LETTRE CLXXXVII
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rte de l'église 38 - CH-1897 Le Bouveret (VS)

LETTRE CLXXXVII. (Année 417.)

 

Saint Augustin, dans la Revue de ses ouvrages (3), mentionne cette lettre qu'il appelle un livre Sur la présence de Dieu; elle est adressée à Dardanus (4), préfet des Gaules , qui lui avait demandé l'explication de ces paroles du Christ mourant au bon larron : « Tu seras aujourd'hui avec moi en paradis. » Dardanus mêlait à cette question d'autres questions sur le Christ, sur le ciel , sur Dieu. Comme saint Jean tressaillit de joie dans le sein d'Elisabeth aux approches de Marie , le préfet des Gaules demande à l'évêque d'Hippone si les enfants ne peuvent pas connaître Dieu , même lorsqu'ils sont encore dans le sein maternel. Saint Augustin répond à tout avec une grande abondance de détails, de témoignages et d'idées ; il montre comment Dieu est présent partout tout entier, comment il habite en ceux qu'il aime, comment les saints forment son temple. La question de Dardanus sur saint Jean et les enfants amène l'évêque d'Hippone à attaquer à fond le pélagianisme sans parler de Pélage. II importait de prémunir les Gaules contre les ravages de l'erreur naissante, et saint Augustin démontre tout ce que la doctrine nouvelle a de faux et de contraire au christianisme.

 

1. Bien-aimé frère Dardanus, plus illustre pour moi dans la charité du Christ que dans les dignités de ce siècle, j'avoue que j'ai répondu à votre lettre plus tard que je n'aurais dû. Je ne voudrais pas que vous en demandassiez les causes, de peur que vous ne supportassiez plus difficilement mes longues excuses que vous n'avez supporté mes longs retards. J'aime mieux que vous me pardonniez aisément mes torts que si vous aviez à juger ma défense. Quels qu'aient pu être mes motifs, croyez qu'il n'a pu entrer en moi aucun dédain de ce qui vous touche. Au contraire, je vous aurais répondu promptement si je vous avais compté pour peu. Ce n'est pas qu'en vous répondant si tard je sois enfin parvenu à composer

 

3. Liv. II, chap. XLIX.

4. Voyez dans notre Histoire de saint Augustin, chap. XXXVII, ce que nous avoue dit de Dardanus.

 

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poser quelque chose de digne d'être lu par vous et de vous être adressé; mais j'ai mieux aimé vous écrire d'une manière quelconque, que de passer encore cet été sans payer ma dette. Je n'ai ni tremblé ni hésité en présence de votre rang si haut ; votre bienveillance m'est plus douce que votre dignité ne m'est redoutable. Mais ce qui fait que je vous aime fait aussi que je trouve plus difficilement de quoi suffire à l'avidité de votre religieux amour.

2. Sans compter ici cette ardeur de charité mutuelle qui nous fait aimer ceux que nous n'avons jamais vus quand nous croyons qu'ils ont ce que nous aimons, et qui vous a porté à me prévenir de façon à me faire craindre que vous ne soyez trompé dans votre opinion et dans votre attente; sans compter cela, dis-je, vous me proposez dans votre lettre des questions si difficiles que, de quelque part qu'elles me vinssent, elles ne seraient pas pour moi une petite affaire à cause de mon peu de loisir. Mais lorsque ces questions partent d'un homme qui ne se contente pas de solutions superficielles, d'un homme aussi accoutumé que vous l'êtes à la méditation et à la profondeur, et qu'elles s'adressent à un homme aussi occupé des intérêts d'autrui, et aussi chargé, aussi accablé de soins que moi ; je m'en rapporte à votre sagesse et à votre bonté pour me faire pardonner le retard de ma réponse ou ce qu'elle pourrait avoir de trop au-dessous de la grandeur de votre espérance.

3. Vous demandez « comment on doit croire que se trouve maintenant dans le ciel Jésus-Christ homme, médiateur entre Dieu et les hommes, lui qui, près de mourir, attaché à  la croix, dit au bon laron : Tu seras aujourd’hui avec moi en paradis. » Et vous dites que peut-être il faut entendre que le paradis est placé dans quelque partie du ciel, ou que, de même que Dieu est partout, l'homme-Dieu est aussi partout, et qu'en conséquence, il a pu être également dans le paradis. 

4. Ici je vous demande ou plutôt je vois comment vous comprenez l'humanité du Christ. Vous ne la comprenez pas comme certains hérétiques qui prétendent que le Christ est le Verbe de Dieu uni à un corps sans âme humaine, en sorte que le Verbe soit dans ce corps à la place de l'âme, ou que le Verbe de Dieu soit uni à une âme et à un corps, mais sans intelligence humaine, en sorte que le Verbe de Dieu soit l'intelligence de cette âme (1). Ce n'est pas ainsi que vous comprenez l'humanité du Christ, mais, selon vos paroles, vous croyez que le Christ est le Dieu tout-puissant, et vous ne le croiriez pas Dieu si vous ne le croyiez homme parfait. En le disant homme parfait, vous entendez assurément qu'il s'est revêtu de la nature humaine tout entière; or, il ne serait pas homme parfait si l'âme manquait à son corps ou l'intelligence à son âme.

5. Si donc nous pensions que ce fût en tant qu'homme que le Christ eût dit au bon larron: « Tu seras aujourd'hui avec moi en paradis, » non ne pourrait pas conclure de ces paroles que le paradis fût dans le ciel; car, le jour de sa mort, Jésus-Christ ne devait pas se trouver au ciel comme homme; son âme devait être dans les enfers, et son corps dans le tombeau. Cette sépulture de son corps est très-évidemment rapportée dans l'Evangile ; pour ce qui est de i la descente de son âme dans les enfers, nous avons l'enseignement apostolique. Le bienheureux Pierre, en effet, cite en faveur de cet événement ce témoignage des psaumes, qu'il démontre en avoir été la prédiction : « Vous ne laisserez pas mon âme dans les enfers, et  vous ne permettrez point que votre saint « éprouve la corruption (2). » Ce passage s'applique à la fois à l'âme qui n'a pas été laissée dans les enfers puisqu'elle en est sitôt revenue, et au corps qu'une résurrection prompte a dérobé aux atteintes de la corruption. Mais personne n'imagine que le mot de paradis signifie ici le sépulcre. Et si quelqu'un poussait l'absurdité jusqu'à soutenir ce sentiment par la raison que le tombeau du Christ était dans un jardin, on lui ferait changer d'avis en lui rappelant que le larron à qui il fut dit : « Aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis, » ne fut pas déposé dans le même sépulcre que ; le Christ. D'ailleurs, ce n'eût pas été une grande récompense à promettre au larron converti que de lui annoncer le repos de la tombe sans joie ni douleur, quand il souhaitait un repos dont il pût ressentir l'ineffable bonheur.

6. Si donc c'est en tant qu'homme que le Christ a dit : « Tu seras aujourd'hui avec moi en paradis, » il n'est pas possible d'entendre que ce paradis soit ailleurs que dans les enfers où devait descendre le même jour l'âme

 

1. Saint Augustin veut parler des ariens, et aussi des appollinaristes qui furent condamnés à Alexandrie en 362, à Rome en 377, à Antioche en 378, et, dans le second concile oecuménique, en 381.

2. Ps. XV, 10 ; Act. II, 27.

 

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humaine du Sauveur. Mais il n'est pas aisé de décider si le sein d'Abraham où le mauvais

riche, du milieu de ses tourments de damné, vit le pauvre dans un heureux repos est ce paradis, ou s'il appartient aux enfers. Car il a été dit de ce riche : « Il mourut aussi et fut  enseveli dans les enfers, » et encore : « Lorsqu'il était dans les enfers, au milieu des tourments. » Mais il n'est pas question des enfers dans la mort ou l'heureux repos du pauvre : « Il arriva que le pauvre mourut, dit l'Ecriture, et fut porté par les anges dans le sein d'Abraham. » Abraham dit ensuite au riche qui brûle : « Un grand abîme s'est fait pour toujours entre vous et nous (1), » comme entre les enfers et les demeures des bienheureux. Il n'est pas facile de trouver dans l'Ecriture que le nom des enfers soit pris en bonne part; et si ce nom ne se mêle qu'à l'idée de châtiment, on demande souvent comment la piété peut croire que l'âme du Christ Notre-Seigneur soit allée dans les enfers. Mais on répond très-bien qu'il y est descendu pour secourir ceux qu'il fallait secourir; et c'est pourquoi le bienheureux Pierre dit qu'il a fait cesser les douleurs de l'enfer, dans lesquelles il n'était pas possible qu'il fût retenu. Or, s'il faut croire que la région des douleurs et celle du repos, c'est-à-dire le lieu où souffrait le mauvais riche et le lieu où le pauvre était dans la joie se trouvent dans les enfers; qui osera dire que le Seigneur Jésus visita seulement le séjour des peines éternelles et n'alla pas auprès de ceux qui se reposent dans le sein d'Abraham? S'il y alla, c'est là qu'on doit placer le paradis qu'il daigna promettre ce jour-là à l'âme du bon larron. S'il en est ainsi, le paradis est le nom général du séjour où l'on vit heureux. Aussi quoique le lieu où Adam a été placé avant son péché s'appelât le paradis, les Livres saints n'ont pas craint d'appeler l'Église un paradis avec des fruits.

7. Le sens du passage deviendra plus facile et plus simple si on comprend que ce n'est pas comme homme, mais comme Dieu que le Christ dit au bon larron : « Tu seras aujourd'hui avec moi en paradis. » Car, ce jour-là, le Christ, en tant qu'homme, devait être dans le sépulcre quant à son corps, dans les enfers quant à son âme ; mais, en tant que Dieu, le Christ est toujours partout. Il est la lumière qui luit dans les ténèbres, quoique les

 

1. Luc, XVI, 22-26.

 

ténèbres ne l'aient pas comprise (1). Il est la vertu et la sagesse de Dieu dont il est écrit qu'elle atteint avec force d'une extrémité à l'autre et dispose tout avec douceur (2) ; qu'elle atteint partout à cause de sa pureté, et que rien de souillé n'est en elle (3). En quelque lieu que soit donc le paradis, les bienheureux y sont avec Celui qui est partout.

8. En effet, le Christ est Dieu et homme; comme Dieu, il dit: « Mon Père et moi nous ne sommes qu'un (4), » comme homme, il dit « Mon Père est plus grand que moi (5); » il est en même temps le Fils unique de Dieu le Père et le fils de l'homme né de la race de David selon la chair : ces deux côtés du Christ sont à considérer lorsqu'il parle ou que l'Ecriture parle de lui : il faut voir si c'est le Dieu ou l'homme que cela regarde. De même qu'une âme raisonnable et un corps ne font qu'un même homme, ainsi le Verbe et l'homme ne sont qu'un même Christ. En tant qu'il est le Verbe, le Christ est créateur, « car tout a été fait par lui (6) ; » en tant qu'il est homme , le Christ a été créé ; « il est né de la race de David selon la chair (7); » « il a été fait semblable aux hommes (8). » Et comme dans l'homme il y a l'âme et la chair, le Christ fut triste jusqu'à la mort (9), selon l'âme, et souffrit la mort (10) selon la chair.

9. Toutefois quand nous disons que le Christ est le Fils de Dieu, nous ne le séparons pas de son humanité ; et quand nous disons que le Christ est fils de l'homme, nous ne le séparons pas de sa divinité. En tant qu'homme, il était sur la terre et non dans le ciel où il est maintenant, lorsqu'il disait: « Personne n'est monté au ciel excepté celui qui est descendu du ciel, le Fils de l'homme qui est dans le ciel (11).» Il parlait ainsi quoiqu'il fût dans le ciel comme Fils de Dieu, et que, comme fils de l'homme, il fût encore sur la terre et ne fût pas monté au ciel. En tant que Fils de Dieu, il était le Seigneur de gloire; mais en tant que le fils de l'homme, il a été crucifié ; et cependant l'Apôtre dit que « s'ils l'eussent connu , ils n'auraient jamais crucifié le roi de gloire (12). » Ainsi le fils de l'homme, en tant que Dieu, était au ciel, et le Fils de Dieu, en tant qu'homme, était crucifié sur la terre. Comme donc on peut dire avec raison que le Seigneur de gloire a été crucifié,

1. Jean, I, 5. — 2. Sag. VIII, 1. — 3. Ibid. VII , 24. —  4. Jean, X, 30. — 5. Ibid. XIV, 28. — 6. Ibid. I, 3. — 7. Rom. , I, 3. — 8. Philip. II, 7. — 9. Matth. XXVI, 38. — 10. Act. III, 18. — 11. Jean, III, 13. — 12. I Cor. II. 8.

 

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quoique sa passion n'ait concerné que sols corps ; ainsi le Sauveur a pu dire : « Tu seras aujourd'hui avec moi en paradis ; » car, quoique selon les abaissements de son humanité son corps dût être ce jour-là dans un sépulcre et que son âme dût descendre dans les enfers; comme Dieu et dans l'immutabilité de sa nature, il n'était jamais sorti du paradis parce qu'il est partout.

10. Ne mettez donc point en doute que Jésus-Christ homme soit maintenant là d'où il doit venir; n'oubliez pas et gardez fidèlement ce que la foi chrétienne nous enseigne , savoir que le Christ est ressuscité d'entre les morts , qu'il est monté au ciel, qu'il est assis à la droite du Père, et que c'est de là qu'il viendra juger les vivants et les morts. Il doit venir, d'après le témoignage des deux anges (1), de la même manière qu'il a été vu montant au ciel, c'est-à-dire avec la même forme et le même corps, à qui il a donné l'immortalité sans lui rien ôter de sa nature. Ce n'est point selon cette forme corporelle que le Christ est présent partout; il ne faut pas établir sa divinité aux dépens de la vérité même de son corps. De ce qu'une chose est en Dieu, il ne s'en suit pas nécessairement qu'elle soit partout où Dieu est. L'Ecriture, où tout est vérité, dit que nous avons en Dieu la vie, le mouvement et l'être (2); nous ne sommes pas pour cela partout comme Dieu; mais Jésus-Christ homme est en Dieu d'une autre façon, parce que Dieu est en lui d'une autre manière, par un mode unique et qui lui est propre. Car en Jésus-Christ, Dieu et l'homme ne font qu'une seule personne et un seul Jésus-Christ : comme Dieu, il est partout; il est au ciel comme homme.

11. Lorsqu'on dit que Dieu est répandu partout , il faut se défendre contre toute pensée corporelle et se dérober à l'impression des sens , de peur que Dieu ne nous apparaisse dans une grande étendue comme celle de la terre, de l'eau, de l'air ou de la lumière, car toute grandeur de ce genre est moindre dans sa partie que dans son tout. Nous devons plutôt nous le représenter comme une grande sagesse, même dans un homme d'un petit corps. Supposez deux hommes sages et d'une égale sagesse, mais dont l'un soit d'une plus haute taille que l'autre; il n'y aura pas plus de sagesse dans le plus grand des deux ni moins dans le plus petit, ou moins dans l'un que dans

 

1. Act. I, 10-11. — 2. Ibid. XVII, 28.

 

tous les deux ;  mais il y en aura autant dans l'un que dans l'autre , et autant dans chacun que dans tous les deux. Car s'ils sont tout à fait également sages, ils ne le sont pas plus tous les deux que chacun en particulier; de même que s'ils sont également immortels, ils n'ont pas plus de vie tous les deux que séparé ment.

12. L'immortalité même dont le corps du Christ a déjà été revêtu et qui est promise i nos corps à la fin des temps, est une grande chose mais non pas une grandeur de masse; toute corporelle qu'elle soit, son prix est incorporel. Quoique un corps immortel soit moindre dans une partie que dans le tout, son immortalité est aussi parfaite dans la partie que dans le tout ; et malgré l'inégalité des membres, leur immortalité est égale. Ainsi, dans cette vie , lorsque nous nous portons bien de tout point, nous ne disons pas qu'il y ait plus de santé dans une main que dans un doigt, quoique la main soit plus grande que le doigt; la santé est la même dans ces parties inégales, et ce qui ne peut pas être aussi grand qu'autre chose peut être aussi sain. Il y aurait plus de santé dans les membres les plus grands si les plus grands étaient les plus sains; mais comme il n'en est pas ainsi et que les grands comme les moindres sont aussi sains les uns que les autres, la santé s'y trouve égale malgré l'inégalité des membres.

13. Le corps étant donc une substance, sa quantité est dans sa grandeur ; mais la santé n'est pas une quantité, c'est une qualité. Ce que peut la qualité, la quantité ne le peut donc pas. Car les parties du corps ne peuvent pas être ensemble parce qu'elles occupent chacune un espace , les plus petites un plus petit, les plus grandes un plus grand; aussi la quantité ne peut pas être entière dans chacune de ces parties; mais elle est plus grande dans les plus grandes parties, plus petite dans les plus petites, et nulle part aussi grande que dans le tout. Au contraire, la qualité du corps qui se nomme la santé, quand le corps tout entier est sain, est la même dans les grandes que dans les petites parties; car les unes, pour être moindres, ne sont pas les moins saines ni les autres, pour être plus grandes, les plus saines. Pourquoi la substance du Créateur ne pourrait-elle pas en elle-même ce que peut dans un corps la qualité d'un corps créé ?

14. Dieu est donc répandu partout. Il dit par (513) le Prophète : « Je remplis le ciel et la terre (1);» sa sagesse, comme je l'ai rappelé plus haut, atteint avec force d'une extrémité à l'autre et dispose tout avec douceur (2) ; » il est aussi écrit que « l'Esprit du Seigneur a rempli l'univers (3); » et le Psalmiste a dit : « Où irai-je devant votre esprit ? Où fuir devant votre face? Si je monte au ciel, vous y êtes; si je descends dans les enfers, vous voilà (4). » Dieu. n'est pas répandu partout comme une qualité du monde, mais comme la substance créatrice du monde qu'il gouverne sans travail et maintient sans effort. Il n'est pas répandu comme une masse à travers l'étendue, de manière à se trouver moitié dans une moitié du monde, et moitié dans l'autre moitié, et tout entier dans le tout; mais il est tout entier dans le ciel, tout entier sur la terre, tout entier dans le ciel et sur la terre : aucun espace ne le contient, mais il est dans lui-même tout entier partout.

15. Il en est ainsi du Père, du Fils, du Saint-Esprit, de la Trinité qui forme un seul Dieu. Les trois personnes divines n'ont pas partagé le monde en trois parties pour être remplies de chacune d'elles , comme si le Fils et le Saint-Esprit n'eussent plus trouvé de place si le Père eût occupé l'espace tout entier. Il n'en va pas ainsi de la divinité véritable, incorporelle et immuable. Ce ne sont pas des corps, plus grands tous trois ensemble que pris séparément, et occupant chacun un espace différent de façon à ne pouvoir occuper le même. L'âme ne se sent pas à l'étroit dans le corps, mais y trouve une certaine largeur qui tient non pas aux lieux mais aux joies spirituelles lorsque s'accomplissent ces paroles de l'Apôtre « Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du Saint-Esprit qui réside en vous et que vous avez reçu de Dieu (5) ? » et il y aurait de la folie à dire que, notre âme remplissant notre corps tout entier, le Saint-Esprit ne saurait y trouver place : mais il y aurait plus de folie encore à soutenir que les trois personnes divines fussent gênées et serrées quelque part, et que le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne pussent pas être ensemble partout.

16. Mais ce qu'il y à de bien plus étonnant, c'est que Dieu étant tout entier partout, n'habite pas cependant dans tous les hommes. Ce n'est pas à tous les hommes que s'adressent les paroles de l'Apôtre que j'ai déjà citées, ni

 

1. Jérém. XXIII, 24. — 2. Sag. VIII, 1. — 3. Ibid. I, 7. — 4. Ps. CXXXVIII, 7. — 5. I Cor. VI, 19.

 

ces autres : « Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que l'Esprit de Dieu  habite en vous (1)? » Au contraire, c'est de quelques-uns que l'Apôtre dit : « Quiconque n'a pas l'Esprit du Christ ne lui appartient pas (2). » Or, qui oserait penser, à moins d'ignorer complètement l'inséparabilité de la Trinité, que le Père ou le Fils puissent habiter où  n'habiterait pas le Saint-Esprit, ou que le Saint-Esprit puisse habiter où n'habiteraient pas le 'Père et le Fils ? Il faut donc reconnaître que Dieu est partout par la présence de sa divinité, mais non point partout par sa grâce. Pour obtenir que Dieu habite en nous, ce qui est l'effet non douteux de la grâce de son amour, nous ne lui disons pas Notre Père qui êtes partout, quoique cela soit vrai, mais « Notre Père qui êtes au ciel (3) ; » de cette manière nous ne faisons mention que de son temple dans la prière, et c'est nous qui devons être ce temple; plus nous le sommes, plus nous appartenons à la société de Dieu et à sa famille d'adoption: Car si le peuple de Dieu, sans être encore devenu égal à ses anges, est appelé son temple dans ce pèlerinage; combien plus son temple est-il au ciel, où se trouve un peuple d'anges dont nous serons un jour les compagnons et les égaux, lorsque, après le pèlerinage, nous recevrons ce qui nous a été promis!

17. Dieu donc qui est partout, n'habite pas dans tous les hommes; il n'habite pas non plus d'une égale manière dans tous ceux qu'il visite par sa grâce. D'où vient en effet qu'Elisée demanda que l'Esprit de Dieu fût deux fois plus en lui qu'il n'était dans Elie ; et d'où vient que, parmi les saints, il en est qui le sont plus ou moins les uns que les autres? c'est qu'ils possèdent plus ou moins Dieu qui habite en eux. Comment donc avons-nous eu raison de dire plus haut que Dieu est tout entier partout, puisqu'il est dans les uns plus, dans les autres moins ? Mais il faut remarquer que nous avons dit que Dieu est tout entier partout en lui-même. Ce n'est donc point dans les hommes qui le reçoivent, les, uns plus, les autres moins. Il est partout parce qu'il n'est absent de rien; il est tout entier partout, parce qu'il ne rend pas diverses parties de lui-même présentes aux diverses parties de l'univers, proportionnant son degré de présence aux inégales grandeurs des choses; mais il est tout

 

1. I Cor. III, 16. — 2. Rom. VIII, 9. — 3. Matth. VI, 9.

 

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entier et également présent, non-seulement à l'universalité de ce qui est, mais même à chacune de ses parties. On dit que ceux-là sont loin de lui, qui, en péchant, lui sont devenus très-dissemblables, et que ceux-là sont près de lui, qui, en vivant pieusement, se rapprochent de son image. On dit de même avec raison que les yeux sont d'autant plus loin de la lumière qu'on est plus aveugle. Quoi en effet de plus éloigné de la lumière que la cécité, lors même que la lumière est là et qu'elle inonde des yeux éteints? Mais on dit avec vérité que des yeux se rapprochent de la lumière lorsqu'en guérissant ils se fortifient.

18. Pour nous bien faire comprendre quand nous avens dit que Dieu est tout entier partout, nous avons ajouté que c'est en lui-même; mais ceci encore demande plus d'explication. — Comment Dieu est-il partout s'il est en lui-même? — Il est partout parce qu'il n'est absent de rien. Il est dans lui-même parce qu'il n'est pas contenu par les lieux et les choses où il est présent, comme s'il ne pouvait pas être sans cela. Otez aux corps l'espace, ils ne seront nulle part, et parce qu'ils ne seront nulle part, ils n'existeront plus. Otez aux qualités des corps ces corps mêmes, il n'y aura plus de place pour elles, et dès lors nécessairement elles ne sont plus. Lorsqu'un corps, dans toute son étendue, est également sain ou également blanc, il n'y a pas plus de santé ou plus de blancheur dans une partie que dans une autre, et il n'y en a pas plus dans son tout que dans sa partie, parce qu'il est certain que la partie est aussi saine et aussi blanche que le tout. Mais si un corps est inégalement sain ou inégalement blanc, il peut se faire qu'il y ait plus de santé ou de blancheur dans une moindre partie, si les plus petits membres sont plus sains ou plus blancs que les plus grands: quand il s'agit de qualité, le grand ou le petit ne consiste pas dans l'étendue. Cependant si on ôte tout à fait le corps, qu'il soit grand ou petit, ses qualités n'ont plus leurs moyens d'être, quoiqu'elles ne se mesurent pas au volume. Mais Dieu n'est pas moindre si celui à qui il est présent est moins capable de le recevoir; car il est tout entier en lui-même, et n'a pas besoin de ce qu'il habite pour exister. De la même manière qu'il n'est point absent de celui en qui il n'habite pas, et il y est même tout entier présent quoiqu'il n'habite point en lui; ainsi il est tout entier présent à ceux en qui il habite quoiqu'ils ne puissent pas le contenir tout entier.

19. Dieu en effet ne se partage pas dans les coeurs ou les corps des hommes, donnant à celui-ci une part, à celui-là une autre part de lui-même, comme la lumière, par les entrées et les fenêtres des maisons: il est plutôt comme le son. Un son, qui est quelque chose de corporel et de passager, n'est pas entendu d'un sourd; il ne l'est pas tout entier de celui quia l'oreille dure; parmi ceux qui ont l'ouïe bonne et à distance égale du son, les uns l'entendent mieux, les autres moins, selon le plus ou moins de finesse de leur oreille, quoique le son ne varie pas en intensité et qu'il arrive également à tous là où ils se trouvent: combien plus excellemment Dieu, dans sa nature incorporelle et immuablement vivante, n'étant ni sujet au temps ni divisible comme le son, et n'ayant pas besoin de l'air pour arriver jusqu'à nous, mais demeurant en lui-même par une stabilité éternelle, peut se rendre présent tout entier à toutes choses et tout entier à chacune, quoique ceux en qui il habite et dont sa grâce fait un temple qu'il aime, le possèdent selon la différence de leur capacité, les uns plus, les autres moins !

20. L'Apôtre a parlé de la diversité des dons (1) départis aux membres d'un seul corps, où nous formons un même temple tous ensemble, et où chacun de nous est un temple; car Dieu n'est pas plus grand dans tous que dans chacun; et souvent il arrive qu'un seul le possède bien plus que plusieurs. Mais après avoir dit: « Les dons sont différents, » saint Paul ajoute aussitôt : « Il n'y a qu'un seul et même Esprit; » et aussi, quand il a énuméré les dons divers, « c'est un seul et même Esprit, dit-il, qui opère toutes ces choses, distribuant à chacun ces dons comme il-lui plaît (2).» Le Saint-Esprit partage donc ses dons sans se partager lui-même, parce qu'il est un et toujours le même. Cette diversité est comme la diversité des membres du corps; les oreilles ne servent point au même usage que les yeux; il en est de même des autres membres du corps qui remplissent dans un parfait accord des fonctions différentes. Mais lorsque nous nous portons bien, la diversité de nos organes ne les empêche pas de jouir d'une égale santé, sans qu'il y en ait plus ou moins dans tel membre plutôt que dans tel autre. Le Christ est le chef de ce corps dont l'unité est marquée par notre

 

1. I Cor. XII, 4. — 2. Ibid. XII, 4, 11.

 

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sacrifice; l'Apôtre l'a exprimé brièvement en ces mots: «Nous ne sommes tous qu'un seul  pain et qu'un seul corps (1).» Par ce chef, nous sommes réconciliés à Dieu parce qu'en lui la divinité du Fils unique a participé à notre mortalité, afin que nous-mêmes nous participions à son immortalité.

21. Ce mystère est loin du coeur des sages orgueilleux : à cause de cela ils ne sont pas chrétiens, et dès lors ils ne sont pas véritablement sages. J'entends même les sages qui ont connu Dieu, « parce que connaissant Dieu, selon les paroles de l'Apôtre, ils ne font pas glorifié comme Dieu et ne lui ont point rendu grâces (2). » Vous connaissez dans quel sacrifice on dit: « Rendons grâces au Seigneur notre Dieu; » qu'il y a loin de l'humilité de ce sacrifice à leur orgueil et à leur fausse élévation ! C'est donc une chose admirable que Dieu habite en plusieurs qui ne le connaissent pas encore et n'habite pas en plusieurs qui le connaissent. Ceux-ci n'appartiennent point au temple de Dieu, parce que, connaissant Dieu, ils ne l'ont point glorifié comme Dieu, et ne lui ont pas rendu grâces ; et les enfants sanctifiés par le sacrement du Christ, régénérés par le Saint-Esprit, sans être arrivés à l'âge où ils peuvent connaître Dieu, appartiennent à son temple; ainsi les uns n'ont pas eu. ce Dieu qu'ils ont pu connaître, et les autres ont pu l'avoir avant qu'ils laient connu. Les bienheureux sont ceux pour qui posséder Dieu c'est le connaître : cette connaissance est la plus parfaite, la plus véritable, la plus heureuse.

22. Ici se présente la question que vous avez ajoutée à la fin de votre lettre, après même votre signature : « Si, dites-vous, les enfants ne connaissent pas encore Dieu, comment Jean, avant sa naissance, a-t-il pu tressaillir dans le sein de sa mère, aux approches et en présence de la Mère du Seigneur? » Après avoir dit que vous avez lu mon livre sur le Baptême des Enfants, vous ajoutez : « Je désire savoir ce que vous pensez des enfants encore  enfermés dans le sein maternel, à l'occasion. a du témoignage que la mère de Jean-Baptiste rendit à la foi de son fils. »

23. Voici les vraies paroles d'Elisabeth, mère de Jean : « Vous êtes heureuse entre toutes les femmes, et le fruit de vos entrailles est heureux. Et d'où me vient que la Mère de mon

 

1. I Cor. X, 17. — 2. Rom. I, 21.

 

 

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« Seigneur s'approche de moi ? Car voici que, dès que la voix de votre salutation est arrivée à mes oreilles, l'enfant a tressailli de joie dans mon sein (1). » Pour dire ces choses, Elisabeth fut remplie du Saint-Esprit, comme l'a précédemment marqué l'Evangéliste, et le Saint-Esprit lui apprit, sans doute, ce que signifiait ce tressaillement de l'enfant; c'est-à-dire qu'elle connut que celle qui était venue était la mère de celui que son fils devait précéder et montrer. Cette signification d'une grande chose a pu être réservée à la connaissance des grands et n'être pas connue de l'enfant; car l'Evangile en rapportant le fait, ne dit pas que l'enfant ait cru dans le sein de sa mère, mais seulement qu'il « tressaillit; » Elisabeth ne dit pas non plus : l'enfant a tressailli dans mon sein par un mouvement de foi, mais : « Il a tressailli de joie. » Nous voyons tressaillir ainsi, non-seulement des enfants, mais encore des bêtes; sans que cela vienne de la foi ou de la religion, ou de quoique ce soit de raisonnable. Mais ce mouvement fut inaccoutumé et nouveau, parce qu'il eut lieu dans le sein maternel et à l'arrivée de celle qui devait enfanter le Sauveur des hommes. C'est ce qui en fait la merveille, c'est ce qui doit la faire compter au nombre des grands signés; ainsi ce tressaillement, cette sorte de salut rendu à la Mère du Seigneur, n'a pas été un acte humain accompli par un enfant, mais un prodige opéré par la volonté de Dieu.

24. Lors même que l'usage de la raison et de la volonté eût été avancé dans cet enfant, de manière à pouvoir, dès le sein maternel, connaître, croire et vouloir, ce qui chez d'autres enfants n'arrive qu'avec l'âge; il faudrait également n'y voir qu'un miracle de la puissance de Dieu, et non un exemple ordinaire de la nature humaine. Quand Dieu l'a voulu, il a fait parler raisonnablement même un animal muet (2); il ne nous exhorte pas pour cela à prendre conseil des ânes dans nos délibérations. C'est pourquoi je tiens compte de ce qui est arrivé à saint Jean, mais je ne le prends pas pour règle de ce qu'il faut penser des enfants; et c'est précisément parce que je ne rencontre rien de pareil chez d'autres que l'exemple de saint Jean me paraît miraculeux. La lutte des deux jumeaux dans le sein de Rébecca, offrirait quelque chose de semblable; mais cela aussi fut un prodige, si bien que Rébecca en

 

1. Luc,  I, 42, 44. — 2. Nomb. XXII, 28.

 

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demanda à Dieu l'explication, et qu'elle apprit que ces enfants étaient la figure de deux peuples (1).

25. Si je voulais montrer, par des paroles, que les enfants, qui ne savent encore rien des choses humaines, ne connaissent pas les choses divines, je craindrais de faire injure même à nos sens, car l'évidence de la vérité est ici plus forte que tous les discours. Quand les enfants commencent à bégayer quelques mots et qu'un langage naissant les sépare du premier âge, ne les voyons-nous pas, si bornés dans ce qu'ils pensent et ce qu'ils disent, que, s'ils ne sortaient pas de cet état avec les années, il n'y a personne qui ne les déclarerait imbéciles, à moins d'être plus imbécile qu'eux ? Dirons-nous que ces enfants savaient beaucoup au berceau et même dans le silence du sein maternel, mais que du moment qu'ils ont commencé à parler avec nous, ils se sont enfoncés dans l'ignorance où nous les voyons? Vous comprenez tout ce qu'il y aurait d'absurde dans cette opinion ; les idées que les enfants expriment, tant bien que mal, au premier âge, ne sont presque rien assurément à côté du langage des hommes faits; pourtant c'est de l'intelligence, si on compare cet état à celui où ils naissent. D'où vient qu'au moment du baptême, lorsqu'il s'agit d'un si grand bienfait de la grâce chrétienne, on ne leur impute pas les cris et les mouvements par lesquels ils se défendent? D'où vient que l'on compte pour rien toute leur résistance et qu'on ne laisse pas d'achever le sacrement qui doit effacer en eux le péché originel? N'est-ce point parce qu'ils ne savent pas ce qu'ils font, et qu'ils sont censés ne pas le faire ? Quel chrétien ignore que, si ces enfants étaient capables de raison et de volonté et, par conséquent, obligés de consentir à leur sanctification par le baptême, leur résistance à une aussi grande grâce serait coupable, et que le baptême ne leur serait pas seulement inutile, mais encore aggraverait leur état de péché ?

26. Nous disons donc que le Saint-Esprit habite dans les enfants baptisés, quoiqu'ils ne le sachent pas. lis ignorent qu'il est en eux comme ils ignorent leur propre intelligence ; la raison dont ils ne peuvent se servir encore est en eux comme une étincelle endormie elle attend que l'âge la réveille. Cela ne doit pas paraître étonnant dans les enfants, puisque

 

1. Gen, XXV, 22, 23.

 

l'Apôtre dit à ceux qui sont hommes «Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de « Dieu et que l'Esprit de Dieu habite en vous (1) ? » Il avait dit d'eux, peu auparavant: « L'homme animal ne comprend pas les choses qui sont de l'Esprit de Dieu ; » il les appelle aussi des enfants, non par l'âge, mais par l'esprit (2). Ils n'avaient donc pas connaissance du Saint-Esprit qui habitait avec eux; malgré même la présence du Saint-Esprit, ils restaient grossiers et n'étaient pas encore spirituels, parce qu'ils ne pouvaient encore connaître le céleste habitant de leur âme.

27. Il est dit que l'Esprit-Saint habite en de tels hommes parce qu'il agit secrètement en eux pour qu'ils deviennent son temple; c'est ce qu'il achève en ceux qui profitent et persévèrent dans de nouveaux progrès. « Car nous sommes sauvés en espérance, » selon les paroles de l'Apôtre, qui dit ailleurs : « Nous avons été sauvés par le bain de la régénération (3). » Ayant parlé ici de notre salut comme d'une chose accomplie, saint Paul s'explique dans le passage suivant : « Car nous sommes sauvés en espérance. Mais l'espérance qui se voit n'est pas une espérance; qui donc espère ce qu'il voit? Et si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l'attendons avec patience (4). » Dans l'Ecriture il est parlé de beaucoup de choses comme faites et qu'il faut n'entendre qu'en espérance. C'est ainsi que le Seigneur dit à ses disciples : « Je vous ai fait connaître tout ce j'ai appris de mon Père (5); » ce n'était qu'une espérance qu'il leur donnait, puisqu'il ajoute ensuite: « J'aurais beaucoup d'autres choses à vous dire, « mais maintenant vous ne pourriez pas les porter (6). » L'action de l'Esprit-Saint dans les mortels en qui il habite, c'est donc d'y édifier sa demeure qui ne sera achevée que par delà cette vie, quand la mort sera absorbée dans sa victoire et qu'il lui sera dit : « O mort, où est ta victoire ? O mort, où est ton aiguillon? » Qu'est-ce donc que l'aiguillon de la mort si ce n'est le péché (7) ?

28. C'est pourquoi, maintenant même que nous sommes régénérés par l'eau et l'Esprit, que toutes nos fautes sont effacées dans ce bain qui purifie, soit le péché originel commun à tous, soit les péchés qui nous sont propres,

 

1. I Cor. III, 16. — 2. I Ibid. II, 14;  III, 1, 2. — 3. Tite, III, 5. — 4. Rom. VIII, 24, 25. — 5. Jean, XV, 15. — 6. Ibid. XVI, 12. — 7. I Cor. XV, 54-56.

 

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par action, par parole, par pensée ;cependant, tant que nous sommes dans cette vie humaine, qui est la tentation sur la terre, nous avons raison de dire : « Pardonnez-nous nos offenses (1). » Et cette parole est répétée de toute l'Eglise, que le Sauveur purifie dans le baptême de l'eau par la parole, pour qu'elle devienne à ses yeux pleine de gloire, n'ayant ni tache, ni ride, ni rien de pareil (2) : car elle sera tout cela en réalité alors qu'elle possédera la perfection vers laquelle elle marche maintenant en espérance. Comment serait-elle sans tache, ni ride, sans rien de pareil, puisqu'elle est chaque jour obligée de demander à Dieu pardon de ses offenses? Elle le demande avec vérité soit pour tous les hommes qui lui appartiennent, qui font usage de leur raison et de leur volonté et portent laborieusement le poids d'une chair mortelle, soit bien certainement pour beaucoup de ses membres, comme nos adversaires (3) sont contraints de l'avouer.

29. Puisque le Saint-Esprit justifie de plus en plus les mortels en qui il habite et qui font des progrès en se renouvelant de jour en jour; puisqu'il exauce leurs prières, pardonne à l'aveu de leurs fautes, pour se préparer à lui-même un temple sans souillure pour l'éternité ; c'est bien avec raison qu'il est dit qu'il n'habite pas en ceux qui, connaissant Dieu, ne l'ont pas glorifié comme Dieu et ne lui ont pas rendu grâces. En honorant et en servant la créature plutôt que le Créateur (4), ils n'ont pas voulu être le temple du seul Dieu véritable. Tandis qu'ils voulaient l'avoir avec beaucoup d'autres, ils ont mieux réussi à ne plus l'avoir du tout qu'à le mêler à la foule de leurs faux dieux. Il est dit aussi avec raison que l'Esprit-Saint habite en ceux qu'il a. appelés selon son décret pour les justifier et les glorifier, avant même qu'ils connaissent l'incorporéité de sa nature, qui est tout entière partout, autant qu'on puisse la connaître en cette vie où l'homme même le plus avancé ne voit qu'en énigme et, dans un miroir (5). Car parmi ceux en qui l'Esprit-Saint habite, il en est plusieurs de semblables à ceux à qui l'Apôtre dit : « Je n'ai pas pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes encore charnels, et comme à des enfants en Jésus« Christ; je ne vous ai donné que du lait, pas

 

1. Matth, VI, 12. — 2. Ephés. V, 26, 27. — 3. Les partisans de Pélage et de Célestins.— 4. Rom. I, 21, 25. — 2. I Cor. XIII, 12.

 

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encore de nourriture solide; vous n'auriez pas pu la porter; maintenant même, vous ne le pourriez pas (1). » L'Apôtre leur dit ensuite : « Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que l'Esprit de Dieu habite en vous (2)? » Si le dernier jour de la vie arrive pour cette sorte de chrétiens avant de parvenir à l'âge spirituel de l'intelligence, où ils, eussent été nourris de viandes solides et non plus seulement de lait, l'Esprit-Saint qui habite en eux leur donnera ce qui leur aura manqué d'intelligence, parce qu'ils ne se seront pas séparés de l'unité du corps du Christ qui est devenue notre vole, ni de la société du temple de Dieu. Aussi pour ne pas s'écarter de cette unité religieuse, ils suivent avec persévérance dans l'Eglise la règle de la foi, règle commune des petits comme des grands esprits ; ils marchent dans ce qu'ils savent jusqu'à ce que Dieu les instruise sur ce qui fait leur erreur, et n'érigent pas en dogmes leurs pensées charnelles ; car ils ne s'y affermissent point en restant sur la défense de ces fausses idées, mais ils s'en délivrent par l'activité, par le progrès, et obtiennent la lumière de l'Esprit par la piété de la foi.

30. Ainsi donc ces deux choses qui s'accomplissent dans le même homme : naître et renaître, appartiennent à deux hommes, l'une au premier Adam, l'autre au second Adam qui est le Christ. « Ce qui est spirituel n'a pas été formé le premier, dit l'Apôtre, mais ce qui est animal, et ensuite le spirituel. Le premier homme est le terrestre, formé de la terre; le second est le céleste , qui vient du ciel : le premier homme étant de la terre, ses enfants le sont aussi; le second étant céleste, ses enfants le sont également. Comme nous avons porté l'image de l'homme terrestre, portons l'image de celui qui est du ciel (3). » Saint Paul avait déjà dit : « C'est par un seul homme que la mort est venue, et par un seul homme la résurrection des morts. Et comme tous meurent en Adam, tous seront vivifiés en Jésus-Christ (4). » Saint Paul dit deux fois tous, » parce que nul ne meurt que par Adam et nul ne reçoit la vie que par le Christ. Dans le premier, on a vu ce que vaut le libre arbitre de l'homme pour la mort; dans le second, ce que vaut le secours de Dieu pour la vie. Le premier homme n'est qu'un homme;

 

1. I Cor. III, 1, 2. — 2. I Cor. VI, 19. — 3. I Cor. XVI, 36-49. — 4. I Cor, XV, 46-49, 21, 22.

 

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le second est un Dieu et un homme. car le péché s'est fait par l'abandon de Dieu; la justice ne se fait pas sans Dieu. C'est pourquoi nous ne mourrions pas si nous ne descendions d'Adam par la génération charnelle; et nous ne vivrions pas si nous n'étions pas membres du Christ par une union spirituelle. Il nous a donc fallu naître et renaître, le Christ n'a eu besoin que de naître pour nous. En renaissant nous passons du péché à la justice; mais le Christ n'a passé d'aucun péché à la justice; s'il a voulu être baptisé, c'était pour que son humilité recommandât de plus haut le sacrement de notre régénération, figurant toutefois le vieil homme par sa passion, et par sa résurrection le nouveau.

31. En effet, la révolte de la concupiscence par laquelle la chair a ses mouvements sans notre volonté, est réduite par la légitimité du mariage; mais quelque licite que soit l'union conjugale, il est nécessaire que les enfants soient régénérés. Ce n'est point par cette union de l'homme et de la femme que le Christ a voulu naître; il a pris d'une vierge exempte de tout désir charnel, la ressemblance de la chair du péché, par laquelle la chair de péché devait être purifiée en nous (1). « Comme c'est par le péché d'un seul, dit l'Apôtre, que tous les hommes sont tombés dans la condamnation, ainsi c'est par la justice d'un seul que tous les hommes reçoivent la justification qui donne la vie (2). » Car personne ne naît que par un acte de la concupiscence charnelle, tirée du premier homme; et personne ne renaît que par l'action de la grâce spirituelle, donnée par le second Adam qui est le Christ. C'est pourquoi si nous appartenons à Adam par notre naissance, au Christ par notre renaissance, et si nul ne peut renaître avant d'être né, sans aucun doute le Christ est né par une voie extraordinaire puisqu'il n'a pas eu besoin de renaître. Il n'a pas passé du péché à la justice; il n'a jamais été dans le péché et n'y a, pas été conçu, et c'est en restant pure que sa mère l'a porté dans son sein : l'Esprit de Dieu est survenu en elle, et la vertu du Très-Haut l'a couverte de son ombre; de là vient que ce qui est né d'elle a été saint et a été appels; le Fils de Dieu. Le mariage n'éteint pas, mais modère l'ardeur mauvaise de la chair insoumise, afin que la limite imposée à la concupiscence devienne au moins la pudeur conjugale.

 

1. Rom, VIII, 3-4. — 2. Rom. V, 18.

 

Mais la Vierge Marie à qui il fut dit que la vertu du Très-Haut la couvrirait de son ombre (1), n'a senti, à la faveur de cette ombre, aucune ardeur de concupiscence lorsqu'elle a conçu le Saint des saints. Sauf donc celui-là qui est la pierre angulaire, je ne vois pas com. ment les hommes peuvent devenir le temple de Dieu sans avoir été régénérés, et pour cela d'abord il faut naître.

32. C'est pourquoi, quelque opinion que nous ayons sur l'état de l'homme encore enfermé dans te sein maternel, que nous le croyons capable ou incapable de quelque degré de sanctification, soit à cause, de saint Jean qui, avant de voir le jour, tressaillit de joie (ce qui n'a pu se faire assurément sans l'opération du Saint-Esprit) ; soit à cause de Jérémie « sanctifié avant de sortir du sein de sa mère, » selon les paroles que le Seigneur lui adresse (2), toujours est-il que cette sanctification par laquelle chacun de nous est le temple de Dieu, et par laquelle nous formons tous ensemble le temple de Dieu, ne saurait être que le partage des régénérés. Car la naissance précède nécessairement la régénération, et nul ne finira bien la vie où il est né, s'il ne renaît pas avant de la finir.

33. Si on dit que l'homme est né lors même qu'il est encore dans le sein de sa mère, et si on s'appuye sur le passage de l'Evangile où l'ange annonce à Joseph que ce qui est né en Marie est du Saint-Esprit (3), l'enfantement sera donc une seconde naissance? et notre naissance en Jésus-Christ sera donc la troisième? Mais quand le Seigneur en a parlé, il a dit « qu'il faut naître de nouveau (4), » regardant ainsi comme une première naissance l'enfantement et non point la conception. Lorsqu'un homme est mis au monde, nous ne disons pas qu'il vient de renaître comme s'il était déjà né une fois dans le sein maternel; mais seulement qu'il est né, et c'est alors qu'il peut renaître par l'eau et l'Esprit. On veut parler de cette naissance quand on dit que le Seigneur est né à Bethléem de Juda (5). Si l'homme pouvait être régénéré par la grâce de l'Esprit dans le sein de sa mère, comme il lui resterait encore à voir le jour, il renaîtrait donc avant de naître, ce qui ne peut se faire en aucune manière. Ainsi ce sont les hommes qui sont nés qui peuvent s'unir au corps du Christ comme pour

 

1. Luc, 1, 35. — 2. Jérém. I, 5. — 3. Matth. I, 20. — 4. Jean, III, 3. — 5.  Matth. II, l.

 

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entrer dans la construction vivante du temple de Dieu qui est son Eglise; ils n'y sont point admis en vue de leurs propres oeuvres de justice; mais en renaissant par la grâce, ils sont comme tirés d'une masse de ruines pour faire partie d'un édifice qui ne doit pas périr. En dehors de cet édifice de bonheur qui se construit pour être l'éternelle habitation de Dieu, la vie de l'homme n'est toute que misère, et mérite qu'on l'appelle plutôt une mort qu'une vie. Tous ceux donc en qui Dieu habitera échapperont à sa colère et ne resteront pas éloignés de ce corps, de ce temple, de cette cité. Mais quiconque ne renaît pas, en demeure séparé.

34. Le Médiateur, en se montrant au monde, a voulu que le sacrement de notre régénération fût visible. C'était pour les anciens justes quelque chose de caché, quoiqu'une même foi les sauvât; et cette foi devait se révéler en son temps. Car nous n'osons pas préférer les fidèles de notre temps aux amis de Dieu qui nous ont prophétisé ces choses mêmes, et pour la gloire desquels Dieu a voulu s'appeler éternellement le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, le Dieu de Jacob (1). Si on croit que la circoncision ait tenu lieu de baptême aux anciens justes, que répondra-t-on au sujet de ceux qui ont plu à Dieu, avant ce précepte de la circoncision, mais non sans la foi cependant? L'Apôtre écrit aux Hébreux que « sans la foi il est impossible de plaire à Dieu (2). » Saint Paul dit encore : « Parce que nous avons un même esprit de foi, selon qu'il est écrit : J'ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé; nous croyons aussi, et c'est  pour cela que nous parlons (3). » L'Apôtre ne parlerait pas de ce « même esprit de foi, » si la foi des anciens justes n'avait pas été la même que la nôtre. Comme ils ont cru à l'incarnation future du Christ, quand le sacrement de notre régénération était quelque chose de caché, ainsi nous croyons à cette incarnation après qu'elle s'est accomplie; mais eux comme nous, nous attendons le second avènement du Christ pour juger les hommes. Car le mystère de Dieu n'est autre que le Christ, dans lequel il faut que les morts en Adam soient vivifiés; parce que « de même que tous meurent en «Adam, ainsi tous seront vivifiés dans le Christ (4), » comme nous l'avons rappelé plus haut.

 

1. Exod. III, 15. — 2. Héb. XI, 6. — 3. II Cor. IV, 13. — 4. I Cor. XV, 22.

 

 

35. C'est pourquoi Dieu, présent partout et tout entier partout, n'habite pas en tous, mais seulement en ceux dont il fait son bienheureux temple ou ses bienheureux temples, lorsqu'il les délivre de la puissance des ténèbres pour les placer dans le royaume du Fils de son amour (1), ce qu'il commence par la régénération. Autre chose est le temple de Dieu en figure lorsqu'il se construit de main d'homme avec des choses, inanimées, comme le tabernacle fait de bois, de voiles, de peaux ou d'autres matières de ce genre, ou comme le temple bâti par le roi Salomon avec des pierres, du bois et des métaux; autre chose est la réalité même dont tout ceci n'est que la figure. Voilà pourquoi il est dit : « Et vous-mêmes, comme des pierres vivantes, formez un édifice spirituel (2), » voilà pourquoi il est encore écrit : « Car nous sommes les temples du Dieu vivant, selon ce que Dieu dit lui-même : J'habiterai en eux, et je marcherai au milieu d'eux; je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple (3). »

36. Nous ne devons pas nous étonner que quelque chose de la vertu de Dieu éclate par le ministère même de ceux qui n'appartiennent pas ou pas encore à ce temple, c'est-à-dire en qui Dieu n'habite pas ou n'habite pas encore; comme il arriva à l'homme qui chassait les démons au nom du Christ quoiqu'il ne le suivît point, et que le Christ commanda de laisser faire, comme un témoignage de sa puissance, utile à plusieurs (4). Le Seigneur aussi nous déclare qu'au dernier jour plusieurs diront : « Nous avons fait en votre nom beaucoup de prodiges; » et il ne leur dirait pas : « Je ne vous ai pas connus (5), » s'ils appartenaient au temple de Dieu qu'il béatifie par sa présence. Et le centurion Corneille, avant que la régénération l'incorporât à ce temple, vit l'ange qui lui était envoyé; il l'entendit lui dire que ses prières avaient été exaucées et ses aumônes agréées (6). Dieu fait par lui-même ces choses comme étant présent partout, ou par ses saints anges.

37. Pour ce qui est de la sanctification de Jérémie avant qu'il fût sorti du sein maternel, quelques-uns y voient une figure du Sauveur qui n'a pas eu besoin de régénération; mais, si on l'entend du Prophète lui-même, on peut y trouver un témoignage de sa prédestination. Ainsi l'Evangile appelle enfants de Dieu des hommes qui n'ont pas encore été régénérés.

 

1. Colos. I, 13. — 2. I Pierre, II, 5. — 3. II Cor. VI, 16. — 4. Marc, IX, 37, 39. — 5. Matth. VII, 22, 23. — 6. Act. X, 4.

 

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Après que Caïphe a dit du Seigneur : « Il est bon qu'un seul homme meure pour le peuple et non pas que toute la nation périsse, » l'Evangile ajoute : « Or, il ne dit point cela de lui-même; mais, étant grand-prêtre de cette année, il prophétisa que Jésus devait mourir pour la nation; et non-seulement pour la nation, mais aussi pour qu'il rassemblât les enfants de Dieu qui étaient dispersés (1). » Les enfants de Dieu sont ici des hommes qui n'appartenaient même pas à la nation juive, des hommes établis au milieu d'autres peuples et qui n'étaient ni fidèles, ni baptisés. Comment étaient-ils enfants de Dieu si ce n'est par la prédestination selon laquelle l'Apôtre dit que Dieu nous a choisis en Jésus-Christ avant la création du monde (2)? Or cette réunion. devait rendre ces hommes les enfants de Dieu. L'unité dont il est ici question n'est pas une unité de lieu, puisque le Prophète, prédisant la vocation des gentils, dit : « Toutes les îles des nations « l'adoreront, et chacun dans son pays (3); » mais il s'agit de l'unité de l'esprit et de l'unité du corps, dont le Christ est le chef unique. C'est cette réunion qui est l'édification du temple de Dieu; elle est l'oeuvre, non pas de la génération charnelle, mais de la régénération spirituelle.

38. Chaque enfant de Dieu est donc comme un temple où Dieu habite, et tous forment ensemble un temple où il fait aussi sa demeure. Tant que ce temple flotte sur la mer de ce monde comme l'arche de Noé, nous voyons s'accomplir cette parole du Psalmiste : « Le Seigneur demeure sur les eaux du déluge; » ces mots toutefois peuvent aussi, d'après l'Apocalypse (4), s'entendre des peuples nombreux de fidèles répandus parmi toutes les -nations, en qui Dieu habite. Le Psalmiste ajoute : « Le Seigneur s'assiera roi pour l'éternité (5) ; » c'est-à-dire dans son temple après que les agitations de la vie où nous sommes auront fait place à la vie éternelle. Dieu est donc présent partout et tout entier partout; il n'habite pas partout, mais dans ceux qui forment son temple et pour lesquels il est bon et miséricordieux par sa grâce; et il n'habite qu'autant qu'on le possède, les uns plus, les autres moins.

39. Quant à notre chef, l'Apôtre a dit de lui « que toute la plénitude de la divinité habite corporellement en lui. » « Corporellement » ne

 

1. Jean, XI, 50-52. — 2. Eph. I, 4. — 3. Sophonie , II, 11. — 4. Apoc. XVII, 15. — 5. Ps. XXVIII, 10.

 

veut pas dire que Dieu soit corporel. En effet, ou bien saint Paul, usant d'une métaphore, a voulu nous faire entendre que l'ombre seule du Seigneur habite dans un temple fait de main d'homme, au milieu des signes figuratifs, car il nomme toutes les observances de l'ancienne loi « des ombres des choses futures (1), » ce qui est aussi une métaphore; car le Dieu suprême, est-il écrit, « n'habite point dans les temples bâtis par les hommes (2). » Ou bien l'Apôtre s'est servi du mot « corporellement, » parce que le corps du Christ, né d'une vierge, est comme un temple où Dieu habite. « Détruisez ce temple et je le ressusciterai dans trois jours, » disait le Sauveur aux Juifs qui demandaient un miracle; l'Evangéliste ne manque pas d'ajouter que c'est de son corps que le Christ voulait parler (3).

40. Quoi donc? Pensons-nous que l'unique différence entre le chef et les autres membres, c'est que la divinité n’habite pas dans les membres les plus considérables, grand prophète ou grand apôtre, comme elle habite dans le chef qui est le Christ et qui la possède selon toute sa plénitude? Il y a du sentiment dans toutes les parties de notre corps, mais c'est dans la tête qu'il y en a le plus, parce que les cinq sens s'y trouvent : la vue, l'ouïe, l'odorat, le goût et le toucher ; les autres parties du corps n'ont que le toucher. Outre cette plénitude de la divinité qui habite dans le corps du Christ comme dans un temple, n'y a-t-il pas encore quelque chose qui distingue le chef du membre même le plus excellent? Oui, sans doute, c'est l'union de l'humanité du Christ avec le Verbe et qui fait de l'homme et de Dieu une seule et même personne. Il n'y a aucun saint dont on ait pu, dont on peut ou dont on pourra dire : « Le Verbe s'est fait chair (4); » il n'y a aucun saint, quelque grâce qu'il ait reçue, qui ait été appelé le Fils unique de Dieu, et qui, ayant participé à la nature humaine, ait été le Verbe même de Dieu avant les siècles. Cette incarnation est donc unique; elle ne s'est rencontrée pour aucun saint, à quelque degré de sagesse et de sainteté qu'il soit monté. C'est ici un manifeste et grand exemple de la grâce divine. Qui serait assez sacrilège pour oser affirmer qu'on puisse, par le mérite du libre arbitre, devenir un nouveau Christ? Comment une âme toute seule aurait-elle pu, par le libre arbitre donné

 

1. Coloss. II, 9, 16, 17. — 2. Act. XVII, 24. — 3. Jean, II, 19, 21. — 4. Ibid. I, 14.

 

naturellement à chacun, appartenir à la personne du Verbe sans un bienfait singulier de la grâce, cette grâce qu'il faut prêcher et dont il ne faut pas vouloir juger ?

41. Si, selon la mesure de nos forces et avec l'aide de Dieu, nous venons de traiter ces questions avec vérité; quand vous entreprenez de vous représenter Dieu présent partout, non pas occupant des points dans l'étendue à -la manière des corps, mais tout entier partout, détournez votre esprit de toutes ces images sensibles que la pensée humaine a coutume de rouler. Car ce n'est pas ainsi qu'on doit se représenter la sagesse, la justice, la charité, dont il est écrit : « Dieu est charité (1). » Et lorsque vous voulez vous retracer l'habitation de Dieu dans les âmes; pensez à l'unité et à la réunion des saints, d'abord au ciel où il est dit que surtout il habite, parce que là s'accomplit sa volonté par la parfaite obéissance des saints ; ensuite sur la terre, où Dieu habite une demeure qu'il bâtit, pour en faire la dédicace à la fin des siècles. Mais pour Notre-Seigneur Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, égâl à son Père, et en même temps fils de l'homme, ce qui rend son Père plus grand que lui, croyez qu'en tant que Dieu, il est tout entier présent partout, qu'il habite dans ceux en qui Dieu habite comme dans son temple; croyez aussi que son corps, un corps véritable est dans quelque endroit du ciel.

Mais, cédant au plaisir de parler avec vous, j'ignore si je n'ai pas passé les bornes, comme pour compenser mon long silence par l'extrême étendue du discours. Votre piété et votre bonté vous ont mis si avant dans mon âme, que véritablement je crois m'entretenir avec un ami. Si vous trouvez dans mon oeuvre quelque chose de bon, rendez-en grâces à Dieu; si vous y voyez des défauts, pardonnez-les comme pardonne un ami; souhaitez que je m'en corrige, souhaitez-le avec autant de sincérité que vous en aurez mis à m'accorder mon pardon.

 

1. I Jean, IV, 8.

 

 

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