PREMIÈRE SÉRIE. LETTRES I - XXX.
LETTRES ÉCRITES PAR SAINT AUGUSTIN AVANT SA PROMOTION A LÉPISCOPAT.
Hermogénien était un ami des jeunes années de saint Augustin ; notre Saint, dans ses premières et déjà si belles études philosophiques, aimait à recueillir les jugements de cet ami. Nous ayons dit, dans l'Histoire de saint Augustin, ce qu'étaient les philosophes désignés sous le nom d'Académiciens, et nous avons analysé, l'ouvrage que notre docteur leur a consacré, ci-dessus, page 16-20. Dans cette lettre, il assure qu'il a plutôt voulu les imiter que les combattre. Si les fondateurs de cette école ont voilé la vérité, c'était. pour la soustraire aux . profanations des hommes grossiers c'est aussi dans l'intérêt de la vérité qu'Augustin démontre, à ses contemporains indolents, la possibilité de la connaître avec certitude.
Saint Augustin adresse à son ami Zénobe quelques mots de philosophie et d'amitié. Il avait commencé avec lui une discussion philosophique qu'il avait fallu interrompre ; il lai exprime le désir de reprendre d'aussi utiles entretiens.
Nébride, ce doux ami dont le nom se mêle au souvenir de saint Augustin, écrivait souvent à celui qu'il écoutait comme un maître; « vous êtes heureux » lui avait-il dit dans une de ses lettres; ce mot frappe Augustin qui demande comment et pourquoi il est appelé heureux. Il assure qu'il n'est pas heureux puisqu'il ignore beaucoup de choses, spécialement pourquoi le monde est tel qu'il est (1). Et s'il paraît heureux c'est sans doute pour avoir découvert une manière de prouver que l'âme est immortelle et ne doit pas s'attacher aux choses sensibles (2).
Saint Augustin parle à Nébride de ses progrès de solitaire dans la contemplation des choses éternelles.
Nébride déplore que les affaires des gens de la ville (1) détournent trop souvent Augustin de la contemplation.
Admiration de Nébride pour les lettres de saint Augustin. Il pose des questions sur la mémoire et l'imagination. Il lui semble qu'il ne peut y a1bir de mémoire sans imagination, et que ce n'est pas des sens, mais plutôt d'elle-même que limagination tire les images des choses.
Saint Augustin examine les deux questions agitées par Nébride. Le texte présente des obscurités qui tiennent aux difficultés de la matière, et que Nébride ne comprit pas lui-même à la première lecture, comme le lui dit saint Augustin (1) - Tout le monde n'étant point initié à cette métaphysique, le lecteur instruit nous permettra, en faveur de ceux qui le sont moins, d'exposer ici, sous forme d'analyse , les raisonnements qui soutiennent la double thèse développée dans cette lettre.
Première question. Il n'est pas vrai, comme le dit Nébride, que la mémoire n'agisse jamais sans l'imagination. En effet, la mémoire a pour objet, non-seulement ce qui est passé , mais encore ce qui demeure (2). Or, parmi les choses qui demeurent, il en est, comme l'éternité, que nous nous rappelons sans nous les figurer par l'imagination. Donc, la mémoire agit, au moins quelquefois, sans le concours de l'imagination (3).
Seconde question. Il n'est pas vrai non plus, comme le dit également Nébride, que l'âme se représente les objets corporels, sans le secours des sens, et cela, pour deux raisons. Voici la première : Si l'âme pouvait par elle-même et avant de faire usage des sens , se figurer les objets corporels , il s'en suivrait que les fantômes formés pendant le sommeil ou dans l'esprit des aliénés, sont plus fidèles que les images apportées par les sens dans l'âme des hommes qui veillent et qui jouissent de leur intelligence : ce qui est manifestement faux. Donc il est faux aussi que, sans avoir fait usage des sens, l'âme puisse se représenter les objets corporels (4). Autre raison : Nous pouvons diviser les images en trois espèces : les images imprimées par les sens, les images supposées, et les images approuvées (5). Or, il est certain que les premières, comme leur nom l'indique, viennent par les sens et non par l'imagination. Quant aux secondes, celles que forme l'imagination, et aux troisièmes, celles que forme la raison, elles sont entièrement fausses. Donc ce n'est pas l'âme, ce sont les sens qui peuvent seuls nous représenter exactement les objets sensibles (6).
Objections. Ne vous étonnez pas que nous nous figurons souvent ce que jamais nous n'avons vu. C'est que l'esprit a le pouvoir d'amplifier les images perçues parles sens, non de les concevoir sans eux (7). Ne vous étonnez pas non plus que l'âme ne se représente fidèlement que ce qu'elle a vu. Car nous-mêmes, avant d'exprimer nos sentiments, avons besoin d'être frappés par l'objet qui les produit.
Conclusions. Puisque notre âme agit souvent sans ces images corporelles, et que ces images ne sont produites que par les sens, ne croyez pas que le corps lui vienne de ce qu'elle les a formées, comme l'enseignent faussement les :Manichéens. De plus, ne vous attachez pas à leurs fantômes trompeurs : comment résister à la tyrannie des sens en les flattant dans leurs désordres (8) ?
Nébride demande à Augustin comment les puissances célestes peuvent nous envoyer pendant le sommeil des visions et des songes.
Saint Augustin répond à Nébride sur les questions précédentes. S'il est vrai, dit-il, que les mouvements de l'âme laissent toujours dans le corps une empreinte, et que cette empreinte, à son tour, puisse réagir sur l'âme; pourquoi les démons qui la voient sans aucun doute, ne s'en serviraient-ils pas pour nous inspirer des pensées et des songes?
Nébride rêvait une vie loin du monde avec son ami Augustin; la séparation lui pesait; vivre avec ce cher maître, c'était son désir, son besoin; il lui semblait qu'Augustin négligeait les moyens de réaliser ce doux rêve. Augustin, dans la lettre suivante, répond aux plaintes affectueuses de son ami; et lui rappelle combien la retraite est nécessaire à la paix chrétienne, on va voir avec quel intérêt et quel charme.
Pourquoi le Fils de Dieu s'est-il seul fait homme, tandis que les trois personnes divines sont inséparables? Après avoir rappelé que ces trois personnes sont inséparables en Dieu, comme l'être, la forme et le désir de la conservation sont inséparables dans toute nature (1), saint Augustin répond à Nébride que l'Incarnation devant présenter aux hommes une règle vivante, il convenait que la personne incarnée fût la seconde, puisque son caractère propre est d'être la règle même, et l'intelligence qui éclaire : et de même qu'en demandant quelle est la nature d'une chose, on demande implicitement, et si elle est et quelle en est la valeur; ainsi, en connaissant le Fils, on est conduit à connaître le Père, principe unique de tout être, et à connaître l'Esprit-Saint, dont l'ineffable onction nous porte à mépriser ce qui est mortel pour nous attacher à ce qui est éternel (2).
Saint Augustin, après un préambule familier, revient à la question précédemment traitée, mais la suite et la fin de cette lettre ne nous sont point parvenues.
Sur la question de savoir si l'âme n'aurait pas avec elle quelque chose comme un corps et dont elle ne serait jamais séparée. La curiosité de Nébride s'était portée jusque sur ce point, et saint Augustin, dans ses conversations avec son ami, s'y était arrêté. Il consent à en dire ici quelques mots, tout en déclarant que de telles questions ne doivent pas nous occuper.
Réponse à d'autres questions de Nébride. Pourquoi le soleil ne fait-il pas la même chose que les autres astres? Si la vérité suprême renferme la raison de chaque homme. Belles pensées de saint Augustin sur le Christ et sur la création.
Saint Augustin manque de tablettes ou de parchemins pour écrire. Il annonce à Romanien son livre sur la Vraie Religion, et l'exhorte à élever son âme au-dessus des biens temporels.
Le païen Maxime de Madaure (2) soutient que les polythéistes adorent un seul Dieu sous différents noms; il s'indigne qu'on préfère des hommes morts aux dieux des Gentils, et se moque de certains noms puniques; il reproche durement aux chrétiens leur vénération pour les tombeaux des martyrs et désapprouve ce qu'il y avait de caché dans la célébration de leurs mystères. Cette lettre d'un païen du quatrième siècle est très-curieuse.
Saint Augustin, dans sa réponse à Maxime de Madame, mêle à de fines railleries d'utiles leçons.
Trois genres de natures.
Saint Augustin avait eu avec un personnage nommé Gains, et qui n'était pas encore chrétien, des entretiens sur la religion; il lui trouvait de la pénétration, un goût sincère pour la vérité : il lui avait inspiré de bons desseins. Saint Augustin lui envoie ses ouvrages pour achever de le convaincre et finit par exprimer l'espoir de le voir enfant de l'Eglise. On y trouvera des lignes admirables sur l'expression de la vérité dans les oeuvres de l'homme.
Antonin était un fervent catholique dont toute la famille n'était pas restée fidèle à l'unité; il parait que sa femme s'était laissée aller aux erreurs du donatisme. Saint Augustin, dans cette lettre, souhaite que toute la famille d'Antonin se réunisse dans la même foi; au sujet des louanges qu'Antonin lui avait données, saint Augustin exprime de belles idées sur l'estime affectueuse qu'on témoigne à ceux qu'on croit gens de bien.
Voici une admirable lettre bien digne de rester toujours présente à la pensée de ceux qui se destinent au sacerdoce; saint Augustin, ordonné prêtre malgré ses résistances, supplie le vieil évêque d'Hippone de lui accorder un certain temps pour se préparer au saint ministère et ne parle qu'avec effroi de la charge imposée à sa faiblesse.
Cette lettre où l'âme, le caractère et l'humilité de saint Augustin se peignent si bien, est également curieuse pour l'histoire des chrétiens d'Afrique à cette époque; notre saint déplore des usages grossiers et coupables, sous apparence de religion, dans les cimetières et sur les tombeaux des martyrs, et supplie l'évêque de Carthage de remédier à ces détestables abus. Il se plaint de trouver jusque dans le clergé l'esprit contentieux et le goût des louanges humaines, et parle de l'amour des louanges avec l'élévation du sentiment chrétien et la profondeur du moraliste.
Saint Augustin s'adresse à Maximin, évêque donatiste, qu'on accusait d'avoir rebaptisé un diacre catholique; il lui demande des explications à cet égard et l'invite à des conférences de vive voix ou par lettres. Son langage respire le désir de la paix, lardent amour de l'unité et de la vérité, et parfois s'élève jusqu'à l'éloquence.
Nos lecteurs savent combien le nom de saint Paulin se mêle au souvenir de saint Augustin; la lettre qu'on va lire, adressée à Alype, alors évêque, est un charmant et curieux monument des vieux temps chrétiens; ces saints personnages, qui ne se connaissent que par l'âme et une foi commune, qui se demandent comment ils sont arrivés au christianisme et où ils sont Vis, saisissent profondément notre imagination et notre coeur. Alype avait envoyé à Paulin un ouvrage de saint Augustin, et Paulin envoie à Alype une copie de la chronique d'Eusèbe de Césarée.
Voici encore une lettre de saint Paulin; elle est adressée à saint Augustin lui-même. Paulin exprime son admiration pour l'ouvrage qu'il avait reçu d'Alype, et ses paroles nous donnent la mesure des sentiments qu'inspirait le prêtre Augustin. On remarquera avec quelle humilité profonde saint Paulin parle de lui-même.
On se souvient de Licentius, qui avait été un des disciples de saint Augustin dans la retraite de Cassiacum, aux environs de Milan (1); ce noble et docte jeune homme ne marchait pas comme son maître l'aurait souhaité; saint Augustin l'exhorte au mépris du monde et lui remet sous les yeux une pièce de vers qu'il avait précédemment reçue de ce jeune ami qui s'égarait. Saint Augustin est éloquent et touchant dans ses conseils et ses tendres inquiétudes.
Saint Augustin met tout le parfum de son âme et de son génie dans cette réponse à saint Paulin. Il lui parle de trois de ses meilleurs amis : Romanien, Alype et Licentius. Saint Augustin est toujours charmant et touchant, quand l'amitié l'inspire.
Après quelques lignes d'un grand charme sur son ami Alype, saint Augustin, dans cette première lettre à saint Jérôme, regrette que l'illustre solitaire de Bethléem ait entrepris une nouvelle version des saintes Ecritures après la Septante; ses appréhensions à cet égard n'étaient pas justifiées. On sait que les traductions de saint Jérôme sont connues et consacrées dans l'Eglise sous le nom de Vulgate, et que c'est le concile de Trente qui leur a donné ce nom. Nous avons raconté dans l'Histoire de saint Augustin la célèbre dispute du docteur d'Hippone avec le solitaire de la Palestine, au sujet d'un passage de l'Epître aux Galates; on trouvera ici le sentiment de saint Augustin sur cette question; la discussion se déroulera dans la suite des Lettres.
Des festins désordonnés avaient lieu dans les églises d'Afrique aux jours solennels des fêtes des saints. Saint Augustin, encore simple prêtre, chargé par Valère de la prédication de la parole divine, voulait faire cesser une coutume aussi opposée à l'esprit chrétien. Il l'entreprit et y parvint par son éloquence. On verra dans cette lettre l'intéressant et dramatique tableau du prêtre armé des saintes Ecritures, en face d'un peuple fortement attaché à un usage où les appétits grossiers étaient en jeu. La vérité et les passions sont en présence, l'émotion va croissant, les larmes de l'auditoire précèdent les larmes de l'orateur, et l'éloquence remporte une de ses plus belles victoires. Mais avec quelle sainteté Augustin nous raconte cette journée!
Les lettres de saint Paulin se distinguent par le sentiment et par l'élévation spirituelle; son âme touchait en quelque sorte celle de saint Augustin; c'est un des côtés par où saint Paulin nous plaît le plus; ce tendre spiritualisme se retrouve tout entier dans la lettre qui suit.