, je pense, où sont les joies véritables, non les joies de ce monde, joies vaines, insensées, mensongères, ni même les joies ordinaires accordées aux autres saints dans le royaume de Dieu; mais les joies distinctes et réservées aux vierges du Christ, joies du Christ, joies avec le Christ, joies à la suite du Christ, joies propres aux vierges du Christ. Ces allégresses ne sont point celles de ceux qui ne sont pas vierges, bien qu'ils appartiennent au Christ. Chacun des saints a ses joies, mais nul n'en goûte de comparables. Les vierges suivent l'agneau partout où il ira, parce que la chair de 1'agneau est vierge. Car il garda en lui, lorsqu'il était dans son corps, ce qu'il n'enleva à sa mère. Vierge, il fut conçu d'une vierge, et né vierge, d'une mère vierge, le Seigneur Jésus, auteur, ami, gardien et rémunérateur magnifique, le Seigneur Jésus-Christ, après sa naissance, demeura vierge avec sa mère immaculée. C'est donc avec raison que les vierges le suivent partout où il va, même en cette vie, par la virginité du coeur et de la chair. Car qu'est-ce que suivre, sinon imiter? « Jésus-Christ, en effet, a souffert pour nous, vous laissant un modèle, » comme l'enseigne l'apôtre saint Pierre, « afin que vous marchiez sur ses traces (Petr. II, 21). » Chacun le suit autant qu'il l'imite, lui qui est proposé à l'imitation de tous : la virginité de la chair n'est pas donnée à tous. Car tous n'ont pas ce qu'il y a à faire pour être vierges, C'est pourquoi, que les autres fidèles, qui ont perdu la virginité du corps, suivent l'agneau, non partout où il ira, mais là où ils pourront le suivre. Or ils peuvent le suivre dans toutes les vertus, excepté lorsqu'il marche dans les régions éblouissantes de la virginité. Comment, en effet, pourraient-ils s'avancer après lui dans le chemin virginal, ceux qui ont perdu ici-bas ce qu'on ne recouvre jamais? Vous donc, qui êtes ses vierges, allez après lui, et suivez-le partout où, il portera ses pas; en gardant avec persévérance ce que vous avez voué, faites avec,ardeur ce que voua pouvez, dans la crainte que le bien de la virginité ne se perde pour vous, car après l'avoir perdu vous ne pouvez rien faire pour le recouvrer. Oh! avec quelle admiration, avec quelle grande joie vous regardera la multitude des autres saints, qui ne peut ainsi marcher à la suite de l'agneau! Ils vous verront sans jalousie, et, en se réjouissant avec vous, ils auront en vous ce qu'ils n'ont pas en eux. Car l'agneau que vous suivez partout où il ira, il ne les abandonnera point eux qui ne peuvent aller jusqu'au point où vous pénétrez. Nous parlons de l'agneau tout-puissant, qui marchera devant vous et qui ne s'éloignera pas d'eux, puisque Dieu sera tout dans tous : ceux qui auront moins que vous n'en seront pas couronnés: là où il n'y a pas de jalousie, les différences qui existent ne troublent parla concorde. Ayez donc courage, ayez confiance, fortifiez-vous et persévérez dans la vertu que vous avez vouée et acquittez au Seigneur, votre Dieu, vos voeux de perpétuelle continence, non seulement pour éviter les chagrins du siècle présent, mais bien plutôt à cause surtout des délices singulières du siècle à venir, que le Christ notre agneau nous présentera en passant, lorsque nous serons assis à sa table. 109. Que les vierges du Christ prennent garde à ne point se faire des idées puériles, qu'elles ne croient pas que la virginité seule suffit pour suivre l'agneau de Dieu partout où il ira ; car cet agneau ne suit pas seulement le sentier de la virginité, mais encore il marche par le chemin de toutes les vertus. Il faut donc que la vierge suive, même en cette vie, le très-doux agneau dans le chemin de toutes les vertus, si elle veut parvenir au séjour où elle le suivra sans lin, partout où il portera ses pas. Comment, en effet, une vierge orgueilleuse pourrait suivre dans le chemin de l'humilité, cet agneau dont elle ne pourrait en aucune façon s'approcher? Comment, portée à la colère, suivrait-elle cet agneau très-doux; jalouse, cet agneau brûlant de charité; avare, cet agneau si généreux ; portée au vin, cet agneau très-sobre? Il marche dans le chemin de toutes les vertus. Qu'elle y marche: aussi, la vierge qui désire l'imiter. Qu'elle soit douce, humble et fervente de charité, généreuse, prompte, sobre, et elle suivra l'agneau partout où il ira, et enfin elle méritera d'entendre de sa bouche «Que vos pas sont beaux en vos chaussures, tille du prince (Cant. VII, 1). » La fille par excellence du prince de Dieu, la reine de tous ceux qui, dominent sur la terre, sera l'âme virginale, c'est sa démarche qu'on loue dans ses chaussures. Par chaussures nous entendons les exemples des trépassés, parce qu'on les fait des dépouilles des animaux morts. Les pas des vierges sont donc beaux dans leurs chaussures, lorsqu'elles marchent dans le chemin de toutes les vertus, directement à la suite de lagneau immolé pour elles; prêtes de leur côté, à le suivre jusqu'à la mort, et à travers la mort s'il est nécessaire, entourant, en chacune de leurs démarches, les pieds de leurs affections, des exemples de cet agneau si excellent; qu'on appelle Jésus-Christ, pour les préserver des morsures du serpent qui veut piquer le talon virginal, lorsqu'avec l'aide du même agneau,le pied de la vierge le foule à terre. 110. La cinquième futile du lis indique le cinquième motif pour lequel la virginité est à désirer; c'est celui-ci : Les vierges chanteront un cantique nouveau devant le trône de Dieu et de l'agneau, cantique que nul ne peut dire, excepté les vierges. Ô heureuses vierges, ô vierges plus heureuses que les autres, qui, aux noces éternelles de lagneau, chantez ce cantique nouveau qui résonne sur vos lyres, non ce cantique ordinaire que chante la terre entière, ainsi qu'il est dit «Chantez au Seigneur un cantique nouveau, que tout l'univers chante une hymne à la gloire, de Dieu (Psal. XCV, 1) ; » mais un cantique réservé, que nul, si ce n'est vous, ne pourra redire. Cependant, toute la multitude des fidèles l'entendra, et elle se réjouira de ce don si excellent qui vous est propre. Et vous qui le prononcerez et qui l'entendrez, parce que vous le chanterez, vous aurez plus d'allégresse et vous régnerez avec plus de joie. Qui pourra expliquer ce bonheur. Quelle intelligence humaine concevra le transport d'une si grande allégresse ? Que si toutes les vierges chantent ce cantique, n'est-il pas vrai que la Vierge des vierges le chantera comme la première et la principale de toutes ? Elle le chantera, et avec d'autant plus de bonheur, qu'elle est plus chaste que les autres. Elle donnera l'entrain et l'exemple à tout le choeur pour chanter, elle qui a excité les autres par sa conduite à aimer la virginité. Les vierges chanteront donc en ce jour de leur fête leur cantique dans le coeur. de l'agneau vierge, leur époux, qui leur aura donné la ce qui leur permet de le chanter. Quoi donc? Mais cet agneau lui-même, élevé au dessus, non-seulement du choeur des autres vierges, mais encore de la Vierge sa mère, qui toutes tirent de lui et la virginité et même l'existence, cet époux des vierges, cette vierge par excellence, ne chantera-t-il pas lui aussi? Assurément il chantera, et cette très-douce voix du Père éternel résonnera avec toutes les autres, au dessus de toutes les autres et dans toutes les autres. O Cantique très-heureux ! ô solennité très-agréable, sans comparaison comme sans terme ! Qui ne soupirerait après ce bonheur! Qui refuserait de travailler pour parvenir au séjour glorieux où s'entendront les chants nouveaux des vierges si excellentes, où retentira merveilleusement au dessus des harmonies des autres vierges la voix si développée de la mère de l'agneau, concert heureux où se fera entendre l'agneau très-miséricordieux, avec son cantique très-suave et tout de miel. Car si tous « les témoignages du Seigneur » au témoignage du Prophète, ont, pour celui qui habite encore un corps de mort plus « doux que le miel (Psal. XVIII, 11), » de quelle douceur pensez-vous qu'ils surabonderont en ce lieu d'où seront bannies toute mortalité, toute crainte, et toute douleur ? Où l'amertume ne trouvera pas la moindre place, mais où toutes les âmes boiront au torrent de la volupté divine, enivrées aux transports de la maison du Seigneur ? Ce sera une grande jouissance pour tous ceux qui entendront le doux cantique de l'agneau virginal, jouissance plus grande pour les vierges du Christ, qui chanteront avec lui. 111. Avec quel soin donc les vierges doivent elles veiller sur leur bouche qui chantera le cantique uniquement réservé aux vierges, en quelle vigilance doivent-elles la préserver non-seulement de tout acte souillé, mais encore de toute parole impure, honteuse, bouffonne, joyeuse et oiseuse ? Et comme il est dit au cantique de l'Épouse, les lèvres des vierges seront comme « des bandelettes de pourpre (Cant. IV, 3), » et leurs accents seront doux. On compare à des bandelettes de pourpre, les lèvres qui profèrent, toujours avec abondance, des paroles d'ardente charité, pour réprimer les mouvements et les pensées de la chair. Par la couleur de pourpre et par cette bandelette qui retient les cheveux, on entend la retenue imposée aux réflexions charnelles figurées par les cheveux. C'est donc aux lèvres des épouses de l'Agneau, c'est-à-dire aux vierges de Jésus-Christ, qu'il convient surtout d'être comme une bandelette de pourpre, afin que leurs paroles soient toujours ardentes de charité, toujours rougies de la passion de l'agneau leur époux, le doux Jésus, à la fois rouge et blanc, qui doit toujours se trouver dans leur coeur et dans leur bouche. Je ne crains nullement pour elles le mensonge, car elles ne veulent en aucune façon tromper, parlant du fond de la vérité, qui est le très-doux Jésus. Les expressions bouffonnes, honteuses, plaisantes et oiseuses, ne peuvent convenir aux paroles qui s'inspirent de la passion du Seigneur. Qu'y a-t-il, en effet, de plus utile, de plus amer et de plus beau que cette adorable passion ? 112. O Jésus très-doux et très-aimant, agneau immaculé, blanc par l'innocence, rouge par le sang de la passion, qu'il est agréable de penser à vous, qu'il est salutaire de parler de vous ! Présent à ceux qui s'entretiennent de vous, vous enflammez doucement leur esprit, vous formez leurs paroles et attirez en vous les sentiments de tous ceux qui rapportent à vous leurs discours; et ils courent à l'odeur de vos parfums, jusqu'à ce que, roi des rois, vous les introduisiez dans le grenier de vos vins, séjour délicieux, où, dans la joie de leur coeur, ils boiront le vin de votre consolation si suave, entendront le son très-doux de votre voix qui leur adressera cette invitation : « Buvez et enivrez-vous, ô mes bien-aimés, » et sentiront qu'ils sont indignes d'être gratuitement aimés de vous, ô très-aimant et très-sensible Jésus. Voyez-vous donc où tendent les paroles d'amour et de souffrance du bon Jésus ? Son nom, qui est au dessus de tout nom, nul ne le doit redire de préférence, nul ne doit le goûter avec plus de joie que les vierges sacrées, les épouses, en sorte que ce nom très-suave ne cesse jamais de retentir dans leur bouche, qui seule chantera un cantique à l'agneau du Père céleste. Commencez donc, ô vierges, à jouir autant que vous le pourrez de votre époux. Portez-le toujours dans votre bouche, toujours dans votre coeur; que vos lèvres lui soient comme des bandelettes de pourpre, et que votre voix résonne doucement à ses oreilles ; de sorte qu'enfin, vous soyez dignes de recevoir un baiser de sa bouche, et d'être admises par lui dans sa couche céleste. 113. La sixième et dernière cause pour laquelle la virginité est à embrasser, se trouve indiquée par la sixième feuille de la fleur du lis. Le témoignage suivant d'Isaïe nous la fait connaître : « à mes eunuques, » c'est-à-dire « à mes vierges, je donnerai, dans ma maison et sur ma muraille, une place bien meilleure que celles des fils et des filles, je leur donnerai un nom éternel qui restera toujours, (Isa. L. VI. 5.)» O mérite sublime des vierges, ô gloire excellente, ô récompense spirituelle ! Que toutes les vierges lisent, comprennent, et gravent dans leur mémoire cette parole, parole bonne et suave : que les jeunes gens et les jeunes personnes se réjouissent, et courent avec persévérance après avoir voué la continence jusqu'à l'entier acquittement de leur veau, qu'ils l'entendent ceux qui ne l'ont pas encore vouée, et, qu'attirés parla grandeur de la récompense, ils présentent au bon Jésus le veau de chasteté ; qu'ils entrent dans le sentier très-élevé et trèsétroit de la virginité ; et qu'y marchant sans relâche, ils reçoivent la récompense de ce nom éternel et de cette place bien meilleure que celles de ceux qui ont mis au monde des enfants. Que désigne ce nom que le Seigneur promet de donner aux vierges ? C'est assurément une gloire propre et excellente que les vierges ne partageront point avec les autres, bien qu'elles se trouveront avec eux dans le même royaume. La raison pour laquelle, afin de désigner cette récompense, on emploie le mot de « nom », c'est peut-être qu'elle distingue ceux qui l'ont reçue de tous les autres, absolument comme les autres se discernent entre eux par leurs noms. Car bien que tous les prédestinés à la vie éternelle doivent rester dans le même royaume et jouir du même Dieu, cependant, comme le dit l'Apôtre : « l'étoile diffère de l'étoile de clarté, il en sera de même en la résurrection des morts (I Cor. XV. 41) ; » cela désigne les mérites des différents saints. Car comme tous les astres ont cela de commun, qu'ils sont dans le ciel, et néanmoins autre est l'éclat du soleil, autre celui de la lune, autre celui des étoiles : ainsi, dans la vie éternelle commune à tous les élus, la splendeur des mérites sera variée et distincte. Dans la maison du père de famille, il est plusieurs demeures (Joan. XIV. 2 ) : l'une ny vivra pas plus que l'autre, car tous auront la vie éternelle. Là où il y a plusieurs personnes demeurant ensemble , l'une est plus honorée que l'autre. De quelle gloire pensez-vous que brilleront au ciel les vierges du Christ, suivant le Seigneur dans la pureté de leur coeur et de leur esprit ?Quel chur de saints plus comparable à la lune, que celui des vierges ? Seules, elles suivront le soleil de justice, le Christ comme l'agneau du Père partout où il ira : aussi seules, elles lui sont très-semblables. Elles seront donc brillantes d'une manière plus étincelante au dessus de toutes les saintes âmes réunies dans le même paradis, comme nous voyons la lune étinceler au dessus de tous les autres astres; et dans la maison du Seigneur, elles occupent une place bien plus distinguée que les autres âmes qui n'ont pas la virginité. 114. Continuez donc, jeunes gens et jeunes personnes, âmes saintes et virginales, allez résolument jusqu'à la fin. Louez tendrement ce Dieu dont la pensée vous occupe plus fréquemment : espérez heureusement celui que vous servez avec courage, aimez avec ardeur celui à qui vous cherchez à plaire avec plus de soin; qu'il n'y ait en vous aucun principe de vices, mais consacrez votre être tout entier à votre Epoux et consacrez-le à celui qui est le plus beau des enfants des hommes. Qu'en votre corps virginal,on n'aperçoive aucun regard mauvais: que vos yeux ne soient pas hagards, que votre langue soit retenue, que votre rire ne soit point éclatant, que vos yeux ne soient pas bouffons, que la décence règne dans vos habits,que votre démarche ne soit ni lente ni arrogante. Ne rendez pas le mal pour le mal, ou malédiction pour malédiction. Arrivez enfin à cette mesure de charité, de donner, à l'imitation de votre époux, votre vie pour vos frères. Ajoutées à la virginité, ces grâces montrent aux hommes la vie des anges, et font voir sur la terre les habitudes des cieux. Mais plus vous êtes grands, plus humiliez-vous en tout, pour trouver grâce devant Dieu qui résiste aux superbes, qui exalte ceux qui s'humilient, qui ne laisse point passer par une porte étroite ceux qui sont enflés d'orgueil. Qu'il n'y ait en vous aucune sollicitude superflue : que l'humilité ne fasse pas défaut où la charité est dans sa ferveur. 115. Si vous méprisez lalliance avec les hommes qui vous rendrait mère d'autres hommes, aimez-en d'autant plus, du fond de votre coeur, le Fils de l'homme, le plus beau des enfants des hommes. Considérez la beauté de celui qui vous aime tant, et regardez combien ravissant se trouve à la lumière intérieure ce que les orgueilleux tournent en lui en dérision. Contemplez ses blessures, lorsqu'il est suspendu sur la croix, les cicatrices qu'il garde dans sa résurrection, le sang qu'il verse à sa mort, le prix qu'il donne et le pacte qu'il conclut pour vous racheter. Supputez la valeur de tous ses biens : pesez-les dans la balance de la charité, et tout ce que vous avez à, donner d'amour pour votre union, offrez-le à celui qui cherche, non la beauté de la chair mais la beauté de votre intérieur, et qui vous a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu. Voyez avec quelle sécurité vous aimez cet Epoux à qui vous ne craignez point de déplaire par de faux soupçons. L'Époux et l'Épouse s'aiment mutuellement parce qu'ils voient des marques évidentes de leur attachement : souvent néanmoins ils ont de fâcheux soupçons l'un concernant l'autre, parce qu'ils n'aperçoivent pas de part et d'autre ce qu'il y a de caché en eux. Il n'en est pas ainsi de Jésus votre amour, de cet ami si désirable : en lui vous ne trouverez aucune matière à blâme : et vous n'avez pas à redouter de sa part des soupçons mauvais, car il sonde les coeurs et les reins. Que si vous devriez une grande affection à ceux qui vous seraient unis par le mariage, combien plus devez-vous aimer celui pour l'amour duquel vous n'avez pas voulu d'époux. Qu'il vous soit entièrement fixé dans le coeur, cet ami qui pour vous a été tout entier attaché à la croix : ayez toujours dans l'esprit l'excessive charité qu'il a éprouvée pour vous. Vous ayant conservés sans tache, soit dans le corps, soit dans l'âme, quelle gloire magnifique et spéciale ne vous a t-il point préparée en vous élevant à un état si sublime ? Il vous a destiné, dis-je, dans le ciel un éclat particulier, une couronne spéciale, que nos anciens appellent « auréole », mot qui, dans ma pensée, vient d'or, afin que même le terme de couronne, de cette couronne qui vous sera donnée en récompense de votre virginité, vous indique l'excellence de la gloire due aux vierges. Que donnera-t-on aux vierges du Christ ? D'être au dessus des autres saints, comme l'or est au dessus des autres métaux. Isaïe s'écrie: « En ce jour-là, le Seigneur sera une couronne de gloire et une guirlande d'allégresse pour le reste de son peuple (Isa. XXVIII. 5). Faites attention que la couronne est d'or et de pierres précieuses; la guirlande est formée île fleurs de roses, de violettes, etc. Considérez quelle grande chose c'est d'avoir Dieu lui-même pour récompense, et ces vierges n'auront pas seulement Dieu pour récompense, bonheur qui sera le partage de tous les élus dans la gloire, mais ils auront pour chevelure brillante la prérogative de l'excellence spirituelle, qui se montrera, dans la patrie céleste sur la tête des vierges. Quelle est la place bien meilleure que celle qu'occupent les enfants de Dieu ? Qu'est-ce que ce nom éternel ? Qu'est-ce que l'auréole ? C'est une grande chose, et qu'on ne peut expliquer à ceux que l'expérience n'a pas instruits à cet égard: et voilà pourquoi il faut qu'elles courent avec une grande avidité et qu'elles persévèrent avec beaucoup de courage les âmes qui seules pourront trouver du goût dans la jouissance quelles en ressentiront. Mais puisque nous excitons les âmes blanches de la pureté virginale à aimer tout spécialement leur Epoux céleste, le doux Jésus, autant que ce divin auteur de la virginité et de la dilection a daigné nous l'accorder, en rappelant la grâce spéciale que cet Epoux du ciel a préparé à ces vierges et la grâce particulière qu'il leur destine encore en surcroît; poursuivant l'ordre naturel de ce sujet, nous ajouterons quelques pensées sur l'amour du prochain, sans lequel l'amour de Dieu n'existe pas, parce que «en ces deux commandements se trouvent la loi et les prophètes (Matth. XXII. 40).
CHAPITRE XXXII. Des six petites fleurs ou étamines jaunes qui se trouvent au milieu du lis, c'est-à-dire de l'amour du prochain et des six uvres de miséricorde.
116. Les six étamines à couleur d'or qui se trouvent au milieu de la fleur blanche dans le lis, signifient la charité qu'il faut avoir pour le prochain: cette vertu consiste dans les six oeuvres de charité qui s'appellent aussi oeuvres de miséricorde. La charité, qui ne peut être oisive, partout où elle se rencontre, se manifeste par ses oeuvres. Ainsi que s'exprime le bienheureux pape Grégoire : la preuve de l'amour, c'est l'accomplissement de l'oeuvre. Et l'ami particulier du Seigneur, saint Jean, dit : « Celui qui a les richesses de ce monde et qui, voyant son frère souffrir la nécessité, ferme ses entrailles à cette vue, comment la charité de Dieu reste-t-elle en lui (I Joan. III. 47). » « Car, s'il n'aime pas son père qu'il voit, comment pourra-t-il aimer Dieu qu'il ne voit pas (Ibid. IV. 20) ». La vérité en personne a pris soin de nous expliquer les oeuvres de miséricorde par lesquelles l'amour de Dieu se démontre, lorsqu'elle montre qu'au jour du jugement dernier, elle louera les justes seuls, à cause de ces oeuvres, et qu'elle condamnera les réprouvés pour les avoir omises. Voici ses paroles : « Lorsque le Fils de l'homme viendra, et trônera sur le siège de sa majesté, et qu'il aura placé les justes à sa droite, et les réprouvés à sa gauche, alors le roi dira à ceux qui seront à sa droite : venez les bénis de mon Père, recevoir le royaume qui vous a été préparé. Car, j'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger, j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire; hôte, vous m'avez accueilli; nu, vous m'avez habillé; infirme et en prison, vous m'avez visité. Parce que, ce que vous avez fait au plus petit d'entre mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait. Alors il dira à ceux qui seront à sa gauche : Allez, maudits, au feu éternel. Car j'ai eu faim et vous ne m'avez pas donné à manger j'ai eu soif et vous ne m'avez point donné à boire : errant, vous ne m'avez pas logé ; infirme et captif, vous n'êtes point venus me voir. Car ce que vous n'avez pas fait au moindre de mes frères, vous ne me l'avez point fait (Matth. XXV. 31) ». Voilà les oeuvres de miséricorde sortant de la racine de la charité. Il faut donc considérer quelle est leur éminente dignité, puisque seules, dans le jugement redoutable, elles méritent d'être louées; et puisque leur richesse est désignée par ces têtes à la couleur d'or qui brillent dans la fleur de lis. La pureté de cette fleur, c'est-à-dire la pureté virginale, ne vaut rien sans les oeuvres de charité. 117. Mais que dire de ceux qui, dépourvus de toutes richesses, ne peuvent accomplir par leurs oeuvres ce précepte, soit qu'ils demeurent encore dans le siècle, soit, qu'ayant renoncé au monde et à toutes leurs possessions, nus, ils aient suivi le Christ dépouillé de tout ? Tous ceux qui ne peuvent se livrer à ces oeuvres seront-ils tous réprouvés? A Dieu ne plaise. Ce sont ceux qui ne voudront pas les accomplir, ce ne sont point ceux qui ne le peuvent pas qui seront condamnés. Il ne ferme pas ses entrailles, c'est-à-dire ses sentiments de compassion sur l'indigence de son prochain, celui qui voudrait y porter remède s'il le pouvait: et la volonté suffit aux yeux du Seigneur qui considère les coeurs. II tient pour fait ce que l'on veut faire. Nul donc ne pourra alléguer l'excuse, s'il ne donne à quiconque réclame son aide, soit en oeuvre, soit en volonté. Que ceux qui ne peuvent donner, ne cherchent point des prétextes. Ceux qui sont affligés, comme ceux que la pauvreté volontaire lie de ses voeux, sont tenu de donner la volonté. Que chacun examine s'il est animé de cette volonté. Car, lorsque vous voyez un pauvre, ou un infirme, ou un étranger, et que, sans être touché de compassion, vos passez à côté, sans faire une prière ou pousser un gémissement pour eux, avez-vous la volonté de leur donner ? Assurément non. Si vous ne divisez pas avec votre prochain indigent l'affection de votre charité, c'est comme si vous ne preniez point de part à sa souffrance. Car, si vous ne souffrez pas avec celui qui souffre, comment partageriez-vous avec lui votre richesse extérieure ? Si vous ne divisez pas ce sentiment de compatissante qui abonde d'autant plus qu'il est donné avec plus de profusion, comment distribueriez-vous la richesse terrestre qui se diminue en se divisant? Chaque fois donc que nous rencontrons un indigent, reconnaissons en lui Jésus-Christ : parce que cet indigent est le membre du Christ. Ne fermons pas à sa vue, les entrailles de notre compassion, et par là nous saurons que la charité de Jésus-Christ demeure en nous. Que surtout les vierges du Seigneur aient au milieu des blanches fleurs de leur pureté virginale ces têtes d'or de la charité, vertu sans laquelle il n'y a aucune chasteté; sans laquelle aucune souffrance, aucune science, si pleine qu'elle soit, n'entre dans la vie éternelle. 118. Il faut surtout avoir compassion des malheureux qui sont loin du chemin de la vraie foi, ou qui n'accomplissent pas les oeuvres que prescrit cette foi; des pauvres âmes qui croupissent dans la souffrance, dans la souillure de leurs fautes, soit qu'elles connaissent ou non leurs péchés. Il faut leur rompre le pain spirituel, c'est-à-dire, que, par nos prières et nos larmes, nous devons incliner à la miséricorde le pain céleste des anges, qui est le tendre Jésus. Pareillement, ceux à qui le Seigneur a donné l'intelligence rompront et donneront à ces indigents spirituels, le pain des saintes Écritures, en priant Dieu de daigner ouvrir leurs yeux, pour que ces pauvres égarés le connaissent; guérir leur palais, afin qu'ils goûtent et voient combien le Seigneur est extrêmement suave; et qu'ils le reconnaissent à la fraction du pain, c'est-à-dire dans l'Écriture sainte, eux dont les yeux de l'intelligence étaient auparavant retenus, tant qu'ils étaient dans les péchés, pour qu'ils ne puissent le voir. Il faut rompre le pain de la consolation à ceux qui sont dans l'angoisse du coeur, ou dans les souffrances de l'âme, ou se trouvent dans la pauvreté, eux ou leurs amis, afin que, selon le conseil du sage, le « breuvage fortifiant soit donné à ceux qui sont dans la tristesse, et que le vin de la consolation soit accordé à celui dont l'âme est plongée dans l'amertume (Prov. XXXI. 6) il. Ayons toujours une volonté riche et généreuse à l'égard de tous, non-seulement envers nos amis et ceux qui partagent avec nous la même foi, mais encore envers nos ennemis afin d'être les enfants de notre Père céleste, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants et tomber sa pluie sur les justes et les pécheurs (Matth. V. 45) ». Peut-être quelqu'un dira-t-il : quelle perte éprouve mon Dieu en donnant aux bons et aux méchants son soleil et sa pluie ? Aucune, et même il y gagne, parce que le plus souvent les méchants sont vaincus par l'excès de la bonté et des bienfaits du Seigneur, et sous l'empire de ce sentiment, ils se détournent de leurs voies mauvaises. Et vous, dites-moi : que perdrez-vous si vous partagez votre charité qui, semblable à un soleil, illumine les autres vertus, et vos larmes semblables à une pluie, avec vos ennemis, en priant et pleurant pour eux, demandant au Seigneur qu'ils rentrent dans leurs curs, qu'ils reconnaissent leurs égarements et, reviennent à l'unité de la charité? O si vous connaissiez l'excessive bonté de Dieu, et combien est tendre celui qui vous prévient de prier pour ceux qui vous persécutent et vous calomnient; et quelle récompense imaginable il prépare à ceux qui font de semblables prières! Déjà certainement vous lui auriez demandé et il vous aurait accordé le soleil de cette charité et la pluie de ces larmes, lui qui donne à tous, avec abondance, et ne fait point de reproches; en qui est la fontaine de la vie, et en la lumière de qui on verra la lumière, la lumière véritable qui illumine tout homme, le doux Jésus. A son exemple, partagez votre charité et vos larmes entre vos ennemis et vos amis, afin d'être le lis de votre Père céleste, le frère et l'imitateur du Seigneur Jésus qui pleura sur la cité pécheresse et pria pour arracher ses bourreaux à la mort. 119. Mais arrivons au terme de l'étude de cette fleur. La corolle qui domine au milieu des étamines d'or et plus longue que tout le reste, indique la divinité, qui est Dieu, béni par dessus tout. Amen. Cette tige porte à sa cime une sorte de tête triangulaire qui représente la Trinité elle-même. Une tête, en effet, signifie l'unité de la substance divine ; et les trois angles qui sont proéminents et distincts, marquent les trois personnes. Cette corolle mesure le plus haut point dans la fleur du lis, parce que la vierge du Seigneur doit rapporter à la gloire de son époux céleste toutes ses pensées, toute sa volonté, toutes ses paroles, toutes ses actions et toute la pureté de son âme et de son coeur ; parce que si elle recherche sa propre gloire, elle n'aura pas de lampe, c'est-à-dire un coeur pur, et elle manquera à l'huile de la joie spirituelle et au feu de la charité. Nous savons qu'à ces vierges qui auront l'huile sans la lampe, l'Époux adresse cette parole horrible à entendre et effroyable à méditer : « Je ne vous connais pas (Malth. XXV. 12). » O parole redoutable ! Délivrez-nous, Seigneur Jésus, tandis qu'il en est temps encore, des embûches, des chasseurs, de crainte qu'à la fin, nous l'entendions retentir à nos oreilles. Nous savons que notre adversaire, le serpent rusé, tend sous nos pas des piéges sans nombre et très-cachés, en sorte que s'il ne peut nous éloigner de faire des bonnes oeuvres, par les mauvaises inspirations, il nous fasse tirer vanité du bien que nous pratiquons. Avec quelle rage pensez-vous qu'il frémit et qu'il grince des dents, lorsqu'il voit de tendres vierges, dès leur première jeunesse, mépriser l'éclat du monde, et toute la parure du siècle, et s'élever dans les sentiers sublimes de la virginité ? Quelles embûches croyez-vous qu'il ne cesse de tendre, en attaquant, tantôt la racine, tantôt le tronc, tantôt les feuilles blanches, tantôt les têtes d'or du lis de la virginité, pour les pousser à chercher leur gloire propre en quelque bonnes oeuvres et les empêcher d'arriver au sommet de la pureté? Que la vierge du Christ regarde toujours la face de son époux , qu'elle fasse tout pour lui, qu'elle rapporte tout à lui, qu'en toutes choses elle le cherche, disant avec lui : « Je ne cherche pas ma gloire (Joan. V, III. 50)» ; mais j'honore mon Seigneur et il m'honorera, parce que c'est lui seul qui m'accueille, lui qui est ma gloire et qui exalte ma tête, le doux et tendre Jésus. La vierge qui parlera et agira ainsi, sera un lis parfait et fleurira à jamais, devant le Seigneur et en son Époux : et son Seigneur et son Époux fleurira en elle, lui qui est descendu dans le jardin de son Église, afin de cueillir de tels lis. 120. C'est en faveur des vierges à la connaissance de qui ce traité parviendra, que nous nous sommes attachés à y développer au long les considérations concernant le lis spirituel que fait fleurir en lui surtout le Seigneur Jésus qui est la vigne et la vie, dans le but qu'elles trouvassent cet abrégé et qu'elles retinssent plus facilement dans leur mémoire, après les avoir lues avec d'autant plus d'avidité qu'elles sont plus brièvement résumées, les pensées que les autres pères ont développées avec plus d'étendue, et qui, se trouvant surchargées en leurs écrits de graves discussions, ne peuvent être facilement choisies par de simples vierges. Nous ne craignons pas la critique de ceux qui nous reprocheront de n'avoir pas gardé l'unité de sujet, et nous blâmeront de ce qu'ayant commencé par parler de la vierge, nous en sommes venus à traiter du lis. Nous savons pour certain que l'Époux des vierges, le Christ, nous excusera dans sa charité et sa bonté. Nous confessons qu'en ce traité, nous l'avons servi, ainsi que nous le comprenons : c'est en sa main que nous sommes, nous et tous nos discours; nous croyons l'avoir suivi en développant la matière de ce traité, cherchant, non la gloire des savants, mais le fruit du disciple qui apprend. Cependant, autant que je le puis voir, notre plante ne produit pas de plus belle fleur, elle n'attire pas avec autant de force le parfum d'aucune autre que du lis, c'est-à-dire de la vertu virginale dont l'amour entraîne tant de jeunes filles qui courent si généreusement à l'odeur des parfums de l'Époux, criant par la voix et par leurs couvres : « Tirez-nous après vous, nous courrons à l'odeur de vos parfums (Cant. I, 3). » Qu'aiment tant de milliers d'âmes virginales qui méprisent le monde? Qu'aiment-elles dans leur Époux, dont la vertu enchanteresse les attire, qu'aiment-elles autant que l'odeur du lis, c'est-à-dire le désir de la virginité ? Qu'il nous soit donc permis de vanter cette fleur, surtout dans notre vigne : rien n'y est plus beau, rien n'y est plus précieux. Venons-en maintenant à exposer plus en abrégé les autres fleurs qu'elle donne.
CHAPITRE XXXIII. De laveur de la charité, ou de la rose rouge et ardente.
121. Dans le tendre Jésus, qui est notre vigne, fleurit la rose rouge et ardente : rouge à cause du sang versé dans la passion, ardente par le feu de la charité, et perlée de larmes répandues par le divin sauveur. A cause de moi, a pleuré et a été contristé celui qui est ma joie et la joie des anges, le Seigneur Jésus qui, comme le dit l'Apôtre « dans les jours de sa chair offrant ses voeux et ses supplications à celui qui pouvait le sauver de la mort, à grands cris et avec larmes, fut exaucé à cause du respect qui lui est dû (Hebr. V, 7). » Cur de pierre et non de chair, tu l'entends, ce grand et très-bon Jésus, aux jours de sa chair il couvrit de larmes, tombées des paupières, ce corps qu'il avait pris pour moi, et tu demeures encore sec? ô cur de rocher! On te dit que pour moi a été ému jusqu'à verser des larmes celui qui demeure stable à jamais, celui que rien n'ébranle, et tu ne verses aucune larme? J'ajouterai le feu de la charité et le sang versé dans la passion, pour vous réchauffer et vous amollir peut-être, et vous faire rendre, à ce très-doux Jésus, au moins des larmes pour ses larmes et pour son sang répandu. Je prendrai de plus un lourd marteau pour fendre la dureté de votre cur avec des coins de fer. Car si vous aviez desséché votre cur comme une terre sans eau, il pourrait au moins s'amollir, un peu arrosé des larmes seules versées par le Seigneur Jésus. Que si, sous le froid de vos iniquités, vous êtes devenu dur comme la pierre, j'emploie des instruments puissants, le marteau de la crois et les coins des clous de fer, pour vous déchirer et vous faire répandre une abondance salutaire de larmes. 122. Que si, ô cur dur et impénitent, tu n'es pas encore ébranlé, tu es plus dur que le rocher qui, frappé deux fois dans le désert par la verge d'Aaron, répandit ses eaux à flots. Ajoutons surtout que le marteau de la croix est plus fort pour frapper que la verge de Moïse, et que les trois clous imprimés dans votre âme doivent être plus puissants pour en faire jaillir les larmes que le double coup frappé par Moïse. Que si encore vous demeurez inébranlable, changé pour ainsi dire en diamant, ne pouvant être amolli que par le sang du chevreau, je vous apporte le sang abondant d'un chevreau et d'un agneau sans tache, du très-bon Jésus, sang brûlant d'une incomparable charité, qui renversa et brisa par sa force cette puissante muraille d'inimitiés élevée entre Dieu et l'homme. Ce mur avait résisté durant plusieurs milliers d'années; frappé par les préceptes, les avertissements et les menaces multi pliées de la loi et des prophètes, il avait été quelque peu remué. Mais au contact du sang du chevreuil et de notre agneau, du bon Jésus, il fut non-seulement perforé, mais encore détruit. Ce tendre maître, bien que très-pur, est appelé bouc, animal immonde, parce qu'il portait notre chair, remplie en nous des souillures du péché, quoiqu'en lui, il n'y eût rien de semblable. A cause de son excessive pureté, il est agneau, parce que non-seulement il n'a pas de péchés, mais encore parce qu'il a enlevé les péchés de tout le monde. 123. Plonge-toi donc dans le sang abondant de ce bouc et de cet agneau, ô cur dur comme le diamant, et sois-en tout pénétré : plonge-toi dans ces flots sacrés, pour te réchauffer, pour t'amollir, et amolli, pour répandre un torrent de larmes. Il faut beaucoup d'eau pour abreuver mon peuple et ses bestiaux. Mon peuple se compose des mouvements raisonnables de mon âme, ne cherchant que ce qui convient à mon esprit. J'ai aussi des animaux, c'est-à-dire d'autres pensées qui s'occupent de 1a chair, et qui semblables à des chevaux sont obligées de servir l'esprit; il convient de refaire ces deux espèces de pensées à la fontaine des larmes, de crainte qu'elles ne défaillent dans le chemin de la vie, ou ne s'écartent du droit chemin, et dans le but de fortifier ce qui s'y trouve de bon et de laver ce qu'il y a de souillé. Double effet que les larmes ont la vertu de produire. Je chercherai donc, et plaise au ciel que je la trouve, une fontaine de larmes dans les larmes, dans la croix, dans les clous et enfin dans le sang de Jésus dont est empourpré ce divin sauveur. Je lirai donc et je comprendrai, autant qu'il m'en accordera la grâce, le caractère rouge de la chair et de l'âme du bien-aimé, issue du bien-aimé, du très-aimant Jésus. Car il devint rouge dans l'une et dans l'autre : dans sa chair par l'effet de la nature, car toute chair est rouge, et elle ne le fut pas moins par le sang de la passion, en laquelle son amour pour nous, excitant sa chair, il le répandit si souvent et avec tant d'abondance. Ces effusions, nous les avons expliquées dans les pages précédentes. Il ne faut donc pas insister sur ce sujet pour ne pas causer d'ennui. 124. Qu'à moins d'être tout chair et sang, et de n'avoir en soi rien de spirituel, dédaignerait-on ce sang? Qui, voulant être délivré des souillures de la chair, ne désirerait boire cette liqueur très-pure et très-salutaire ? Qui, après s'être enivré dans la coupe très-suave que le Seigneur a préparée aux pauvres dans sa bonté, n'en aurait pas une soif de plus en plus ardente, entendant la voix véritable de la sagesse de Dieu, du Fils unique du Père, de l'excellent Jésus, qui s'écrie : « Ceux qui me mangent auront encore faim, et ceux qui me boivent auront encore soif (Eccli, XXIV, 29). » S'il est vrai, ou plutôt parce qu'il est vrai que le sang humain a une douceur si suave que n'a pas le sang des autres animaux, au point qu'après l'avoir goûté, une bête quelconque désire toujours le boire, et laissant tous les autres, s'attaque à celui-là seulement, et s'expose à la mort pour en revenir là, quelle douceur pensez-vous qu'aura le sang du Fils de l'homme, de Notre-Seigneur Jésus-Christ ? Les bêtes sans raison ont soif du sang de l'homme, et moi je n'aurais pas soif du sang de Dieu ? Plus elles goûtent le sang humain, plus elles veulent le boire, et moi je dédaignerais le sang du Dieu tendre Jésus, Homme-Dieu? Elles bravent la mort, attirées par sa douceur,et moi je ne me hâterais pas vers ma vie, vers le sang de Jésus, le bien aimé, rouge et blanc tout à la fois ? Oh ! oui, je me précipiterai, je l'achèterai, je boirai. J'achèterai sans argent et sans rien donner en retour le vin et le miel, que la sagesse du Père Très-Haut a mêlés dans la coupe de son coeur, c'est-à-dire son sang, prix du rachat de notre vie. Hâtez-vous avec moi, vous qui aimez le Seigneur : achetez, non avec l'or et l'argent périssables, mais par le retour de votre bonne conduite et de vos saintes moeurs, le vin et le lait, je veux dire ce sang très-pur et très-précieux, qui enivre les parfaits comme le vin, et qui nourrit les petits comme du lait. Si vous êtes parfait, si vous êtes fort, ce sang, qui est si pur, vous est du vin. Si vous êtes encore faible, si vous avez besoin de lait, c'est du lait pour vous nourrir. Buvez-le donc ce sang très-pur par la foi, par la mémoire et par la considération spirituelle. Voici qu'en abrégé je vous résume encore la multiple effusion du sang du très-généreux Jésus, effusion par laquelle il empourpra la rose de sa passion et de son amour. L'intelligence humaine ne peut suffire à comprendre l'ardeur de cette charité, excepté ce qu'elle en saisit par la passion du Sauveur, qui éclate aux yeux de tous.
CHAPITRE XXXIV. De la rose de la charité.
125. Cependant, considérons la rose de la charité avant celle de la Passion. Nous verrons par l'ardeur de la rose de la charité, si nous examinons avec soin, quel personnage nous a aimés, combien et pourquoi il nous a chéris avec tant de miséricorde et par un excès si étonnant. Notre ami, c'est celui qui est le plus grand, le plus riche et le plus fort de tous les êtres; celui à qui tout esprit rend hommage et lui dit : «Vous êtes mon Dieu, car vous n'avez par besoin de mes biens (Psalm. XII. 2) » En cette courte parole se trouve renfermé quel est celui qui nous aime, c'est un Dieu: et le motif qui l'a porté à aimer est indiqué dans les mots qui suivent : il nous a aimés non pour recevoir quelque chose de nous, puisqu'il n'avait pas besoin de nos biens, mais par une bonté toute gratuite. Que si même il y avait en vous quelque bien qu'il chérit, ce bien ne viendrait pas de. nous, nous l'aurions reçu de lui. Comment il nous a aimés, l'Apôtre nous l'a expliqué lorsqu'il a dit : «Lorsque nous étions encore ennemis, non; avons été réconciliés avec Dieu (Rom. V. 8). » Le juste a aimé avec passion les injustes, le seul bon, le seul aimable a chéri les pécheurs et les impies : ô quelle excessive tendresse ! Comment nous a-t-il aimés ? Examinons-le maintenant. Qui le dira jamais assez ?
CHAPITRE XXXV. De la rose de la passion.
126. Pour exposer cette pensée, nous avons besoin d'unir la rose de la passion à la rose de la charité, afin que la rose de la charité se rougisse dans la passion, et que la rose de la passion s'enflamme du feu de la charité. Notre ami nous a chéris au point que, l'ardeur de son amour le poussant, il prit la pourpre de la passion et livra son âme à la mort de la croix, passion qui ne dura pas un court instant, mais s'étendit depuis le commencement de sa vie jusqu'à sa dernière heure. Car déjà, ainsi que nous l'avons indiqué à votre chanté, le bon maître Jésus-Christ. ne fut pas attaché à la croix un seul jour seulement, mais toute sa vie fut une croix et un martyre. Toutes les autres douleurs que le Seigneur souffrit, aux jours de sa chair, appartiennent donc à la pourpre et à la rose de sa passion, bien que les fréquentes effusions de son sang l'aient spécialement rougie. Mais, ne pouvant énumérer tout ce qu'il a souffert, ne nous lassons pas de redire les effusions salutaires de son sang, afin d'imprimer plus profondément dans nos souvenirs ce qui doit toujours être gravé dans notre mémoire.
CHAPITRE XXXVI. Des sept effusions du sang de Jésus-Christ, notre vigne.
127. Nous trouvons la première effusion de son sang dans sa circoncision lorsqu'il reçut le nom de Jésus; ce mystère indiquant dès lors, qu'il devait être pour nous, par l'effusion de ce sang, un véritable Jésus, c'est-à-dire Sauveur. Que les tendres enfants, que les jeunes filles entendent et comprennent, et que se renouvelle fréquemment, dans leur esprit, la pensée du long martyre de l'innocent Jésus. Aussi Isaïe, parlant de la naissance de cet adorable maître, s'écrie : Un fils nous est né, un fils nous a été donné (Isa. IX. 6) ». « La marque de son empile est sur ses épaules ». Mentionnant ainsi, de suite après la nativité, la croix qu'il désignait sous le nom d'empire et de puissance : parce que le tourment qui devait se terminer au calvaire a débuté dès les premiers instants de la vie. Ce n'est pas un détail étranger à la passion sanglante que notre Sauveur soit né dans un lieu étranger, au milieu de l'hiver, au coeur de la nuit, dans l'étable d'une hôtellerie, et d'une mère pauvre, bien que son sang n'y ait pas coulé . mais le temps de sa première effusion ne devait pas se faire attendre, elle avait lieu dans un délai bien court, sept jours après. O quelle grande charité! O quel amour digne d'attention ! à peine le doux Jésus est-il né, lui qui est la gloire, les richesses et les délices du ciel; de suite l'ignominie, la douleur et la pauvreté de la croix accompagnent sa naissance; mais ce qui rachète la misère de cette souffrance, c'est le titre véritable de pouvoir que le prophète lui donne. C'est par la croix, en effet, qu'a régné le puissant Jésus et qu'il a soumis à la fois tout le monde et les enfers. C'est à cause de l'instrument du supplice vers lequel il s'est humilié en se faisant obéissant , que Dieu le Père l'a exalté, et lui a donné un nom qui est au dessus de tout nom ; en sorte qu'au nom de Jésus, tout genou fléchît au ciel, sur la terre et dans les enfers (Phil. II. 10). C'est donc avec raison que cet agneau très-pur, la première fois qu'il répandit son sang, reçut ce nom de Jésus, parce qu'alors il commençait de donner ce sang qu'il devait verser entièrement pour achever l'affaire de notre salut.
CHAPITRE XXXVII. De la seconde effusion du sang
128. La seconde effusion du sang de Jésus-Christ qui empourpra la rose de la passion, se trouve dans la sueur versée par ce bon maître, lorsqu'il priait au jardin de l'agonie. Car, ainsi parle l'Évangéliste: « Et tombé en agonie, il priait plus longtemps; et sa sueur formait des goutes de sang qui découlaient jusques à terre (Luc. XXII. 44). » Pour arrêter toutes les autres effusions de ce sang très-pur, celle-ci seule ne pourra-t-elle pas suffisamment rougir notre rose ? C'est un spectacle qui peut véritablement briser mon coeur et le couvrir de gouttes de sang, de voir mon créateur couvert d'une sueur de sang, ce qui n'est pas peu de chose, mais qui découle jusqu'à terre. Malheur à ce coeur trop insensible qui, à la vue d'une sueur pareille et si abondante, ne se couvre pas, lui aussi, d'une semblable sueur? Considérez la tribulation qui oppressait ce coeur très-doux, lorsque de toutes les parties de son corps s'écoulait cette sueur de sang. Le corps ne répandrait pas au-dehors une sueur de ce genre et si copieuse, si aucune douleur ne brisait le coeur à l'intérieur. » Mon coeur a été brisé en moi-même », dit le Prophète (Jerem. XXIII. 9). Quand il fut brisé, la peau du corps de notre Salomon fut déchirée à l'extérieur, et une sueur de sang se répandit sur la terre. La rose de la passion et de la charité de Jésus fut empourprée. Voilà combien il est rouge et combien il est tout blanc. Cette effusion générale du sang de Jésus n'est pas sans mystère. Celui qui était venu prendre nos infirmités, contractées sous l'influence de la chair et du sang, sua du sang par tous les pores de son corps, afin que, pour la guérison de tout le corps mystique, qui est l'Église, suffit la sueur versée par toutes les parties du corps, c'est-à-dire du Seigneur Jésus-Christ qui en est le chef. Nous voilà donc délivrés du sang ; grâces en soient rendues à Dieu, auteur de notre salut, au tendre Jésus, qui a versé tout le sien pour nous, avec une excessive libéralité. Cette sueur de sang versée de tout le corps de notre chef, signifiait peut-être que tout son corps spirituel, qui est l'Église, devait être empourpré du sang des martyrs.
CHAPITRE XXXVIII. De la troisième effusion.
129. La troisième effusion fut provoquée par les coups qu'il reçut sur les joues, selon le témoignage que nous en rend le Prophète, parlant en la personne du divin crucifié : « J'ai livré mon corps à ceux qui le déchiraient, et mes joues à ceux qui les ensanglantaient (Isa. L. 6) ». Quelques-uns entendent ce supplice, des déchirures que les Juifs cruels firent avec les ongles sur les joues du Sauveur, d'autres de sa barbe qu'on arrachait. On peut lui avoir fait subir cette double souffrance. Je crois que ce tourment ne fut par sans amener quelque effusion de sang. J'aperçois dans les mains sacrilèges de cette nation impie, non satisfaite des soufflets, des coups, des crachats lancés à la face adorable du Christ, s'exciter et en venir jusqu'à creuser et ouvrir les joues, et à faire jaillir de cette figure très-douce du sang pour rougir notre rose. Je contemple la patience adorable et digne d'imitation de cet Agneau immaculé, qui présenta, en toute douceur, ses joues pudiques aux ongles de ces malheureux, pour être sillonnées de déchirures, pour nous apprendre à souffrir patiemment, lorsque, parfois, la confusion couvre notre visage à cause de lui, lorsque quelqu'un, à cause du tendre Jésus, nous frappe en face de paroles et de coups.
CHAPITRE XXXIX. De la quatrième effusion du sang.
130. Nous pouvons trouver la quatrième dans le couronnement d'épines, lorsque la couronne d'épines ne fut pas doucement posée sur la tête de Jésus-Christ, mais encore fortement enfoncée dans son chef très-doux. Il est assez vraisemblable que ceux qui haïssent la vérité, cherchent, non-seulement à linsulter, mais encore à la faire souffrir. Et je pense qu'on vit aussi, en ce supplice, couler des ruisseaux de sang qui, partant de la tète du Sauveur couronné avec tant de moquerie et d'envie, coulaient sur sa face et sur son cou : car si les bourreaux n'avaient pas voulu lui faire supporter à la fois de la souffrance et de l'insulte, ils auraient plus facilement tressé une couronne avec d'autres branches d'arbustes : mais afin de montrer ce que leurs moeurs avaient de piquant, ils couronnèrent d'épines le tendre Agneau, le doux Jésus, présentement couronné de gloire et d'honneur. Et, bien que cette couronne soit une moquerie, néanmoins, dans leur ignorance et leurs insultes, ils le proclament roi en la lui plaçant sur la tète, car c'est le propre des rois de porter le diadème. En le couronnant, ces ennemis montrent qu'il est roi. Les épines font voir la méchanceté de ceux qui lui mettent sur le chef une tresse de ce genre. Moralement, ce supplice nous apprend à imiter notre tête, notre roi et notre chef le tendre Jésus. Que si la perversité de quelques hommes méchants nous fait souffrir et nous tourne en dérision, en voyant notre chef ainsi piqué, ainsi insulté, ne murmurons pas, ne nous révoltons point, supportons en toute égalité et en toute patience le peu de souffrances que nous rencontrerons dans la vie présente qui passera bien vite, afin d'être de dignes membres de notre chef, et de bons guerriers, en suivant notre porte-étendard.
CHAPITRE XL. De la cinquième effusion du sang.
131. La rose fut empourprée pour la cinquième fois dans la flagellation que subit le très-doux Jésus, notre fleur rose. Oh ! avec quelle abondance, pensez-vous que ce sang très-sacré coula à terre en tombant de son corps déchiré et flagellé ? Oh ! avec quelle cruauté croyez-vous que ces bourreaux, enflammés de colère, avec quelle violence acharnée, vous figurez-vous qu'ils flagellèrent ce bon maître, qui était venu nous délivrer des châtiments éternels? « Ils m'ont battu à coups de fouets sans raison, » dit-il. Oui, sans raison, à moins que ces hommes pervers n'aient jugé vos bonnes oeuvres dignes de châtiments, juges iniques qui ont retenu votre vérité dans le mensonge. En cet endroit, une leçon morale nous est donnée ; nous apprenons à supporter les coups que nous recevons de la main de notre Père éternel, lui qui, lorsque nous en étions indignes, a souffert si patiemment pour nous les plus rudes coups. Destiné au châtiment, né pour le travail, nourri et habitué à vivre dans le péché, destiné à l'héritage céleste qui ne reçoit que des âmes pures, quel est celui des hommes qui ne supporterait pas des souffrances, en voyant le roi des rois, le Seigneur des seigneurs, le doux Jésus, qui n'a commis aucune faute, et à la bouche duquel la ruse ne se trouva jamais, brisé par tant de coups déchirants? Écoute, homme insensé, et instruis-toi, ne fuis pas la discipline, mais plutôt empresse-toi de la saisir, de crainte que le Seigneur s'irritant contre toi, tu ne périsses en t'écartant de la droite voie. Car le Seigneur n'a point fait grâce à son propre fils, mais il l'a livré à la flagellation pour toi (Rom. VIII, 32), il n'a pas épargné son Fils naturel, consubstantiel et co-éternel à lui ; et impassible, il l'a fait naître pour te sauver dans le temps, et passible, il l'a laissé briser sous les coups, ainsi qu'il est écrit ; « Le Seigneur a voulu le broyer, dans son infirmité (Isa. LIII, 10). » Et comment t'épargnera-t-il, toi, son fils adoptif, dont les sens sont portés au mal ? Il te retiendra par la corde, et le frein passés dans ta bouche, afin qu'au moins le châtiment te donne de l'intelligence ; afin que tu sois contraint de te rapprocher de ce Père qui flagelle cruellement, mais d'une manière salutaire, le Fils qui lui est agréable (Heb. XII, 6).
CHAPITRE XLI. De la sixième et de la septième effusion du sang.
132. La sixième effusion du sang qui teignit la rose de la passion se trouve très-abondante dans les plaies que firent les clous qui s'enfoncèrent dans la chair du Seigneur. Qui doute, en effet, que des pieds et des mains de l'innocent Jésus, blessés et même transpercés, il ne sortit une grande quantité de sang. Dans les torrents qui en jaillissaient, notre rose fut empourprée, parce que c'est là que se trouve la charité la plus ardente, et la passion la plus ensanglantée. En la grandeur de cette passion, considérons la grandeur de la charité, et dans l'ardeur de la rose de charité, voyons la pourpre de la passion. Qui jamais souffrit des reproches si atroces et si honteux? C'est un Dieu qui souffre, et il ne s'adoucit en rien l'amertume de ces tourments qui le serrent comme sous un pressoir, lui qui, lorsqu'il s'agit de ses serviteurs, a coutume d'en enlever entièrement les rigueurs, ou de les adoucir, ou de les abréger. Il ne s'est pas épargné, lui qui sait épargner les autres. Voyez-en un exemple évident dans l'Évangile de saint Jean, à la page où ayant entendu répondre à ceux qui venaient le prendre, que c'était lui-même qu'ils cherchaient, il ajouta : «Me voici. Si donc, c'est moi que vous voulez, laissez ceux-ci s'en aller (Joan. XVIII, 8). » Ardeur d'une affection très-sincère ! La charité elle-même se montre, et se livre à ses ennemis furieux, elle ne s'épargne pas, mais elle prie pour les siens, et demande qu'on leur fasse grâce. Puis donc, après plusieurs moqueries soit des Juifs, ou des gentils, après plusieurs effusions de sang, notre Sauveur le très-doux Jésus, a les pieds et les mains percés de clous cruels, et il est attaché au bois de la croix. Considérez et examinez la rose de sa passion sanglante, voyez comment elle est rouge, pour indiquer la très-vive charité de son coeur. La passion et la charité brillent à l'envi ; l'une veut plus brûler, l'autre plus rougir. Mais par l'ardeur de la charité, la passion devient merveilleusement plus rouge, parce que Jésus ne souffrirait point s'il n'aimait pas. Et dans la pourpre de la passion éclate une charité excessive et incomparable. Car ainsi que la rose, fermée à cause du froid de la nuit, s'ouvre tout entière à la chaleur du soleil, et en étalant ses feuilles rouges, montre la joie qui la ranime; ainsi la délicieuse fleur du paradis, le très-aimable Jésus-Christ, qui depuis bien des siècles écoulés depuis la faute du premier homme, n'arrivait pas à la plénitude fixée, fut fermée pour les pécheurs,comme durant le froid de la nuit ; mais lorsque cette plénitude arriva, c'est-à-dire aux rayons de sa fervente charité, il s'ouvrit dans toutes les parties de son corps, et la vivacité de la rose de son amour éclata dans la pourpre de son sang. Voyez donc, comment notre excellente vigne, Jésus, le bien-aimé, à la couleur rouge, fleurit et produisit cette rose. Considérez tout son corps, et voyez si partout vous ne trouverez pas la fleur d'une rose sanglante. Regardez sa main droite et sa main gauche, ne trouverez-vous pas une rose dans chacune ? Regardez ses pieds ? ne sont-ils pas roses ? 133. Examinez l'ouverture de son côté, la fleur rouge s'y trouve aussi, bien qu'à cause du mélange d'eau elle sorte rose parce que, comme l'Évangéliste le raconte : « Un des soldats ayant ouvert son côté, avec le fer d'une lance, il en sortit du sang et de l'eau (Joan. XIX, 34). » Voilà bien celui qui est venu par l'eau, mais non point par l'eau seule, mais par l'eau et le sang, l'aimable Jésus. O le plus tendre des maîtres, ô Sauveur, quelles dignes actions de grâces pourrai-je vous rendre ! Depuis le commencement de votre vie, jusqu'à votre mort très-cruelle, bien plus, jusqu'après votre mort , vous n'avez cessé de répandre pour moi votre très-précieux sang, et vous avez pris soin de me manifester l'ardeur de votre éminente charité par les fréquentes effusions que vous en avez faites. O que votre rose est ornée de feuilles éclatantes et nombreuses? Qui les compterait? Trouvez le nombre de gouttes de sang tombées du très-doux corps du très-doux Jésus, et vous aurez celui des feuilles qu'a produites la fleur aimante de sa passion. Car chaque goutte de son sang forme une feuille de la rose sanglante de sa passion. Mais passons à d'autres idées, parce que nous avons déjà brièvement traité de la septième effusion du sang du Seigneur, lorsque nous avons parlé de l'ouverture de son côté, d'où sortaient le sang et l'eau, qui ont été, selon notre explication, l'image du baptême.
CHAPITRE XLII. Du safran de l'abstinence de notre vigne.
134. Nous apercevons que le safran a aussi fleuri dans notre très-digne vigne, le Seigneur Jésus. S'il pratiqua l'abstinence, ce ne fut point pour châtier son corps, pour le réduire en servitude,dans la crainte de devenir réprouvé : ce fut pour nous donner la leçon et l'exemple de cette vertu : pensée qui s'applique à la circoncision et au baptême, qu'il reçut, non pour se purifier, lui qui fut le plus pur des hommes et qui les purifiait tous, mais pour donner un modèle d'obéissance et de justice. Ce roi des vertus posséda sans nul doute cette vertu d'abstinence et il se châtia lui-même plus excellemment que tous les saints qui ont existé et qui existeront, non par nécessité, mais par choix. Mais on tire contre nous une objection des paroles du Sauveur lui-même, qui dit de sa propre personne : « Jean-Baptiste vint aux Juifs, ne mangeant ni ne buvant, et vous avez dit : il est possédé du démon. (Matth. XI. 8 ) » Encore : « Le Fils de l'homme est venu mangeant et buvant, et vous dites : Voilà un homme vorace, aimant le vin, et aimé des publicains et des pécheurs. » Tel est le témoignage de la Vérité, Jean ne mangea ni ne but, et Jésus mangea et but. Est-ce donc que Jean l'emporta en abstinence sur notre cher Sauveur? A Dieu ne plaise. 135. Mais il est à remarquer qu'il y a une double vertu d'abstinence. L'une qui est intérieurement dans l'esprit, l'autre qui est au dehors dans l'acte. Celle qui se trouve dans l'esprit, il faut toujours l'avoir celle qui est dans lacte, il faut la manifester selon les temps et d'après les circonstances. C'est avec raison que Jean, pur homme, pratiquait cette vertu, soit dans l'esprit, soit dans le corps, afin de ne pas être souillé : mais notre Jésus, véritable homme, qui était à l'abri de toute atteinte, se servait selon le temps, du boire et du manger, afin d'attirer la vertu d'abstinence et aux autres tous ceux qui prenaient leurs repas avec lui. Ne croyez point qu'il y ait plus de vertu à s'abstenir des mets, qu'à s'en servir avec modération. Car il est très-difficile de garder dans ses aliments une mesure parfaite, et de ne rien prendre au delà de ce qui peut suffire à la nature, ou de ne lui rien retrancher du nécessaire. Que si donc il arrive à quelqu'un de pratiquer l'abstinence comme saint Jean, c'est-à-dire en pensée et en oeuvre,il ne doit pas condamner celui qui la pratique à la manière de Jésus, modèle de perfection, c'est-à-dire, tantôt en s'y attachant, tantôt en l'adoucissant, selon que l'exigent les temps, les personnes, les propres besoins et l'utilité du prochain, observant toujours néanmoins ce qui doit être observé en cette matière, c'est-à-dire d'éviter le péché de gourmandise, essentielle ment opposé à cette vertu. Les manières dont on peut tomber en ce vice sont indiquées par ces mots : « Manger trop tôt, avec recherche, avec excès, ardemment et trop longtemps. » Ceux qui, non par nécessité, mais par volupté, préviennent le temps de manger, mangent et boivent trop tôt. Dans la vie des saints, nous lisons de quelques pères qui, inspirés par la charité envers ceux à qui ils donnaient l'hospitalité, devancèrent l'heure fixée pour le repas : mais en mangeant par charité, ils ne pouvaient pas avoir rompu le jeûne. Quelques-uns même d'entre eux ne faisaient pas difficulté de célébrer le saint sacrifice de la messe après un tel repas. Bien que nous ne donnions pas cet exemple comme une règle à suivre, parce que nous sommes trop éloignés de la perfection de ces saints personnages, nous avons la certitude qu'ils n ont point péché en agissant de la sorte; si le Saint-Esprit ne leur avait pas indiqué la conduite à tenir en ce cas, ils n'en auraient jamais usé ainsi. Ceux-là mangent avec recherche, qui mangent des mets apprêtés, excités qu'ils sont uniquement par la délectation,ne pouvant se contenter du goût naturel que Dieu a donné à la chair et aux poissons : au mépris de ce que la nature a fait, ils cherchent le goût altéré du poivre et des autres épices pour s'exciter l'appétit, ne craignant pas de déverser du blâme sur l'excellent Créateur des hommes, en donnant aux oeuvres qu'il a faites une autre saveur que celle qu'il avait mise en elles. O combien un chrétien devrait éviter ces saveurs étrangères, s'il remarquait que son Seigneur très-sage et très-doux a fait toutes choses fort bonnes, et que le méchant seul a pour coutume de changer des créatures véritablement excellentes. J'ai dit, a pour coutume, car se nourrir, en certains cas, d'aliments plus délicats pour guérir d'une maladie, le palais répugnant à toute nourriture, ce n'est pas recherche, ce n'est. point faute, ou ce n'est qu'une bien légère imperfection. 136. Pour la confusion de ces hommes, dont le « ventre », ainsi que s'exprime l'Apôtre, « est le Dieu, et qui mettent leur gloire dans ce qui est leur honte, (Phil. III. 19 ) » êtres malheureux dont le même Apôtre assure en pleurant, qu'ils sont les ennemis de la croix de Jésus-Christ, imitateurs de ce riche très-pauvre et fort méprisable qui, tous les jours, prenait des repas somptueux, non par raison de maladie, mais pour le plaisir de manger, faute qui l'empêcha, lorsqu'il était enseveli au fond des enfers, d'obtenir même une goutte d'eau pour rafraîchir, au milieu des flammes qui le dévoraient, cette langue qui avait été délectée constamment des saveurs empruntées et superflues; en sorte, qu'ayant altéré pour son plaisir le goût premier des choses, il ne mérita pas d'être refait par la fraîcheur de l'eau naturelle. Pour la confusion de ces hommes, dis-je, je ne ferai pas difficulté de citer les sentiments d'au païen, afin que le chrétien rougisse de recevoir leçon d'un homme meilleur que lui, qui s'ignorait lui-même, qui ne savait point par le Créateur, honorer les créatures; qui n'avait pas appris à supporter les mauvaises saveurs pour Jésus-Christ, qu'il ne connut pas, on parce qu'il ne crut pas que sur la croix il eût bu du vin mêlé de myrrhe : se faisant uniquement l'écho de la nature, ce poète s'écrie contre les voluptueux : « O volupté, prodigue de tout, que ne contentent jamais de médiocres provisions ; faim avide de mets cherchés sur terre et sur mer, glorieuse et fière d'une table splendide et recherchée. Apprenez à combien peu de frais ont peut entretenir sa vie et ce que réclame la nature sobre. Sous un consul inconnu, ce n'est point Bacchus qui répand ses nobles dons, pour relever les malades. On ne boit pas les pierres précieuses dans les coupes d'or, l'eau ramène la vie en passant dans un gosier pur, et les moissons jaunissantes de Cérès suffisent au peuple. » C'est-à-dire, l'eau et le pain suffisent. Ce sentiment s'accorde assez avec cette antique et véritable parole : » le pain et l'eau, voilà la vie de l'homme. » Les fronts très-durs de ces gloutons n'ont pas été brisés par la honte dont les frappent les paroles de la Vérité même qui est Jésus-Christ, de ses apôtres, ni même les reproches et les leçons d'un païen, et ils disent: nous sommes chrétiens. Ils ne reçoivent pas néanmoins l'oracle du Seigneur parlant par la bouche de son Apôtre : «Ne prenez pas souci de contenter la chair en ses désirs. (Rom. XIII.14 ). » Aussi, il arrive fréquemment que les viandes sont encore dans leur bouche lorsque la colère de Dieu éclate sur eux, et, qu'après avoir mené leurs jours jusqu'à une fin déplorable, en un clin-d'il, ils descendent dans les enfers, où le ver qui les ronge ne meurt pas, où le feu qui les brûle ne s'éteint pas, et où ils reçoivent aussi des souffrances éternelles en retour de délices passagères. 137. Qu'est-ce que manger trop? tout le monde le sait. On mange trop lorsqu'on prend des aliments au delà de ce qui peut suffire à soutenir la nature, surtout lorsqu'on les prend avec attention. Il arrive assez fréquemment que l'homme, considérant le travail qu'il a à faire, prend avec plus d'abondance des aliments vulgaires, afin de pouvoir tenir à la peine, et excède ainsi la mesure de la réfection, dans la crainte de manquer de forces ; très peu de personnes n'ont pas, à ce que je crois, ce péché à se reprocher. Les fautes de ce genre, aussitôt qu'on s'en aperçoit, doivent être purifiées par de fréquentes confessions et par des abstinences volontaires. Pour aucune sorte de nourriture, ce péché d'excès n'admet d'excuses. Nous lisons aussi que le péché de Sodome fut « l'abondance du pain » et que le démon ayant à éprouver le Seigneur, ne lui présenta, pour le tenter, que du pain, sachant qu'on ne peut en manger trop sans péché, et que cet esprit infernal trompa nos premiers parents et tous les hommes en leur donnant un fruit à manger : néanmoins, dans les aliments vulgaires, on n'excède pas si facilement dans la quantité, parce que le goût n'est pas flatté, comme clans les mets préparés avec recherche et avec des condiments qui en transforment la saveur. 138. Manger avec ardeur, c'est prendre la nourriture ou la boisson avec trop d'avidité, excès qui peut se trouver soit à l'égard des aliments vulgaires, soit à l'égard des mets recherchés. Nous en avons un exemple dans Esaü qui, vaincu par son désir extrême d'un plat fort commun, vendit de lui-même son droit d'aînesse. La Genèse rapporte en effet que, revenant de la campagne, il vit son frère Jacob occupé a faire cuire des lentilles. Il lui dit : « donne-moi de ce ragoût roux que tu fais cuire là, car je suis bien fatigué. Gen. XXV. 29 ) » Et ayant fait avec son frère un pacte par lequel il lui vendait son droit d'aînesse, il dévora gloutonnement ces lentilles désirées, et il perdit la dignité des fils aînés. Comme il aimait trop ces légumes. « Je meurs », dit-il, « de quoi me servira mon droit d'aînesse » Nul doute qu'il ne mangeât avec ardeur et empressement ce plat si vivement désiré. Seigneur, très-miséricordieux Jésus, ayez pitié de moi, malheureux pécheur, qui ne passe aucun jour sans me sentir coupable de ce péché qu'un tel excès ne me fasse point perdre le rang si élevé que la foi m'a donné en m'en fautant à vous. Nous lisons au contraire qu'Elie et Jean-Baptiste n'usèrent jamais de chair, et que, par la sobriété de cette tempérance, ils ne perdirent jamais sur ce point absolument aucun mérite. 139. Manger avec application et goût, c'est s'appesantir trop longtemps dans le boire et le manger. Nous parlons de ceci à ceux qui en ont fait l'expérience, et plût au ciel que nous ne l'eussions pas faite et que nous ne la fassions jamais ! Car il arrive fréquemment qu'après avoir pris les aliments,qui, d'après le besoin ordinaire, pourraient et devraient suffire, une délectation nouvelle se fait sentir, qui porte l'homme, sans méfiance des embûches du démon, à se livrer à son goût pour cette nourriture, comme si déjà il n'avait pas pris, ou comme s'il ne devait rien prendre de plusieurs jours. Ceux qui trouvent en eux quelque chose qui sente la gourmandise, peuvent facilement, avec le secours de Dieu, résister à ce vice ; son aiguillon, en effet, cesse de presser, lorsqu'on a quitté la table et lorsqu'on écarte la pensée de ces mets qu'on désire avec tant d'ardeur. Il est un grand nombre de personnes qui ne regardent pas comme un péché ce désir raffiné de manger, et qui n'ajoutent point foi à ceux qui affirment que c'est une faute, ayant pour coutume blâmable de ne résister à aucun des appétits que la naturel peut défendre sous un prétexte quelconque. Ils ne mettent à leur oeuvre de manger d'autre terme que celui que leur apporte le temps en amenant la fatigue. Le chrétien mange pour vivre, il ne vit pas pour manger, comme l'a dit quelqu'un. C'est aussi avec raison qu'on applique cette parole aux personnes inutiles et voraces :
Nous sommes en nombre et nés pour consommer.
Il n'en est pas ainsi du chrétien : que toujours il se lève de table ayant encore de l'appétit pour plus de nourriture. et qu'il offre le besoin qu'il éprouve encore en actions de grâce à Notre-Seigneur, qui, pour notre salut, voulut éprouver souvent la faim et la soif. Entraîné par ces raisons ou autres pareilles, un personnage se livre à une abstinence telle, que, consumé par une faiblesse excessive, il tombe dans une langueur chronique, et ne peut être utile ni à lui ni aux antres bien plus, il devient un fardeau pour tout le monde : et si ses frères étaient chargés, c'est lui qui devrait bien plutôt les soulager. Qui enseigne cela ? Quel sage agira de la sorte ? Les hommes qui tombent dans cet excès ignorent
Que la vertu est un milieu distant des deux extrêmes vicieux.
Il y a, en effet un milieu entre trop manger et trop se priver : et ce milieu est la vertu. Il consiste à prendre assez d'aliments pour ne pas trop affaiblir la nature; à ne pas en prendre trop pour exciter les vices. Que si un tel milieu n'est pas absolument praticable, il faut veiller à ne pas s'en écarter trop; c'est-à-dire celui qui mange moins qu'il ne faut ne doit pas se priver trop; et celui qui dépasse la mesure en mangeant ne doit pas la dépasser trop, en sorte que son corps ne soit pas engraissé pour les vices, mais conservé pour les vertus. 140. Pourquoi l'abstinence est-elle comparée au safran? La couleur de cette fleur nous l'indique : cette vertu donne, à ceux qui la pratiquent, une teinte qui est celle de cette fleur; quand l'estomac est à jeun, la face ne peut être rouge. Le grand nombre des fleurs du safran indique les espèces diverses de mortifications. Il n'y a pas, en effet, d'abstinence seulement lorsqu'il s'agit de boire et de manger; il en existe encore en matière de sommeil, d'amusements, de vêtements, ou autres agréments que l'on procure au corps sans nécessité absolue; dans les bains, les parfums, les instruments de musique, les chansons ou autres choses de ce genre qui corrompent les sens de l'homme, et bouleversent son âme. Que si, dans cette plante, certaines feuilles sont rouges, cela veut dire que la charité doit toujours être mêlée aux oeuvres de l'abstinence : parce que si, sans avoir la charité, on livrait son corps pour être brûlé, ce sacrifice ne servirait de rien (I Cor. XIII, 3). Plusieurs, en effet, se macèrent par l'abstinence, non pour l'amour de Dieu, mais pour la vaine gloire. Notre-Seigneur, la Vérité même, nous le montre lorsqu'il dit à ses disciples : Lorsque vous jeûnez ne soyez pas tristes comme les hypocrites, qui exténuent leurs visages, afin de faire voir aux hommes qu'ils jeûnent. Je vous le dis en vérité, ils ont reçu leur récompense (Matth. VI, 16). » Pourquoi? Parce qu'ils ne sont pas un véritable safran, eux, qui sont dépourvus des feuilles rouges de la charité, sans laquelle nulle oeuvre n'est parfaite. C'est là cette vertu dont il est dit : qui la possède seule, possède toutes les autres, et qui ne l'a pas, se verra enlever ce qu'il a.
CHAPITRE XLIII. De l'odeur des fleurs de la vigne.
141. Venons-en présentement à l'odeur des fleurs de notre vigne, priant le très-doux Jésus de daigner, parles parfums de ses senteurs si douces, soutenir nos coeurs, afin que nous puissions sentir et exprimer ses suavités ainsi qu'il convient. Que pourrons-nous dire de cette odeur? Elle est admirable, elle est inestimable plus qu'on ne le peut croire ou penser. Les autres saints rameaux ont donné leurs fleurs, c'était lui qui fleurissait en eux ; mais assurément ces très-saints personnages criaient à leur unique tête, notre très-bon Jésus, empruntant ces paroles à l'Épouse spirituelle qu'ils personnifiaient : « Vos mamelles sont meilleures que le vin : elles ont l'odeur des parfums les plus exquis. Votre nom est une huile répandue : aussi les jeunes filles vous ont-elles chérie. Tirez-moi après vous, nous courrons à l'odeur de vos parfums (Cant. I, 1). » Si nous considérons les noms qui sont donnés à notre vigne, Jésus, Christ, Nazaréen, nous verrons qu'il n'y a rien d'étonnant à ce que l'odeur qu'elle produit soit inappréciable. Ainsi que vous le savez, Jésus signifie salut ou « Sauveur, » selon que le dit le Psaume : « Convertissez-nous, » Dieu, notre salut (Psal. LXXXI, 5). » Et encore: « Vous nous avez sauvée de ceux qui nous affligeaient (Psal. XLIII, 8).» Quel homme, se trouvant dans l'affliction, refuse d'être sauvé? Si vous désirez la délivrance, si vous voulez être attiré par l'odeur de ce nom salutaire qui a été répandu comme l'huile, mettez-vous à vous délecter dans le très-doux Jésus, et cherchez avec confiance le salut en celui qui le donne véritablement, imitant, non ces malheureux qui se réjouissent lorsqu'ils ont mal fait et qui tressaillent dans ce qui est très-blâmable (Prov. II, 14), choses en lesquelles ils placent leur salut ; mais plutôt suivant celle dont l'esprit fut rempli d'allégresse en Dieu son salut (Luc. I, 47) : âme incomparable, elle avait respiré avec d'autant plus de suavité le parfum de ce nom salutaire, et elle l'avait senti d'autant plus parfaitement, que par sa foi, son espérance et sa charité, elle avait été plus rapprochée de cet Homme-Dieu parfait qu'elle avait produit de son sein, Jésus, notre salut Car elle n'ignorait pas comment il avait été conçu sans aucune concupiscence charnelle, sorti de ses entrailles sans aucune douleur, prêché par les bergers, adoré par les Mages, nourri de son lait virginal et célébré par Anne et Siméon. Elle connaissait toutes ces circonstances , elle en connaissait bien d'autres encore, cette vierge fidèle, et, dans sa foi très-parfaite, elle marchait attirée par les parfums du véritable Sauveur. Elle ne pouvait s'empêcher d'espérer en celui dont elle savait, dans la perfection de sa foi, qu'il peut, sait et vaut donner le salut à ceux qui le désirent. Autant on croit autant on espère; autant on espère, autant on aime. Plus donc cette admirable vierge fut parfaite dans la foi, plus elle fut forte dans l'espérance et fervente dans la charité, jetant en bien toutes ses pensées. 142. « Votre nom est une huile répandue. » Pourquoi ? parce que l'huile fortifie les infirmes, nourrit ceux qui ont faim, et donne une vigueur nouvelle aux flambeaux qui sont sur le point de s'éteindre. Quelle est l'âme si faible, qui n'ait été guérie par cette huile salutaire, c'est-à-dire par le nom tout puissant de Jésus, pourvu qu'elle ait voulu être guérie ? C'est ainsi que Notre Seigneur lui-même le dit à un certain infirme qui languissait devant la piscine probatique. «Voulez-vous être guéri? » Seigneur, « lui répondit il, « je n'ai pas d'homme afin de me placer dans le piscine lorsque l'eau aura été agitée (Joan. V, 7). Insensé, voyez sous vos yeux lhuile salutaire, de Jésus qui guérit tout; son nom est comme l'huile répandue. Qu'avez-vous à chercher dans l'eau? Si vous voulez recouvrer la santé, voici la source d'où jaillit l'huile de la miséricorde, personne ne vous empêche de vous y plonger ; son nom est une huile répandue, c'est-à-dire montrée à toutes les nations, et son onction guérit tons les malades. En entendant redire, et en comprenant la suréminente miséricorde de l'excellent Jésus (qui descendu du sein du Père sur la terre pour nous racheter, nous a délivrés par sa passion pleine d'un dévouement ineffable), comment en votre coeur ne s'élève pas l'espérance assurée, qu'étant venu du ciel pour vous chercher, il ne voudra pas perdre celui qui lui a coùté si cher? que si vous pensez ainsi, que si vous espérez de la sorte, le nom de Jésus est pour vous une huile répandue. Oignez-vous-en pour être guéri; c'est-à-dire, espérez en la miséricorde du Sauveur qui sauve tous ceux qui mettent en lui leur espoir. 143. De plus, cette huile vous nourrit si vous êtes affamé : si la faim vous presse, elle est parole. En cette parole du tendre Jésus, nôtre Dieu, vous trouvez de quoi vous rassasier, si vous voulez abaisser l'oreille de votre coeur vers ce qu'il a dit et ce qu'il a fait. Tout ce qu'a fait ou dit ce doux maître satisfait tous les besoins de l'âme. Que si vous avez faim et soif de la justice, vous trouverez le salut dans les discours de celui qui a dit : « Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu'ils seront rassasiés (Matth. V, 6). » Cette huile s'enflamme aussi au feu, chose qui convient très-bien à ce nom de Jésus, parce qu'à la vertu de son influence, la foi se confirme et la charité s'embrase. Avant que cette huile fut répandue, c'est-à-dire avant que votre nom fût prêché, o doux Jésus, peu de personnes eurent la foi ; peu furent consumées de charité. Mais cette liqueur sacrée une fois épanchée sur la terre, combien d'âmes la foi éclaira! combien de coeurs la charité embrasa ! Cette huile de votre nom « donna son odeur, » c'est-à-dire qu'elle fit sentir partout votre renommée, et il devint évident que vous étiez Christ, c'est-à-dire oint. Car c'est ainsi que le Psaume parle de vous : « Dieu vous a oint, votre Dieu a répandu sur vous l'huile de l'allégresse en plus grande abondance que sur vos compagnons (Psal. XLIV, 8). » L'huile est donc un onguent, parce que l'onguent se compose d'huile et de plantes aromatiques. Il n'y a donc pas à s'étonner si cette vigne qui a été ointe et qui a fleuri a répandu une odeur délicieuse? Nazaréen veut dire fleurissant 144. Jésus-Christ Nazaréen, notre vigne, c'est-à-dire notre salut, oint et couvert de fleurs, comment n'attirerait-il pas tous ceux qui désirent le salut, la gloire, les richesses ou les jouissances? Tous viendront à cette vigne. Car « Jésus » donnera le « salut » parce qu'il le porte en lui ; Christ, il donnera le royaume en lequel la gloire se trouve avec les richesses, parce qu'il est « oint» ce qui est le propre des rois; « Nazaréen, » il procurera dos délices, car il est couvert de « fleurs. » Quoi de plus agréable qu'une fleur ? En notre Nazaréen, se trouvent beaucoup de fleurs, disons mieux, se :trouvent toutes les fleurs des vertus ; c'est leur délicieux parfum qui a entraîné tout le monde à sa suite. Ceux qui viennent à lui à cause de l'humilité marchent à l'odeur de sa violette ; ceux qui y accourent à cause de la chasteté sont attirés par celle du lis ; ceux qu'entrains l'amour qui éclate dans la passion aiment la rose; et ceux que l'abstinence conduit sont séduits par l'odeur du safran. C'est de ces vertus du bon Jésus que les prédicateurs ont tiré son parfum, comme d'un onguent précieux répandu, et embaumées par cette senteur merveilleuse, les jeunes filles se sont mises à courir après Jésus qui en était inondé. Et elles courent encore criant en leur cur : « Tirez-nous après vous, que nous courrions à l'odeur de vos parfums (Cant. I, 3), » sachant que le bonheur ne vient pas de celui qui veut, ou de celui qui court, mais de Dieu, qui l'accorde dans sa miséricorde Mais ce qui donne toutes les senteurs de toutes les vertus, c'est l'odeur de Jésus crucifié, c'est sur la croix surtout que sa perfection s'épanouissait et que, par les fleurs de ses blessures, il répandit nu parfum incomparable. Son corps virginal étant brisé comme un albâtre très-pur, l'onguent parfumé de son sang très-précieux se versa sur la terre. Son âme aussi, tout embaumée sans le moindre doute de l'esprit septiforme qui l'inondait de ses grâces, s'en étant échappée, l'odeur de notre vigne qui fleurissait de la sorte se dispersa non-seulement par tout l'univers, mais encore pénétra jusqu'aux enfers, et les morts ressuscitèrent, ces morts qui sont rappelés tous les jours, soit à la vie du corps, soit à celle de l'âme, parce que la maison du Christ, c'est-à-dire l'Église fut remplie du parfum de notre vigne, qui fleurit, surtout au temps de la passion. Le corps du Seigneur se rompit comme un sac, et les gouttes sanglantes tombèrent comme des grains : les fidèles peuvent encore les recueillir et ceux qui s'approchent dévotement de la croix les recueillent en effet. Ces gouttes du sang de Jésus-Christ sont un trésor très-précieux et incomparable. 145. Approchez, ô âme fidèle, et ramassez les restes du banquet de votre Époux, ces miettes très-agréables et les feuilles de ces roses. Voyez avec quelle abondance elles tombent à la fois des mains, des pieds et du côté du Seigneur attaché à sa croix. Il n'est pas de maladie de l'âme que vous ne puissiez guérir avec ces fleurs. Recueillez seulement les feuilles des fleurs que produit Jésus-Christ, les gouttes de son sang empourpré, et cachez-les dans l'intime de votre coeur, comme des pilules, dont je ne veux jamais être démuni. Leur saveur et leur odeur seront une médecine salutaire, pour repousser les maladies actuelles, e t prévenir celles qui pourraient survenir. Veillez seulement à ne jamais vous trouver dépourvu de ces remèdes, qui ont pour véritable nom ces mots prononcés par chaque fidèle: « Je ne veux pas être sans eux. » Respectez donc, de toute l'affection de votre coeur, l'odeur de la vigne véritable, et Jésus-Christ le Nazaréen, et trouvez en lui vos délices, comme le Père, céleste les y trouva, au point qu'il put dire : «Voici que l'odeur de mon Fils est comme l'odeur d'un champ rempli d'herbes, que le Seigneur a béni. (Gen. XXV, 27). » « Il est bien rempli, » en lui en effet habite toute la plénitude de la divinité, en lui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science. (Coloss. II, 3). » 146. Il existe encore une raison expliquant pourquoi le crucifié a répandu une exhalaison si forte. Le corps d'un animal vivant a peu ou point d'odeur; que si on le met au feu, nul n'ignore quel parfum agréable il fait sentir. Remarquez quel feu fut mis sous le corps de celui qui est notre vigne. Jésus-Christ crucifié brûlait, au dedans, de l'incendie d'une immense charité, au dehors, l'ardeur de sa passion le consumait , et ainsi il était sur l'autel de la croix un holocauste très-réel, très-agréable, et très-salutaire. Quel holocauste lui est comparable ? Aucun ; nul ne se trouve qui soit ainsi entièrement dévoré. Que si on donnait ce nom, parce que toute la victime était brûlée, lorsque la chair seule était consumée, à combien plus juste titre notre victime sera-t-elle appelée holocauste, elle qui brûlait incomparablement davantage, soit au dedans, soit au dehors? Saint Laurent, saint Vincent, furent brûlés en entier, ainsi que plusieurs autres, mais leur supplice n'approche point de celui de Jésus. Qui oserait comparer quelque tourment que ce soit à l'ardeur de la fournaise de la croix ? Nous nous souvenons d'en avoir donné plus haut de nombreux exemples. De l'holocauste de notre Jésus crucifié, brûlé par un feu incomparable, sortit une odeur pareillement incomparable, et Dieu le Père respira avec plaisir ce parfum suave; il nous bénit et il éloigna entièrement le courroux de dessus nos têtes, la paix étant parfaitement rétablie, et le sang de Jésus empourpré étant aussi bien notre gage que le garant qui partageait le bonheur éternel. Bien d'autres âmes ont senti ces parfums et sont venues de l'orient et de l'occident, de l'aquilon et du midi, et se sont réunies autour de ce corps fleuri qui les exhale, afin de se rassasier de lui, bien qu'il demeure entier, accomplissant cette prophétie du Seigneur : « Là où se trouvera le corps, là les aigles se rassembleront (Luc. XVII, 37). » Cette chair n'est pas mangée crue, elle est parfaitement cuite par le double feu de la passion et de l'amour. Aussi, enivrés par une odeur si agréable, non-seulement des hommes dont la nature est plus forte, mais encore des vierges tendres, courent, de toute l'affection de leur coeur, de tontes les forces de leur âme, vers les délices de la croix, pour trouver leur bonheur, autant qu'il est possible en cette vie, dans les parfums qui découlent si abondamment de notre holocauste constitué par des feux si ardents. 147. Le parfum délicieux qu'exhalait ce corps brûlant s'accrut des parfums des dons spirituels, c'est-à-dire des grâces qui furent accordées aux apôtres, après l'ascension du Seigneur Jésus. Avant la passion, 1e. Saint-Esprit n'était pas donné, parce que Jésus n'était pas encore glorifié (Joan. VII, 39). Mais ce pieux Sauveur ayant été humilié et ensuite exalté, l'onction du Saint-Esprit coula de « la tête ( Psal. CXXXII), » c'est-à-dire du Christ, c'est-à-dire de l'oint, jusque « sur la barbe, » c'est-à-dire sur ceux qui agirent virilement, et furent fortifiés, afin de triompher dans le Seigneur, et, non-seulement « sur la barbe d'Aaron, » ce qui signifie que non-seulement les apôtres de Jésus reçurent, cet onguent qui fut liquéfié au feu de la passion, pour répandre sa réputation jusqu'aux extrémités de la terre ; « mais jusqu'aux bords du vêtement, c'est-à-dire jusqu'aux membres inférieurs de l'Église, qui est comme le vêtement de Jésus-Christ. Événement qui s'est accompli et qui s'accomplit encore, en sorte que la grâce du Saint-Esprit se répand même sur les nations infidèles (Act. X, 45), et leur fait sentir l'odeur de ce parfum spirituel, découlant du chef élevé au dessus de toutes choses, dont la vertu les rend jeunes vierges sans tâche, de sorte aussi qu'elles attirent et aiment notre Christ, notre oint, et courent à la traînée des senteurs qu'il laisse après lui. 148. Il n'y a rien d'étonnant à ce que ces âmes heureuses se délectent de la double odeur de notre vignc, l'une procédant des onguents, l'antre, des fleurs. Elles sentent Jésus et le suivent après l'avoir senti, huilant un certain animal qui aime l'odeur du pain fraîchement cuit, où partout il le sent, il le poursuit jusqu'à en mourir. Voilà, d'après son propre témoignage, « le pain vivant descendu du ciel (Joan. VI. 33), » cuit au double feu de la passion et de l'amour, et qui répand son odeur au loin de toutes parts. Qui ne le suivrait pas ! Une bête sans raison poursuit le pain cuit qui doit être consumé, lhomme raisonnable ne marchera pas à lodeur du pain des anges deux fois cuit ? Il est bien moins intelligent que la bête, celui qui ne comprend ni l'odeur, ni la dignité de ce pain odoriférant. Nous ne devons pas omettre de dire que ceux qui doivent traverser les mers ont besoin d'une provision de biscuit. Qui donc connaîtra qu'il se trouve dans la grande mer du siècle, dont l'étendue ne peut pas être promptement franchie , mer dangereuse à cause des reptiles qu'elle nourrit en son sein, et des orages et des tempêtes qui la bouleversent; s'il veut être en sûreté, qu'il ait dans le vaisseau de sa croix le pain cuit, le tout-puissant Jésus, pain sacré qu'il mange, et qu'il adore, qui le refait, qui le console, qui, pour tord dire en un mot, le délivre de toua les périls. Car, si, comme l'a dit le Psalmiste : « C'est là, que passeront les vaisseaux (Psal. CIII. 25), » c'est-à-dire, que les hommes passeront portant leur croix à la suite de Jésus, quel navire passera plutôt que celui de Jésus crucifié ? Selon le sentiment de saint Paul exprimé en ces termes : « Je suis attaché à la croix avec Jésus-Christ (Gal. III. 19), » crucifions-nous avec le Sauveur, étreignons sa croix, embrassons-le sur sa croix, avec nu sentiment inépuisable d'amour, trouvons nos délices dans cette ardeur vivifiante qu'exhale Jésus, dans l'ardeur de la charité : « semblable à nue vigne, j'ai donné des fruits d'une odeur suave . mes fleurs sont des fruits d'honneur et de sainteté : leur senteur est plus douce que le miel (Eccli. XXIV. 23).» Trouvons, dis-je, nos délices dans ses parfums, fortifions-nous par les onguents de ses grâces, et par le pain céleste fini est son corps très-pur : eu sorte que, mangeant son corps et buvant le sang qu'il a versé pour notre salut, nous puissions goûter et voir, par reflet et en énigme, combien le Seigneur est doux, et sentir s'accomplir en nous, autant qu'il est possible, durant cette vie, la réalisation de sa promesse : « Ceux qui me changent auront encore faim, et ceux qui me boivent auront encore soif (Ibid. XXIV.29) ».
CHAPITRE XLIV. Qu'il faut trouve des fleurs dans notre vigne.
149. Considérons enfin que les fleurs plaisent à la vice et à l'odorat ; on ne les mange pas d ordinaire, les abeilles les sucent, et, de la liqueur qu'elles en tirent, elles composent nu miel très-doux. Ces abeilles, dans ma pensée, sont les âmes qui savent et peuvent s'élever sur les ailes de la contemplation, quitter leurs ruches, c'est-à-dire le soin de leur corps, et voler vers le jardin des délices, où elles trouvent toutes sortes de fleurs et toutes sortes de jouissances. Ce jardin, c'est le paradis. C'est ce que vous trouvez dans le cantique de l'amour. « Vos émissions, ô très-féconde Vierge Marie, sont le paradis (Cant. IV. 13). » Le paradis sortit, en effet, du sein virginal de Marie, tout rempli de fleurs et de fruits; les fruits étant néanmoins un peu retardés. Voyons, cueillons, ou plutôt, suçons les fleurs de ce paradis. Car il convient que nous soyons des abeilles qui sachent tirer le miel du rocher. Le Christ est tout à la fois pierre et jardin. Que s'il faut chercher des fleurs, où les cherchera-t-on de préférence, où les trouvera-t-on plus facilement que dans Jésus-Christ, rempli de tant de douceur? Les fleurs de ses vertus et de ses blessures brillent à tons les regards. Voyez-le : ses bras sont étendus, son corps est nu, ses pieds et ses mains sont percés, sa tête est inclinée. Fortifie-toi donc, et élève-toi, ô mon âme faible et misérable, sur les ailes de la foi et de lespérance; efforce-toi de monter vers ce jardin de charité, et réunis sur un seul point les forces de ton attention divisées sur plusieurs, et, imitant l'industrie des abeilles pour élaborer le miel de la dévotion, élève-toi au paradis de la charité en tapprochant de ce cur élevé, parce que celui que tu cherches est élevé et humilié. S'il a été exalté sur la croix, ce n'est pas pour rendre son accès difficile à ceux qui voudraient venir à lui, c'est pour leur devenir plus facilement présent à eux. 150. Venant donc avec confiance à ce paradis, reconnaissez et accueillez-en l'extension des bras du crucifié, l'affection qui veut vous donner ses embrassements et qui vous engage à lui rendre les vôtres, et qui vous crie avec miséricorde et aussi avec tristesse et plainte : « retourne-toi, retourne-toi, afin que nous te voyions (Cant. VI. 12). » Retourne-toi de la mauvaise volonté, de tes mauvaises actions, de l'obstination, du désespoir. Retourne-toi vers moi, dont tu t'étais séparé, afin que je te regarde de ce regard de grâce que j'ai jeté sur la femme pécheresse, sur Pierre et le bon Larron. Lis-moi, moi qui suis le livre écrit au dedans et au dehors, et comprends-le après l'avoir lu. Recueille mes fleurs sanglantes, afin que tu puisses entrer dans ce paradis aux portes duquel a été placé un chérubin qui brandit un glaive de feu. La science que tu peux apprendre parfaitement de moi, peut te servir à éloigner l'obstacle qu'oppose ce chérubin; que les fleurs sanglantes de ma passion fassent disparaître les flammes si horribles pour toi de ce glaive toujours en mouvement. Entre donc, ô mon âme, dans ce paradis, le meilleur de tous, maintenant que tu le pourras par la seule affection de la pensée, pour qu'ensuite tu puisses entrer, en corps et en âme, dans le paradis de la terre et du ciel. 151. Ce paradis, il ne faut pas le parcourir rapidement et comme d'un coup d'oeil, il faut voler sur chacune de ses fleurs, il faut sucer chacune des feuilles de ces fleurs, et s'approcher davantage, pénétrer plus à fond dans cette terre qui répand de droite et de gauche, des ruisseaux et des gouttes de sang. Il faut y chercher de tous côtés la dévotion et la grâce des larmes du repentir : çà et là il faut considérer combien furent cruelles les ouvertures faites par les clous, combien souffrit, par la rupture de ses veines et de ses nerfs dans les mains, ce grand Dieu qui a fait le ciel et la terre, qui a opéré le salut au centre de la terre; et, au milieu de ces considérations, il faut redire souvent : « Rendez-moi la joie de votre salut », à l'imitation de l'abeille qui, en volant, fait toujours entendre un bourdonnement, et ne se tait que lorsqu'elle est entrée au sein de la fleur, où elle suce et recueille la douceur du miel qu'elle désire. O que vous serez heureux, si, après avoir pénétré dans les fleurs sanglantes de notre paradis, je veux dire, dans les blessures de Jésus-Christ, vous pouvez, au moins pendant une demi-heure, être délivré du bruit de ce monde et des attaques des tentations, et si, vous donnant à celui dans l'intérieur de qui vous êtes parvenu, vous goûtez et comprenez combien le Seigneur est bon et doux. C'est ainsi qu'il faut examiner aussi les pieds sacrés du Sauveur, qui ne sont pas moins brisés et percés et qui ne répandent pas moins de sang que les mains. 152. Il faut enfin, par l'ouverture du côté percé, entrer dans le cur très-humble de Jésus si élevé. C'est là, sans le moindre doute, qu'est cacha un trésor inestimable de charité désirable ; là qu'on rencontre une dévotion nouvelle; de là que vient la grâce des larmes, qu'on apprend la mansuétude, la patience dans l'adversité, la compassion envers les affligés. C'est là , principalement, qu'on trouve un coeur contrit et humilié. Jésus désire vos embrassements, il attend comme quelqu'un qui les veut recevoir. Il incline vers vous, pour vous appeler au baiser de la paix, sa tête fleurie percée de beaucoup d'épines, comme s'il vous disait : Vois comment j'ai été défiguré, percé de coups et meurtri, afin de pouvoir te porter sur mes épaules, brebis égarée, et te ramener dans les pâturages du paradis. Rends-moi une pareille affection, sois touché de compassion à la vue de mes plaies, et place-moi tel que tu me vois, comme un cachet, sur ton coeur et sur ton bras (Cant. VIII. 6), afin qu'en toutes tes pensées et toutes tes actions, tu puisses être trouvé semblable à celui dont tu portes ainsi l'empreinte. En te créant, je t'avais fait à la ressemblance de ma divinité; pour te refaire, je me suis rendu conforme à ton humilité. Puisque tu n'as pas gardé la marque de ma divinité imprimée sur toi quand tu fus formé, retiens an moins la forme de ton humanité imprimée en moi quand il fut question de te refaire ; c'est-à-dire, si tu n'es pas resté tel que je t'avais créé, reste du moins tel que je t'ai créé derechef. Si tu ne comprends pas quels trésors de vertus je t'ai donnés en te créant de misères, comprends au moins de combien, je me suis chargé, en ton humanité que j'ai prise pour te refaire et pour te mettre à même de goûter des délices bien plus exquises que celles que je t'avais offertes dans la création. Car, si je me suis fait homme visible, c'est afin que, me voyant, tu m'aimasses, moi qui, invisible en ma divinité, n'étais pas aimé. Donne-toi donc à moi, en retour de mon incarnation et de ma passion, quand dans mon incarnation et dans ma passion, je me suis donné à toi. O très-doux et très-aimable Jésus, Père des lumières, de qui vient tout bien excellent et tout don parfait, regardez avec miséricorde ceux qui vous rendent hommage avec humilité, et qui sentent sincèrement que sans vous, nous ne pouvons rien faire; ô vous qui vous êtes donné en récompense pour nous, bien que nous ne soyons pas dignes d'un tel bienfait, faites que subissant parfaitement l'influence de votre grâce , que conformés à la ressemblance de votre passion, nous recouvrions l'image de la divinité que nous avons perdue en péchant. 153. Ce qu'il ne faut pas oublier de dire, c'est que les abeilles font un rayon de la liqueur ramassée dans les fleurs, c'est-à-dire de la cire qui contient le miel. Qu'est-ce que cela ? Dans la cire, voyez vous la mémoire fidèle : elle est propre à recevoir l'empreinte du cachet, à nourrir le feu, pourvu qu'on y place à l'intérieur du lin, et elle contient un miel très-doux, très-propre à purifier et toujours porté à descendre. Pour nous, si nous sommes véritablement des abeilles spirituelles, des fleurs de notre paradis de Nazareth, c'est-à-dire de. Jésus, notre jardin richement émaillé, formons-nous une mémoire tenace que la première tentation ne détruise pas, mais qui soit apte à recevoir l'empreinte du cachet, c'est-à-dire de Jésus crucifié, afin que toujours nous portions en notre souvenir celui qui a dit . « Portez-moi, comme un cachet. » La croix est le signe du roi; si nous la portons dans la mémoire de notre coeur, nous pourrons traverser en toute sécurité ses vastes états qui n'ont pas de fin. Ce signe porte l'image de Jésus crucifié, et creusée à plusieurs fois dans la croix elle-même, absolument comme dans les sceaux, l'image des rois est gravée et burinée sur le métal. Elle porte pour inscription ce titre rédigé par Pilate : « Jésus de Nazareth, roi des Juifs (Joan. XIX. 19). » Il comprendra la signification spirituelle de cette inscription, celui qui s'attachera à porter gravé fortement en sa mémoire le signe de la croix: il aura « Jésus » c'est-à-dire le salut, ce qui est le commencement de cette inscription. Or, le salut que désire tout homme sensé consiste en trois choses et se trouve exprimé en trois mots. Le mot « Nazaréen » s'interprète «fleurissant, » entendez par là la jouissance ou la délectation, parce que la beauté des fleurs ravit et enchante. Aussi, dans le lire de la Sagesse, la volupté des amis du plaisir se traduit en ces mots : « Qu'il n'y ait aucune prairie où ne se promène notre volupté. Couronnons-nous de roses avant qu'elles ne se flétrissent (Sap. II. 8). Ce mot « roi » indique les richesses. D'ordinaire, en effet, les rois sont plus riches que ceux qu'ils gouvernent. Ce mot « des Juifs, » marque la gloire, parce que « Juif, » veut dire glorieux. Celui donc qui porte volontairement le sceau de Jésus crucifié, notre roi, obtiendra le fruit marqué dans cette inscription : il sera sauvé, c'est-à-dire qu'il arrivera au bonheur éternel et s'abreuvera au torrent des délices, de la volupté de souverain monarque ; il acquerra aussi les richesses dans l'excellent Jésus en qui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science; il se glorifiera aussi à jamais en celui qui est au dessus de foules les nations et dont la grandeur brille au dessus des cieux. C'est lui qui illumine aussi la maison de notre cur, et y fait brûler le feu de la charité divine. La cire de la mémoire fidèle est représentée par le bois; si pourtant il s'y trouve du lin, c'est-à-dire l'exercice du travail spirituel exprimé par le lin, c'est que le lin est soumis à beaucoup de préparations qui le broient, afin de le rendre propre à quelque emploi. 154. Que si nous avons en notre mémoire les souffrances de la passion de Jésus-Christ, ce souvenir peut embraser en nous l'amour de celui qui éclaire les ténèbres de notre ignorance, et ranime le froid de notre torpeur, afin que, nous aussi, nous soyons prêts à souffrir pour celui et avec celui qui, le premier, a souffert pour nous. Dans la cire de notre mémoire doit se trouver le miel, c'est-à-dire la délectation produite par la pensée de la croix, ce qui est un miel très-doux. Quelle amertume ne peut s'adoucir à fa pensée de la Passion vivifiante ? Nous lisons que les Hébreux, à leur sortie d'Égypte, vinrent à des eaux très-amères, que nul ne pouvait goûter : Moïse y jeta du bois, et elles furent adoucies, au point,que tous en buvaient avec plaisir (Exod. XV. 25). Quoi de plus clair, que l'eau amère représente toute adversité contraire à l'homme? Lorsquon y jette le bois de la croix, c'est-à-dire quand on contemple la passion du tendre Jésus, il arrive nécessairement que toute souffrance, humaine parait légère, à côté de la passion qu'a voulu souffrir pour nous le Seigneur Jésus, Dieu et homme, médiateur de Dieu et des hommes. Le miel purifie, parce que rien ne nous lave de la contagion des mauvaises pensées et des atteintes de tans les vices, rien ne irons conserve dans la chasteté, comme le souvenir persévérant de la croix et de la passion du Seigneur Jésus. 155. Le miel descend : contre le mouvement naturel qui se produit dans les autres liqueurs, ce qu'il a de plus pur tombe au fond, et sa lie monte. Que signifie ce mouvement vers le bas, sinon la vertu d'humilité? Cette vertu s'acquiert et se conserve par le souvenir de la passion du Seigneur. Nul, en effet, ne peut s'empêcher de s'humilier, lorsqu'il vient à penser que le Seigneur de majesté s'est abaissé pour lui. Il serait indigne, en effet, que l'homme, boue et cendre, s'élevât en ce séjour, où le plus beau ales anges, en science et en grandeur, ne put demeurer, faute d'humilité. Trouvons donc, dans les fleurs de notre vigne, qui est le Seigneur Jésus, de tels souvenirs et de telles belles délices; et retenant constamment dans notre mémoire les impressions de notre crucifié, prenons cri lui, le seul qui soit aimable, nos délices, de telle sorte que, par lui, nous surmontions les amertumes. de la vie présente, irons soyons purifiés de toute tache, et conservés persévérants dans les bonnes oeuvres, par la pratique de l'humilité.
CHAPITRE XLV. De lodeur des fleurs de la vigne.
156. Il nous reste à dire, avec le recours du bon Jésus, comment il se fait que tous les animaux venimeux soient surtout chassés par l'odeur des fleurs de la vigne. On en trouve parfaitement la raison si on connaît ce due signifient les serpents. Ce que l'on dit de ces reptiles peut s'entendre aussi des autres animaux dangereux. Les serpents , que peuvent-ils représenter de mieux que les suggestions diaboliques? Semblables à des reptiles, ces mauvaises pensées rampent secrètement dans l'esprit des hommes; si on n'y prend garde de suite, elles font sentir leurs blessures mortelles à l'imprudent qui ne s'en méfie pas ; malheur dont vous trouverez un exemple dans les enfants d'Israël, auxquels les serpents causèrent malheureusement la mort dans le désert. L'Apôtre nous donne la cause du fléau qui fondit sur eux, en ces termes : « Ne tentons pas Dieu, comme le tentèrent quelques-uns d'entre eux, et ils périrent par suite des morsures des serpents, (I Cor. X. 9). » Qu'est-ce que tenter Dieu? C'est ne pas croire en lui. Ils étaient rongés par le vice de l'incrédulité, et, à cause de cela, les serpents les mordirent. Qu'est-ce que le désert dans lequel ils périrent, sinon ce monde, dans lequel nous errons, après avoir passé, pour ainsi dire, la mer rouge par le baptême, délivrés par notre législateur, le Seigneur Jésus-Christ, de la servitude d'Égypte qui nous opprimait avant le bienfait de la régénération baptismale. 157. Si nous y faisons attention, nous trouvons que presque tous les vices viennent du manque de foi. En effet, qui chercherait la vaine gloire du monde, s'il croyait parfaitement qu'il en existe une dans les cieux qui ne se flétrira jamais, que l'i1 n' a pas vue, que l'oreille n'a jamais entendue, que le coeur de l'homme n'a point goûtée, réservée pour être la récompense des humbles? Croyez-vous qu'il abaisserait sou âme vers cette gloire mondaine et si transitoire ? Nullement. Beaucoup assurent qu'ils croient en Dieu, mais cette foi provient d'une coutume, parce qu'on voit ou qu'on entend dire que tout le inonde a reçu cette foi. Que si le nombre des infidèles augmentait, et qu'on ne pût confesser le nom du Christ qu'au prix d'un châtiment où qu'au milieu d'une grande crainte, vous les entendriez vite révéler par la langue ce que leur coeur recèle, et renier, de bouche, celui qu'ils ne craignent pas de méconnaître par la conduite. Il en est de même des avares, qui ne prennent pas souci des richesses célestes; des envieux quine font attention ni au mérite de la charité, ni à la récompense qui lui est réservée ; des violents, qui ne possèdent pas leur âme dans la patience; des paresseux, qui refusent de souffrir des travaux passagers, qui leur obtiendraient une jouissance éternelle ; des voluptueux, qui ne fixent pas leur attention sur les plaisirs célestes; des gourmands, qui, au pain très-délicat des anges, préfèrent les repas grossiers. S'ils croyaient réellement à ces réalités futures qu'on leur promet, ils ne soupireraient pas si ardemment après les biens de la terre. A cause de leur manque de foi, ils sont donc livrés aux atteintes des tentations, et aux morsures des serpents de feu, qui leur occasionneront la mort en versant leur poison dans leurs veines, c'est-à-dire qu'ils seront abandonnés aux démons, ministres du grand et tortueux dragon, qui trompa, qui fut le premier trompeur, ministres qui séduisent et entraînent avec eux, dans les flammes de l'enfer, ceux qu'en cette vie ils corrompent et consument par l'incendie de leurs suggestions mauvaises. 158. Mais remarquons par quel remède fut guéri le vice de l'incrédulité. Dieu dit à Moïse : « Fais un serpent d'airain et place-le sur une tige droite de bois : ceux qui le regarderont seront délivrés de la morsure des serpents (Num. XXI. 8). » Le Seigneur lui-même a daigné expliquer le mystère de ce serpent en ces termes : « Comme Moïse exalta le serpent dans le désert, ainsi il faut que soit exalté le fils de l'homme, afin que quiconque croira en lui, ne périsse pas (Joan. III. 14). » Voyez-vous où nous sommes portés? Au bon Jésus, qui fut élevé sur la croix, et qui est comparé avec beaucoup de raison au serpent d'airain dressé sur le bois. On dit que le serpent est mortifère, parce que la mort est entrée dans le monde par sa suggestion. Qu'il est d'airain, parce que, forgé simultanément aux feux de la charité et de la passion, et rougi par le sang de la passion, il s'est durci dans la résurrection comme l'airain, parce qu'il ne meurt plus. L'exaltation de cet animal figure l'exaltation de Jésus crucifié. Voilà le serpent que sont avertis de regarder, s'ils veulent être sauvés, les incrédules, fatigués par les esprits malins, mais revenus à la foi. Ce serpent était la verge de Moïse transformée. Dans la verge, qui est un insigne de royauté, voyez Dieu ; dans le serpent, dont les suggestions causèrent la mort à nos premiers parents, considérez l'homme mortel. La verge fut changée en serpent, lorsque le « Verbe se fut fait chair, » prenant ce qu'il n'était pas, c'est-à-dire l'humanité, et demeurant ce qu'il était, c'est-à-dire Dieu. De même donc que cette verge, devenue serpent, dévora les serpents des Mages égyptiens, de même Dieu, devenu homme, vainquit les ennemis qui excitaient aux péchés et à la fraude, triomphe qu'il remporta surtout lorsqu'il était exalté sur la croix, lorsqu'il étalait les fleurs de son sang, et répandait par tout le monde l'odeur de ses fleurs. c'est-à-dire de ses vertus, et guérissait les coeurs atteints de n'importe quels vices. 159. Regardons conséquemment en face, nous aussi, ce serpent d'airain élevé, Jésus-Christ, si nous voulons être délivrés des suggestions des mauvais démons, serpents redoutables. Le regarder, c'est tendre vers lui parla foi; ce qui s'obtient non par une foi faible, mais par une fois robuste, et parfaite. Il en est qui confessent de bouche qu'ils sont chrétiens, mais qui le nient par leur conduite: je crois qu'ils ne volent point, par la foi, vers Jésus-Christ crucifié. Pour rendre sensible cette pensée par une comparaison, cette foi est semblable à un vin qui n'a que la couleur du vin, sans en avoir la force et le goût. Cette liqueur n'est pas agréable à Dieu, le Seigneur ne reçoit avec plaisir que celui qui est loué dans le Cantique des cantiques, où l'Époux dit à l'Épouse : « Votre gosier est comme un vin généreux (Cant. VII, 9). » Et l'Épouse réplique aussitôt : Il est digne d'être bu par mon bien-aimé , et d'être savouré sous ses dents. » Et peu après : « Je vous donnerai un vin préparé et mêlé avec mes grenades. » Voilà le vin qui plaira au bien-aimé, celui qui excite son amour pour nous. Ce vin généreux, c'est la foi parfaite, le sentiment du coeur, et la confession sympathique de la bouche. Et ce qui est dit ensuite : « Je vous donnerai un vin préparé,» indique la foi excitée, exercée par les bonnes oeuvres. C'est par une foi semblable que l'on considère Dieu plein de bonté, et que l'on tend vers lui, et non par une foi feinte et stérile, car sans les couvres la foi est morte. Donnons donc à notre Dieu bien-aimé le vin exquis d'une foi parfaite, le vin parfumé de l'arôme de diverses vertus, et contemplons ainsi la face de celui qui a été élevé pour nous, sur la croix, à la manière du serpent d'airain. Et toutes les fois que nous nous connaîtrons atteints parla morsure du serpent tentateur, courons à la croix, à cette croix, jadis trône d'ignominie, et aujourd'hui siège suprême de la gloire. Et fixant notre attention avec foi, espérance et charité, sur notre très-bon libérateur, par la mort de notre divin serpent qui fit mourir l'antique dragon, nous demanderons et obtiendrons d'être délivrés des morsures de ces reptiles dangereux.
CHAPITRE XLVI. Du fruit de notre vigne, ou de Jésus-Christ, qui a souffert et a été crucifié pour nous.
160. Instruits et conduits, comme je l'espère, par le tendre Jésus, ce maître si excellent, nous avons parlé plus au long que nous ne le pensions, des fleurs de notre vigne ; avec le secours de celui qui aime et dirige les siens jusqu'à la fin, en la main de qui nous sommes, nous et nos discours, portons notre attention au fruit de la vigne, rachetant les trop longs développements donnés aux fleurs par la brièveté de ce que nous dirons des fruits. La science de ces fruits est très-haute, et la pesanteur de notre faible esprit ne peut s'élever à de telles hauteurs. Pour supprimer tout détour, si nous voulons des fruits, l'arbre de la rédemption est planté surtout dans une terre bénie, dans Marie la Vierge des vierges. La vigne véritable, le doux Jésus, apparut dans la nativité, fut taillée dans la circoncision; entourée comme d'un fossé dans les embûches qu'on lui tendit, percée de clous, liée par beaucoup de chaînes, elle se couvrit de feuilles par ses vertus, elle fructifia dans la passion et racheta l'homme d'une manière convenable, à l'exclusion de tout autre. Mais vous dites : « Comment dit-on que Jésus a donné ses fruits dans la passion, lorsque peu auparavant on a dit qu'il a donné ses fleurs dans la nativité ? Fleurs et fruits est-ce la même chose? Le fruit a-t-il sans aucun intervalle remplacé la fleur ? Ce n'est pas le cours naturel des choses ? La fleur parait d'abord, et il s'écoule bien des mois avant que le fruit arrive à sa maturité. Nous le reconnaissons, il eu est ainsi; mais le sujet qui nous occupe n'est pas chose seulement humaine, c'est une affaire divine, aussi ne suit-il pas en toutes choses les lois ordinaires de la nature, il obéit plutôt à la volonté de celui qui a créé la nature. 161. Vous saisirez mieux cette pensée, si vous voulez considérer avec attention, qu'en toute sorte d'arbres, la fleur tombe et périt à l'apparition du fruit. Dans les hommes aussi, et dans presque tous les animaux, le fruit des feuilles fait disparaître la fleur de la virginité. Il n'en fut pas ainsi dans la naissance de notre vigne. La très-heureuse vierge Marie donna son fruit béni sans perdre la fleur de sa virginité; bien plus, elle fut embellie par son enfantement admirable et très-pur. Les lois et les droits de la nature en furent soigneusement bannis. II n'y a donc pas à s'étonner, si, dans notre vigne, le fruit très-salutaire suivit immédiatement les fleurs qui ne disparurent pas. Sa mère éclatante de beauté le produisit sans perdre la fleur de sa vertu, et lui-même donna le fruit de notre rédemption, sans que les fleurs de ses vertus vinssent à se flétrir. Cette maturité accélérée du fruit ne manque pas de raison et d'instruction. Il est évident que la diminution ou l'augmentation de la chaleur la retarde ou l'active. Considérez donc la vivacité de la chaleur, ou plutôt de la ferveur, dans le bon Jésus qui souffre, et vous ne serez pas étonné de la prompte maturité du fruit qu'il a offert aux hommes. Le feu de la charité au dedans, celui de la passion au dehors, lui faisaient ressentir des ardeurs incomparables, et lui faisaient produire sans retard le fruit de notre rédemption. Cette grappe de raisin si désirée de tous les patriarches et des prophètes et des autres justes, notre rédemption fut donc opérée, et l'Église, formée non-seulement de ceux qui vivent sous le temps de grâce, mais de tous les saints qui ont existé dès l'origine du monde, se réjouit de la douceur qu'elle y trouve, lorsqu'elle dit au cantique de l'amour de son bien-aimé : «Je suis assise à l'ombre de celui que j'avais désiré, et son fruit est doux à mon gosier (Cant. II, 3. » 162. Qu'y a-t-il de surprenant à ce que la délivrance des justes de la tyrannie du démon, des ténèbres, et de l'ombre de la mort, de la passion des enfers, où ils étaient enfermés, et leur entrée dans le paradis, soient confiées aux soins des anges? A ce que la présence du Christ, si longtemps désiré et appelé, fut agréable et pleine d'allégresse? Pour ce qui est dans l'adversité, plus grande et plus longue a été la souffrance, plus agréable est l'arrivée du libérateur. Or, combien de siècles s'était prolongée l'attente du juste Abel, le premier martyr, et qui, par sa mort sanglante, figura le premier le libérateur à venir? Adam et Eve, nos premiers parents, se rappelant mutuellement dans les enfers les joies du paradis, combien de temps soupirèrent-ils après cette rédemption avec les autres justes et les autres saints personnages qui attendaient leur salut? De quels transports de joie pensez-vous qu'ils furent saisis lorsque le divin crucifié arriva dans leur demeure, précédé des anges qui criaient « Princes, ouvrez les portes de votre séjour, et élevez-vous, portes éternelles, afin de laisser passer le roi de la gloire (Psal. XXIII, 9) . » Avec quel enthousiasme chantèrent-ils un choeur, et firent-ils éclater le concert de leurs louanges et de leur commune joie: « Vous êtes venu, ô Sauveur désiré, vous que nous attendions dans les ténèbres, pour délivrer les prisonniers de leur captivité. C'est vous qu'appelaient nos soupirs, vous qu'invoquaient nos plaintes. Vous êtes devenu l'espoir de ceux qui vous désiraient et pour jamais notre consolation infinie. » Que fut doux le fruit de la rédemption pour ces âmes qui avaient gémi dans une servitude si profonde et si amère ! C'est là le fruit dont parle l'Époux au cantique de l'amour : « J'ai dit, je monterai sur le palmier et je saisirai ses fruits (Cant. VII, 8). » Qu'est-ce à dire, sur le palmier? sur sa croix, dont un des bras, dit-on, fut fait de bois de palmier. 163. On dit, en effet, qu'elle fut faite de quatre sortes de bois : de cyprès, de cèdre, d'olivier et de palmier. De cyprès dans le bas, de cèdre dans la longueur, d'olivier dans le haut, et de palmier dans la largeur. De là ce que l'Apôtre dit : « Afin que vous puissiez comprendre avec tous les saints quelle est la longueur, la hauteur et la profondeur (Eph. III. 18). » Dans la croix, on appelle profondeur le bois qui était fixé en terre, sur lequel se dressait ia tige le long duquel s'appliquait l'échine du Sauveur, et qui forme La longueur de la croix. Le bois transversal qui y fat assujetti, et sur lequel les mains étaient clouées, s'appelle largeur de le crois. Celui qui fut ajouté par Pilate et qui portait la titre triomphal, se nomme hauteur. Chacun de ces bois a, selon sa nature, une signification mystique. Le cyprès indique la crainte ou l'humilité, il est à la racine de la croix et donne sa signification, non pas seulement par sa position, mais encore par la nature de son bois : on dit que son odeur éloigne les serpents, c'est-à-dire les démons, dont le principal caractère, l'orgueil, est chassé par la vertu d'humilité. Le cèdre, cet arbre majestueux, qui s'élève au dessus de tous les autres, représente la longueur de la croix, ou bien la persévérance, et par là même, la patience. Il est très-recherché, parce qu'il résiste toujours, et se trouve à l'abri des atteintes de la corruption. L'olivier, qui donne l'huile, liqueur représentant les pauvres de miséricorde, indique la charité et marque à juste titre la largeur de la croix : rien de plus large que la charité, elle s'étend même aux ennemis. Le palmier, emblème de la victoire, forme très-bien le sommet de la croix, et marque l'espoir qu'il faut avoir des biens d'en-haut, sans l'abaisser jamais aux choses d'ici-bas. C'est cette partie qui porte le titre triomphal écrit, c'est là que se trouve le fruit de la croix. Le premier mot est « Jésus, » il signifie le salut, ce qui est la même chose que la rédemption. Voilà le fruit de la croix. Jésus-Christ, en effet, a été crucifié pour racheter l'homme. Cette parole : Je monterai sur le palmier, du côté de la croix indique la croix entière et complète. Et le palmier est bien choisi, parce que c'est lui qui porte le titre, signe de la rédemption, qui est le fruit de la croix. 164. Mais quelqu'un dira : vous voulez parler du fruit de la vigne, et vous parlez du fruit du palmier. Quel rapport entre la vigne et le palmier ? A quoi je réponds : le palmier représente la croix, la vigne le crucifié. Dites donc: le fruit de la croix et le fruit du crucifié sont-ils différents? Je ne le pense pas. Par conséquent, le fruit du palmier et celui de la vigne ne forment qu'un seul fruit. La vigne monta sur le palmier, elle saisit les fruits de cet arbre, fruits qu'il n'avait pas de lui-même, mais par le moyen de la vigne étendue sur ses rameaux. Pourquoi donc la vigne dit-elle : « Je saisirai ses fruits, » et ne dit-elle pas plutôt mes fruits, lorsque c'est le palmier qui tient son fruit de la vigne et non la vigne du palmier? Le Christ n'eut pas ce fruit sans le palmier, bien plus, il l'eut par le palmier, c'est-à-dire par la croix. Parce que s'il n'avait pas été crucifié, la rédemption n'eût pas été réalisée. Jésus saisit donc le fruit de la croix, celui, sans nui doute qu'il avait produit par la croix. 165. Mais cette grappe a plusieurs grains, je veux dire l'accomplissement de l'Écriture, la victoire remportée sur le démon, la gloire de la résurrection, l'admirable élévation de l'Ascension, la distribution des dons du Saint-Esprit. Pour ce qui touche à l'accomplissement de l'Écriture , le Seigneur lui-même en rend témoignage par ces paroles adressées à saint Pierre : « Le calice que m'a donné mon Père, tu ne veux donc pas que je le boive? Et alors les prophéties, comment se réaliseront-elles ? parce qu'il faut qu'il en soit ainsi (Joan. XVIII,11). » Et dans un autre endroit : « N'a-t-il pas fallu que fussent accomplies toutes les prédictions qui sont écrites dans la loi et les prophètes et les psaumes me concernant (Psal. XXIV, 44) ? » La victoire remportée sur le démon aurait pu, mais elle ne dût néanmoins pas s'obtenir d'une autre manière. Il y aurait grande folie à penser que la sagesse de Dieu et du Seigneur a réglé quelque chose quia pu ne pas être la meilleure des dispositions. Il a fallu que fût vaincu par un homme et par le bois, l'ennemi qui avait vaincu l'homme par le bois, afin que « d'où venait la mort, la vie nous revint, et que vainqueur parle bois, le démon fût vaincu, par le bois. » Pourquoi par un homme qui était Dieu et non par un pur homme? La raison en est assez claire: tous les hommes étant soumis au péché, nul d'entre eux ne pouvait délivrer les autres, ne pouvant pas même s'affranchir lui-même. Mais le Christ tout-puissant, qui n'avait rien à démêler avec le péché originel, parce que, par le privilège spécial de sa naissance, il avait été conçu sans la moindre concupiscence charnelle, seul libre entre les morts, seul, il pouvait délivrer les autres de la mort, ainsi que l'enseigne l'Apôtre : « Il n'a pas besoin d'offrir pour lui de sacrifier, pour ses péchés d'ignorance on pour ceux du peuple, comme le pratiquent les autres prêtres. 166. Que si on demande pourquoi Dieu a voulu délivrer l'homme par lui-même, plutôt que par le moyen d'une autre créature, nous pouvons en chercher le motif dans sa charité; pour la faire éclater à nos yeux, non-seulement il s'est incarné, mais, de plus, il est mort pour nous. Par cet excès d'amour, il nous a donné aussi un exemple, afin que nous soyons prêts, lorsque la nécessité l'exigera, à donner notre vie pour nos frères, en voyant que notre roi a donné la sienne pour nous. Il est encore un autre bon motif qui explique pourquoi le Seigneur en personne nous a rachetés ; il ne convenait pas que nous fussions reformés par un autre que par celui qui nous avait formés dès le principe. Car, comme nous avons dit plusieurs fois déjà, le travail par lequel nous avons été refaits nous provoque davantage à l'amour que celui par lequel nous avons été faits. Cela étant, si nous avions été rétablis par un architecte autre que celui qui nous avait établis en notre premier état, nous serions plus obligés envers le second qu'envers le premier, et aussi nous aimerions mieux la créature que le Créateur, ce qui ne convient pas. Afin donc de nous exciter à l'aimer de tout notre coeur, de toute notre âme, et de toutes nos forces, ce Dieu très-infiniment bon a dépensé tout ce qu'il devait pour nous créer et nous recréer, sans qu'aucun étranger soit admis à nous communiquer ses bienfaits. 167. Saisissons, de toute la force de nos désirs le fruit de notre rédemption, et bien souvent, ou plutôt sans relâche, rappelant à notre souvenir la douceur qu'il renferme, savourons-le dans notre intelligence ; cachons dans le vase de notre mémoire ce sang très-pur de la vigile, le sang de Jésus tout empourpré, parce qu'il est devenu notre rédemption; c'est par lui que nous avons été sauvés et délivrés. Ces fleurs, ce fruit, qui l'ont délivrée de la tyrannie du démon, refont l'âme fidèle ; ils lempêchent de défaillir dans ce désert ennuyeux où elle travaille sans relâche et sans repos, soupirant après la terre où coule le lait et le miel, et s'écriant avec l'Épouse : « Entourez-moi de fleurs, soutenez-moi de fruits, car je languis d'amour (Cant. II, 5. ) . » Elle n'ignore pas quel a été le fruit de la vigne de l'arbre de vie, qui est Jésus-Christ. Elle avait comme recouvert le lit de sa conscience, des fleurs des vertus et de la passion de son époux, cette âme qui s'écrie dans le même cantique de l'amour : « Notre lit est tout fleuri, » couvert, non de fleurs étrangères, mais de celles que vous produirez, ô doux Jésus. Venez donc et reconnaissez vos fleurs, reposez-vous dans la couche qui en est ornée. C'est de ces fleurs que l'Épouse veut que l'entourent les amis de l'Époux, ceux qui prêchent la parole de Dieu : sachant leur vertu, connaissant les effets qu'elles produisent lorsque le ministre de la parole les rappelle à la mémoire, et sentant combien elles fortifient dans les tentations et les périls de cette vie, combien elles enflamment dans le coeur le désir de la patrie d'en haut. Je ne doute point que cette même Epouse n'ait été parfois introduite dans le jardin des Saintes Ecritures de son Epoux, jardin délicieux où elle a trouvé l'arbre de la vie, la vigne véritable dont elle a cueilli les fruits avec empressement, roulant et roulant encore dans son esprit, considérant avec attention quelles influences elle a ressenties de l'amour de son bien-aimé, ou mieux de son bien-aimé lui-même : et elle a senti immanquablement combien elle doit l'aimer, combien la sève très-féconde qu'elle a puisée aux rameaux de cet arbre tant aimé doit la fortifier pour soutenir tous les périls. Elle désire donc qu'on lui rappelle souvent au souvenir ces fruits et ces fleurs : elle veut que les uns l'entourent pour l'empêcher de tomber, et que les autres la soutiennent pour qu'elle ne soit pas ébranlée, sachant tout ce qu'ont de force et leur odeur et leur saveur. 168. Quant à ce qu'elle ajoute, « parce que je languis d'amour, » que signifie cette expression, sinon, qu'enflammée du désir de voir la céleste patrie, l'Épouse ne supporte pas un délai prolongé ? Aussi on lit au même endroit : « Filles de Jérusalem, annoncez à mon bien-aimé que je languis d'amour (Cant. II. 5 ). » Quel est cet amour si fort, et qui fait ainsi languir? N'est-ce pas ce sentiment dont-il est écrit : « l'amour est fort comme la mort ? » Quelle est cette force qui produit la faiblesse ? Que ceux-là répondent, qui ont lu cette question dans le livre de l'expérience. J'ai dit de l'expérience. Et pourquoi pas de la sagesse, car la sagesse vient de la saveur ou du goût. Que ceux donc qui ont lu dans le livre de la sagesse c'est-à-dire qui ont expérimenté la saveur intérieure, parlent et nous instruisent; qu'ils nous apprennent quel est cet amour qui, fort comme la mort, rend l'homme languissant jusqu'à la mort, car il n'est guéri qu'à la mort qui frappe le corps, et pas avant. On pourrait bien, dans le temps intermédiaire de la vie mortelle ou de la mort vivante que l'on passe sur la terre, être consolé par les fleurs et les fruits du bien-aimé, si ardemment désiré, mais on n'en peut être rassasié, jusqu'à ce que vienne le jour que les coeurs appellent de leurs veaux, disant avec le prophète : « Je serai rassasié lorsque vôtre gloire m'aura apparu. ( Psal. XVI. 14 ). » Et dans un autre endroit : « Vous me remplirez de joie à la vue de votre visage : les jouissances sont dans votre main droite jusqu'à la fin (Psalm. XV. 11. ) » C'est de cette main droite que nous lisons ailleurs : « Sa gauche est sous ma tête et sa droite m'étreindra. (Cant. II 6 et VIII. 3 ). » Et voyez combien ce texte s'accorde avec les précédents : on appelle « gauche » le souvenir de cet amour qu'aucun autre ne surpasse, et qui a fait donner sa vie pour ses amis. Par la « droite » on désigne la bienheureuse vision de Dieu, promise aux amis du Seigneur, et la joie produite par la présence de la majesté divine. C'est avec raison que cette vue du Très-Haut, que cet inexprimable amour de sa présence est compris sous le nom de droite, dont on a dit avec transport : « Les délectations sont dans votre droite jusquà la fin.» C'est avec raison aussi que cet amour, digne d'un sentiment perpétuel, est marqué à la gauche, afin que l'Épouses s'appuie et se repose sur lui, jusqu'à ce que l'iniquité arrive à son terme. Il est donc bien que la main gauche de l'Époux soit sous la tête de l'Épouse, et qu'elle y incline sa tète, c'est-à-dire l'intention de son esprit, pour qu'elle ne s'abaisse jamais vers les désirs charnels et terrestres ; parce que le corps qui corrompt accable l'âme, et la maison de terre opprime le coeur qui pense beaucoup (Sap. IX. 15). Les fleurs et les fruits de notre vigne et la gauche de l'Époux désignent donc la même chose : et la droite exprime la guérison de la langueur que cause l'amour. 169. C'est donc par ces fleurs et ce fruit de notre vigne que veulent être soutenus, et en eux qu'ils mettent uniquement la gloire d'être appuyés, ces hommes qui n'ont point placé leur esprit et leur confiance dans les choses caduques : c'est là le. cas seul de l'âme, qui dans son amour et son ardent désir pour le bien-aimé, languit, ou plutôt meurt, à l'endroit des occupations mondaines et corporelles, coeur heureux à qui s'adressent ces paroles : «Quelle est celle-ci qui s'élève du désert, inondée de délices, appuyée sur son bien-aimé ? (Cant. III. 10. ) » Il s'élève, en effet, du désert de ce monde, celui qui a uni son coeur au coeur de son bien-aimé, cherchant les réalités d'en haut, et non ce qui se voit sur la terre. Ainsi, l'Épouse est inondée des parfums des vertus, elle est comme couverte du parfum de différentes senteurs ramassées dans le jardin de l'Époux, en marchant à la suite de celui qui ayant souffert pour elle, lui a laissé son exemple. Aussi on le dit avec raison : « elle est appuyée sur son bien-aimé, » non point sur l'homme, car, «maudit est l'homme qui met sa confiance en l'homme, et qui place son appui sur un bras de chair, (Jerem. XVII. 5. ), « ni sur les autres choses de la terre, puisqu'elle a tout regardé comme du fumier, afin de pouvoir gagner Jésus-Christ. Une telle âme donc, qui à présent est soutenue par les fleurs et le fruit de la véritable vigne de son Epoux, qui en cette vie languit jusqu'à la mort, tant est grand son amour pour lui, disant avec Job: « J'ai perdu l'espoir, je ne puis plus vivre, (Job. VII. 16);» une telle âme, dis-je, méritera, après cet exil, d'être ineffablement embrassée par la droite de son bien-aimé, et d'être rassasiée du fruit du bonheur éternel, sa langueur ne guérissant point, mais s'augmentant au contraire. La langueur qui causait un désir intolérable dans son ardeur, sera guérie dans la jouissance très-douce du bien-aimé si impatiemment attendu ; ce désir néanmoins ne disparaîtra pas, bien au contraire, il sera accrû . Mais alors ce ne sera plus la langueur, mais l'éloignement du dégoût, car le cur désireux sera pleinement rassasié de l'objet qu'il demande, et dans ce rassasiement, par une renaissance réciproque, interminable et inexplicable, il apprendra à le désirer encore, le désir produisant la satiété, et la sobriété provoquant le désir. Mais revenons au raisin. 170. En cette grappe de raisin de notre rédemption, le troisième grain, c'est la résurrection du Seigneur. Qui en expliquera toute la douceur? Néanmoins, que quelqu'un comprenne, s'il le peut, la grandeur inexprimable de la passion à la fois si heureuse et si triste; qu'il voie de quelle amertume de désespoir furent saisis les coeurs des amis de Jésus souffrant ; qu'il entende les lamentations de ces femmes fidèles, qui n'abandonnèrent point ce tendre Sauveur lorsqu'il se rendait au lieu de son supplice, lorsqu'il portait sa croix et exhalait son âme très-douce. Qu'il fasse attention surtout à cette pauvre femme qui était alors debout et qui est aujourd'hui la maîtresse du monde, la mère du Seigneur, et qu'il remarque quel glaive aigu de douleur perça son âme. Qu'il contemple tout l'univers compatissant aux douleurs de son auteur, et la terre enveloppée de ténèbres. Qu'il fasse attention, dis-je, à toutes ces circonstances, et, qu'à un si grand bouleversement, il ajoute la sérénité du troisième jour, avec la joie inespérée de la très-joyeuse résurrection, et qu'il réfléchisse attentivement sur les transports d'allégresse avec lesquels les disciples accueillirent, sortant d'entre les morts, le Seigneur qu'ils avaient vu périr avec tant de tristesse. Voyez de quel bonheur Jésus, en sa résurrection, récompensa cette douleur de leur âme, et la très-sainte cène de son dernier repas, en laquelle il dit : « Je ne boirai plus de ce fruit de la vigne, jusqu'à ce que je le boive nouveau avec vous (Matth. XXVI, 29). » Voilà donc que la véritable vigne ressuscite dans la gloire : il mangea, ce divin Sauveur, et but avec ces mêmes disciples, avec une très-grande joie; il se fit voir et toucher à quelques-uns qui doutaient du fait de sa résurrection. 171. Que nul ne pense qu'il ressuscita seulement pour réjouir ses disciples : il ressuscita pour nous et pour tout le monde, rendant heureux tous ceux qui, sans l'avoir vu, croient néanmoins qu'il a souffert pour nos péchés et qu'il est ressuscité pour notre justification (Rom. IV, 25) : circonstances par où nous apprenons que si nous sommes participants de sa passion, nous partagerons la gloire de sa résurrection, puisque nous sommes convaincus que notre chef, condamné à une mort ignominieuse, est ressuscité. « Car si tous meurent en Adam, tous seront vivifiés en Jésus-Christ (I Cor. XV, 22). Jésus constitue les prémices de ceux qui dorment dans le tombeau; ensuite ceux qui sont au Christ, à son arrivée, se lèveront à son exemple, et entreront dans la gloire pour ne plus mourir. 172. Dans la grappe de raisin de la rédemption, opérée parla passion, se trouve aussi l'Ascension, grain renfermant beaucoup de douceur, faisant la joie du ciel et de la terre. Qui doute de l'immense joie qu'éprouvèrent les disciples, en voyant le Sauveur pénétrer comme homme dans les régions célestes? N'en pouvant contenir les transports, ils avaient leur esprit et leur coeur dirigés à la fois vers le ciel par les chants de leur allégresse, ils félicitaient ce divin maître dans le triomphe de leur départ. Le ciel, sans nul doute, tressaillit lui aussi tous les churs des anges se portèrent à la rencontre de leur Seigneur, revêtu de notre chair et couvert de sa pourpre et l'accueillant avec bonheur dans son triomphe souverain. Que si à l'arrivée de l'âme d'un juste ou d'un martyr, toute la multitude des auges est dans le bonheur, quels pensez-vous que furent leurs transports à l'approche de leur incomparable chef? L'intelligence humaine succombant donc sous la grandeur de cette joie et des cantiques de cette allégresse, réjouissons-nous, nous aussi, suçons, en l'admirant et en laimant, ce grain rempli de lait et de suavité, tressaillons dans le Saint-Esprit de ce quune portion de notre chair se trouve fort excellemment placée, en la personne du très-doux Seigneur, sur le trône élevé de la Sainte-Trinité, appliquant l'attention de notre esprit, autant que nous le pouvons, à notre Sauveur, en lui et après lui, le suppliant de daigner nous tirer après lui, afin que, courant à l'odeur de ses parfums, nous méritions d'être introduits en ces greniers, en ces cabinets de parfums, en ce. saint des saints retiré, où nous a précédés le Christ notre chef. 173. Le cinquième grain de notre grappe est la mission du Saint-Esprit. Qui pourrait expliquer le vin très-agréable donné par ce grain? Je dis du vin, je dirai, si le mot plaît davantage, du moût. Les apôtres Et ceux qui étaient avec eux l'eurent à peine reçu, qu'ils en furent enivres, et qu'ils proférèrent d'excellentes paroles, annonçant en diverses langues, les grandeurs de Dieu. Auparavant, ils se cachaient de frayeur, maintenant, ils courent au dehors; embrasés du feu de la charité, ils ne craignent plus les eaux du peuple frémissant. Ils éprouvèrent la vérité de ce qui est écrit : « Les grandes eaux n'ont pu éteindre la charité et les fleuves ne l'ont pas inondée (Cant. VIII, 7). » Les puissances fondirent sur eux, semblables à des fleuves, les populaces nombreuses se jetèrent sur eux comme les grandes eaux : les menaces et les paroles s'abattirent sur eus comme des vents et des tempêtes, le feu de leur amour ne s'éteignit pas, au contraire, il s'enflamma davantage. « Les apôtres, en effet, allaient joyeux en sortant de devant le conseil, se réjouissant de ce qu'ils avaient été trouvés dignes de la honte pour le nom de Jésus-Christ (Act. V, 45).» La flamme de leur charité s'augmenta, lorsque plusieurs furent embrasés par leur prédication et inondés du même bonheur qui les inondait eux-mêmes. Mais que disaient les Juifs incrédules à tous ces biens? « Ils sont pleins de vin (Act. II, 13). » Sans le savoir, sans le connaître, ils disent la vérité. Oui, ils étaient remplis du vin très-noble de l'amour de Dieu, ou plutôt de Dieu qui est charité; c'était le Seigneur qui les embrasait de cette ferveur, et les fortifiait contre la crainte. Et comme le vin nouveau ne souffre pas qu'un vase l'emprisonne, si une ouverture ne lui assure un libre passage, de même le vin du Saint-Esprit renfermé dans leur coeur, s'échappa par leur bouche, lorsqu'avec une éloquence admirable, ils redisaient les grandeurs du Très-Haut. Ce moût, quand on le boit, n'empêche pas la liberté de la langue, il la délie, et réalise cette parole du poète :
Qui n'a été rendu disert par la coupe féconde?
Le calice fécond et brillant du Seigneur les avait enivrés, parce qu'aux termes de l'Apôtre, « la charité de Dieu était répandue dans leurs coeur (Rom. V, 5). » Mais, à ce que nous disons ici, semblent directement contraires les paroles de saint Pierre, qui, devenu courageux par ce vin qu'il venait de boire, ne craignit plus, comme auparavant, la voix d'une servante, pas même les menaces des princes. Se présentant au milieu de l'assemblée il s'écria donc que les disciples n'étaient pas ivres. Entendons ses expressions parfaitement claires. « Ceux-ci ne sont pas ivres, comme vous le pensez, dit-il. (Act. II, 15). » Ils ne sont pas enivrés du vin terrestre, mais de l'esprit du ciel. Buvons-donc, nous aussi, ô mes bien-aimés, de la liqueur généreuse sortie de ce grain. Que si pour la puiser nous n'avons pas le vase de l'intelligence, courons en toute confiance vers notre unique et sage créateur, qui nous a faits, prions-le de former en notre âme une coupe capable de retenir ce moût délicieux, afin que, recevant l'esprit consolateur aux sept dons , nous évitions les piéges nombreux du tentateur , notre adversaire, et enchaînions les pieds de nos affections dans les liens de la sagesse ; de sorte qu'ainsi attachés par la charité, nous courions sans relâche comme sans fatigue après elle, jusqu'à ce que nous arrivions à la plénitude de sa jouissance, en ce séjour heureux où nous verrons notre roi, non plus par reflet et en énigme, mais face à face, dans tout l'éclat de sa beauté, et où nous le connaîtrons comme il nous connaît. 174. Ici je crois devoir faire remarquer que le fruit de notre vigne se mange et se boit. Le raisin se mange, le vin contenu dans le raisin se boit, et il y a jouissance dans les deux cas: mais il y a plus de jouissance et de profit à boire le vin, circonstance qui me paraît se rapporter à la satisfaction que fait ressentir la grappe de raisin dont nous avons parlé. Dans la vie présente, nous le mangeons, lorsque, dans notre intelligence, nous savourons, comme si on mangeait des aliments, la suavité, l'agrément et le suc de notre rédemption lorsque nous roulons dans notre coeur comme des fruits dans la bouche, la puissance de la résurrection, la gloire de l'Ascension et les résultats de la descente du Saint-Esprit, ainsi notre coeur ressent quelque joie. Cette allégresse sera pleine quand le temps aura pris fin, c'est-à-dire quand aura cessé la variété et la mobilité du temps, quand nous ne mangerons plus, mais boirons ces mêmes vérités, entrés en possession de la joie perpétuelle qu'elles procurent. A manger il y a quelque travail , mais on reçoit sans fatigue ce que l'on boit. La délectation du manger, quelle qu'elle soit, n'est jamais perçue sans le concours du corps, et toujours elle appesantit l'âme. Par le breuvage qui est reçu sans fatigue dans l'estomac, se trouvent désignées les joies de ce temps et de ce séjour, où, lorsque le présent sera passé, il n'y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur. Et l'être immuable de toute éternité, qui est devenu muable dans le temps pour nous empêcher de passer comme l'ombre, nous servira lui-même à ce banquet sacré. Là aussi alors nous ne mangerons pas avec le travail, la crainte, les obstacles de ce corps de mort, mais avec grande joie; nous boirons le vin de notre rédemption, et plus nous boirons de cette noble liqueur, bien que satisfaits, plus nous aurons soif : admirant et louant sans fin et sans relâche l'étonnante bonté de notre Rédempteur, qu'il a fait éclater en nous offrant le fruit de notre délivrance. 175. Et voyez si cette différence entre le manger et le boire n'est pas indiquée dans ces paroles de l'Époux au Cantique des cantiques « Mangez, mes amis, buvez et enivrez-vous, dâmes bien-aimées. » (Cant. VII). D'abord, il avertit de manger, chose qui appartient à la vie présente, en laquelle, ainsi que nous l'avons dit, la contemplation est mêlée au travail de l'action. Mais en la vie future, dépourvue de travail, nous boirons la joie comme dans une coupe. Nous boirons, nous nous enivrerons de la richesse de la maison de Dieu, et nous puiserons au torrent de sa volupté, connaissant clairement que nous sommes les bien-aimés de notre roi et de notre Époux, alors que l'eau de la fatigue et de l'action de la terre, sera changée au vin de la contemplation divine, et que toutes les urnes seront garnies jusqu'au bord. Tous ces curs, en effet, seront remplis des biens de la maison du Seigneur, quand les noces désirables de l'Époux, c'est-à-dire du Christ, et de l'Épouse, qui est l'Église universelle, seront célébrées. Tous boiront et s'écrieront dans la joie de leur âme : » Vous avez gardé le bon vin jusqu'à cette heure. » (Joan. II, 10). Nous disons que cette allégresse est signifiée par la nourriture, car il est écrit . « Afin que vous mangiez et que vous buviez à ma table dans mon royaume (Luc. XXII, 30). » Bien que l'exposition que nous avons donnée du texte précédent puisse aussi trouver son explication en ce lieu. Que si quelqu'un estime peu digne qu'une vigne si excellente, si parfaitement travaillée et si fertile, ne produise qu'une grappe, il peut, s'il veut, appeler raisin ce que nous appelons grain, et donner à chacun de ces raisins ni très-grand nombre de grains. 176. Si nous voulons examiner toutes les Églises, tous les monastères, toutes les congrégations qui se trouvent dans l'Église universelle, nous verrons présentement une foule de grappes de raisins. Qui les a produites, si ce n'est notre vigne? Car le Christ et l'Église forment un seul corps : chaque congrégation est une grappe de raisin, et les grains expriment naturellement, à mon avis, en particulier, chacune des personnes qui la composent. Car la peau extérieure de ce grain représente le corps, les pépins, les os, le suc, l'âme ou le sang qui est le siège de l'âme. A la mort, l'âme de l'homme sort du corps comme le vin de la grappe, et si elle en est trouvée digne, elle est portée dans le cellier royal du paradis céleste, pour y devenir la joie du monarque des cieux et de ses bienheureux convives, appelés et parvenus aux noces de l'Agneau. Car l'Époux lui-même boit le propre vin de sa vigne et de son Église dont il est le chef. Il boit, lui aussi, le sang très-pur des raisins, c'est-à-dire les âmes des saints dégagées et séparées du raisin sous le pressoir de la croix, dans le travail et la soif, dans le froid et la nudité, dans les veilles et les autres exercices spirituels. Il les boira, c'est-à-dire, qu'il se les incorporera avec délices, faisant que, devenus un même esprit avec lui, avec lui et en lui, elles se reposent désormais de tous leurs travaux. Qu'ils tremblent pour eux ces grains pourris, je veux dire ces faux frères, ces mauvais chrétiens, qui ne renferment que du poison au lieu de vin, qui ne veulent pas être serrés par le pressoir et qui ne se trouvent pas dans les travaux des hommes. Qu'ils craignent, dis-je, tandis qu'il en est temps encore, d'être jetés aux pourceaux, c'est-à-dire aux démons, pour être dévorés, parce que le passage pour entrer dans le cellier royal ne se trouve que dans la croix. 177. Il nous restait à parler des secondes fleurs de notre vigne et de leurs fruits, selon qu'il est écrit : «Et ma chair a refleuri (Psalm. XXXVII, 7), » parole qui, de l'aveu de tous, se rapporte à la résurrection, dont le fruit sera la résurrection seconde : mais nous préférons quitter notre lecteur altéré plutôt que dégoûté : nous terminons ici notre travail, prêt à corriger, à ôter, à changer, tout ce que nous aurions dit contre la foi et contre les Saintes-Écritures, rendant humblement grâces en tout à celui qui nous a instruits gratuitement par sa grâce, qui ouvre la bouche des muets, et rend diserte la langue des enfants, au nom sacré de qui nous consacrons et le commencement et la fin de cet opuscule, le très-bon et le très-doux Jésus. Amen.
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