PSAUME CXXV
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DISCOURS SUR LE PSAUME CXXV.

SERMON AU PEUPLE.

DÉLIVRANCE DE LA CAPTIVITÉ.

 

Notre Dieu est venu sur la terre pour nous racheter au prix de son sang, parce que nous étions dans l’esclavage, nous et ceux nième qui ont les prémices de l’esprit, ou la foi. Nous attendons par l’espérance la rédemption de notre chair, dont Jésus-Christ nous a donné le modèle par sa résurrection. Maïs jusque-là nous gémissons. Déjà la chair que le Sauveur a prise dans l’humanité, est sauvée : or, il nous dit qu’il est avec nous jusqu’à la fin des siècles. Mais nous sommes dans l’esclavage, parce que nous sommes rendus au péché, et le persécuteur nous a lui-même sauvés en répandant le sang du juste. Notre joie a été grande quand Dieu a délivré la Jérusalem du ciel. Elle est du ciel à cause des anges, et captive à cause de nous. Elle était figurée par cette Sion des Juifs, captive à Babylone, pendant 70 années. Ce nombre signifie le temps qui s’écoule par sept Jours; et après les temps écoulés nous retournerons à la patrie. Babylone est la confusion ou le monde. Or, la délivrance nous a consolés, c’est-à-dire que Jésus nous a fait espérer à cause de sa résurrection. Alors notre bouche a été pleine de joie, c’est-à-dire la bouche de notre coeur dans laquelle s’élaborent toutes nos actions, ainsi que l’a dit le Sauveur. Ce n’est donc ni ce qui entre dans notre bouche, ni ce qui en sort qui souille l’homme, mais ce qui est résolu dans notre coeur Car Dieu y voit tout mal et tout bien. Le Seigneur a manifesté sa gloire en établissant l’Eglise, en nous délivrant des étreintes du péché, comme le vent tiède fait fondre les glaçons et amène les torrents. Semons dans les larmes, semons l’aumône, des biens, des services, des conseils, de la bonne volonté, nous récolterons au ciel. Le Samaritain de l’Evangile, c’est Jésus qui nous porte dans son Eglise, où se cicatrisent les blessures que le démon nous a faites sur le grand chemin du monde.

 

1. En suivant l’ordre, il nous faut expliquer, vous le savez, le psaume cent vingt-cinquième, qui compte parmi les psaumes intitulés cantiques des degrés, et qui est, vous le savez aussi, le chant de ceux qui s’élèvent; et où s’élèvent-ils, sinon à cette Jérusalem du ciel qui est notre mère à tous 1? Comme elle est du ciel, elle est éternelle. Quant à celle qui fut sur la terre, elle en était seulement l’image. Aussi est-elle tombée, tandis que l’autre subsiste. L’une a subsisté pendant qu’elle devait prophétiser l’avenir, l’autre possède l’éternité de notre réparation. Bannis pendant cette vie de cette cité bienheureuse, nous soupirons pour y retourner; le labeur et la misère seront pour nous jusqu’à ce que nous y soyons rentrés. Toutefois, les anges, nos concitoyens, ne nous ont point abandonnés dans cet exil, mais ils nous ont annoncé que notre roi viendrait à nous. Et il est venu et a d’abord été méprisé par nous, puis avec nous. Il nous a enseigné à supporter ce qu’il a supporté, à souffrir comme il a souffert; il nous a promis de ressusciter comme il est ressuscité, nous montrant en lui.mênie ce qu’il nous fallait espérer. Si donc, mes frères, avant l’avènement de Jésus-Christ en sa chair, avant sa mort, sa résurrection, son ascension

 

1. Gal. IV, 26.

 

au ciel, les Prophètes, qui sont nos aïeux, soupiraient après cette cité bienheureuse, quel doit être notre désir d’aller où il nous a précédés, et d’où il ne s’est jamais retiré? Pour venir à nous, en effet, le Christ n’a point abandonné les anges. Il est demeuré toujours avec eux, et néanmoins est venu à nous; il est demeuré avec eux dans sa majesté, il est venu à nous dans,sa chair. Mais, hélas! où étions-nous? S’il est appelé notre Rédempteur, nous étions captifs. Où donc étions-nous captifs, pour qu’il vînt nous racheter? Où étions-nous retenus? Chez les barbares? Le diable, avec ses anges, sont pires que les barbares. C’est en leur pouvoir qu’était le genre humain; c’est de leurs mains qu’il nous a rachetés, sans donner ni or, ni argent, mais son sang précieux.

2. Demandons à saint Paul comment l’homme était tombé dans cette captivité. Car il est un de ceux qui gémissent le plus dans cette captivité, qui soupirent après la Jérusalem éternelle, et il nous a enseigné à gémir par ce même esprit dont il était comblé quand il gémissait lui-même. « Toute créature gémit», nous dit-il, « jusqu’à présent, et souffre les douleurs de l’enfantement ». Et encore : « La créature est assujétie à la vanité, non « pas volontairement, mais à cause de celui (52) qui l’y a assujétie dans l’espérance ». Il dit que toute créature soupire et gémit dans le travail, chez ces hommes qui ne croient point, et qui néanmoins doivent croire. Ne gémit-elle que dans ceux qui n’ont 1oint encore la foi? La créature ne gémit-elle plus, n’endure-t-elle plus les douleurs de l’enfantement dans ceux qui croient? « Et non seulement elle », dit saint Paul, « mais nous qui avons les prémices de l’esprit » ; c’est-à-dire, qui déjà servons Dieu en esprit, dont l’âme a cru en Dieu, et qui, dans cette foi, avons donné à Dieu des prémices, afin que nous suivions ces prémices qui viennent de nous. « Nous donc, nous gémissons en nous-mêmes, attendant l’effet de l’adoption qui sera la rédemption de notre corps ». Saint Paul donc gémissait, et tous les fidèles gémissent, attendant la rédemption, la délivrance de leur corps. Où gémissent-ils? Dans cette vie mortelle. Quelle est la rédemption qu’ils attendent? La rédemption de leur corps, qui a paru d’abord en Notre-Seigneur quand il est ressuscité d’entre les morts et monté aux cieux. Mais avant qu’elle nous soit appliquée, nous devons gémir, quelle que soit notre fidélité, quelle que soit notre espérance. Aussi l’Apôtre, après avoir dit que nous gémissons en nous-mêmes dans l’attente de notre adoption, qui sera la rédemption de notre corps, prévoyant qu’on lui objecterait: De quoi nous sert le Christ, si nous gémissons encore, et comment ce Sauveur nous a-t-il sauve? car celui qui gémit est en souffrance; l’Apôtre, dis-je, ajoute aussitôt : « C’est par l’espérance que nous sommes sauvés; or, l’espérance qui est visible n’est plus l’espérance ; comment, en effet, espérer ce que l’on voit? Si donc nous espérons ce que nous ne voyons point, nous l’attendons par la patience 1».

Voilà pourquoi nous gémissons, et comment nous gémissons, c’est que nous ne possédons pas, tuais nous attendons l’objet de nos espérances, et jusqu’a ce que nous le possédions, nous soupirons en cette vie, parce que nous désirons ce que nous ne possédons point. Pourquoi ? Parce que « c’est par l’espérance que nous sommes sauvés ». Dès à présent, cette chair qui est la nôtre, et dont le Sauveur s’est revêtu, est sauvée, non par l’espérance, mais en réalité, puisqu’elle est ressuscitée, qu’elle est montée au ciel, déjà sauvée

 

1. Rom. VIII, 20-25.

 

dans notre chef, mais à sauver dans ses membres. Que les membres se réjouissent en sûreté, parce que le Chef ne les a point abandonnés. Car il a dit à ses membres qui souffrent: « Voilà que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles 1». C’est ce qui nous a portés à nous tourner vers Dieu. Nous n’avions d’espérance que pour cette vie; de là notre esclavage, de là notre misère, et une double misère, puisque n’ayant d’espérance que dans cette vie, et n’ayant devant les yeux que le monde, nous tournons le dos à Dieu. Mais lorsque Dieu nous convertit, que nous commençons à jeter nos yeux sur lui, et à tourner le dos au monde, nous qui sommes encore ici-bas dans la voie, nous regardons néanmoins notre patrie, et quand il nous arrive quelque affliction, nous demeurons fermes dans la voie, nous attachant au bois qui nous porte. Le vent est violent sans doute, mais le vent est favorable ; il n’est pas sans fatigue, mais il nous pousse avec rapidité, et nous arriverons plus tôt. Nous gémissons de notre captivité, et ils gémissent aussi, ceux qui ont embrassé la foi; mais parce que nous avons oublié de quelle manière nous sommes tombés dans l’esclavage, et que l’Ecriture nous le rappelle, interrogeons l’Apôtre saint Paul lui-même : « Nous savons», dit-il, « que la loi est spirituelle, et moi je suis charnel et vendu au péché 2 ». Voilà notre captivité; C’est l’assujétissement au péché. Qui nous a vendus? Nous mêmes, en nous laissant séduire. Nous avons bien im nous vendre, mais nous ne saurions nous racheter. Nous sommes vendus en consentant au péché, et nous sommes rachetés en croyant à la justice. Le sang innocent a été versé pour nous, afin de nous racheter. Quel sang a répandu l’ennemi, quand il a versé le sang des justes qu’il persécutait? Il est vrai que c’était le sang des justes, le sang des Prophètes, qui sont nos pères, le sang des justes encore dans les martyrs; tous néanmoins venaient de la tige empoisonnée du péché. Mais il a aussi répandu le sang d’un seul, qui n’a pas été justifié, mais qui est né dans la justice, et ce sang répandu lui a fait perdre ceux qu’il tenait sous sa puissance. Ils ont été en effet délivrés, ceux pour qui ce sang a été versé, et délivrés de leur captivité, ils chantent le psaume que nous allons expliquer.

 

1. Matth. XXVIII, 20. — 2. Rom. VII, 14.

 

53

 

3. « Quand le Seigneur a délivré Sion de la captivité, nous avons été comme consolés 1». Nous avons été dans la joie, a voulu dire le Prophète. Quand nous est venue cette joie? Quand le Seigneur rappelait Sion de sa captivité. Quelle Sion? La céleste Jérusalem, l’éternelle Sion. Comment Sion est-elle éternelle, et comment Sion est-elle captive? Elle est éternelle du côté des anges, et captive du côté des hommes. Car tous les citoyens de cette cité ne sont point captifs; mais ceux-là sont captifs qui ers sont bannis. L’homme fut citoyen de Jérusalem, mais une fois vendu au péché, il en fut banni. De lui sont venus tous les hommes, et la captivité de Sion a rempli toute la terre. Mais cette captivité de Sion, comment peut-elle être figurée par Jérusalem ? Comment peut-elle être figurée dans cette Sion que Dieu donna aux Juifs, qui demeura captive à Babylone, et dont le peuple, après soixante et dix années, retourna dans son pays 2? Septante années marquent le temps qui s’écoule de sept jours. Or, quand le temps sera complètement écoulé, nous retournerons dans notre patrie, comme le peuple juif, après soixante et dix ans, revint de la captivité de Babylone. Car Babylone est ce bas monde, puisque Babylone signifie confusion. Voyez si toute la vie de l’homme n’est point une con fusion. L’homme ne rougit-il pas de ce qu’il a fait dans une si vaine espérance, quand il reconnaît la vanité de ses oeuvres? Pourquoi sou travail, et pour qui ? Pour mes enfants, répond-il. Et ces enfants ? Pour nos enfants, diront-ils encore. Et ces derniers? Encore pour nos enfants. Nul donc ne travaille pour soi-même. C’est de cette confusion qu’étaient délivrés ceux à qui l’Apôtre écrivait : « Quelle gloire avez-vous retirée de ces oeuvres qui maintenant vous font rougir 3 ? » Ainsi, toutes les affaires de la vie qui ne regardent point le Seigneur ne sont qu’une confusion. C’est dans cette confusion, dans cette Babylone que Sien est retenue captive. Mais « le Seigneur délivre Sion de sa captivité ».

4. « Et nous avons été comme ceux que l’on console » ; c’est-à-dire, nous avons tressailli de joie, comme ceux qui reçoivent une consolation. On ne console que les malheureux, on ne console que ceux qui gémissent et qui pleurent. Pourquoi sommes-nous « comme

 

1. Ps. CXXV, 1.— 2. Jérém. XXIX, 10; I Esdras, 1. — 3. Rom. V. ,21.

 

ceux que l’on console» ,sinon parce que nous gémissons encore? Nous gémissons en réalité, nous sommes consolés en espérance : quand la réalité passera, le gémissement nous vaudra une joie éternelle, et alors nous n’aurons plus besoin de consolation, parce que nous ne souffrirons plus d’aucune misère. Pourquoi cette expression : « Comme ceux que l’on console», et n’est-il pas dit que nous sommes consolés? Cette expression : sicut, ou comme, ne marque pas toujours une comparaison. Quelquefois elle désigne une qualité, et quelquefois une comparaison : ici, elle désigne une qualité. Mais nous devons donner des exemples tirés du langage ordinaire, afin de nous faire mieux comprendre. Quand nous disons comme a vécu le père, ainsi a vécu le fils, nous faisons une comparaison ; et dire l’homme meurt comme l’animal, c’est encore une comparaison. Mais dire : Il a agi comme un homme de bien, est-ce dire que cet homme n’est pas un homme de bien, qu’il n’en a que l’apparence? Il a agi comme un homme juste; ce « comme », loin de nier la justice de cet homme, l’affirme au contraire. Vous avez agi comme un magistrat; donc je ne suis pas magistrat, pourrait-on répondre. Au contraire, c’est parce que vous êtes magistrat que vous avez agi en magistrat, parce que vous êtes juste que vous avez agi en homme juste, parce que vous êtes homme de bien que vous avez agi en homme de bien. Ceux-ci donc, parce qu’ils étaient véritablement consolés, s’abandonnent à la joie comme des hommes que l’on a consolés; c’est-à-dire que leur joie était grande comme la joie de ceux que l’on console, Dieu qui est mort pour nous, versant des consolations dans ceux qui doivent mourir. Car la mort nous arrache à tous des gémissements; mais celui qui est mort nous a consolés pour nous délivrer de la crainte de la mort. Il est ressuscité le premier afin de fonder notre espérance. Nous espérons donc parce qu’il est ressuscité le premier, et. cette espérance nous console dans nos misères, de là notre allégresse. Et le Seigneur nous a délivrés de notre captivité, afin que nous reprenions le chemin du retour vers la patrie. Maintenant que nous sommes rachetés, ne craignons plus nos ennemis qui dressent des piéges sur notre chemin. Car le Christ nous a rachetés afin que l’ennemi n’ose plus nous tendre des embûches, si nous n’abandonnons pas la voie; et (54) c’est lui-même qui est notre voie. Veux-tu ne rien craindre des voleurs? Voilà, dit-il, que je t’ai ouvert la voie vers ta patrie, ne t’en écarte point. J’ai fortifié cette voie, afin que le voleur ne puisse t’y attaquer. Ne t’en écarte point, et le voleur n’osera t’assaillir. Marche donc dans le Christ, et chante les saintes joies, chante les saintes consolations; car il y a marché le premier, celui qui t’a commandé de le suivre.

5. « Alors notre bouche a été remplie de joie et notre langue d’allégresse 1 ». Comment, mes frères, la bouche de notre corps peut-elle être remplie de joie? on n’y met ordinairement que de la nourriture, du breuvage, ou toute autre chose semblable. Quelquefois notre bouche est pleine, et pour tout dire à votre sainteté, quand notre bouche est pleine, alors nous ne saurions parler. Mais nous avons une bouche intérieure, ou dans notre coeur, et tout ce qui en sort, nous souille s’il est mauvais, nous purifie s’il est bon. C’est de cette bouche qu’il était question dans l’Evangile qu’on vient de lire. Les Juifs reprochaient au Sauveur, que ses disciples ne lavaient point leurs mains avant de manger. ils faisaient des reproches, ces hommes qui avaient une pureté tout extérieure, et qui au dedans étaient pleins de souillures; ils faisaient des reproches, ces hommes qui n’avaient de justice que devant les hommes. Or, le Seigneur cherchait surtout notre pureté intérieure, qui rejaillit nécessairement sur l’extérieure dès lors qu’elle existe : « Purifiez l’intérieur », leur dit-il, « et ce qui est au dehors sera pur aussi 2 », Le Seigneur dit encore àun autre endroit: « Faites l’aumône, et tout sera pur en vous 3 ». Or, d’où vient l’aumône? du coeur. Tendre la main n’est rien, si le coeur n’est touché. Mais si le coeur est touché de compassion, Dieu accepte notre aumône, quand même la main n’aurait rien à donner. Ces hommes d’iniquité ne s’attachaient qu’à la pureté extérieure. C’est de ce nombre qu’était ce pharisien qui avait invité Notre-Seigneur, quand une femme pécheresse, fameuse dans toute la ville, vint le trouver, arrosa ses pieds de ses larmes, les essuya de ses cheveux, et les oignit de parfums. Ce pharisien donc qui avait invité le Seigneur 4, qui n’avait qu’une pureté extérieure,

 

1. Ps. CXXV, 2. — 2. Matth. XXIII, 26. — 3. Luc, XI, 41. —  4. Id. VII, 36.

 

et dont le coeur était plein de rapines et d’iniquités, dit en lui-même : « Si cet homme était le Prophète, il saurait quelle femme est à ses pieds 1 ». Comment pouvait-il savoir si le Sauveur connaissait cette femme, ou ne la connaissait point? Ce qui fit croire qu’il ne la connaissait point, c’est qu’il ne la repoussa point. Qu’une telle femme se fût approchée de ce pharisien, qui n’avait en quelque sorte de pureté que dans la chair, il eût tressailli, il l’eût repoussée et chassée, de peur que cette femme impure ne le touchât, et ne souillât sa pureté. Et parce que Ïe Seigneur n’en agit pas de la sorte, ce pharisien s’imagine qu’il ne sait point quelle femme est à ses pieds. Néanmoins le Seigneur la connaissait, mais il connaissait même ses pensées : et en effet, ô impur pharisien, s’il y a dans le contact une puissance, est-ce la chair du Sauveur qui pouvait devenir impure au contact de cette femme, ou cette femme devenir pure au contact du Sauveur? Le médecin permettait à cette malade de toucher le remède, et cette femme qui venait connaissait le médecin, elle qui avait eu l’effronterie de ses dérèglements, eut plus d’effronterie encore pour son salut. Elle entre dans cette maison où elle n’est pas invitée, mais elle avait des plaies, et venait où reposait le médecin. Celui qui avait invité le médecin se croyait en santé, et dès lors il n’est point guéri. Vous savez ce que rapporte ensuite l’Evangile, et comment le Sauveur confondit le pharisien, en lui montrant qu’il connaissait cette femme, et pénétrait ses pensées.

6. Mais revenons à ce passage de l’Evangile qu’on vient de lire et qui se rapporte au verset que nous expliquons: « Notre bouche u a été remplie de joie, et notre langue d’allégresse »; nous cherchons quelle est cette bouche, quelle est cette langue. Que votre charité veuille bien écouter. On reprochait au Sauveur que ses disciples mangeaient sans avoir lavé leurs mains. Le Sauveur fit une réponse péremptoire, et, appelant la foule « Ecoutez », leur dit-il, « et comprenez que ce n’est point ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme, mais bien ce qui en sort 2». Qu’est-ce à dire? Quand le Sauveur dit: « Ce qui entre dans la bouche »; il ne parle que de la bouche du corps. C’est par là qu’entre la nourriture, et la nourriture ne souille

 

1. Luc, VII, 39. —  2. Matth. XV, II.

 

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point l’homme car « tout est pur pour les hommes purs 1» ; et « toute créature de Dieu est bonne, et il ne faut rien rejeter de ce que l’on reçoit avec actions de grâces 2». C’était une figure chez les Juifs, que cette impureté de certaines créatures 3. Mais quand la lumière est venue, les ombres disparaissent, nous ne sommes plus enchaînés par la lettre, mais vivifiés par l’Esprit; et les chrétiens n’ont pas été assujétis au joug des observances légales qui pesaient sur les Juifs, puisque le Seigneur a dit: « Mon joug est doux, mon fardeau est léger 4 ». « Tout est pur pour ceux qui sont purs », dit encore l’Apôtre; « quant aux hommes impurs et aux infidèles, « pour eux rien n’est pur, mais leur raison et leur conscience sont impures et souillées 5 ». Qu’entend par là saint Paul? Pour l’homme qui est pur, le pain et la chair de pourceau sont purs; mais pour l’homme qui ne l’est point, ni le pain ni la chair de pourceau ne le sont non plus. « Rien n’est pur pour l’homme impur et infidèle ». Pourquoi rien n’est-il pur? « C’est que leur pensée et leur conscience sont souillées »; et si rien n’est pur à l’intérieur, rien ne saurait l’être à l’extérieur. Dès que rien ne saurait être pur au dehors pour les hommes dont l’intérieur est impur, purifie en toi l’intérieur, si tu veux que l’extérieur soit pur. Là est cette bouche qui sera remplie de joie même pendant son silence. Car si tu es dans la joie même en silence, ta bouche crie vers le Seigneur. Mais examine d’où vient la joie. Si elle te vient du monde, tu ne jetteras devant Dieu que les cris d’une joie impure; si ta joie vient de la rédemption, ainsi qu’il est dit dans le psaume: « Quand le Seigneur a délivré Sion  de la captivité, nous avons été comme ceux que l’on a consolés », alors ta bouche est pleine de joie, et ta langue d’allégresse ; ta joie est évidemment une joie d’espérance, une joie agréable à Dieu. C’est par cette joie, c’est par cette bouche intérieure que notre coeur se nourrit et s’abreuve : elle est pour l’entretien du coeur, comme la bouche extérieure pour l’entretien du corps. C’est de là en effet qu’il est dit : « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés 6 ».

7. S’il n’y a pour nous souiller que ce qui

 

1. Tit. I, 15 . — 2. I Tim. VI, 4. — 3. Lévit. XI. —  4. Matth. XI, 30. — 5. Tit. I, 15. — 6. Matth. V, 6.

 

sort de notre bouche, et si dans cette parole de l’Evangile nous ne comprenons que la bouche de notre corps, il serait absurde néanmoins et ridicule de croire que l’homme ne saurait être souillé quand il mange, et qu’il le deviendrait par le vomissement. Le Seigneur dit en effet : « Ce n’est point ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme, mais ce qui en sort 1». Quoi donc ? Manger ne te souillera pas, et vomir te souillera ? Boire ne te souillera pas, et cracher te souillera? Cracher, c’est en effet rejeter quelque chose de ta bouche, et boire c’est y faire entrer quelque chose. Que veut dire cette parole du Seigneur : « Ce n’est point ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme, mais ce qui en sort? » Dans un autre Evangile, il continue en expliquant ce qui sort de la bouche : afin de te montrer qu’il ne parle plus de la bouche du corps, mais de la bouche du coeur. Il dit en effet: « C’est du coeur que sortent les pensées mauvaises, les fornications, les homicides, les blasphèmes: voilà ce qui souille l’homme ; mais manger sans s’être lavé les mains, ne souille pas l’homme 2». Comment donc, mes frères, ces crimes peuvent-ils sortir de notre bouche, sinon parce qu’ils sortent de notre coeur, comme le dit le Seigneur lui-même?Ce n’est point quand nous en prononçons les noms qu’ils nous souillent. Que nul ne dise: C’est quand nous parlons de ces péchés qu’ils sortent de notre bouche, puisque de notre bouche sortent des sons etdes paroles, et quand nous disons ce qui est mauvais nous sommes impurs. Qu’un homme, sans parler, arrête sa pensée au mal, est-il donc pur, parce que rien n’est sorti de la bouche de son corps ? Mais Dieu a déjà entendu ce qui sortait de la bouche de son coeur. Comprenez donc ceci, mes frères : Je prononce le mot larcin; mais pour avoir prononcé ce mot de larcin,le larcin m’a-t-il souillé? Le mot est sorti de ma bouche, mais sans m’avoir rendu impur. Un voleur se lève la nuit, sa bouche est silencieuse, mais l’action le rend impur. Non-seulement il ne parle point de son crime, mais il affecte le plus grand silence, et il craint tellement que sa voix ne soit entendue, qu’il redoute jusqu’au bruit de ses pas : est-il donc pur dès lors qu’il garde un tel silence ? Je vais plus loin, mes frères. Le voilà qui est

 

1. Matth. XV, II. — 2. Id. 19,20 ; Marc, VII, 5-23.

 

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encore dans son lit. il n’en est point sorti pour commettre son vol ; il veille, il attend que les hommes soient endormis ; mais il parle déjà devant Dieu, il est déjà voleur, il est déjà impur ; son crime est déjà sorti de sa bouche intérieure. Quand est-ce, en effet, que le crime sort de la bouche ? Quand le dessein de le commettre est arrêté. Dès que tu as résolu de le faire, tu l’as dit, tu l’as fait. Si le vol n’est pas accompli extérieurement, c’est peut être que celui que tu voulais dépouiller ne méritait pas de perdre son bien. Il n’a rien perdu, et tu seras néanmoins traité comme un voleur. Tu as arrêté le dessein de tuer un homme; tu t’as dit dans ton coeur, ta bouche intérieure a crié homicide cet homme vit encore, et tu seras châtié de ton homicide. Car on demandera ce que tu es devant Dieu, et non ce que tu parais aux yeux des hommes.

8. Nous voyons donc et nous devons comprendre, et bien retenir, que le coeur a sa bonche, que le cœur a sa langue.C’estla bouche qui est remplie de joie ;c’est par cette bouche intérieure que nous prions Dieu ,quand nos lèvres sont closes et la conscience ouverte. Le silence règne, et le coeur pousse des cris ; mais aux oreilles de qui? Non point de l’homme, mais de Dieu. Sois donc en assurance,il t’entend celui qui te prend en pitié. Mus au contraire, quand nul homme n’entendrait le mal sortir de ta bouche, dès qu’il en sort, ne sois plus en assurance, car il écoute celui qui peut te damner. Les juges d’iniquité n’entendaient point Suzanne qui priait en silence. L’homme n’entendait point sa voix, mais son coeur poussait des cris vers Dieu 1. Et parce que sa voix ne sortait point des paroles de son coeur, n’a-t-elle point mérité d’être écoutée de Dieu ? Il l’écouta, sans doute, et nul homme n’entendit sa prière. Donc, mes frères, voyez ce que nous avons dans la bouche intérieure. Prenez garde que, sans faire le mal au dehors, vous ne le disiez intérieurement. L’homme ne fait au dehors que les actions qu’il a dites à l’intérieur. Eloigne tout mal de la bouche de ton coeur, et tu seras innocent, la langue de ton corps sera innocente, et tes mains seront innocentes ; tes pieds aussi seront innocents, tes yeux innocents, tes oreilles innocentes, tous tes membres comiibattront pour la justice, parce qu’un maître juste sera en possession de ton coeur.

 

1. Dan. XIII, 35, etc.

 

9. « Alors on dira parmi les nations: Le Seigneur a manifesté sa gloire dans ce qu’il a fait en leur faveur. Le Seigneur a manifesté sa gloire, en agissant pour nous; il nous a comblés de joie 1 ». Voyez, mes frères, si ce n’est point là ce que Sion chante aujourd’hui parmi les peuples, dans l’univers entier: voyez si de toutes parts on ne vient point dans l’Eglise. Dans l’univers entier, on reçoit le prix de notre rançon, et l’on répond : Amen. Ils chantent, parmi les nations, ces captifs de Jérusalem, ces enfants de Jérusalem qui doivent y retourner un jour, qui sont en exil et qui soupirent après la patrie. Que disent-ils? « Le Seigneur a manifesté sa gloire dans ce qu’il a fait pour nous, et nous sommes comblés de joie ». Ont-ils eux-mêmes agi en leur faveur ? Ils n’ont  pu que se nuire, parce qu’ils se sont vendus par le péché. Le

Rédempteur est venu, et a fait en leur faveur de grandes choses : « Il a manifesté sa gloire dans ce qu’il a fait pour eux. Il a manifesté sa gloire dans ce qu’il a fait pour nous, et  nous sommes comblés de joie ».

10. « Seigneur, ramenez-nous de notre captivité, comme le vent du Midi ramène le torrent ». Que votre charité écoute bien ces paroles. Déjà il est dit : « Quand le Seigneur délivrait Sion de la captivité » ; et ce langage est au passé. Mais les Prophètes se servent souvent du passé pour prédire l’avenir. Car c’était au passé qu’il disait dans un autre psaume : « Ils ont percé mes mains et mes pieds, ils ont compté tous mes os ». Il ne dit point : Ils perceront mes pieds; ni : Ils compteront mes os; ni : Ils partageront mes vêtements ; il ne dit point : Ils tireront ma robe au sort; tout cela est pour l’avenir, et le Prophète en parle comme d’un passé. Car tout ce qui doit être, est, en Dieu, comme s’il était accompli. Quand donc le Prophète nous dit : « Lorsque le Seigneur délivrait Sion de la captivité, nous avons été comme  ceux que l’on console ; alors notre bouche a été pleine de joie et notre langue d’allégresse », il nous montre que sous la figure du passé il annonce l’avenir, puisqu’il ajoute: « Alors on dira parmi les nations » . « On dira » est au futur. « Le Seigneur a manifesté sa gloire dans ce qu’il a fait pour nous: nous avons été comblés de joie». Quand on chantait ces cantiques, tout cela devait

 

1. Ps. CXXV, 3.

 

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arriver, et maintenant nous le voyons s’accomplir. Le Prophète prie comme pour l’avenir, lui qui, tout à l’heure, annonçait l’avenir sous la forme du passé : « Seigneur, mettez fin à notre captivité ». La captivité n’était donc point terminée encore, puisque le Rédempteur n’était point encore arrivé. Cette prière que l’on faisait à Dieu quand on chantait ces psaumes est donc maintenant accomplie : « Seigneur, ramenez-nous de notre captivité, comme le vent du Midi ramène le torrent». De même que le vent du Midi fait couler les torrents, faites cesser notre captivité. Vous cherchez ce que cela signifie, vous le saurez bientôt, avec le secours de Dieu et par vos prières. Dans un endroit de l’Ecriture, qui nous conseille et nous commande les bonnes oeuvres, il est dit: « Vos péchés seront dissous, comme la glace sous un ciel serein 1». Donc nos péchés nous resserraient. Comment? Comme la glace resserre l’eau et l’empêche de couler. Le froid de nos péchés nous a gelés sous ses étreintes. Mais le vent du Midi est très-chaud : quand il souffle, il dissout les glaces, et les torrents se remplissent. On appelle torrents ces fleuves de l’hiver grossis tout à coup par les eaux et qui coulent avec fracas. La captivité nous avait donc gelés, nos péchés nous tenaient enchaînés ; mais le vent du Midi ou l’Esprit-Saint a soufflé ; nos péchés nous ont été remis et nous avons été dégagés du froid de l’iniquité, nos péchés ont fondu comme la glace au vent du Midi. Courons donc vers notre patrie comme les torrents au souffle du midi. Le bien nous a valu des tribulations, il nous en amène encore. Car la vie humaine, dans laquelle nous sommes entrés, est un tissu de misères, de travaux, de douleurs, de périls, d’afflictions, de tentations. Ne vous laissez point séduire par les vaines joies du monde, et voyez dans les choses d’ici-bas ce qu’il faut pleurer. L’enfant qui vient de naître pouvait rire tout d’abord; pourquoi commence-t-il sa vie en pleurant ? Pourquoi sait-il déjà pleurer, quand il ne sait point rire encore ? C’est parce qu’il est entré dans cette vie. S’il est au nombre de nos captifs, il gémit, il pleure ; mais la joie viendra un jour.

11. Car, notre psaume l’a dit : « Ceux qui sèment dans les larmes moissonneront dans  la joie 2». Semons en cette vie qui est pleine de larmes. Que sèmerons-nous ? Des bonnes

 

1. Eccl, III, 17. — 2. Ps. CXXV, 5.

 

oeuvres. Les oeuvres de miséricorde, voilà ce que nous semons, et à ce propos saint Paul vous dit : « Ne nous lassons pas de faire le bien, si nous ne perdons pas courage, nous moissonnerons dans le temps. C’est pourquoi pendant que nous en avons le temps, faisons du bien à tous, mais principalement aux serviteurs de la foi 1». Et que dit-il en parlant de l’aumône? « Or, je vous le dis : Celui qui sème peu, moissonne peu 2 ». Donc celui qui sème beaucoup, moissonnera beaucoup: « Celui qui sème peu, moissonnera peu » ; et celui qui ne sème peu, ne moissonnera rien. Pourquoi convoiter de vastes campagnes pour y semer beaucoup de grain? Vous ne sauriez trouver, pour jeter vos semences, un plus vaste champ que le Christ qui a voulu qu’on semât en lui. Votre terre est l’Eglise, semez-y autant que vous pourrez. Mais tu n’as que peu à semer, diras-tu. As- tu du moins la volonté? Comme, sans elle, tout ce que tu pourrais avoir ne serait rien; de nième, avec elle, ne t’afflige pas de ne rien avoir. Que sèmes-tu en effet? La miséricorde. Que moissonneras-tu? La paix. Or, les anges ont-ils dit: Paix sur la terre aux hommes riches ; et n’est-ce point: « Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté 3?» Zachée avait beaucoup de volonté, une grande charité. Il reçut chez lui le Seigneur, le reçut avec joie, promit de donner aux pauvres la moitié de son bien, et de rendre au quadruple ce qu’il pouvait avoir pris 4 ; afin de te montrer que s’il retenait la moitié de son bien, c’était moins pour le plaisir de le posséder, que pour avoir de quoi restituer. C’est là une grande volonté, c’est là donner beaucoup, semer beaucoup. Mais cette veuve qui ne donna que deux petites pièces, aurait-elle donc peu semé ? Autant que Zachée. Ses biens étaient moindres, sa volonté était égale 5. Elle donna deux pièces de monnaie avec autant de bonne volonté, que Zachée la moitié de ses biens. A considérer le don, il est différent; mais à considérer la volonté, elle est semblable. La femme donna ce qu’elle avait, comme Zachée donna ce qu’il avait.

12. Supposons un homme qui n’ait pas même les deux pièces de cette veuve ; y a-t-il quelque chose de moindre prix que nous puissions semer pour recueillir une telle moisson? Oui. « Quiconque aura donné à

 

1. Gal. VI, 8 -10. — 2. II Cor. IX, 6.—  3. Luc, II, 14. — 4.  Id. XIX, 6-8. — 5. Id. XXI, 1-4.

 

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mon disciple un verre d’eau froide, ne u perdra point sa récompense 1 ». Un verre d’eau froide ne coûte pas deux pièces de monnaie, on le donne pour rien ; et toutefois, quoiqu’il ne coûte rien, tel homme peut l’avoir, tel autre non ; si donc celui qui l’a le donne à celui qui ne l’a point, il donne autant, si le don qu’il fait vient d’une charité parfaite ; il donne autant que cette femme avec ses pièces de monnaie, que Zachée avec la moitié de ses biens. Car, ce n’est point sans sujet que le Fils de Dieu ajoute le mot froide, afin de montrer qu’elle vient du pauvre. Il a dit «un verre d’eau froide », afin que nul ne pût s’excuser en disant qu’il n’a point de bois pour la chauffer. « Quiconque donnera à mes disciples un verre d’eau froide, ne perdra point sa récompense ». Mais s’il n’a pas même ce verre d’eau? Qu’il soit hors de crainte quand il ne l’a pas même : « Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté » ; qu’il craigne seulement de pouvoir faire le bien, et de ne point le faire. Car s’il peut, sans le faire, il est gelé intérieurement: ses péchés ne sont point dissous, comme la glace du torrent au souffle du midi, son coeur est demeuré froid. Que valent ces grands biens que nous possédons ? Voilà un homme au coeur fervent, qu’a fondu la chaleur du midi; et n’eût-il rien, Dieu lui tient compte de tout. Voyez les services que se rendent les mendiants. Que votre charité comprenne comment on fait l’aumône. C’est aux mendiants sans doute que tu fais l’aumône, ce sont les mendiants qui ont faim. Vous jetez donc les yeux sur vos frères, vous voyez leurs besoins, et si le Christ est en vous, vous secourez même les étrangers. Mais ces pauvres mêmes dont le métier est de mendier, ont dans leur misère de quoi se secourir mutuellement. Dieu leur a donné le moyen de montrer s’ils aiment à donner l’aumône. Celui-ci ne saurait marcher, celui-là qui le peut, prête au boiteux le secours de ses pieds; celui qui voit prête ses yeux à l’aveugle; celui qui est jeune et vigoureux prête ses forces au vieillard, au malade, il le porte: l’un donc est pauvre, et l’autre est riche à son égard.

13. Il arrive quelquefois que le riche soit pauvre, et que le pauvre lui rende service. Voilà, près d’un fleuve, un homme aussi frêle qu’il est riche, il ne saurait le traverser; en

 

1. Matth. X, 42 ; Marc, IX, 40.

 

découvrant ses membres, il se refroidirait, deviendrait malade, et mourrait; il arrive là un pauvre plus robuste de corps, qui porte le riche sur l’autre rive, et qui fait ainsi l’aumône au riche. Donc ne regardez point comme pauvre ceux-là seulement qui n’ont point d’argent. Voyez en quoi chaque homme est pauvre, car vous êtes riches peut-être dans ce qui lui manque, et vous avez de quoi l’assister. Lui prêter le secours de tes membres, c’est plus peut-être que lui prêter de l’argent. Il a besoin de conseils, et tu es homme de bons conseils; sous ce rapport il est pauvre et tu es riche. Voilà que sans fatigue, sans perte aucune, tu donnes un simple conseil et tu fais l’aumône. Maintenant, mes frères, que nous vous parlons, vous êtes comme des pauvres pour nous, et nous vous assignons une part dans les dons qu’il a plu à Dieu de nous faire. Car nous recevons tous de lui,qui seul est souverainement riche. Ainsi donc se maintient le corps du Christ ; les membres sont unis entre eux et rattachés par les liens de la charité et de la paix, chacun dans ce qu’il possède fait une part à celui qui n’a rien ; il est riche dans celui qui possède. et pauvre dans celui qui ne possède point. Aimez-vous ainsi, mes frères, ayez une mutuelle charité. Ne soyez pas uniquement occupés de vous-mêmes, voyez autour de vous ceux qui ont besoin. Ne vous laissez point décourager par ce qu’il y a de pénible et de fatigant dans ces aumônes. Vous semez dans les larmes, vous moissonnerez dans la joie. Eh quoi! mes frères. Quand le laboureur s’en va, portant derrière sa charrue le grain qu’il veut semer, n’est-il pas souvent accueilli par un vent trop froid, ou détourné par la pluie? Il regarde le ciel, il le voit sombre, il tremble de froid, et pourtant il marche, il sème. Il craint qu’en s’arrêtant à un ciel trop sombre, pour attendre un jour plus beau, il ne perde l’occasion de semer, et ne trouve rien à moissonner. Ne différez donc point, mes frères, semez pendant l’hiver, semez des bonnes oeuvres, même dans les larmes ; car « ceux qui sèment dans les larmes, moissonneront dans la joie ». Ils jettent en terre leur semence, leur bonne volonté et leurs bonnes oeuvres.

14. « Ils allaient et pleuraient en répandant leurs semences 1». Parce qu’ils étaient parmi

 

1. Ps. CXXV, 6.

 

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les malheureux, et malheureux eux-mêmes. Qu’il n’y eût plus de misérables, voilà ce qui vaudrait encore mieux que vos miséricordes. Souhaiter qu’il y ait des misérables afin de les soulager, c’est une miséricorde cruelle. Cela reviendrait au médecin qui voudrait voir beaucoup de malades afin d’exercer son art, et alors art bien cruel ! La santé pour tous est bien préférable à l’exercice de l’art médical. Que tous règnent dans la céleste patrie, voilà ce qu’il faut désirer plutôt que de rencontrer des malheureux à qui nous fassions miséricorde. Et toutefois, tant qu’il est des hommes à qui nous pouvons faire du bien, ne nous lassons pas de semer dans les peines. Bien que nous semions dans les larmes, nous moissonnerons dans la joie. Car à la résurrection des morts, chacun recueillera ses gerbes, c’est-à-dire le fruit des semences qu’il aura répandues, la couronne de la joie et de l’allégresse. Alors, nous triompherons dans notre joie, et nous insulterons à la mort qui nous arrachait des gémissements. Alors nous dirons à la mort: « O mort,  où est ta victoire? ô mort, où est ton aiguillon 1? » Mais d’où viendra cette joie? C’est qu’ « alors nous porterons nos gerbes ». Car « ils allaient et pleuraient en répandant leurs semence ». Pourquoi « répandant leurs semences ? » Parce que « ceux qui sèment dans les larmes, moissonneront dans la joie».

15. Que le fruit de cette exhortation, mes frères, soit de vous exciter à la miséricorde, car c’est elle qui nous élève à Dieu. Et vous voyez qu’il s’élève, celui qui chante le cantique des degrés. Souvenez-vous-en, mes frères. N’aimez point à descendre au lieu de monter, mais songez toujours à vous élever; car l’homme qui descendait de Jérusalem à Jéricho tomba entre les mains des voleurs 2. S’il ne fût descendu, les voleurs ne l’eussent

 

1. I Cor. XV, 55. — 2. Luc, X, 30.

 

point rencontré. Adam déjà était descendu et tombé aui mains des voleurs, et nous sommes tous en Adam. Mais le prêtre passa, et le vit avec indifférence, le lévite passa et fut aussi indifférent, car la loi ne pouvait guérir. Un samaritain vint à passer, ou Jésus-Christ Notre-Seigneur; car c’est à lui que l’on disait : « N’avons-nous pas raison de dire que vous êtes un samaritain et un possédé du démon? » Pour lui, il ne dit point : Je ne suis pas un samaritain; il dit seulement: « Je ne suis point possédé du démon 1 ». Samaritain signifie en effet gardien. Si donc il eût répondu : Je ne suis pas samaritain, il eût dit: Je ne suis pas gardien; et dès lors quel autre nous garderait? Achevant alors sa parabole : « Un samaritain passa », dit le Sauveur, « et lui fit miséricorde 2 » ; vous savez le reste. Cet homme était donc blessé sur le grand chemin parce qu’il était descendu; et le samaritain qui passait ne nous méprisa point en lui : il prit soin de nous, il nous mit sur son cheval, ou sur sa chair; il nous conduisit àla grande hôtellerie de son Eglise ; il nous recommanda à l’hôtelier, ou à son apôtre; il donna deux deniers pour nous soigner, c’est-à-dire le double précepte de la charité, de Dieu et du prochain; et « ce double précepte renferme la loi et les Prophètes 3». Or, il dit au maître de l’hôtellerie : « Ce que vous dépenserez en plus, je vous le remettrai à mon retour 4 ». En effet, l’Apôtre a dépensé davantage. Car tous les Apôtres avaient le droit, comme soldats du Christ, de recevoir une solde des fournisseurs du Christ, et celui-ci a travaillé de ses mains, et fait don de sa solde aux fournisseurs 5. Tout cela s’est fait ainsi; si nous avons été blessés parce que nous sommes descendus, montons aujourd’hui, chantons notre triomphe, et avançons afin d’arriver un jour.

 

1. Jean, VIII, 48, 49. —  2. Luc, X, 33.— 3. Matth. XXIX, 37- 40. — 4. Luc, X, 30-37.—  5.  I Cor. IV, 12; I Thess. II, 7, 9; II Thess. III, 8,9.

 

 

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