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LETTRE CCXXXVI.
Deutérius était évêque de Césarée ; saint Augustin lui dénonce et lui renvoie un sous-diacre convaincu du manichéisme. Il expose en peu de mots la doctrine des manichéens, en expliquant ce qu'on appelait parmi eux les auditeurs et les élus.
AUGUSTIN A SON BIENHEUREUX SEIGNEUR DEUTÉRIUS, SON VÉNÉRABLE , TRÈS-CHER FRÈRE ET COLLÈGUE, SALUT DANS LE SEIGNEUR.
1. J'ai pensé que je ne pouvais rien faire de mieux que d'écrire à votre sainteté, de peur que, par la négligence des pasteurs, l'ennemi ne ravage le troupeau de Notre-Seigneur Jésus-Christ dans votre province; car l'ennemi ne cesse de tendre des piéges pour perdre les âmes rachetées à un si grand prix. Il a été prouvé auprès de nous, qu'un sous-diacre de Malliana, appelé Victorin, est manichéen, et que, depuis longtemps, il cache sous le voile de l'état ecclésiastique de sacrilèges erreurs ; car c'est un homme qui touche déjà à la vieillesse. Il est si bien découvert que, interrogé par moi-même, il a tout avoué sans qu'il ait fallu des témoins pour le convaincre. Ceux à qui il avait fait d'imprudentes confidences étaient du reste si nombreux, qu'il y aurait eu de sa part, je ne dis pas impudence, mais folie, à essayer des dénégations. Il a avoué qu'il était auditeur parmi les Manichéens, et non point élu. 2. Ceux qu'on appelle auditeurs parmi eux se nourrissent de viande, cultivent les champs, . et, s'ils le veulent, se marient; les élus ne font rien de tout cela. Les auditeurs s'agenouillent devant les élus en les suppliant de leur imposer les mains; ce n'est pas seulement aux prêtres, aux évêques, aux diacres qu'ils le demandent, c'est à tous les élus, quels qu'ils soient. Ils adorent et prient avec eux le soleil et la lune jeûnent avec eux le dimanche, et croient avec eux tous les blasphèmes qui rendent si détestable la secte des manichéens. Ils nient que la Christ soit né d'une vierge; ils disent que la chair dont il était revêtu n'était pas véritable, que la Passion n'a donc pas été véritable et que par conséquent il n'y a pas eu de résurrection. Ils blasphèment les patriarches et les prophètes; ils prétendent que la loi donnée par Moïse le serviteur de Dieu, Devient pas du vrai Dieu, mais du prince des ténèbres. Ils croient que non-seulement les âmes des hommes, mais encore les âmes des bêtes sont la substance de Dieu et qu'elles sont véritablement des portions de Dieu. Ils disent que le Dieu bon et véritable a eu à combattre avec la nation des ténèbres, qu'il a mêlé une partie de lui-même avec le prince des ténèbres, que ses élus dans leur nourriture, ainsi que le soleil et la lune, purifient et dégagent, en l'absorbant, cette partie souillée et captive; ils ajoutent que ce qui ne sera pas purifié, lorsque viendra la fin du monde, sera enchaîné et soumis à une peine éternelle. Ainsi donc, selon la doctrine des manichéens, non-seulement Dieu est susceptible d'altération, de corruption et de souillure, puisqu'une portion de lui même a pu être réduite à une situation pareille, mais Dieu est impuissant, d'ici à la fin des siècles, à s'arracher à ce poids d'impureté et de misère. 3. Voilà les blasphèmes intolérables que cet homme, déguisé en sous-diacre catholique, croyait et même enseignait autant qu'il le pouvait, car c'est en enseignant qu'il s'est découvert : il s'est confié à des gens qu'il croyait disposés à se laisser instruire. Après être convenu qu'il était auditeur manichéen, il m'a prié de le ramener dans la voie de la vérité catholique; mais, je l'avoue, sa dissimulation sous le voile de la cléricature m'a fait horreur, et j'ai cru devoir le chasser de la ville après l'avoir puni. Je n'aurais pas assez fait si je ne vous avais averti moi-même; il faut qu'on sache que cet homme a été dégradé comme il le méritait et que tous doivent se défier de lui. Qu'on rie le croie, quand il demande la pénitence, que s'il vous fait connaître les manichéens qui seraient cachés soit à Malliana, soit dans toute la province.
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