LETTRE XV
Précédente Accueil Remonter Suivante


rte de l'église 38 - CH-1897 Le Bouveret (VS)

LETTRE XV. (Année 390.)

 

Saint Augustin manque de tablettes ou de parchemins pour écrire. Il annonce à Romanien son livre sur la Vraie Religion, et l'exhorte à élever son âme au-dessus des biens temporels.

 

AUGUSTIN A ROMANIEN.

 

1. Cette lettre en vous prouvant que je manque de papier, ne doit pas vous donner à penser que'1è, sois plus riche en parchemin. J'ai écrit à votre oncle sur les tablettes d'ivoire que j'avais, et, quant à vous, vous pardonnerez facilement à cette petite peau; ce que je devais dire à votre oncle ne pouvait pas se différer, et il eût été fort mal de ne pas vous écrire aussi mais s'il reste chez vous des tablettes qui m'appartiennent, envoyez-les moi pour des besoins de ce genre. J'ai composé quelque chose sur la religion catholique (1), autant que le Seigneur a daigné me le permettre; je veux vous l'envoyer avant d'aller vers vous, si toutefois le papier ne me manque point. Vous vous contenterez d'une écriture quelconque, sortie de l'officine de ceux qui sont avec moi. Des ouvrages dont vous me parlez, je ne me rappelle que les livres de l'orateur; mais je n'ai pu vous répondre rien de plus, que de vous engager à prendre vous-même ce qui vous conviendrait : c'est toujours mon sentiment; absent je ne trouve pas à faire davantage.

2. J'ai été charmé que, dans votre dernière lettre, vous ayez bien voulu me faire part de votre joie domestique; mais m'ordonnez-vous d'ignorer ce qu'il en est de la face d'une « mer tranquille et des flots en repos(1) ? » Et je sais que vous ne me l'ordonnez pas et que vous ne l'ignorez pas. Si quelque loisir vous est donné pour penser plus sérieusement que vous ne l'avez fait jusqu'à ce jour, profitez d'une faveur aussi divine. Quand ces choses nous arrivent, ce n'est pas nous-mêmes qu'il faut féliciter, mais ceux-là par qui elles nous viennent; l'administration juste et charitable des biens temporels, accompagnée de calme et de paix, peut nous valoir la récompense des biens éternels, si nous possédons ces richesses sans qu'elles nous possèdent, si leur accroissement n'embarrasse pas notre vie, si lorsque

 

1. Le livre de la Vraie Religion. Voyez l'Histoire de saint Augustin, chap. VIII, ci-dessus, p. 49-51.

1 Virgile, Enéide, V.

 

534

 

nous croyons les maîtriser, elles ne nous enveloppent pas. Car il a été dit par la bouche même de la Vérité : « Si vous n'avez pas été fidèle dans ce qui n'est point à vous, qui vous donnera ce qui vous appartient (1) ? » Dégageons-nous donc du souci des choses changeantes pour chercher des biens solides et certains : prenons notre vol plus haut que nos terrestres richesses. C'est surtout pour échapper à l'abondance de son miel que l'abeille a des ailes; il tue celle qui s'y enfonce.

 

 

1. Luc, XVI, 12.

 

 

 

Précédente Accueil Remonter Suivante