PSAUME CXXIX
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DISCOURS SUR LE PSAUME CXXIX.

SERMON AU PEUPLE.

L’ESPÉRANCE DU PÉCHEUR.

 

Du fond de l’abîme le Prophète a crié vers le Seigneur. Cet abîme est celui du péché, et l’homme qui a pu y tomber ne saurait s’en relever par lui-même. Crier c’est déjà en sortir ; compter sur soi-même, ou s’abandonner au mal par désespoir, c’est dédaigner le secours divin, et Jésus-Christ est venu nous soulever afin de nous faire crier. C’est donc le pécheur qui crie, et il crie par espérance, et cette espérance lui vient de Jésus-Christ, dont la loi nous apprend à supporter les pécheurs sans donner à leurs fautes aucun assentiment. Comme nos fautes, quoique légères, sont nombreuses néanmoins, crions vers le Seigneur, et attendons de lui la vie éternelle qui commencera par notre résurrection, basée sur celle de Jésus-Christ qui a pris notre chair, pour mourir et ressusciter à la vigile du matin; espérons jusqu’à la nuit, ou jusqu’à la mort. Lui seul est ressuscité pour ne plus mourir, et nous faire espérer une semblable résurrection. L’espérance est la garantie de la vertu, mais n’espérons pas les biens de cette vie, que n’ont recherchés ni les martyrs ni le Divin Maître. En résumé, espérons dans la miséricorde de celui qui veut nous racheter, qui le peut seul parce que seul il est sans péché.

 

 

1. Nous présumons, mes frères, que vous veillez non-seulement des yeux du corps, mais aussi des yeux de l’âme, et dès lors nous devons chanter avec intelligence : « Du fond de l’abîme, Seigneur, j’ai crié vers vous; Seigneur, exaucez ma voix 1 ». Ces paroles sont d’une âme qui s’élève, et dès lors appartiennent aux cantiques des degrés. Chacun de nous doit donc examiner dans quel abîme il est descendu, et d’où il doit crier vers le Seigneur. Jonas cria du fond de l’abîme, du sein de la baleine 2. Non-seulement il était sous les flots, mais dans les entrailles d’un monstre marin : et ni ces abîmes, ni ces entrailles, n’empêchèrent sa prière de s’élever jusqu’à Dieu, et le ventre de la baleine ne ferma point le passage à sa voix suppliante. Sa prière pénétra tout, brisa tout, et arriva aux oreilles de Dieu, si l’on peut dire, néanmoins, qu’elle brisa tout pour arriver aux oreilles de Dieu, quand le Seigneur avait les oreilles dans le coeur du Prophète suppliant. Où, en effet, Dieu n’est-il point présent pour le fidèle qui l’invoque? Toutefois considérons aussi de quel abîme nous crions vers le Seigneur. L’abîme pour nous est cette vie mortelle. Tout homme qui comprend cet abîme, crie, gémit, soupire, jusqu’à ce qu’il sorte des profondeurs, et s’élève jusqu’à Celui qui est assis au-dessus des

 

1. Ps. CXXIX, 1, 2.— 2. Jonas, II, 2.

 

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abîmes et des Chérubins, au-dessus de toutes les créatures, et corporelles et spirituelles, qui sont ses oeuvres; jusqu’à ce que l’âme arrive à lui, et que soit délivrée par lui son image qui est l’homme, et qui, à force d’être tourmentée dans ce gouffre et agitée par les flots, a été défigurée; image toujours dans l’abîme si elle n’est renouvelée et restaurée par le même Dieu qui l’a imprimée en l’homme; car l’homme qui a bien pu tomber par lui-même, est impuissant à se relever; oui, dis-je, image qui demeure dans l’abîme, si Dieu ne l’en retire. Mais crier du fond de l’abîme, c’est sortir de l’abîme, et ce cri même empêche qu’on soit longtemps dans ces profondeurs. Ils sont bien dans les derniers abîmes, ceux qui ne crient pas même vers le Seigneur. « Quand le pécheur est descendu dans les profondeurs du mal, il méprise 1». Voyez, mes frères, s’il est un abîme plus profond que le mépris de Dieu. Quand un homme se voit chaque jour accablé de péchés, brisé en quelque sorte sous le poids, sous la Montagne de ses iniquités ; dites-lui de prier Dieu, il vous oppose le sarcasme. Comment cela? Si mes péchés déplaisaient à Dieu, serais-je encore en vie? Si Dieu prenait soin des choses d’ici-bas, après tant de crimes que j’ai commis, non-seulement serais-je en vie, mais se pourrait-il que je fusse heureux? Voilà en det ce qui arrive d’ordinaire à ceux qui s’engloutissent dans l’abîme, et qui sont heureux dans leur désordre; plus ils semblent heureux, plus profond est leur abîme. Car un faux bonheur n’est qu’un surcroît de malheur. On dit encore: Puisque j’ai commis tant de fautes, et que ma damnation est proche, c’est perdre pour moi que ne point faire ce que je puis;dès lors que je suis toujours perdu, pourquoi ne pas agir à mon gré? C’est le langage des brigands les plus désespérés : Si le juge doit m’envoyer à la mort pour dix homicides, comme pour quinze, comme pour un seul, pourquoi ne point faire tout ce qu’il me vient à la pensée? Tel est le sens de cette parois: « Quand le pécheur est arrivé au fond de l’abîme, il dédaigne ». Mais Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui n’a point méprisé nos abîmes, qui a daigné descendre jusqu’à cette misérable vie, en nous promettant la rémission de nos péchés, a soulevé l’homme du fond de cet abîme, l’a forcé de crier sous le poids de

 

1. Prov. XVIII, 3.

 

ses fautes, afin que la voix de ce pécheur pût arriver jusqu’à Dieu. D’où pouvait-il crier, si ce n’est du fond des malheurs?

2. Or, voyez que c’est de l’abîme que s’élève cette voix du pécheur: « Du fond de l’abîme, Seigneur, je crie vers vous; Seigneur,exaucez ma prière. Que vos oreilles soient attentives à la voix de mes supplications ». D’où vient ce cri? du fond des abîmes. Quel est l’homme qui crie? le pécheur. Quelle espérance le fait crier ? l’espérance qu’a donnée au pécheur descendu dans l’abîme Celui qui est venu nous délivrer de nos péchés. Aussi qu’est-il dit après ces paroles ? « Seigneur, si vous examinez nos péchés, qui pourra subsister, ô mon Dieu? » Voilà que le Prophète nous montre de quel abîme il pousse des cris. Il s’écrie sous les montagnes, sous les flots de ses péchés. Il s’est regardé, il a regardé sa vie, il n’a vu de toutes parts que les souillures des vices et du crime : nulle part il n’a vu le bien, ni pu découvrir un rayon de justice. A la vue de ses péchés si graves et si nombreux, à la vue de tant de crimes, il s’écrie dans sa stupeur: « Hélas! Seigneur, si vous examinez les iniquités, qui pourra subsister devant vous, ô mon Dieu? » Il ne dit point : Je ne pourrai soutenir votre présence; mais : « Qui pourra la soutenir ? » Il voit que la vie humaine est un long aboiement du péché, que toutes les, consciences sont condamnées par leurs propres pensées, et qu’il n’est pas un coeur assez chaste pour présumer de sa justice. Si donc il n’est pas un coeur assez chaste pour avoir confiance en sa propre justice, que le coeur de tous les hommes se confie en la divine miséricorde, et s’écrie : « Seigneur, si vous examinez les iniquités, qui pourra subsister, ô mon Dieu? »

3. Or, d’où vient l’espérance? « Mais en vous il y a propitiation 1 ». Qu’est-ce que la propitiation, sinon le sacrifice? Qu’est-ce que le sacrifice, sinon l’offrande que l’on a faite pour nous? Un sang innocent a été répandu pour laver les péchés des coupables; et une telle rançon a racheté tous les captifs de la puissance de l’ennemi qui s’en était rendu maître. Il y a donc en vous propitiation. Si vous n’étiez enclin à pardonner, si vous ne vouliez être qu’un juge sans miséricorde, examiner, rechercher toutes les iniquités, qui pourrait subsister? qui pourrait se tenir en

 

1. Ps. CXXIX, 4.

 

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votre présence, et vous dire : Je suis innocent? Qui pourrait soutenir l’éclat de votre jugement? Il ne nous reste donc pour unique espérance « que la propitiation qui est en vous. Et je vous ai attendu, Seigneur, à cause de votre loi ». Quelle loi? Celle qui fait les coupables? Or, Dieu a donné aux Juifs une loi sainte, juste 1, bonne, mais qui n’a pu que faire des pécheurs. Elle n’était point de nature à donner la vie 2, mais à montrer au pécheur ses fautes. Le pécheur en effet s’était oublié, il ne se voyait point, et la loi lui fut donnée afin qu’il se vît. La loi donc a rendu l’homme coupable, mais le législateur l’a délivré : ce législateur est le souverain Maître. La loi donc a été donnée pour effrayer, pour tenir le pécheur dans des liens; elle ne délivre donc pas des péchés, mais elle montre le péché. Peut-être que l‘interlocuteur, placé sous la loi, a reconnu dans l’abîme tous les crimes qu’il a commis contre la loi, et alors il s’est écrié : « Si vous examinez les iniquités, qui donc pourra subsister, ô mon Dieu? » Il y a donc en Dieu une loi de propitiation, une loi de miséricorde. Celle qui fut donnée était une loi de crainte, mais il est une autre loi d’amour. Cette loi d’amour donne le pardon des péchés, elle efface les fautes passées, avertit au sujet de l’avenir: elle n’abandonne pas en chemin celui qu’elle accompagne, elle est elle-même la compagne de celui qu’elle guide en chemin. Mais il faut t’accorder avec ton adversaire 3, pendant que tu es en route avec lui. Et cet adversaire pour toi, c’est la parole de Dieu, si tu n’es pas en harmonie avec elle. Cette harmonie s’établit dès lors que tu trouves ton plaisir à faire ce que t’ordonne la parole de Dieu. L’adversaire devient ami, et au bout de la route il n’y aura personne pour te livrer au juge. Donc «je vous ai attendu, Seigneur, à cause de votre loi ». Parce que vous avez daigné m’apporter une loi de miséricorde, me pardonner toutes mes fautes et me donner de sages conseils pour l’avenir, afin que je ne vous offense plus et quand mes pieds chancelleront en suivant vos conseils, vous m’avez donné un remède, en mettant dans ma bouche cette prière : « Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à ceux qui nous doivent 4». Telle est votre loi, qu’il me sera remis comme j’aurai remis à mon frère. « J’ai attendu,

 

1. Rom. VII, 12.— 2. Gal. III, 21.— 3. Matth. V, 25.— 4. Id. VI, 12.

 

« Seigneur, à cause de votre loi ». J’ai attendu quand il vous plairait de venir et de me délivrer de toutes mes misères, parce que dans ces misères vous n’avez point délaissé la loi de la miséricorde.

4. Ecoute de quelle loi il s’agit, si tu n’as compris encore qu’il est question de la loi de charité: «Portez mutuellement vos fardeaux », dit l’Apôtre, « et de la sorte vous accomplirez la loi du Christ 1». Quels hommes portent mutuellement leurs fardeaux, sinon ceux qui ont la charité? Ceux qui n’ont point la charité sont à charge à eux-mêmes, tandis que les hommes charitables se supportent mutuellement. Un homme te blesse et te demande pardon; lui refuser ce pardon, c’est ne point porter le fardeau de ton frère ; lui pardonner, c’est le porter dans son infirmité. Et toi, qui es homme, si tu viens à tomber dans quelque faiblesse, il doit à son tour te supporter comme tu l’as supporté. Ecoute ce qu’avait dit saint Paul auparavant: « Mes frères», dit-il, « si un homme est surpris dans quelque péché, vous qui êtes spirituels, instruisez-le dans l’esprit de douceur 2». Et de peur qu’ils ne se crussent en sûreté parce qu’il les avait appelés spirituels, il ajoute aussitôt : « En réfléchissant sur toi-même, et craignant d’être tenté aussi ». Puis il ajoute ce que je viens de citer: « Portez mutuellement vos fardeaux et vous accomplirez ainsi la loi du Christ » ; ce qui a fait dire an Prophète « J’ai attendu, Seigneur, à cause de votre loi ». On dit que les cerfs, quand ils passent quelque détroit pour aller chercher des pâturages dans les îles voisines, posent la tête l’un sur l’autre ; le premier seulement soutient sa tête sans l’appuyer sur aucun. Mais quand il est fatigué, il quitte la tête de colonne pour revenir en arrière et se reposer sur un autre. C’est ainsi que tous portent mutuellement leurs fardeaux, et arrivent au lieu recherché; ils ne font pas naufrage, la charité est pour eux comme un vaisseau, C’est donc la charité qui porte les fardeaux, mais qu’elle ne craigne point de succomber sous leur poids ; chacun ne doit redouter que le poids de ses propres fautes. Supporter la faiblesse de son frère, ce n’est point te charger de ses péchés; mais y consentir, c’est te charger des tiens, et non des siens : quiconque en effet adhère aux désirs du pécheur, n’est point chargé par les fautes

 

1. Gal. VI, 2. — 2. Id. 1.

 

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d’autrui, mais bien par les siennes. Consentir en effet au péché d’un autre, c’est pécher toi-même; et dès lors tu n’as plus àte plaindre d’être accablé par les péchés d’autrui. On te répondra qu’en effet tu es accablé, mais par les tiens. Tu as vu un voleur et tu as couru avec lui 1, dit l’Ecriture. Qu’est-ce à dire ? Que tes pieds ont marché pour commettre le vol ? Point du tout; mais que ton intention était unie à celle du voleur. Ce qui n’était une faute que pour lui, est devenu faute pour toi, par ton assentiment. Mais au contraire, si son péché t’a déplu, et que tu aies prié pour lui, si tu lui as pardonné sur ses instances, de sorte que tu puisses prononcer sans trembler cette parole enseignée par le Souverain Législateur : « Remettez-nous nos dettes comme nous remettons à ceux qui nous doivent 2 », tu as appris à porter les fardeaux de ton frère, afin qu’un autre porte aussi ceux que tu pourras avoir, et que s’accomplisse entre vous ce mot de l’Apôtre : « Portez mutuellement vos fardeaux et vous accomplirez ainsi la loi du Christ 3 ». Ainsi tu chanteras avec assurance : « Seigneur, je vous ai attendu à cause de votre loi ».

5. Quiconque n’observe point cette loi, n’attend point le Seigneur; et quand même il l’attendrait, s’il ne l’attend à cause de cette loi, son attente est vaine; le Seigneur viendra sans doute, et trouvera tes péchés. Tu crois avoir vécu dans une justice parfaite, et dès lors il ne trouvera point l’homicide en toi. C’est un grand crime, en effet, un crime énorme. Il ne trouvera point l’adultère; il ne trouvera point le vol, il ne trouvera point la rapine, il ne trouvera point l’idolâtrie ; voilà ce qu’il ne trouvera point : n’est-il donc rien qu’il puisse trouver? Ecoute la parole de l’Evangile: «Quiconque dira à son frère: Tu es un fou ». Qui donc est exempt de ces fautes légères de la langue? Elles sont légères, diras-tu. « Celui-là », dit le Sauveur, « sera condamné au feu de l’enfer 4 ». Si, dire àton frère: Tu es un fou, te paraissait une faute légère, que du moins le feu de l’enfer soit pour toi quelque chose dc grand. Si tu dédaignais une faute légère, que la gravité du châtiment t’effraie du moins. Mais, diras-tu encore, ce sont là des fautes légères, des minuties dont la vie ne saurait être exempte. Réunis ces minuties, elles seront des montagnes.

 

1. Ps. XLIX, 18.— 2. Matth. VI, 12.— 3.Gal. VI, 2.— 4. Matth. V, 22.

 

Des grains de blé sont petits, et forment néanmoins une grande masse; des gouttes d’eau sont petites, et néanmoins elles formeDt des fleuves qui entraînent les chaussées. L’interlocuteur, considérant combien sont nombreuses les fautes légères que l’homme commet chaque jour, sinon autrement, dii moins par la pensée et par la langue, considérant que si elles ne sont point graves séparément, du moins, réunies, elles forment une grande masse, effrayé plus encore de la fragilité humaine que de ses fautes passées, «Seigneur», dit-il, « du fond de l’abîme j’ai crié vers vous ; Seigneur, écoutez ma voix. Que vos oreilles soient attentives à la voix de ma « prière, Si vous tenez un compte exact des iniquités , qui pourra subsister, ô mon Dieu ? » Je puis éviter les homicides, les adultères, les rapines, les parjures, les maléfices, l’idolâtrie. Mais les péchés de la langue? Mais les péchés du coeur? Il est écrit que « le péché c’est l’iniquité 1; qui donc pourra subsister, si vous tenez un compte exact des iniquités ? » Si vous voulez être pour nous un juge sévère, non un père miséricordieux, qui pourra soutenir votre présence? mais « en vous il y a propitiation, et je vous ai attendu à cause de votre loi ». Quelle est cette loi? « Portez mutuellement vos fardeaux, et ainsi vous accomplirez la loi du Christ 2 ». Quels hommes portent mutuellement leurs fardeaux? Ceux qui disent à Dieu en toute fidélité : « Remettez-nous nos dettes, comme « nous remettons à ceux qui nous doivent 3».

6. « Mon âme a attendu à cause de votre parole ». Nul n’attend, sinon celui qui n’a point reçu encore ce qu’on lui avait promis. Qu’attendrait celui qui a déjà reçu? Nous avons reçu la rémission des péchés, mais Dieu nous a promis en outre le royaume des cieux. Nos péchés sont effacés, mais la récompense est encore à venir le pardon est accordé, mais nous ne possédons point encore la vie éternelle. Or, celui qui nous a pardonné est le même qui nous a promis la vie sans fin. Si c’était une promesse humaine, il y aurait à craindre; mais c’est la promesse de Dieu qui est infaillible. Nous attendons dès lors en toute sécurité sa parole qui ne saurait nous tromper. « Mon âme a espéré dans le Seigneur, depuis la veille du matin jusqu’à la nuit ». Que signifie cette parole?

 

1. I Jean, III, 4.— 2. Gal. VI, 2.— 3. Matth. VI, 12.— 4. Ps. CXXIX, 5,6.

 

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Le Prophète a-t-il espéré un jour seulement dans le Seigneur, et son espérance a-t-elle cessé? Il a espéré dans le Seigneur depuis la vigile du matin jusqu’à la nuit. La vigile du matin, c’est la fin de la nuit ; de là jusqu’à l’autre nuit, il a espéré dans le Seigneur. Entendons bien ces paroles, et n’allons pas croire que nous ne devons espérer dans le Seigneur que pendant un jour seulement. « Depuis la vigile du matin jusqu’à la nuit ». Que pensez-vous donc, mes frères? Il est dit : « Depuis la vigile du matin jusqu’à la nuit, mon âme a espéré dans le Seigneur »: parce que le Seigneur, par qui nos péchés nous sont pardonnés, est ressuscité d’entre les morts à la vigile du matin, afin que nous concevions pour nous l’espérance de ce qui a été d’abord accompli en Notre-Seigneur. Nos péchés sont remis à la vérité, mais nous ne sommes point ressuscités encore. Si donc nous ne sommes point ressuscités encore, ce qui s’est accompli en notre chef n’est point accompli en nous. Qu’a-t-il paru d’abord dans notre chef? Que la chair de ce chef est ressuscitée; mais l’esprit de ce chef était-il donc mort? Ce qui était donc mort en lui est ressuscité, et il est ressuscité le troisième jour ; et le Seigneur nous a dit en quelque sorte : Espérez pour vous ce qui s’est accompli en moi, c’est-à-dire que vous ressusciterez parce que moi-même je suis ressuscité.

7. Mais il en est qui disent : Voilà que le Seigneur est ressuscité ; puis-je donc espérer que je ressusciterai de même ? Oui, par la même raison. Car le Seigneur est ressuscité dans ce qu’il avait pris de toi. Il ne serait point ressuscité en effet, s’il n’eût passé par la mort, et il n’eût point passé par la mort s’il n’eût porté une chair. Qu’a reçu de toi le Seigneur? La chair. Qu’était-il quand il est venu? Le Verbe de Dieu, lequel était avant toutes choses, et par qui tout a été fait. Mais parce qu’il voulait prendre quelque chose de toi, « le Verbe a été fait chair et a demeuré parmi nous 1». Il a donc reçu de toi ce qu’il devait offrir pour toi; de même que le prêtre reçoit de tes mains ce qu’il doit offrir pour toi, quand tu veux apaiser Dieu sur tes péchés. Voilà ce qui s’est tait, et cela s’est fait ainsi. Notre souverain Prêtre a reçu de nous ce qu’il devait offrir pour nous. Il a pris de nous une chair, et dans cette chair il est devenu notre

 

1.  Jean, I, 1, 3, 14.

 

victime, notre holocauste, notre sacrifice. Il est devenu notre sacrifice dans sa passion; dans sa résurrection, il a renouvelé ce qui en lui avait reçu la mort, et l’a offert à Dieu comme prémices, et il t’a dit : Tout ce que j’avais de toi est maintenant consacré à Dieu; j’ai offert à Dieu des prémices qui viennent de toi : espère dès lors qu’en toi s’accomplira ce qui s’est accompli tout d’abord dans ces mêmes prémices.

8. Comme donc c’est à la vigile du matin que le Christ a commencé à ressusciter; c’est alors que notre âme a commencé à espérer. Et jusqu’à quel moment? « Jusqu’à la nuit », jusqu’à notre mort ; puisque la mort de notre chair n’est en quelque sorte qu’un sommeil. C’est à la résurrection du Sauveur qu’a commencé ton espérance, qu’elle ne finisse qu’à ta sortie de ce monde. Si tu n’espères en effet jusqu’à la nuit, ton espérance passée est perdue. Il est en effet des hommes qui commencent à espérer, mais qui ne persévèrent pas jusqu’à la nuit. Les voilà dans les afflictions, les voilà dans la tentation, ils voient les méchants, les impies dans une félicité temporelle ; et comme ils attendaient de Dieu quelque bonheur ici-bas, ils voient que ce bonheur qu’ils convoitent est le partage d’hommes criminels : et les voilà chancelants, perdant toute espérance. Pourquoi? parce que leur espérance n’a point commencé à la vigile du matin. Qu’est-ce à dire? Parce qu’ils n’ont point commencé par espérer du Seigneur, ce qu’ils ont vu tout d’abord dans ce même Seigneur, à la vigile du matin ; mais ils espéraient qu’en devenant chrétiens, ils auraient des maisons regorgeant de froment, de vin, d’huile, d’argent, d’or; que nul d’entre eux ne mourrait prématurément ; s’ils n’avaient point d’enfants, qu’ils en auraient en devenant chrétiens; s’ils n’étaient mariés, qu’ils trouveraient une épouse; que leurs épouses, non-seulement, mais leurs bestiaux, ne seraient point stériles ; que leurs vins ne s’aigriraient Plus ; que la grêle n’atteindrait point leurs vignes. Après avoir espéré ces biens de la part du Seigneur, on voit que ceux qui ne servent point Dieu, possèdent cependant toutes ces richesses, et l’on chancelle, et l’on n’espère plus jusqu’à la nuit, parce que l’on n’a point commencé à espérer à la vigile du matin.

9. Quel est donc l’homme qui commence à (89) espérer à la vigile du matin ? Celui qui attend du Seigneur ce que le Seigneur nous a montré à la vigile du matin, c’est-à-dire la résurrection. Avant lui nul n’était ressuscité pour ne plus mourir. Que votre charité veuille bien m’écouter, Quelques morts sont ressuscités avant Jésus-Christ; car Elie ressuscita un mort, Elisée également 1; mais ces morts ne ressuscitèrent que pour mourir de nouveau. Ceux mêmes que le Christ ressuscita, ne ressuscitèrent que pour mourir encore, soit le fils de la veuve, soit cette enfant de douze ans, fille du chef de la synagogue, roit Lazare 2 ; ils ressuscitèrent de différentes manières, mais pour mourir une seconde fois pour eux une seule naissance et une double mort. Nul autre que le Seigneur n’était ressuscité pour ne plus mourir. Mais quand est-il ressuscité pour ne plus mourir? « A la vigile du matin ». Espère donc du Seigneur que tu ressusciteras, non comme Lazare est ressuscité, non comme le fils de la veuve, ou la fille du chef de la synagogue, non comme ceux que ressuscitèrent les anciens Prophètes; mais espère que tu ressusciteras comme le Seigneur lui-même, en sorte qu’après cette résurrection tu n’auras plus à craindre la mort; voilà espérer dès la vigile du matin.

10. Espère jusqu’à la nuit, jusqu’à la fin de cette vie, jusqu’à ce qu’une nuit générale enveloppe le genre humain à la fin du monde. Pourquoi jusque-là? C’est qu’après cette nuit, il n’y aura plus d’espérance, mais bien la réalité. L’espérance en effet n’est plus une espérance dès qu’on la voit; et l’Apôtre a dit : « Comment espérer ce que l’on voit? Or, si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons par la patience 3 ». Si donc nous devons attendre patiemment ce que nous ne voyons point, espérons jusqu’à la nuit, c’est-à-dire jusqu’à la fin de notre vie, ou du monde. Mais quand cette vie sera écoulée, alors viendra ce que nous avons espéré, et alors sans être dans le désespoir, nous n’aurons plus d’espérance. Le désespoir en effet est blâmable, et dans nos imprécations contre un homme, nous disons: Il n’a aucune espérance. Et toutefois, être sans espérance n’est pas toujours un mal. C’est un mal, sans doute, de n’en point avoir en cette vie; car celui qui n’a point l’espérance en cette vie, n’aura

 

1. III Rois, XVII, 22 ; IV Rois, IV, 35. — 2. Luc; VII, 15; VIII, 55; Jean, XI, 44. — 3. Rom. VIII, 24, 25.

 

point la réalité dans l’autre vie. Donc il nous faut espérer maintenant; mais, quand nous posséderons la réalité, que deviendra l’espérance? Comment espérer ce que l’on voit? Le Seigneur notre Dieu viendra et montrera au genre humain cette bruie dans laquelle il a été crucifié et il est ressuscité, et s’y fera voir aux bons et aux méchants; les uns le verront pour se féliciter de trouver en lui ce qu’ils avaient cru avant de voir; les autres le verront afin de rougir de n’avoir point cru ce qu’ils verront alors. Ceux qui rougiront seront condamnés, ceux qui se féliciteront seront couronnés. A ceux qui seront confus on dira: « Allez au feu éternel, qui a été préparé au diable et à ses anges »; et à ceux qui seront dans la joie on dira : « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde 1». Lorsqu’ils le posséderont, il n’y aura plus d’espérance, mais bien la réalité. L’espérance finissant, la nuit finira aussi; mais jusqu’à ce moment, que notre âme espère dans le Seigneur, depuis la vigile du matin.

14. Le Prophète revient sur cette même parole : « Qu’Israël espère dans le Seigneur depuis la vigile du matin. Depuis la vigile du matin jusqu’à la nuit, mon âme a espéré dans le Seigneur ». Mais qu’a-t-il espéré? « Qu’Israël espère dans le Seigneur, depuis la vigile du matin ». Non seulement qu’Israël espère dans le Seigneur, mais qu’il espère depuis la vigile du matin. Donc je condamne l’espérance des biens de ce inonde, quand on les attend de Dieu? Point du tout; mais il est une autre espérance propre à Israël. Qu’il n’espère, comme le bien suprême pour lui, ni les richesses, ni la santé du corps, ni l’abondance des biens terrestres. Il trouvera même l’affliction ici-bas, et peut-être sera-il engagé dans quelques persécutions pour la vérité. Les martyrs n’espéraient-ils pas en Dieu? Et néanmoins ils ont souffert comme auraient pu souffrir des voleurs, des hommes d’iniquité : condamnés aux bêtes, exposés au feu, frappés du glaive, déchirés par des crocs, chargés de chaînes, étouffés dans les prisons, n’espéraient-ils donc pas en Dieu pour souffrir tant de maux? Ou le but de leur espérance était-il d’échapper à ces tourments pour jouir de la vie? Nullement, ils espéraient dès la vigile du matin. Qu’est-ce

 

1. Matth. XXV, 11, 31.

 

à dire? Ils considéraient dans cette vigile du matin la résurrection de leur Maître, qui a dû souffrir ce qu’ils souffraient eux-mêmes, avant de ressusciter, et ils ne perdaient point la confiance de passer de ces tourments à la résurrection pour la vie bienheureuse. « Israël a espéré dans le Seigneur depuis la vigile « du matin jusqu’à la nuit ».

12. « Car dans le Seigneur est la miséricorde, et une abondante rédemption 1». Sublime expression ! On ne pouvait rien dire de plus juste après ces paroles : « Dès la vigile du matin qu’Israël espère dans le Seigneur ». Pourquoi? Parce que c’est à la vigile du matin que le Seigneur est ressuscité, et que le corps doit espérer ce qui s’est réalisé dans la tête. Mais tu pourrais avoir cette pensée: Si le chef est ressuscité parce qu’il n’était point chargé d’iniquités, et parce qu’il n’avait en lui aucun péché, nous autres que pourrons-nous devenir? Pouvons-nous espérer une résurrection semblable à celle de Notre-Seigneur, accablés de péchés comme nous le sommes? Pour l’écarter, vois ce qui suit : « Car dans le Seigneur est la miséricorde et une abondante rédemption. Et il rachètera Israël de toutes ses iniquités ». Si donc Israël se trouvait accablé , voici la divine miséricorde. Celui qui était sans péché a marché le premier, afin d’effacer les péchés de ceux qui le suivraient. N’ayez en vous aucune présomption, et n’espérez que dès la vigile du matin. Voyez notre Seigneur qui ressuscite et qui monte au ciel, Il n’y avait en lui aucun péché, mais en lui vos fautes seront effacées. « Il rachètera Israël de toutes ses iniquités ». Israël a bien pu se vendre, et de la sorte être

 

1. Ps. CXXLX, 7.

 

vendu par le péché, mais il ne pouvait se racheter de ses iniquités. Celui-là seul peut le racheter, qui n’a point pu se vendre. Celui qui n’a point commis le péché peut nous racheter du péché. « C’est lui qui rachètera Israël ». De quoi le rachètera-t-il? De telle iniquité ou de telle autre? « De toutes ses iniquités». Qu’il ne craigne dès lors aucune de ces iniquités, celui qui veut approcher de Dieu; qu’il s’en approche seulement dans toute ha plénitude de son coeur, qu’il cesse de faire ce qu’il faisait auparavant, et qu’il ne dise point : C’est là une iniquité qui ne sera jamais remise. Tenir ce langage c’est ne point se convertir, du moins quant à cette iniquité dont il n’espère point le pardon, et dès lors qu’il en commet d’autres, il ne recevra pas même he pardon de celui dont il ne craignait rien. J’ai commis un grand crime, dit-il, et Dieu ne saurait me le pardonner : j’en commettrai d’autres, et m’abstenir serait temps perdu pour moi. Ne crains rien tu es au fond de l’abîme, ne dédaigne pas du fond de cet abîme de crier vers le Seigneur et de dire: « Si vous examinez les iniquités, qui pourra subsister, ô mon Dieu? » Observe le Seigneur, arrête sur lui tes regards, et attends-le à cause de sa loi. Quelle prescription t’a-t-il faite? « Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à ceux qui nous doivent ». Espère que tu ressusciteras, et qu’alors tu seras sans péché, puisque le premier qui a été sans péché est ressuscité. Espère depuis la vigile du matin. Ne va point dire: J’en suis indigne à cause de mes péchés. Tu n’en es pas digne, à la vérité; mais « il est en lui une abondante miséricorde, et c’est lui qui rachètera Israël de toutes ses iniquités ».

 

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