BIEN VIVRE I
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BIEN VIVRE I

AVERTISSEMENT SUR LE LIVRE SUIVANT.

LIVRE DE LA MANIÈRE DE BIEN VIVRE. L'AUTEUR A SA SOEUR.

PRÉFACE.

I. — De la Foi.

II. — De l'Espérance.

III. — De la grâce de Dieu.

IV. — De la crainte de Dieu.

V. — De la charité.

VI. — Des commencements de la conversion.

VII. — De la conversion.

VIII. — Du mépris du monde.

IX - Du vêtement.

X. — De la componction.

XI. — De la tristesse.

XII. — De l'amour de Dieu.

XIII. De l'amour du prochain.

XIV. — De la compassion.

XV. — De la miséricorde.

XVI. — Exemples des saints.

XVII. — De la contention.

XVIII. De la discipline.

XIX. — De l’obéissance.

XX. — De la persévérance.

 

AVERTISSEMENT SUR LE LIVRE SUIVANT.

 

Le traité, qui se trouve ci-après ne convient ni a saint Bernard, ni à sa soeur Hombéline, qui fut mariée dans le monde, avant de professer la vie religieuse. L'auteur avertit sa soeur, au numéro 56, de ne point mépriser les femmes mariées, passant du siècle à la vie monastique. Il ne semble pas avoir suivi la règle de saint Benoit. En effet, parmi les psaumes récités d'ordinaire à Prime, il fait mention du Deus, in nomine tuo, etc., que les religieux attachés à la règle de saint Benoit ne récitent point à Prime, excepté dans la semaine sainte. Quel que soit l'auteur, il était déjà vieux lorsqu’il écrivait ce livre, comme on le conclut du numéro 170. Mais c’est trop s'étendre sur ce traité volumineux que nous avons cru devoir rejeter à la fin de ce tome.

 

 

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LIVRE DE LA MANIÈRE DE BIEN VIVRE. L'AUTEUR A SA SOEUR.

 

PRÉFACE.

 

Soeur bien-aimée dans le Christ, il y a longtemps que, vous m'avez demandé de vous écrire des paroles de sainte exhortation. Mais comme il est écrit : c'est orgueil de vouloir instruire meilleur que soi, je me suis regardé comme indigne d'entreprendre ce travail; aussi, ai-je différé quelque temps de faire ce que vous vouliez. Mais, comme vous avez bien des fois réitéré vos prières, je me suis souvenu de cet oracle du Seigneur . « Si un homme vous engage à faire mille pas, faites-en deux,mille avec lui., donnez à quiconque vous demande (Matth. V, 41) : » Pressé de toutes parts, excité par la charité et secouru de vos prières, j'ai recueilli des miettes tombées de la table des Pères , sinon comme je le devais, du moins comme je le pouvais, et je les offre dans ce livre à votre sainteté. Recevez donc maintenant ce livre, sœur bien-aimée, placez le sous vos yeux comme un miroir et contemplez-le à chaque instant comme une glace fidèle. Les préceptes du Seigneur sont, en effet, un miroir, les âmes s'y regardent, elles y reconnaissent leurs taches, s'il en est qui les déparent. Car nul n'est exempt de faute : elles y corrigent les écarts de leurs pensées et y ,parent, leurs figures brillantes de beauté, comme si leur image était rétablie ; car, en s'appliquant de tout leur coeur à pratiquer les commandements de Dieu, elles connaissent sans nul doute par-là ce qui plait en elles au Seigneur ou ce qui lui déplaît. Lisez donc, vénérable soeur, et relisez sans cesse ce livre : vous y apprendrez à aimer bien et le prochain, à dédaigner toutes les choses terrestres et transitoires, à désirer celles du ciel qui sont éternelles , à supporter, pour Jésus-Christ, les adversités de ce monde; ses succès et ses caresses ; à rendre grâces au Seigneur dans vos infirmités, à  ne vous point. enorgueillir dans la santé ; à ne vous point élever dans la prospérité; à ne vous point abattre dans la mauvaise fortune. Soeur chérie dans le Christ, lisez cet écrit dans votre prudence, et pleurez assidûment mes péchés, afin que, tout indigne que je suis d'en obtenir l'indulgence, j'en reçoive le pardon grâce à vos prières. Que le Dieu tout-puissant vous garde et vous défende de tout mal, qu'il vous conduise à la vie éternelle, vous et toutes les âmes qui, avec vous; consacrent leur vie à son service. Tel est mon souhait, vénérable soeur. Amen.

 

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I. — De la Foi.

 

1. Le Seigneur a dit dans l'Évangile : « Tout est possible à celui qui croit (Marc. IX, 22). » Nul ne peut arriver à la vie éternelle que par la fi. Bienheureux donc l’homme qui, en croyant bien, vit bien ; et qui, en vivant bien, conserve la droite foi. De là, vient que saint Isidore a dit : Sans la foi nul ne peut plaire à Dieu . On ne l’obtient point par la violence, on l'inculque par les exemples et par les exemples et la raison. Ceux en qui on l'obtient par la force, ne peuvent point y persévérer, comme le montre un jeune arbre dont on courbe la tête avec effort, et qui reprend sa position première lorsqu'on le laisse libre. « Sans les oeuvres, la foi est morte (Jac II, 26) : » et c'est en vain qu'on se glorifie d'avoir la foi quand on ne se pare point de bonnes oeuvres. Quiconque porte la croix, doit mourir au monde; car porter la croix, c'est se mortifier soi-même. Porter la croix sans mourir, c'est feinte et hypocrisie. Quiconque ne doute pas dans son coeur mais croit, obtiendra tout ce qu'il demandera. « Quiconque croit au Fils de Dieu possédera la vie éternelle (Joan. V). » Quant à celui qui ne croit pas, il ne verra point la vie, mais le courroux de Dieu demeure sur lui. Comme le corps sans l'âme est mort, ainsi « la foi sans les œuvres est morte. » Ma très-chère soeur, la foi est grande, mais elle ne peut rien sans la charité. Aussi, ma vénérable sœur, conservez en vous la foi droite; gardez-la dans sa sincérité, sans tache, qu'elle demeure en vous confessez-en toujours les formules sans altération. N'avancez rien témérairement de Jésus-Christ, n'ayez de Dieu aucune idée fausse et impie, aucun sentiment pervers, afin de ne point offenser son amour. Soyez dans une foi juste, et dans une foi droite, menez une conduite sainte: ne reniez point dans les rouvres le Seigneur que vous confessez par la foi. Le mal mêlé au bien souille le tout. Une seule chose mauvaise en perd plusieurs bonnes. Parfaite dans la foi, ne faillez pas dans les oeuvres. Ne souillez point votre foi, par une mauvaise vie, Ne corrompez point, par de mauvaises moeurs, l'intégrité de la foi. Ne mêlez pas le vice aux vertus; n'ajoutez pas le mal au bien. Que Dieu vous garde saine et sauve, mon aimable soeur. Amen.

 

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II. — De l'Espérance.

 

2. Le Seigneur a dit dans l'Évangile : « Ne vous livrez point au désespoir, mais ayez en votre coeur confiance en Dieu (Marc. XI, 22). » On n'espère pas ce qu'on voit: qui, en effet, attend ce qu'il aperçoit! mais si nous espérons ce que nous ne voyons pas, c'est par la patience que nous l'attendons. Aussi Salomon dit-il : « L'attente des justes, c'est la joie, et l'espérance des impies périra (Prov. X, 28). » Par conséquent, soeur bien-aimée, attendez, vous aussi, le Seigneur, gardez ses voies, il vous exaltera en vous faisant posséder, pour héritage, le royaume de Dieu. Attendez le Seigneur, éloignez-vous du mal, et il vous élèvera au jour de sa visite, c'est-à-dire, soit au jour de votre mort, soit au jour du jugement. Ceux qui ne çessent point de mal faire, attendent en vain la miséricorde de Dieu : ils seraient fondés à l'attendre, s'ils s'éloignaient de l'iniquité. Aussi le bienheureux Isidore a-t-il dit Nous devons craindre de persévérer dans le péché à cause de l'espérance que Dieu nous a donnée : ne désespérons pas, d'un autre côté, de la miséricorde du Seigneur, parce qu'il punit justement les péchés mais, ce qui est mieux, évitons ce double écueil : évitons le mal et espérons notre pardon de la clémence divine. Toute justice, en effet, est basée sur l'espérance et sur la crainte, parce que tantôt l'espérance l'excite à se réjouir, et tantôt la crainte de l'enfer le ramène aux sentiments de frayeur. Celui qui désespère d'obtenir le pardon de sa faute, se damne plus à cause de son désespoir qu'à cause de son péché. Donc, ô soeur chérie, que votre espérance soit ferme dans le Christ Jésus, parce que « la miséricorde entourera ceux qui espèrent dans le Seigneur (Psalm. XXX, 40). » Espérez solidement dans le Seigneur « et pratiquez la justice : « Habitez la terre et dans le royaume céleste vous serez repue de ses richesses (Psalm. XXXVI, 3). » Soeur vénérable, abandonnez l'injustice, espérez en la miséricorde de Dieu : ôtez de vous l'iniquité et espérez en celui qui est votre salut. Corrigez-vous et espérez en la clémence de Dieu. Ecartez de vous ce qui est moins bon et attendez les effets de l'indulgence : corrigez votre vie, et espérez la vie éternelle où daigne vous conduire celui qui vous a élue avant les siècles. Amen.

 

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III. — De la grâce de Dieu.

 

3. L'Apôtre saint Paul dit : « là où le péché a abondé la grâce a surabondé (Rom. V,20);» en sorte que comme le péché a régné dans la mort, ainsi la grâce règne par l'indulgence, pour la vie éternelle. La mort est la solde et le paiement des péchés ; mais la grâce c'est la vie éternelle (Rom. VI, 23). La grâce a été distribuée à chacun d'entre vous selon la mesure du don de Jésus-Christ. Ma très-chère soeur, ainsi que l'enseigne le bienheureux Isidore, le progrès de l'homme est une grâce de Dieu. Si donc, nous avançons dans le bien par une faveur du Ciel, il faut louer le Seigneur de nos bonnes oeuvres, et ne point nous en glorifier nous-mêmes. De même, personne ne peut se corriger, si Dieu ne lui vient en aide. L'homme n'a donc en propre rien de bon, sa voie n'est point à lui, comme le Prophète l'assure en ces termes : « Je le sais, Seigneur, la voie de l'homme n'est pas en son pouvoir, de lui-même, il ne peut marcher ni diriger ses pas (Jerem. X, 23). » Lorsqu'il a reçu quelque don du ciel, l'homme ne doit rien chercher au delà, dans la crainte, en voulant envahir l'office d'un autre membre, de perdre ce qu'il a mérité. Le membre qui, non content de son emploi, exerce celui d'un autre, bouleverse toute l'harmonie du corps. Dans la distribution des dons de Dieu, les âmes reçoivent des grâces diverses. Un même homme ne les reçoit pas toutes, mais, pour assurer l'exercice de l'humilité, il arrive que l'on trouve de quoi admirer dans l'autre. Ces ailes qui, dans Ezéchiel, frappent l'une contre l'autre (Ezech. III, 13), désignent les vertus des saints qui se provoquent par une affection mutuelle, et s'instruisent par les exemples qu'ils se donnent réciproquement.

4. Vierge honorable, je ne veux point non plus que vous ignoriez que, sans le secours de la grâce prévenante, concomitante et coopérante nous ne pouvons rien. Elle est prévenante quand elle nous fait vouloir le bien; elle est concomitante quand nous le commençons ; elle est coopérante quand elle nous le fait achever. C'est donc du Seigneur que nous tenons le bien vouloir, le commencer et le parfaire. C'est donc lui qui nous donne les vertus; quant aux vices et aux péchés, ils sortent de notre propre fonds. La charité, la pureté et la bonté viennent de Dieu; l'orgueil, l'avarice et la cupidité, de nous. Sans Dieu nous ne pouvons rien faire de bon, mais par la grâce de Dieu nous pouvons produire beaucoup d'oeuvres excellentes. Sans le secours de la grâce de Dieu, nous sommes lents, paresseux et tièdes quand il s'agit de pratiquer le bien, mais, avec cette grâce, nous sommes reconnaissants, empressés et dévots. Sans Dieu nous sommes prêts à pécher, mais, par sa grâce, nous sommes délivrés du péché. Sans lui, nous aimons plus qu'il ne faut les biens terrestres et transitoires; par son aide,         nous méprisons toutes les choses         de ce monde et Dons désirons celles du ciel. Par le péché du premier homme, nous avons été chassés du paradis, mais nous croyons que nous arriverons au ciel par la grâce de Dieu, car, si nous sommes puissants, riches, sages, nous ne le sommes que par la grâce de Dieu.

5. Mais en attendant, je veux aussi que vous sachiez, très-vénérable soeur, que tous les biens que nous avons en ce monde, nous les possédons par la grâce de Dieu. Car tous les maux qui fondent serrions, nous arrivent à cause de nos péchés. Dieu par sa sainte miséricorde et sa sainte grâce nous accorde les biens: mais nos fautes attirent les maux sur nos têtes. La prospérité nous vient par la grâce de Dieu : mais la mauvaise fortune nous frappe à cause de nos iniquités. La faveur de Dieu nous prépare ce qui nous est nécessaire, c'est par nos vices que nous arrive ce qui nous est contraire. Par conséquent, ô épouse de Jésus-Christ, il est nécessaire que nous rappelions toujours à notre mémoire, avec reconnaissance, les bienfaits de Dieu. Aussi l'Église, au Cantique des cantiques, parle-t-elle, en ces termes du Christ son époux: « Se souvenant de vos mamelles qui sont meilleures que le vin, les justes vous chérissent.» C'est comme si elle disait : au souvenir de votre grâce, de votre miséricorde et de vos faveurs, ceux qui ont le coeur droit vous aiment. Or avoir le coeur droit, c'est de n'attribuer rien en fait de justice ou de sainteté à nos propres mérites, mais rapporter tout à votre grâce,. Au souvenir de votre grâce, ô Seigneur, ceux qui ont été sauvés vous chérissent. O vierge recommandable, ne perdez jamais de vue que tout ce qu'il y a de bon en vous, y est par la grâce de Dieu qui s'y trouve, entendez l'Apôtre dire de lui: « Ce que je suis, je le suis, par la grâce de Dieu (I Cor. XV,10) : de même, vous aussi,         soeur, bien-aimée, c'est par la grâce de Dieu que vous êtes tout ce que vous êtes. En effet, si vous avez méprisé le monde, et abandonné la maison de votre père, si vous avez voulu être la servante du Seigneur et servir dans un monastère ce maître adorable, si vous avez fait voeu de vivre parmi les saintes âmes qui sont au service de sa divine majesté, c'est la grâce de Dieu, qui vous a, procuré tous ces avantages. ,Si vous êtes vierge, prudente et sage, ce n'est point par vous-même, mais bien par l'effet de la grâce. de Dieu que vous l'êtes.

6. Demande. — Dites-moi, mon frère, que signifient ces paroles de la Sainte-Écriture : Nul n'est saint, nul n'est bon, nul n'est juste, si ce n'est Dieu (Marc. X, 18) ? Réponse. — Chère soeur, cette parole est tout-à-fait juste. Dieu seul est bon, saint et juste, parce que c'est par lui-même qu'il est bon quant aux hommes, s'ils sont bons, ce n'est point par eux-mêmes, mais avec l'aide de Dieu; voilà pourquoi Dieu seul est bon, c'est qu'il est bon de son propre. fonds.. Les hommes sont bons, justes et saints, non de leurs propres fonds, mais en vertu de la grâce de Dieu. C'est ce que nous désigne fort bien, au livre des Cantiques, l'Époux de l'Église, Jésus-Christ, par ces paroles : « Je suis la fleur des champs et le lis des vallées (Cant. II, 1), » car je répands dans tout l'univers, le parfum de ma vertu : «Je suis dit-il, la fleur des champs et le lis des vallées » c’est-à-dire, je suis la sainteté, la bonté et la justice de ceux qui se confient en moi avec humilité ; nul, en effet, ne pourra être saint et bon sans moi, ainsi que je l'ai prononcé dans, l'Évangile : « Sans moi vous ne pouvez rien faire (Joan. XV, 5), je suis la fleur des champs et le lis des vallées. » De même que les fleurs ornent et réjouissent la terre, ainsi la connaissance et l'amour de Jésus-Christ ont embelli l'univers. « Je suis la fleur des champs et, le lis des vallées, » parce que je donne plus abondamment ma grâce à ceux qui ne se confient point en leur bonté, en leurs mérites, mais en moi. Soeur vénérable, voilà pourquoi je vous avertis de ne rien vous : attribuer de vos mérites, de n'avoir aucun sentiment de présomption. Ne faites aucun fonds sur votre vertu, ne vous fiez point à vos forces n'ayez aucune confiance en votre courage; rapportez tout aux dons et à la grâce de Dieu. En toutes vos oeuvres, rendez grâce au Seigneur ; dans toutes vos actions, rendez grâce à Dieu; remerciez-le dans tout l'ensemble de votre conduite : que votre espérance se fixe pour toujours en Jésus-Christ qui vous a tirée du néant.

 

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IV. — De la crainte de Dieu.

 

7. Ma très-chère soeur, entendez ce que je dis, les avis que je vous donne, les choses cachées que je vous montre; craignez Dieu par dessus tout, et observez toujours ses commandements, parce que voici « que les yeux du Seigneur sont fixés sur ceux qui le craignent et sur ceux qui espèrent en sa miséricorde (Psalm. XXXII, 18). » Et Salomon a dit : « Craignez le Seigneur, et éloignez-vous du mal (Rom. III, 7). Qui craint le Seigneur ne néglige rien (Ecc. VII, 19). » Un sage a dit aussi : «La crainte du Seigneur, c'est la gloire, le tressaillement, et la joie, et la couronne d'allégresse. Elle enrichira le coeur, donnera le transport et le bonheur tout le long de la vie. Car, celui qui est sans crainte, ne pourra point être justifié. La crainte du Seigneur est la sagesse et la discipline. Ne soyez point incrédule en la crainte du Seigneur, et ne vous approchez pas de lui avec un coeur double. Vous qui craignez le Seigneur, attendez sa miséricorde et ne vous éloignez pas de lui de peur de tomber. Vous qui craignez le Seigneur, croyez en lui, afin que la miséricorde vous arrive avec ravissement de coeur. Vous qui craignez le Seigneur croyez en lui, et votre miséricorde ne sera point perdue. Vous qui craignez le Seigneur, aimez-le, et vos coeurs seront illuminés. Ceux qui craignent le Seigneur ne seront pas incrédules à ses paroles, et ceux qui     l'aiment marcheront fidèlement dans ses voies. Ceux qui craignent le Seigneur recherchent ce qui lui est agréable, et ceux qui l'aiment seront remplis de sa loi. Ceux qui craignent le Seigneur éprouveront leurs coeurs et sanctifieront leurs âmes en sa présence. Ceux qui craignent le Seigneur observent ses préceptes et ils prendront patience jusqu'à ce qu'ils soient admis en sa présence. Les yeux du Seigneur sont ouverts sur ceux qui le craignent, et il tonnait lui-même toutes leurs actions. La sagesse est la consommation de l'amour de Dieu. Les maux n'attaqueront pas celui qui craint le Seigneur, mais le Seigneur le délivrera du mal au jour de la tentation. Ce qu'on recherchera, c'est l'esprit de ceux qui craignent Dieu. La crainte du Seigneur est comme le Paradis; la bénédiction et toute gloire s'étendra sur lui. Heureux l'homme à qui il a été donné d'avoir la crainte du Seigneur. La crainte du Seigneur est le commencement de son amour (Eccle. I. XV. XXI. XXXIII. XXXIV. XL.»)

8. O soeur chérie, rien ne nous met à l'abri de tout péché comme la crainte de l'enfer et l'amour de Dieu. Craindre le Seigneur, c'est ne faire aucun mal et n'omettre aucun bien qu'on doit faire. La crainte du Seigneur est la source de la sagesse. «Quiconque craint le Seigneur sera heureux à la fin de sa carrière et au jour de sa mort, il sera béni (Eccle. I. 19). » Soeur vénérable, il est bon pour nous de craindre le Seigneur, parce que la crainte, du Seigneur repousse le péché. Cette crainte corrige toujours. Elle réprime le vice, rend l'homme attentif et prudent : lé. où cette crainte ne se trouve pas, là est la perdition de l'âme. Où la crainte n'est point, se trouve une vie dissolue ; où elle fait défaut, se remarque l'abondance des péchés. Par suite, ô Vierge honorable, que la crainte et l'espérance soient toujours dans votre tueur, que la crainte et la confiance s'y trouvent aussi en tout temps. Que la crainte et l'espérance demeurent constamment en votre âme. Espérez en la miséricorde de Dieu, de manière à redouter toujours sa justice.

9. Soeur aimable dans le Christ, je veux que vous vous sachiez qu'il y a quatre sortes de craintes, la crainte humaine, la crainte servile, la crainte initiale et la crainte chaste. La crainte «humaine, » comme le dit Cassiodore, est celle qui a peur de ce qui tourmente la chair ou de perdre les biens de ce monde, et qui est la cause que nous commettons le péché. Cette crainte mondaine est mauvaise, on l'abandonne au premier degré quand on renonce au monde, le Seigneur la proscrit dans l'Evangile, en ces termes : « N'ayez nulle frayeur de ceux qui font périr le corps (Matth. X, 28). » La seconde est la crainte « servile, » comme s'exprime le bienheureux Augustin, elle se fait sentir quand l'homme s'éloigne du péché parce qu'il craint l'enfer et quand il fait le bien, non parce qu'il redoute le Seigneur, mais parce qu'il a peur des supplices éternels. Il craint, comme un esclave, celui qui fait le bien , non par crainte de perdre un bien qu'il n'aime point, mais par crainte de souffrir un mal qu'il redoute. Il ne redoute point d'être privé des embrassements de l'Epoux, mais d'être plongé dans les supplices de l'enfer. C'est de cette crainte servile que saint Paul a dit : « Vous n'avez point reçu de nouveau l'esprit de servitude dans la crainte, mais l'esprit d'adoption des enfants (Rom. VIII, 15); » c'est-à-dire l'esprit filial. La crainte servile qui fait croître peu à peu l’habitude de la justice, est bonne et utile, bien qu'elle soit insuffisante et imparfaite. Quand l'homme commence à croire ,  il commence à redouter le jour du jugement. S'il se  met à croire, il se met à craindre ; mais celui qui craint n'a point encore une confiance parfaite dans le jour du jugement. La charité parfaite ne se trouve point en celui qui craint encore; s'il avait une charité parfaite, il ne craindrait pas. La charité parfaite produirait, dans l'homme, la justice parfaite, et, par elle, l'homme n'aurait point sujet de craindre mais, bien plutôt, motif d'espérer la fin de l'iniquité, et l'arrivée du royaume de Dieu. Qu'est-ce que la charité parfaite, sinon la sainteté parfaite ? Quiconque vit selon la perfection, a en lui la charité parfaite ; or, celui qui vit selon les règles de la perfection, n'a en lui rien qui le fasse condamner à l’enfer, il a, au contraire, matière à être récompensé dans le ciel. Tout homme qui a dans son coeur la charité parfaite ne craint point d'être puni dans l'enfer; il espère être glorifié dans le ciel, avec Dieu. Aussi est-il dit dans le psaume : « Tous ceux qui aiment votre nom se glorifieront en vous (Psalm. V, 12). La crainte n'est donc point dans la charité, mais la charité met dehors la crainte (I Joan. IV, 18).» La crainte vient en premier lieu dans le coeur de l’homme, afin de préparer la place à la charité.

10. A cette crainte servile en succède une troisième, la crainte «initiale,» quand l'homme commence à faire, pour l'amour de Dieu, le bien qu'il faisait avant par crainte de l'enfer. C'est de cette crainte initiale que parle, au livre des psaumes, le prophète David en ces termes: « Le commencement de la sagesse, c'est la crainte de Dieu (Psalm. CX, 10). » Il y a crainte initiale lorsqu'on commence à aimer le Seigneur qu'on craignait auparavant; par elle la crainte servile est bannie du coeur. A cette crainte en succède une quatrième, c'est la crainte chaste, qui nous fait appréhender de voir le Christ tarder à venir en nous, ou s'éloigner de notre coeur et craindre de l'offenser, de pécher contre lui et de le perdre. Cette crainte chaste vient de l'amour, elle en tire sa naissance. C'est de cette crainte que nous lisons dans un psaume : « La crainte du Seigneur est sainte, elle demeure dans les siècles des siècles (Psalm. XVIII, 10). » La crainte vient d'abord dans le coeur de l'homme. Et pourquoi y vient-elle? Pour y préparer une place à la charité. Mais plus la charité habite dans un coeur, plus la crainte détroit. Plus la charité est grande dans le coeur de l'homme, plus la crainte y est petite. Pourquoi ? parce que la charité chasse la crainte. Ecoutez, soeur chérie, une comparaison qui vous expliquera cette idée. Nous voyons souvent l'aiguille faire passer le fil dans une étoffe. Quand on coud, l'aiguille passe la première et le fil la suit : c'est ainsi que, la crainte pénètre d'abord dans l'esprit de l'homme, et ce n'est qu'après la crainte que vient la charité. La crainte prend les devants afin d'introduire la charité : mais une fois qu'elle est entrée, la charité chasse la crainte. Cette crainte est sainte, parce qu'elle produit la sainteté dans l'âme de l'homme. Sainte, parce qu'elle fait venir dans l'homme la charité parfaite. Car la charité parfaite est la sainteté parfaite. Cette crainte est chaste, parce qu'elle ne souffre point d'amour adultère, car elle aime Dieu par-dessus toutes choses et ne met rien avant l'amour qu'elle lui porte. On l'appelle aussi crainte filiale, parce qu'elle ne craint pas Dieu comme l'esclave qui redoute un maître cruel, mais comme le fils craint le plus doux des pères. On l'appelle filiale, parce qu'elle craint, non comme l'esclave, mais comme le Fils.

11. Mais d'où vient que le prophète David prononce que « la crainte sainte du Seigneur demeure dans les siècles des siècles (Psalm. XVIII,10), » lorsque saint Jean dit : «La charité parfaite met la crainte dehors (Joan. IV, 18)? » Cela vient de ce que nous avons dit plus haut, c'est-à-dire que celui-là qui a l'amour chaste et saint, ne craint point le Seigneur, à cause, des, tourments et des supplices de l’enfer, mais par un sentiment, de respect et d'amour. C'est cette crainte, c'est-à-dire, ce respect du Seigneur qui demeure dans les siècles. des siècles. Quant à celui qui craint Dieu à cause des peines de l'enfer, il n'est pas animé de la crainte chaste, mais d'une crainte servile, parce qu'il n'a pas la charité parfaite. En effet, s’il aimait Dieu parfaitement, il aurait en son coeur la justice parfaite, et craindrait Dieu, non pour les châtiments, mais par suite de son respect et de son amour. Voilà pourquoi la crainte du châtiment ne se trouve pas dans la charité, c'est que la charité parfaite l'expulse de l'âme. Autre est la crainte du serviteur à l'égard de son maître, autre, celle du fils à l'égard de son père. L'es clave redoute, son maître avec désespoir et haine, le fils craint son père avec respect,et amour. Maintenant„ ô soeur bien-aimée, je vous engage à craindre Dieu avec amour et respect, car je ne veux, pas que vous restiez toujours accablée sous le joug de la crainte, je veux que vous vous éleviez, par l'amour, vers le Seigneur votre Père, qui vous a créée comme sa fille. Je vous avertis aussi d'aimer le Seigneur d'un amour pur, de ne rien placer au dessus de son amour, mais de mépriser, par amour pour lui, tout ce qui se trouve en ce monde. Je vous préviens encore et vous prie, vierge très-recommandable, de corriger votre vie avec tout le soin possible, en sorte que vos paroles soient pudiques, votre démarche honorable, votre visage humble, vos propos affables, votre âme pleine d'affection, vos main remplies d'œuvres, avec l'aide du Seigneur, sans lequel vous ne pouvez rien faire de bien. Soeur très-aimante, si vous m'écoutez comme un père, si vous craignez Dieu de tout votre coeur, vous aurez beaucoup de biens, non-seulement en cette vie, mais en l'autre aussi. Amen.

 

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V. — De la charité.

 

12. « Le roi m'a introduit dans le cellier au vin, et il a ordonné en moi la charité (Cant. II, 4). » Le cellier au vin, c’est l'Eglise, c'est là que se trouve le vin de la prédication évangélique. C'est dans ce cellier qu'est introduite l'amie de l'Epoux, c'est-à-dire l’âme sainte, et c'est là que la charité est ordonnée en elle: car on ne doit pas aimer également toutes choses, il y a des, différences à garder. Tout n'est pas à aimer d'un amour égal, certaines choses doivent l'être moins, les autres plus. Savoir ce qu'il faut faire, et ignorer l'ordre qu'il faut observer en le faisant, ce n'est pas avoir une science parfaite. Si nous n'aimons point ce que nous devons aimer, ou si nous aimons ce que nous ne devons point aimer, notre charité n'est pas ordonnée. Elle ne l'est pas d'avantage, si nous aimons plus ce que nous devons aimer moins ou si nous aimons moins ce que nous devons aimer plus la charité ordonnée consiste donc à aimer Dieu avant tout et par dessus tout. Nous devons aimer le Seigneur de tout notre coeur, c'est-à-dire, de toute notre intelligence, de toute notre âme, de toute notre volonté, de tout notre esprit, et de toute notre mémoire, et diriger toute notre intelligence, toutes nos pensées et toute notre conduite, vers celui de qui nous tenons tous les biens; en sorte que nulle partie de notre vie ne reste dans l'inaction, et que tout ce qui viendra en notre âme, soit dirigé au centre vers lequel se précipite le torrent de notre amour. Partant, soeur bien-aimée, c'est pour nous une chose aussi digne que nécessaire, d'aimer Dieu en toutes choses et par dessus tout, car il est le souverain bien. Aimer le bien suprême, c'est donc la suprême félicité. Plus l'homme aimera le Seigneur, plus il sera heureux. Quiconque aime Dieu, est bon. S'il est bon, il s'en suit qu'il est heureux. Aussi Salomon dit-il, au Cantique des cantiques : « L'amour est fort comme la mort (Cant. III, 6). » Oui, c'est avec raison qu'on l'affirme, l'amour de Dieu est fort comme la mort, car, de même qu'une mort violente sépare l'âme du corps, ainsi l'amour du Seigneur détache violemment l'homme, du monde et de l'amour charnel. Oui, la charité est forte comme la mort, puisque en mortifiant en nous nos vices, elle, produit, à l'égard- des cupidités du siècle, l'effet que la mort opère sur les sens du corps. Il faut aimer Dieu à cause de lui, parce qu'il est souverainement bon et parce qu'il nous a créés en nous tirant du néant. La charité est cet amour qui fait qu'on aime Dieu pour lui-même et le prochain à cause de Dieu. En premier lieu, comme nous l'avons dit, on aime Dieu en tout et par dessus tout. Ensuite, on aime le prochain en Dieu, c'est-à-dire, dans le bien.

13. La charité a deux préceptes : l'un se rapportant à l'amour de Dieu, c'est le plus grand de tous les commandements; l'autre concernant l'amour du prochain; celui-ci est semblable au premier, selon ce qui est écrit: « Vous aimerez le Seigneur votre Dieu et votre prochain comme vous-même (Deut. VI, 5). » C'est comme s'il était dit: voles devez aimer le prochain pour le motif qui vous porte à vous aimer vous-même,          c'est-à-dire, dans le désir qu'il soit bon et puisse parvenir à la vie éternelle. Au Cantique des cantiques, l'Époux, c'est-à-dire le Christ, parle en ces termes à l'Épouse, c'est-à-dire à l'Église ou à l'âme sainte, de cet amour de Dieu et du prochain : « Que vos mamelles sont belles, ma soeur, mon épouse, et l'odeur des essences qui vous parfument est au dessus de tons les aromates (Cant. IV, 10). » En cet endroit, quel sens plus convenable donner aux mamelles, que d'entendre par là l'amour de Dieu et du prochain, dont nous avons parlé plus haut? C'est par ces mamelles, que l'âme sainte nourrit tous ses sens de charité, lorsqu'elle est attachée à son Dieu par l'amour et fait à ses frères tout le bien qui est en son pouvoir. « Et l'odeur de vos parfums surpasse tous les aromates. » Or par ces parfums, nous entendons les vertus qui naissent de la charité. Nous devons aimer notre prochain dans le bien, car celui qui l'aime dans le mal, ne l'aime point, mais le déteste. Comment celui « qui n'aime pas son Père qu'il voit, peut-il aimer Dieu qu'il ne voit pas (I Joan. IV, 20)?» Il ne l'aima pas. Aimons-nous donc réciproquement parce que la charité vient de Dieu. Celui « qui aime son frère est né de Dieu et voit le Seigneur. » Celui qui aime son frère qu'il voit des yeux du corps, voit des yeux de l'âme Dieu qui demeure en lui, c'est-à-dire la charité. car Dieu est charité. Et celui qui n'aime pas son frère qu'il voit des yeux du corps, ne voit point, des yeux de l'âme, Dieu, c'est-à-dire la charité, demeurer en lui, parce que si la charité était en lui, Dieu y serait aussi, puisque Dieu est charité. Nous devons aussi aimer nos proches, s'ils sont bons et s'ils servent Dieu. Nous devons plus aimer les étrangers qui nous sont unis par le lien de la charité de Jésus-Christ, que nos proches qui n'aiment pas et ne servent pas le Seigneur. Pourquoi ? parce que l'union des coeurs est plus sainte que celle des corps. Nous devons aimer tous les fidèles, mais comme nous ne pouvons pas rendre des services â tous, il faut porter intérêt surtout à ceux qui, à raison des lieux, des temps ou de tout autre circonstance, nous sont plus intimement liés comme par un sort commun. Il faut souhaiter, avec une égale affection, la vie éternelle à tous les hommes. Nous les devons aimer tous par un sentiment de charité, c'est-à-dire, désirer qu'ils servent Dieu et se salivent. Quant aux oeuvres de charité, nous ne sommes pas tenus d'en faire également à tous, nous pouvons faire moins à ceux-ci, et plus à ceux-là.

14. Soeur chérie, si nous voulons conserver une charité vraie et parfaite, nous pouvons, avec le secours de Dieu, arriver à la patrie éternelle. De plus, nous devons aimer nos ennemis à cause de Dieu, comme le Seigneur le dit lui-même dans l'Evangile : « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous persécutent et vous calomnient, afin d'être les enfants de votre Père qui est aux cieux (Luc VI, 27). » Par conséquent, vénérable soeur, la charité, sans laquelle nul ne peut plaire à Dieu, nous est nécessaire. Celui qui hait l'homme, n'aime pas Dieu, car celui qui méprise les commandements de Dieu, n'aime pas le Seigneur. La charité est la racine de toutes les vertus. Sans cette vertu, quoi que nous fassions, tout nous est inutile. Notre application est vaine, si nous n'avons pas la charité, parce que Dieu est charité. Là où règne l'amour charnel; ne règne point l'amour de Dieu. L'homme est parfait quand il est rempli de charité. Sans l'amour de la charité, l'homme, bien qu'il croie comme il faut, ne peut parvenir à la béatitude. Telle est la vertu de la charité, que, si elle manque, c'est en vain qu'on possède les autres : si elle est dans l'âme, tout y est bien réglé. L'homme qui n'aime pas Dieu ne s'aime pas lui-même. Je vous avertis donc présentement, vierge très-recommandable, de vous unir, par l'amour, à Jésus-Christ, votre époux invincible, et de brûler du désir de le voir. Ne souhaitez rien de ce qui est dans le monde. Regardez comme un châtiment la prolongation de votre vie , ayez hâte de sortir de ce monde : ne goûtez aucune consolation dans la vie présente, mais soupirez de tout votre coeur, brûlez, soyez haletante d'amour pour Jésus-Christ que vous aimez, que, dans ce sentiment, la santé de votre corps vous paraissse chose vile, soyez percée de la blessure de l'amour, en sorte que vous puissiez réellement dire : je suis blessée des traits de la charité. Soeur que je chéris en Jésus-Christ, écoutez les paroles de votre Epoux : « Celui qui m'aime, mon Père l'aimera, et moi je l'aimerai et je me manifesterai à lui (Joan. XIV, 21). » Aimez-le donc, dans cette vie, afin qu'il daigne vous aimer avec le Père dans l'éternelle béatitude. Amen.

 

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VI. — Des commencements de la conversion.

 

15. La récompense est promise à ceux qui commencent, et donnée à ceux qui parviennent au terme, ainsi qui'il est écrit : « quiconque persévérera jusqu'au bout, sera sauvé (Matth. X, 22). » Notre conversion plait à Dieu, lorsque nous menons à bonne fin le bien que nous avons entrepris; car il est écrit : « malheur à ceux qui ont perdu la constance (Eccli. II, 16) : » c'est-à-dire à ceux qui n'ont pas achevé la bonne oeuvre commencée. Il y a beaucoup d'hommes qui se convertissent à Dieu par la seule dévotion de leur âme. La rigueur des coups en a ramené plusieurs, que la dévotion ne touchait pas, comme il est dit dans un psaume: « par le, mords et les brides, retenez la tête de ceux qui ne s'approchent pas de vous (Psal. XXXI, 9). » Que tout converti commence par pleurer ses péchés, et arrive ainsi à désirer les biens éternels. Ma très-chère soeur, nous devons d'abord laver dans nos larmes le mal que nous avons commis, afin de contempler du regard purifié de notre âme ce que nous cherchons, et après avoir chassé par nos pleurs les ténèbres du péché, et purifié les yeux de notre coeur, tout ce que nous verrons sera d'une éclatante blancheur. Il est nécessaire à tout converti, après avoir éprouvé la crainte, de s'élever jusqu'à Dieu par l'amour comme un fils, il ne doit pas, comme un esclave, rester toujours courbé sous le joug de la crainte. Il faut consoler par de douces paroles les nouveaux convertis, de peur que, si on commence par les exaspérer, ils ne reviennent dans leur crainte à leurs anciennes fautes. Le maître qui n'instruit pas un novice avec douceur et mansuétude, mais le châtie, doit être certain qu'il le décourage au lieu de le corriger. Il faut d'abord le reprendre et le corriger de ses actions mauvaises, et ensuite des pensées coupables.

16. Toute conversion récente garde quelque chose de la vie passée. C'est pourquoi nulle vertu ne doit se montrer au dehors que lorsque l'ancienne conduite que l'on a menée est entièrement effacée de l'âme. On ressent plus vivement les impressions du vice,lorsqu'on se met à servir Dieu. Ainsi le peuple d'Israël est plus accablé par les Egyptiens (Exod. V, 23), à mesure que Moïse leur fait connaître davantage le Seigneur. Cela s'explique : avant la conversion, les vices étaient en paix dans l'homme, mais si on les chasse, ils se révoltent avec une extrême violence contre lui. Beaucoup, après être revenus à Dieu, sentent les mouvements de la chair ; ce n'est point cependant pour leur damnation, mais c'est une épreuve, c'est pour qu'ils aient toujours en face un ennemi à combattre et qui secoue leur inertie, il ne faut pas pourtant qu'ils donnent leur consentement. Une conversion lâche en fait revenir plusieurs à leurs vieux errements, et les fait tomber dans une vie pleine de paresse. Celui qui est tiède à cette époque ne prend point garde que les paroles oiseuses et les vaines pensées sont nuisibles : mais dès que l'esprit est sorti de sa torpeur, il redoute comme dangereuses et horribles, ces mêmes choses qu'il regardait comme légères. En toute oeuvre de Dieu, ce qu'il y a à craindre, c'est la fraude et la nonchalance. Nous nous rendons coupables de fraude envers Dieu, lorsque nous rapportons, non à lui, mais à nous les louanges dues à nos bonnes œuvres. Nous commettons le péché de nonchalance, lorsque nous accomplissons avec langueur ce qui est du service de Dieu. Tout art, dans ce monde, a des amateurs très-portés à en pratiquer les règles. Pourquoi en est-il ainsi? Parce qu'il trouve dans le présent sa récompense. Mais l'art de la crainte de Dieu compte beaucoup d'oeuvres tièdes, languissantes, glacées par le froid inerte de la paresse. Cela vient de ce que la récompense de cet art n'est point reçue en cette vie, et ne sera accordée que dans l'autre. Ceux qui sont récemment convertis au Seigneur ne doivent pas être exposés aux soucis du dehors. S'ils s'y trouvent mêlés, aussitôt, semblables à des arbrisseaux mis en terre, mais non attachés par leurs racines, ils sont agités et se dessèchent : le changement de lieu n'est pas non plus profitable à leur âme. Néanmoins, pour plusieurs, un changement de demeure amène parfois un changement de sentiments. Il est convenable, en effet, d'abandonner, de corps, l'endroit où on se rappelle avoir été esclave des vices.

17. Soeur vénérable, entendez ce que je dis. Beaucoup se convertissent au Seigneur, non pas tant d'esprit que de corps: ce que nous ne pouvons dire sans pousser de profonds soupirs; ils ont l'habit, ils n'ont point l'esprit religieux. Beaucoup n'ont pas l'esprit de religion. Beaucoup, en effet, se convertissent pour assurer non le salut de leur âme, mais la satisfaction des besoins de leur corps ; ce n,'est pas le Seigneur qu'ils honorent, mais leur ventre. L'Apôtre dit, en parlant d'eux: «leur Dieu, c'est leur ventre (Phil. III, 19). » Leur pensée n'est pas de servir Dieu dignement, mais de bien manger, de bien boire, de bien se vêtir et d'avoir leurs aises en ce monde. Mais comme ils aiment les choses de la terre, ils perdent celles du ciel. Et comme le Seigneur le dit dans son Evangile : « ils reçoivent leur récompense sur cette terre (Matth. VI, 2). » Par conséquent, soeur bien-aimée, nous avons à prendre garde de ne pas aimer plus qu'il ne faut les biens terrestres et passagers Voilà pourquoi le Psalmiste nous dit : « Si les richesses vous arrivent, n'y attachez point votre coeur (Psalm. LXI, 11). » Les biens terrestres doivent être pour notre usage, ceux du ciel doivent former l'objet de nos désirs ; nous devons dépenser les premiers et soupirer après les seconds. Elle est admirablement grande, en effet, la douceur que Dieu a cachée pour ceux qui l'aiment; c'est d'elle qu'il est écrit : « L'oeil n'a pas vu, l'oreille n'a pas entendu, le coeur de l'homme n'a pas goûté ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment (I Cor. II, 9). » De là vient que le Prophète s'écrie : « ils seront rassasiés lorsque votre gloire apparaîtra (Psal. XVI, 14). » Soeur aimable dans le Christ, que cette société soit donc notre félicité. Ainsi-soit-il.

 

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VII. — De la conversion.

 

18. Le Seigneur dit dans l'Evangile : « Que celui qui veut venir après moi, se renonce à lui-même, qu'il prenne sa croix et me suive (Luc. IX, 23).» Mais qu'est-ce que se renoncer, sinon renoncer à ses propres jouissances. ? En sorte que celui qui était superbe devienne humble; que celui qui était irritable devienne doux; que celui qui était luxurieux, devienne chaste; que celui qui était adonné au vin, devienne sobre; que celui qui était avare devienne généreux. Si on renonce à ces biens sans renoncer à ses mauvaises moeurs, on n'est pas disciple de Jésus-Christ. Celui qui renonce à ces biens, renonce à ses possessions; celui qui renonce à ses mauvaises moeurs, se renonce lui-même. Ce que les amis du siècle aiment, les serviteurs de Dieu le fuient comme dangereux. Ils se réjouissent plus de l'adversité que de la prospérité. Soeur très-chère, ce qui est dans ce monde est contraire aux serviteurs de Dieu, afin que, en en sentant l'amertume, ils soupirent avec une grande ardeur après le royaume céleste. Au sein de Dieu éclate une grande grâce qui est méprisable aux yeux du monde. Car Dieu ne peut qu'aimer ce que le monde déteste. Les saints sont étrangers et passagers dans ce monde : aussi Pierre est-il blâmé pour avoir voulu dresser une tente sur la montagne (Matth. XVII, 4), car les saints n’ont pas d'abri en ce monde; le ciel est leur patrie et leur maison. Soeur vénérable, toutes les choses temporelles se dessèchent et passent comme des herbes flétries : c'est donc justement que les serviteurs de Dieu les dédaignent et les méprisent, en comparaison des biens éternels qui ne s'altèrent jamais, parce qu'ils n'y aperçoivent aucune stabilité.

19. Les saintes âmes qui méprisent parfaitement le siècle meurent tellement au monde, que leurs délices sont de ne vivre que pour le Seigneur. Plus elles se dérobent à toute relation avec lui, plus elles contemplent, des yeux de l'esprit, Dieu qui leur est présent, et les anges qui les entourent en grand nombre; car bien que le ciel protège les élus au milieu des hommes charnels, il est rare néanmoins que, placé au milieu des voluptés de ce monde, l'homme soit exempt de péché. Or, quiconque est voisin du péril, ne saurait toujours être en sûreté contre lui. Soeur chérie, il est bon que l'homme soit corporellement éloigné du monde, mais il est bien mieux encore qu'il soit séparé du siècle par sa volonté. Il est donc parfait celui qui, d'esprit et de corps, vit loin d'un tel milieu. Aussi le bienheureux Job s'écrie-t-il: «L'onagre méprise la ville.» Le serviteur de Dieu méprise la société des hommes du monde. Ceux qui dédaignent complètement le siècle, soupirent après ce que notre vie offre de rude, ils méprisent toute prospérité, et, en négligeant la vie présente, ils trouvent celle qui est du ciel. En effet, l'âme, à qui cette vie misérable offre des douceurs, est loin du Seigneur. Car elle ignore ce quelle a à désirer dans lesbiens célestes, et ce qu'elle a à mépriser dans ceux de la terre. Car, ainsi qu'il est écrit : « Quiconque ajoute la science à la science, ajoute la souffrance à la souffrance (Eccle. I, 9.8). » Plus l'homme connaît les biens célestes qu'il a à désirer, plus il doit souffrir au contact des choses terrestres et transitoires dans lesquelles il est enveloppé.

20. Les serviteurs de Dieu qui recherchent l'avantage de leurs parents se séparent de l'amour de Dieu. Aussi, l'homme spirituel doit-il être utile à ses proches de telle sorte, qu'en leur procurant l'aisance selon la chair, il ne s'éloigne pas lui-même des oeuvres spirituelles, ni de ses résolutions religieuses. Soeur que j'aime dans le Christ, entendez une pensée du bienheureux Isidore : beaucoup de chanoines, de moines, de religieuses, se jettent, par amour pour leurs parents, dans les soucis terrestres, les surexcitations, les disputes et les affaires, et, en cherchant le salut temporel de leurs proches, perdent leurs âmes. Cependant un soin bien réglé veut qu'on ne refuse pas à ses proches ce que l'on fait par charité pour les étrangers. Il est juste de leur donner ce que la charité nous fait accorder aux autres. On leur donne, selon le droit de la nature, ce que l'on distribue aux autres en vertu de la charité. Soeur recommandable, nous ne devons pas haïr nos proches , mais bien les obstacles que nous suscitent ceux qui nous écartent de la droite voie. Dans les vaches des Philistins        qui conduisaient l'arche du Seigneur vers la terre d'Israël, nous trouvons une figure de ceux qui ont abandonné le siècle à cause du Seigneur. De même, en effet, que les philistins avaient attelé les vaches au chariot, en retenant leurs veaux à l'étable, et avaient placé l'arche du testament sur le chariot, de même, le joug doux et léger du Christ a été placé sur la tête des serviteurs de Dieu. Et, à l'exemple des vaches qui mugissaient à cause de leurs petits, et néanmoins ne s'écartaient ni à droite, ni à gauche, mais allaient en droite ligne jusqu'à Bethsamée qui était à l'entrée de la terre d'Israël, ainsi les serviteurs de Dieu doivent suivre la ligne droite, et ne se détourner, pour l'amour de leurs parents, ni à droite ni à gauche, de leurs  bonnes oeuvres et de   leurs saintes résolutions, jusqu'à ce qu'ils atteignent Bethsamée, c'est-à-dire jusqu'à l'entrée du royaume céleste. Et, comme les vaches qui s'avançaient en mugissant pour leurs petits, les serviteurs de Dieu doivent mugir pour leurs parents, c'est-à-dire, prier pour leur prospérité, et demander qu'ils soient délivrés du mal et affermis dans le bien.

21. Soeur aimable dans le Christ, ainsi que je vous l'ai dit plus haut, nous ne devons point haïr nos parents, mais les aimer. Mais si, comme s'exprime le bienheureux Augustin, ils nous sont opposés dans la voie de Dieu, nous ne leur devons pas même la sépulture. Pour vous, ma très-chère soeur, vous êtes sortie avec Abraham de votre pays, vous vous êtes éloignée de votre famille et de la maison de votre père (Gen. XII), vous êtes venue dans la terre que le Seigneur vous a montrée, c'est-à-dire dans un monastère. Je vous conjure donc de continuer à y vivre saintement jusques à la fin ; reposez-vous y dans le sein du même patriarche Abraham, c'est-à-dire dans une bienheureuse quiétude, afin de pouvoir trouver le calme et la paix après votre trépas. Soeur bien-aimée en Jésus-Christ, avec Loth, vous avez fui de Sodome (Gen. XIX), c'est-à-dire de la vie du inonde. Aussi je vous engage à ne point regarder en arrière avec sa femme, dé peur, ce qu'à Dieu ne plaise, que vous ne deveniez pour tous les hommes un exemple de perversité. Mais je vous prie de chercher avec Loth votre salut sur la montagne, c'est-à-dire dans le monastère, en laissant aux autres un modèle de sainteté. Vierge recommandable, avec Josué, vous êtes sortie de l'Egypte, c'est-à-dire du siècle (Exod. II et III, et XVI) : avec lui, vous demeurez au désert, dans le monastère où Dieu fait pleuvoir la manne pour vous, je veux dire, où il vous donne le pain de la parole céleste. Aussi, soeur bien aimée en Jésus-Christ, je vous conseille de continuer à vivre dans votre demeure comme vous avez commencé, d'y, veiller, d'y prier, d'y chanter, d'y combattre avec énergie contre le démon, en sorte que tous les ennemis terrassés, tous lés attraits du monde vaincus, vous puissiez enfin avec le même Josué arriver à la terre promise, c'est-à-dire, à la béatitude de la vie céleste , et que vous méritiez d'y contempler en face le soleil qui ne tonnait aucune éclipse. Amen.

 

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VIII. — Du mépris du monde.

 

22. Soeur très-chère, entendez Notre-Seigneur Jésus-Christ vous dire dans l'Evangile : «Quiconque abandonnera sa maison, ou son père, ou sa mère, ou ses frères, ou ses soeurs, ou ses champs, à cause de mon nom, recevra le centuple et possédera la vie éternelle (Matth. XIX, 29). » Partant, il nous est grandement avantageux d'abandonner, pour le nom du Seigneur, toutes les choses de la terre, afin de pouvoir recevoir de lui les biens célestes. Quiconque voudra être ami de ce siècle sera ennemi de Dieu. En conséquence, soeur aimable dans le Christ, ne chérissons pas le monde afin de n'avoir point le Seigneur pour ennemi. On méprise aisément toutes choses, quand on se regarde comme devant mourir tous les jours. Si chaque jour nous rappelons à notre esprit la pensée de notre heure dernière, nous mépriserons volontiers tout ce qui est sur la terre. Si nous avons le souvenir de notre dernier jour présent à la pensée, nous dédaignerons promptement tout ce qui est en ce monde.

Demande. — Mon frère, j'abandonnerais volontiers, pour le nom du Seigneur, tout ce qu'il y a en ce monde si j'y possédais quelque chose mais, n'ayant ni or, ni argent, ni richesses, je ne sais que quitter pour l'amour de Dieu.

Réponse. — O Épouse de Jésus-Christ, vous quittez beaucoup, si vous renoncez à la volonté de posséder; vous quittez beaucoup, si vous foulez aux pieds le désir d'avoir; vous quittez beaucoup, si vous rejetez les envies qu'éprouve la chair; vous quittez beaucoup, si, pour l'amour du Seigneur,vous méprisez les jouissances de ce monde; vous quittez beaucoup, si vous renoncez aux cupidités et aux convoitises terrestres; et Dieu aime plus les âmes des hommes que les richesses de la terre; il chérit un coeur pur et saint bien autrement que les trésors de ce monde. Soeur vénérable, le royaume de Dieu vaut ce que vous avez. Le Seigneur n'exige pas de vous ce qu'il ne vous a pas donné. Offrez-lui donc ce que vous avez reçu de lui, c'est-à-dire, une âme sainte, chaste, pure, pudique, religieuse, timorée, ornée de bonnes moeurs. Par conséquent, ma recommandable soeur, le royaume de Dieu vaut précisément ce que vous êtes. Consacrez-vous donc au Christ et achetez-lui son royaume. Ne vous inquiétez pas du prix, qu'il ne vous préoccupe pas, qu'il ne vous paraisse point difficile à fournir, qu'il ne vous soit point onéreux. Car, Jésus-Christ, le roi des cieux, s'est livré lui-même, pour vous arracher à la puissance du démon et vous acquérir pour Dieu son Père. Donnez-vous donc volontiers à celui qui vous a délivrée des mains de vos ennemis. Donnez-vous sans restriction à cet ami qui, pour vous sauver, s'est livré sans réserve.

23. Soeur bien-aimée en Jésus-Christ, méprisez les richesses de la terre, afin de pouvoir acquérir celles du ciel. Ces richesses font courir à l'homme le danger de perdre son corps et son âme, elles l'exposent à la mort. Plusieurs ont été en péril à cause d'elles, et sont tombés, par elles, dans de fâcheuses extrémités. Pour beaucoup elles ont été bien funestes, elles ont occasionné la mort d'un grand nombre. Ceux qui s'engagent dans les préoccupations terrestres, n'ont jamais l'esprit en repos. La sollicitude qu'elles causent trouble, en effet, les âmes. L'esprit occupé des choses d'ici-bas, est toujours dans l'angoisse. Vénérable épouse de Jésus-Christ, si vous voulez être tranquille; ne cherchez rien de ce qu'il y a dans le siècle. Vous jouirez constamment du calme de l'âme, si vous écartez de vous les préoccupations du monde. Toujours vous goûterez la paix du coeur si vous vous dérobez à l'agitation des actions humaines, car les richesses ne s'acquièrent jamais sans péché. Nul n'administre les biens d'ici-bas sans commettre quelque            faute. Il est extrêmement rare que ceux qui ont la richesse, arrivent au repos. Quiconque s'engage dans les soucis terrestres, s'éloigne de l'amour de Dieu. Celui qui se fisc dans l'amour des choses temporelles, ne trouve aucune jouissance dans le Seigneur. Les soins donnés aux biens de ce monde détournent de la pensée de Dieu. Nul ne peut chercher à la fois la gloire de ce siècle et celle de Dieu, aimer en même temps le Christ et le monde. Il est difficile de se livrer à la fois      aux choses du ciel et à celles de la terre, d'aimer Dieu et le monde. Nul ne peut les aimer parfaitement ensemble, on ne saurait avoir un égal amour pour tous les deux à la fois.

24. Vierge recommandable, entendez ce que je dis : un homme peut briller de l'éclat de la gloire de ce siècle, être revêtu de pourpre et d'or, couvert de riches habits, orné de pierres précieuses et de diamants, surchargé d'étoffes recherchées,     entouré d'un grand nombre de serviteurs, protégé par des gardiens armés, entouré d'un nombre incalculable de gens employés à ses moindres désirs, gardé par une armée qui défende ses jours, il sera toujours dans la peine, toujours dans l'angoisse, toujours dans le deuil, toujours en péril : qu'il se repose sur un lit de soie, il n'en est pas moins troublé sur sa couche dorée, malade sur son lit d'argent, faible sur ses mous coussins de plume, fragile et mortel. O soeur quej'aime beaucoup en Jésus-Christ, je ne vous dis ces choses que pour vous rappeler combien vaine est la gloire de ce monde. La félicité de ce monde est courte. La gloire de ce siècle est médiocre, la puissance dans le temps est caduque et périssable. Par conséquent, sœur vénérable, pour acquérir les richesses du ciel, méprisez celles de la terre ; dédaignez volontiers les biens d'en bas, pour parvenir à ceux d'en haut. Rejetez ce qui passe afin de mériter ce qui est éternel ; donnez des bagatelles, pour recevoir de grands biens de la main de Dieu. Fuyez, sur la terre, la société des hommes, afin de jouir, dans le ciel, de la compagnie des anges, où daigne vous conduire celui qui vous a rachetée de son sang précieux. Ainsi soit-il.

 

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IX - Du vêtement.

 

25. Notre Seigneur Jésus-Christ a dit dans son Évangile : « Ceux qui sont mollement vêtus sont dans les palais des rois (Matth. XI, 8). » On dit qu'ils sont mollement vêtus parce que leurs vêtements amollissent l'esprit. La cour des rois se plait à ces habits de luxe et de mollesse; l'Église de Jésus-Christ, à ceux qui sont rudes et vulgaires. Tels doivent être les vêtements des  serviteurs et des servantes de Dieu : il faut qu'on n'y remarque ni nouveauté, ni superfluité, ni vanité, rien enfin qui sente l'orgueil et la vaine gloire. Aussi le bienheureux Jérôme a-t-il dit : Ce n'est pas un habit de fines étoffes qui pare un clerc, mais la pureté de l'âme. En conséquence, ma soeur chérie, parons-nous d'ornements spirituels, c'est-à-dire de charité, d'humilité, de douceur, d'obéissance et de patience. Voilà les vêtements par lesquels nous pouvons plaire à Jésus-Christ, notre céleste époux. Cet invisible époux ne recherche pas la beauté du dehors, mais celle du dedans, comme il est dit dans un psaume : « Toute la beauté de la fille du roi est intérieure (Psal. XLIV, 14). » Soeur aimable dans le Christ, que vos richesses soient vos bonnes mœurs, et que votre beauté soit votre sainte vie. Ame bien-aimée, je souhaite qu'on dise de vous, comme au Cantique des cantiques : « Vous êtes toute belle, ô ma bien-aimée, et il n'y a point de tache en vous (Cant. IV, 7). » Et encore; a Venez du Liban, venez, vous serez couronnée (Ibid. 8). » En vérité, heureuse est l'âme qui sert sans souillure Jésus-Christ, l'époux céleste. Aussi serez-vous bienheureuse, soeur vénérable, si vous servez sans tache Jésus-Christ, votre céleste époux. Étudiez vous donc à lui plaire, non par des habits précieux, mais par de bonnes moeurs ; non par la beauté de la chair, mais par la beauté de l'âme. Cherchez à lui paraître agréable, non par le visage, mais par le coeur. Que vos habits et vos chaussures ne soient ni trop recherchés ni trop vils : que votre extérieur soit convenable et modéré : car voici ce que le bienheureux Augustin dit, en parlant de lui-même Je l'avoue, je rougis de porter un habit précieux. Et encore : Des vêtements précieux ne conviennent ni à ma personne. ni aux avis que je donne aux autres; ils ne conviennent ni à ces membres ni à ces cheveux blancs. Soeur recommandable, qu'un habit sans tache couvre votre corps, non pour l'embellir, mais pour le protéger; craignez qu'en portant des habits précieux, vous ne vous exposiez à enlaidir votre âme, car plus on pare le corps au dehors dans une pensée de vaine gloire, plus, à l'intérieur, l'âme est souillée et s'enlaidit.

26. En conséquence, ô Soeur aimable dans le Christ, faites voir par votre habit et par votre démarche quelle est votre profession que la simplicité brille dans vos pas, et l'honnêteté dans votre démarche. Qu'il ne s'y montre rien de mou, d'inconvenant, de léger, d'arrogant, rien d'effronté; car l'âme se décèle par les mouvements du corps qui sont les indices de l'état de l'âme . oui, soeur chérie, l'esprit se trahit par les actions du corps. Que votre démarche n'ait donc aucune apparence de légèreté : qu'elle n'offense les yeux de personne. Ne vous donnez pas en spectacle, ne fournissez pas aux autres l'occasion de mal parler de vous. Soeur chérie, purifiez votre conscience de toute malice, afin que Jésus-Christ, l'époux céleste, vous adresse cette heureuse parole : « Voici que vous êtes belle, mon amie, voici que vous êtes belle: vos yeux sont ceux d'une colombe (Cant. I, 14). » C'est-à-dire vous êtes belle à cause de la perfection du corps et de la pureté de l'âme. Vous êtes belle parce que vous avez dans le coeur une intention pure et simple, et que tout ce que vous faites, vous le faites, non pour être vue des hommes, mais dans l'unique désir de plaire à Dieu. Vous avez des yeux de colombe, parce que vous vous conservez exempte de toute malice, de toute feinte et de toute simulation.

27. Soeur que j'aime en Jésus-Christ, je vous ai tenu ce langage pour vous porter à vous réjouir en votre âme des saintes vertus bien plus que des habits précieux qui parent le corps. Car, ainsi que le dit Saint Grégoire, on ne recherche les habits de prix que pour la vaine gloire, afin de recevoir des éloges et de paraître plus honorable que les autres. Nul ne voudrait les porter là où il ne saurait être aperçu de personne. C'est donc uniquement en vue de 1a vaine gloire qu'on les recherche. Vierge vénérable, la marque à laquelle nous connaissons que nous aimons le siècle, c'est donc l'amour des habits précieux : quiconque n'aime pas le monde, n'aime point les habits de prix. Quand on se complaît dans la beauté du corps, l'âme s'éloigne de l'amour du Créateur. Plus on trouve de charmes dans la parure du corps, plus on s'éloigne de l'amour d'en haut. Plus on goûte de bonheur dans les choses terrestres et passagères, moins on désire celles du ciel. Oui, une religieuse qui aime les habits recherchés a une tache dans son âme, elle n'est point Épouse immaculée de Jésus-Christ si elle affectionne les vêtements précieux. La servante du Seigneur, qui a parfaitement quitté le siècle, recherche les habits vulgaires; celle qui en désire de précieux n'a point complètement abandonné le monde. Un vêtement noir indique l'humilité de l'âme, un vêtement de peu de valeur annonce le mépris du monde ; un voile noir dénote la blancheur et la pureté de l'âme, il est le signe de la chasteté et de la sainteté. Maintenant, soeur très-vénérable, je vous engage à réaliser dans votre conduite la signification de l'habit que vous portez. Je vous conjure de rendre votre vêtement beau par vos bonnes moeurs. L'habit est saint, que l'âme le soit aussi, et puisque les vêtements sont saints, que les oeuvres soient pareillement saintes. Avec un voile saint que la conduite soit sainte. Ne cachez pas une chose au dedans, tandis que vous en faites voir une autre en dehors. Ne soyez pas différente en secret de ce que vous êtes en public : soyez véritablement telle que vous voulez paraître : telle vous êtes à l'extérieur, telle soyez dans votre vie ; telle dans le visage, telle dans les actes. Ainsi soit-il.

 

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X. — De la componction.

 

28. La componction du coeur est l'humilité de l'âme prenant sa source dans le souvenir du péché et dans la crainte du jugement. La componction est parfaite quand celle écarte toute délectation charnelle et dirige, de tous ses efforts, l'intention de l'esprit vers la contemplation du Seigneur. Nous lisons qu'il y a deux sortes de componction : l'une qui affecte l'âme de tout serviteur de Dieu, à cause de Dieu même, c'est-à-dire celle qui lui remet en mémoire les péchés qu'il a commis : l'autre qui le fait soupirer de désir après la vie éternelle. La componction du juste est de quatre sortes : elle comprend le souvenir du péché, la pensée des châtiments à venir, la considération du pèlerinage de cette vie, le désir de la patrie céleste où il a hâte d'arriver. Tout pécheur connaît qu'il est visité de Dieu, lorsqu'il est ému jusqu'à verser des larmes. En effet, Pierre pleura lorsque le Seigneur jeta les yeux sur lui, ainsi qu'il est écrit. « Et le Seigneur se tournant, regarda Pierre ; cet apôtre sortant de suite, pleura amèrement (Matth. XXVI, 75). » De là vient aussi que le Psalmiste dit : « il a regardé, la terre s'est émue et a été agitée (Psalm. XVII, 8). » La terre qui s'agite, c'est le pécheur ému jusqu'aux larmes. Je vous engage donc, ô soeur très-chérie, à vous rappeler vos péchés avec larmes dans l'oraison ; car celui qui n'éprouve pas la componction ou la contrition de coeur, ne fait pas une prière pure. Soeur aimable dans le Christ, entendez les exemples des saints qui, par la componction et les larmes, ont obtenu de Dieu la rémission de leurs. fautes. Par ses sentiments de componction, Anne, mère de Samuel, obtint d'avoir un fils, elle obtint aussi le don de prophétie (I Reg. 1. 8). Par sa contrition et ses larmes, David obtint le pardon d'un homicide et d'un adultère qu'il avait commis (II Reg. XII, 13). Voici, en effet, les paroles que lui adressa le Prophète : « Vous ne mourrez point, parce que le Seigneur a éloigné votre péché. » C'est aussi par la componction et les larmes que Tobie le père obtint la guérison de sa cécité et la consolation de sa pauvreté (Tob. V). Voici ce que lui dit l'ange Raphaël : « que la joie reste toujours avec vous. » Et il ajouta : « Ayez bon courage, bientôt le Seigneur vous soulagera. » Marie Madeleine obtint également, par le même moyen, d'entendre de la bouche du divin maître cette parole : « Vos péchés vous sont remis (Luc. VII, 48). » Soeur vénérable, je vous ai proposé les exemples des saints, afin que les larmes de la componction vous soient douces.

29. La componction est un trésor digne d'envie, une joie inexprimable dans le coeur de l'homme. L'âme qui la ressent dans sa prière, est en voie de progrès dans le chemin du salut. L'homme fort n'est pas moins digne de louanges dans les larmes que dans la guerre. Puisque, après le baptême, nous avons souillé notre vie, lavons notre conscience dans les larmes. Là où elles coulent , s'allume le feu spirituel qui éclaire l'intérieur de l'âme. Les pleurs des âmes pénitentes sont aux yeux de Dieu un second baptême. Soeur chérie en Jésus-Christ, vous serez bienheureuse si vous éprouvez la componction qui est selon Dieu, elle est la santé de l'âme, la lumière qui l'éclaire, car l'âme s'illumine quand elle est touchée jusqu'à verser des larmes. La componction qui fond en larmes est la rémission des péchés qui, en effet, sont remis lorsqu'on se les rappelle en versant des larmes. Elle ramène le Saint-Esprit: car l'âme que le divin Esprit visite fond aussitôt en larmes.

30. Demande. — Frère ! dites-moi , je vous prie, quels sont les motifs . de douleur qui nous arrachent des larmes dans cette vie ?

Réponse. — Ces motifs sont nos péchés, les misères de ce monde, la compassion pour les maux du prochain et l'amour de la récompense du ciel. II pleurait ses péchés celui qui disait : « Chaque nuit, j'arroserai ma couche et j'inonderai mon lit de larmes (Psalm. VI, 7).» Il gémissait encore sur les misères de ce monde lorsqu'il s'écriait . « Hélas ! mon exil s'est prolongé : j'ai habité avec ceux qui demeurent en Cédar, trop longtemps mon âme a séjourné sur la plage étrangère (Psalm. CXIX, 5) ! » C'est par compassion que le Seigneur pleura au tombeau de Lazare et sur Jérusalem, en disant : a Ah ! si tu avais connu (Joan. XI, 35 et Luc. XIX, 41)! » Paul, lui aussi, ce grand apôtre, qui nous a commandé de nous réjouir avec ceux qui se réjouissent, et de pleurer avec ceux qui pleurent (Rom. XII, 15), s'attristait par compassion, quand il disait : « qui est infirme sans que je le sois avec lui (II Cor. XI, 29)? » Les justes pleuraient d'amour pour la récompense céleste quand ils disaient avec le Psalmiste: « nous nous sommes assis au bord des fleuves de Babylone et nous avons versé des larmes, en nous souvenant de toi, ô Sion (Psalm. CXXXVI, 1). » La vie présente est une mort, parce qu'elle est pleine de misères; elle n'est point dans la patrie mais dans le voyage; elle ne se passe point dans la maison mais dans l'exil. En ce monde nous ne sommes point dans notre demeure, mais en pèlerinage, ainsi qu'il est écrit: « nous n'avons point ici-bas d'habitation permanente (Hebr. XIII, 14) : » mais nous sommes à la recherche de celle que nous occuperons plus tard. » Aussi , soeur chérie, je vous invite à pleurer sur les fautes que vous avez commises, ensuite sur les misères de ce monde et par compassion pour le prochain, et enfin à pleurer d'amour de Dieu et de désir de la récompense céleste. Vierge honorable, priez le Seigneur en toute dévotion, demandez-lui de vous accorder la véritable componction de l'âme et la contrition du coeur. La componction fait avoir en soi, le Christ, Fils unique de Dieu, comme le Seigneur lui-même le dit : « mon Père et moi nous viendrons et nous fixerons notre demeure en celui qui me chérit (Joan. XLV, 23). » Là où les larmes coulent, les pensées qui appesantissent l'âme n'ont point accès : et si parfois elles y pénètrent, elles n'y ont point de racines. Les larmes, nous donnent toujours une grande confiance auprès de Dieu. Soeur aimable dans le Christ, entendez la voix de Jésus, votre époux, qui vous dit : «Levez-vous, ma bien-aimée, et venez » par l'amour; « car déjà l'hiver est fini, la pluie a cessé et a disparu, les fleurs se sont montrées sur notre terre, le temps de la taille est venu, la voix de la tourterelle s'est fait entendre dans nos environs (Cant. II, 10) : » cette voix est celle des apôtres qui prêchent dans l'Église. La tourterelle est un oiseau très-chaste , qui demeure et fait son nid d'ordinaire sur les hauteurs, et sur la cime des arbres ; elle représente les apôtres ou les autres docteurs, qui peuvent dire, a notre conversation est dans les cieux (Phil. III, 20) ; cet oiseau a des gémissements pour cantiques, et il représente les pleurs des saints, qui exhortent les leurs aux larmes et aux gémissements, en leur disant : « Soyez attristés et pleurez (Jac. IV, 9). »

31. En conséquence, vierge recommandable, prenez exemple sur cette tourterelle, et pleurez d'amour pour Notre-Seigneur Jésus-Christ, votre époux,jusqu'à ce que vous puissiez le voir dans son royaume, assis sur le trône de sa puissance. Mieux vaut pour vous pleurer d'amour pour ce divin maître que de craindre l'enfer. « Vos joues sont belles comme celles de la tourterelle (Cant. 1, 9). » Tel est le caractère de la tourterelle que, si elle perd son compagnon, elle n'en cherche point d'autre. O épouse de Jésus-Christ, soyez semblable à la tourterelle, après Jésus-Christ, votre époux, ne cherchez point d'autre ami. O épouse du Christ, soyez comme la tourterelle, nuit et jour pleurez du désir de revoir ce divin époux qui est déjà monté aux cieux, de mériter un jour de contempler sa face à la droite du Père. «Vos joues sont belles comme celles de la tourterelle. » La pudeur a d'ordinaire son siège sur les joues. Soeur vénérable, voles avez les joues de la tourterelle, si, par respect pour Jésus-Christ,votre époux, vous ne faites rien contre sa volonté. Vous avez les joues de la tourterelle, si vous fuyez tout ce qui lui déplaît, par amour et par égard pour lui; vous avez les joues de la tourterelle, si vous n'avez d'autre ami que Jésus-Christ. Aussi, soeur bien-aimée, lavez sans relâche vos péchés dans vos larmes. Chaque jour, purifiez vos négligences dans les eaux de votre componction et de vos larmes. Purifiez-y, sans relâche, les transgressions qui se commettent dans votre ordre, et, par ce double moyen, obtenez la rémission de vos fautes ; par vos larmes et vos fréquents soupirs, méritez les joies éternelles. Pleurez vos iniquités, déplorez le désordre de vos crimes, rappelez, avec larmes, le mal que vous avez commis, qu'un flot de pleurs inonde votre âme, qu'un fleuve de larmes vous contraigne à vous lamenter. Ce que vous avez fait de mal, effacez-le dans vos larmes; enlevez, par vos pleurs, les iniquités que vous avez commises. Vierge recommandable, si vous ne pleurez pas vos péchés en ce monde quand direz-vous à Dieu : « Vous avez placé mes larmes sous vos yeux (Psal. LV, 9) ? » Ame très-chère, si vous ne versez point de pleurs en cette vie sur vos péchés, quand direz-vous : « Mes larmes ont été mon pain le jour et la nuit (Psalm. XLI, 4) ?» Je vous engage donc, Epouse du Christ, à pleurer vos péchés en cette vie mortelle, pour mériter d'être consolée dans la céleste patrie, ainsi qu'il est écrit : « Bienheureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés (Psalm. V, 5). Amen.

 

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XI. — De la tristesse.

 

32. Le Seigneur a dit dans son Evangile: « Je vous le dis en vérité, vous pleurerez et verserez des larmes, mais le monde se réjouira; vous serez dans la tristesse, mais votre tristesse se changera en joie (Joan. XVI, 20). » Salomon dit aussi : « La joie du coeur se répand sur le visage, mais la tristesse de l'âme abat l'esprit (Prov. XV, 13). Un esprit joyeux fait fleurir le corps, celui qui est triste dessèche les os (Prov. XVII, 22). Mon fils, ne mêlez point les reproches au bien que vous faites, et ne joignez jamais à vos dons des paroles tristes et affligeantes (Eccle. XVIII, 15). Toute plaie est dans la tristesse du coeur; la joie de l'âme est la vie de l'homme (Eccle. XXX, 23). Tout coeur pervers donnera de la tristesse et l'homme sage lui résistera (Eccle. XXXVI. 22). La mort se hâte par la tristesse : la tristesse fait fléchir la tête du coeur (Eccli. XXXVIII, 19). » Le coeur joyeux donne la santé, les os de l'homme triste sont desséchés. Saint Athanase a dit: L'homme triste est toujours livré à la malice et il contriste le Saint-Esprit que Dieu lui a donné. C'est aussi ce qu'enseigne l'Apôtre en ces termes : « Ne contristez point le Saint-Esprit qui habite en vous, et dont vous avez été marqué le jour de la Rédemption (Eph. IV, 30). » Veillez donc, soeur très-chérie, à ne point contrister le Saint-Esprit qui est en vous, de crainte qu'il ne vous abandonne. Éloignez de votre âme les doutes et l'aigreur, ils contristent ce divin Esprit. Chassez la tristesse du monde, elle est soeur du doute et de l’aigreur. Certainement, la tristesse du monde est le pire de tous les esprits mauvais; elle nuit aux serviteurs de Dieu, elle les blesse, elle les brise, elle les attire. Le Saint-Esprit ne supporte point, en effet, la tristesse de la chair. En conséquence, soeur chérie, revêtez-vous toujours de joie spirituelle, de cette joie qui trouve grâce auprès de Dieu. La joie spirituelle est toujours bonne, elle pense le bien et méprise la vaine tristesse. Si elle n'était pas bonne, le Prophète n'aurait jamais dit : « Réjouissez-vous dans le Seigneur, justes, et tressaillez, et soyez glorieux, vous tous qui êtes droits de cœur (Psal. XXXI, 11).» Et ailleurs : « le juste se réjouira dans le         Seigneur, et il espérera en lui, et tous ceux dont le coeur est droit, recevront des louanges (Psalm. LXIII, 11). »

33. Demande. — Frère très-chéri, si la tristesse est mauvaise, si elle est nuisible aux serviteurs de Dieu, que signifie ce que dit Salomon : « Le coeur des sages se trouve où est la tristesse, et le coeur des insensés où est la joie (Eccle. VII, 3) ? »

Réponse. — Soeur vénérable, cette parole de Salomon : « Le coeur des sages se trouve où est la tristesse, et le coeur des ennemis là où est la joie, » ne doit être entendue que de la tristesse spirituelle et de la joie mondaine. C'est comme s'il disait plus ouvertement, le coeur des sages se trouve où est la tristesse spirituelle, et celui des insensés, là où est la joie mondaine. Ceux qui éprouveront la tristesse selon Dieu, sont sages : ceux qui ressentent celle qui est selon le monde, sont insensés. Aussi le Seigneur a-t-il dit dans son Evangile : « Réjouissez-vous et tressaillez, parce que vos noms sont écrits dans les cieux (Luc. X, 20). » Et l'Apôtre saint Paul : « Nous sommes tristes et nous sommes toujours gais (II. Cor. VI, 10). » Et encore : « Réjouissez-vous toujours dans le Seigneur, je vous le dis de nouveau : Réjouissez-vous (Philip. IV, 4). » Par conséquent la tristesse spirituelle est bonne, et celle qui naît de la cupidité dans les biens est mauvaise. C'est de la tristesse spirituelle qu'il est dit : « Bienheureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés (Matth. V, 5). » Et c'est de la tristesse selon le monde que Salomon a dit : « La tristesse en a fait périr plusieurs, et il ne se trouve en elle aucune utilité (Eccle. XXX, 25). » C'est encore de la joie spirituelle qu'il est dit : « Le coeur de ceux qui cherchent le Seigneur se livre à l'allégresse (Psalm. CIV, 3). » C'est à propos de la tristesse mondaine qu'on lit ailleurs : « Malheur à vous qui riez présentement, parce que vous pleurerez et verserez des larmes (Luc. VI, 25). » Soeur très-chère, écoutez aussi l'oracle de l'apôtre saint Paul : « La tristesse qui est selon Dieu opère le salut de la pénitence ; mais la tristesse qui est selon le siècle produit la mort (II. Cor. VII, 10). » La prière de l'homme qui est toujours triste n'a point de vertu et ne peut s'élever vers le Seigneur. Là où la tristesse aura été couverte parle Saint-Esprit, la prière n'est pas acceptable, parce qu'elle est faible et ne peut monter vers le ciel. Par conséquent, soeur aimable, laissez-là la tristesse, cessez de vous y livrer, repoussez-la loin de vous, ne vous laissez point aller à une grande tristesse, n'y demeurez point longtemps, n'y abandonnez pas votre coeur. Cette tristesse est un des sept péchés capitaux, aussi tous les serviteurs de Dieu la doivent-ils éviter. De là vient que le bienheureux Isidore a dit Si vous vivez bien et selon la piété, vous ne serez jamais triste. Une bonne vie est toujours remplie de joie. Soeur recommandable, éloignez donc de vous la tristesse, parce que, comme la teigne dévore un habit, comme le ver ronge le bois, ainsi la tristesse nuit au coeur. Purifiez donc votre âme de toute tristesse charnelle et mondaine, et votre prière sera agréable à Dieu. Ainsi, ma vénérable sœur, pleurez au souvenir de vos faites, et réjouissez-vous dans l'amour de Jésus-Christ votre époux. Versez des larmes à la pensée de vos péchés et tressaillez d'aise dans l'espérance des biens célestes. Souffrez de vos manquements et de vos négligences passés, mais réjouissez-vous de la promesse du royaume des cieux. Soyez triste de vos iniquités anciennes, mais soyez pleine de joie à la pensée de la récompense éternelle où daigne vous conduire, Celui à qui vous avez préparé, dans votre corps virginal, une agréable demeure. Amen.

 

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XII. — De l'amour de Dieu.

 

34. Notre-Seigneur Jésus-Christ a dit dans son Evangile : « Si quelqu'un m'aime, il gardera mon commandement, mon Père l'aimera, et nous viendrons à lui et nous établirons en lui notre demeure (Joan. XIV, 93). »   Et l'apôtre saint Jean : « Aimons Dieu parce qu'il nous a aimés le premier (I Joan. IV, 19). » Quiconque aime le Seigneur, priera pour ses propres péchés et se retiendra pour ne les plus commettre. Soeur bien-aimée, aimez Dieu et invoquez-le pour votre salut : car l'amour c'est la vie, et la haine c'est la mort. Dieu ne veut pas qu'on l'aime en paroles seulement, mais avec un coeur pur et de bonnes mœurs. Il n'aime pas Dieu, celui           qui méprise les ordres de Dieu. L'esprit de celui qui aime le Seigneur n'est pas sur la terre, il est au ciel, parce qu'il désire sans cesse les biens qui s'y trouvent. Je vous engage donc, soeur bien chère, à aimer Dieu par dessus tout, parce qu'il vous a élue avant tous les siècles. Nous devons aimer le Seigneur plus que nos parents. Pourquoi? parce qu'il nous a faits nous et nos parents de ses propres mains, c'est-à-dire, par sa propre vertu, ainsi qu'il est écrit :   « C'est lui qui nous a faits, ce n'est point nous qui nous sommes formés (Psalm. XCIX, 3). » Le Christ nous a plus donné que nos parents, aussi devons nous l'aimer plus qu'eux. C'est folie d'aimer quelque chose plus que Dieu, car celui qui aime plus la créature que le Créateur fait un péché. Et quiconque préfère l'amour de la créature à celui du Créateur, se trompe grossièrement. Par conséquent c'est un devoir pour nous d'aimer Dieu par dessus toutes choses. Dites donc, je vous en conjure, ô vierge honorable, dites avec amour et tendresse, à Jésus-Christ : « Mon bien-aimé est à moi, et moi je suis à lui; il pait parmi les lis, jusqu'à ce que le jour approche et que les ombres déclinent (Cant. II, 16 et 17). » Epouse du Christ, dites plus ouvertement à votre bien-aimé, je vous en prie : que mon bien-aimé me soit attaché par les liens de la chasteté et de l'amour, et moi que je lui sois réciproquement unie et associée par un amour qui le paie de retour. «Il se nourrit parmi les lis, . c'est-à-dire, il trouve ses délices parmi les vertus éclatantes et parfumées des saints et dans les chœurs des vierges, « jusqu'à ce que le jour arrive et que les ombres baissent : » jusqu'à ce que les nuages de la vie présente passent et que le jour, c'est-à-dire l'éclat de la béatitude éternelle se montre à nous.

35. Soeur bien-aimée, c'est justice d'aimer Dieu de tout son coeur et de nous attacher de toute notre volonté, à lui qui est le souverain bien-aimé, le bien suprême, c'est la plus grande béatitude. Celui qui aime Dieu, est bon, il est donc heureux. Plus on aime Dieu, plus on est heureux. L'amour est la vertu spéciale et propre des saints. Soeur que j'aime beaucoup dans le Christ, je vous ai terni ce langage, pour que nulle affection du siècle ne vous sépare de l'amour de Jésus-Christ. Je vous prie aussi, épouse du Seigneur, de vouloir bien me dire quelque chose de l'amour que vous avez pour ce céleste époux. « Mon bien-aimé est pour moi un bouquet de myrrhe, il demeure sur mon sein (Cant. I, 12). » Dites ces paroles d'une manière plus accentuée, afin que nous comprenions ce que vous dites. « Mon bien-aimé est pour moi un faisceau de myrrhe, et il restera sur ma poitrine. » La place du coeur est entre les seins, c'est-à-dire entre les mamelles : par conséquent mon bien-aimé demeurera entre mes mamelles, c'est-à-dire : le souvenir, l'affection de l'amour de Jésus-Christ, mon époux, restera toujours entre mes mamelles, je veux dire dans mon coeur. Et, soit dans la prospérité, soit dans l'adversité, toujours je rappellerai en ma mémoire tous les biens qu'il m'a accordés, parce qu'il m'a aimée et qu'il est mort pour moi, qu'il est monté aux cieux, et que tous les jours, il m'appelle en ces termes pour que j'aille le rejoindre : « Venez du Liban, mon épouse, venez, vous serez couronnée (Cant. IV, 8). » Que la gauche de Jésus-Christ, mon époux, soit sous ma tête, c'est-à-dire, que le don du Saint Esprit, repose en moi dans la      vie présente, et que l'intelligence des saintes Écritures éclaire mon esprit, afin que je connaisse et comprenne parfaitement ce céleste ami, et que sa droite m'étreigne, c'est-à-dire, me fasse parvenir à la béatitude éternelle.

36. Ma bien chère soeur, adressez-vous aux servantes de Jésus Christ qui sont avec vous, et dites-leur : « Entourez-moi de fleurs, soutenez-moi par des fruits, parce que je languis » d'amour pour Jésus-Christ, mon époux (Cant. II, 5). O vous, mes saintes sœurs, qui aimez déjà Jésus par dessus tout, et ne mettez rien avant son amour, soutenez-moi de vos bons exemples, et indiquez-moi par quel moyen je rencontrerai ce bien-aimé, car je suis bien consumée par l'amour que j'éprouve pour lui. Cet amour est doux, cette langueur est suave, sainte est cette infirmité, chaste est cette affection, cette union est sans souillure, cet embrassement sans impureté. Et : vous, saintes soeurs, entourez- moi de fleurs, c'est-à-dire entourez-moi des exemples de votre conduite, car je languis d'amour pour mon Époux. Vierge honorable, vous languissez vraiment, vous êtes véritablement affaiblie par l'amour de Jésus-Christ votre Époux, si vous méprisez et dédaignez pour lui tout ce qu'il y a dans le monde. Vous languissez réellement sur le lit de la contemplation, affaiblie par l'amour de Jésus, si vous aimez ce divin maître par dessus tout; son amour vous rend vraiment infirme, si vous aimez les choses du ciel plus que celles de la terre. Oui, l'affection de Jésus vous fait tomber de langueur sur la couche de l'intime dilection, si, étant pleine de force pour les bonnes oeuvres, vous êtes faible pour celles de la terre. Soeur aimable dans le Christ, si vous aimez Jésus de tout votre coeur, si vous ne préférez rien à son amour, vous vous réjouirez en sa société dans le royaume des cieux. Si vous marchez à sa suite de toute votre âme, si vous l'aimez de tout votre coeur, sans nul doute vous goûterez dans la patrie céleste la joie de sa présence et vous le suivrez partout où il ira en compagnie des vierges saintes. Si vous vous attachez à lui en toute dévotion, si, durant la vie présente, vous soupire? nuit et jour après lui, vous tressaillerez d'aise avec lui certainement, et, mêlée aux choeurs des anges, vous chanterez, en son honneur, de douces hymnes, ainsi qu'il est écrit «Vous qui vous nourrissez parmi les lis, entouré de leurs choeurs sacrés, Époux éclatant de gloire, qui rendez à vos épouses les récompenses qu'elles méritent, en quelque lieu que se portent vos pas, les vierges vous suivent, elles courent près vous en chantant vos louanges, et font retentir des chants agréables. » Je vous ai tenu ce langage, ma très-chère soeur, pour que vous aimiez Jésus-Christ par dessus toute chose, et que vous ne préfériez rien à son amour. Je vous en conjure, sœur bien aimée, ne cherchez aucune autre affection que celle de Jésus-Christ, ne vous attachez à nulle autre beauté qu'à celle de Jésus-Christ. Pour l'amour de ce divin Époux, pleurez et gémissez, jusqu'à ce que vous méritiez de le voir dans son royaume à la droite de son Père. Amen.

 

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XIII. De l'amour du prochain.

 

37. Soeur très-chère, écoutez ce que Notre     Seigneur Jésus-Christ dit à ses disciples : « A cette marque on connaîtra que vous êtes mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres (Joan. XIII, 35). » Tous les fidèles sont. disciples de Jésus-Christ. Chacun est disciple de, celui dont il suit les leçons. Par conséquent, l'homme qui veut être disciple de Jésus-Christ doit s'attacher à aimer son prochain comme soi-même. L'amour du prochain ne fait point le mal (Rom. XIII, 10).            Pourquoi cela? Parce que la charité est la plénitude de la loi. Et l'Apôtre saint Paul nous dit : «Marchez dans l'amour, ainsi que le Christ vous a aimés et s'est livré pour vous (Ephes. V, 2). » L'Apôtre saint Jean parle aussi de cette manière: «Quiconque aime son frère, demeure dans la lumière, et il n'y a point de scandale en lui: celui qui hait son frère, est dans les ténèbres; il ne sait où il dirige ses pas, parce que les ténèbres ont obscurci ses yeux. Si quelqu'un dit, j'aime Dieu et n'a point d'amour pour son frère, c'est un menteur, la vérité n'est point en lui. Et tel est le commandement que nous avons reçu de Dieu, que celui qui aime le Seigneur, aime aussi son frère. Comment celui qui n'aime point son frère qu'il voit, peut-il aimer le Seigneur qu'il ne voit pas (I Joan. II et IV) 2 » Salomon lui aussi s'exprime de la sorte « Celui qui est véritablement ami, aime en tout temps (Prov. XVII, 17).» C'est à l'heure du besoin que l'on éprouve quel est celui qui est réellement frère. Saint Augustin a dit : vous vainquez l'homme par la félicité humaine, et le démon par l'amour des ennemis. Cependant, soeur bien aimée, entre les serviteurs de Dieu, il ne doit point exister d'affection charnelle, leur amour doit être spirituel. Rien n'est plus particulier à Dieu que la charité; le démon ne désire rien tant que l'extinction de cette vertu. Le saint amour ne connaît point de scandale. Estimez que tout fidèle est votre frère. Souvenez-vous qu'un même ouvrier nous a formés. Le véritable amour n'éprouve jamais l'amertume du scandale.

38. Soeur vénérable, apprenez à connaître dans l'amour du prochain comment vous devez parvenir à l'amour de Dieu. De même que l'amour élève l'âme, ainsi la malice l'abaisse. Vous ne pourrez pas aimer Dieu sans aimer le prochain, ni le prochain, sans Dieu. Vous avez la vraie charité, si vous aimez votre ami en Dieu et votre ennemi pour Dieu. Plus vous serez large dans l'amour des autres, plus vous serez élevée en union avec Dieu. Si vous portez à votre prochain un amour véritable, votre coeur est en paix; mais celui qui a son prochain en haine, est enveloppé de ténèbres, aussi en l'aimant, vous purifiez 1'œil de votre âme pour le mettre en état de voir Dieu. Cependant, soeur très-digne de respect, je vous engage à n'aimer personne selon la chair. Aussi-le bienheureux Isidore a-t-il dit : il est profondément enseveli dans la terre, celui qui aime charnellement, plus qu'il ne faut, un homme qui mourra bientôt. Nous ne pouvons . point rester avec Dieu, si nous ne voulons pas vivre sur cette terre d'accord avec les autres. L'ami se montre au jour du besoin. Si nous voulons observer le commandement du Seigneur, nous devons aimer nos frères, comme nous nous aimons nous-mêmes : parce que si l'homme aime son frère sans dissimulation aucune, aussitôt il apaise Dieu le Père. Quiconque aime son prochain, ne peut commettre d'homicide, d'adultère, de vol, de parjure, de faux témoignage, de rapine, de jalousie, de contestations. C'est pourquoi, vierge recommandable, méditons toujours et accomplissons réellement l'amour de Dieu et du prochain, c'est une vertu d'où dépend toute la loi avec les prophètes. Mais quand notre prochain souffre quelque tribulation, quelque infirmité, quelque perte, lorsqu'il est mis en prison, si nous souffrons pour lui, nous sommes dans le corps de l'Eglise; si nous ne souffrons point, nous sommes déjà séparés du corps de l’Eglise; si la charité qui en unit et vivifie tous les membres, nous voit nous réjouir de la ruine de nos frères, aussitôt elle nous retranche de son corps. Le membre souffre tant qu'il est dans le corps, mais s'il en est séparé, il ne peut ni sentir ni souffrir. Si la main, le pied ou quelque membre est coupé, quand le corps viendrait à être mis en morceaux ou à être jeté au feu, cette main ne sentirait rien, parce qu'elle est séparée du corps. Tel est le chrétien qui ne souffre point de la perte, de la tribulation, de l'angoisse ou de la nécessité de son prochain, ou qui, ce qui est pire, s'en réjouit, parce que, alors, il est étranger au corps de l'Église.

39. Pour nous, vierge recommandable, si nous voulons conserver une charité véritable et parfaite, aimons-nous comme il faut. Attachons-nous à aimer tous les fidèles comme nous-mêmes, afin de mériter d'être les membres de Jésus-Christ,, de même que Jésus-Christ est notre chef . afin que lorsqu'il apparaîtra, lui: qui est notre gloire, nous puissions par la concorde de la charité, et par l'amour de Dieu et du prochain, apparaître avec lui dans la splendeur. On aime véritablement son ami, quand on l'aime pour Dieu, non pour soi. Aussi le bienheureux Isidore dit-il : Quiconque aime son ami sans règle; l'aime bien plus pour soi que pour Dieu. On va contre la bonté et la justice de Dieu, lorsqu'on méprise un ami frappé de quelques revers. L'amitié véritable n'est en aucun. temps détruite par quelque événement que ce soit : quel que soit le temps elle est toujours solide. Il y a peu d'amis qui restent amis jusqu'à la fin. L'amitié véritable est celle qui, de tous les biens de son ami, ne recherche que son amitié, c'est-à-dire aime gratuitement celui qui l'aime. Par conséquent, soeur aimable dans le Christ, je vous engage à aimer vos amis en Dieu, c'est-à-dire dans le bien. Aimez aussi vos ennemis pour Dieu, selon ces paroles : « aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent (Luc. VI, 27). » Et encore : « Si votre ennemi a faim donnez-lui à manger, s'il a soif, donnez-lui à boire (Rom. XII, 20). » Et encore : «Bénissez ceux qui vous persécutent, bénissez et ne maudissez point (Luc.    VI). » L'amour est frère de la charité. La charité ne va jamais sans l'amour, ni l'amour sans la charité. Vierge honorable, l'amour est donc nécessaire puisqu'il renferme tant de vertus et procure tant d'avantages. Il a deux ailes. Celle de droite, l'amour de Dieu, et celle de gauche, l'amour du prochain. Aucun homme ne pourra voler au ciel avec une seule aile. Pourquoi? Parce que l'amour de Dieu ne petit, lui-même, obtenir la béatitude éternelle sans l'amour du prochain. Vierge prudente, prenez ces deux ailes, je veux dire l'amour de Dieu et l'amour du prochain, pour voler librement, en faisant le bien, et arriver à la patrie du royaume des cieux. Amen.

 

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XIV. — De la compassion.

 

40. Ma très-chère soeur, écoutez ce que dit Notre-Seigneur Jésus-Christ : « Tout ce que vous voulez que les hommes vous fassent de bien, faites-le leur (Matth. VII, 12). » Voilà la loi et les prophètes. Et Saint Paul dit : « Il faut se réjouir avec ceux qui sont dans la joie, et pleurer avec ceux qui sont dans les larmes (Rom. XII, 15). » Et, dans un autre endroit : « Accueillez les infirmes et soyez patients envers tous (I Thessal. V, 14). » Voici les paroles de Salomon : « Celui qui méprise son prochain, commet un péché. Gardez fidélité à votre prochain dans sa pauvreté, afin de vous réjouir dans sa bonne fortune. Au temps de la tribulation demeurez-lui fidèle, afin d'avoir part à son héritage (Eccli. XXII, 28, 29). Celui qui creuse une fosse sous les pieds de son frère y tombera. Celui qui lui tend un piège, y perdra la vie (Eccli. XXVII, 29). » Aussi le Psalmiste s'écrie-t-il : « il a ouvert et creusé un lac et il tombera dans la fosse qu'il a préparée (Psalm. VII, 16). » il n'aime point parfaitement son prochain, celui qui ne l'assiste pas dans la nécessité. Plus nous secourons nos frères dans le besoin, plus nous nous rapprochons de, notre Créateur. Si nous devons          prendre soin de nous, nous. ne devons pas non plus négliger les autres. Par conséquent, soeur bien-aimée, ne désirez pas voir arriver à votre prochain ce que vous ne voudriez pas pour vous. Prenez part aux maux d'autrui. Associez-vous à ses pleurs dans ses chagrins. Soyez triste dans la tribulation de vos frères, soyez infirme avec les infirmes. Pleurez leurs revers comme les vôtres propres. Gémissez avec ceux qui gémissent, versez des larmes avec ceux qui pleurent, attristez-vous avec ceux qui sont tristes soyez pour les autres ce que vous souhaitez que les autres soient pour vous. Ce que vous ne voudriez pas souffrir ne le faites pas éprouver à autrui. Ne faites de mal à personne de peur d'en subir à votre tour. Soyez indulgente pour les fautes des autres comme vous l'êtes pour les vôtres, n'ayez pas une manière de juger pour vous, et une autre pour ceux du dehors. Si votre ennemi vient à tomber ne vous réjouissez pas de sa ruine, ne vous élevez pas : n'ayez pas de joie de sa mort, de peur qu'il ne vous arrive malheur. Ne vous exaltez point à cause de la chute de votre ennemi, dans la crainte que Dieu ne tourne sa colère contre vous. L'adversité fondra bientôt sur la tête de celui qui se réjouit du malheur d'autrui. Ayez donc un sentiment d'humanité à la vue du malheureux, une douleur compatissante à l'endroit du pauvre, un amour de commisération envers votre ami. « Si votre ennemi a faim, donnez-lui à manger . s'il a soif présentez-lui à boire. » Ne méprisez pas les pauvres, ne dédaignez pas les indigents, ne faites pas fi des orphelins: que nul n'éprouve de la tristesse à cause de vous, n'occasionnez de confusion à personne. Visitez les infirmes, consolez les faibles, afin de mériter d'être consolée dans la béatitude éternelle. Amen.

 

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XV. — De la miséricorde.

 

41. Soeur bien aimée, entendez Notre-Seigneur Jésus-Christ dire dans l'Évangile :  « Bien heureux ceux qui sont miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde (Matth. V, 7). » Et encore : « Soyez miséricordieux, parce que votre Père céleste est miséricordieux (Luc. VI, 36). » Et l'apôtre saint Paul nous dit : « Soyez bons et miséricordieux les uns envers les autres, et prenez comme des saints et des élus de Dieu des entrailles de la miséricorde (Col. III, 12). La piété est utile à tout (I Tim. IV, 8).» Salomon dit aussi : « Pratiquer la miséricorde et la Justice est plus agréable à Dieu que d'offrir un sacrifice. » La miséricorde prépare à chacun une place selon le mérite de ses œuvres. « La compassion de l'homme s'exerce sur lui et sur son prochain; mais la miséricorde du Seigneur s'étend sur toute chair (Eccli. XVIII, 12). Quiconque pratique cette vertu, offre un sacrifice (Ibid. XXXV, 4).» La miséricorde tire son nom de ce que le Seigneur compatit à la misère des autres. Quiconque n'aura pas été miséricordieux envers ses frères, ne pourra pas obtenir la miséricorde de Dieu. Soeur que je chéris dans le Christ, que la miséricorde et la vérité marchent devant vous. N'abandonnez jamais cette vertu. Vous ferez du bien à votre âme si vous êtes miséricordieuse. Celui qui fait miséricorde aux autres, obtiendra, de Dieu, miséricorde. Soeur vénérable, ce que vous avez, employez-le eu pratiques de miséricorde. Exercez cette vertu sans murmurer. Telle votre intention, telle votre oeuvre. Là où il n'y a point de bienveillance, il n'y a point de miséricorde. Faites le bien que vous faites pour la miséricorde, non pour la vaine gloire. Ne faites rien pour être louée des hommes, mais faites tout pour obtenir la récompense éternelle; rien pour la réputation dans le temps, mais tout pour la vie dans l'éternité, on daigne vous conduire, ô soeur très-digne de respect, le Dieu tout-puissant. Ainsi soit-il.

 

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XVI. — Exemples des saints.

 

42. Soeur bien aimée, les exemples des saints servent beaucoup à convertir et à corriger les fidèles. On a écrit leurs chutes et leur retour, afin que nous n'eussions pas le malheur de tomber dans le désespoir à cause du grand nombre de nos péchés, et que, au contraire, même après notre chute, nous ayons l'espoir de nous relever par la pénitence, en sorte qué nul ne perde confiance en la bonté de Dieu en voyant que les saints se sont relevés après être tombés. Le Seigneur a fait briller leurs vertus pour nous servir d'exemple, en sorte que, en suivant leurs vestiges nous pussions parvenir au royaume des cieux, ou que, si nous ne voulons pas les suivre dans les sentiers d'une vie sainte, nous fussions sans excuse pour les peines que nous aurons à subir. Tant qu'ils vécurent en ce monde, les saints n'ont cessé de courir dans la carrière de bonnes oeuvres, dans les jeûnes, dans les veilles, dans les aumônes, dans la chasteté, dans la continence, dans la longanimité, dans la patience, dans la suavité, dans les prières, dans les persécutions, dans la bienveillance, dans la faim et la soif, dans le froid et la nudité, et dans toutes sortes de travaux, pour le nom de Jésus-Christ. Ils ont méprisé le siècle présent pour acquérir le royaume éternel; ils n'ont pas reçu ici-bas les promesses ou les richesses misérables de ce monde qui conduisent ceux qui en usent mal aux tourments de l'enfer ; détournant leur attention de la patrie terrestre, ils ont levé les yeux vers la Jérusalem d'en haut. Ils ont évité le péché dans leurs paroles, dans leurs actions, dans leurs pensées, dans la vue, dans l'ouïe, dans les signes, dans leurs yeux, dans leurs mains. dans la colère, dans les pieds, dans les luttes, dans la fureur, dans la discussion, dans la vaine gloire, dans l'orgueil, dans l'élévation du coeur, dans la cupidité, dans la gourmandise, dans la somnolence, dans la fornication, dans l'usage du vin. Veillant sur leur corps et sur leur âme, ils pratiquèrent un double jeûne, celui des aliments et celui des vices. L'abstinence de la nourriture est bonne, mais l'abstinence des vices est meilleure. Aussi, l’Église dit-elle de ses membres, c'est-à-dire de ces mêmes saints Pères: « Mes mains ont distillé la myrrhe (Cant. V, 5). » Or, par mains ,  qu'entendons-nous , sinon les oeuvres des saints, et que représente la myrrhe, sinon la mortification de la chair et des vices ? Les mains de l'Église ce sont les saints qui pratiquent le bien, c'est d'elles qu'il est dit tt elles ont exercé la justice (Hebr. XI, 33) » Les mains de l'Église distillent donc la myrrhe des bonnes oeuvres, parce qu'elles nous fournissent d'excellents exemples, et nous excitent à mortifier les vices de notre chair. Aussi l'un de, ces bienheureux a-t-il dit : « Si vous vivez selon la chair, vous mourrez (Rom. VIII, 13). » Et encore : « Mortifiez vos membres, qui sont sur la terre (Col. III, 5). » L'Église dit aussi: «Mes doigts sont pleins d'une myrrhe très-éprouvée (Cant. V, 5). » La myrrhe très-éprouvée c'est une chair parfaitement mortifiée, des vices et les péchés détruits.

144. En conséquence, soeur bien aimée en Jésus-Christ, si nous désirons entrer dans la société des saints, il faut que nous suivions leurs exemples. Si nous tombons dans le péché, nous n'avons plus d'excuse. Pourquoi ? Parce que, d'un côté, la loi du Seigneur nous rappelle tous les jours que nous devons bien vivre, et d'un autre, les exemples des saints Pères nous engagent sans cesse à pratiquer le bien. D'ailleurs, autrefois nous avons suivi les exemples des méchants, pourquoi ne suivrions nous pas ceux des saints? Et si nous avons été prompts à imiter les méchants dans le mal, pourquoi serions-nous paresseux pour suivre les bons dans le bien? Soeur vénérable, supplions donc le Seigneur, demandons lui que les vertus qu'il a préparées pour faire obtenir à ses saints la couronne éternelle, ne tournent point à notre condamnation et à notre châtiment, mais plutôt à notre progrès et à notre salut. Nous croyons, sans la moindre hésitation, que si nous suivons les exemples des saints, nous régnerons, après cette vie, avec eux dans le ciel. Plus nous lisons la vie des saints, plus nous sommes coupables, si nous ne voulons pas suivre leurs exemples. Maintenant, vierge digne d'égards, je prie le Dieu tout-puissant de vous accorder les vertus de ces saints personnages, l'humilité de Jésus-Christ, la dévotion de saint Pierre, la charité de saint Jean, l'obéissance d'Abraham, la patience d'Isaac, la constance de Jacob, la chasteté de Joseph, la douceur de Moïse, la persévérance de Josué, la bonté de Samuel, la miséricorde de David, l'abstinence de Daniel et les autres mérites éclatants des anciens patriarches, afin que vous puissiez, après cette vie, entrer dans leur société.

44. Vierge du Christ, considérez chaque jour, par quelle règle, quelle intention et quelle componction, ces hommes du Christ ont plu à Dieu. Aussi dans le Cantique des cantiques il est dit à l'Église au nom de Jésus-Christ : c Que votre démarche est belle en vos chaussures, ô fille du prince (Cant. VII, 1). A Par la vertu de la divinité, Jésus-Christ est le roi de toutes les créatures: aussi la sainte Église est-elle appelée fine du prince, parce que, par la prédication de Jésus-Christ, elle est régénérée et reçoit une nouvelle vie. Quelles sont les chaussures de l'Église, sinon les exemples des saints qui nous protègent dans le chemin de ce siècle et nous font marcher à travers toutes les tribulations? Soeur aimable dans le Christ, nous chaussons spirituellement nos pieds, quand nous empruntons aux saints Pères des exemples de sainte vie, pour vaincre, comme eux, les tentations de ce monde. Dans le même Cantique des cantiques, le Christ, époux de l'Église, parle encore en ces termes : a Je suis descendu dans mon jardin, pour voir les fruits des vallées et constater si les vignes avaient fleuri, si les grenadiers avaient poussé (Cant. IV, 10). Les vignes sont en fleur, lorsque, dans le sein de l'Église, des enfants viennent d'être engendrés par la foi et sont préparés à une sainte vie comme è la solidité des bonnes oeuvres. Les grains du grenadier germent, quand les hommes parfaits édifient leur prochain par l'exemple de leurs bonnes couvres et les renouvellent dans la bonne vie qu'il ont récemment embrassée, par leurs prédications et les modèles de leur excellente conduite. Aussi, je vous invite, amie spirituelle dans le Christ, à donner, dans toute votre vie, de bons exemples à tous les hommes.

45. Vierge vénérable, mon désir est que, par votre sainte manière de vivre, vous soyez une lumière pour toutes les servantes de Dieu qui sont avec vous dans le monastère . parce que, comme le dit saint Grégoire, celui qui cache sa bonne conduite aux autres, a la lumière en lui-même, mais, il ne sert point à éclairer. Au contraire, ceux qui font briller la lumière. aux yeux, de leurs frères par l'exemple de leurs vertus, par la pratique de leur sainteté et par la parole de la prédication, sont des lampes ardentes, ils indiquent aux autres le chemin du salut. De là vient que le Seigneur dit : «Que votre lumière brille devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes couvres et glorifient votre Père qui est aux cieux (Matth. V, 16) : » parla raison qu'il faut rapporter toute gloire à Dieu seul. Vierge du Christ, je vous conseille néanmoins de faire vos œuvres du public, de telle sorte pourtant que votre intention reste cachée. Par conséquent, saur que je chéris extrêmement dans le Christ, comme je vous l'ai dit plus haut, dans toutes vos actions, dans toute votre conduite, dans toute votre manière de faire, imitez les saints, rivalisez avec les justes, ayez devant les yeux les exemples des amis du Seigneur, considérez-les, faites-en l'objet de votre imitation. Proposez-vous leurs exemples, qu'il vous excitent à observer la discipline. Considérez les vertus des saints afin de bien agir, afin de fournir une sainte carrière, qu'il n'y ait aucune ombre qui vous scandalise et qu'aucun sentiment opposé ne vous contriste. Apprenez à avoir le parfum d'une bonne renommée, ayez pour vous de bons témoignages du dehors, conservez votre bonne réputation, que nulle mauvaise exhalaison n'en altère la douceur, fut-elle ne soit déchirée par aucun propos de blâme. Ainsi-soit-il.

 

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XVII. — De la contention.

 

46. L'apôtre saint Paul dit : « puisqu'il y a parmi vous de l'âcreté et de la dispute, n'est--ce point une marque que vous marchez selon l'homme et que vous êtes charnels (I Cor. III, 3) ? » Salomon dit aussi : parmi les superbes, il y a toujours des dissensions, le méchant cherche toujours des disputes (Prov. XIII, 19). » L'ange mauvais est envoyé contre lui. Quiconque marche dans des passages difficiles, tombe bien vite, de même, celui qui chaque jour dispute avec les autres tombe promptement dans le scandale. Les hommes doux dédaignent constamment les procès : ceux qui se livrent quotidiennement aux dissensions et aux rixes, ont fort peu d'amis. Tous les hommes aiment la concorde et la paix, parce que ces deux biens sont nécessaires à tous. Soeur très-chère, entendez dire au bienheureux Augustin, que nous serions irrépréhensibles, si nous corrigions nos vices avec autant de zèle que nous corrigeons ceux des autres. Si nous nous considérons attentivement, il y a en nous beaucoup de choses à blâmer. Je veux que vous sachiez, qu'il n'y a rien de plus honteux que les procès entre religieux, qui devraient, par leur concorde et leur chute, briller dans le monde comme les astres dans le firmament. Les contentions ont d'ordinaire leur principe et leur source dans l'envie et la détraction, mais si la détraction et les disputes se trouvent dans le cloître, où trouver le recueillement religieux, la sainteté de la vie religieuse, le silence de la règle, l'aspect pieux du monastère, le lien de la charité, la paix de l'unité, la concorde de la fraternité, l'amour qui fait le charme de la vie en commun? O douleur! ce recueillement régulier a disparu, la sainteté de la vie religieuse s'est enfuie, le silence selon la règle de l’ordre a cessé, l'aspect religieux du monastère, a été réduit à rien, la charité fraternelle s'est perdue. Mais si ceux qui sont tenus de vivre en paix se mettent à se disputer, à se quereller, à se déchirer; où est la vie tranquille, la vie calme, la vie pacifique, honnête, modeste, chaste, contemplative, angélique? Assurément, il ne peut y avoir de paix parfaite là où règne une langue mordante; là. où dominent les rixes et les combats, on ne saurait trouver fane vie religieuse parfaite.

47. Veillez donc, soeur bien aimée, à ne pas perdre le prix de vos travaux par des disputes et des contentions. Prenez garde de consumer les jours de votre vie dans les distractions et les dissensions. Faites bien attention à ne point manquer par ce moyen l'effet des célestes promesses. Attachez-vous à ne pas vous priver des joies éternelles pour des paroles insensées. Retenez donc votre langue et vous serez religieuse, parce que sans cette précaution, vous ne le serez pas. Mais si par hasard vous n'ajoutez pas foi à mes paroles, entendez l'apôtre saint Jacques vous dire : «Si quelqu'un se croit religieux et ne retient pas sa langue, il trompe son coeur et sa religion est vaine. La langue est un membre bien petit dans le corps de l'homme, et pourtant si elle n'est pas bridée, elle souille et corrompt le corps entier (Jac. I. 26 et III, 5 et 6). » De même qu'un peu de levain fait fermenter toute la pâte, de même qu'une faible étincelle embrase une forêt entière ; ainsi, la langue, que ne retient aucun frein, scandalise tous les hommes, supérieurs et maîtres, compagnons et égaux, inférieurs et petits, et les provoque tous à la colère. Si une langue portée à la contention n'est pas contenue, aucun homme ne pourra vivre en paix avec elle. La langue portée à la discussion est pleine de venin : si on ne la châtie pas, elle causera la ruine de tous ses voisins. Soeur vénérable, c'est donc une chose excellente pour vous que d'éloigner votre langue du mal et le dol de vos lèvres.

48. Considérez d'où vous êtes venue, et pourquoi vous êtes venue. Vous êtes sortie du monde et vous vous ôtes enfuie vers les camps du Seigneur, c'est-à-dire dans un monastère : vous avez dédaigné les richesses du siècle et vous êtes accusée pour mériter les trésors célestes . voilà pourquoi vous avez fait choix de la pauvreté. Vous l'avez choisie gratuitement, aussi devez-vous livrer à l'oubli tout ce que vous avez abandonné à cause de Dieu. Prenez donc garde à ne point vouloir vous préférer aux autres: plus vous êtes élevée, plus vous devez vous abaisser en toute chose : laissez les réunions de conspirateurs et de détracteurs ; évitez les murmures et les plaintes sourdes ; n'écoutez pas les chuchotements, ne prêtez pas l'oreille aux murmures, fermez-la aux propos médisants, comme s'il s'agissait de serpents. Fuyez les détracteurs semblables à des vipères, ils versent un poison mortel dans l'oreille de ceux qui les écoutent. Celui qui dit le mal et celui qui l'écoute, pèchent également. Non-seulement celui qui dit du mal, mais encore celui qui l'écoute, commet une   faute. Vierge honorable, entendez ce que dit un homme parfait dans le Christ. « Je ne me suis point assis dans le conseil de la vanité et je n'entrerai jamais parmi ceux qui commettent l'iniquité (Psalm, XXV, 4). » Ne prenez donc point place dans les conseils de vanité, ne vous mêlez pas à ceux qui tiennent des propos méchants. Point de contention, point de disputes en quoi que ce soit. La contention amène les procès,éteint la paix du coeur, enfante les rixes, allume les flambeaux de la haine, détruit la concorde, et trouble l'œil de l'âme, ainsi que le dit David : « la fureur a troublé mon regard (Psalm. VI, 8). » Aussi, soeur aimable dans le Christ, je vous engage à ne disputer jamais en quelque sujet qu'il s'agisse; ni pour la nourriture, ni pour la boisson, ni pour le vêtement : recevez des mains de vos supérieurs, sans murmure aucun, ce qu'ils vous donnent : acceptez sans aigreur ce qu'ils vous destinent. Si une de vos soeurs a obtenu des habits meilleurs que les vôtres, n'en ayez nul souci. Si votre supérieure vous en a donné de vils et en a présenté de plus précieux à votre soeur, n'en prenez point sujet de murmurer. Que les vêtements de vos soeurs soient préférables, que les vôtre soient moins acceptables, n'y trouvez jamais sujet à discussion.

49. Dans aucun intérêt temporel, ne cherchez jamais ce qu'il y a de mieux, agissez-en ainsi dans les choses passagères et dans les affaires de ce monde. Pourquoi cela ? Parce que vous n'êtes point venue pour les richesses, mais pour la pauvreté ; vous n'êtes point venue dans le cloître, pour y briller de l'éclat d'habits précieux, mais pour servir Dieu en toute simplicité; vous ne vous ne vous est pas agrégée à un ordre, pour briller par vos habits aux yeux des hommes, mais pour plaire à Dieu par l'humilité ; vous n'avez pas été attachée à une congrégation sainte pour accomplir votre volonté, mais pour obéir à la volonté d'autrui et mépriser, pour l'amour de Dieu, les biens de la terre. Autrement, il eût mieux valu pour vous rester dans la maison de notre père que chercher des habits de prix dans un monastère ; goûter de la consolation dans la maison de vos parents; que l'exciter du scandale parmi les servantes de Dieu pour des choses terrestres et transitoires? rester dans votre pays, que disputer plaider ou murmurer dans la maison de Dieu pour des biens temporels. Aussi, ma chère soeur, comme je l'ai dit plus haut, en toute affaire ne vous efforcez que de plaire à Dieu. Amen.

 

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XVIII. De la discipline.

 

50. Salomon, ce roi très-sage a dit : « Écoutez, mon fils, la discipline de votre père et n'abandonnez point la loi de votre mère, afin que la grâce descende sur votre téte,et qu'un collier soit mis à votre cou (Prov. I, 8, 9). » « Observez la discipline et ne l'abandonnez pas (Prov. IV, 13). » Gardez-la, parce qu'elle est votre mère. Recevez-la et ne la rejetez point (Prov. VIII, 33). Celui qui déteste les châtiments, est insensé. Celui qui fait des reproches est dépourvu de sens. Celui qui méprise la discipline, pèche, et celui qui l'observe trouvera la vie. Quiconque ne la voudra pas observer, rencontrera la mort. Honte et pauvreté à qui l'abandonne. Quiconque se soumet à celui qui le corrige, sera glorifié (Prov. XIII, 18). L'insensé tourne en dérision la discipline de son père. Quant à celui qui tient compte des reproches, il est sage (Prov. XV, 5). » La pensée exprimée par la langue, fait plus d'effet au sage que cent           coups de fouet à l'insensé. « L'homme sage et discipliné ne murmure point contre celui qui le châtie. » Néanmoins le châtiment doit être modéré : aussi le bienheureux Ambroise nous dit-il : Celui qui est corrigé avec douceur respecte celui qui le corrige : quant à celui qui l'est avec cruauté, il perd la réprimande et le salut : il faut supporter avec une douce piété ceux qui, à cause de leur faiblesse, ne peuvent être gourmandés.

51. Eu égard aux diverses classes de pécheurs, il faut supporter les uns et châtier les autres , parce qu'il existe plusieurs sortes de péchés. Les prélats de l'Église doivent porter les sujets qu'ils corrigent et corriger ceux qu'ils portent. Voilà pourquoi Salomon fit sculpter sur les fondements du temple du Seigneur l'image d'un lion, d'un boeuf et d'un chérubin (III Reg. VII, 36). Que désignent les bases dans le temple, sinon les prélats dans l'Église ? Tous ceux qui acceptent la sollicitude du pouvoir sont semblables à des bases, et supportent le poids dont ils sont chargés. Le mot chérubin signifie plénitude de la science. Il y a un chérubin à la base du temple, parce que !es prélats de l'Église doivent être remplis de la science céleste. Le lion exprime la terreur qu'inspire la sévérité, et le boeuf la patience de la mansuétude : ainsi, sur les fondements du temple, les lions ne vont pas sans les bœufs, ni les bœufs sans les lions; attendu que les supérieurs, dans l'Eglise, doivent quelquefois corriger leurs inférieurs avec sévérité, d'autrefois avec douceur et parfois avec rudesse, tantôt en parole, tantôt en actions, car celui qui réprimandé avec douceur ne se  corrige pas, doit l'être avec rigueur. Il faut, en effet, traiter par la douleur, les plaies qui ne peuvent être guéries par la douceur. Celui qui, averti secrètement, néglige de se corriger de son péché, doit être gourmandé publiquement, et la blessure qui ne peut être guérie en secret, doit être traitée aux yeux de tous. On doit réprimander publiquement ceux qui font le mal publiquement, afin que, en les corrigeant par un reproche public, on corrige en même temps ceux qui les ont imités dans leur péché, en sorte que tandis que l'un est puni; tous les autres soient guéris. Mieux vaut, en effet, qu'un seul soit condamné pour le salut de plusieurs, que beaucoup soient exposés à cause de la licence d'un seul. Le bienheureux Grégoire dit aussi : Il en est plusieurs qui entendent des paroles de reproche et refusent de revenir à des sentiments de pénitence ; que chacun entende parler du royaume de Dieu qu'il doit aimer, et de l'enfer qu'il doit redouter, en sorte que si l'amour ne l'attire pas vers le royaume, il y soit conduit par la crainte. Saint Isidore a dit aussi : les justes reçoivent la réprimande avec douceur, lorsqu'ils sont repris à cause de leurs fautes.

52. Soeur très chérie, la discipline corrige les âmes, il ne faut point la mépriser : aussi devons-nous aimer nos prélats et recevoir avec bonheur leurs reproches, parce que, par leur sévérité et leurs réprimandes, ils ôtent de notre coeur nos propres volontés et les convoitises du monde. Aussi, au Cantique des cantiques, l'Église ou bien l'âme fidèle dit-elle, en parlant de ces mêmes prélats: « Les sentinelles qui gardent la cité m'ont rencontrée : ils m'ont frappée et m'ont blessée, les surveillants des murailles m'ont enlevé mon manteau (Cant. V, 7). » Par ces gardiens de la cité, nous entendons les prélats qui ont l'oeil sur l'état de l'Eglise et qui rencontrent aussi l'âme fidèle: ils la frappent par leurs prédications, par leurs exhortations et par leurs menaces, et la blessent des blessures de l'amour de Jésus-Christ. Ce n'est point assez, ils lui enlèvent aussi son manteau, c'est-à-dire, ils lui ôtent toute jouissance terrestre, toute richesse d'ici-bas, et l'envoient ainsi, lavée de ses péchés et dépouillée de biens, au royaume des cieux. Ainsi, ma chère soeur en Jésus-Christ, il est tout à. fait juste que nous aimions nôs supérieurs comme des pères, que nous recevions volontiers, de lent part, la discipline du salut, selon le conseil que David nous en donne en ces termes : « Attachez-vous à la discipline, de crainte que le courroux du Seigneur ne s'enflamme et que vous ne périssiez loin de la droite voie (Psal. II, 12). » En conséquence, si nous ne voulons pas périr loin du chemin qui conduit directement à la vie, nous devons nécessairement accepter la discipline. Quiconque ne l'accepte pas, périra loin du chemin de la justice; mais sans nul doute, celui qui s'y conformé, sera confirmé dans les sentiers de la justice. Je vous engage donc à présent, soeur vénérable, à accueillir volontiers la discipline, afin d'être délivrée de la colère du Seigneur et solidement établie dans le chemin de la justice. Rendez beaucoup d'actions de grâce à celui qui vous aura réprimandée : remerciez celui qui vous aura fait des reproches. Si l'abbesse ou la prieure vous gourmande pour votre bien, ne vous en contrastez point : quand on vous montrera la voie du salut, recevez avec reconnaissance les instructions qu'on vous donne, si on vous fait voir ce qui est expédient pour votre salut, ne soyez point rebelle. Aimez les soeurs qui vous reprennent au sujet de vos manquements. Aimez celles qui vous châtient à cause de vos négligences: soyez affectionné comme à une mère à celles qui vous réprimandent au sujet de vos fautes. Ne répondez point par des paroles injurieuses quand on voua châtiera. Ne répondez point par l'insulte à ceux qui vous reprennent. Ne rendez point le mal pour le bien. Ne récompensez point les bons conseils par des paroles d'aigreur. Pourquoi ? Parce que celui qui aime la discipline, aime la sagesse. Par conséquent, vous aussi, si vous aimez la discipline, vous serez sage; vous serez prudente, si vous souffrez les réprimandés avec patience: vous serez patiente, si vous supportez les corrections avec humilité.

53. Vierge digne d'égards, le Seigneur et nos supérieurs nous reprennent en cette vie, pour que nous ne soyons point condamnés avec ce monde. Il vaut beaucoup mieux pour nous être réprimandés en cette vie pour nos négligences, par ceux qui sont au dessus de nous, que d'être damnés dans la vie future; oui, mieux vaut être châtiés par eux en ce siècle pour nos manquements et nos fautes, que punis dans l'autre, oui, je le répète, soeur aimable dans le Christ, il est préférable pour vous d'être flagellée de la main de votre abbesse, que de souffrir dans l'enfer, de recevoir des coups de discipline de la main de votre abbesse ou de votre prieure que d'être tourmentée plus tard dans ces abîmes de feu, d'être châtiée corporellement par vos supérieures, que de souffrir les peines sans fin de l'enfer, de recevoir les coups de verges qu'elles vous donneront, que d'être consumée par les incendies éternels, dont vous délivrera, Celui qui vous a rachetée de son sang. Amen.

 

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XIX. — De l’obéissance.

 

54. Soeur très-chère, écoutez les paroles de l'apôtre saint Paul : « Il n'y a de pouvoir que celui qui vient de Dieu. Les puissances qui existent, ont été établies par lui. Par conséquent, celui qui résiste au pouvoir, résiste au Seigneur (Rom. XIII, 1). » Nous ne devons donc pas mépriser les autorités qui sont dans le monde ou dans l'Église, attendu que toutes ont été établies de Dieu. Quand donc, par désobéissance, nous faisons opposition à nos supérieurs, c'est à Dieu que nous nous opposons : quand, par orgueil et insubordination, nous sommes rebelles aux ordres qu'ils nous donnent, nous agissons contre les préceptes du ciel; quand nous sommes indociles et obstinés envers nos chefs, nous méprisons Dieu , qui a dit : « Quiconque vous écoute, m'écoute (Luc. X, 16), » c'est-à-dire quiconque vous obéit, m'obéit, et quiconque vous dédaigne, me dédaigne : par conséquent, soeur bien aimée dans le Christ, celui qui méprise son supérieur, méprise Jésus-Christ, et celui qui l'honore, honore le Seigneur; quiconque lui obéit, c'est au ciel qu'il obéit. Le prophète Samuel loue la vertu d'obéissance en ces termes : « L'obéissance est meilleure que le sacrifice, et il vaut mieux obéir qu'offrir la graisse des béliers, parce que regimber, c'est comme le péché de consulter les augures et ne point vouloir acquiescer est comme le crime d'idolâtrie (I Reg. XVII, 22), » ne point vouloir acquiescer, c'est-à-dire obéir. Marie, sœur d'Araon, qui, par orgueil, et par désobéissance, murmura contre Moïse son frère, et fut aussitôt frappée de la lèpre (Num. XII, 10), représente l'âme de quiconque murmure contre son supérieur         à qui il ne veut point obéir, et dont il ne veut pas recevoir les préceptes du salut. Et parce qu'il refuse de recevoir avec obéissance les ordres de son supérieur, il est frappé et souillé de la lèpre du péché. Il en fut de même de Coré, Dathan       et Abiron; ils s'élevèrent avec orgueil, avec obstination et désobéissance, contre Moise et Araon, et reçurent sur le champ le châtiment de leur audace, ainsi qu'il est écrit dans un psaume : « La terre s'entr'ouvit et engloutit Dathan, et elle ensevelit la faction d'Abiron (Psal. CV, 17). » Et encore : « Le feu s'est enflammé dans leur réunion, et la flamme a dévoré les pécheurs (Ibid. 18). » Le roi Ozias, ayant pris l'encensoir dans un mouvement d'orgueil, de désobéissance et d'audace, et essayé, contre la défense de la loi de Dieu, d'offrir un sacrifice, fut frappé de la lèpre par le Seigneur, et marqué d'une tache au front (II Paralipom. XXVI, 20). Saül, pour avoir été désobéissant, perdit la couronne et tomba entre les mains de ses ennemis (I Reg. XV, 23). Le prophète Jonas s'enfuit aussi par désobéissance, un pois son l'engloutit et l'emporta au fond de la mer (Jon. II, 1). Nous devons donc veiller à ne point nous révolter par désobéissance contre nos supérieurs, dans la crainte que le Seigneur, qui les a mis à sa place, ne nous visite dans sa fureur.

55. Vénérable soeur, Dieu a placé des prélats dans l'Église pour notre salut, afin qu'ils veillent pour nous, qu'ils lui rendent compte pour nous, et nous surveillent pour nous empêcher de faire le mal. De là vient cette parole de l'apôtre saint Paul : « Obéissez à vos supérieurs et soyez-leur soumis; car ils veillent, comme devant rendre compte pour vos âmes (Hebr. XIII, 17). » Les supérieurs doivent garder et gouverner le troupeau du Seigneur avec une grande vigilance et une extrême sollicitude; c'est d'eux qu'on lit dans le Cantique des cantiques : « Soixante des plus forts d'Israël entourent la couche de Salomon; ils ont tous des glaives, ils sont très-expérimentés dans la guerre, chacun d'eux a son épée suspendue à son côté, à cause des alertes de la nuit (Cant. III, 17). » Le véritable Salomon, c'est Jésus-Christ, car il est le vrai Pacifique: c'est lui qui a rétabli la paix entre Dieu et l'homme. Le lit de Salomon, c'est l'assemblée des fidèles, Dieu y habite et y prend son repos, soixante guerriers l'environnent, ce sont les prélats qui défendent, châtient, corrigent, réprimandent, gourmandent, vont et viennent et surveillent l'Eglise de Dieu contre les vices et contre ses ennemis visibles et invisibles. On dit qu'ils sont vaillants, parce que les prélats sont parfaits dans l'observation des commandements de Dieu ; ils tiennent tous des glaives, c'est-à-dire la parole spirituelle, parce que, dans leurs prédications, ils doivent réprimer les vices de ceux qui leur sont soumis. Ils sont très-habiles dans l'art de la guerre, parce qu'ils doivent être exercés à la guerre spirituelle. Chacun a son épée sur sa cuisse. Les prélats de la sainte Eglise ont leurs glaives au côté, attendu qu'ils doivent retrancher les vices, d'abord en eux et ensuite dans ceux qui sont sous leur conduite. Et toutes ces précautions, ils les prennent à cause des craintes nocturnes, c'est-à-dire à cause des embûches occultes des esprits malins, qui, durant la nuit de ce siècle, tendent des piéges, surtout aux saints prélats, afin que, après les avoir trompés, ils puissent souiller le lit de Salomon, je veux dire, la société des serviteurs de Dieu.

56. Soeur bien aimée, je vous ai dit tout cela, afin de vous faire connaître avec quel dévouement et quelle humilité nous devons obéir à nos supérieurs. L'obéissance est la seule vertu qui met les autres vertus dans l'âme et les y conserve après les y avoir mises ; c'est d'elle que Salomon a dit : « Mieux vaut l'obéissance que les victimes (Ecele. IV, 17) ; » parce que dans les victimes on immole une chair étrangère, tandis que par l'obéissance c'est sa propre volonté qu'on attache au gibet; aussi est-il dit que « l'homme obéissant parle de victoires (Prov. XXI, 28), » parce que celui qui, pour l'amour du Seigneur, obéit humblement à lac voix d'autrui, se surmonte lui-même en son coeur. Adam est tombé dans l'enfer parce qu'il fut désobéissant, et Jésus-Christ est monté au ciel parce qu'il obéit à son Père jusqu'à la mort. «Comme par la désobéissance d'Adam beaucoup sont devenus pécheurs, ainsi par l'obéissance de Jésus-Christ beaucoup sont devenus justes (Rom. V, 19), et, de même que, par la faute d'Adam, tous les hommes sont sous la sentence de mort, ainsi, par la justice de Jésus-Christ, tous les humains sont dans la justification pour la vie. » Et encore, de même que la désobéissance de notre premier père a engendré la mort, ainsi l'obéissance de Jésus-Christ a produit la vie. Ainsi donc, ma soeur bien-aimée, si, pour l'amour de Jésus-Christ, vous obéissez à vos supérieurs, vous régnerez dans le ciel avec Jésus-Christ. Ne prononcez jamais une parole contre votre mère, c'est-à-dire contre l'abbesse ou la prieure. Ne soyez jamais rebelle à vos supérieurs, ne leur faites d'opposition en aucune rencontre. Vénérez  les hommes d'une plus grande science on d'une meilleure vie que vous. Respectez chacun de vos frères selon que le mérite sa sainteté; à ceux qui sont dans un poste plus élevé, rendez de plus grands hommages. Honorez chacun selon sa dignité. Ne vous mettez pas de niveau avec ceux qui occupent des positions plus hautes. Rendez obéissance aux vieillards et courbez-vous humblement devant les ordres qu'ils vous donnent. Cédez à l'autorité de plus haut placés que vous. Rendez-leur les services auxquels ils ont droit. Obéissez à tous en ce qui est bien. O épouse du Christ, obéisse à l'homme, de manière à ne point aller contre la volonté de Dieu. N'obéissez jamais en ce qui est mal. N'obéissez point à ceux qui vous commandent de mal faire. Si on vous prescrit de mal faire, refusez d'obéir. N'obéissez jamais en chose mauvaise, quelle que soit l'autorité qui vous l'ordonne, quelque peine, quelque supplice ou châtiment qui vous menacent. Il vaut mieux mourir qu'obéir à l'iniquité. Mieux vaut être tué par les hommes, qu'être condamné au supplice éternel. Car on n'est point exempt de péché, pour avoir fait le mal qu'un autre nous prescrit. Par conséquent, soeur vénérable, soyez obéissante jusqu'à la mort et le Seigneur vous donnera la couronne de la vie. Amen.

 

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XX. — De la persévérance.

 

57. Très-chère soeur, entendez le bienheureux Jérôme vous dire Dans les chrétiens, ce que l'on cherche, ce ne sont, ni les commencements, ni les débuts, c'est la fin, c'est la persévérance. L'apôtre saint Paul a mal commencé, mais il a bien fini; Judas Iscariote débuta bien, mais finit mal. On loue les premiers temps de sa vie, on en blâme la fin. Aussi saint Grégoire dit-il : Le fruit de la bonne oeuvre, c'est la persévérance. C'est en vain qu'on pratique le bien, si on l'abandonne avant la fin de la vie. Le bienheureux Isidore dit aussi à ce sujet : Dieu ne juge point l'homme sur son existence passée, mais sur sa fin. En effet, au dernier jour de sa carrière, chacun sera justifié ou condamné; de là vient qu'il est écrit : « Où je te trouverai, je te jugerai. » La bienheureuse Madeleine mérita de voir la première le Christ ressuscité, parce qu'elle persévéra à le rechercher (Joan. XX, 11). Aussi lisons-nous dans le Cantique des cantiques : « Dans ma petite couche, durant les nuits, j'ai cherché celui qu'aime mon âme (Cant. III, 1). » Je vous engage donc, vierge honorable, à chercher de même Jésus-Christ, votre époux, dans votre petit lit, c'est-à-dire dans le repos de l'âme et dans le calme de la contemplation. Cherchez-le durant les nuits, c'est-à-dire dans cette vie, en soupirant après lui et en le désirant, afin de pouvoir le trouver parfaitement dans la vie future et le voir régner sur le trône de son père. Cherchez-le sans relâche par une sainte conduite, pour mériter de voir sa place dans le royaume céleste. Je vous prie, épouse du Christ, de dire avec le prophète David : « Mon âme a soupiré après le Dieu, fontaine vivante, quand viendrai-je, quand apparaîtrai-je devant le visage du Seigneur (Psalm. XLI, 3) ? » Votre âme a vraiment soif de Dieu, si elle l'aime par dessus tout, si elle méprise, par amour pour lui, toutes les choses de la terre. Votre âme en est réellement altérée, si elle brûle de le voir régnant à la droite de son Père. Le même prophète vous donne un autre avertissement en ces termes : « Cherchez le Seigneur et fortifiez-vous, et cherchez sa face sans relâche (Psalm. IV, 4), » c'est-à-dire dans la prospérité et dans la gêne, dans la pauvreté et dans l'abondance, dans la maladie et dans la santé, dans la jeunesse et dans la vieillesse. Nous devons chercher Dieu de tout notre esprit et de toute notre intention, afin de mériter de lui d'être confirmés dans une sainte vie, et de le trouver et de le voir dans le royaume des cieux. Purifions-nous de toute souillure de la chair et de l'esprit, il n'y aura, en effet, au jour de la révélation, que ceux dont le corps sera chaste qui pourront être élevés aux cieux; et ceux-là seuls dont le corps est pur, seront en état de voir la gloire de la majesté divine.

58. Sœur bien aimée, croyez-moi, ce n'est ni aux oisifs, ni aux vagabonds que sera donné le royaume des cieux, mais à ceux qui le cherchent, le demandent et qui frappent à la porte. Voici, en effet, comment s'exprime le Seigneur . « Demandez et vous recevrez : cherchez et vous trouverez : frappez et l'on vous ouvrira (Matth. VII, 7). » Il faut donc demander, dans nos prières, entrée au royaume des cieux, il la faut chercher en vivant saintement, il faut frapper à la porte en persévérant dans le service de Dieu. Il ne suffit point de commencer à bien faire, si, après avoir commencé comme il faut, on ne poursuit jusqu'à la fin de la vie : il vaut mieux, en effet, ne point connaître la voie de la justice, que de revenir en arrière après l'avoir connue (II Petr. II, 21). Aussi le Seigneur dit-il dans l'Evangile : « Nul mettant la main à la charrue et regardant derrière soi, n'est propre au royaume de Dieu (Luc. IX, 62). » Par conséquent, soeur vénérable, il faut frapper tous les jours les oreilles du Seigneur par l'expression de notre désir de l'éternelle béatitude; ne nous désistons point de la pratique du bien que nous avons commencé, jusqu'à ce que sa main divine, venant nous ouvrir, nous méritions d'être arrachés de ce corps de mort, et de parvenir à l'entrée de la céleste patrie. Soeur aimable dans le Christ, il est bon de persévérer dans le service de Dieu, parce que ceux qui sortent du monastère et rentrent dans le siècle, sont plus noirs que le charbon, oui ceux qui descendent de cette hauteur, dans le monde, sont noirs comme des charbons éteints. Pourquoi? Parce que, par leur torpeur dans l'amour de Dieu, ils sont morts et éteints par rapport à ce feu sacré. De là vient due le bienheureux Isidore s'écrie : ceux qui, après avoir mené une bonne conduite, cèdent à l'attrait du monde, se mettent à en mener fine mauvaise, sont couverts de ténèbres , souillés de la noirceur des vices, couverts de rouille et étrangers à l'éclat de la lumière de la clarté de Dieu. Quiconque fuit du monastère vers le siècle, se sépare de la société des anges et s'associe aux démons. Ceux qui abandonnent leur sainte congrégation, et s'abaissent, à une vie séculière, s'éloignent de la société de Dieu et se soumettent à l'empire du démon.

59. Soeur très-aimée dans le Christ, considérez ce que vous avez fait. Tous les jours remettez-vous en mémoire d'où vous êtes venue, pour quelle oeuvre vous êtes venue et par quel motif vous êtes venue. C'est pour l'amour de pieu que volts ayez quitté et méprisé tout ce qui est dans le monde et que vous avez choisi le monastère pour demeure. Vous avez acheté le royaume des cieux et vous vous êtes donnée vous-même en paiement. Veillez donc avec un soin extrême à ne pas perdre cette acquisition, mais à conserver pour toujours ce que vous avez désiré et souhaité. Veillez de ne point perdre le royaume dont vous avez été personnellement la solde. Entendez l'apôtre saint Paul vous dire ; «Nul ne sera couronné que celui qui aura légitimement combattu (II Tim. II, 5). » Or celui-là travaille légitimement qui persévère dans la pratique des bonnes oeuvres jusqu'à la mort, il combat le combat légitime, s'il persiste sans fraude et sans feinte dans le service de Dieu. Il sert dignement le Seigneur, s'il mène à bonne fin la tâche qu'il a entreprise. Il s'applique comme il faut aux saintes oeuvres, s'il achève ce qu'il a bien commencé. Aussi l'Eglise dit-elle, au Cantique des cantiques, en parlant de ceux de ses membres qui persévèrent dans le service de Dieu : « Les bois de nos maisons sont de cèdre, mais les lambris sont de cyprès (Cant. I, 16). » Les maisons de l'Eglise sont les assemblées des fidèles servant Dieu et persévérant dans son service. Le cèdre et le cyprès sont des arbres d'une nature incorruptible; ils désignent les saints qui brûlent, pour leur Créateur, d'une ardeur que rien ne lasse, que rient n'altère et qui persévèrent dans la pratique des bonnes couvres jusqu'au terme de leur vie. Par conséquent, soeur vénérable, soyez, vous aussi, un cyprès dans la maison du Seigneur, en persévérant dans la bonne conduite. Vous serez aussi un cèdre, si vous donnez des exemples de sainte vie à vos compagnes et si vous répandez parmi elles l'odeur de la bonne édification,

60. Vierge prudente, je vous ai dit ces choses, afin que vous méprisiez de tout votre esprit l'amour du siècle : je vous ai tenu ce langage, afin que vous ne veuillez jamais quitter la vie religieuse et retourner à celle du monde : mon but a été, en vous tenant ce discours, de vous porter à ne vouloir jamais abandonner la profession monastique, pour revenir au siècle, comme un chien à son vomissement. Je vous engage à rester tous les jours de votre vie dans le monastère et à ne soupirer jamais après la vie du siècle. L'avertissement que je vous donne, c'est d'aimer votre couvent avec une grande affection, et de renoncer de tout votre cœur au siècle. Demeurez à jamais dans la maison du Seigneur et ne cherchez point à rentrer dans le monde. Pourquoi cela? Parce que, c'est dans le monastère que se trouve la vie contemplative, et dans le siècle, la vie laborieuse : dans le monastère, la vie sainte; dans le siècle, la vie criminelle; dans le monastère, la vie spirituelle, dans le siècle, la vie charnelle; dans le monastère, la vie céleste, dans le siècle, la vie terrestre; dans le monastère la vie tranquille, dans le siècle, la vie agitée; dans le monastère, la vie paisible, dans le siècle, la vie de querelle; dans le monastère, la vie pacifique, dans le siècle, la vie pleine de dissensions; dans le monastère, la vie chaste, dans le siècle, la vie corrompue; dans le monastère, la vie parfaite, dans le siècle, la vie vicieuse; dans le monastère, la vie pleine de vertus, dans le siècle, la vie peuplée de vices; dans le monastère, la vie de sainteté, dans le siècle, la vie d'iniquité.

61. Soeur vénérable, vous venez d'entendre le bien qu'il y a dans le monastère, et le mal qui se trouve dans le siècle : vous avez vu les vertus qui sont dans le premier et les vices qui sont dans le second lé salut qui est dans le couvent, la perdition qui règne dans le monde: la vie d'un côté, la mort de l'autre. Vous avez donc maintenant devant vous, le bien et le mal (Eccli. XV, 18) : voici sous vos yeux la perdition et le salut de l'âme, la vie et la mort, l'eau et le feu, étendez la main et choisissez ce qui vous plait. Voilà d'un côté, le chemin du paradis, de l'antre, la route de l'enfer, la voie qui mène à la vie, et celle qui aboutit à la mort. Suivez donc celle que          vous voulez. La seule prière que je vous adresse, c'est de préférer la meilleure.

Mon frère, je suivrai votre conseil, c'est elle que je choisirai. Il est bon de me ranger à cet avis et de cheminer avec l'aide de Dieu dans la voie qui conduit au paradis.

Vierge honorable, je rends grâce à Dieu, de ce que vous choisissez la meilleure route. N'abandonnez jamais la sainte vie que vous avez embrassée. Conservez, tous les jours de votre existence, la bonne résolution que vous avez prise relativement à votre genre de vie. Votre oeuvre sera parfaite, si elle dure jusqu'à la fin. Le salut n'est promis qu'à ceux qui persévèrent, et la récompense n'est donnée qu'à ceux qui sont fidèles jusqu'au bout. On n'est pas bon parce qu'on fait bien, mais parce qu'on fait bien jusques à la fin. Si donc vous persévérez jusqu'au terme de votre vie dans les bonnes oeuvres, vous serez sauvée (Matth. XXIV, 13).

 

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