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DISCOURS SUR LE PSAUME CXXX.

SERMON AU PEUPLE.

L’HUMILITÉ CHRÉTIENNE.

 

La foi unit en Jésus-Christ tous les fidèles qui sont les pierres vivantes de son temple ; et c’est dans ce temple seulement que nous sommes exaucés quant à la vie éternelle. Quand Jésus chassait les vendeurs du temple, il faisait un acte symbolique. Ce temple est la figure de l’Eglise, dans laquelle nous voyons des acheteurs et des vendeurs, ou des chrétiens qui cherchent leurs intérêts ; ils en seront chassés avec un fouet de cordes, ou le fouet de leurs péchés. Les vendeurs ne renversèrent point le temple, ni les pécheurs ne renverseront l’Eglise, maison de notre prière. C’est donc l’Eglise qui chante ce psaume, et sous pouvons juger que nous sommes de l’Eglise, si nous le chantons en vérité. L’interlocuteur ne s’est point enorgueilli, et dès lors il a offert le sacrifice qui plaît à Dieu, celui de l’humilité. Mais Simon le magicien, sans vouloir de l’humilité comme les Apôtres, voulait faire descendre l’Esprit-Saint, trafiquer de la colombe, et Pierre le chassa. Si tous ne font pas des miracles, ils n’en sont pas moins à Dieu ; l’oeil n’est pas la main, et tous les membres cependant se prêtent un mutuel secours ; de même dans l’Eglise ceux qui font des miracles prêtent leur autorité aux autres. Les dons de Dieu pourraient nous enorgueillir ; saint Paul, qui avait d’abord été persécuteur, a plus travaillé que les antres, mais pour contre-poids il fut souffleté par Satan, qui sévit aussi contre Job, contre Jésus-Christ, et qui perdit ainsi ceux que le sang du Calvaire a rachetés. Ne cherchons dans l’Eglise que l’inscription de notre nom au ciel.

Le Prophète, s’il n’est humble, fait des imprécations contre lui-même, et veut être comme l’enfant que l’on sèvre dans les bras de sa mère. A sa naissance, il lui faut le lait de sa mère, et non du pain. De même le chrétien peu instruit ne saurait contempler le Verbe qui est le pain des auges il doit grandir par la foi au Verbe fait homme, crucifié, ressuscité, monté an cieL C’est le lait que Dieu nous a préparé. Prétendre raisonner, c’est imiter les hérétiques qui ont vu l’inégalité dans les personnes, et ont été sevrés die lait de 1’Eglise leur mère. — D’autres ont dit que tout orgueil déplaît à Dieu sans doute, mais que l’homme néanmoins doit s’élever par la méditation, afin de passer du lait de l’enfance ta la nourriture de l’homme fait. Cette explication a l’inconvénient de ne point rendre l’imprécation du Prophète qui ne voit dans le sevrage de l’enfant trop jeune qu’un châtiment de son orgueil : car le sevrer quand il est trop jeune ou faible encore, c’est lui donner la mort. Qu’il grandisse donc par le lait de sa mère, par l’humilité de la foi ; qu’il cherche, et vous aussi, ce qui est devant nous, en se reposant sur le Seigneur.

 

1. Ce psaume nous recommande l’humilité du fidèle serviteur de Dieu, qui le chante, et qui est le corps entier du Christ. Souvent, en effet, j’ai fait remarquer à votre charité que ce n’est point un seul homme qui parle, mais tous ceux qui forment le corps du Christ. Et comme ils sont tous réunis dans ce même corps, ce n’est en quelque sorte qu’un seul homme qui parle, et ce seul homme est en même temps plusieurs; car, quoique plusieurs en eux-mêmes, ils sont un en celui qui est un. Or, c’est lui qui est ce temple de Dieu, dont l’Apôtre a dit : « Le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple 1 » c’est-à-dire tous ceux qui croient en Jésus-Christ, et qui croient en lui de manière à l’aimer. Car croire au Christ, c’est aimer le Christ : non comme les démons croyaient 2, mais sans l’aimer; et cette foi néanmoins ne les empêchait point de dire « Qu’y a-t-il entre « vous et nous, ô Fils de Dieu 3? » Pour nous, que notre foi soit de nature à croire en lui, à l’aimer, sans dire « Qu’y a-t-il entre vous et

 

1. I Cor. III, 17. — 2. Jacques, II, 19. — 3. Matth. VIII 29.

 

« nous, ô Fils de Dieu? » mais de manière à dire : Nous sommes à vous, qui nous avez rachetés. Tous ceux qui ont cette foi sont comme des pierres vivantes, qui forment le temple de Dieu ; comme ces bois incorruptibles dont fut façonnée cette arche que ne purent submerger les eaux du déluge 2. C’est dans ce temple, c’est-à-dire dans ces hommes, que l’on offre à Dieu des prières qu’il exauce. Quiconque prie le Seigneur hors de son temple, n’est point exaucé en ce qui regarde la paix de la Jérusalem d’en haut, bien qu’il soit exaucé quelquefois quant aux biens temporels, que Dieu donne même aux païens. Les dénions aussi furent exaucés, et purent entrer dans les pourceaux 3. Mais être exaucé quant à la vie éternelle est bien différent, et Dieu n’accorde cette faveur qu’à ceux qui prient dans le temple de Dieu. Or, celui-là prie dans le temple de Dieu, qui prie dans la paix de l’Eglise, dans l’unité du corps du Christ, et ce corps du Christ est formé de tous ceux qui ont la foi sur toute la surface de la terre; et

1. I Pierre, II, 5. — 2. Gen. VI, 11. — 3. Matth. VIII, 31, 32.

 

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il est exaucé précisément parce qu’il prie dans son temple. Car il prie en esprit et en vérité, puisqu’il prie dans la paix de l’Eglise 1, et non dans un temple matériel qui n’en est que la figure.

2. Il y avait une figure, en effet, quand le Seigneur chassa du temple ces hommes qui cherchaient leurs intérêts, et n’y entraient que pour vendre et acheter 2. Or, si ce temple était une figure, il devient évident que le corps de Jésus-Christ, qui est le véritable temple, et dont cet autre n’était que la figure, renferme aussi des vendeurs et des acheteurs, ou des hommes qui recherchent leurs intérêts, et non pas ceux de Jésus-Christ 3. Mais un fouet de cordes va les en chasser. La corde en effet signifie les péchés, comme il est dit par un Prophète : « Malheur à ceux qui traînent leurs péchés, comme une longue chaîne 4 ». Or, c’est traîner ses péchés comme une longue chaîne qu’ajouter péchés sur péchés; que recouvrir un péché que l’on vient de commettre par un autre que l’on commet ensuite. De même en effet, que pour faire une corde on joint filasse à filasse, et qu’on la tord au lieu de la tirer en droite ligne, de même, ajouter l’une à l’autre des actions perverses et qui sont des péchés, aller de faute en faute et enrouler péché sur péché, c’est en composer une longue chaîne. « Leurs voies sont contournées, leurs démarches tortueuses 5». Mais à quoi servira cette corde, sinon à leur lier les pieds et les mains pour les jeter dans les ténèbres extérieures? Vous savez ce que dit l’Evangile à propos de certain pécheur : « Liez-lui les pieds et les mains, et jetez-le dans les ténèbres extérieures; c’est là qu’il y aura pleur et grincement de dents 6 ». Il n’y aurait pas moyen de lui lier les pieds et les mains, si lui-même ne s’était fait une corde. De là ce mot si clair d’un autre endroit : « Chacun est garrotté par les liens de ses péchés 7 ». C’est donc parce que les hommes sont frappés par les cordes de leurs péchés que le Seigneur se fit un fouet avec des cordes, et qu’il chassa du temple ceux qui cherchaient leurs intérêts, et non ceux du Christ 8.

3. Tel est donc le temple qui parle dans notre psaume. C’est dans ce temple, ai-je dit,

 

1. Jean, IV, 21-24.— 2. Id. II, 15.— 3. Philipp. II, 21. — 4. Isa. V, 18. — 5. Job, VI, 18. — 6. Matth. XXII, 13. — 7.  Prov. V, 22. — 8. Jean, II, 15; Philipp. II, 21.

 

que l’on prie le Seigneur; c’est là, et non dans le temple matériel, qu’il nous exauce en esprit et en vérité. Car le temple de Jérusalem n’était qu’une figure qui annonçait l’avenir; et voilà pourquoi il est tombé; mais la maison de notre prière est-elle tombée ? Loin de là; car ce n’est point ce temple qui est tombé que l’on pouvait appeler maison du Seigneur, et dont il est dit « Ma maison sera appelée chez tous les peuples une maison de prière ». Vous entendez en effet cette parole de Notre-Seigneur Jésus-Christ : « Il est écrit », nous dit-il, « que ma maison sera appelée chez tous les peuples une maison de prière, et vous en avez fait une caverne de voleurs  1». Mais ceux qui ont pu faire de la maison de Dieu une caverne de voleurs, ont-ils bien pu détruire ce même temple 2 7 De même ceux qui dans l’Eglise catholique ont unie vie déréglée, font de la maison de Dieu une caverne de voleurs, autant qu’il est en eux; mais ils n’en renversent point le temple. Un temps viendra qu’ils en seront chassés par le fouet de leurs iniquités. Or, ce temple de Dieu, ce corps du Christ, cette assemblée des fidèles n’a qu’une même voix, et chante notre psaume comme un seul homme. Déjà nous avons entendu sa voix dans bien des psaumes, écoutons-la encore dans celui-ci. C’est notre voix, si nous le voulons; si nous le voulons encore, écoutons de l’oreille et chantons du coeur, Si nous refusons, au contraire, nous serons dans ce temple comme des vendeurs et des acheteurs, c’est-à-dire, cherchant nos propres intérêts. Nous entrerons dans l’Eglise, non pour y chercher ce qui est agréable aux yeux de Dieu. Que chacun de vous, dès lors, examine sa manière d’écouter, s’il écoute pour tourner en dérision, s’il écoute pour négliger ce qu’il entend, s’il écoute pour correspondre, c’est-à-dire, s’il reconnaît sa propre voix et s’il joint la voix de son coeur à la voix qu’il entend. Notre psaume néanmoins ne laisse point de chanter: que ceux-là s’en instruisent qui le peuvent, et même qui le veulent; pour ceux qui ne le veulent point, qu’ils ne soient un obstacle pour personne. Que l’on nous prêche l’humilité; c’est ainsi qu’il commence

4. « Seigneur, mon coeur ne s’est point élevé ». L’interlocuteur a offert un sacrifice. Comment prouver qu’il a offert un sacrifice? C’est qu’il y a sacrifice dans l’humilité du

 

1. Matth. XXI, 12, 13. — 2. Jean, II, 19.

 

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coeur. Il est dit dans un autre psaume: « Si vous eussiez voulu un sacrifice, je vous l’eusse offert 1». Le Prophète voulait alors satisfaire à Dieu pour ses péchés, l’apaiser et en recevoir le pardon de ses fautes. Et comme s’il se fût demandé comment il l’apaiserait : «Si vous eussiez voulu un sacrifice», dit-il, «je vous l’eusse offert; mais les holocaustes ne vous seront point agréables ». C’est donc en vain qu’il cherchait, pour apaiser le Seigneur, des béliers, des taureaux, ou toute antre victime. Quoi donc! parce que le Seigneur n’agrée pas les holocaustes, ne recevra-t-il point le sacrifice, et sans sacrifice pourra-t-on l’apaiser? S’il n’y avait aucun sacrifice, il n’y aurait aucun prêtre. Et toutefois, nous avons un prêtre qui intercède pour nous auprès de son Père 2. Car il est entré dans le Saint des Saints, dans l’intérieur du voile, où le grand prêtre entrait en figure une fois l’année seulement, comme Notre-Seigneur n’a été offert qu’une fois dans le cours des temps. C’est lui-même qui s’est offert, lui le prêtre, lui la victime, qui est entré une fois dans le Saint des Saints, qui ne meurt plus; la mort n’aura plus d’empire sur lui 3. Nous sommes donc en sûreté, puisque nous avons ce grand prêtre dans le ciel; offrons aussi une victime. Et toutefois, voyons quel sacrifice nous devons offrir : car notre Dieu n’aime point les holocaustes, comme il est dit dans le psaume, lequel néanmoins nous désigne aussitôt le sacrifice que nous devons offrir : « Le sacrifice agréable à Dieu est une âme brisée de douleur; vous ne rejetterez pas, ô Dieu, un coeur contrit et humilié 4 ». Si donc le coeur humilié est un sacrifice à Dieu, il a offert ce sacrifice celui qui a dit : « Seigneur, mon coeur ne s’est point élevé » .Vois encore ailleurs qu’il offre un sacrifice, quand il dit à Dieu : « Voyez mon humiliation et mon labeur, et pardonnez-moi tous mes péchés 5».

5. « Seigneur, mon coeur ne s’est point enorgueilli, mes yeux ne se sont point élevés en haut, je n’ai point marché sur les hauteurs, ni sondé les merveilles qui me surpassent ». Expliquons plus clairement, et que l’on comprenne. Je n’ai pas été superbe, ni cherché à me faire connaître des hommes par des merveilles, ni rien affecté qui surpassait mes forces pour me faire valoir auprès

 

1. Jean, L, 18.— 2. Hébr. IX, 12. — 3. Rom. VI, 9. — 4. Ps. L, 19. — 5. Id. XXIV, 18.

 

des ignorants. Que votre charité redouble d’attention, la question est importante. Vous savez comment Simon le Magicien voulait marcher dans des merveilles bien supérieures à lui 1: ce qui le flattait, c’était la puissance des Apôtres, bien plus que la justice des chrétiens. Mais il dit que par l’imposition des mains des Apôtres, et à leurs prières, Dieu envoyait l’Esprit-Saint sur les fidèles, et que cet avènement de l’Esprit-Saint se manifestait par des merveilles, comme de parler des langues que n’avaient nullement apprises ceux en qui l’Esprit-Saint était descendu. N’en concluons pas toutefois que l’on ne reçoit pas l’Esprit-Saint aujourd’hui, parce que les fidèles ne parlent plus diverses langues. Ils devaient alors parler diverses langues, afin de montrer que toutes les langues devaient croire au Christ. Or, à cette vue, Simon voulut faire de semblables merveilles, mais non ressembler aux Apôtres 2. Il voulut même, comme vous savez, acheter l’Esprit-Saint à prix d’argent. Il était donc du nombre de ces hommes qui entraient dans le temple pour vendre et acheter; il voulut acheter ce qu’il pensait revendre. Simon donc était réellement dans ces dispositions, et il les apportait en se joignant aux Apôtres. Or, le Seigneur chassa du temple ceux qui vendaient des colombes 3, et la colombe est le symbole de l’Esprit-Saint; Simon donc voulut acheter la colombe, et revendre ensuite la colombe et Jésus, qui habitait en Pierre, vint, le fouet à la main, et chassa de son temple ce vendeur impie 4.

6. Il est donc des hommes qui veulent faire des miracles, et qui exigent des miracles de ceux qui se perfectionnent dans l’Eglise; et ceux qui s’imaginent avoir fait quelques progrès, prétendent faire des miracles semblables et ne croient appartenir à Dieu qu’à la condition d’en faire. Or, le Seigneur notre Dieu, qui sait donner à chacun ce qu’il doit, afin de conserver la paix et l’union dans son Eglise, leur tient ce langage par son Apôtre: « L’oeil ne saurait dire à la main: Je n’ai pas besoin de vous; non plus que la tête aux  pieds Vous ne m’êtes point nécessaires; si tout le corps était oeil, où serait l’ouïe? et s’il était tout ouïe, où serait l’odorat 6 ?» Il est donc visible que dans le corps humain chaque membre a sa fonction particulière.

 

1. Act. VIII, 18.— 2. Ibid. — 3. Matth. XXI, 12. — 4. Act. VIII, 18.— 5. Jean, II, 15, 16.— 6. I Cor. XII, 17 - 21.

 

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L’oeil voit, mais n’entend point, l’oreille entend et ne voit point; la main agit, sans voir ni entendre; le pied marche, sans entendre, sans voir, sans agir comme la main. Mais quand le corps est en santé, les membres n’ont aucun litige l’un contre l’autre: l’oreille voit au moyen de l’oeil, et l’oeil entend au moyen de l’oreille: et l’on ne saurait reprocher à l’oreille de ne point voir, ni lui dire Tu n’as rien, tu es en défaut : pourrais-tu voir et discerner les couleurs comme le fait l’oeil? Pour se maintenir en paix dans le corps, l’oreille doit répondre et dire : Je suis où est l’oeil, dans le même corps. Par moi je ne vois point, mais je vois par celui qui m’accompagne. De même que l’oreille dit : L’oeil voit pour moi, l’oeil peut dire: L’oreille entend pour moi, et tous deux, l’oeil et l’oreille, diront: La main agit pour nous; et les mains diront : Les yeux et les oreilles entendent et voient pour nous; et les yeux, les oreilles, et les mains diront : Les pieds marchent pour nous; et lorsque tout agit dans le corps, s’il y a dans les membres union et santé, tous se réjouissent et se communiquent leur joie1. Et si quelque membre vient à souffrir, les autres, loin de l’abandonner, souffrent avec lui. Bien que dans le corps le pied soit très-éloigné de l’oeil (car l’un est tout en haut, et l’autre tout en bas), l’oeil abandonne-t-il le pied? quand on marche sur une épine, ne voyons-nous pas tout le corps se courber, l’homme s’asseoir, et s’incliner afin de chercher cette épine, qui s’est enfoncée à la plante du pied? Tous les membres s’efforcent de tirer cette épine du lieu le plus bas et le moindre de tout le corps. Ainsi donc, mes frères, quiconque, dans le corps mystique du Christ, ne peut ressusciter un mort, ne doit point chercher à le faire, mais seulement à se mettre en harmonie avec tout le corps. Ainsi l’oreille qui voudrait voir, serait un désaccord. Car elle ne saurait faire ce qui n’est point dans ses fonctions. Mais que l’on vienne vous dire : Si vous étiez juste, vous ressusciteriez les morts, comme l’a fait saint Pierre; répondez que les Apôtres paraissent avoir fait au nom du Christ des miracles Plus grands que ceux de Jésus-Christ lui-même 2. Mais dans quel but? Etait-ce donc pour donner aux branches la prépondérance sur la racine? Comment donc Paraissent-ils avoir fait

 

1. I Cor. XII, 26. — 2. Jean, XIV, 12.

 

des miracles supérieurs à ceux du Christ lui. même? Ce fut la voix du maître qui ressuscita les morts, tandis que Pierre ressuscita les morts de son ombre seulement 1. L’un semble plus grand que l’autre. Seulement le Christ pouvait opérer sans Pierre, mais non Pierre sans Jésus-Christ : « Car sans moi vous ne pouvez rien faire 2 ». Aussi, qu’un homme qui avance dans la piété entende cette abjecte calomnie dans la bouche de quelques païens, d’hommes qui ne savent ce qu’ils disent; qu’il réponde, en se tenant dans l’union du Christ :  Toi, qui me dis : Tu n’es pas juste, puisque tu ne fais aucun miracle; pourrais-tu dire à l’oreille: Tu n’es pas dans le corps humain; puisque tu ne vois pas? Fais des miracles, me dis-tu, comme saint Pierre en faisait; mais c’est pour moi que Pierre opérait ces miracles, puisque je suis dans ce même corps d’où Pierre les faisait. Je puis en lui ce qu’il pouvait, puisque je ne suis point séparé de lui : si je puis moins, il compatit à ma faiblesse; s’il peut davantage, j’en partage la joie 3. Le Christ au nom de tout son corps n’a-t-il pas crié du haut des cieux : « Saul, Saul, pourquoi me persécuter 4? » Et pourtant, nul ne le touchait; mais la tête criait d’en haut pour le corps qui souffrait sur la terre.

7. Si donc, mes frères, chacun fait avec justice tout ce qu’il peut, s’il ne porte aucune envie à celui qui peut davantage, s’il lui en témoigne de la joie, parce qu’il est avec lui dans un même corps ; il chante avec le psaume: « Seigneur, mon coeur ne s’est point enorgueilli, mes yeux ne se sont point élevés, je n’ai point marché sur les hauteurs, ni sondé les merveilles qui me surpassent ». Ce qui est au-dessus de mes forces, dit le Prophète, je ne l’ai point cherché : je ne m’y suis point avancé, je n’y ai point cherché ma gloire. Rien, en effet, n’est à craindre comme cette élévation du coeur, qui provient des dons de la grâce : que nul donc ne s’enorgueillisse des dons du Seigneur, mais que chacun se maintienne dans l’humilité, qu’il suive ce précepte de l’Ecriture : « Plus tu es grand, plus il faut t’humilier en tout, afin de trouver grâce devant le Seigneur 5 ». Il faut donc de plus en plus insister auprès de votre charité , pour lui montrer combien est à craindre l’orgueil qui vient des dons du

 

1. Act. V, 15.— 2. Jean, XV, 5.— 3. I Cor. XII, 15, 16.— 4. Act. IX, 4. — 5. Eccli. III, 20.

 

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Seigneur; je le fais d’autant plus volontiers que ce psaume très-court nous permet de nous étendre. Bien que l’apôtre saint Paul ait été persécuteur avant d’être prédicateur, Dieu bénit ses travaux apostoliques beaucoup plus que ceux des autres Apôtres; afin de montrer que ce don vient de Dieu, et non de l’homme. De même que c’est sur des malades désespérés que les médecins peuvent montrer la puissance de leur art; de même Notre-Seigneur Jésus-Christ, notre Sauveur et Médecin, fit éclater dans un homme désespéré, dans un persécuteur de son Eglise, la puissance de son art, puisqu’il en fit non-seulement un chrétien, mais un Apôtre, et non-seulement un Apôtre, nnais un Apôtre qui a travaillé plus que tous les autres, comme il l’a consigné lui-même. Il avait donc reçu une grâce par excellence. Aussi vous voyez, mis frères, la faveur dont jouissent dans l’Eglise les Epîtres de saint Paul 1, bien plus que celles des autres Apôtres. Les uns n’ont point écrit, mais seulement prêché dans 1’Eglise. Car les écrits que les hérétiques publient sous leur nom, ne sont point à eux; l’Eglise les désapprouve et les rejette. Pour les autres qui ont écrit,ils ne l’ont fait ni autant, ni avec tant de grâce. Comme donc il avait reçu une telle grâce, et mérité de Dieu des dons si extraordinaires, que dit-il dans un certain endroit? « De peur que la grandeur de mes révélations une m’élève ». Ecoutes, mes frères, voici de quoi nous faire trembler. « De peur que la grandeur de mes révélations ne me donne de l’orgueil, nous dit-il, il m’a été donné un aiguillon de la chair, un ange de Satan, pour me souffleter 2 ». Qu’est-ce à dire, mes frères? De peur que cet Apôtre ne s’élève comme un jeune homme, on le soufflette comme un enfant. Qui le soufflette? Un ange de Satan. Qu’est-ce à dire? Que l’Apôtre sentait en son corps une douleur violente; or, les douleurs corporelles nous viennent presque toujours par les anges de Satan ; mais ils ne peuvent rien sans la permission de Dieu. C’est à cette épreuve que fut mis Job, tout saint qu’il était 3. Il fut permis à Satan de l’éprouver; et il le frappa d’une telle plaie que son corps s’en allait en pourriture avec les vers. L’esprit impur avait ce pouvoir afin d’éprouver cette âme sainte. Le diable ne sait point quels grands biens il fait, même dans ses fureurs.

 

1. I Cor. XV, 10. — 2. II Cor. XII, 7. — 3. Job, II, 6, 7.

 

Ce fut dans sa fureur qu’il pénétra dans le coeur de Judas, dans sa fureur qu’il livra le Christ 1, dans sa fureur qu’il le mit en croix; et ce fut par la croix que Jésus racheta le monde. C’est ainsi que la fureur du démon nuisit au démon et devint utile pour nous. Et cette fureur lui a fait perdre ceux qu’il tenait sous sa puissance, et qui ont été rachetés par ce sang du Seigneur, que sa rage lui a fait répandre. S’il eût connu la perte qu’il allait faire, il n’eût point répandu sur la terre ce prix infini qui a racheté le monde. C’est ainsi encore qu’il fut permis à l’ange de Satan de souffleter saint Paul. Mais comme ce remède appliqué parle Médecin, était insupportable au malade, celui-ci pria le Médecin de l’enlever. Quelquefois un médecin applique., sur les entrailles d’un malade, un remède cuisant et insupportable, et qui doit cependant guérir ces entrailles gonflées : brûlé bientôt par ce remède, le malade prie le médecin de l’enlever; mais voilà que le médecin console son malade, l’encourage à la patience parce qu’il connaît l’utilité de son remède. C’est ce que saint Paul nous fait voir dans la suite. Après avoir dit : « Il m’a été donné un aiguillon de la chair, un ange de Satan pour me souffleter » ;  il en montre la cause : « De peur », dit-il, « que la grandeur des révélations ne vînt à m’enorgueillir, il m’a été donné un aiguillon de la chair, un ange de Satan pour me souffleter. Trois fois», dit-il encore, «j’ai prié le Seigneur de m’en délivrer 2 ». C’est bien là dire : J’ai prié le médecin de me délivrer de

ce remède fâcheux qu’il m’avait appliqué. Mais écoute la réponse du médecin : « Et le Seigneur m’a dit : Ma grâce te suffit; car la vertu se perfectionne dans l’infirmité ». Je connais le remède appliqué, je connais la cause du mal, je sais ce qui te guérira.

8. Ainsi, mes bien-aimés, la grandeur des révélations eût pu enorgueillir saint Paul, s’il n’eût eu un ange de Satan pour lui donner des soufflets; dès lors, qui peut être en sûreté sur son propre compte? Il semble que celui qui a moins reçu marche avec plus d’assurance, pourvu que, dans sa folie, il ne cherche point ce que Dieu lui a refusé dans sa sagesse. Qu’il cherche ce qui lui est nécessaire pour être dans le corps du Christ, et sans quoi il ne saurait y être que mal. Un doigt qui est sain est Plus en sûreté dans le corps de

 

1. Jean, XIII, 27. — 2. II Cor. XII, 7 et seq.

 

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l’homme, que ne pourrait être un oeil malade. Un doigt n’est qu’une faible partie, mais l’oeil est bien plus considérable : et pourtant, il vaut mieux n’être qu’un doigt dans le corps, et en santé, que d’être l’oeil, mais malade, chassieux, ténébreux. Nous n’avons donc à rechercher dans le corps du Christ que la santé; qu’à proportion de la santé vienne la foi, que la foi purifie le coeur, et le coeur une fois purifié verra cette face dont il est dit : « Bienheureux ceux dont le coeur est. pur, parce qu’ils verront Dieu 1». Et celui qui a fait des miracles dans le corps du Christ, comme celui qui n’en a pas fait, ne doit se réjouir que de la face de Dieu. Envoyés par le Seigneur, les Apôtres revenaient en lui disant « Voilà qu’en vôtre nom les démons eux-mêmes nous sont soumis 2 ». Le Seigneur vit que la puissance d’opérer des miracles leur donnait une tentation d’orgueil, et ce médecin qui était venu pour guérir nos enflures, et porter nos infirmités, répondit aussitôt : « Ne vous réjouissez point de ce que les démons vous soient soumis, mais réjouissez vous de ce que vos noms sont écrits dans le ciel 3 ». Tous les fidèles qui sont saints, ne chassent point pour cela les démons : et leurs noms toutefois sont écrits dans les cieux. Il voulut qu’ils missent leur joie, non dans ce qui leur était propre, mais dans le salut qui leur était commun avec les autres ; et dès lors il ne voulut chez les Apôtres d’autre joie que la sienne. Que votre charité veuille bien écouter. Aucun fidèle n’espère, si son nom n’est écrit dans le ciel. Les noms de lobs les fidèles qui aiment le Christ, qui marchent humblement dans les voies de l’humilité que lui-même nous a enseignées, sont écrits dans le ciel. Quelque méprisable que soit un homme dans l’Eglise, dès lors qu’il croit au Christ, qu’il aime le Christ, qu’il aime la paix du Christ, son nom est écrit dans le ciel, quel que soit ton mépris pour lui. Et néanmoins qu’a-t-il de comparable avec les Apôtres, qui ont opéré tant de miracles? Et toutefois les Apôtres sont réprimandés de ce qu’ils se réjouissent d’un bien qui leur esi propre, et le Seigneur leur enjoint de n’avoir d’autre joie que la joie de cet homme que tu méprises.

9. Le Psalmiste, mes frères, a donc raison de dire avec cette humilité : « Seigneur, moi

 

1. Matth. V, 8. — 2. Luc, X, 17. — 3. Id. 20.

 

coeur ne s’est point enorgueilli, mes yeux ne se sont point élevés, je n’ai point marché dans les hauteurs, ni dans ces merveilles  qui me surpassent. Si je n’ai point eu des sentiments d’humilité, si j’ai laissé mon âme s’enorgueillir, que mon âme soit traitée comme l’enfant que l’on sèvre dans les bras de sa mère 1». Il semble se lier par des imprécations. De même qu’il est dit dans

un autre psaume : « Seigneur mon Dieu, si j’ai agi de la sorte, si l’iniquité est dans mes mains, si j’ai rendu le mal pour le mal, que je succombe avec justice devant mes ennemis 2»,et le reste;ainsi semble-t-il dire maintenant : « Si je n’ai point eu de sentiments d’humilité, et si j’ai laissé mon âme s’enorgueillir » ; comme s’il devait ajouter : Que tel châtiment tombe sur moi.

Là il est dit encore : « Si j’ai rendu le mal pour le mal », que ce malheur m’arrive. Quel malheur? « Que je succombe en face de  mes ennemis » ; ainsi est-il dit dans notre psaume : « Si je n’ai point eu des sentiments d’humilité, si j’ai au contraire élevé mon  âme, que celte âme soit châtiée, comme l’enfant que l’on sèvre dans les bras de sa mère ». Ecoutez ceci, mes frères. Vous savez à quels infirmes s’adresse la parole de l’Apôtre. « Je vous ai donné du lait, et non une nourriture solide; car vous ne pouviez la supporter, et maintenant même, vous ne le pouvez pas 3 ». II y a des faibles, qui ne sont point capables d’une solide nourriture, et qui néanmoins veulent arriver à ce qui dépasse leurs forces. S’ils parviennent à saisir quelque chose, ou même s’ils se persuadent qu’ils ont saisi ce qu’ils n’ont pu atteindre, les voilà qui s’élèvent, qui s’enorgueillissent, qui se croient pleins de sagesse. C’est là ce qui est arrivé à tous les hérétiques; en eux l’homme animal et charnel a défendu des opinions perverses dont ils ne pouvaient voir la fausseté; et ils ont été chassés de l’Eglise catholique. Je m’en expliquerai autant que possible avec votre charité. Vous savez que Notre-Seigneur Jésus-Christ est le Verbe de Dieu, selon cette parole de saint Jean : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. Voilà ce qui était en Dieu au commencement. Tout a été fait par lui, et rien n’a été fait sans lui 4 ». C’est donc là le

 

1. Ps. CXXX, 1, 2.— 2. Id. VII, 4,5.— 3. 1 Cor. III, 2.— 4. Jean, I, 1-3.

 

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pain solide, le pain des anges. Voilà le pair préparé pour toi; mais prends de l’accroisse ment avec du lait, afin d’arriver à ce pair solide. Et comment, diras-tu, le lait va-t-il me donner de l’accroissement? Commence par croire ce que Jésus-Christ s’est fait afin de s’accommoder à ta faiblesse, et tiens-y fermement. Considère une mère voyant son fils peu capable d’une nourriture solide, elle lui donne cette nourriture à la vérité, mais en la faisant passer par sa propre chair: car le pain qui nourrit l’enfant est celui-là même qui a nourri la mère; mais l’enfant, incapable de manger à table, peut se nourrir à la mamelle; le pain donc passe par les mamelles de la mère, et devient ainsi l’alimentation de l’enfant. Ainsi a fait Notre-Seigneur Jésus-Christ, Verbe en son Père, lui par qui tout n été fait, lui qui, ayant la nature de Dieu, n’a point cru que ce fût pour lui une usurpation de se dire égal à Dieu 1 , et, comme tel, nourriture des anges, autant qu’ils en sont capables, aliment des Vertus, des Puissances, des Esprits bienheureux. Mais l’homme était infirme, enveloppé dans la chair et gisant sur la terre, et la nourriture céleste ne pouvait descendre jusqu’à lui. Dès lors, afin que l’homme pût manger le pain des anges, et que la manne descendît chez un peuple qui est véritablement Israël 2, voilà que, « le Verbe s’est fait chair et a habité parmi nous 3 ».

10. C’est pourquoi, voici le langage de l’apôtre saint Paul aux faibles, dont il est dit qu’ils vivent de la vie charnelle et animale : « Ai-je donc fait profession de savoir parmi vous autre chose que Jésus, et Jésus crucifié 4? » Car c’était le Christ, mais non crucifié, qui « au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Et comme ce Verbe a été fait chair, ce Verbe aussi a été crucifié, mais sans être changé en homme; c’est l’homme au contraire qui a été changé dans lui. L’homme donc aété changé en lui, afin dc devenir meilleur qu’il n’était, et non pour être changé dans la substance même du Verbe. Dieu est donc mort en ce qu’il y avait d’humain en lui; et l’homme est ressuscité dans ce qu’il tenait de Dieu, il est ressuscité et monté au ciel. Tout ce qu’a souffert l’homme, on ne saurait dire que Dieu ne l’ait pas souffert, parce qu’il était Dieu en prenant la nature humaine ; de même

 

1. Philipp. II, 6.— 2. Exod. XVI, 14.— 3. Jean, I, 14.—  4. I Cor. II, 2.

 

que tu ne saurais dire que tu n’as pas souffert un outrage, dès qu’on déchire ton manteau. Et quand tu t’en plains à tes amis ou devant un juge, tu dis : il m’a déchiré. Tu ne dis point: Il a déchiré mon manteau ; mais : Il m’a déchiré. Si donc on peut appeler toi, ce qui n’est que ton vêtement, combien n’est-il pas plus juste de dire, à propos de la chair du Christ, de ce temple du Verbe uni au Verbe, que tout ce qu’il souffrait en sa chair, c’était Dieu qui le souffrait? Et toutefois le Verbe ne pouvait passer ni par la mort, ni par la corruption, ni par le changement, ni même être tué; mais tout ce qu’il a souffert de semblable, il l’a souffert en sa chair. Et ne vous étonnez pas que le Verbe n’ait rien souffert; car si vous tuez la chair, l’âme dès lors ne saurait rien souffrir, ainsi que l’a dit le Sauveur : « Ne craignez point ceux qui tuent le corps, et qui ne sauraient tuer l’âme 1 ». Si donc on ne saurait tuer l’âme, comment tuer le Verbe de Dieu? Et pourtant, que dit cette âme? Il m’a flagellée, souffletée, frappée, déchirée; rien de cela ne se fait dans l’âme; et néanmoins elle dit toujours moi, à cause de son union avec le corps.

11. Notre-Seigneur Jésus-Christ donc, qui est notre pain, s’est fait un lait pour nous en s’incarnant et en se montrant mortel, afin que la mort finît en lui, et que nous pussions, sans nous éloigner du Verbe, croire en cette chair que le Verbe a prise. C’est en cela qu’il nous faut croître, c’est ce lait qui doit être notre nourriture; et avant que nous soyons capables de nous alimenter du Verbe lui-même, ne nous séparons point de cette foi qui est notre lait. Quant aux hérétiques, en voulant disputer au sujet de ce qu’ils ne pouvaient comprendre, ils ont dit que le Fils est inférieur au Père, et que le Saint-Esprit est inférieur au Fils; et en graduant ainsi, ils ont introduit trois dieux dans l’Eglise. Ils ne peuvent nier en effet ni que le Père soit Dieu, ni que le Fils soit Dieu, ni que le Saint-Esprit soit Dieu. Mais si le Père qui est Dieu, le le Fils qui est Dieu, le Saint-Esprit qui est Dieu, sont inégaux, ils ne sont point de même substance, et dès lors il n’y a point un seul Dieu, mais trois dieux. En raisonnant sur ce qu’ils ne pouvaient saisir, ils se sont élevés dans leur orgueil, et il est arrivé pour eux ce qui est dit dans notre psaume: « Si je n’ai

 

1. Matth. X, 28.

 

point eu des sentiments d’humilité, et si j’ai élevé mon âme; que cette âme soit châtiée comme l’enfant que l’on sèvre dans  les bras de sa mère ». Notre mère, c’est l’Eglise dont ils se sont séparés : c’est là qu’ils devaient être nourris et allaités, afin

qu’ils pussent croître et comprendre ce Verbe de Dieu qui est en Dieu, et qui dans sa nature est égal au Père.

12. Ceux qui ont expliqué ce psaume avant nous ont donné un autre sens à ces paroles et ont émis une pensée que je ne veux point soustraire à votre charité. Tout orgueil déplaît à Dieu, ont-ils dit, et l’âme humaine se doit humilier pour ne point déplaire à Dieu, et s’appliquer à considérer cette parole : « Plus tu es élevé, plus tu dois t’humilier en tout, et tu trouveras grâce devant Dieu 1 ». Mais il est aussi des hommes qui, entendant qu’ils doivent être humbles, se découragent, ne veulent rien savoir, se persuadent qu’ils ne peuvent apprendre sans être orgueilleux; ils demeurent toujours au lait de l’enfance. L’Ecriture les réprimande en disant: « Vous  voilà tels que vous avez encore besoin de lait, et non d’une solide nourriture 2». Dieu veut donc que nous prenions du lait, non pas afin de demeurer toujours en cet état, mais afin que nous prenions de l’accroissement pour arriver à la solide nourriture. L’homme donc, sans élever son âme jusqu’à l’orgueil, doit l’élever dans la connaissance de la parole de Dieu. Si son âme ne devait point s’élever, le Prophète ne dirait point dans un autre psaume : « Seigneur, j’ai élevé mon âme vers vous 3 ». Et si son âme ne se répandait point au-dessus d’elle-même, elle n’arriverait point à la vision de Dieu, à la connaissance de son immuable substance. Maintenant qu’il est encore dans la chair, on lui dit : « Où est ton Dieu 4? » Mais Dieu est à l’intérieur, et cet intérieur est spirituel, comme son élévation est spirituelle; on ne la mesure point par la distance des lieux, comme cette distance mesure les élévations terrestres. S’il était question d’une telle hauteur, les oiseaux seraient plus près de Dieu que nous autres. Dieu donc est élevé, mais cette élévation est spirituelle; et l’âme ne saurait l’atteindre qu’en s’élevant au-dessus d’elle-même. L’idée que vous donneraient de Dieu les sens ne serait qu’une erreur. Tu n’es

 

1. Eccli. III, 20.—  2. Hébr. V, 12.— 3. Ps. XXIV, 1.—  4. Id. XLI, 4.

 

qu’un enfant, si tu attribues à Dieu ce qui tient à l’âme de l’homme, comme l’oubli, le goût ou le dégoût, le repentir de ses actions; car si l’Ecriture emploie ces locutions, c’est pour nous parler de Dieu comme à des enfants qu’on allaite, et non pour nous faire prendre à la lettre que Dieu a du repentir, qu’il apprend ce qu’il ne connaissait pas encore, qu’il comprend ce qu’il n’avait pas compris, qu’il se ressouvient de ce qu’il avait oublié. Tout cela est propre à l’âme, et non à Dieu. Si donc l’homme ne s’élève au-dessus de son âme, il ne verra pas que Dieu est ce qu’il est; comme il l’a dit : « Je suis celui qui suis 1 ». Que répond dès lors celui à qui l’on disait : « Où est ton Dieu ? » « Mes larmes ont été mon pain le jour et la nuit, pendant «qu’on me dit tous les jours : Où est ton Dieu?» Qu’a-t-il fait pour retrouver son Dieu? « Voilà », dit-il, « ce que j’ai médité; j’ai répandu mon âme au-dessus de moi 2 ». Afin de trouver Dieu, il a répandu son âme au-dessus de lui-même. Te dire : Sois humble, ce n’est donc point t’interdire la science. Sois humble à cause de l’orgueil, mais sois élevé en sagesse. Ecoute une parole bien claire à ce sujet : « Ne soyez point enfants selon l’esprit, mais soyez enfants par la malice, afin d’être parfaits selon l’esprit 3». Il ne pouvait mieux nous expliquer en quoi Dieu veut que nous soyons humbles, et en quoi il nous veut élevés; humbles, afin d’éviter l’orgueil; élevés, afin d’atteindre la sagesse. Prends donc du lait pour te nourrir; nourris-toi afin de croître, et crois afin d’arriver à une solide nourriture. Dès que tu commenceras à manger du pain, tu seras sevré, c’est-à-dire que tu n’auras plus besoin de lait, mais d’une forte nourriture. Voilà ce que paraît dire le Prophète: « Si je n’ai pas eu des sentiments  humbles, et si j’ai élevé mon âme » ; c’est-à-dire, si j’ai été un enfant, non par l’esprit, mais par la malice. Et pour le marquer plus clairement, il avait dit: « Seigneur, mon coeur ne s’est pas enorgueilli, mes yeux ne se sont point élevés, je n’ai point marché sur les hauteurs, ni prétendu aux merveilles qui  me surpassent ». Me voilà un enfant par la malice. Mais parce que je n’ai pas été un enfant par l’esprit, j’ajoute : « Si je n’ai point eu des sentiments d’humilité, et si j’ai élevé mon âme au-dessus de moi », qu’il me soit

 

1. Exod. III, 14. — 2. Ps. XLI, 4, 5. — 3. I Cor. XIV, 20.

 

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fait comme à l’enfant qu’on sèvre entre les bras de sa mère, afin que je puisse manger du pain.

13. C’est là, mes frères, un sens que je ne désapprouve point, car il n’est pas contre la foi. Un point cependant me tourmente, c’est qu’il n’est pas seulement dit : « Que mon âme soit traitée comme l’enfant que l’on sèvre » ; mais le Prophète ajoute: « Que l’on sèvre entre les bras de sa mère ». Et je ne sais pourquoi je vois là une malédiction. Car ce n’est pas le petit enfant que l’on sèvre, mais un enfant déjà grandelet. Quant à l’enfant qui est faible en naissant, ce qui est la véritable enfance, il est dans les bras de sa mère, et, le sevrer, c’est lui donner la mort. Ce n’est donc pas sans raison que le Prophète ajoute: « Dans les bras de sa mère n. A la rigueur, on sèvre tout enfant qui grandit. C’est un bien pour celui qui a pris de l’accroissement, mais un danger pour celui qui est dans les bras de sa mère. Il faut donc éviter, mes frères, il faut craindre de sevrer personne avant le temps; car on sèvre tout enfant qui est déjà fort. Mais qu’on ne le sèvre point tandis qu’il est encore dans les bras de sa mère. Cet enfant, qu’une mère porte dans ses bras, elle l’a porté d’abord dans ses entrailles (car elle l’a porté dans son sein pour le faire naître, et le porte dans ses bras pour le faire grandir); le voilà qui a besoin de lait, et il est « sur sa mère », comme dit le Prophète. Qu’il ne cherche donc point à élever son âme, puisqu’il n’est point capable d’une solide nourriture, mais qu’il accomplisse les préceptes de l’humilité. Il a de quoi s’exercer. Qu’il croie d’abord au Christ, afin de pouvoir comprendre le Christ. Il ne saurait voir le Verbe, ni comprendre que le Verbe est égal au Père, que le Saint-Esprit est égal au Père et au Fils; qu’il le croie donc et suce la mamelle. Il n’a rien à craindre; quand il aura grandi, il mangera ce qui lui était impossible avant qu’il se fût fortifié par le lait : et alors il pourra prendre ses ébats. « Ne cherche u point ce qui est au-dessus de toi, ne sonde point ce qui dépasse tes forces » ; c’est-à-dire, ce que tu es incapable de comprendre. Mais que ferai-je, diras-tu? Faudra-t-il demeurer en cet état ? « Repasse toujours ce que Dieu t’a commandé 1». Qu’est-ce que Dieu t’a commandé? Fais miséricorde, ne te

 

1. Eccli. III, 22.

 

sépare point de la paix de l’Eglise, ne mets point ton espérance dans un homme, et garde-toi de tenter Dieu en désirant des miracles. Si déjà tu as produit quelques fruits, tu sais que tu dois tolérer l’ivraie avec le bon grain jusqu’à la moisson 1, car tu peux être un temps avec les méchants, mais non pendant l’éternité. Tu es avec la paille dans l’aire en cette vie, mais elle ne sera point avec toi dans le grenier céleste. « Voilà ce que t’a commandé le Seigneur, et qu’il faut toujours avoir à la pensée ». Tu ne seras point sevré, tant que tu seras sur les bras de ta mère de peur que tu ne meures de faim, avant de pouvoir manger. Prends de l’accroissement, tes forces grandiront; et tu verras ce que tu ne pouvais voir, tu comprendras ce que tu ne pouvais comprendre.

14. Quoi donc? serai-je en sûreté, quand je verrai ce que je ne pouvais voir? Serai-je parfait? Non, tant que durera cette vie. Notre perfection ici-bas, c’est l’humilité. Vous avez entendu la fin de la lecture de l’Apôtre, si vous l’avez imprimée dans votre mémoire; et comment il recevait des soufflets, de peur que ses révélations ne lui donnassent de l’orgueil (et quelles révélations !); l’importance même de ces révélations pouvait lui donner de l’orgueil, si l’ange de Satan ne l’eût souffleté; et pourtant, que nous dit cet homme à qui Dieu révélait de si grandes choses? « Mes frères, je ne crois pas avoir atteint le but de ma course ». Voilà saint Paul qui nous dit qu’il ne croit point être arrivé au but, lui qui est souffleté par l’ange de Satan de peur que l’importance de ses révélations ne lui donne de l’orgueil. Qui osera dire qu’il est parvenu à son but? Voilà que Paul n’y est point arrivé, et qu’il s’écrie « Je ne crois pas avoir atteint le but de ma course ». Que dites-vous, ô bienheureux Paul? «Je cours», nous répond-il, « afin d’arriver ». Voilà que Paul est encore en chemin, et tu prétends être dans la patrie? « Tout ce que je sais », dit-il, « c’est que j’oublie ce qui est en arrière ». Fais de même et oublie ta vie passée qui était mauvaise. Si la vanité a eu pour toi des charmes, qu’elle te déplaise maintenant. « J’oublie ce qui est en arrière pour m’avancer vers ce qui est en avant; je m’efforce de remporter le prix, auquel Dieu m’a appelé d’en haut par Jésus-Christ 2 ». J’entends d’en haut

 

1. Matth. XIII, 30. — 2. Philipp. III, 12 - 15.

 

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l’appel de Dieu et je cours pour y arriver. Car ce n’est point pour que j’y demeure qu’il m’a laissé en chemin, et il ne cesse de me stimuler. Donc, mes frères, Dieu ne cesse de nous parler. S’il cessait de le faire, que deviendrions-nous? Que feraient les divines 1cc turcs, les saints cantiques? Oubliez donc ce qui est en arrière, et avancez-vous vers ce qui est en avant. Sucez le lait afin de croître et de devenir capables d’ une solide nourriture. Vous goûterez la joie, quand vous serez dans la patrie. Ecoutez encore l’Apôtre, qui s’avance vers la palme d’en haut. « Nous qui voulons être parfaits », nous dit-il, « soyons dans ce sentiment ». Je ne parle pas aux imparfaits, je ne pourrais leur parler de la sagesse; ils ont encore besoin de lait, et ne peuvent prendre une forte nourriture; mais je m’adresse à vous, qui vous nourrissez plus solidement. Ils semblent parfaits parce qu’ils connaissent l’égalité du Père avec le Verbe mais ils ne voient pas encore face à face, comme ils verront un jour; ils ne voient qu’en partie et en énigme 2. Qu’ils courent dès lors, puisqu’à la fin de notre carrière nous retournons dans la patrie. Qu’ils courent; qu’ils s’avancent. « Nous qui voulons être parfaits, soyons dans ce sentiment; et si vous avez d’autres pensées, Dieu vous éclairera ». Si vous êtes dans l’erreur en quelque point de foi, pourquoi ne point retourner au lait de votre mère? Car si vous ne vous élevez point, si votre coeur ne cède point à l’orgueil, si vous

 

1. Philipp. III, 15. — 2. I Cor. XIII, 12.

 

ne prétendez point aux merveilles qui vous surpassent, si vous gardez l’humilité, Dieu vous révélera ce que vous croyez de contraire à la vérité. Mais si vous voulez défendre ce qui est peu con forme à la foi, si, dans votre obstination, vous prétendez l’établir contre la paix de l’Eglise; alors vous tombez sous la malédiction du Prophète, vous êtes sur les bras de votre mère, et, déjà sevrés et en dehors de ses entrailles, vous mourrez de faim. Mais si vous persévérez dans la paix de l’Eglise catholique, Dieu vous instruira à cause de votre humilité, quand vous auriez des sentiments contraires à la vérité de la foi. Pourquoi? « Parce que Dieu résiste aux superbes et accorde sa faveur aux humbles 1 ».

15. C’est pourquoi notre psaume finit ainsi: « Qu’Israël espère dans le Seigneur, dès maintenant, et jusque dans les siècles ». Cette expression du grec: apo tou nun kai eos tou aionos , est traduite par : Ex hoc nunc et usque in saeculum : Dès maintenant et dans la suite des siècles. Mais ce mot de siècle ne veut pas toujours dire ce siècle; quelquefois il signifie l’éternité; car éternel s’entend de deux manières. Jusque dans l’éternité signifie, ou bien sans fin, ou bien jusqu’à ce que nous arrivions à l’éternité. Comment faut-il l’entendre ici? Espérons dans le Seigneur notre Dieu,jusqu’à ce que nous arrivions à l’éternité ; car, aussitôt que nous y serons arrivés, il n’y aura plus pour nous d’espérance, mais la réalité.

 

1. Jacques, IV, 6 ; I Pierre, V, 5.

 

 

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