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LETTRE CXC. (Année 418.)L'évêque Optat dont il s'agit ici et qu'il ne faut pas confondre avec Optat (de Milève), avait écrit un livre sur l'origine de l'âme ; il désirait savoir l'opinion de saint Augustin sur cette question. L'évêque d'Hippone l'avertit de ce à quoi il faut prendre garde et semble craindre qu'Optat ne se laisse entraîner peut-être vers l'erreur pélagienne. Il tient avant tout à établir et à sauvegarder la doctrine du péché originel.
AUGUSTIN A SON BIENHEUREUX SEIGNEUR , A SON CHER FRÈRE ET COLLÈGUE OPTAT1 SALUT DANS LE SEIGNEUR.
1. Je n'ai reçu de votre sainteté aucune lettre particulière ; mais j'étais à Césarée (1) , où nous avaient conduits les ordres du vénérable pape Zozime pour une affaire ecclésiastique, lorsqu' y est arrivée la lettre que vous avez adressée à nos collègues de la Mauritanie Césarienne (2) ; c'est ainsi que j'ai lu ce que vous avez écrit. Votre lettre m'a été remise par le saint serviteur de Dieu, Réné, notre cher frère en Jésus-Christ; quoique je sois extrêmement occupé, il a voulu que je vous répondisse. Un autre de nos saints frères qui mérite d'être nommé avec honneur, et qui, d'après ce qu'il m'a dit, est votre parent, Muresse (3), est aussi arrivé pendant que nous étions dans la même ville. Il m'a raconté que votre Révérence lui avait écrit sur le même sujet; il m'a consulté et m'a prié de vous faire savoir, par lui ou par moi-même, ce que je pensé sur la question suivante : Les âmes naissent-elles comme les corps, par voie de propagation, et proviennent-elles de. l'âme du premier homme; ou bien le Créateur tout-puissant, qui agit sans cesse, crée-t-il immédiatement de nouvelles âmes pour tout homme venant au monde ? 2. Avant tout, je veux que vous sachiez que, dans mes ouvrages en si grand nombre, je n'ai jamais osé me prononcer sur cette question, ni enseigner impudemment aux autres ce qui pour moi restait encore inexpliqué. Il serait
1. Aujourd'hui Cherchell. 2. L'ancienne Mauritanie césarienne est représentée par notre province d'Alger. 3. Ce nom, évidemment défiguré, est écrit de diverses manières dans les anciens manuscrits des Lettres de saint Augustin. Il en est ainsi de beaucoup d'autres noms propres que nous rencontrons dans ce travail.
trop long de vous dire dans une lettre les raisons qui m'empêchent de prendre un parti et qui me tiennent indécis entre l'une et l'autre opinion. Il n'est pas besoin, d'ailleurs, d'aller au fond de ces motifs pour examiner la question elle-même et se mettre en mesure, non pas d'écarter le doute, mais d'éviter toute témérité. 3. La foi chrétienne est surtout dans ces paroles : « C'est par un homme que la mort est venue, c'est par un homme que vient la résurrection : de même que tous meurent en Adam, ainsi tous seront vivifiés dans le Christ (1).» « Comme le péché est entré dans le monde par un seul homme et la mort par le péché, ainsi la mort a passé à tous les hommes par ce seul homme en qui tous ont péché.» « Nous avons été condamnés par le jugement de Dieu pour un seul péché, au lieu que nous sommes justifiés par la grâce après plusieurs péchés.» Et encore: « Tous les hommes sont tombés dans la condamnation par le péché d'un seul, et, par la justice d'un seul, tous les hommes reçoivent la justification qui donne la vie (2). » Ces paroles et d'autres peut-être déclarent que personne ne naît d'Adam sans être lié par le péché et la condamnation, et que personne n'est délivré qu'en renaissant par le Christ. C'est à quoi nous devons rester fortement attachés, et nous devons croire que celui qui le nie n'appartient en aucune manière ni à la foi du Christ ni à cette grâce de Dieu qui est donnée par le Christ aux petits et aux grands. Ainsi, on peut sans danger ignorer l'origine de l'âme, pourvu que l'on connaisse la rédemption ce n'est pas pour naître que nous croyons en Jésus-Christ, c'est pour renaître, de quelque manière que nous soyons nés. 4. Nous disons qu'on peut sans danger ignorer l'origine de l'âme ; il ne faut pas croire pourtant qu'elle soit une portion de Dieu: c'est une créature. Elle n'est pas née de Dieu, mais faite par lui, pour être adoptée par un miracle de bonté et de grâce, et non point par égale dignité de nature. Nous disons que l'âme n'est pas un corps, mais un esprit, qu'elle n'est pas un esprit créateur, mais créé. Elle n'est pas venue en ce corps corruptible qui l'appesantit, en expiation de fautes qu'elle aurait commises dans une vie précédente, dans je ne sais quelles parties du ciel ou du inonde; car l'Apôtre, lorsqu'il parle des deux enfants jumeaux de Rébecca, dit qu'avant de naître ils n'avaient
1. I Cor. XV, 21, 22. 2.
fait ni bien ni mal, afin que l'on sût que la subordination de l'aîné au plus jeune venait d'une vocation et non pas d'oeuvres antérieures (1). 5. Ceci étant fortement établi, si l'origine de l'âme est cachée dans les profondeurs obscures des uvres de Dieu au point que nous ne trouvions rien dans les saintes Ecritures qui nous explique pourquoi ceux qui ne sont pas encore nés n'ont fait ni bien ni mal, si c'est parce que chacun d'eux reçoit une âme créée de rien et non point formée par voie de propagation, ou parce que, tout en étant originairement dans les parents, ils ne vivaient pas encore d'une oie qui leur fût propre, toujours est-il que nous devons croire d'une foi inébranlable que nul homme, n'importe son âge, ne saurait être délivré de la contagion originelle de l'ancienne mort et des chaînes du péché contracté par la première naissance, que par le Médiateur unique entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme (2). 6. C'est par la foi en cet homme-Dieu qu'ont été sauvés les anciens justes eux-mêmes: longtemps avant qu'il vînt sous le voile d'une chair mortelle, ils ont cru qu'il viendrait. Leur foi et la nôtre, c'est une même foi; ce qu'ils ont cru comme devant être, nous le croyons comme fait. De là ces paroles de l'Apôtre : « Nous avons le même Esprit de foi selon ce qui est écrit : jai cru, c'est pourquoi j'ai parlé; nous croyons aussi, c'est pourquoi nous parlons (3). » Si donc l'Esprit de la foi est le même et pour ceux qui ont prophétisé le futur avènement du Christ et pour ceux qui l'ont prêché comme un événement accompli, les sacrements ont pu être différents à cause de la différence des temps, mais cependant ils concourent à l'unité de la même foi. Il est écrit dans les Actes des Apôtres (c'est l'apôtre Pierre qui parle) : « Maintenant pourquoi tentez-vous Dieu en imposant aux disciples un joug que ni nos pères ni nous n'avons pu porter? Mais nous croyons que c'est par la grâce du Seigneur Jésus que nous sommes sauvés, comme eux aussi (4). » Si donc eux aussi, c'est-à-dire les pères, ne pouvant porter le joug de l'ancienne loi, ont cru qu'ils étaient sauvés par la grâce du Seigneur Jésus, il est manifeste que cette grâce a fait vivre de la foi les anciens justes eux-mêmes : car le juste vit de la foi (5).
1. Rom. IX, 11-13. 2. Tim. II, 5. 3. II Cor. IV, 13. 4. Act. XV, 10, 11. 5. Habac. II, 4.
7. Mais la loi est venue pour que le péché abondât, pour que surabondât la grâce par laquelle serait guérie l'abondance du péché (1). Car si la loi qui a été donnée avait pu vivifier, la justice viendrait de la loi (2). Quel a donc été le bienfait de la loi? C'est ce que l'Apôtre nous apprend par ces mots : « L'écriture a tout renfermé dans le péché, afin que la promesse fût donnée par la foi en Jésus-Christ à ceux qui croiraient (3). » Ainsi la loi devait être donnée pour mieux montrer l'homme à lui-même, de peur que l'esprit humain, dans son orgueil, ne pensât qu'il pouvait être juste de son propre fonds, et que, ignorant la justice de Dieu, c'est-à-dire celle qui est à l'homme par Dieu même, et voulant établir la sienne propre, c'est-à-dire voulant faire croire à une justice produite par ses propres forces, il ne se soumit pas à la justice de Dieu (4). Il fallait donc que cette prescription divine : « Tu ne convoiteras pas (5), » si elle était violée, mît l'orgueil du pécheur sous le coup du crime de prévarication, et que l'homme, convaincu d'une infirmité que la loi était impuissante à guérir, cherchât le remède de la grâce. 8. Ainsi donc tous les justes, c'est-à-dire les véritables adorateurs de Dieu, avant l'incarnation du Christ ou depuis, n'ont vécu et ne vivent que de la foi en l'incarnation du Sauveur, en qui est la plénitude de la grâce; et ces paroles « qu'il n'y a pas d'autre nom que le sien, dans lequel il nous faille être sauvé (6), » ont pu s'accomplir, pour le salut du genre humain, depuis que le genre humain a été corrompu par le péché d'Adam. « Car de même que tous meurent en Adam, ainsi tous seront vivifiés en Jésus-Christ. » Comme personne n'est dans le royaume de la mort que par Adam, ainsi personne n'est dans le royaume de la vie sans le Christ. C'est par Adam que tous sont pécheurs; il n'y a de justes que par le Christ. Comme c'est par Adam que tous ceux qui sont mortels en punition de la faute originelle, deviennent enfants du siècle, ainsi c'est par le Christ que tous les immortels deviennent par la grâce enfants de Dieu. 9. Pourquoi Dieu crée-t-il ceux qu'il sait d'avance appartenir à la condamnation et non pas à la grâce? Le bienheureux Apôtre répond à cette question avec d'autant plus de brièveté qu'il a plus d'autorité. Il dit que Dieu, voulant
1. Rom. V, 20. 2. Gal. III, 21. 3. Ibid. 22. 4.
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« montrer sa colère et faire éclater sa puissance, a supporté avec grande patience les vases de colère formés pour la perdition afin de faire paraître les richesses de sa gloire sur les vases de miséricorde. » L'Apôtre avait dit plus haut que Dieu est comme un potier qui « de la même masse tire un vase d'honneur et un vase d'ignominie (1). » Il semblerait qu'il y eût de l'injustice dans la formation des vases de colère pour la perdition, si toute cette masse d'Adam n'était condamnée Si donc ils naissent vases de colère, c'est u châtiment mérité ; et s'ils renaissent vases de miséricorde , c'est une grâce pleinement gratuite. 10. Dieu montre donc sa colère; ce n'est point un trouble d'esprit comme celui qui accompagne la colère de l'homme; c'est une punition juste et invariablement résolue, parce que le péché et la peine proviennent d'une racine de désobéissance. Il est écrit dans le livre de Job : « L'homme né de la femme a une vie courte et il est plein de colère (2). » Il est un vase de colère, parce qu'il en est plein; telle est l'origine des vases de colère. Dieu montre aussi sa puissance, par laquelle il fait un bon usage des méchants; même il leur donne en abondance les biens naturels et temporels, et se sert de leur malice pour éprouver et instruire les bons; il apprend à ceux-ci à rendre grâces à Dieu d'avoir été tirés, non par leurs mérites, mais par la miséricorde de Dieu, de la masse condamnée, où leur état était le même que celui des autres. Cette miséricorde apparaît surtout dans les petits enfants; lorsqu'ils renaissent par la grâce du Christ, et que, sortant de la vie à ce premier âge, ils passent à une heureuse éternité, on ne peut pas dire que ce soit à cause de leur libre arbitre que Dieu les sépare des autres enfants qui meurent sans cette grâce dans la masse réprouvée. 11. Si ceux-là seuls naissaient d'Adam qui doivent renaître par la grâce , et s'il n'en naissait pas d'autres que ceux qui sont adoptés comme enfants de Dieu, on ne verrait pas le bienfait accordé à des indignes, car alors aucun de ces rejetons d'une racine condamnée ne subirait une peine méritée. Mais comme Dieu supporte avec beaucoup de patience les vases de colère, formés pour la perdition, non-seulement il montre sa colère et laisse éclater
1. Nom. IX, 22, 21. 2. Job, XIV, I, selon les Septante.
sa puissance en punissant, en faisant un bon usage de ceux qui ne sont pas bons; mais même il fait voir les richesses de sa gloire sur les vases de miséricorde. Celui qui a été justifié reconnaît alors qu'il l'a été gratuitement et qu'il a été discerné, non pas à cause de son propre mérite, mais par un pur effet de la grande miséricorde de Dieu , lorsqu'il se compare au damné dont le malheur aurait pu très-justement devenir le sien. 12. Dieu a voulu la naissance de tant d'hommes qu'il savait d'avance ne pas appartenir à sa grâce, pour qu'ils fussent incomparablement plus nombreux que les enfants de la promesse qu'il a daignés prédestiner à la gloire de son royaume; cette multitude de réprouvés devait montrer que le nombre des damnés, quel qu'il soit, lorsqu'ils le son! justement, ne fait rien à là justice de Dieu, Par là aussi, ceux qui sont délivrés de cette damnation comprennent que tous ont mérité ce qui en frappe une grande partie, non-seulement parmi ceux qui ajoutent volontaire ment beaucoup d'actions mauvaises au péché originel, mais même parmi les enfants qui, coupables seulement de la faute du premier homme, sont enlevés à la terre sans la grâce du Médiateur. Toute cette masse aurait subi la peine d'une juste condamnation, si le potier, à la foi juste et miséricordieux, n'en avait tiré des vases d'honneur selon la grâce, non selon ce qu'il leur devait : car il vient au secours des enfants dont on ne peut pas dire qu'ils aient des mérites, et prévient ceux qui ne sont plus enfants, afin qu'ils puissent accomplir des oeuvres méritoires. 13. Cela étant, si votre sentiment ne va pas jusqu'à supposer que des âmes nouvelles ne puissent pas, à cause de l'innocence de leur création récente, être soumises à la condamnation originelle jusqu'à ce qu'elles fassent un libre usage de leur volonté pour pécher; mais si, vous tenant à la foi catholique, vous reconnaissez que, sorties de ce monde au premier âge, elles iraient à la perdition, à moins qu'elles ne fussent délivrées par le sacrement du Médiateur , qui est venu chercher et sauver ce qui était perdu (1) : cherchez où , d'où et quand ces âmes, si elles sont nouvelles, auront commencé à mériter la damnation, et gardez vous de faire de Dieu, ou de quelque nature non créée par lui, l'auteur de leur péché et de
1. Luc. XIX, 10.
la condamnation de leur innocence. Et si vous trouvez ce que je vous invite à chercher, ce que j'avoue n'avoir pas encore trouvé moi-même, alors soutenez, autant que vous le pourrez, et maintenez que les âmes des enfants qui naissent sont des âmes nouvelles qui ne viennent point par voie de propagation ; communiquez-nous avec un fraternel amour ce que vous aurez découvert. 14. Mais si, dans l'opinion qu'elles ne proviennent point de l'âme coupable du premier homme et qu'elles sont enfermées, nouvelles et innocentes, dans la chair du péché, vous ne découvrez pourquoi ni comment les âmes des enfants deviennent pécheresses, et participent à la condamnation d'Adam sans porter en elles-mêmes rien de mauvais ; ne passez pas légèrement à une autre opinion et ne croyez pas qu'elles tirent leur origine de la première âme humaine. Car un autre trouvera peut-être ce qui maintenant échappe aux recherches de votre esprit, et peut-être même trouverez-vous un jour ce qu'aujourd'hui vous cherchez en vain. Ceux qui soutiennent que les âmes proviennent, par voie de propagation, de l'âme que Dieu donna au premier homme, s'attachent au sentiment de Tertullien, iront jusqu'à prétendre que les âmes ne sont pas des esprits mais des corps, et qu'elles naissent des corps : quoi de plus mauvais qu'une opinion pareille ! Il n'est pas étonnant que Tertullien ait rêvé cela, lui qui croit que le Dieu créateur lui-même n'est rien autre qu'un corps (1). 15. Une fois cette démence écartée du coeur et de la bouche d'un chrétien, quiconque reconnaît, comme il est vrai, que l'âme n'est pas un corps mais un esprit, et que cependant elle passe des pères dans les enfants , ne rencontre aucune difficulté dans cette vérité de la foi catholique, que toutes les âmes, même celles des enfants que l'Eglise baptise pour les laver réellement de leurs péchés, sont coupables de la faute originelle commise par la volonté du premier homme, transmise par la génération à toute sa postérité et ineffaçable autrement que par la régénération. Mais lorsqu'on essayera d'aller au fond de cette.
1. Tertullien a parlé de l'âme dans son Traité de lâme et dans son Traité contre Praxéas. Il a eu des commentateurs qui ont voulu le laver du reproche que lui adresse saint Augustin et que d'autres défenseurs de la vérité religieuse lui ont adressé. On justifie Tertullien en disant qu'il s'est servi du mot corps dans le sens de substance. Il est difficile d'admettre qu'un aussi pénétrant génie que l'évêque d'Hippone ait été trompé par les obscurités du style de Tertullien.
opinion, ce sera une merveille qu'une intelligence d'homme comprenne comment une âme est formée par celle du père, ainsi qu'un flambeau s'allume à un autre flambeau sans que celui qui communique la lumière perde rien de la sienne. Au moment de l'acte de la génération, y a-t-il une voie secrète et invisible par où le germe incorporel d'une âme passe du père dans la mère? et, ce qui est plus incroyable, ce germe incorporel de l'âme est-il caché dans le germe du corps? Quand la matière séminale coule inutilement, que devient le germe de l'âme? ne sort-il pas en même temps que le reste? rentre-t-il aussitôt dans ce qui est son principe? ou bien périt-il? et s'il périt, comment d'un germé mortel peut-il sortir une âme immortelle? L'âme ne recevrait-elle l'immortalité que lorsqu'elle est formée pour vivre, comme elle ne reçoit la justice que lorsqu'elle est formée pour comprendre? Et de quelle manière Dieu crée-t-il l'âme dans l'homme, si une âme tire son origine d'une autre? En serait-il de l'âme comme du corps qui est l'oeuvre de Dieu, quoique le corps soit produit par un autre corps par voie de propagation ? Si la créature spirituelle n'était point l'oeuvre de Dieu, l'Ecriture ne dirait pas que « Dieu forme l'esprit de l'homme en lui-même (1), » et « qu'il forme les coeurs des hommes chacun en particulier (2). » Si les coeurs signifient les âmes, qui peut douter que ce soit Dieu qui les forme? Mais nous cherchons à savoir si toutes les âmes proviennent de celle d'Adam, de même que c'est du corps du premier homme que Dieu crée le corps de tous ceux qui naissent. 16. Quand on vient à se poser ces difficultés que les sens ne peuvent aider à résoudre et pour lesquelles. l'expérience n'a aucune lumière, parce que ce sont des choses cachées dans les plus secrètes profondeurs de la nature, il n'y a pas de honte pour l'homme à avouer son ignorance : lorsqu'on dit faussement que l'on sait, on s'expose à mériter de ne savoir jamais. A moins de contredire ouvertement les paroles de Dieu, qui peut nier que Dieu soit, non-seulement le créateur de l'âme du premier homme mais même de toutes les âmes? Car il dit par le Prophète sans aucune ambiguïté : « C'est moi qui ai fait tout souffle (3); » et par là l'Ecriture entend les âmes, pomme la suite du passage le fait voir.
1. Zach, XII, 1. 2. Ps. XXXII, 15. 3. Is. LVII, 16.
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Dieu n'a donc pas seulement répandu son souffle sur le premier homme fait de la terre, mais tout souffle a été, est encore son oeuvre. Mais on demande s'il crée tout souffle du premier souffle comme tout corps du premier corps; ou si, faisant des corps nouveaux avec celui du premier homme, il fait de nouvelles âmes de rien. Car qui produira avec des semences, chaque chose selon son espèce, si ce n'est celui qui a créé ces semences, même sans semences? Mais du moment qu'une chose naturellement obscure passe notre mesure et qu'un passage clair des divines Ecritures ne nous aide pas à la comprendre, le jugement humain ne pourrait rien affirmer sans présomption et témérité. Quoi qu'il en soit, lorsque nous disons que de nouveaux hommes naissent soit par l'âme, soit par le corps, c'est selon la vie propre que chacun d'eux commence à mener. Car l'homme naît vieil homme sous le coup du péché originel; c'est pourquoi le baptême le renouvelle. 17. Je n'ai donc rien trouvé encore de certain sur l'origine de l'âme dans les Ecritures canoniques. Ceux qui soutiennent que de nouvelles âmes sont créées en dehors de la voie de la propagation, invoquent entre autres témoignages les deux passages que j'ai cités plus haut : « Celui qui forme l'esprit de l'homme en lui-même, » et « Celui qui a formé les coeurs des hommes chacun en particulier. » Vous voyez ce que pourraient ici répondre ceux qui sont d'un avis contraire; ils demanderaient si c'est d'une autre âme ou si c'est de rien que Dieu forme les nouvelles âmes. Le principal témoignage sur lequel s'appuie cette opinion est tiré de l'Ecclésiaste de Salomon : « La poussière retournera à la terre d'où elle est sortie, et l'esprit retournera à Dieu qui l'a donné (1). » Mais il est aisé de répondre que ce corps retourne à la terre d'où a été tiré celui du premier homme et que l'esprit retourne à Dieu qui a fait l'âme du premier homme. De même que notre corps, disent les partisans de la propagation des âmes, quoique issu du corps du premier homme retourne là d'où ce premier corps est sorti; ainsi notre âme, quoiqu'elle provienne de celle d'Adam, au lieu de tomber dans le néant puisqu'elle est immortelle, retourne à celui par qui la première âme a été créée. Ce passage de l'Ecriture sur
1. Ecclés. XII, 7.
l'esprit de l'homme qui retourne à Dieu qui l'a donné, ne résout donc pas l'obscure question : que l'esprit vienne de celui du premier homme ou de nul autre, c'est toujours Dieu qui le donne. 18. A leur tour, les partisans téméraires de la propagation des âmes ne peuvent avoir rien de plus concluant à nous citer que ce passage de la Genèse : « Toutes les âmes qui vinrent avec Jacob en Egypte et qui étaient sorties de lui (1). » On peut voir dans ces paroles la preuve évidente que les âmes passent des pères dans les enfants, et que non-seulement les corps mais les âmes étaient sorties de Jacob. Ils veulent aussi que la partie soit prise pour le tout dans ces paroles d'Adam, quand sa femme lui fut montrée : « Voilà maintenant l'os de mes os et la chair de ma chair (2): » Adam ne dit pas : l'âme de mon âme, mais il peut se faire qu'en nommant la chair, le premier homme ait voulu nommer le corps et l'âme, comme, dans le passage cité plus haut, il n'est question que « des âmes, » quoique l'Ecriture ait voulu aussi parler des corps. 19. Mais ce témoignage qui leur paraît si manifeste et si positif ne suffirait pas pour résoudre la question, lors même qu'on suppose. rait les mots au féminin et qu'on lirait : Quae exierunt de femoribus ejus, ce qui devrait faire entendre que les âmes sortirent de Jacob. Cela ne suffirait pas, parce que sous le nom d'âme on peut désigner 'ici le corps seule. ment, d'après une forme de locution qui désigne le contenant par le nom du contenu, Ainsi il est dit dans Virgile qu'ils « couronnent « les vins (3), » pour signifier que les coupes sont couronnées : le vin est contenu, et la coupe contient. De même aussi que nous appelons église la basilique qui contient le peuple qui est appelé véritablement l'église; et ici on désigne sous le nom de l'église, c'est-à-dire du peuple qui est contenu, le lieu qui le contient; ainsi les âmes étant contenues dans les corps, on peut n'entendre par ce mot que les corps des enfants de Jacob. C'est le sens qu'il faut donner à l'endroit du livre des Nombres où il est dit que « celui-là est souillé qui a touché « une âme morte (4) ; » l'Ecriture ne veut parler ici que du cadavre d'un mort; ces mots: « âme morte » désignent le corps qui contenait l'âme. Ainsi, quoique le peuple, c'est-à-dire
1. Gen. XLVI, 26. 2. Gen., II, 23. 3. Enéide, 7. 4. Nomb. IX, 10.
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église, ne soit plus dans la basilique où il sassemble, la basilique ne s'appelle pas moins une église. Voilà ce qu'on répondrait si les expressions dont il s'agit étaient au féminin et quon lût: quae exierunt de femoribus Jacob; quae ne pourrait se rapporter qu'à animae. Mais l'endroit est au masculin; il y est dit: qui exierunt de femoribus Jacob. Il vaut donc mieux entendre toutes les âmes de ceux, c'est-à-dire des hommes qui sortirent de Jacob; et par là on comprend qu'il n'est question ici que des corps auxquels appartenaient ces âmes dont le nombre exprime le nombre d'hommes. 20. Je voudrais lire votre livre, dont vous parlez dans votre lettre, pour voir s'il s'y trouve des témoignages positifs. Un ami (1) qui m'est cher et qui est fort appliqué à l'étude des divins livres, m'avait demandé mon sentiment sur cette question; je lui avouai sans honte l'inutilité de mes recherches et mon ignorance (2). Il en écrivit alors au delà des mers à un très savant homme (3). Celui-ci, dans sa réponse (4) l'engagea à me consulter, ne sachant pas qu'il l'avait déjà fait et qu'il n'avait pu obtenir de moi rien de certain et de définitif. Il fit voir cependant dans cette courte réponse, qu'il croyait plutôt à la création qu'à la propagation des âmes : il ajoutait en même temps (car lui-même est en Orient), que le sentiment contraire au sien était le sentiment commun de l'Eglise d'Occident. Je profitai de cette occasion pour lui écrire longuement (5) et le consulter : je lui demandai de m'instruire avant de m'adresser des gens que je dusse instruire moi-même. 21. Ce livre où je ne prends pas le ton d'un homme qui enseigne, mais d'un homme qui cherche et qui désire apprendre, peut se lire chez moi ; il ne doit être envoyé nulle part ni donné à personne hors de ma demeure, avant que j'aie reçu la réponse avec l'aide de Dieu. Je suis tout prêt à adopter l'opinion de ce saint homme s'il peut m'expliquer comment les âmes ne venant pas d'Adam, seraient justement condamnées à cause de son péché, à moins d'en obtenir la rémission par la régénération. A Dieu ne plaise que nous croyons jamais que les âmes des enfants reçoivent une fausse purification dans le baptême, ou que Dieu ou qu'une nature non créée par lui soit
1. Marcellin. 2. C'esti. 143e lettre. 3. Saint Jérôme. 4. Cette réponse de saint Jérôme est la 165e lettre de ce recueil. 5.On a vu cette lettre de saint Augustin qui est la 266e.
l'auteur du péché dont ces enfants sont purifiés ! Donc, jusqu'à ce que Jérôme m'explique ou que moi-même, si Dieu veut, j'apprenne comment des âmes, ne tirant pas leur origine de celle d'Adam, deviennent coupables du péché originel, qui nécessairement doit se trouver dans tous les enfants et où une âme innocente n'est poussée ni par Dieu, qui n'est pas l'auteur du péché, ni par aucun principe du mal, parce que ce principe n'existe pas; je n'ose rien soutenir de semblable. 22. Pour vous, mon très-cher frère, permettez-moi de vous avertir de ne pas tomber dans une hérésie nouvelle qui s'efforce de renverser les solides fondements de notre antique foi, en attaquant la grâce de Dieu, que le Seigneur Jésus-Christ accorde avec une bonté ineffable aux petits et aux grands. Pélage et Célestius en sont les auteurs ou du moins les défenseurs les plus ardents et les plus connus ; avec le secours du Sauveur, qui protège son Eglise, la vigilance des conciles ainsi que deux vénérables pontifes du siège apostolique, le pape Innocent et le pape Zozime, les ont condamnés dans tout l'univers, sauf leur retour à la vérité et leur réconciliation avec l'Eglise par la pénitence. Des lettres de ces pontifes ont été adressées, touchant ces novateurs, les unes particulièrement aux évêques d'Afrique, les autres à tous les évêques du monde chrétien; dans la crainte qu'elles ne soient point encore parvenues à votre sainteté, je vous en fais envoyer des copies par les frères même à qui je remets cette lettre pour votre Révérence. Pélage et Célestius ne sont pas hérétiques pour avoir dit que les âmes ne tirent par leur origine de la première âme qui a péché; il est possible que cela soit vrai par quelque raison et on peut l'ignorer sans que la foi en souffre ; mais ils soutiennent (et c'est par là qu'ils sont ouvertement hérétiques), que les âmes des enfants ne reçoivent d'Adam rien de mauvais qui doive être purifié par les eaux de la régénération. Car voici sur ce point le raisonnement de Pélage tel qu'il est rapporté, entre autres choses condamnables, dans les lettres du Siège Apostolique : « Si l'âme ne tire pas son origine de celle d'Adam et que ce soit seulement le corps, il n'y a donc que le corps qui mérite la peine. Car il n'est pas juste que l'âme née aujourd'hui et née autrement que par voie de propagation, supporte les effets d'un si ancien péché commis par un autre : il n'y a (534) aucune raison pour que Dieu, qui nous pardonne nos propres péchés, nous impute un péché d'autrui. » 23. Si donc vous pouvez défendre votre sentiment sur la formation d'âmes nouvelles sans propagation, de manière à montrer qu'elles restent coupables du péché du premier homme par des raisons justes et non contraires à la foi catholique, soutenez ce que vous pensez autant que vous le pourrez. Mais s'il vous est impossible de rejeter l'opinion de la propagation sans affranchir les âmes du péché originel, abstenez-vous entièrement d'une discussion de ce genre. Car elle n'est pas fausse la rémission des péchés dans le baptême des enfants; ce n'est pas une affaire de mots, c'est un acte véritable. Et je citerai ici les termes mêmes du bienheureux pape Zozime dans sa lettre : « Le Seigneur est fidèle dans ses paroles; et son baptême, par l'effet et les paroles, c'est-à-dire par l'oeuvre, la confession et la rémission véritable des péchés, a la même plénitude pour tout sexe, tout âge, toute condition du genre humain. Il n'y a que celui qui a été l'esclave du péché qui devienne libre; il ne peut y avoir de racheté que celui qui a été véritablement captif par le péché , comme il est écrit : Si le Fils vous a délivrés, vous serez véritablement libres (1). Par lui nous renaissons spirituellement , par lui nous sommes crucifiés au monde. Sa mort nous a délivrés de cette dette de mort que le péché d'Adam fait peser sur toute âme humaine : tous ceux qui naissent y sont soumis jusqu'à ce que la grâce libératrice du baptême leur soit accordée. » La foi catholique , renfermée dans ces paroles du Siège Apostolique; est si ancienne et si fortement établie , si certaine et si claire , qu'il n'est pas permis à un chrétien d'en douter. 24. Puisque donc la mort du Christ a délivré de la dette héréditaire de la mort, non pas une ou quelques âmes , mais toutes les âmes ; si vous pouvez défendre le sentiment de la création journalière des âmes, de manière à démontrer, par de bonnes raisons, qu'elles naissent engagées dans cette dette d'où la mort seule du Christ peut les délivrer, et qu'elles y sont justement engagées quoique la chair à laquelle elles se trouvent unies provienne seule d'Adam par voie de propagation , défendez votre sentiment ; non-seulement personne ne vous en empêchera, mais nous vous demanderons
1. Jean, VIII, 36.
à nous montrer comment nous pourrons le soutenir avec vous. Si au contraire vous ne pouvez le faire sans affranchir les âmes du péché du premier homme , ou sans prétendre qu'elles cessent d'être innocentes par la seule propagation de la chair , et qu'ainsi le veut Dieu ou je ne sais quelle nature de mal, mieux vaut laisser l'origine de l'âme dans l'obscure profondeur de son secret, tout en ne pas doutant qu'elle soit une créature de Dieu, que de faire de Dieu l'auteur du péché, ou d'introduire contre Dieu une nature étrangère et ennemie , ou de déclarer inutile le baptême des enfants. 25. Pour que vous receviez de moi quelque chose de positif et de grande importance, quel. que chose qu'il est nécessaire de ne pas oublier, soit que les âmes tirent leur origine de celle du premier homme, soit que Dieu forme des âmes nouvelles pour chacun de ceux qui naissent, je vous dirai que l'âme du Médiateur n'a pas contracté la souillure originelle: c'est un point qu'il n'est pas permis de mettre en doute. Car s'il n'y a pas propagation des âmes là où toutes demeurent liées par la propagation de la chair de péché ; combien moins doit-on attribuer une origine de péché à l'âme de celui dont la chair est venue d'une vierge qui l'a conçue par sa seule foi, afin que cette âme fût unie, non à une chair de péché, mais à une chair qui n'eût que la ressemblance de la chair de péché (1). Et si les âmes naissent coupables parce qu'elles proviennent d'une première âme qui a péché; assurément celle que le Fils unique de Dieu a prise, ou bien a été exempte de la tache originelle, ou ne vient pas de l'âme du premier homme. Il a bien pu tirer pour lui, de cette source commune, une âme sans péché, celui qui nous délivre de nos péchés; celui qui a créé l'âme d'Adam pour un corps qu'il a fait d'un peu de terre, a bien pu créer une âme pour un corps qu'il a pris dans le sein d'une vierge. 26. Voilà ma réponse à la lettre adressée par votre sainteté, non pas à moi, mais à des collègues qui me sont chers; vous n'y aurez pas trouvé la science que vous attendiez, mais une affection pleine de sollicitude. Si vous recevez bien mes conseils fraternels , et qu'en vous préservant de l'erreur, vous restiez en paix avec l'Eglise, j'en rendrai grâces à Dieu. 1e le remercierai plus encore, si, étonné ou non que
1. Rom. VIII, 3.
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je ne sache rien sur l'origine de l'âme, vous voulez bien m'en apprendre quelque chose de certain, sans préjudice de ce que la foi catholique nous enseigne avec tant d'évidence. Souvenez-vous de nous et vivez toujours dans le Seigneur, ô mon bienheureux Seigneur et très-cher frère !
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