|
LETTRE CXXVIII. (Année 411.)
La lettre suivante, rédigée par saint Augustin, fut adressée au nom des évêques catholiques de l'Afrique au tribun Marcellin, chargé de présider la conférence de Carthage du 1er juin 411, convoquée au nom de l'empereur Honorius. On peut voir dans notre Histoire de saint Augustin un récit complet de cette conférence d'où lon avait espéré que sortirait la paix de l'Église d'Afrique. Cette lettre était, de la part des catholiques, comme l'acceptation des conditions et des règlements de l'assemblée; en tête figurait le nom d'Aurèle, évêque de Carthage, et le nom de Sylvain, primat de Numidie, qui se trouvait. le plus ancien d'ordination. Les évêques catholiques offraient de renoncer à leurs sièges si les donatistes parvenaient à prouver qu'ils eussent raison; ils consentaient à ce que les évêques de ce parti, s'ils étaient vaincus, gardassent leur dignité en rentrant dans l'unité de l'Église. Ces offres généreuses sont un beau souvenir pour l'Église d'Afrique.
AURÈLE, SYLVAIN ET TOUS LES ÉVÊQUES CATHOLIQUES A LEUR HONORABLE ET TRÈS-CHER FILS, L'ILLUSTRE (1) TRIBUN ET SECRÉTAIRE MARCELLIN.
1. Nous vous déclarons, par cette lettre, comme vous avez bien voulu le demander, que nous acceptons de tout point l'édit de votre excellence, qui assure la tranquillité et la paix des délibérations de l'assemblée et pourvoit aux moyens de manifester et de défendre la vérité; nous souscrivons à ce que vous avez réglé sur le lieu et le temps, et sur le nombre de ceux qui devront être présents. Nous consentons aussi que ceux à qui nous donnons commission de conférer signent leurs discours. Dans l'acte par lequel nous leur imposons cette charge; et promettons de ratifier ce qu'ils auront fait, non-seulement vous aurez nos signatures, mais vous nous verrez signer vous-même. Avec l'aide du Seigneur nous obtiendrons du peuple chrétien, dans l'intérêt du repos et de la tranquillité de l'assemblée, qu'il s'en tienne éloigné et qu'il ne se hâte pas de vouloir apprendre ce qui sera fait au moment même, mais qu'il en attende le récit par écrit, comme vous l'avez promis à tous. 2. Confiants dans la vérité, nous nous
1. Le texte porte : spectabili. C'était un terme de respect et d'honneur dont on usait à l'égard des grands personnages de l'empire à cette époque.
261
obligeons, si ceux avec qui nous avons affaire peuvent prouver que l'Eglise du Christ a tout à coup péri par les crimes de je ne sais qui, et n'est plus restée que dans le parti de Donat, lorsque déjà, selon les promesses de Dieu, les peuples chrétiens couvraient une grande partie de l'univers et s'étendaient pour le remplir tout entier; si, disons-nous, ils peuvent le prouver, nous nous obligeons à ne conserver parmi eux aucun des honneurs de la dignité épiscopale, mais, pour notre salut éternel, nous suivrons le conseil de ceux à qui nous devrons le bienfait insigne de connaître la vraie foi. Si, au contraire, nous parvenons à montrer que l'Eglise du Christ, répandue non-seulement en Afrique, mais encore dans les pays d'outre-mer et au milieu d'un grand nombre de nations, produisant des fruits et croissant dans le monde entier, comme il est écrit (1), n'a pas pu périr parles péchés de quelques hommes; si nous prouvons que c'est une question jugée que celle de ces évêques catholiques accusés mais jamais convaincus par leurs ennemis, et d'ailleurs la cause personnelle de ces évêques n'était pas la cause de l'Eglise ; si nous établissons que Cécilien fut innocent et que ses accusateurs furent déclarés coupables de calomnie par l'empereur même dont ils avaient invoqué le jugement; enfin si, en réponse à ce qu'ils ont dit sur de prétendus crimes, nous démontrons l'innocence des accusés à l'aide de témoignages humains, et si nous faisons voir, avec les preuves divines, que l'Eglise du Christ, à la communion de laquelle nous sommes unis, n'a été détruite par les péchés de qui que ce soit, nous consentons qu'en rentrant dans notre unité, les donatistes retrouvent la voie du salut sans perdre les honneurs de l'épiscopat. Nous ne détestons pas en eux les sacrements de la vérité divine, mais les inventions des erreurs humaines ; ôtez ces erreurs, nous embrasserons nos frères revenus à nous par la charité chrétienne : maintenant nous sommes séparés d'eux par un schisme diabolique. 3. Chacun de nous se trouvant alors dans son église avec un collègue, nous occuperions tour à tour le premier rang, comme on a coutume de le faire avec un évêque étranger. Les deux évêques possédant tour à tour les mêmes droits dans leur église, ils se préviendraient mutuellement; là où le précepte de la charité
1. Coloss. I, 6.
dilaterait les coeurs, la paix serait aisée à garder; une fois l'un des deux évêques mort, le survivant demeurerait seul et la succession aurait lieu selon l'ancienne coutume. Cette convention ne serait pas une nouveauté; elle a été observée par la charité catholique depuis le commencement du schisme, à l'égard de ceux qui condamnant cette dissension impie sont revenus à la douceur de l'unité, quelque tardif qu'ait été ce retour. S'il arrivait par hasard que les peuples chrétiens aimassent mieux avoir un seul évêque et qu'ils repoussassent comme une chose insolite la présence permanente de deux évêques, quittons notre siège les uns et les autres, et, le schisme condamné et l'unité refaite, que les évêques des églises où il y en aurait un seul en choisissent un, un seul pour chaque église où il s'en serait trouvé deux auparavant. Pourquoi hésiterions-nous à offrir à notre Rédempteur ce sacrifice d'humilité ? Il est descendu des cieux et a pris un corps pour que nous soyons ses membres; et nous, pour empêcher que ses membres ne soient déchirés par une cruelle division, nous craindrions de descendre de nos sièges ! Il nous suffit, à nous, d'être des chrétiens fidèles et obéissants : soyons-le donc toujours. Nous sommes ordonnés évêques pour les peuples chrétiens, servons-nous de notre épiscopat pour les ramener à la paix. Si nous sommes des serviteurs utiles, pourquoi sacrifier à nos grandeurs temporelles l'éternel avantage du Maître? Si, en déposant la dignité épiscopale, nous réunissons le troupeau du Christ, elle nous sera plus profitable que si nous la conservions en contribuant à la dispersion du troupeau. De quel front attendrions-nous dans le siècle futur les honneurs promis par le Christ, si dans ce siècle-ci nos honneurs empêchaient l'unité chrétienne ? 4. Nous avons voulu écrire ces choses à votre Excellence afin que, par vous, elles soient connues de tout le monde. C'est le Seigneur notre Dieu qui nous a inspiré de faire ces promesses; c'est avec son aide que nous avons la confiance de les remplir; nous lui demandons de guérir ou de dompter, par une pieuse charité, avant la réunion de l'assemblée, les coeurs infirmes ou rebelles : nous n'apporterons ainsi qu'un esprit pacifique à la recherche de la vérité, et la concorde précédera ou au moins suivra nos discussions. Si les dissidents se rappellent que les pacifiques sont heureux parce qu'ils seront (262) appelés enfants de Dieu (1), nous ne devons pas désespérer qu'ils trouvent plus digne et plus facile 'de réconcilier le parti de Donat avec l'univers chrétien, que de faire rebaptiser l'univers chrétien par le parti de Donat; nous devons d'autant moins perdre espoir, que les donatistes ont accueilli avec grand amour ceux qui sont revenus de la secte sacrilège de Maximien, secte condamnée par eux et contre laquelle ils avaient appelé les lois des puissances séculières; dans ce fraternel accueil, ils n'ont pas osé annuler le baptême donné par les maximianistes ; ils ont reçu dans leurs rangs, sans toucher à leurs dignités, quelques-uns d'entre eux après les avoir condamnés , et ont même pensé que quelques autres n'avaient contracté aucune souillure dans leur communion avec cette secte impie. Leur bon accord entre eux ne nous déplaît pas; mais il faut qu'ils comprennent combien que le tronc catholique a raison de rechercher pieusement la branche dont il est séparé , puisque cette branche elle-même a mis tant de soins à se réunir au petit rameau qui en avait été retranché. (Et dune autre main:) Nous vous souhaitons, notre fils, de votes bien porter dans le Seigneur. J'ai signé cette lettre, moi, Aurèle, évêque de l'Eglise catholique de Carthage. (Et encore d'une autre main:) J'ai signé, moi, Silvain, l'ancien (2), de l'Eglise de Summa.
1. Matth. V, 9. 2. Le texte porte senex, ancien. Silvain était l'évêque le plus ancien d'ordination, comme nous l'avons déjà fait observer.
|