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LETTRE CCXXXIII.
Charmante et curieuse lettre de saint Augustin adressée à un philosophe païen. Rien n'est plus attachant que cette façon pacifique et bienveillante de questionner un homme éclairé, encore retenu dans les ombres du polythéisme.
AUGUSTIN A LONGINIEN.
On dit qu'un ancien répétait souvent qu'il est aisé de tout apprendre à ceux qui déjà ne trouvent rien de meilleur que d'être hommes de bien. Longtemps avant ce mot, qui est de Socrate, autant que je puisse m'en souvenir, un prophète avait brièvement et tout ensemble enseigné à l'homme à n'aimer rien tant que d'être bon et par où il pouvait le devenir. « Tu aimeras, dit-il, le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur et de toute ton âme, et de tout ton esprit (1), et tu aimeras ton prochain comme toi-même (2). » On ne peut pas dire que celui qui comprendrait ceci apprendrait facilement le reste, parce que ces commandements renferment tout ce qu'il est utile et salutaire de
1. Deut. VI. 2. Lévitiq. XIX, 18.
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savoir : car il y a beaucoup de doctrines, si toutefois on peut leur donner ce nom, qui sont ou inutiles ou dangereuses. Le Christ rend témoignage à ces livres anciens : « Ces deux commandements, dit-il, comprennent toute la loi et les prophètes (1). » Je crois avoir vu dans vos entretiens avec moi, comme dans un miroir, que par-dessus tout vous désirez être homme de bien; j'ose donc vous demander comment vous croyez qu'on doive adorer le Dieu qui est meilleur que tout, et d'où découle ce qui rend bonne l'âme humaine : quant à l'obligation d'adorer Dieu, je sais que vous n'en doutez pas. Je vous demande aussi ce que vous pensez du Christ. Je me suis aperçu que vous n'en faisiez pas peu de cas; mais croyez-vous qu'on puisse arriver à la vie heureuse par la voie qu'il a tracée et que cette voie soit la seule? Refusez-vous ou différez-vous pour quelque motif d'entrer dans cette voie? Y a-t-il, selon vous, un autre chemin ou d'autres chemins pour arriver à cette vie excellente qui doit être le principal objet de nos voeux ? Voilà ce que je désire savoir, sans mériter, j'espère, un reproche d'indiscrétion. Car je vous aime à cause du précepte que j'ai rappelé plus haut, et j'ai sujet de croire que vous m'aimez : entre gens qui se témoignent d'affectueux sentiments, quoi de plus profitable que de se demander et de chercher ensemble par où on peut devenir bon et heureux !
1. Matth. XXII, 40.
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