LETTRE XVI
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LETTRE XVI. (390).

 

Le païen Maxime de Madaure (2) soutient que les polythéistes adorent un seul Dieu sous différents noms; il s'indigne qu'on préfère des hommes morts aux dieux des Gentils, et se moque de certains noms puniques; il reproche durement aux chrétiens leur vénération pour les tombeaux des martyrs et désapprouve ce qu'il y avait de caché dans la célébration de leurs mystères. Cette lettre d'un païen du quatrième siècle est très-curieuse.

 

MAXIME DE MADAURE A AUGUSTIN.

 

l. Comme j'aimerais à recevoir fréquemment de vos lettres et que j'ai récemment senti tout le sel de vos paroles sans que l'amitié pourtant en fût blessée, je persiste à vouloir vous rendre la pareille, de peur que vous ne preniez mon silence pour un dépit. Mais si mon langage vous semblait trahir trop visiblement ma vieillesse , je vous demanderais de me prêter une oreille indulgente.

Quand la Grèce nous conte que le mont Olympe est la demeure des dieux, on n'est pas obligé de l'en croire. Mais nous voyons et nous croyons que la place publique de notre ville est habitée par des divinités bienfaisantes. Qui serait assez insensé, assez dépourvu d'esprit pour nier l'existence d'un Dieu unique, d'un Dieu sans commencement et sans lignée,père puissant et magnifique de tous? Nous adorons sous des noms différents ses perfections répandues dans le monde qui est son ouvrage, car son nom véritable nous est inconnu, à tous tant que nous sommes; car Dieu est un nom commun à toutes les religions; et tandis que la diversité de nos prières s'adresse en quelque sorte à chacun de ses membres en particulier, il semble que notre adoration le comprend tout entier.

2. Mais je ne vous cacherai pas qu’il est de grandes erreurs que je ne saurais supporter. Comment

 

2. L'emplacement de Madaure est aussi exactement connu que celui de Thagaste. Les ruines de Mdaourouche, à 28 kilomètres au sud de Souk-Arras, nous représentent la position de la ville où saint Augustin commença à étudier les belles-lettres. Madaure avait le titre de colonie; ses vestiges sont assez considérables. Au-dessus de la porte d'un château de construction byzantine, on lit une inscription grecque et latine qui nous apprend que ce château date de Justinien et de Théodora, et qu'il a été bâti par les ordres de Patrice Salomon, successeur de Bélisaire.

 

tolérer qu'on préfère un Mygdon à Jupiter qui lance le tonnerre, une Sanaë à Junon, à Minerve, à Vénus, à Vesta, et l'Archimartyr Namphamon (1) (ô crime !) à tous les dieux immortels Parmi ces nouveaux et étranges personnages, Lucitas n'est pas en petit bonheur. Que d'autres dont on ne pourrait pas dire le nombre, et qui, portant des noms en horreur aux dieux et aux hommes, chargés de crimes et voulant en ajouter encore sur leurs têtes, ont trouvé une mort digne de leur vie avec les apparences d'une mort glorieuse! Des fous, si tant est qu'on daigne le rappeler, visitent leurs tombeaux, en délaissant les temples, en négligeant les mânes de leurs ancêtres : ainsi s'accomplit le vers prophétique du poète indigné :

 

Rome, invoquant Dieu dans ses temples, a juré par des ombres (2).

 

Et quant à moi, il me semble retrouver cette bataille d'Actium où les monstres d'Égypte osaient lancer contre les dieux des Romains des traits peu redoutables.

3. Mais je vous demande, b vous, homme si sage, de mettre de côté cette vigoureuse éloquence qui vous place au-dessus de tous, ces. raisonnements dont vous vous armez à la manière de Chrysippe et cette dialectique dont les nerveux efforts ne laissent à personne rien de certain, pour me dire quel est ce Dieu que vous autres, chrétiens, vous déclarez être le vôtre, et que vous dites voir présent dans des lieux cachés : C'est en plein jour que nous autres nous adorons nos dieux ; lorsque nous leur adressons nos prières, les oreilles de tous-les mortels peuvent les entendre; nous nous les rendons propices par de doux sacrifices, et nous voulons que cela soit vu et approuvé de tous.

4. Faible vieillard, je ne dois pas pousser plus loin cette lutte, et je me range volontiers à cette pensée du rhéteur de Mantoue :

 

Chacun suit son plaisir (3).

 

D'après cela, je ne doute point, homme rare qui vous êtes séparé de ma religion, que cette lettre, si elle vient à être dérobée, ne périsse dans les flammes ou de toute autre manière. Si cela arrive, le papier seul sera perdu et non point notre parole, car j'en garderai toujours l'original dans l'âme de tout homme vraiment religieux. Que les dieux vous conservent, ces dieux par lesquels, nous tous qui sommes sur la terre, nous honorons et nous adorons de mille manières différentes, mais dans un même accord, le père commun des dieux et de tous les mortels.

 

1. Il faut lire ici dans le texte Namphamonem au lieu de Namphanionem. Saint Namphamon, le premier martyr de l'Afrique, fut mis à mort à Madaure.

2. Lucain.

3. Virgile, Eglogue III.

 

 

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